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Richard Faber

L'églogue et l'apocalypse : Virgile, Novalis et l'âge d'or


In: Romantisme, 1987, n°58. pp. 3-22.

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Faber Richard. L'églogue et l'apocalypse : Virgile, Novalis et l'âge d'or. In: Romantisme, 1987, n°58. pp. 3-22.

doi : 10.3406/roman.1987.4898

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1987_num_17_58_4898
Richard F A BER

L'églogue et l'apocalypse :
Virgile, Novalis et l'âge d'or

Les apocalypses anti-romaines et leurs restructurations pro-romaines

Le syncrétisme apocalyptique dans l'Antiquité commence avec la pénét


ration hellénistique de l'Orient ; il s'installe comme une résistance intellec
tuelleà Rome 2, liée à la résistance physique, qui culmine, du côté juif,
dans les révoltes des Zélotes et de Bar Kochba. La croyance, propre surtout
« au peuple de la promesse » depuis ses origines mythiques, que l'avenir
apporte la délivrance (Baruch, 44, II), et Vespoir, se nourrissant de « ce qui
vient après » (Esra, 7, 112), furent mis le plus durement à l'épreuve dans
la période d'oppression qu'entraîne la conquête séleucide et plus tard
romaine. Il s'en fallut de peu que les coups répétés, toujours plus violents,
dirigés contre Jérusalem, et la croissance toujours plus retentissante des puis
sances du paganisme ne brisent la force de résistance de la croyance en
l'avenir 3. Esra et Baruch, que nous venons de citer, en témoignent ; ils nous
apprennent aussi, qu'en se crispant parfois, elle se fit plus dure, et l'espoir
plus ardent.
Ce qui devait venir après et qui entretenait l'espoir, c'était un monde
nouveau, dont la perfection dépasserait encore les débuts mythiques du
paradis. Et l'on n'y peignait pas seulement les images des apocalypses
juives. Leur riche illustration appartenait plutôt, comme l'eschatologie, au
trésor commun de l'Orient se dressant contre Rome. Nous renvoyons à un
arrangement tardif et supra-national de variantes liées à des différences
culturelles et religieuses, dans la description de l'âge d'or final, transmis
par Lactance sous le règne de Constantin. Dans ce texte s'affirme définitiv
ement 4, grâce à une compilation réussie, la cohérence profonde de traits en
apparence hétéroclites — empruntés aussi à l'anti-apocalypse de Virgile
(Epitomé, 67, 3/4, et Institutions, VII, 24, 7-9) 5.
Déjà les Livres sibyllins — qui permettent de suivre la lutte des juifs
et de la chrétienté contre l'Etat hellénistique et romain depuis les Macchab
ées jusqu'aux sources de l'antiquité tardive — évoquent l'âge d'or. Et non
seulement en tant que nature régénérée, comme chez Lactance, mais comme
utopie sociale :
< [...] La terre est là pour tous, et elle n'est pas divisée par des murs
et des clôtures [...], la vie est commune dans une abondance sans maîtres.
Car il n'y aura plus de mendiants, plus d'injustice, et plus de maîtres
[...] La guerre ne régnera plus, mais une paix profonde parmi les
4 Richard Faber

hommes, qui embrassera également la nature : Les loups et les agneaux


festoient dans les montagnes, intimement associés. Le lion mangeur de
chair broute comme un bœuf la paille de la mangeoire, et de tout petits
garçons le conduisent à la bride. Car il rend les fauves inoffensifs sur
terre. Les enfançons dorment avec les petits des serpents et des cou
leuvres, sans danger ; car Dieu lui-même les protège » e.
C'est ainsi que les sibylles dépeignent le nouvel âge d'or — parce que
justement la sollicitude de Dieu, maître du monde, est à présent cachée,
sinon interrompue 7. Elle ne sera honorée dans sa gloire, à la face du monde
entier, que grâce au salut messianique. Ce salut signifie cependant l'anéan
tissement des pécheurs, qui sont en même temps les ennemis d'Israël. D'après
les livres (3, 653 s.), « Dieu^ au lever du soleil dépêchera le roi qui tuera
les uns, et, des autres, accomplira la foi jurée ».
Ceux qui succomberont à la mort, ce sont tous ceux qui se sont emparés
du pouvoir sur Israël ou l'Orient tout entier. Lactance n'est pas seul à
affirmer « que le nom de Rome, sous le signe duquel le monde est actuel
lement placé, sera balayé de la terre et que le pouvoir reviendra à l'Asie » 8.
Toutes les grandes étapes de l'écrasement de l'Orient par Rome sont accom
pagnées de sentences oraculaires, où la haine des opprimés se donne un
exutoire par la menace d'une compensation future 9. Ainsi dans les Livres
sibyllins (8, 128-130) : « Rome, tu seras détruite de fond en comble et tu
paieras pour tout ce que tu as fait — Tu t'abandonneras dans la désolation
à la peur jusqu'à ce que tout ait été expié. Tu seras pour le monde un
triomphe et pour tous une honte » 10. Et ces phrases ne restent pas toujours
une simple prophétie, dont on attend l'accomplissement sans rien faire.
L'image éloquente que transmet Lactance (Institutions, 2, 37), du lion
rugissant de Juda fondant sur l'aigle (de l'empire du monde), est plus
d'une fois devenue réalité, encore que le succès — promis logiquement au
« lion » par Lactance (Jnst., 12, 33), l'écrasement de l'ennemi, et de ses
armées, ne soit jamais advenu. En particulier, il se déroba à Actium, qui
devait jouer un rôle décisif dans la mythologie historique de Virgile {Enéide,
8, 675-728) ; sans compter qu'Antoine évidemment n'aurait pu représenter
que l'Est, s'il avait vraiment été celui que toute la propagande augustéenne,
Virgile aussi, a fait de lui, un Enée inversé, un contre-Enée, non pas un
déserteur de l'Asie (Enéide, 12, 15) comme lui, mais un « desertor Euro-
pae ». Ce trait décisif justement n'était qu'une fiction — utilisée en vue
d'une fin.
Et pourtant la lutte pour la puissance des deux dynasties romaines prit,
dans ses suites, l'allure digne et pompeuse d'une guerre des idées, une guerre
entre l'Est et l'Ouest n. Qu'elle ait pu le faire a déjà un intérêt en soi (ainsi
le danger parthe, comme l'égyptien, a pu devenir un prétexte dans la poli
tique d'Octave 12).
Le danger oriental subsista pour Rome ; la puissance de Rome était en
effet démesurée autant que terrible : les peuples n'avaient « rien à perdre
que leurs chaînes ». Ils étaient les derniers et « devaient devenir les pre
miers ». Pour y parvenir cependant, il fallait un choc meurtrier. En termes
théologiques : leur guerre devait conduire à un Jahvé eschatologique, leurs
ennemis opérant comme des ennemis de Dieu. Celui qui fait de l'ennemi
un Satan peut bien être aussi faible qu'on veut lui-même — la détermination
de son fanatisme est certaine. On en trouvera l'expression théologique dans
les phrases suivantes :
De Virgile à Novalis 5

с Quand la piété se perd tout à fait chez les hommes, / et que la


justice et la foi se cachent dans le monde, / les hommes déchus vivent
alors dans l'impureté, / et ils commettent dans leur orgueil des crimes
et des sacrilèges abominables. / Quand personne ne respecte plus les
hommes pieux, / mais que ces grands enfants les détruisent tous dans
leur folie, / se réjouissant de leur sacrilège, la main prête au meurtre, /
alors on voit bien que Dieu ne sera plus propice, / que, grinçant de
colère, il anéantira toute la race humaine / sur la terre toute entière
dans un énorme incendie » 13.

La propagande religieuse reçoit sa force de cette détermination. Et l'on


ne peut l'affronter, comme on le verra, qu'en renversant contre l'Orient les
armes dont il s'est servi. A la différence des livres sibyllins qui n'empruntent
au pagananisme romain que leur nom 14, pour continuer à vaticiner dans
l'esprit de la tradition des prophètes, les poètes augustéens, avec Virgile à
leur tête, doivent précisément faire à l'Orient des emprunts pour le fond.
La plupart du temps ils ne peuvent que préserver seulement leurs vieux
noms mythologiques, qui désignent alors tout autre chose. Virgile a vis
iblement utilisé des oracles sibyllins, mais il ne s'est pas contenté de trans
férer une prophétie judéo-alexandrine dans la langue latine ; d'un oracle
(juif) il a fait un «carmen cumaeum », c'est-à-dire un oracle d'Etat15 :
si les prêtres et les prophètes d'Orient annoncent un nouvel âge après la
chute de Rome, Virgile en annonce un pour Rome, dont l'avènement garant
ira sa domination sur le monde, et si certaines apocalypses juives promettent
surtout une vie communautaire sans maîtres, Virgile fonde, quant à lui, avec
la promesse d'un nouvel âge d'or, le culte impérial à Rome (et en Occident).
La légende d'origine devient une eschatologie, afin de légitimer pour
les Romains en tant qu'Enéades, Troiugenis, leur domination à l'est, leur
empire hérité. C'est ainsi que Virgile répond à des prophéties comme celle
du Perse Hystaspe, qui, bien avant que cette famille troyenne ne fût fondée,
annonçait que le nom romain serait balayé de la terre ie. Dans son églogue
apocalyptique, l'églogue 4, Virgile a déjà globalement transféré sur un
maître du monde les prophéties qui désignaient un « roi de l'Orient > 17,
sur un chef qui, partant de l'Ouest, lui apporterait aussi la bénédiction de
l'Est. Au lieu de « ex oriente lux », on dit désormais « ex occidente lux » 18.
Autrement qu'Horace, qui d'abord suppose sans la corriger une descrip
tion comme celle des Livres sibyllins (8, 36-46), et ne voit comme échapp
atoire que l'embarquement imaginaire pour les îles des Bienheureux (Epode
16), Virgile mise déjà dans sa Quatrième églogue sur le salut et la grandeur
de Rome. Depuis, il est devenu le poète de l'impérialisme romain, à qui le
danger grandissant fait prendre conscience de lui-même. Quand ce dernier
triomphe définitivement à Actium, le souvenir de la virulence des sentiments
d'hostilité et de haine que lui portaient jadis ses ennemis et ses victimes se
perd. Un triomphalisme qui déborde en religiosité, et naïvement ne vit
plus l'histoire que comme < raisonnable », en croyant qu'elle est arrivée au
but fixé depuis toujours, fait oublier la brutalité et la violence qui se sont
exercées pour faire de Rome une puissance de paix, et doivent toujours
l'être pour la maintenir dans ce rôle 19.
Les menaces continuelles, même si elles sont maintenues à l'arrière-
plan, ne sont que refoulées : on le voit d'après une mesure prise à l'échelon
le plus élevé en 12 après J.-C., et qui sert ouvertement à réprimer l'apoca
lypse ennemie. D'après le récit de Suétone, Auguste fit rassembler et brûler
6 Richard Faber

tout ce qui circulait comme livres oraculaires grecs et latins. Il ne conservera


que les Livres sibyllins de la capitale même, et encore seulement un choix 20.
Parmi les livres fatidiques que l'on brûlera, il y avait ceux qui, comme
la prophétie de la Vierge de l'Avacoeli, dirigeaient leur pointe contre Auguste
lui-même. Elle est conservée dans deux versions du Moyen Age. D'après
l'une, Auguste reçut de la Pythie la promesse qu'après lui un jeune juif
dominerait le monde, à la suite de quoi l'empereur aurait érigé sur le Capi-
tole un autel avec l'inscription « Autel du dieu premier né ». D'après l'autre
version, l'empereur vit dans le soleil, tout à fait comme dans l'apocalypse
biblique, la Vierge avec l'enfant, et il entendit ces mots : « Voici l'autel
du fils de Dieu » 21. Au moins rétrospectivement, la négation virgilienne
du messianisme juif est pour la première fois niée à nouveau : l'enfant qu'il
annonce dans \ar Quatrième églogue est le Christ. Ainsi dans les Livres
sibyllins (2, 96-50) :

« [...] si Rome, qui jusqu'à présent hésite encore, / règne aussi sur
l'Egypte, alors on verra le règne le plus splendide d'un roi / immortel
sur tous les hommes de la terre. / Alors approche le maître saint, qui
sur la terre portera, / revêtu de puissance, le sceptre pour toujours » 23.
« [...] Un ressentiment inexpiable viendra alors terrasser les hommes du
Latium. / Trois puissances viendront détruire Rome dans sa destinée
lamentable. / Tous les hommes seront anéantis dans leur propre maison, /
quand du ciel se précipitera un jour un torrent de feu. Malheur à moi,
malheureux entre tous. / Quand viendra-t-il ce jour du dieu immortel /
et du roi puissant ? » 23.

Vers qui anticipent déjà clairement les motifs de l'apocalypse de Jean.


Ces visions ont été transcrites par un chrétien de l'époque de Domitien qui
avait pris conscience de l'énorme danger d'un culte impérial inauguré par
l'idéologie virgilienne. A cause de ce culte, dont l'obligation était universelle,
on vit éclater — surtout à Ephèse — les premiers conflits importants entre
les chrétiens et Rome. Et l'apocalypse chrétienne l'interpréta eschatologi-
quement. < Les chrétiens sont ceux qui n'ont pas adoré la Bête et son
image et n'ont pas reçu la marque sur le front ou la main » M. Leur cité
n'est pas Rome, Babylone la putain, mais cette Jérusalem « qui nous viendra
du ciel ». Et le maître de cette ville ne s'appelle pas Auguste, mais le Christ.
L'analogie et la rivalité apparaissent dans deux formules employées par
le dieu, dans Virgile et déjà chez le prophète Daniel : impérium sine fine
dedi, promet Jupiter à Vénus, préoccupée du sort de son fils Enée, et le
poète inspiré (le vates) le prédit à son chef divinisé, Octave Auguste
{Enéide, 1, 279) — < son empire est éternel et impérissable, et son royaume
ne succombera jamais ». Ce sont les termes de la prophétie de Daniel au
sujet du fils de l'homme, dont le royaume doit réduire les royaumes des
puissances de ce monde (7, 14, voir 7, 17 s). Promesse et attente dont les
termes sont semblables, et qui font des deux figures revêtues des mêmes
attributs, des rivales absolues : ou César ou le fils de l'homme. L'interpré
tation chrétienne assimile l'empire d'Auguste au règne de la quatrième Bête.
La prédiction du Jupiter de Virgile s'avère par là même une pseudo-pro
phétie 25. L'apocalypse de Jean se termine sur cette invocation : « viens,
seigneur Jésus ».
Mais comme chez Philon déjà, le juif d'Alexandrie, Auguste, fonda
teurde l'Empire romain, apparaît, dans ce tournant de l'histoire, aux côtés
De Virgile à Novalis 7

de Moïse, le guide et le législateur du peuple juif, comme un grand chef de


droit divin, de même à la suite de Tertullien, parmi les chrétiens aussi, l'idée
prévaut que la seule force qui puisse arrêter la fin du monde est l'Empire
romain d'Auguste et de ses successeurs. Ce que l'on a craint jusque-là et
combattu, c'est à cela précisément que s'accrochent à présent les espoirs.
L'Empire romain apparaît comme le pilier placé par Dieu dans l'histoire
du salut, contre lequel, jusqu'à la fin du monde, la puissance des ennemis
de Dieu ne prévaudra pas. Toute l'histoire de l'empire allemand, d'Othon Ier
jusqu'à Frédéric II, doit être comprise comme placée sous le signe de cette
histoire du salut. Chaque empereur a le devoir de maintenir et de construire
l'empire parce qu'il repousse ainsi l'avènement de la fin 2e, qui, pour l'Eglise
même — au plus tard depuis Augustin — a perdu son intérêt. Jusqu'au
xne siècle, elle se protège avec un plein succès du foyer de conflits qu'est
l'agitation apocalyptique ; celle-ci ne devait pas moins constituer un danger
pour elle, puisqu'elle peut se désigner, au moins avec autant de droit que
l'empire, comme l'héritière de Rome, c'est-à-dire en termes apocalyptiques
comme un empire du monde.

La Quatrième églogue et l'Enéide

Nous avons effleuré l'interprétation chrétienne de Virgile. Avant d'y


pénétrer, présentons d'abord Virgile. Nous commencerons avec la Quatrième
églogue, qui en est l'élément central. Nous nous occupons en particulier des
vers 4-10, 15-17, 49 27, et commençons avec la désignation de l'enfant comme
« le cher rejeton des dieux > {cara deum soboles) et « le grand prolonge
ment de Jupiter ». Elle donne la raison pour laquelle la mission de régé
nérer le siècle lui échoit, comme dans l'ancienne Egypte au pharaon, consi
déré aussi comme un fils et un représentant de Dieu sur terre 28. Il renaît
toujours à nouveau, et, à chacune de ses naissances, l'âge d'or revient aussi.
Il s'agit donc d'une régénération constante d'après le modèle de la nature et
de son année solaire — chez Virgile, en revanche, d'un nouveau début
après une longue période d'éloignement du dieu, d'injustice, d'agitation —
et, pour le dire avec un mot nouveau, d'une « délivrance ».
Cette délivrance est à venir, en même temps elle est commencement.
C'est là le problème. Il est absolument certain que dans la Quatrième
églogue, on attend un tournant radical, et ce qui doit venir doit venir
ensuite — avec tous les lieux communs que l'on trouve aussi dans les
apocalypses : « le dernier âge » (ultima aetas), « le siècle nouveau » (novum
saeculum) — semble, comme dans les apocalypses, tout proche. Comme
dans MK 1, 15 et Gai. 4, 4, on trouve la conscience d'un kairos historique :
€ ... le temps est déjà accompli > (v. 4). — Et H. Hommel a raison de se
demander si « la croyance de Virgile peut être comparée au messianisme
judéo-chrétien » 20. La réponse négative est exigée par la pensée cyclique de
la Quatrième églogue, il ne peut y avoir aucun doute là-dessus — sans
que soit remis en question ce que nous venons de réserver : le < dernier
âge > est en même temps le premier dans la < grande série (ordo) des
siècles », et donc seulement l'un d'entre eux, dans une succession, même
s'il est, en tant qu'origine, le plus précieux et le plus éclatant. Ce n'est pas
seulement que l'âge d'or revienne : revient aussi la grande série des siècles
(saeclorum) dans leur totalité, avec leurs hauts et leurs bas.
8 Richard Faber

Cependant des espoirs politiques se mêlent à ces attentes cosmiques :


la guerre civile pourrait prendre fin, la terre être pacifiée et le droit s'imposer
à nouveau. Virgile concrétise et historise. Il peut donner la date, à un jour
près, du passage de ce qui est tout à fait dépassé à la nouveauté des origines.
Sous le consulat de Pollion, avec l'enfant et en lui, Vaevum (l'éon) naîtra
effectivement et véritablement, et, avec un nouvel âge d'or, « la grande
série des siècles » va recommencer. Virgile se trouve à une heure historique :
on y décide du destin des siècles, on en a déjà décidé. Le retour, et tout
ce qui revient avec lui, sont à coup sûr un destin « inéluctable » {Enéide,
8, 334).
L'Enéide précisément pose le fatum comme inéluctable, ce qui n'exclut
pas la différence dans l'identité, et certainement pas la grille historique diffé
rente de l'églogue et de l'épopée. Celle-ci a derrière elle, démentant les
espoirs de l'églogue,
— l'échec de la politique de conciliation de Pollion,
— la fin de la trêve entre Antoine et Octave,
— sa victoire écrasante à Actium.
Pourtant Virgile ne semble pas s'être senti fondamentalement touché
par ces démentis. Il n'a pas modifié l'églogue. Voyait-il les signes annonciat
eurs d'un changement confirmés par la politique poursuivie avec succès par
Auguste ? Tout va dans ce sens et les commentateurs voudront plus tard
reconnaître Auguste déjà dans l'enfant de l'églogue 30. Une question se pose
alors : Virgile pouvait-il faire cela autrement qu'en s'imposant de sévères
restrictions, ou bien en tissant un vêtement mythique autour de la dominat
ion effective d'Auguste — jetant un voile qui, en même temps, l'éclairait ?
Entre la Quatrième églogue et YEnéide, le souhait de Virgile, d'un âge
nonpareil, se mue en celui d'une puissance politique forte, à l'intérieur
comme à l'extérieur. Si l'églogue fait entrer dans l'histoire le mythe d'un
renouvellement cosmique, YEnéide transfère dans la mythologie une histoire
politique. Comme le dit Alexandre von Stauffenberg : « Virgile fait don à
Rome de l'éternité » 81. Et cela, c'est un acte politique : «... c'est après la
publication de YEnéide que Rome a reçu le nom d'éternelle et qu'Auguste
est proclamé le second fondateur de la ville » 32. Il a mis une fin à la guerre
civile et donné la paix urbi et orbi. Par là non seulement son identification
avec l'enfant est préparée, mais un dépassement cosmique de son action
politique est rendu possible. La nouvelle fondation de Rome peut être
comprise comme analogique de celle du cosmos, comme analogique du
nasci ab integro de l'églogue. Et en fait c'est bien ainsi que l'on a considéré
l'anniversaire de la naissance d'Auguste : avec lui désormais commence la
nouvelle année, comme on le dit dans l'inscription calendaire de Priène38.
L'ordre cosmique du poète de l'églogue devient ordre politique dans
YEnéide. La dialectique interne a opéré dans chaque cas, Virgile est la
bouche qui fait parler un ordre, la bouche maintenant d'un serviteur objectif
de l'Etat, comme il l'était auparavant de la volonté cosmique. Chaque fois
le destin parle à travers lui, qu'il s'appelle les Parques ou Jupiter.
Comme l'ami, Asinius Pollion, à qui l'églogue est dédiée, a vu dans
l'histoire de César l'accomplissement d'une destinée divine, ainsi Virgile
interprète dans YEnéide celle d'Auguste — prédisant, au seuil de l'histoire
romaine, ce qui y est entré par la suite. Ainsi ce n'est pas seulement l'histoire
de l'empereur qui se mue en destinée divine, mais toute l'histoire de Rome,
et celle du monde sur lequel il règne. Auguste et son empire sont le but
De Virgile à Novalis 9

vers lequel tendait l'histoire depuis le début. Jupiter ne se contente pas de


prédire cette fin, il se lie dans sa toute-puissance. Il donnera lui-même au
peuple des Romains un empire sans limites (1, 279). César est nommé : il
porte cet empire « jusqu'à l'océan » (1, 287), et sa gloire, jusqu'aux astres.
La paix qui vient est désignée : « après l'achèvement des guerres » (1, 291).
Mais le nom d'Auguste n'est pas prononcé (à moins qu'on ne l'entende
déjà avec celui de César). Il n'est invoqué que plus tard par Anchise mort,
présentant à son fils dans le livre 6 sa descendance. « Voici l'homme si
souvent promis par le destin César Auguste, fils de dieu, il ramène l'âge
d'or dans le Latium, l'antique royaume de Saturne » (6, 791-794).
Le terme mythique, l'âge d'or, revient ; lié dans la Quatrième églogue
à l'annonce de l'enfant prodigieux, il est associé maintenant à la prophétie
qui annonce l'empereur de la paix, Auguste. Il ramène l'âge d'or.
La figure et le rôle indistincts de l'enfant merveilleux de l'églogue se
sont pleinement réalisés, si bien que le sauveur impérial, libéré de tout acces
soire mythique, peut maintenant y gagner sa grandeur mythique. Il est un
autre, le second et le vrai Saturne. Sous ce roi divin, l'âge d'or est apparu
pour la première fois (8, 324), et justement dans le Latium, sa patrie. Rome
est saturnienne (Enéide, 8, 357-358).
L'âge d'or est apparu autrefois parce que Saturne régnait paisiblement
sur les peuples (Enéide, 8, 325) ; il avait fait don à sa rude race (8, 321)
de « l'ordre » et lui avait accordé des lois (8, 322) : l'ordre et les lois
constituent la paix : opus iustitiae pax. Celle-ci est l'essentiel de l'âge d'or.
Comme la Vierge de l'églogue (Dike) revient avec le droit sous Auguste,
et la paix en même temps, Virgile, jugeant ce droit et cette paix les plus
étendus possibles, considère le siècle d'Auguste comme un retour de l'âge
d'or originel, et un retour définitif. Il est vrai que le nouvel ordre retourne
à l'origine, à son propre point de départ, mais en même temps il apporte
un bien définitif grâce auquel l'histoire s'accomplit ; et celle-ci s'est déroulée
évidemment une seule fois dans un cercle, pour finir, dans l'instant où le
début et la fin se rencontraient, par durer dans son intemporalité, ou son
pur présent. « L'imperium sans fin est un Etre en repos » 34.
Que l'histoire, à partir du passé le plus reculé jusqu'au présent, s'a
ccomplisse une seule fois et sans répétition, que l'avenir soit déterminé par
son orientation interne — cette pensée commune à la conception eschato-
logique de l'histoire chez les juifs et les chrétiens se distingue radicalement
de la théorie cyclique des Grecs et des Romains, qui comprend la croissance
et le déclin dans les vicissitudes de la destinée comme un cercle toujours
recommencé 35.
La représentation de l'histoire se distingue donc radicalement — à
l'intérieur de l'œuvre de Virgile lui-même — dans YEnéide et dans l'églogue.
Et, autre parallèle de la pensée judéo-chrétienne de l'histoire, dans YEnéide,
la destinée de Rome est confondue avec celle du monde, si bien qu'il n'y
a plus qu'une histoire, dans une perspective eschatologique. Il subsiste
cependant dans le texte des différences accessoires. Comme l'image du cercle
que nous venons d'utiliser le montre, l'accomplissement de l'avenir de Rome
ne se comprend que comme un renouvellement de l'origine. Et dans la
mesure où l'âge d'or, malgré toute identification avec le monde entier des
terres habitées, est bien l'avenir de Rome, il demeure l'aboutissement d'un
nationalisme poussé jusqu'à l'impérialisme. Ces paroles ď Anchise l'a
ttestent :
10 Richard Faber

A toi, Romain, qu'il te souvienne d'imposer aux peuples ton empire,


Tes arts à toi sont d'édicter les lois de la paix entre les nations,
D'épargner les vaincus, de dompter les superbes.
(En. 6, 851-853.)
Friedrich Klingner commente : с La pax romana, qui est en théorie un
contrat juridique entre deux parties, est en réalité l'ordre des maîtres. Rome
est le partenaire, qui décide d'elle-même les relations, impose les condi
tions » 3e.
Et comme règne entre les peuples la relation du maître et de l'esclave, de
même en Italie, entre le fils de dieu et la masse des autres hommes. Il est
leur destin incarné. Horace ne veut pas dire autre chose lorsqu'il s'écrie dans
une prière : « О Zeus, puissant maître du tonnerre, tu domines sur l'Ether ;
ici, sur la terre, Auguste, tu es pour nous le dieu visible > 37. Comme chez
Virgile, la volonté propre de la puissance unique est sacralisée de façon à
la rendre plus puissante encore.

L'interprétation chrétienne de Virgile

Rompre avec les apocalypses judéo-chrétiennes et se rattacher plus


ou moins expressément à Virgile, telle est bien la démarche de la tradition
catholique romaine depuis la fin de l'Antiquité. Le catholicisme est le pro
duit d'une hellénisation et d'une romanisation du christianisme primitif. Ce
processus a trouvé une expression qui ne pouvait tromper personne, lorsque
l'empereur Constantin, avant même son baptême, présida le concile de
Nicée, et qu'il interpréta la Quatrième églogue de Virgile comme une pro
phétie spécifiquement romaine du Christ 38 — dont le représentant sur terre,
depuis Constantin, est un Auguste, semblable à celui que YEnéide de Virgile
a reconnu dans l'enfant de l'églogue. Conséquence de la légende constanti-
nienne, d'après laquelle le Christ promit à l'empereur, avant la bataille déci
sive du pont Milvius, la victoire par le signe de la croix, Prudence souhaité
voir ensemble le Christ et l'empereur sur le char du triomphe 39 et, « contre
Symnaque >, il fait parler Constantin, s'adressant à Rome : « Tout dans ce
monde t'est soumis ; c'est ainsi que Dieu lui-même l'a ordonné — tu domines
sur son ordre, commandes à la terre tout entière, disposes des pleins pou
voirs sur tout ce qui est mortel > (1, 429-31). Rome, de son côté, donne
à Constantin des assurances : < Maître du monde, tu seras uni au Christ
pour toujours, sous sa direction, tu conduis mon empire vers le ciel (2,
758-759) 40.
On reconnaît sans peine les citations directement tirées de Virgile —
je pense surtout à VEnéide, 6, 851 - 3, et 6, 287 — , mais à la christianisation
de Virgile, qui signifie plutôt une < virgilisation du christianisme », s'ajoute
la convergence de la romanisation de l'apocalypse chrétienne, et cela chez
Lactance, qui, nous le savons, est l'auteur de sommes apocalyptiques. Le
compilateur est en même temps — ce qu'il faut ajouter maintenant — le
premier théologien de l'empire et d'Auguste 41 ; le précepteur du fils aîné
de Constantin, Crispius, inaugure l'interprétation chrétienne de Virgile. C'est
lui surtout qui est sans aucun doute à l'origine de l'adaptation chrétienne
de la Quatrième églogue42. Au centre de cette interprétation, le vers 7 :
iam nova progenies caelo demittitur alto.
L'Italie fasciste, dont la propagande a repris l'héritage de la Rome
De Virgile à Novalis 11

impériale et papale 43, l'inscrit encore à l'occasion du bimillénaire d'Auguste,


sur un timbre-poste avec ce mot du monument d'Ancyre : Censům populi
egi (« j'ai fait faire le recensement du peuple »). Le timbre montre un globe
terrestre sur lequel Bethléem en Judée est éclairé par une croix lumineuse
rayonnant du haut du ciel 44. Cette illustration évoque — comme en tro
isième lieu — la parole de Luc : « II arriva que, par ordre de l'empereur
Auguste... » Le programme iconographique de ces timbres est celui de
с l'empire, associé à la théologie d'Auguste » — leur base biblique, l'histoire
de Noël, racontée par l'Evangile de Luc, avec la promesse qu'il fait de
la paix et la mention du recensement augustéen, auquel Jésus lui-même,
sujet de l'empire et d'Auguste, fut soumis.
Ce texte est encore la base de la liturgie augustéenne. Pendant la
messe de minuit, l'empereur du Moyen Age assume la fonction de diacre
et il chante, à ce titre, revêtu des ornements de la couronne et l'épée
dégainée, cet évangile : « II arriva que, par ordre de l'empereur Auguste... »
Dressé devant les yeux, l'empereur chrétien se présente comme le succes
seurde l'empereur romain, instrument comme lui de l'ordre et du salut.
Cette interprétation chrétienne ne discerne plus dans le synchronisme
du Christ et d'Auguste que l'association, et plus guère la contradiction.
Hippolyte (160/70-235) ne voit que celle-ci :
« Lorsqu'en l'an 12 le Seigneur naquit sous Auguste, avec qui
l'empire commence — bien que, par les apôtres, le Seigneur ait appelé
à lui toutes les nations avec toutes leurs langues, et constitué le peuple
croyant des Chrétiens —, alors l'empire, qui régnait sur cette terre en
ce temps par le pouvoir de Satan, imita cette action même, et il réunit
de son côté les plus vaillants dans tous les peuples, et il les arma pour
la lutte, les appelant < Romains ». Et c'est pourquoi fut effectué aussi
sous Auguste le premier recensement, quand le Seigneur naquit à
Bethléem, pour que les hommes de ce monde, enregistrés sous la bannière
du roi terrestre, fussent appelés Romains, tandis que ceux qui croyaient
au roi du ciel s'appelaient chrétiens, portant au front le signe de leur
victoire sur la mort » 45.
Hippolyte lisait Luc à rebours, ce qui a certainement un fondement
légitime, car ce fut une des préoccupations de Luc que àe limiter tacitement
la fidélité due à l'Etat et à l'empereur. « Au centre de son récit des enfances,
il y a l'annonciation du Christ par l'Ange > 4e. Pourtant à partir de cette
concurrence entre Christ et César — tacite précisément — on voit se dégager
de plus en plus dans la suite une convergence — au point que dans la
Byzance chrétienne, huit jours après la naissance du prince héritier, se
déroule devant l'enfant et devant l'impératrice, une cérémonie d'hommage
au cours de laquelle chacun apportait dans le berceau un présent. Le rite
était sans doute ressenti consciemment comme analogique de la remise des
cadeaux par les bergers et les sages d'Orient dans l'étable de Bethléem 47.
Byzance ne s'appelle pas seulement Constantinople, elle accueille « l'idéal
virgilien d'un empire de la paix chrétienne », comme l'affirme encore un
spécialiste des études patristiques, Hugo Rahner, en 1966 48. Dans l'Europe
occidentale même et dans le catholicisme allemand, au moins jusqu'aux
années 60, du xx* siècle, se maintient la conviction « que nous vivons aujour
d'huicomme autrefois sous Ylmperium romanum, qui d'après les prophéties
de Daniel ne cessera pas d'exister jusqu'à la fin du monde ». Théodore
Haecker que nous avons cité, auteur d'un traité, estimé généralement même
12 Richard Faber

par la philologie virgilienne, « Virgile père de l'Occident », y invoque l'inte


rprétation de l'apocalypse de Daniel, qui fait de Rome le « quatrième
empire » 49. Même si les Zélotes, à qui cette interprétation remonte, avaient
entendu Rome comme le dernier des faux empires, voué à la destruction,
Haecker, quant à lui, reste sur les brisées des théologiens de la cour de
Byzance, dans les limites de la théologie impériale :
« Virgile et son œuvre » offrent « la possibilité de comprendre natu
rellement et en profondeur un fait qui, au début certes, paraissait tout
simple à ceux qui étaient proprement et immédiatement concernés et,
plusieurs siècles après, encore à Dante, semble-t-il, mais qui plus tard,
avec les siècles, devait provoquer une irritation de plus en plus vive, à
savoir qu'une Rome chrétienne était sortie de la Rome païenne, et
l'Occident chrétien, auquel nous appartenons encore : l'empereur
romain, après s'être violemment défendu avec tous les moyens d'un Etat
tout puissant, qu'il usurpait à Dieu même, a fait finalement, par un acte
libre de sa volonté, issu de ce qu'il avait de plus intime — et ce qu'il
avait de plus intime c'était l'Etat — d'une religion, qui, depuis l'origine
et pour toujours, est au-dessus de l'Etat, une religion d'Etat > 51.

La Quatrième églogue dans le contexte des Géorgiques et des Bucoliques

Avant d'opposer Novalis à l'interprétation catholique et à Virgile lui-


même, il nous faut jeter encore un coup d'oeil sur la Quatrième églogue dans
le contexte des Bucoliques et des Géorgiques : Virgile dans la Quatrième
églogue parle avec un sérieux prophétique, mais il revient toujours de la
perspective sublime d'un avenir politique et religieux au ton bucolique adapté
à l'églogue. N'est-ce pas précisément aux endroits où il dépeint une Arcadie
sublimée ? L'Arcadie est alors purement elle-même : la saison la plus belle
de l'année dans les fleurs, les fruits, les couleurs » 53. Pourtant l'Arcadie
n'est pas toujours elle-même — ses saisons changent même si dans l'e
nsemble elles sont toutes aussi plaisantes.
Seul le « printemps éternel », qui règne, d'après les Géorgiques (2, 149),
au début du règne de Saturne, réalise la fin de l'Arcadie. Sa fin est l'âge
d'or, tel que, sous sa forme arcadienne — c'est-à-dire naturelle — , la
Quatrième églogue le représente (4, 18-25, 28-30, 39-45). Elle est la somme
constante de ses traits isolés, dispersés et souvent si semblables, à travers
l'œuvre de Virgile.
Même en prenant cette somme comme mesure — tout en sachant que
sa constance (à cause de Yordo saeclorum) est toute relative —, le monde
du salut arcadien perd une grande partie, si ce n'est l'intégralité, de son
caractère. Plus les philologues qui revendiquent leurs affinités virgiliennes,
s'obstinent à soutenir son essence sacrée, plus ils succombent à la contra
diction, niant ce qui est assigné à l'Arcadie en tant qu'idéal dans la Qua
trième églogue. Klingner, en particulier, fait comme si le monde du salut
se réalisait constamment — dans la mesure où il développe la justification
faite par Virgile de la terre mère.
« Au milieu des guerres scélérates des hommes, la terre préserve
constamment une alliance pacifique avec les paysans, et en pleine dévast
ation, elle est un asile de cette force qui procure et maintient la
concorde et l'union, de la justice : c'est là le sens de l'expression : ius-
tissima tellus > M.
De Virgile à Novalis 13

Dans la Quatrième églogue, le retour de la justice est encore mis en


relation avec la réapparition de la Vierge Diké, donc avec le mouvement
des astres, par conséquent avec un moment malgré tout historique. Plus
tard cependant, on sort tout simplement de l'histoire : la terre est son asile,
terre italique, terre de l'Etat romain, en raison de quoi César divinisé peut
aussi apparaître comme le dispensateur de ses fruits 55. Le chemin vers la
transformation de l'enfant prodigieux de la Quatrième églogue dans l'Au
guste de YEnéide est indiqué ici, et vers la prophétie d'Anchise : il ramènera
l'âge d'or et sera donc un second Saturne 5e. Pourtant ce qui est là est bon
tel quel, le royaume de Saturne est là. S'il se confond avec l'empire d'Aug
uste, n'était-il donc au fond pas toujours là, ne serait-ce que comme reflet
de l'origine — du mythe ? Il faut répondre oui à la question, si l'on suppose
comme ici que l'empire d'Auguste ne tient en aucun cas devant le tribunal
de la somme arcadienne. Et, dans les Géorgiques, il est dit expressément
qu'en Italie l'âge d'or — en quelque manière que ce soit — a toujours été
préservé 57. « En quelque manière > signifie : en plein âge de fer. L'âge
d'or comme l'âge de fer sont pour Virgile des symboles qui doivent désigner
un aspect du présent et en particulier de son présent, mais qui touchent
pourtant tous les présents, c'est-à-dire en particulier celui qui, en dehors
de tous les temps, s'applique à la vie aux champs en Italie, « le règne
immuable de Saturne » 58. On voit à quel point la Quatrième églogue (ainsi
que les passages sur Auguste de YEnéide) relève de la théorie de l'histoire,
mais en même temps elle ne contredit en rien la théorie dominante d'une
régénération permanente sur le modèle de la nature et de son année solaire :
elle ne suffisait plus ; c'est pour cette raison seulement que le monde vieilli
avait besoin d'un renouveau complet 59.
Du point de vue de la théorie de l'histoire, la Quatrième églogue peut
donc être considérée comme une fin de la poésie^ bucolique de Virgile, d'où
il s'ensuit pourtant que, dans sa conception d'un tournant radical, elle est
encore mythique, c'est-à-dire cyclique ; le « centre de l'univers physique >
est « l'origine comme lieu où se confondent le d'où et le vers quoi (le unde
et le quo), et son pouvoir global est la nature, qui « fait entrer le devenir
dans l'enceinte circulaire de la floraison et du flétrissement » eo :
« c'est un cercle de travaux qui revient sans cesse pour les laboureurs,
et, en se déroulant, l'année les ramene toujours sur ses pas. Ainsi le jour
où le vignoble s'est dépouillé de ses feuilles d'arrière-saison et où le
froid Aquilon a fait tomber des arbres leur parure, ce jour-là même,
le vigneron actif étend à l'année qui vient ses préoccupations... » (Géor
giques 2, 401-406.)
Ainsi, à l'échelon macrocosmique, dans la Quatrième églogue, ce n'est pas
seulement l'âge d'or qui revient, mais « la grande série des siècles » avec
ses hauts et ses bas — nous le répétons, pour comparer maintenant Novalis
et Virgile.

Le dépassement par Novalis de l'interprétation chrétienne

Novalis fait éclater la pensée cyclique ; il ne le fait nulle part plus cla
irement que dans ce qui devait clore Heinrich von Ofterdingen, dans le texte
apocalyptique intitulé « Destruction de l'empire du soleil ». Dans ces vers,
14 Richard Faber

la bien-aimée de Heinrich implore « le manage des saisons » ei, ou le nom


positif de la « destruction » :
< si les temps n'étaient pas aussi maudits, l'avenir / s'unirait au présent
et au passé, / le printemps s'enchaînerait à l'automne et l'été à l'hiver, /
et pour une gravité enjouée, la jeunesse serait associée à la vieillesse : /
Alors, doux époux, tarirait la source des souffrances, / le désir de toute
sensation serait accordé au cœur » e2.
On assisterait alors à l'avènement de « l'instant parfait » de la plénitude du
présent ; car, « imparfaite », с notre vie » l'est seulement « parce qu'elle est
soumise à des périodes — il n'en faudrait qu'une seule et alors elle serait
infinie » ад.
A la pointe de sa modernité, Novalis reprend ce qui avait été pour la
première fois conçu dans l'Apocalypse (originelle) de Daniel ; à savoir la
fin apocalyptique de l'histoire à travers un empire messianique — sans qu'il
fût encore question du début d'un nouveau cycle qui se répéterait. Novalis
le nie d'une façon si radicale qu'il « détruit » même son modèle de la révo
lution de l'année solaire. L'histoire n'accomplit jamais le cercle chez Noval
is ; il la conçoit pourtant d'une manière triadique, mais de telle manière
que la dernière étape n'est pas la reproduction de la première : < avant
l'abstraction, tout est un, mais un comme le chaos ; après l'abstraction, tout
est de nouveau réuni, mais c'est une réunion d'êtres libres, autodéterminés.
L'amas est devenu une société, le chaos s'est retransformé en un monde
divers » M.
Novalis pressent aussi le < nouveau monde э dans l'ancien, lorsqu'il fait
décrire à son Klingsohr le nouveau monde comme un parallèle de l'ancien,
comme sa renaissance :
Le règne < fantomatique > du « chiffre sec » et de la « mesure sévère »,
dont il était déjà question dans la t Cinquième hymne à la nuit » et qui,
dans le conte de Klingsohr, est remis dans les mains du « scribe », n'est
pas, comme là-bas, brisé par le Christ, par cette « allégorie du vrai Mess
ie» M, mais par les allégories « antiques » de Fable, d'Eros et de Sophie.
Le peuple crie : « Vive nos anciens tyrans ! » C'est ainsi que se manifeste
la réanimation de la nature sans vie dans un < printemps éclatant de force »,
tel qu'il est évoqué dans la < Cinquième hymne », pour un < monde bien
heureux » à ses débuts. Le retour du paradis est scellé d'un « hieros gamos »,
dans un « lit nuptial » et, с sur le ciel du lit, plane le phénix avec la petite
Fable ». « Le roi (Eros) embrasse sa bien-aimée rougissante (Freya = paix)
et le peuple suit l'exemple du roi en s'embrassant. On n'entend rien, sauf
des mots tendres et un chuchotement de baisers » M.
En renvoyant d'avance à J J. Bachofen, qui considère que t la période
matriarcale [...] sera effectivement la poésie de l'histoire » e7, on peut pré
ciser que Novalis peint t le nouveau monde » comme < l'ancien monde mer
veilleux dans le sein de la nature », où les « natures aux cent formes » « sont
unies par une liberté commune, et où toute chose obtenait d'elle-même ce
dont elle avait besoin ». — Dans ces с conditions antiques », la nature vivait
dans l'ensemble un communisme originel, y compris l'homme, naturellement.
« En ce temps-là, il nous comprenait, comme nous le comprenions », disent
les < natures ». < Nous » étions nous-mêmes natures :
< Dans les nuages aux mille couleurs, ces mers flottantes, ces
sources originelles de la vie terrestre, les races humaines s'aimaient et
De Virgile à Novalis 15

s'engendraient dans des jeux éternels. Elles étaient visitées par les enfants
du ciel. Ce n'est que lors de ce grand événement que les légendes sacrées
appellent déluge, que disparut ce monde en floraison... » 68
C'était le monde marécageux de l'hétaïre de Bachofen qui, déjà selon
l'amplification dionysiaque de Novalis — en fait seulement chez Novalis,
ce n'est plus le cas chez Bachofen — était susceptible d'un accomplissement
eschatologique, dans le « chant des morts », un des textes posthumes de
« Heinrich von Ofterdingen ». Mais sont-ce vraiment les morts qui chantent
là de leurs « fenêtres silencieuses » (première strophe) et de « leur cercle »
(deuxième strophe), ou ne sont-ce pas plutôt ceux qui sont incomparable
ment vivants ? W. Rehm les nomme avec raison « morts vivants » ee. Comme
à Heinrich von Ofterdingen lui-même, la mort leur apparaît comme « une
révélation supérieure de la vie » 70. Toujours « une nouvelle braise de la
vie » flambe sur leurs foyers (première strophe). « Aucun ne s'en plaindra
jamais / aucun ne souhaitera partir, / de ceux qui, à nos tables remplies /
s'étaient une fois assis dans la joie. » La « messe » des morts 71 est joyeuse,
elle dure sans fin. La mort ne peut plus s'approcher de leurs tables remplies
(comme dans l'antiquité de la « Cinquième hymne »), apparaître « terri
fiante » et plonger « l'âme dans d'horribles frayeurs ». Maintenant « se
tient » en lui « le ciel », « le bleu sans nuages ». Mais les « minuits » ont
aussi « leur douceur charmante » ; le jour éternel et la nuit éternelle sont
égaux, ils sont — apocalyptiquement 72 — interchangeables : « nous vous
connaissons » « jeux énigmatiques de la volupté » (sixième strophe), dont « la
vie sublime » est « la lutte des éléments » (septième strophe). Et même « tout
ce que nous touchons / se mue en offrandes d'un plaisir hardi » (huitième
strophe). Et pourtant : « toujours croît et fleurit l'envie » « de se consumer
dans le changement » (neuvième strophe). — Un aphorisme s'interroge :
« dans l'instant où un homme [...] se mettrait à aimer la douleur, il tiendrait
la plus charmante des voluptés dans ses bras [...] Plus terrible serait la
douleur, plus intense serait le plaisir qui s'y cache ? »78. Et des vers du
chant des morts » répondent : « II y a des plaies, qui font éternellement
mal, / une tristesse d'une profondeur divine / habite dans le cœur de nous
tous. / Nous dissout dans des flots. » — с Et dans ces flots nous som
brons / mystérieusement / dans l'océan de la vie / Au plus profond de
Dieu... » (strophe 11-12).
Dieu est la vie éternelle. C'est ainsi que le voient aussi les derniers vers
— eschatologiques — de la « Cinquième hymne » : « L'Amour ne porte
plus de chaînes, les cœurs sont unis à jamais. / Un immense océan de vie /
ondoie et brille à l'infini. / Tout n'est qu'une nuit de délices. / Tout n'est
qu'un poème éternel. / Et le soleil qui nous éclaire, / c'est la face auguste
de Dieu. »
Les vers chantés par Fable, à la fin du conte de Klingsohr, disent la
même chose : « Le royaume de l'éternité est fondé, / la querelle se termine
dans l'amour et dans la paix » 74 — ce qui signifie qu'ici aussi ce qui relève
du mythe des origines s'est transformé en eschatologie. — Chez Novalis,
quelque chose est toujours déjà posé : ce qui était grand et beau dans l'âge
d'or, et qu'il ne cesse de rappeler, n'est qu'anticipation du futur et de ce qui
est arrivé t maintenant ». Cette relation entre « promesse » et « accomplis
sement » est clairement exprimée dans la manière dont l'aède de l'Hellade
interpelle l'enfant prodigieux. « Tu es le jeune homme qui depuis longtemps
(sur une pierre d'artifice) se tient sur nos tombes dans une contemplation
16 Richard Faber

profonde [...]. > Ce jeune garçon n'était qu'une consolation « esthétique »,


la mort est quand même descendue « dans une tristesse profonde », mais,
grâce à cet être de chair et de sang, « elle nous enlève désormais avec une
tendre nostalgie ». Ce jeune homme n'était que l'actualisation de ce qui est
absent, jusqu'au moment où, avec sa venue, cette fiction est devenue — a
dû devenir — réalité.
Fait capital pour Novalis, l'accomplissement chrétien était lui aussi de
l'ordre de la fiction, une simple allusion à l'accomplissement définitif et réel.
C'est précisément lorsqu'il se sert de la tradition judéo-chrétienne et qu'il
parle sa langue, qu'il devient un témoin de tout premier plan du processus
de sécularisation qui caractérise l'époque. Novalis en effet inverse les valeurs ;
la contradiction dans le même fait sa visée stylistique particulière. Elle
revient à une sécularisation, pour autant que le même appartient comme
ici à la langue sacrée. Elle cherche en effet la transposition ou même la per
version, comme un effet de « provocation ». Chez Novalis la connexion
fondée sur l'imitation entre l'objet esthétique et sa présence dans l'œuvre
d'art est rompue. Il n'était jusque-là cet objet qu'en vertu de son caractère
religieux. L'objet n'est plus « reproduit », mais « introduit » 75, c'est-à-dire
placé dans une nouvelle fonction qui lui est étrangère. Mais cela même
constitue le symbole moderne. Les eschatologies transmises par la tradition
sont des motifs : il s'agit surtout de « noms et de chiffres » 7e, pour l'histoire
mondiale future ; elles ne font que contribuer d'une façon rhétorique à cette
réalisation à venir, et servir l'« enthousiasme » révolutionnaire 77. Avec une
force d'amour extraordinaire, Novalis s'emploie à attirer le monde de l'au-
delà et du suprasensible dans le monde terrestre d'ici-bas 78. Ce faisant,
il ne rend à vrai dire d'abord qu'une rétroactivité à ce qui s'était passé
dans l'apocalyptique judéo-chrétienne grâce à l'hellénisation, c'est-à-dire à
la dogmatisation catholique. Mais Novalis n'est plus un Joachimite chré
tien 79. Non seulement il pense, comme l'écrivait déjà Francis Bacon 80,
que le royaume de Dieu devient le < royaume de l'homme », et le deus
absconditus un homo absconditus81, mais c'est là même que toutes les
attentes passives trouvent leur fin. C'est parce qu'elle est capable de tout
que l'humanité crée elle-même ce qui doit advenir : < C'est en élargissant
et en formant notre activité que nous nous transformerons en Fatum » 82.
Pour passer de la théorie de l'histoire et de la théologie à la politologie :
Quel est ce с nous », qui doit briser la toute-puissance du Fatum, que
Virgile déjà avait invoquée ? Pour répondre à cette question, nous nous
référons à ce qu'on appelle la « Staatsschrijt » de Novalis, qui, du point
de vue formel, peut également faire partie du genre de l'éloge du prince :
dans ce trentième fragment sur « Foi et amour » — apparemment inspiré
par une theologia publica, du type de celles qui ont marqué l'« Occident »
depuis Vairon et Virgile jusqu'à Cari Schmitt :
« (pour) ennoblir avec le roi et la reine la vie ordinaire, comme les
Anciens le faisaient, sinon, avec les dieux. Une religiosité authentique
est issue en ce temps-là de cette ingérence permanente du monde des
dieux dans la vie. Cette intrication continuelle du couple royal dans la
vie privée et publique, a permis la naissance d'un véritable patrio
tisme » 84.
La vie réelle doit-elle, avec toute sa misère, être transfigurée par ceux
qui sont seuls puissants, qui sont, comme les dieux, au-dessus de l'humanité
De Virgile à Novalis 17

et doivent d'ailleurs y rester, pour que puisse naître un « patriotisme authen


tique» ? Est-ce là le (non)-sens politique du retour de l'âge d'or où « nous >
avons déjà reçu un jour la visite des « enfants du ciel » 84 ? Et qui doivent
maintenant nous revisiter ?
Jusqu'à maintenant on voit « trop peu » l'Etat, est-il écrit déjà dans
le dix-neuvième fragment, mais il devrait être visible « partout » et « tout
homme devrait être caractérisé comme un citoyen. Ne devrait-on pas intro
duite des insignes et des uniformes ? Ceux qui considèrent qu'il y a là de la
futilité méconnaissent un caractère fondamental de notre nature » 85. —
N'est-ce pas un étatisme résolu qui s'exprime ici, avec des traits nettement
archaïques? N'est-ce pas une façon de préconiser, avec toutes les accom
modations qu'on veut, un retour à la civilisation des masques ?
Th. Mann voyait déjà dans ces phrases « une manière de déterminer
l'Etat républicain comme un militarisme bourgeois » ; c'est pourquoi il pouv
ait employer à bon escient l'expression de « jacobinisme romantique » 8e.
A l'appui de cette identification de contraires apparents, on peut citer, pour
l'élargir aussi, un fragment plus tardif (qui ne se trouve pas en relation
directe avec « Foi et Amour ») : « dans les Républiques, l'État est l'affaire
principale- de la personne » et « chacun sent que son existence et ses besoins,
ses activités et ses idées sont liées à l'existence, aux besoins, à l'activité,
aux pensées d'une société puissante et élargie, que sa vie est suspendue à
une vie puissante». Tout autrement que «dans nos villes», comme il est
expressément dit peu avant 87. Comme déjà dans le fragment 37 de « Foi
et Amour », Novalis combat ici cette vie des « petites villes », qui s'oppose
« le plus fortement au véritable républicanisme », qui est « une participation
générale à l'Etat tout entier ». En dehors du fait que Novalis traite celle-ci
comme un synomyme organique (organizistisch) d'« un contact intime et une
harmonie de tous les membres de l'Etat », ce « républicanisme véritable »
lui permet de faire commencer son fragment 17 de façon tout à fait tradition
nelle avec la phrase : « Le roi est le vrai principe vital de l'Etat, exactement
ce que le soleil est dans le système des planètes », et, dans le fragment 18, il
est dit : « Le roi est un homme élevé à la dignité d'un fatum terrestre. » Pourt
ant, dans le même fragment, Novalis formule une autre exigence : « Tous
les nommes doivent être élevés à la dignité du trône. L'instrument de leur
éducation, en vue de ce but lointain, est un roi. Il s'assimile progressivement
la masse des sujets » 88. Même si la pensée d'une « assimilation » de ce genre
paraît à première vue utopique, il ne peut pas y avoir de doute quant au
dépassement profondément égalitariste, à savoir anthropologique, de la pre
mière affirmation, qui rappelle si manifestement Virgile. Le fait même que
celui-ci forme le point de départ révèle la révolution moderne. « Tous les
hommes doivent être élevés à la dignité du trône » renverse le premier axiome.
Depuis Novalis (et d'autres comme lui), la poésie est appelée à révéler
le revers de ce pouvoir fondateur qu'elle démontrait depuis Virgile, ce
revers que visaient la méfiance et la peur secrète de ses protecteurs : à la
place du pouvoir fondateur, cet autre, qui fait éclater et qui renverse ; au
lieu de l'affirmation, la critique. On peut retrouver ce tournant dans la crise
de l'éloge du souverain89 — chez Novalis dans «Foi et Amour». La
même réflexion vaut pour la religion, en premier lieu le messianisme. Le
même Novalis, qui déclare que « tous les nommes doivent être élevés à la
dignité du trône », proclame l'avènement d'« un Messie au pluriel » 90. A
côté de, et avant son polymorphisme individuel, se situe « l'accueil » col-
18 Richard Faber

lectif « fait au nouveau Messie » dans les « mille membres » « d'une jeune
Eglise surprise » « en même temps ». с Le Messie au pluriel » est très maté
riellement « une nouvelle humanité (fraternelle) ». — Cette pensée remonte à
l'époque où Novalis était avec Friedrich Schlegel un partisan de la Révolut
ion française. A ce moment il avait écrit à son ami que « la révolution
sacrée » était « apparue sur terre », comme « un Messie au pluriel ». Et
cette image est conservée, comme le montre Y Essai sur l'Europe, dans sa
phase « post » -révolutionnaire. Que maintenant il soit question de l'« Eglise »
à la place de la révolution ne change rien ; le tiers restant est commun,
«l'humanité (nouvelle) *, synonyme de l'Eglise91. De ce fait, l'image du
Messie au pluriel est à l'origine biblique et elle est en relation, ce qui est plus
vrai encore des « mille membres », avec l'image paulinienne du « corps
mystique » du Christ, l'Eglise ; elle est certainement en relation aussi, et
même primordialement, avec le message d'un règne millénaire. Le millé-
narisme est ressuscité — mais avec une transformation de sa durée numér
ique en une messianologie corporative 92, le « germe de tout démocra-
tisme » 93.
Aux yeux du jeune Friedrich Schlegel, « le désir révolutionnaire de
réaliser le règne de Dieu » était la marque de l'histoire moderne et de sa
« structure » progressive (fr. de L'Athénée, 222). Dans YEssai sur l'Europe,
Novalis maintient la non-transcendance de « règne » : « [...] est-ce que tous
les véritables parents en religion ne doivent pas être emplis de nostalgie à
voir le ciel sur terre ? » 94.
L'incarnation historique de ce ciel, ce serait « une Eglise visible », sans
considération de frontières entre nations. Et il n'y a pas que ces frontières
qui doivent tomber. L'Eglise de Novalis veut être effectivement œcuménique
et catholique :
с la chrétienté a une triple figure ; l'une est produite par l'élément géné
rateur de la religion, comme la joie que l'on prend à tout ce qui est
religieux, l'autre par le pouvoir médiateur même, comme croyance en
la toute puissance du terrestre, capable d'être le vin et le pain de la vie
éternelle ; une autre enfin est fournie par la croyance en Jésus-Christ,
sa mère et tous les saints. Choisissez celle que vous préférez, choisissez
tous les trois, peu importe, vous serez par là des chrétiens, et les
membres d'une unique communauté éternelle et ineffablement heu
reuse » 95.
On voit clairement que « l'Eglise visible » ne désigne rien d'autre que
la loge « fondatrice de paix », où < les philanthropes et encyclopédistes »
sont appelés à recevoir « le baiser fraternel ». Un fragment, datant de
l'époque de la genèse de YEurope, ne laisse aucun doute :
< II n'y a pas de religion encore — il s'agit de fonder une loge,
où la véritable religion puisse se former [...] La chrétienté ressuscitera
du saint giron d'un vénérable concile européen, et l'office de l'éveil à
la religion s'accomplira selon un plan global et divin. Aucun ne protes
tera plus alors contre la contrainte chrétienne et séculière, car l'essence
de l'Eglise sera faite d'authentique liberté, et toutes les réformes néces
saires se réaliseront sous sa direction comme autant de procès pacifiques
et proprement étatiques » 9e.

La visibilité est nécessaire, car la loge ecclésiastique de Novalis ne


doit pas — pas plus que l'Eglise médiévale — renoncer à la politique, tout
De Virgile à Novalis 19

au contraire. Mais comme elle est auparavant chargée de fonder la paix —


l'éveil à la religion ne s'accomplit que pour elle, ou n'est juste que cela — ,
elle ne peut pas être une église dans le sens confessionnel du mot. Les
motifs millénaristes de la tradition ne sont que des noms et des chiffres qui
circonscrivent l'unité de sphères séparées, la « paix éternelle » entre les Etats
européens, et la confiance céleste des hommes l'un dans l'autre 97.
Dans la « Cinquième hymne», il est dit : « dans le peuple [...] qui a
connu une maturité trop précoce et qui dans sa révolte s'est aliéné de l'inno
cence bienheureuse de la jeunesse, le nouveau monde est apparu avec un
visage qu'on n'avait jamais vu — [...] Un fils de la première vierge et
mère ». Dans le sillage des prophètes et de saint Paul, Novalis réunit le
« fils de la première vierge » et « le nouveau monde ». L'avènement est
celui « d'un Messie au pluriel », bien qu'il soit encore représenté comme
un enfant singulier (miraculeux). L'égalitarisme « métaphysique » fait loi :
« où il y a des enfants, il y a un âge d'or ! » 98. Naturellement il s'agit ici
de la promesse d'une enfance seconde et sublime — « [...] l'enfant doit
absolument être un enfant ironique » ; de cette enfance qui advient quand
« l'apprenti », qui était encore un enfant, « revient [...] ; alors l'apprentissage
s'arrête » ". — On peut se demander si Novalis a songé à la scène de
l'enfant Jésus parmi les docteurs du Temple, d'autant que dans les Parali-
pomena d'Ofterdingen, on trouve encore une fois la notice : « Jésus à
Sais » 10°.
Dans le deuxième des Chants spirituels l'enfant Jésus et « Fable »
sont devenus échangeables ; elle aussi est un enfant, et le restera « éternel
lement ». Qui plus est, le prétexte qu'est l'enfant Jésus est interprété de façon
panthéiste : « Dans l'herbe et la pierre et la mer et la lumière / Luit sa
face enfantine » m. Ces vers représentent l'amplification panthéiste et la
modernisation post-chrétienne de la strophe précédente : « Son chef est
orné de fleurs, / parmi lesquelles il jette un regard plein de grâce. » Ce sau
veur n'est plus « l'enfant Jésus », mais le « puer » de l'églogue de Virgile 102,
ou plus généralement une divinité « païenne ». On le voit plus clairement
encore quand on retourne au début du second des Chants spirituels. Il
évoque « l'enfant bienheureux de tous les cieux », comme un enfant solaire :
< Loin à l'Est la clarté se répand,
La grisaille des temps rajeunit ;
A la source des couleurs de lumière,
Buvons une longue et profonde gorgée ! »
Le rajeunissement des temps rappelle, aussi bien que la nature solaire et
par là apollinienne, le « puer » virgilien ; « la longue et profonde gorgée »,
Dionysos (enfant) — il est vrai, toujours sur un mode qui implique la connot
ation de l'enfant Jésus :
« A la fin descend sur terre
L'enfant bienheureux de tous les cieux ;
Créateur dans le chant, souffle à nouveau
Autour de la terre un vent de vie,
II rassemble ici, pour des flammes nouvelles à l'éclat éternel,
Des étincelles disséminées depuis toujours. »

Ces vers, dont la résonance finale rappelle la Pentecôte, évoquent à


nouveau Apollon, mais maintenant comme dieu de la poésie sous un vête-
20 Richard Faber

ment anthropomorphe, et par là, « moderne », en identifiant simplement


< l'enfant bienheureux de tous les deux » et le chant.
Les deux strophes suivantes, d'une résonance toute vitaliste, n'ont pas
un accent actuel :
« Partout jaillit des cavernes
Une vie nouvelle, un sang nouveau,
Afin de fonder pour nous une paix éternelle,
II plonge dans les flots de la vie » 103.
La « paix éternelle » kantienne ne peut pas être séparée de l'actualité
de l'attente de la paix exprimée dans VEssai sur l'Europe, mais le nom rap
pelle aussi le « prince de la paix » qu'est le Christ de Noël, tout comme le
puer augustinien de Virgile. Sa paix veut être une paix éternelle, et lui-même,
comme le « Messie au pluriel » est collectivisé et démocratisé. Nous répé
tons — la partie est pour le tout — : « où il y a des enfants, il y a un âge
d'or !» et « tous les hommes doivent être élevés à la divinité du trône ! ».
Novalis, ce qu'il faudrait démontrer plus en détail 104, est le mystique
de l'anarchisme. Nous choisissons cette formule, en nous inspirant de celle
qu'il a notée pour lui-même : « Romains, les mystiques du despotisme » 105.

(Université de Berlin)
Traduit par Mayotte Bollack

NOTES

1. Voir R. Faber, с Apokalyptische Mythologie. Zur Religionsdichtung des Nova-


lis », dans Romantische Utopie - Utopische Romantik, éd. par G. Dischner et R. Faber,
Hildelsheim, 1979, p. 66 et suiv.
(2e éd.).
2. Voir H. Fuchs, Der geistige Widerstand gegen Rom in der antiken Welt, 1964,
3. Voir P. Volz, Die Eschatologie der jiïdischen Gemeinde im neutestamentlichen
Zeitalter..., 1966 (2e éd.), p. 123.
4. Voir aussi F. Dornseiff, « Verschmàhtes zu Vergil, Horaz und Properz », dans :
Berichte iiber die Verhandlungen der sachsischen Akademie der Wissenschaften zu
Leipzig, 1951, p. 48.
5. Voir A. Kurfess (éd.), Sibyllinische Weissagungen..., 1951, p. 248 et p. 240.
6. Voir ibid, II, 319-20; III, 752 ; III, 755 ; III, 788-795.
7. Voir P. Volz, ouvr. cit., p. 167.
8. Lactance, Institutions, VII, 15, 11.
9. Voir E. Norden, < Josephus und Tacitus iiber Jesus Christus und eine messia-
riische Prophétie », dans llbergsches Jahrbuch XXXI, 1913, p. 656.
10. Voir A. Kurfess (éd.), ouvr. cit., p. 166.
11. Voir R. Syme, The Roman Revolution, Oxford, 1952, p. 288 (tr. fr. par
R. Stuveras, Paris, 1967).
12. Voir ibid., p. 316, et H. Windisch, Die Orakel des Hystaspes, 1929, p. 63
et suiv.
13. A. Kurfess (éd.), ouvr. cit., IV, 152-61.
14. Voir К. Fiirst Schwarzenberg, Adler und Drache. Der Weltherrschaftsgedanke,
1958, p. 84-5, et plus précisément M. Hengel, Juden, Griechen und Barbaren. Aspekte
der Hellenisierung des Judentums in vorchristlicher Zeit, Stuttgart, 1976. p. 136.
15. A. Kurfess, « Horaz und Vergil und die jiidische Sibylle. Zum gr often Horaz-
jubilâum », dans Pastor bonus, AS (1934), p. 418.
16. Voir Lactance, Institutions, VII, 15, 19.
17. A. Kurfess (éd.), Sibyllinische Weissagungen..., Ш, 652.
18. Voir L. Ziegler, Das Heilige Reich der Deutschen..., 1925, p. 172.
19. Voir H. Fuchs, ouvr. cit., p. 23-4.
20. Voir R. Hónn, Augustus, 1938 (2* éd.), p. 193.
De Virgile à Novalis 21

21. F. Kampers, Vont Werdegang der abendlandischen Kaisermystik, 1924, p. 60.


22. Voir A. Kurfess (éd.), ouvr. cit., I, 74.
23. Ibid., II, 50-56.
24. M. Dibelius, « Rom und die Christen im ersten Jahrhundert », dans Sitzungsbe-
richte der Heidelberger Akademie der Wissenschaften, Ing. 1941/42, 1942, p. 49.
25. Voir H. Windisch, Paulus und Christ us. Ein biblisch-religions-geschichtlicher
Vergleich, 1934, 86-87.
26. Voir F. Heer, Die Tragodie des Heiligen Reiches, 1952, p. 177.
27. Nous utilisons pour Virgile l'édition et la traduction de la Collection des
Universités de France (H. Goelzer pour les Géorgiques, Paris, 1926 [2e éd.], R. Durand
et A. Bellessort pour YEnéide, Paris, 1941).
28. Voir M. Eliade, Le mythe de l'éternel retour. Archétype et répétition, nouv.
éd. revue et augmentée, Paris, 1969, p. 70.
29. H. Hommel, « Vergisl' Messianisches' Gedicht », dans Wege zu Vergil, éd.
par H. Oppermann, Darmstadt, 1966, p. 391.
30. G. Binder a fait récemment une tentative neuve et intéressante dans ce sens :
« Lied der Parzen zur Geburt Octavians », dans FUSA (Journal fur Kenner u. Liebhaber
von Kunst, Literatur, Musik) 6 (1982), p. 18 et suiv.
31. A Schenk Graf von Stauffenberg, « Vergil und der augusteische Staat », dans
Wege zu Vergil..., p. 189.
32. M. Eliade, ouvr. cit., p. 159.
33. Voir P. Mikat, « Lucanische Christusverkiindigung und Kaiserkult », dans
Jahres- und Tagungsbericht der Gôrresgelschaft, 1970, p. 34.
34. W. Hartke, Rômische Kinderkaiser, 1951, p. 87.
35. Voir H.J. Màhl, Die Idee des goldenen Zeitalters im Werk des Novalis...,
Heidelberg, 1965, p. 93-93, 52, 94.
36. F. fclingner, Rômische Geisteswelt, 1965 (5e éd.), p. 615.
37. Horace, Odes, III, 5, 1.
38. Voir A. Kurfess (éd.), Sibyllinische Weissagungen..., p. 208 et suiv.
39. Voir J. Vogt, Der Niedergang Roms. Metamorphose der antiken Kultur,
1964, p. 376.
40. Voir la tr. fr. de M. Lavarenne dans € Prudence », Œuvres, t. III, Paris,
«CUF», 1948.
41. Voir E. Peterson, « Kaiser Augustus im Urteil des antiken Christentums... »,
dans : Hochland, 30, II (1933), p. 298.
42. Voir H. von Campenhausen, « Lactantius », dans : id., Lateinische Kirchen-
vater, Stuttgart, 1960 (2* éd.), p. 75, 70, 60.
43. Voir R. Faber, Róma ae terna. Zur Kritik der « Konservativen Revolution »,
Wurzburg, 1981, chap, и, р. 14-24.
44. Voir К. Fiirst Schwarzenberg, ouvr. cit., p. 304, n. 37.
45. Cité d'après E. Peterson, Theologische Traktáte, Munchen, 1951, p. 85.
46. P. Mikat, ouvr. cit., p. 43, 33.
47. Voir О. Treitinger, Die ostrômische Kaiser- und Reichsidee nach ihrer Gestal-
tung im hôfischen Zeremonielle, 1938, p. 109.
48. H. Rahner, Abendland. Reden und Aufsatze, 1966, p. 257.
49. Voir Th. Haecker, Betrachtungen uber Vergil. Vater des Abendlands (1932),
dans Werke 1, 1958, p. 450-55.
50. Voir R. Faber, Die Verkiindigung Vergils : Reich - Kirche - Staat. Zur Kritik
der € Politischen Theologie », Hildesheim - New York, 1975, chap, in, 4 ; en particulier
Ш, 4j.
51. Th. Haecker, Werke 2, Munich, 1959 (3* éd.), p. 26.
52. Voir Faber, ouvr. cit., chap, i, p. 5.
53. Virgile, Bucoliques, III, 57, et DC, 40-52.
54. F. Klingner, с Uber das Lob das Landlebens in Vergils Georgica », dans
Hermes, 66 (1931), p. 163.
55. Géorgiques, I, 27, par allusion seulement, mais déjà admis dans Bucoliques,
DC, 47-49.
56. Voir Enéide, VI, 791-4.
57. Voir R. Faber, Politische Idyllik. Zur sozialen Mythologie Arkadiens, Stuttgart,
1977, chap, и, 2e.
58. H. Broch, Der Tod des Vergil, Munich, 1965, p. 77 (tr. fr. par Albert Kohn,
Paris, 1955).
59. Voir J. Kreft, < Die Entstehung der dialektischen Geschichtsmetaphysik aus
des Gestalten des utopischen Bewusstseins bei Novalis», dans DVjs., 39 (1965), p. 217.
22 Richard Faber

60. J. Taubes, Abendlandische Eschatologie, Berne, 1947, p. f 1.


61. Novalis, Schriften, vol. 3, Dos philosophische Werk //.«., Darmstadt, 1968,
p. 672.
62. Novalis, Heinrich von Ofterdingen, « Exempla Classica », 88, p. 143-44.
63. Novalis, Schriften, vol. 3, p. 329.
64. Novalis, Schriften, vol. 2. Das philosophische Werk /..., Darmstadt, 1965,
p. 454-7.
65. N.W. Bolz, « Uber romantische Autorschaft », dans : Urszenen. Literatur-
wissenschaft als Diskursanalyse und Diskurskritik..., Francfort, 1977, p. 47.
66. Novalis, Heinrich von Ofterdingen..., p. 115, 114, 116.
67. JJ. Bachofen, Dos Mutterrecht...., GW II, vol. 2-3, 1948, p. 24.
68. Novalis, Die Lehrlinge zu Sais, dans : Rowohlts Klassiker 130/1, p. 23 et 31.
69. W. Rehms, Orpheus..., 1960, p. 133.
70. Novalis, Heinrich von Ofterdingen, dans : Rowohlts Klassiker 130/1, p. 197.
71. W. Rehm, ouvr. cit., p. 140.
72. Voir Esra, 1. IV, 7, 39-41.
73. Novalis, Schriften, vol. 3..., p. 389.
74. Novalis, Heinrich von Ofterdingen. Exempla Classica 88, p. 116.
75. H. Blumenberg, Die Legitimitat der Neuzeit, Francfort, 1966, p. 62 et 68.
76. HJ. Mâhl, ouvr. cit., p. 381.
77. Voir Novalis, Schriften, vol. 3, p. 489.
78. Voir R. Samuel, Die poetische Stoats - und Geschichtsauffassung Friedrich von
Hardenbergs, 1925, p. 169.
79. Pour l'héritage joachimite de Novalis, voir en particulier Novalis, vol. 3,
p. 557.
80. Pour la lecture de Bacon par Novalis, voir U. Gaier, Krumme Regel..., 1970,
p. 160 et suiv.
81. Voir H. Schweppenhâuser, < Physiognomie eines Physiognomikers », dans : Zur
Aktualitat Walter Benjamins : A us Anlass des 80. Geburtstags von W. Benjamin, éd. par
S. Unseld, Francfort, 1972, p. 171.
82. Novalis, Schriften..., vol. 3, Leipzig, 1929, p. 369.
83. Novalis, Schriften, vol. 2, p. 493.
84. Novalis, Die Lehrlinge zu Sais..., p. 31.
85. Novalis, Schriften, vol. 2, p. 489.
86. Th. Mann, Werke. Politische Schriften und Reden 2, Francfort, 1968, p. 116.
87. Novalis, Schriften, vol. 3, p. 653, 652.
88. Novalis, Schriften, vol. 2..., p. 496, 488-89 ; voir R. Brinkmann, « Frtth-
romantik und Franzôsische Revolution» in : Deutsche Literatur und Franzôsische
Revolution... Gdttingen, 1974, p. 185.
89. Voir H.M. Enzensberger, Einzelheiten П, Francfort, 1970, p. 118.
90. Novalis, Schriften, vol. 3, 1929, p. 364.
91. Novalis, Die Christenheit oder Europa, dans Rowohlts Klassiker, 130-31,
p. 47.
92. Voir H. Timm, Die heilige Revolution..., Francfort, 1978, p. 90.
93. Novalis, Schriften, vol. 3..., p. 651.
94. Novalis, Die Christenheit oder Europa..., p. 51.
95. Novalis, Schriften, vol. 3..., p. 557.
96. Novalis, Die Christenheit oder Europa..., p. 51.
97. Novalis, Schriften, vol. 2..., p. 457.
98. Novalis, Schriften, vol. 3..., p. 281.
99. Novalis, Die Lehrlinge zu Sais..., p. 10.
100. Novalis, Schriften, vol. 1. Das dichterische Werk..., Darmstad, 1960, p. 340.
101. Novalis, Geistliche Lieder, dans : Rowohlts Klassiker, 130-31, p. 83.
102. Voir Bucoliques, IV, 18-20 et 23.
103. Novalis, ouvr. cit., p. 71.
104. Voir R. Faber, « Friihromantík, Surrealismus und Studentenrevolte oder die
Frage nach dem Anarchismus », dans : Romantische Utopie - Utopische Romantik...,
p. 336 et suiv.
105. Novalis, Shriften, vol. 2, p. 635.
Pour les passages de Novalis, tous retraduits ici, on peut se reporter aussi à la
traduction française : Novalis, Œuvres complètes, édition établie, traduite et présentée
par Armel Guerne, Gallimard, 1975 (1" vol. : Romans, Poésies, Essais; 2' vol. :
Fragments).

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