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« Ma vie » et la psychanalyse
Sarah Kofman
Kofman Sarah. « Ma vie » et la psychanalyse. In: Les Cahiers du GRIF, Hors-Sérien°3, 1997. Sarah Kofman. pp. 171-
172.
doi : 10.3406/grif.1997.1928
http://www.persee.fr/doc/grif_0770-6081_1997_hos_3_1_1928
Sarah Kofman
à Jean-Luc
Tout a « commencé » quand j(e n')eus plus rien à dire, quand je ne sus
plus par quoi commencer ni par où finir. Ce que j'avais raconté auparavant
revint alors, mais tout autrement, de façon discontinue, sous des formes
diverses (souvenirs, rêves, lapsus, répétition), ou n'est jamais revenu. Je
compris que j'avais été à b fois sotte, et infidèle.
Ce qui se passe par ma bouche, en analyse, n'a donc rien à voir ni avec
la vérité ni avec le sens. Ceb remonte de mes entrailles pour être offert
en guise de cadeau : à l'autre d'apprécier. Dès lors, le silence de l'analyste
est intolérable. Il est signe non d'une indifférence aux événements de ma
vie mais d'une dépréciation de ce que j'ai de plus intime. Fin de non-rece-
voir de mes dons, de ce qui sort de mon ventre, de ce que je produis :
ma marchandise, alors c'est de la merde ! Autant donc ne rien donner, ne
rien dire : au moins, le silence est d'or. Mais ce silence, lui aussi, m'est
intolérable. D'où la nécessité impérieuse d'entendre mes paroles reprises
et prises. Non pour qu'elles soient affectées de sens, interprétées. Mais
pour qu'un échange s'établisse, qui transmue le « caca » en or. Qui me
permette de me redresser, tenir debout, et repartir.