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Annales.

Economies, sociétés,
civilisations

À quelle époque a-t-on cessé de parler latin en Gaule ? À propos


d'une question mal posée
Michael Richter

Abstract
When Was Latin No Longer Spoken in Gaul ? On a Poorly-Formulated Question

The relationship between Latin and Romance in Gaul in the late eighth and early ninth centuries is discussed in this article on
the basis of historical sources. Several documents relating to the reform policy of Charlemagne give insight into levels of
comprehension of spoken Latin and thereby indirectly into the position of the vernacular vis-a-vis Latin. The historical sources
illumine the linguistic division of Gaul at that time into the area of the langue d'oc and that of the langue d'oïl. The legislation of
813 about preaching to the general public makes it plausible that spoken Latin was understood, in the early ninth century, in the
southern half of Gaul but less so in the northern half.

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Richter Michael. À quelle époque a-t-on cessé de parler latin en Gaule ? À propos d'une question mal posée. In: Annales.
Economies, sociétés, civilisations. 38ᵉ année, N. 2, 1983. pp. 439-448;

doi : https://doi.org/10.3406/ahess.1983.410987

https://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1983_num_38_2_410987

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QUELLE POaUE A-T-ON CESS DE PARLER LATIN EN GAULE
propos une question mal posée

La question qui figure dans le titre de cet article est une citation empruntée
Dag Norberg qui reprenait lui-même en la modifiant une question analogue
soulevée par Ferdinand Lot2 Cette question pourrait trouver une réponse simple
on jamais cessé de parler latin en Gaule puisque le fran ais est une langue néo-
latine On sait en trois mille ans existence attestée la langue latine
considérablement évolué et partir de son apparition comme langue littéraire
au me siècle avant J.-C elle fut vite très différente de la langue parlée On lit dans le
De Lingua Latina de Varron ouvrage dédié Ciceron4 que latinitas est incorrupta
observatio secundum Roman linguam5 Ainsi avait-il dès époque classique
une différence notable entre la langue littéraire et la langue parlée et pourtant nul
ne songerait appeler autrement que latin la corrupta loquendi observatio
secundum Roman linguam de époque cicéronienne
Sept siècles après Ciceron et Varron Isidore de Seville atteste existence une
langue latine unique dans la Romania même il distingue en se penchant sur
histoire du latin quatre stades diachroniques dans son évolution6 Dans
intervalle avec la croissance de Empire romain emploi du latin était répandu
et en raison de extension de ses zones usage et influence la langue avait subi
des transformations ce elle devînt la koinè de Empire Les effets de
cette expansion du latin furent particulièrement sensibles en Gaule où en espace
de quatre siècles le latin rempla totalement la langue celtique indigène la seule
exception de Armorique la fin de Empire romain Occident la langue parlée
en Gaule était le latin comme en témoignent par exemple les très populaires
sermons de Césaire Arles qui écrivait le latin en donnant un tour populaire son
style afin de se faire comprendre des ouailles dont lui-même et son clergé avaient la
charge Après la chute de Empire le latin ne disparaît pas en tant que langue
parlée en Gaule comme ce fut le cas en Grande-Bretagne Au contraire sa
continuité atteste héritage romain Voilà justifiée notre réponse simple la
question de Norberg on jamais cessé de parler latin en Gaule
Norberg eût été bien avisé de compléter sa question en la formulant ainsi
quelle époque a-t-on cessé de parler latin en Gaule et commencé parler fran ais

439
HYPOTH SES

Car est là en fin de compte ce qui intéressait Cette question une importance
indéniable de fait été soulevée par nombre de spécialistes et continue être
discutée tandis que les résultats de leurs travaux ne cessent accuser de très
grandes divergences Ne serait-ce pas dans une certaine mesure du moins
que le problème des origines du fran ais est au départ mal posé
Il est temps semble-t-il de tenter une nouvelle approche de cet éternel
problème et expérimenter de nouvelles méthodes pour suggérer une solution plus
généralement acceptable Pour cela il suffit apporter une légère modification
interrogation de Norberg que nous formulerons ainsi quelle époque a-t-on
cessé de comprendre le latin en Gaule 10 Dans les remarques qui suivent la
situation linguistique en Gaule sera traitée de manière synchronique et non
diachronique comme elle le fut longtemps Car ce est pas évolution de la langue
romane en Gaule qui fait objet de notre recherche mais les problèmes de
compréhension dans la communication orale une époque cruciale
Grâce existence de sources particulièrement abondantes on peut examiner
certains aspects de la communication orale dans plusieurs régions de la Gaule
même une époque aussi reculée que la fin du vine et le début du ixe siècle Pour
cette période qui aux yeux de bien des chercheurs est une importance
déterminante dans élaboration du fran ais 11 on peut comparer la langue imposée
par la norme et la langue effectivement parlée et écrite en Gaule Les sources
auxquelles nous faisons allusion sont connues depuis longtemps mais ont été
insuffisamment exploitées et leur intérêt est resté en grande partie inaper
Nous allons maintenant les mettre contribution Ajoutons que ces sources ont été
ici exploitées surtout par des historiens qui avaient pas pour objet essentiel
étude du problème linguistique en Gaule Les linguistes eux quand ils sont
référés ont fait de manière insuffisante parce que information sur la situation
linguistique quoique fort claire notre avis est pas facile détecter Une
méthode nouvelle de sociolinguistique historique appuyant sur des sources
historiques latines 12 en révèle toute la portée

De quelles sources agit-il donc De documents une certaine longueur


élaborés au cours de la politique de réforme menée par Charlemagne et plus
particulièrement de la législation des synodes en 813 En mai et juin 813 des
synodes de réforme se réunirent en différents points de Empire franc et nous
avons conservé intégralement les décrets des synodes Arles Chalon-sur-Saône
Tours Reims et Mayence 13 Chacun des rapports de ces synodes précise ils se
sont tenus initiative de empereur et que les discussions et les décisions ont porté
sur les questions que celui-ci considérait comme importantes Ainsi transparaît
travers ces décrets une unité de politique et intention Le fait mérite être souligné
dans la mesure où les décrets des synodes émanant de ces cinq villes ne sont pas
identiques mot pour mot Il ne agit pas une politique centralisée qui devait
appliquer mécaniquement partout au contraire il tout lieu de penser que les
participants ces synodes membres du clergé local au fait des aspects locaux et
régionaux des problèmes en question ont élaboré les décrets en toute connaissance
de cause en fonction de la situation
est propos un point précis le devoir de prédication que les synodes

440
RICHTER LE LATIN EN GAULE

abordent spécialement la question de la communication orale Charlemagne


assignait une extrême importance extension de la foi chrétienne par la
prédication dans les strictes limites de orthodoxie il se considérait ïune certaine
fa on comme gardien de orthodoxie responsable de la prospérité matérielle et de
la qualité morale de glise Occident14 On doit citer ici textuellement la
législation des cinq synodes du printemps 13 sur la prédication On trouve

Numquam tarnen desit diebiis dominicis aut festivitatibus qui verbum Dei
praedicet iuxta quod intellegere vulgus possit Mayence 25
Ut episcopi sermones et omelias sanctorum patrum prout omnes intellegere
possent secundum proprietatem linguae praedicare studeant Reims 15
Et praedicaîione assidua plebem admoneant et falce iusticiae credentium
mentibus vitiorum sp eradicent et verbi Dei semine agros mentium eorum ad
fecunditatem perducant Chal
Sollicite studeat unusquisque gregem sibi commissum sacra praedicatione
quid agere quidve vitare debeat informare Tours
4a Visum est unanimitati nostrae ut quilibet episcopus habeat omelias
continentes necess rias ammonitiones quibus subiecti erudianiiii id es de fide
catliolica prout capere possint de perpetua retributione ïî et aeterna
damnatione malorum de resurrectione quoque futura et ultimo indicio et quibus
operibus possit prom en beata vita quibusve excludi15 Et ut easdem omelias
quisque aperte iransferre studeat in rusticam Roman linguam aut Thiotiscain
quo facilius cuncti passini intellegere quae dicuntur Tours 17
Providiniiis unn pro aedi catione omnium ecclesiarum et pro militate
totius poplili ut non solum in civitatibus sed etiam in omnibus parroechiis
presbyte ad populuni verbum faciant ut et bene vivere studeant et populo sibi
commisse praedicare non neglegam Arles 10

Le recours aux homélies des autorites éprouvées cf no était le moyen le


plus efficace de garantir orthodoxie de instruction chrétienne Ce qui nous
intéresse est de savoir si les fidèles pouvaient ou non comprendre les homélies qui
leur étaient lues haute voix Nous pouvons donc dans les remarques qui vont
suivre négliger ce qui trait archidiocèse de Mayence où les prêtres étaient priés
de prêcher iuxta quod intellegere vulgus possit no Car ils utilisaient selon les
recommandations les homélies autorités éprouvées celles-ci devaient être
traduites dans le vernaculaire germanique puisque les laïcs de archidiocese de
Mayence ne comprenaient pas le latin
Tous les autres synodes du printemps 813 se sont tenus en Gaule dans la
Romania Les décrets révèlent que les sermons en latin auraient pas été
nécessairement compris dans les archidiocèses de Reims et de Tours En effet on
décide Reims de prêcher secundum proprietatem linguae no Tours on dit
explicitement que les homélies devraient êtres traduites dans la langue du peuple
no 16
absence de telles précisions en ce qui concerne Arles et Chal en est pas
moins significative pour notre propos 17 Comme nous avons déjà indiqué on peut
penser que les décrets furent rédigés par un clergé local conscient de la situation
linguistique dans la région placée sous sa responsabilité Dans archidiocèse Arles
et la partie de archidiocèse de Lyon couverte par la législation de Chal il allait de
soi pour le clergé semble-t-il que les fidèles comprendraient les homélies lues
haute voix pendant la messe

441
HYPOTH SES

Les sources historiques qui permettent étudier propos de la prédication


adressée au grand nombre certains aspects de la communication orale en Gaule au
début du ixe siècle nous suggèrent donc la remarque suivante la réponse notre
question ne saurait être la même pour ensemble de la Gaule On considérait en 813
que des homélies en latin lues aux fidèles ne seraient pas facilement comprises dans
les archidiocèses de Reims et de Tours tandis que intelligibilité allait de soi dans
archidiocese Arles et dans certaines parties de archidiocèse de Lyon archi-
diocèse de Tours couvrait des régions situées au nord-ouest de la Gaule et pour
essentiel au nord de la Loire celui de Reims des régions du nord-est Chal et
Arles nous renseignent sur la situation linguistique au sud-est de la Gaule Il résulte
de notre examen des sources historiques que on avait cessé de comprendre le latin
dans la moitié nord de la Gaule au début du ixe siècle ce qui confirme les recherches
linguistiques tant traditionnelles que récentes sur la différenciation de la langue oïl
et de la langue romane du sud de la Gaule 18 et ajoutons-le Italie et Espagne
On de bonnes raisons de croire que cette différenciation pas demandé plusieurs
siècles mais elle est produite tardivement peut-être même en quelques
décennies 19
Le résultat de notre enquête pourrait être formulé avec encore plus assurance
si nous avions des renseignements sur la situation linguistique de toutes les régions
de Gaule en 813 Ce est hélas pas le cas Nous ne savons pas exactement pourquoi
le synode se tint Chal et non Lyon capitale de la province Et nous ignorons
pourquoi ces synodes du printemps 13 eurent lieu que dans ces cinq villes Mais
est un fait certain comme le prouve la référence autres sources connexes qui
permettent en outre de préciser de nouvelles questions
Ces informations complémentaires proviennent de trois proclamations
officielles effectuées séparément toutes parues automne 813 et toutes consa
crées une récapitulation des aspects les plus importants des synodes du
printemps

De officio praedicationis ut iuxia quod intellegere vulgus passil assiduae


at20
De consiitiiendis presby teris et de eonini praedicatione et de habendis
omeins patrum et secundum eonini doctrinam ad praedicandwn ita omnibus
placidi sicut in capitulare dominico 21 et convemu Turonensi statutùm est11
praedicatio saueta assidue in ecclesia fiat MOG cap xxv REM xv
CAB TUR ini RL 23

Ces renseignements complémentaires confirment que les synodes eurent lieu


seulement dans les cinq villes précitées no Mais autres points appellent
quelques commentaires
Le recours des homélies préexistantes au lieu une prédication ex tempore
no était une pratique assez courante déjà recommandée par Césaire Arles au
ve siècle et signalée par lui comme une coutume de glise Orient;4 Mais quoi
faisaient allusion les évêques automne 813 en écrivant sicut. in conventu
Turonensi statutum est no Car deux points différents avaient été particulière
ment définis Tours la recommandation du recours des homélies préexis
tantes également mentionnée au no avec des conseils sur le contenu des sermons
destinés au peuple et la traduction de ces homélies en langue vernaculaire
no 4)25 Selon nous seul le premier point devait appliquer toutes les régions

442
RICHTER LE LATIN EN GAULE

comprises dans la juridiction des synodes du printemps 813 tandis que le second
était pas nécessaire dans toutes les régions de la Gaule
Les sources complémentaires nous apprennent encore que pour la prédication
on accordait autant importance orthodoxie du contenu son intelligibilité
pour les fidèles Le problème se complique ici de la double acception du mot
intellegere intelligibilité peut concerner aussi bien la langue que le contenu est
de la langue il agit le plus évidemment au no 4a de la langue et du contenu
apparemment aux nos et On trouve dans les décrets du printemps 813
autres références intellegere se rapportant aux prêtres 26 et appliquant au
contenu plus vraisemblablement la langue Les deux exigences imposées aux
prêtres 27 legere et intellegere signifient deux niveaux de connaissance dont la
conjonction seule pouvait leur permettre de prêcher efficacement Ces deux
niveaux legere et intellegere étaient pas une nouveauté époque qui nous
intéresse 28 Mais ils étaient pas exigés des fidèles puisque les sermons leur étaient
lus et il agissait donc simplement pour eux de comprendre le langage du prêtre
La discussion des éléments ici présentés appelle quelques propositions plus
générales dont la plus importante semble être la suivante si on admet que le latin
était plus compris dans le nord de la Gaule en 813 agit-il ici simplement de la
première information complète sur la communication orale trouvée dans les
documents latins 29 ou bien a-t-il dans ces sources le reflet une évolution
récente Sans pouvoir donner une réponse ferme cette question importante nous
penchons pour la seconde hypothèse Il des raisons de croire une situation
nouvelle se fit jour au début du ixe siècle et que les sources historiques dont nous
disposons enregistrent très vite ce changement Cette situation nouvelle fut le
résultat du lancement par Charlemagne une réforme dont les synodes du
printemps 813 ne représentent une des manifestations les plus tardives Aussi
convient-il de intéresser ses aspects antérieurs principalement liés une réforme
du latin 30
Dans sa célèbre Ep stola de litteris colendis adressée aux abbés et évêques de
tout le royaume franc 31 Charlemagne avait exigé la correction du latin utilisé par
ses subordonnés dans leurs communications écrites Car ce il avait vu dans leurs
lettres lui semblait intolérable cognovimus in plurimis conscriptionibus eorundem
et sensus rectos et sermones incultos Il exigeait donc vos litterarum studia non
solum non neglegere verum etiam humillima et deo pl cito intentione ad hoc
certatim discere ut facilius et rectius divinarum scripturarum mysteria valeatis
penetrare 33 Cette phrase indique que les préoccupations du roi portaient essentiel
lement sur les aspects religieux du latin également présents dans VAdmonitio
Generalis de 789 où le roi évoque la correction de la langue des livres liturgiques
Psalmos notas cantus compotum grammaticam per singula monasterio vel
episcopio et libros catholicos bene emendate34 Cette réforme du latin par
Charlemagne eut quelque effet et en une génération le niveau du latin amé
liora comme le révèlent les documents rédigés cette période 35 Le sermo
incultus niveau de langue contre lequel élevait le roi peut être considéré comme
une réflexion de la langue parlée romane et le nombre de barbarismes de cet
ordre diminua au cours de la réforme Plus le latin fut cultivé selon les normes des
époques précédentes 36 plus il écarta de la langue parlée dans SL Romania au point
en différer assez dans le nord de la Gaule pour être compris que difficilement
Soulignons car est important que même au nord de la Gaule le latin ne devint
pas une langue étrangère en espace une génération il fut simplement moins

443
HYPOTHESES

bien compris dans ensemble est dans cette perspective nous semble-t-il il
nous faut lire la stipulation fréquemment citée du synode de Tours ut easaem
omelias quisque aperte transferre studeat in rusticani Roman linguam aut
Thiotiscam quo faciliiis cuncti possint intellegere quae dicuntur no 4a) où on
relèvera deux expressions transferre que nous prenons ici dans le sens de
traduire par écrit37 etfacilius cuncti possint intellegere le message chrétien
devait pouvoir être compris de tous sans difficulté 38 Il est peut-être pas accidentel
une modification de la langue visant une meilleure facilius intelligibilité soit
évidente dans Epistola de litteris colendis39 Le décret de Tours suggère une
forte proportion des fidèles étaient capables de comprendre du moins en partie
les homélies latines lues haute voix pendant la messe Mais puisque intention
était atteindre tous les auditeurs il fallait partir un texte écrit en latin de bon
aloi faire des concessions la langue parlée
Admettons-le cette interprétation soulève autres problèmes Si des homélies
latines ont été traduites dans le vernaculaire roman de la Gaule du Nord aucune
version vernaculaire du ixe siècle en été conservée40 Mais rien de
vraiment surprenant car on peut supposer que les sermons destinés au peuple
semblaient trop élémentaires pour mériter être conservés Les fidèles appelés
plebicula par Césaire Arles ont sans doute pas été confrontés aux grands
problèmes théologiques41 Leur audience était plus probablement sollicitée par des
histoires simples didactiques si possible mais sans grande profondeur théologique
comme celles recueillies le pape Grégoire le Grand dans ses Dialogi42 Césaire
Arles laissé un sermon type qui faisait passer le message chrétien aide de
métaphores tirées de la vie quotidienne du peuple

Animae nostrae cura fratres carissimi maxime terrenae culturae similis est
Sicut enim terra quae colitur alia extirpantur alia radicitus evelluntur ut ea
quae bona sunt semine ntur ita et in anima nostra fieri debet.. Adtendite rogo vos
fratres duo genera agrorum sunt unus ager est dei alter est hominis43

Ce texte simple adressait donc autres clercs plus forte raison est-on en
droit de supposer que les homélies la plebicula devaient être encore plus
simples 44 McKitterick récemment insisté sur le fait que Césaire était largement
utilisé époque carolingienne 45 Ajoutons que ce sermon où est extraite notre
citation est une simplicité exceptionnelle dans le recueil des sermons de Césaire et
que pourtant il adresse des clercs Assurément Césaire était pas utilisé
époque carolingienne pour instruction de la plebicula Malgré extrême
importance il attachait la régularité de la prédication adressée au peuple nous
avons gardé aucun de ces sermons la lumière de ce fait nous pouvons accepter
sans trop de difficulté aucun sermon du ixe siècle écrit dans un fran ais primitif
et un niveau accessible tous ne nous soit parvenu
Une dernière remarque quel point la rustica Romana lingua pouvait-elle
différer du latin Il est instructif examiner le plus ancien texte roman parvenu
nous soit la version romane des Serments de Strasbourg de 842 46 texte
rédigé une génération après les synodes de la réforme de 813 pour le roi franc de
Est Louis qui devait le réciter de manière se faire comprendre des soldats du roi
des Francs de Ouest Charles le Chauve Ce texte révèle une différence
considérable entre la norme latine et le vernaculaire 47 Mais même les non-
spécialistes peuvent hui saisir la substance du texte lu haute voix

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RICHTER LE LATIN EN GAULE

On peut se livrer une autre approche de la question ensemble De nos jours


un germanophone qui se rend au nord de la Suisse per oit une grande différence
entre la langue parlée par les gens du pays et la langue écrite leur intention dans les
journaux de Suisse alémanique Les Suisses apparemment les maîtrisent toutes
deux sans problème Ce phénomène on appelle diglossia se retrouve ailleurs de
nos jours et nous ne voyons pas de raison de ne pas appliquer la Gaule du
ixe siècle48
Nous pouvons même aller plus loin La sociolinguistique contemporaine
montré que la plupart des locuteurs utilisent un certain nombre de niveaux ou codes
de langues en fonction de variables comme le sujet abordé ou interlocuteur49 Il
pouvait coup sûr en être de même en Gaule au ixe siècle et pas seulement dans la
moitié nord Car la discussion présentée dans cet article ne doit pas mener une
conclusion erronée il ne agit pas de soutenir on parlait encore latin cette
époque dans le Midi de la Gaule sauf dans le sens où le fran ais est une langue
latine Il est communément admis que la connaissance passive des langues est
supérieure leur connaissance active La même remarque vaut pour les codes ou
registres une même langue Et est là après tout ce qui nous intéressait au
premier chef la maîtrise passive du latin en Gaule autant plus possible peut-
être que les textes étaient lus par les gens du pays utilisant les variations dialectales
locales)
Cette discussion sur la situation linguistique de la Gaule du ixe siècle se fonde
sur des sources historiques Historien nous ne saurions empiéter sur le domaine du
philologue Mais nous avons simplement mis en relief un domaine situé mi-
chemin entre histoire et la philologie idée suggérée ici est que la compréhension
du latin lu haute voix était encore facile au début du ixe siècle dans la partie
méridionale de la Gaule alors que dans le nord cette compréhension présentait
plus de difficultés
Nos résultats sont très semblables ceux un grand nombre de linguistes
traditionnels ce qui est très réconfortant Cela prouve que les nouvelles méthodes
employées se voient confirmées par le fait elles aboutissent des résultats qui en
eux-mêmes sont loin être neufs Mais emploi une méthode différente permet
également appuyer la thèse une émancipation tardive et rapide de la langue oïl
du latin

Michael RICHTER
University College Dublin

traduit de anglais par Monique Laroze

445
HYPOTH SES

NOTES

En raison de abondance de littérature sur ce sujet les références dans nos notes ont été
réduites un minimum Le lecteur trouvera mention des uvres de base dans les articles récents
cités
Cf Dag NORBERG quelle époque a-t-on cessé de parler latin en Gaule Annales E.S.C.
no 1966 pp 346-356 Ferdinand LOT quelle époque a-t-on cessé de parler latin Archivùm
Latinitatis Medii Aevi Bulletin Du Cange) VI 1931 pp 97-159
MEILLET Esquisse une histoire de la langue latine Tradition humanisme II Paris 1966
106 ss
Comme montré BARWICK Widmung und Entstehungsgeschichte von Varros De
Lingua Latina Philologus CI 1957 pp 298-304
Terenu Varronis De lingua Latina quae supersuiit éd GOETZ et SCHOELL Leipzig
Teubner 1910 229 lignes 15-16
Etymologiae Patr lat. LXXXII col 327 Latinitas autem linguam quatuor esse quidam
dixerunt id est Priscam Latin Roman Mistam Prisca est qua vetustissimi taliae sub Jano et
Saturno sunt usi incondita ut se habent carmina Saliorum Latina quam sub Latino et regibus
Tusciae caeteri in Lati sunt loculi ex qua fuerunt duodecim tabulae scriptae Romana quae post
reges exactos populo Romano coepta est qua Naevius Plautus Ennius Virgilius poetae ex
praetoribus Gracchus et Cato et Cicero vel caeteri sua scripta effuderunt Mista quae post
imperium la ius promotum sunul cum moribus et liominibus in Roman civitatem irrupit
integritatem verbi per soloecismos et barbarismes corrumpens Cf aussi FONTAINE De la pluralité
unité dans le Latin carolingien dans Nascita Europa ed Europa Carolingia equazione
da verificare Settimane di Studio. Spoleto XXVII 1981 772 ss article un intérêt plus général
en ce qui concerne notre étude
Cf les commentaires Isidore sur la lingua mista voir la note précédente et MEILLET
Esquisse... op cit. 228 ss
CAESARIUS Sermones CCSL CIII 1953 esp 13 Non hic aut eloquentia aut grandis
memoria quaeritur ubi simplex et pedestri sermone adinonitio necessaria esse cognoscitur. et
simplicissimam plebiculam nostram communibus verbis dicimiis nos admonere non posse Sur le style
populaire de Césaire voir aussi AUERBACH Literatursprache und Publikum in der lateinischen
Spätantike und im Mittelalter Bern 1958 pp 67-77
Pour un panorama complet et récent de ces diverses interprétations voir Marc VAN
UYTFANGHE Le latin des hagiographes mérovingiens et la protohistoire du fran ais Romanica
Gandensia XVI 1976 pp 5-89
10 La même modification de la question initiale pour le Haut Moyen Age italien été discutée
par RICHTER Latina lingua sacra seu vulgaris dans The Bible and Medieval Culture
éd LOURDAUX et VERHELST Louvain Mediaevalia Lovaniensia I/VII 1979 pp 16-34
11 Voir plus haut note
12 Ce point été traité assez longuement par RICHTER Sprache und Gesellschaft im
Mittelalter Untersuchungen zur mündlichen Kominunikation in England von der Mitte des elften bis
zum Beginn des vierzehnten Jahrhunderts Stuttgart Monographien zur Geschichte des Mittelal
ters 18 1979chap pp.9-25
13 Monumenta Germaniae Historica Legum Sectio // Concilia /11906 dorénavant abrégé
en MGH LL Cône. II 1) pp 245-293
14 Ceci est particulièrement visible au synode de Francfort en 794 consacré au problème de
hérésie espagnole de adoptianisme et effectivement présidé par Charlemagne cf MGH LL
Cône II pp 110-171 Comme Charlemagne écrivait aux évêques espagnols Hane igiturfidem
ortiiodoxam et ab apostolicis traditam doctoribus et ab universali servalani ecclesiam nos pro vinuni
nostrarum portione ubique in omnibus servare et praedicare prqfitemiir 158 Sur assurance de
Charlemagne dans ses rapports avec le pape voir ALCUIN Epp MGH Epp IV) 92 135 ss. 93

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RICHTER LE LATIN EN GAULE

136 dans ses rapports avec les clercs de son royaume ALCUIN Ep 202 336 voir également
Ep 203 336 Ep 211 351
15 Ce passage du no 4a est comparer avec les spécifications de Charlemagne sur la prédication
énoncées dans son Admonitio Generalis de 789 MG ff LL Sectio Capitularla regum Francorum
vol 1883 chap 82 61 ss
16 Voir ZINK La prédication en langue romane avant 1300 Paris Nouvelle Bibliothèque du
Moyen Age 1976 89 voir aussi plus loin note 25
17 Fait caractéristique des méthodes de recherche utilisées ici ces législations ne sont pas
mentionnées par exemple par FONTAINE op cit. 794
18 Voir la discussion récente proposée par BANNIARD Géographie linguistique et
linguistique diachronique Essai analyse analogique en occitan-roman et en latin tardif Via
Domina XXIV 1980 pp 9-34 avec bibliographie exhaustive
19 Ibid 17
20 Karali Magni Capitula canonibus excerpta MGH LL Cone II 296 cap 14
21 La référence complète que donne édition MGH pour le capitulaire cité la note 20 ne peut
être correcte Il est fait référence aux homélies par exemple dans Cap 116 Cap 117 12
MGH Capitularia pp 234-235
22 Concordia episcoporiim MGH LL Cone. II 298 cap 10
23 Annotatie capitulorum synodalium MGH LL Cone II 302 cap 17
24 CAESARIUS CCSL CIII 11 Et si forte aliquibus dominis meis sacerdotibus per se ipsos
laboriosum est praedicare quare non intromittant antiquam sanctorum consiietudinem quae in
partibus orientalibus usque hodie salubriter custoditur ut pro salute animarum homiliae in ecclesiis
recitentur
25 usage du singulier est ici volontaire car nous prenons thiotisca pour synonyme de rustica
Romana lingua est-à-dire le vernaculaire non spécifié Il aucune raison de croire il était
nécessaire surtout Tours de traduire les sermons en langue germanique interprétation
généralement admise pour thiotisca lingua
26 Reims cap Missarum ibi discussa est ratio ut presbyte minus antea scientes
intellegerent Reims cap Baptisteni et caticuminorum ventilata est ratio ut sacerdotes plenius
intellegerent
27 Chal cap 37 Cum igitur omnia concilia àïî qui recipiuntiir sint sacerdotibus
legenda et intellegenda. necessarium duximus ut ea quae adfidem pertinent. hoc ab sacerdoti
bus crebro legatur et bene intellegatur et in populo praedicetur
28 Nous pouvons ici renvoyer un épisode de la vie de Grégoire par la suite évêque Utrecht
épisode révélateur mais trop long pour être ici cité ce personnage avait appris lire mais ne
comprenait pas ce il lisait MGH Scripteres XV 68 Dans la Vita Meinwerci MGH Scripteres
Xl 150 cap 186 se trouve histoire un prêtre qui lui aussi pouvait lire le latin mais sans
comprendre ce il lisait Un autre membre du clergé lui joua un tour et le fit prier en public pour son
roi pr mulo tuo au lieu ae famulo Voir aussi la maxime selon laquelle legere et non intellegere non
est legere dans démentis Ars Grammatica TOLKIEHN éd. 1928 citée par LAW Malsachanus
Reconsidered Fresh Look at Hiberno-Latin Grammarian Cambridge Medieval Celtic
Studies 1981 86 Intellegere est une exigence maintes fois renouvelée dans les capitulaires de
Charlemagne voir RICHTER Die Sprachenpolitik Karls des Grossen Sprachwissenschaft VII
1982 pp 412-437 ici pp 425-427 Il vaudrait la peine analyser ensemble de la législation
carolingienne sous angle de legere et intellegere Le brillant article de Josef BAI.OGH sur la lecture
haute voix est capital pour la compréhension des problèmes ici en jeu Voces Paginarum
Pliilologus LXXXII 1927 pp 84-109 202-240
29 Voir RICHTER Sprache... supra note 12 20 ss
30 Il est indéniable que les réformes de Charlemagne en ce domaine avaient des racines plus
vieilles ainsi que ont démontré récemment Marc VAN UYTFANGHE De zogeheten Karolingische
Renaissance een breekpunt in de evolutie van de Latijnse taal Handelingen der Koninklijke
Zuidnederlandse Maatschappij voor Taal- en Letterkunde en Geschiedenis XXIX 1975 pp 267-
286 et FONTAINE op cit On ne devrait pas néanmoins minimiser importance des réformes de
Charlemagne
447
HYPOTH SES

31 Sur cet aspect voir BRUNH LZL Fuldensia dans Historische Forschungen für Walter
Schlesinger BEUMANN éd. Cologne-Vienne 1974 pp 536-547
32 Texte de Epistola Urkundenbuch des Klosters Fulda STENGEL ed. Marburg 1958
vol 251 ss
33 Ibid. 253
34 Admomtio Generalis cf supra note 5) cap 72 59 ss
35 étendue et la profondeur de cette réforme linguistique ont pas été étudiées en détail voir
FONTAINE op cit. 767 Les variantes régionales du latin au début de la réforme sont
particulièrement manifestes dans les rapports du concile de Francfort en 794 rédigés par les
hiérarchies Italie de Gaule et de Germania cf supra note 14
36 Selon VAN UYTFANGHE supra note 30) le latin des Pères de glise eut plus influence sur le
style du latin carolingien que ne eut le latin classique
37 RICHTER Die Sprachenpolitik. op cit. 425 ss
38 FONTAINE op cit. met en relief certains aspects de ce problème
39 Cf supra note 33
40 La plus ancienne homélie conservée en langue romane date de la première moitié du
xe siècle cf KOSCHWITZ Les plus anciens monuments de la langue fran aise 6e éd. 1902
pp 8-14 Sur celle-ci et autres textes en langue fran aise avant 1100 en Gaule voir article brillant
de DE POERCK Les plus anciens textes de la langue fran aise comme témoins de époque
Revue de Linguistique romane XXVII 1963 pp 1-34
41 Ces problèmes sont assez longuement abordés par ze Frankisk Church
and the Carolingian Reforms 789-895 Londres Royal Historical Society 1977 80 ss Mais il
matière hésitation Some doubts must be entertained as to the extent to which these homilies do
provide evidence for the sermon matter to be preached to Prankish people 92
42 Pair Laf. LXXVII Voir aussi AUERBACH 72
43 Sermones CCSL CIII 32
44 Certains de ces problèmes ont été discutés par RICHTER Kommunikationsprobleme im
lateinischen Mittelalter Historische Zeitschrift CCXXII 1976 pp 43-80
45 McKiTTERiCK 88
46 Pour le texte voir TAGLIAVINI Le origini delle lingue neolatine 6e éd. Bologne 1972
483 étude exhaustive qui traite délibérément les langues romanes en langues néo-latines
47 DE POERCK cf supra note 40 soutient que on devrait considérer la version romane des
Serments de Strasbourg comme ultime témoignage de ce était devenue la langue formulaire de
la période précédente représentée par les Formulae mérovingiennes 20
48 Voir RJCHTER cf supra note 10 33 ss
49 Les recherches récentes de BERNSTEIN C/ass Codes and Control Londres 1971 vol
sont ici particulièrement instructives

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