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Résumé
L'hylémorphisme implique que l'âme n'est pas seulement le sujet de la connaissance, mais le principe des fonctions vitales, la
forme du corps vivant; toutefois l'objectivité de la connaissance suppose que l'intellect est irréductible à une fonction corporelle
et que l'âme humaine est un principe spirituel, capable de subsister sans le corps. Elle n'est pas moins née pour être unie à un
corps, car elle n'a pas reçu l'illumination parfaite, et l'intellection ne peut s'exercer en elle sans le concours des sens. L'intellect
est en nous une faculté de l'âme qui postule son « engagement corporel » et dénote son « ouverture » à la transcendance.
Abstract
Hylemorphism implies that the soul is not only a knowing subject, but the principle of biological functions, the form of the organic
body; yet the objectivity of knowledge supposes that intellection cannot be reduced to a bodily performance and that human soul
is a spiritual principle which can subsist without body. Nevertheless it is born to be united with a body, since it does not enjoy
perfect illumination and cannot perform intellection without the help of the senses. The intellect is a faculty of our soul requiring
bodily union and showing transcendental « openness ».
Moreau Joseph. L'homme et son âme, selon saint Thomas d'Aquin. In: Revue Philosophique de Louvain. Quatrième série,
tome 74, n°21, 1976. pp. 5-29;
doi : https://doi.org/10.3406/phlou.1976.5873
https://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1976_num_74_21_5873
(24) Cf. Aristote, De anima, II 1,412 b 20-22; Depart, animal, I 1,641 a 18-21,
et S. Thomas, Qu. de Anima, art. 1; De spir. créât., art. 2.
(25) 8. th., I 76,1 ad 5m (suite de la note 14) : « quod non accidit in aliis formis,
quae non sunt subsistentes ; et propter hoc anima humana remanet in suo esse, destructo
corpore; non autem aliae formae».
(26) Ibid., I 75,2 : « Ipsum igitur intellectuale principium, quod dicitur mens,
vel intellectus, habet operationem per se, cui non communicat corpus».
L'homme et son âme, selon S. Thomas d'Aquin 11
(27) Ibid., I 76,1 arg. 1 : « Dicit enim Philosophais, in De anima III 4,429 a 18,
6 5, quod intellectus est separatus, et quod nullius corporis est actus ».
(28) Ibid., I 84,7 : « Sed contra est quod Philosophus dicit in De anima III 7,431
a 16-17, quod nïhil sine phantasmate intelligit anima*.
(29) Cette dépendance de l'intellection à l'égard des fonctions sensitives, qui
caractérise l'intelligence humame, n'empêche pas que notre intellection ne soit une
opération où le corps n'a point de part. C'est ce qu'explique S. Thomas, 8. th., I 75,2
ad 3m : « Si le corps est requis pour l'action de l'intellect, ce n'est pas à la façon d'un
organe au moyen duquel puisse s'exercer une telle action, mais en considération de
l'objet (ratione objecti) ; les images sensibles (phantasmata) sont, en effet, avec l'intellect
dans le même rapport que les couleurs avec la vue. Or, une dépendance de cette sorte
[dans laquelle l'intellect est tributaire de l'imagination et des sens pour recevoir un objet,
mais non dans l'exercice même de son activité] n'exclut pas la subsistance de l'intellect ;
autrement, un animal ne serait pas un être subsistant, puisqu'il a besoin des objets
extérieurs, des choses sensibles, pour exercer sa faculté de sentir».
(30) Ibid., I 75,2 (suite de la note 26) : « Nihil autem potest per se operari nisi
quod per se subsistit».
(31) Ibid., I 76,1 : « Hoc ergo principium quo primo intelligimus, sive dicatur
intellectus, sive anima intellectiva, est forma corporis ». Et plus loin : « Relinquitur
ergo... quod hie homo intelligit, quia principium intellectivum est forma ipsius [Cette
formule fonde le lien entre le sujet individuel, l'homme concret, composé de corps
et d'âme, et le principe par lequel il est vivant et pensant]. Sic ergo ex ipsa operatione
intellectus apparet quod intellectivum principium unitur corpori ut forma».
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elle se distingue des âmes animales, qui sont aussi des formes, des
principes d'action, mais incapables de subsister en dehors d'une
matière (32).
Cette considération met en relief la spiritualité de l'âme humaine,
capable de subsister sans le corps; elle s'accorde avec le point de
vue platonicien, qui vise à la séparation de l'âme; mais elle ne doit
pas faire perdre de vue son engagement corporel. « L'âme humaine,
précise S. Thomas, est sans doute séparée, mais elle est cependant
dans la matière .... Elle est séparée en tant qu'elle est capable d'intel-
lection, car la faculté intellective n'est pas la fonction d'un organe
corporel, comme la faculté visuelle est celle de l'œil; l'intellection,
en effet, est un acte qui ne peut s'exercer par le moyen d'un organe
corporel » (33). Cependant, l'âme humaine, qui exerce une telle faculté,
remplit aussi les fonctions sensitives et vitales communes à tous les
animaux, fonctions organiques en raison desquelles elle doit être
considérée comme la forme du corps, c'est-à-dire l'organisation à
laquelle aboutit le dynamisme de la génération animale. Considérée
sous ce rapport, elle est dans la matière (34) ; elle est unie au corps
comme la forme à la matière dans une substance matérielle ou un
être vivant, en tout composé matériel. Toutefois, ajoute S. Thomas,
« elle n'est pas une forme plongée dans la matière, totalement comprise
en elle ; elle en est affranchie par sa perfection naturelle. C'est pourquoi
rien n'empêche qu'il y ait en elle une faculté qui ne soit pas l'activité
d'un organe corporel, bien que, considérée dans son essence, l'âme
soit la forme du corps » (35).
(32) 8. th., I 76,1 ad 5m (cité ci-dessus, n. 14 et 25). On remarquera que si l'esse
du composé humain se ramène à celui de l'âme, c'est parce que l'âme humaine est un
être per se subsistens, et cela en raison de sa virtus intellectiva (Ibid, ad 2m et 3m) Cf.
notamment ad 5m le membre de phrase omis ci-dessus, n. 14 : ex qua (se. materia cor-
porali) et anima intellectiva fit unum; de sorte que si l'on peut dire que l'homme,
c'est son âme, c'est parce que cette âme est un intellect.
(33) Ibid., I 76,1 ad lm : « anima humana est quidem separata, sed tamen in materia. . .
Separata quidem est secundum virtutem intellectivam, quia virtus intellectiva non
est virtus alicujus organi corporalis, sicut virtus visiva est actus oculi; intelligere enim
est actus qui non potest exerceri per organum corporale, sicut exercetur visio ».
(34) Ibid, suite : « Sed in materia est, in quantum ipsa anima, cujus est haec
virtus, est corporis forma, et terminus generationis humanae».
(35) Ibid, ad 4m : « humana anima non est forma in materia corporali immersa,
vel ab ea totaliter comprehensa, propter suam perfectionem ; et ideo nihil prohibet
aliquam ejus virtutem non esse corporis actum, quamvis anima secundum suam essen-
tiam sit corporis forma».
L'homme et son âme, selon S. Thomas d'Aquin 13
necesse est ponere aliquem superiorem intellectual, a quo anima virtutem intelligendi
obtineat». Mais cet intellect transcendant, toujours en acte, dont Aristote nous dit
« quod non aliquando intelligit et aliquando non intettigit » (De anima, III 5,430 a 22 ;
S. th., 1 79,4 arg. 2) et qui s'identifie par là avec l'Acte pur de la Métaphysique (XII 7,1072
6 18-30 ; 9,1074 6 33-34 : votfoews voyais, et De anima, III 5,430 a 18 : rfj ovaia £>v ivépyeia),
il faut distinguer, nous dit S. Thomas (ibid, in corp.) la faculté qui en notre âme actualise
les intelligibles : « Sed dato quod «it aliquis talis intellectus agens separatus, nihilominus
tamen oportet ponere in ipsa anima humana aliquam virtutem ab illo intellectu superiori
participatam, per quam anima facit intelligibilia in actu». S. Thomas s'oppose dans
cet article à ceux qui, à la suite d'Avicenne, hypostasient en dehors de notre âme
l'Intellect agent, dator formarum, qui organise l'Univers matériel en même temps qu'il éclaire
les esprits (cf. 8. th., I 84,4) ; ce rôle de l'Intellect agent ainsi entendu n'exclut pas,
estime S. Thomas, s'appliquant à une interprétation correcte d' Aristote, une faculté
par laquelle notre âme extrait des données sensibles les espèces intelligibles. Mais dans
la doctrine averroïste de l'unité de l'intellect, ce n'est pas seulement l'intellect agent,
le pouvoir d'actualiser les intelligibles contenus en puissance dans le sensible, c'est
la faculté intellective en général, l'aptitude à percevoir les essences intelligibles ou
intellect possible, qui est retirée aux âmes individuelles et réservée à l'Intellect
transcendant (Cf. Contra gent., II 80,1 : « ...quod est unum in omnibus, sive hoc sit intellectus
agens tantum, ut Alexander dixit, sive cum agente etiam possibilis, ut dicit Averroès»).
(48) De spir. créât., 2 : « Oportet igitur principium hujus operationis quod est
intelligere, formaliter inesse huic homini ». Pour qu'un sujet connaisse, il ne suffit pas
que des objets divers lui soient représentés, il faut qu'il y ait en lui une faculté cognitive :
sed ut sit in ipso cognoscitiva potentia. Cf. Qu. de Anima, art. 2 : « Non enim aliquid
est cognoscitivum ex hoc quod ei adest species cognoscibilis, sed ex hoc quod ei adest
potentia cognoscitiva».
(49) j)e spir. créât., 2 : « Averroès posuit intellectum possibilem, secundum esse,
separatum a corpore».
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(50) Cf. les formules d'Aristote, commentées par S. Thomas, S. th., I 84,7, « Sed
contra: quod nihil sine phantasmate intelligit anima» (De anima, III 7,431 a 16-17)
et I 85,1 arg. 5 : « quod intellectus intelligit species in phantasmatibus » (Ibid., 431 6 2).
(51) Cf. Qu. de Anima, 3 : « Et inde est quod propter diversitatem phantasmatum
unus habet scientiam quo alius caret».
(52) De spir. créât., 9 : « Unde diversitas phantasmatum est extrinseca ab intellec-
tuali operatione; et sic non potest diversificare ipsam».
(53) S. th., I 85,1 arg. 3 : « Praeterea, in De anima III 7,431 a 14-15; 8,432 a 9-10,
dicitur quod phantasmata se habent ad animam intellectivam, sicut colores ad visum».
Cf. Qu. de Anima, 2 : «Phantasmata enim...se habent ad intellectum possibilem sicut
sensibilia ad sensum, et colores ad visum ». Cette seconde formule reproduit plus
exactement le texte grec de 431 a 14-15 : « rfj Se hiavor}TU<fj ipvxfî rà ^avrâo^aTa oîov alaO^fiara
virdpxei ». Dans les deux formules thomistes, la comparaison : sicut colores ad visum,
est une glose; mais elle est justifiée par le second texte aristotélicien (432 b 9-10):
« Ta yàp <f>avrdo[iaTa œonep alaO^fiara ion, irXr/v âvev vXrjs ». Si, en effet, l'image se
distingue de l'objet sensible par son immatérialité, il est clair que par l'objet sensible
(aïaOrjfia) il faut entendre la qualité sensible inhérente à la chose, la couleur de la pomme
par exemple, et non l'espèce sensible, reçue par la faculté sensitive et qui est déjà
immatérielle, en ce sens que « sensus. . .receptivus est specierum sine materia » (8. th.,
I 14,1 : Aeistote, De anima, II 12,424 a 17-21 ; III 2,425 6 23-24).
L'homme et son âme, selon S. Thomas d'Aquin 17
elle, et au niveau de l'imagination, dans les images dont elle est tirée
par abstraction (54) ; par là s'établit une continuité entre l'imagination,
faculté de l'âme sensitive, individuelle, et l'intellect unique,
transcendant (55). Ainsi l'espèce intelligible, par son double niveau d'expression,
est l'intermédiaire qui relie l'intellect possible avec l'homme
singulier (56).
S. Thomas rejette ces explications d'Averroès en précisant les
rapports de l'espèce intelligible et de l'image, tels qu'ils résultent
de la remarque fondamentale d'Aristote, de la comparaison qu'il
établit entre l'intellect et les sens (57). L'espèce intelligible, par laquelle
est informé l'intellect et par où s'effectue la connaissance, est
comparable à l'espèce visible, par laquelle est informé le sens de la vue
et par où s'effectue la vision (58). Or, si l'espèce visible a pour base
la couleur répandue sur les objets, sur un mur coloré par exemple,
ce rapport de la couleur au sens de la vue, ce lien du sensible en
puissance avec la faculté sensitive, grâce auquel le mur coloré est vu,
n'aboutit pas à rendre le mur proprement voyant. Pareillement, les
images qui sont dans l'âme sensitive sont des objets intelligibles
en puissance ; par leur rapport avec la faculté intellective, elles servent
de base à l'intellection ; mais l'intellection ne s'effectue pas dans l'âme
sensitive, pas plus que la vision dans l'objet coloré (59). Pour que
(54) Qu. de Anima, 2 : « Sic igitur species intelligibilis habet duplex subjectum :
unum in quo est secundum esse intelligibile... ; aliud in quo est secundum esse reale».
De spir. créât., 2 : « Sic ergo habet duplex esse : unum in intellectu possibili, eu jus est
forma; et aliud in phantasmatibus a quibus abstrahitur ». De unit, intel., III 28:
«Species enim intelligibilis ... habet duo subjecta... ».
(55) Qu. de Anima, 2 : « Est igitur quaedam continuatio intellectus possibilis cum
phantasmatibus, in quantum species intelligibilis est quodam modo utrobique; et per
hanc continuationem homo intelligit per intellectum possibilem ». De unit, intell., III 28 :
« et sic, dum intellectus possibilis intelligit, hic homo intelligit ».
(56) De spir. créât., 2 : « Phantasmata autem sunt in hoc homine, quia virtus
imaginativa est virtus in corpore...Ipsa ergo species intelligibilis est medium conjungens
intellectum possibilem homini singulari». De unit, intell., III 28: « dixit (Averroes)
quod intelligere illius substantiae separatae est intelligere mei vel illius, in quantum
intellectus ille possibilis copulatur mihi vel tibi per phantasmata quae sunt in me et
in te».
(57) De spir. créât., 9 : « Sciendum est autem quod Aristoteles processit ad conside-
randum de intellectu per similitudinem sensus ». Cf. Aristote, De anima, III 4,429 a 13-18.
(58) Ibid., 2 : « Sic igitur species intelligibilis, a phantasmatibus abstracta, est
in intellectu possibili, sicut species coloris in sensu visus».
(59) Ibid., suite : « sic autem est in phantasmatibus intelligibilis species sicut
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species visibilis est in colore parietis. Per hoc autem quod species visibilis, quae est
forma visus, fundatur in colore parietis, non conjungitur visus parieti ut videnti, sed
ut viso; non enim per hoc paries videt, sed videtur». Cf. Qu. de Anima, 2 in corp. ;
De unit, intél., III 29,3°.
(60) Cf. ci-dessus, n. 48, et la suite du texte cité de Qu. de Anima, 2 : « Patet autem
secundum praedicta, quod homini non aderit nisi sola species intelligibilis ; potentia
autem intelligendi, quae est intellectus possibilis, est omnino separata». On aboutit
de la sorte à un résultat absurde, mis en relief Contra gent., II 73,3 : « Si igitur hic homo
habet aliam animam sensitivam cum alio homine, non autem alium intellectum possi-
bilem, sed unum et eumdem, sequitur quod sint duo animalia, sed non duo homines;
quod patet impossibile esse».
D'ailleurs, les considérations d'Averroès se retournent finalement contre son dessein,
et montrent la disjonction entre les images et l'intellect possible plutôt que leur
continuité (« Per hoc igitur magis demonstratur disjunctio intellectus possibilis a phantas-
matibus quam continuatio »). En effet, pour que l'espèce intelligible qui est en puissance
dans les images s'unisse à l'intellect possible, soit appréhendée par lui dans une intellection
en acte, il faut qu'elle soit séparée des images par l'abstraction. Il faut donc conclure
que l'intellect possible et l'âme sensitive, où sont comprises les images, sont absolument
distincts, puisque pour s'unir à l'un il faut que l'espèce intelligible soit d'abord séparée
de l'autre (« Oportet enim illa esse omnino disjuncta, quorum uni aliquid uniri non
potest, nisi fuerit ab altero separatum »). De ces textes de Qu. de Anima, 2, on rapprochera
De unit, intel., III 29,2° : « Si ergo species intelligibilis non est forma intellectus possibilis
nisi secundum quod est abstracta a phantasmatibus, sequitur quod per speciem intelligi-
bilem intellectus non continuatur phantasmatibus, sed magis ab eis separatur».
(61) S. th., I 76,2 arg. 3 et 4.
(62) Ibid., I 84,5.
L'homme et son âme, selon S. Thomas d'Aquin 19
en principe une telle explication (63) ; mais il soutient que l'âme humaine
ne reçoit pas, en cette vie, l'illumination parfaite. Si elle est éclairée
par une lumière intérieure, par où elle participe à la raison divine,
elle ne connaît cependant les choses dans leur vérité que par le moyen
d'espèces intelligibles, qui ne sont pas des reflets en nous des divines
Idées, mais qu'il nous appartient de dégager par abstraction des
données sensibles (64) ; telle est la fonction de cette faculté de notre
âme qu'on appelle Y intellect agent (65). Mais la multiplication des
espèces intelligibles selon les divers sujets ne fait point obstacle à
l'objectivité de la connaissance; l'objet de la connaissance, ce n'est
pas, en effet, l'espèce intelligible elle-même, qui en est seulement
le moyen; l'objet, c'est la chose elle-même considérée dans son essence,
dans sa nature universelle, à l'exclusion de ses particularités
accidentelles (66); c'est pourquoi l'espèce intelligible, abstraite, doit être
uniforme en tous les sujets intelligents, à la différence de l'espèce
sensible, variable selon les différents sujets, parce que la sensation,
fonction organique, ne peut s'affranchir des circonstances particulières
de son exercice (67). Ce qui fait obstacle à l'objectivité de la
connaissance, ce n'est donc pas la multiplicité des espèces selon les indi-
(63) c£ par exemple Ibid,, I 79,5 ad 3m : « Unde oportet quod omnes homines
communioent in virtute quae est principium hujus actionis (se. intellectualis) ...Non
tamen oportet quod sit eadem numéro in omnibus ; oportet tamen quod ab uno principio
in omnibus derivetur».
(64) Ibid., I 84,5 : « Ipsum enim lumen intellectuale, quod est in nobis, nihil
est aliud quam quaedam participata similitudo luminis increati, in quo continentur
rationes aeternae...Quia tamen praeter lumen intellectuale in nobis exiguntur species
intelligibiles a rebus acceptae ad scientiam de rebus materialibus habendam...».
(65) Cf. ci-dessus, n. 47.
(66) 8. th., I 76,2 ad 4m : « Id enim quod intelligitur non est in intellectu secundum
se, sed secundum suam similitudinem ; lapis enim non est in anima, sed species lapidis,
ut dicitur in De anima (III 8,431 b 29); et tamen lapis est id quod intelligitur, non
autem species lapidis... ». Cf. De unit, intel., V 50 : « Est igitur dicendum...quod intellec-
tum, quod est unum, est ipsa natura vel quidditas rei. De rebus enim est scientia...,
non de speciebus intellectis...Hae autem species non se habent ad intellectum possibilem
ut intellectae, sed sunt species quibus intellectus intelligit, sicut et species quae sunt
in visu non sunt ipsa visa, sed ea quibus visus videt».
(67) 8. th., ibid. : « Sed hoc tantum interest inter sensum et intellectum, secundum
sententiam Aristotelis, loco nunc cit., quia res sentitur secundum illam dispositionem
quam extra animam habet in sua particularitate ; natura autem rei quae intelligitur,
est quidem extra animam, sed non habet illum modum essendi extra animam secundum
quem intelligitur. Intelligitur enim natura communis, seclusis principiis individu-
antibus ».
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pas que si notre âme n'était un principe subsistant par soi, elle ne serait
pas capable d'une opération par soi, comme l'intellection, où le corps
n'a point de part ("). De ce point de vue, l'âme humaine se distingue
radicalement des âmes animales et s'apparente aux pures Intelligences,
qui sont des formes séparées, existant en dehors de toute matière (78).
Or ces substances séparées n'en sont pas moins des êtres distincts
les uns des autres, des individus (79). Par cette considération, nous
sommes amenés à comprendre que l'individuation n'est pas seulement
l'effet de la matière; il n'en va de la sorte que dans les substances
matérielles, constituées par une forme incapable de se réaliser en
dehors d'une matière ; tel est le cas des corps bruts, simples ou mixtes,
et des êtres vivants, végétaux et animaux, à l'exception de l'homme.
Les formes de cette nature ne peuvent se réaliser que dans une diversité
d'exemplaires, d'individus distingués numériquement par la matière
qui les reçoit (80). Il en va autrement des substances séparées, des
créatures spirituelles, et du Créateur lui-même. Dieu, l'Intellect
transcendant, Acte pur, exempt de toute matière, n'en est pas moins
un individu ; et les Anges, pures Intelligences, substances immatérielles,
se distinguent les uns des autres par des différences purement
formelles ; leur diversité ne saurait provenir de la matière, ni de
particularités accidentelles; ils sont individualisés par leur forme, de sorte
que chacun d'eux est unique en son espèce (81).
Les âmes humaines, elles aussi, subsistent par soi et, malgré les
apparences, ne reçoivent pas leur individualité de la matière. À la
différence des formes matérielles, elles ne tiennent pas leur esse,
leur existence actuelle, de leur réalisation dans une matière; ce n'est
donc pas non plus de la diversité des corps qu'elles tiennent leur
unité respective, leur distinction numérique (82). Chaque âme humaine
est une, est un individu, en tant qu'elle est une forme capable d'exister
sans se multiplier dans la matière, sans se diversifier dans une multitude
de corps. Chaque âme est unie à un corps, dont elle a besoin non pour
exister, mais pour exercer son opération propre, l'intellection. L'âme
humaine est un principe d'intellection, le principe d'une opération
immatérielle, et par conséquent subsiste par soi (83) ; mais en raison
de son imperfection, de son rang inférieur dans l'ordre des substances
intellectuelles, elle ne peut exercer son activité sans le concours des
fonctions sensitives. Elle ne dispose pas d'idées innées, d'espèces
intelligibles imprimées naturellement en elle; il lui faut les dégager
laborieusement des impressions sensibles et des images ; voilà pourquoi
elle doit être unie à un corps (84). Elle est essentiellement un principe
comprehendens ipsam, ... nihil prohibet quin habeat aliquam operationem vel virtutem
ad quam materia non attingit».
(89) Cf. 8. th., I 76,3 et ci-dessus, notes 17 et 18.
(90) De potentia 3,10 : « Diversitas autem secundum numerum in eadem specie
ex differentia materiali procedit : quae quidem animae competere non potest secundum
materiam ex qua fit, sed secundum materiam in qua fit».
(91) Qu. de Anima, 3 : « Si enim aliquid quod sit de ratione alicujus communis
materialem multiplicationem recipiat, necesse est quod illud commune [le composé,
to koiv6v\ multiplicetur secundum numerum, eadem specie rémanente : sicut de ratione
animalis sunt carnes et ossa; unde distinctio animalium, quae est secundum has vel
illas carnes, facit diversitatem in numéro, non in specie» (Cf. Aeist. Metaph., VII
10,1035 b 27-31).
(92) Cf. ci-dessus n. 80.
(93) Cf. ci-dessus n. 82.
U.C.L.
NSTÏTUT SUPERIEUR DE PHILOSOPHE
Bibliothèque
Collège D. Mercier
Place du Cardinal Mercier. 14
26 Joseph Moreau
esprits, p. 24. Cf. S. Thomas, 8. th., I 75,2 : « Si igitur principium intellectuale haberet
in se naturam alicujus corporis, non posset omnia corpora cognoscere ».
(îoo) cf. Pascal, Pensées, n° 348 Brunschvicg, et notre ouvrage : La conscience
et Vêtre, p. 141, où sont commentées les formules heideggeriennes, telles que : « Dasein
ist %n der Wahrheif» (Sein und Zeit, p. 221).
(101) Cf. L'horizon des esprits, p. 94-99.
(102) Cf. ci-dessus, n. 33.
(ma) Spinoza, Éthique, II 11-13,23.
(104) Ibid., IV 36, scol. : « Pertinet namque . . . ad mentis humanae essentiam,
adaequatam habere cognitionem aeternae et infinitae essentiaè Dei ».
f, a. Daebon, Études spinozistes, p. 48, n. 4.
28 Joseph Moreau
(106) cette confusion est dénoncée par S. Thomas, S. th., I 79,5 ad 1 : « Intellectus
autem possibilis dicitur separatus, quia non est actus alicujus organi corporalis; ... non
quasi sit aliqua substantia separata ». Cf. ci-dessus, n. 47.
(107) Spinoza, Éthique, Y 40, scol., et notre étude : Spinoza et le spinozisme, p. 84-86.
(108) Spinoza, Éthique, V 29, scol. : Les choses singulières peuvent être considérées
d'une part dans les conditions de leur existence spatio-temporelle (cum relatione ad
certum tempus et locum existere), d'autre part dans leur essence éternelle, comme
des conséquences nécessaires de la nature divine (quatenus ipsas in Deo contineri et
ex naturae divinae necessitate consequi concipimus). Or cet enchaînement des essences
éternelles (series rerum fixarum aeternarumque) est une hiérarchie d'individus, dont
est constituée la fades totius universi (Cf. Spinoza et le spinozisme, p. 40-44).
(109) Une telle conception, professée par Origène, est vigoureusement combattue
par S. Thomas, S. th., I 47,2; 90,4; Contra gent., II 44; De potentia 3,16 D; Qu. de
Anima, 7, etc.
L'homme et son âme, selon S. Thomas d'Aquin 29