Article publié dans le journal Le Messager du 1er Mars 2019
Transport aérien
Camair-Co en quasi-cessation d’activités
La quasi-totalité de la flotte clouée au sol, détérioration du climat social sur fond d’arriérés de salaires, chantage permanent à l’encontre du gouvernement, communications mensongères sur les performances de la compagnie, etc. Telle est l’image réelle de Camair-Co.
1- 4 avions sur 5 en propriété cloués au sol
Douala, 26 février 2019. Sur le tarmac de l’ancien aéroport
international, trois avions battant pavillon Camair-Co sont soigneusement parqués. Il s’agit notamment de deux Boeings 737 et d’un MA60 qui ne peuvent plus effectuer un vol en raison de graves problèmes techniques qui nécessitent d’énormes moyens financiers. Si on y ajoute le Boeing 767 (le Dja) abandonné depuis des lustres à Addis Abeba, ce sont quatre aéronefs sur les cinq appartenant à la compagnie qui sont inopérants.
En conséquence, Camair-Co doit se contenter d’exploiter le second
MA60-QDA et le Q400 en location pour les quelques rares vols domestiques. Le seul MA60 en exploitation présente lui aussi quelques défaillances notamment au niveau des pneus. «Un passager à la descente d’avion, a récemment attiré l’attention du personnel navigant sur les roues curieusement lisses de ce MA 60», explique un cadre à la direction de la maintenance, qui ajoute «c’est vrai que les rainures qui permettent d’apprécier le niveau d’usure des pneus étaient assez faibles, mais nous avons déjà remplacé les pneus en question. Il faut tout de même relever que la partie chinoise censée assurer la maintenance et l’approvisionnement des pièces des MA 60 n’est plus très disposée à le faire depuis longtemps».
Selon la même source, «les Chinois reprochent à Ernest Dikoum une
absence totale de collaboration, c’est pour cela que pour faire voler le MA 60 opérationnel, les pièces sont démontées sur celui qui est cloué au sol, en violation flagrante des règles qui interdisent formellement le cannibalisme d’aéronefs». Cette mauvaise gestion de la maintenance a entraîné depuis quelques temps, des annulations de vols en cascade. Sur le réseau domestique, Maroua n’est plus du tout desservie et les passagers en partance pour la capitale de l’Extrême Nord doivent débarquer à Garoua et continuer par des bus. Bafoussam, Bamenda et Ngaoundéré connaissent des chamboulements et des annulations au point où les passagers ne savent plus à quel saint se vouer.
Le réseau régional est tout aussi sinistré : Bangui, Libreville, Cotonou,
Lagos, N’Djamena n’ont plus aperçu l’ombre d’un avion Camair-Co depuis belle lurette. Il n’y a que la ligne de Dakar qui continue, de temps en temps, à être desservie malgré les objections de certains cadres de la direction commerciale. «Cette ligne transporte à peine 10 passagers par vol», confient des agents en service à l’aéroport international de Douala.
2- Perspectives chimériques
Sur le nombre de passagers. Camair-Co prétend avoir transporté
32.000 passagers en janvier 2019, soit plus de 1.000 passagers par jour y compris les dimanches. Seulement, cette performance est techniquement impossible à réaliser avec ces trois avions. Au sein du département de l’exploitation, on assimile cela à une affabulation.
Par ailleurs, depuis quelques jours, l’on claironne sur la réouverture de
la ligne de Paris en juin 2019, en publiant les images de la cabine business d’un avion de type Boeing 777 sur les réseaux sociaux. De l’avis d’un cadre de la Ccaa, «le Boeing 777 est un type d’avion que Camair-Co n’exploite pas encore, et son introduction dans sa flotte devra respecter une procédure particulière auprès de la Ccaa qui s’assurera préalablement que la compagnie remplit toutes les conditions nécessaires, à savoir sa capacité à assurer la maintenance en ligne d’un B777, la disponibilité d’un personnel technique d’exploitation et des équipages qualifiés, les équipements et outillages, les manuels d’exploitation et bien d’autres. L’introduction d’un nouveau type d’avion dans une flotte n’est pas une mince affaire.» Il faut également souligner que Camair-Co ne dispose pas du Tco, la certification exigée depuis novembre 2016 pour survoler l’espace aérien de l’Union Européenne. Ce n’est qu’après l’obtention de ce sésame que Camair-Co sera autorisée à entamer les formalités liées à la réouverture de la ligne de Paris, mais cette fois en tant que nouvel opérateur, puisque depuis 2017, elle a été rayée par la direction générale de l’aviation civile française de la liste des compagnies desservant la France. De plus, «cette nouvelle autorisation d’exploitation de la ligne de Paris sera conditionnée par l’apurement de la dette des créanciers de la plate-forme aéroportuaire de Roissy Charles de Gaulle, sans oublier les litiges pendants à l’inspection du travail à Paris. Il y a également les droits de survols des pays se situant sur le trajet Cameroun/France, ainsi que la location et l’aménagement des locaux devant abriter la nouvelle représentation Camair-Co à Paris. Il s’agit là d’un vaste chantier qui demande du temps et nécessite d’énormes moyens financiers. Il n’est donc pas possible de rouvrir la ligne de Paris en juin 2019 tel que l’annonce le Dg, c’est un gros mensonge», confie un cadre de la direction financière.
3- Alourdissement de la dette
Sur un autre plan, le top management affirme avoir réalisé un chiffre
d’affaires de 27 milliards de Fcfa en 2018. Mais alors, se demande cet autre cadre de la direction commerciale : «Comment expliquer qu’avec une telle performance, il peine à assumer les charges essentielles ? Que fait-il de ses recettes, alors qu’il ne supporte pas, comme ses prédécesseurs, le coût des loyers des deux Boeing 737 qui avoisinaient 1 milliard de Fcfa par trimestre ? Le personnel entame dans quelques jours le troisième mois d’arriérés de salaire, pendant que la quasi-totalité des fournisseurs se plaint, même les fournisseurs stratégiques tels que Doual’air et Tradex ne sont pas payés. Il n’y a curieusement que les prestations controversées d’Ethiopian Airlines et du Bombardier Q400 qui sont réglées.»
Entretemps, la dette de la compagnie s’alourdit. Dans une interview,
l’équipe dirigeante de Camair-Co esquive la question sur la dette. Et se contente plutôt d’insister sur le fait que l’audit de la dette n’a pas encore rendu ses conclusions. Pourtant, cet audit a été commandé il y a plus de deux ans. A la vérité, confie un cadre de la direction financière, «les résultats de cet audit sont connus depuis belle lurette, la dette qui se situait autour de 35 milliards de Fcfa au moment où Ernest Dikoum prenait les rênes de la compagnie a été multipliée par environ trois et caracole actuellement autour de 90 milliards de Fcfa.»
4- Mauvaise gestion de la maintenance
S’agissant des moteurs arrivés en fin potentiel, l’équipe dirigeante a
bel et bien été informée, dès sa prise de fonction en août 2016. De même que les butées d’utilisation des moteurs des deux B737 se situaient vers juin 2018 et qu’il fallait prendre des dispositions à l’avance pour leurs révisions, faute de quoi les deux avions allaient se retrouver au sol au même moment. Dommage, rien n’a été fait. Et depuis juin 2018, deux ans plus tard, les moteurs sont finalement arrivés en fin potentiel. Les deux avions n’ont volé depuis cette échéance que grâce à une dérogation spéciale de la Ccaa. Laquelle dérogation a expiré respectivement en décembre 2018 et février 2019. «Voilà donc quatre avions cloués au sol en attente de travaux majeurs. Et pour se défendre, la direction accuse le gouvernement de ne lui avoir pas donné des moyens nécessaires pour l’entretien de la flotte en prétextant que la maintenance des avions relève des investissements et que c’est à l’Etat de s’en occuper, ce qui est aberrant. Pourtant, non seulement il a reçu plus de subvention que ses prédécesseurs, en plus l’Etat a acquis les deux Boeing 737-700. Que fait-il donc de ses recettes ? Vivement qu’une mission de vérification et de contrôle se rende à Camair-Co pour faire la lumière sur cette gestion très originale», souligne un pilote dépité.
Les informations en notre possession indiquent que, courant novembre
2018, voyant venir les perturbations, le conseil d’administration a instruit l’actuel Dg de procéder rapidement à la location d’un avion de remplacement. Une résolution en bonne et due forme aurait même été prise à cet effet. De l’avis d’un cadre à la direction de l’exploitation, «nous ne sommes pas dupes. Le top management sait exactement ce qu’il fait, il veut que tout s’arrête, que les passagers se plaignent. Il a demandé aux syndicalistes d’organiser une grève pour demander au gouvernement de financer son programme, et aux pilotes de se rendre en groupe à Yaoundé pour soutenir sa requête. Sa stratégie est donc simple : pousser la compagnie à la paralysie et organiser des grèves dans le but de mettre le gouvernement dos au mur afin d’obtenir les 48 milliards de Fcfa qu’il réclame pour financer son soi-disant mécanisme de gestion pour relancer la compagnie.»
S’agissant justement de son fameux projet appelé «mécanisme de
gestion», il voudrait, nous a-t-on dit, vendre le Dja à 3,5 milliards de Fcfa, acheter un Boeing 777 âgé d’environ 20 ans, contraindre l’Etat à obliger les fonctionnaires à voyager exclusivement par Camair-Co, céder les droits de trafic du Cameroun à une compagnie étrangère pour exploiter la ligne de Paris à la place de Camair-Co contre des royalties, etc. Finalement, s’indigne un expert en aviation, «on ne comprend pas ce que fait la direction de Camair-Co. Son projet est aux antipodes du plan de relance Boeing qui prévoyait de faire de Camair-Co une compagnie aérienne de premier rang en Afrique. Un plan que le Dg peine à mettre en œuvre depuis plus de deux ans.»
Au sortir de ce voyage au cœur de notre compagnie aérienne nationale
où s’entrechoquent vérités et contrevérités sur ses performances, la quasi-totalité de la flotte clouée au sol, un climat social délétère, une tentative de chantage à l’encontre du gouvernement, une manipulation des employés dans le but de faire grève, des dérives flagrantes de gestion notamment par la fourniture des pièces détachées et la réparation de tous les avions par le même prestataire sans appel à la concurrence et bien d’autres, nous ne sommes pas loin d’une cessation brutale des activités de la compagnie. Il est grand temps qu’une mission d’audit se rende à la Camair-Co pour faire la lumière sur cette gestion peu ordinaire et démêler le vrai du faux.
Marlyse Sibatcheu (Le Messager n° 5252 du 1er Mars 2019)