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Revue des Études Grecques

Synésios, évêque et philosophe


Denis Roques

Citer ce document / Cite this document :

Roques Denis. Synésios, évêque et philosophe. In: Revue des Études Grecques, tome 95, fascicule 452-454, Juillet-décembre
1982. pp. 461-467;

doi : https://doi.org/10.3406/reg.1982.1338

https://www.persee.fr/doc/reg_0035-2039_1982_num_95_452_1338

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SYNÉSIOS, ÉVÊQUE ET PHILOSOPHE

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(1) Bregman (Jay), Synesius of Cyrene, Philosopher-Bishop, Berkeley and


Los Angeles, University of California Press, 1982, 206 p.
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« S. était d'abord et avant tout un philosophe » (p. 182), « un néoplatonicien
conforme à l'enseignement d'Hypatie, c'est-à-dire d'obédience porphyrienne et
hostile à la théurgie » (p. 182). « II croyait dans le dieu des philosophes, non
dans celui d'Abraham, d'Isaac et de Jacob » (p. 184), et s'efforça sa vie durant,
selon VA., de « verser le vieux vin hellénique qu'il aimait tant dans de nouveaux
flacons chrétiens » (p. 176).
J. Bregman insiste d'abord (chap. I) sur les études néo-platoniciennes de S.
à Alexandrie et met en relief l'esprit syncrétique et tolérant qu'Hypatie y
entretenait autour d'elle : V Hymne IX, « ilinerarium mentis ad Deum
néoplatonicien » (p. 36Ί et les lettres à Herculien, condisciple de S., témoignent
éloquemment de « la conversion de S. à la philosophie » : l'enseignement porphy-
rien lui aurait fourni « les moyens les plus propices à un philosophe païen pour
jeter des ponts intellectuels vers le christianisme » (p. 39), tout en empêchant S.
de devenir un chrétien orthodoxe.
Un second chapitre, consacré au retour de S. en Cyrénaïque et surtout à son
ambassade à Constantinople (399-402), illustre l'évolution que les événements
Firent subir à la pensée du Cyrénéen. Hellène et philosophe, ce dernier suivit
le chemin qu'avait balisé Thémistios, mais adapta sa pensée à la réalité politique
contemporaine (progression des Goths et, en particulier, menaces sur la cité
même de CP en 399-400). Sa communauté de vues anti-gothiques avec le
Préfet du Prétoire Aurélien et le milieu politique traditionaliste, composé de
catholiques, amenèrent S. « à commencer à trouver un fond idéologique commun
avec le christianisme» (p. 57) : «il voulait que celui-ci devînt une nouvelle
forme d'expression de l'hellénisme » (p. 59).
Une part essentielle de l'ouvrage (chap. Ill à VI, pp. 60-154) est ensuite
réservée aux «années intermédiaires », antérieures donc à l'épiscopat de S., et
que l'auteur situe de 402 à 409. Dans un premier temps (chap. Ill sont analysés
un passage bien connu de V Hymne I (vv. 428-481) qui évoque les fréquentations
religieuses de S. à CP, puis diverses indications importantes du Péri Pronoias
ou Bécil Égyptien. Tout en reconnaissant que S. a fait vers 402 un début de
chemin vers le christianisme, l'A. relève la conception et les sources
platoniciennes du Récit pour conclure sur « les perspectives tolérantes et syncrétistes »
de S.
Les chap. IV et V examinent respectivement les conceptions de la Trinité
et de l'Incarnation que laissent transparaître les Hymnes. La comparaison des
vues trinitaires de Y Hymne I et de la conception trinitaire plotinienne (chap. IV)
suggérerait que par l'intermédiaire du monisme porphyrien S. aurait tenté de
lancer un pont entre christianisme et néoplatonisme. Dans les Hymnes I et //
certaines notations rappelleraient aussi bien les triades des Oracles Chaldaïques
dans l'interprétation porphyrienne que la Trinité chrétienne. Ainsi les Hymnes,
loin de « refléter une confusion religieuse, seraient plutôt le résultat d'un grand
effort conscient pour harmoniser certains des plus subtils aspects des théologies
mystiques du paganisme et du christianisme » (p. 88^. Quant à la sphragis patros
de Y Hymne I, v. 620, il ne faudrait pas y voir le symbole chrétien du baptême
(G. Lacombrade, H. I. Marrou), mais « un symbole d'initiation théurgique »
emprunté aux Oracles Chaldaïques.
A la Trinité ^chap. IV) succède l'Incarnation (chap. V). Rappelant, à la
suite d'A. D. Nock, les mythes païens qui pouvaient faire comprendre la
personnalité du Christ, l'A. souligne que les opposants les plus irréductibles à celle-ci
étaient les Platoniciens. « L'Hymne IV accentue le côté mystique et
métaphysique plutôt qu'humain du Christ » (p. 98) et « YHymne III applique des
SYNÉSIOS ÉVÊQUE ET PHILOSOPHE 463
idées chaldaïques au dogme chrétien de l'Incarnation » (p. 99). Dans V Hymne VI,
qui fait pourtant référence aux présents des Mages (encens, or, myrrhe),
J. Bregman insiste sur la persistance de l'imagerie païenne (figure d'Héraklès),
qu'on retrouve dans V Hymne VIII. Pour l'A. l'Incarnation décrite par S.
réfère à des « traditions néoplatoniciennes et chaldaïques » (p. 109). La christo-
logie de S., qui présenterait des analogies avec celle d'Origène, demeure
cependant floue : ses ignorances sur la Passion, la Résurrection, le Jugement
dernier montrent qu'il n'avait « qu'une vague notion de l'histoire du Christ
et des idées chrétiennes sur l'Incarnation » : « il restait en dehors du courant
majeur de la tradition chrétienne » (p. 120). « Au temps de la composition des
Hymnes, S., qui ne fut jamais hostile à l'Église et était une sorte d'universaliste
en matière religieuse, tentait d'harmoniser son platonisme avec le christianisme ».
Le chap. VI est consacré à l'étude de l'idéal culturel de S. tel que le Dion
et la lettre 164 le définissent. Le Cyrénéen s'y attaque, on le sait, à deux catégories
de personnages : les « manteaux blancs » et les « manteaux noirs » (lettre 154 .
La première appellation viserait à la fois les auteurs du Corpus hermelicum,
les Cyniques et les sophistes professionnels (p. 131^, tandis que la seconde
concerne le monachisme dont S. dénonce l'ascétisme barbare. Attaché à la
paidéia et à la philosophie platonicienne, S. aurait tenté d'helléniser l'Église.
Ses tendances syncrétistes (selon lui seuls Amous, Zoroastre, Hermès Trismégiste
et saint Antoine seraient parvenus à entretenir des relations privilégiées avec
la Divinité) le tenaient à l'écart du monde chrétien, « avec lequel, de l'extérieur,
il élaborait un compromis » (p. 145). A la différence des Pères Cappadociens
S. plaçait la philosophie avant la révélation. Le Traité des Songes, contemporain
du Dion, illustre cette idée, et c'est l'occasion pour l'A. d'examiner l'originalité
de S., en particulier de la théorie de Γ ochèma- pneuma ; J. Bregman en atténue
l'aspect novateur en soulignant la dette importante de S. non seulement à
l'égard de Porphyre, mais aussi des Oracles Chaldaïques.
Un bref développement (chap. VII) porte sur l'accession de S. à l'épiscopat
et étudie surtout les objections dogmatiques formulées par ce dernier dans
l'importante lettre 105 : croyance à la préexistence de l'âme, à l'éternité du
monde et scepticisme sur le mystère de la Résurrection. Contre II. 1. Marron,
l'A. affirme que S. « n'a jamais abandonné ses positions philosophiques.
Il n'accepta le dogme chrétien que dans la mesure où il était compatible avec
la philosophie. 11 ne tenta pas d'utiliser la philosophie pour prouver la validité
rationnelle de la doctrine chrétienne » (p. 161). En somme pour S. la nouvelle
religion servait le néoplatonisme : « theologia ancilla philosophiae » (p. 162).
La période episcopate (chap. VIII) donne à l'A. l'occasion d'examiner la
portée des fragments d'Homélies que nous avons conservés. Pour l'A. aucun
doute possible : dans VHomélie I S. «conserve les valeurs de l'hellénisme et
son orientation philosophique » (p. 166), et VHomélie II transforme la cérémonie
pascale en « une initiation aux mystères interprétée à la mode
néo-platonicienne ». S. restait un « universaliste de cœur» (p. 168). Les deux Catastases
traduiraient, avec la lettre 147, « la religiosité philosophique » de l'évêque.
Quant aux Eunomiens qui, peu après l'accession de S. à l'épiscopat, tentèrent
de prendre pied en Cyrénaïque, l'évêque de Ptolémaïs aurait combattu leurs
menées parce que, en divisant l'Église, elles divisaient par là-même la « Graeco-
roman way of life ». « S. n'était pas orthodoxe, mais il voulait sincèrement une
Église chrétienne qui maintînt les valeurs et l'idéal helléniques » (p. 176).
La conclusion (pp. 177-184) reprend les idées-forces de l'ouvrage, que l'on
peut résumer ainsi. Constatant le succès historique de l'Église, S. a vu en elle
464 DENIS ROQUES
le moyen historique de préserver les valeurs traditionnelles de l'hellénisme.
Les croyances de S., pour l'essentiel compatibles avec les idées chrétiennes,
lui permirent d'adopter la nouvelle règle du jeu sans l'empêcher de continuer à
philosopher. En acceptant l'épiscopat S. tranchait avec le groupe païen (Julien,
Symmaque, Praetextatusï et se conduisait en « collaborateur ». Il ouvrait ainsi
une voie philosophique vers l'Église pour les aristocrates issus du vieux moule
classique gréco-romain. Mais, philosophe-évêque, S. « interprétait la religion
comme une philosophie et affirmait la primauté de la raison », se rapprochant
moins de ses contemporains chrétiens qu'il n'annonçait certains philosophes
islamiques comme Avicenne et surtout Al Farabi et Averroès. En S. s'incarnait
un nouveau type de philosophe adapté aux temps nouveaux : le philosophe-
évêque, avatar du philosophe-roi platonicien (p. 174).
Ce nouvel essai sur la personnalité de S. mérite quelques remarques critiques.
Du point de vue formel l'ouvrage, composé agréablement en chapitres assez
brefs, ne peut recueillir que l'approbation, tout comme, en général, le
commentaire qui, ponctué de formules marquantes et de résumés clairs, retient l'essentiel
de problèmes par ailleurs complexes. L'A. s'est, de plus, efforcé de donner le
plus de documents possible, en traduction anglaise dans le texte et en grec
dans les notes. Les traductions ont le mérite d'être personnelles et de ne pas
simplement reproduire celles d'A. Fitzgerald. En revanche les citations en grec,
quoique généralement bien choisies, sont déparées par des fautes d'accentuation
assez nombreuses qui ne sont pas toutes des erreurs typographiques : cela nuit
quelque peu à la qualité de l'ouvrage.
On ne peut par ailleurs s'empêcher de manifester de l'étonnement à la lecture
de la bibliographie. Les sources antiques sont généralement citées par renvoi
à la Ρ G ou à des éditions déjà vieilles d'un demi-siècle et qui ont été soit
partiellement soit totalement remplacées depuis. Surtout, on n'y trouve pas l'excellente
édition des Lettres de S. procurée par le Prof. A. Garzya et publiée en 1979
alors que la bibliographie s'arrête par ailleurs en 1980).
Dans les études modernes auxquelles renvoie cette dernière et qui ne se
limitent pas à l'érudition anglo-saxonne, on constate, en dépit d'une information
en général étendue, quelques lacunes, en particulier d'ouvrages de langue
française. Ainsi les livres ou articles d'A. Chastagnol sont totalement ignorés
ainsi que la thèse de G. Dagron sur La naissance de Constantinople ou celle
d'E. Demougeot sur le passage de L'unité à la division de VEmpire romain de
39-r> à 410, ou encore celle d'A. M. Malingrey sur Philosophia. L'ouvrage de
H. Von Campenhausen sur Les Pères grecs est oublié, l'édition des Traités
théologiques sur la Trinité due à P. Henry et P. Hadot est négligée, la Nouvelle
Histoire de Γ Église, t. I de J. Daniélou-H. I. Marron n'est pas mentionnée,
alors que d'autres livres gagneraient à être supprimés (ceux d'Evans-Pritchard
sur les Senoussi, de D. Johnson sur le Jabal-Akhdar, et même de P. Petit sur
Les étudiants de Libanios, auteur du reste inconnu dans la liste des sources).
Là encore on regrette vivement l'absence de toute référence aux travaux
d'A. Garzya, l'un des meilleurs spécialistes de Synésios tant sur le plan
philologique que sur le plan culturel.
Mais l'essentiel des réflexions que l'ouvrage de J. Bregman suscite — c'est
l'un de ses mérites — porte sur le fond même, c'est-à-dire sur l'évolution

spirituelle de S. Il faut savoir gré à l'A. d'avoir largement utilisé la documentation


des Oracles Chaldaïques qu'avaient méconnue ou négligée les précédents
spécialistes de S., et pour laquelle on dispose maintenant de l'édition donnée par
E. Des Places (Paris, 1971). Mais cette utilisation même a infléchi la pensée de
l'auteur de façon peut-être trop systématique.
SYNÉSIOS KVÊQUE ET PHILOSOPHE 465
La thèse générale de ΓΑ. consiste à mettre en lumière la continuité des
attitudes spirituelles de S. depuis les années d'études à Alexandrie jusqu'à
sa mort. De bout en bout néoplatonicien, S. n'aurait fait qu'adapter sa
philosophie au christianisme, juste assez pour helléniser ce dernier et permettre ainsi
la pérennisation de l'hellénisme. Une telle thèse n'est pas nouvelle, en dépit
de l'argumentation renouvelée qu'on donne J. Bregman. Elle pose une question
fondamentale : celle de savoir s'il y a bien eu uniformité dans la pensée de S.
et non soit évolution progressive (H. I. Marron), soit même, à un moment
donné, rupture.
Pour définir un itinéraire, il faut connaître un point de départ et un point
d'arrivée. L'A., fidèle en cela à une tradition déjà ancienne, considère S. comme
un représentant dès l'origine d'un paganisme, sinon cultuel, du moins culturel.
Mais tout porte à croire, malgré une opinion persistante, que S., loin d'appartenir
originellement à un milieu païen, est né dans une atmosphère familiale
chrétienne. Même si telle constatation ne change rien à la philosophie propre
du Cyrénéen, fortement marquée par les années d'études à Alexandrie, elle ne
manque pas de jeter un éclairage tout différent sur le sens de l'évolution
spirituelle de S. Car ce dernier devient dès lors, au lieu d'un païen endurci (thèse
de J. Bregman ou d'un païen devenu chrétien (thèse de C. Lacombrade, revue
et corrigée dans un sens chrétien par H. I. Marrou) un chrétien d'origine que
l'éducation philosophique alexandrine a transformé momentanément en
philosophe néoplatonicien, mais qui, par la suite, est progressivement revenu,
non sans hésitations ni un syncrétisme peu orthodoxe, au christianisme initial.
En somme, au lieu d'une absence d'évolution (J. Bregman) ou d'une évolution
linéaire C. Laeombrade, H. 1. Marron· il pourrait bien s'agir d'une trajectoire
en ligne brisée : du christianisme (milieu d'origine) au christianisme (de CP.
jusqu'à l'élection épiscopale; en passant par une période de paganisme culturel
études philosophiques à Alexandrie) qui laissera des traces profondes jusqu'à
l'élection épiscopale vcf. le Dion, le Trailé sur les Songes et les objections soulevées
dans la Lettre 10ό .
L'évolution spirituelle de S. pourrait donc bien être moins simple que ne le
penserait J. Bregman. Elle l'est en fait d'autant, moins que l'on dispose de
données chronologiques encore sujettes à caution. L'A., qui suit en général
la chronologie élaborée en 1951 par G. Lacombrade (avec les revirements de
ce dernier pour les Hymnes en 1978), ne s'est pas proposé d'étude critique sur
ce problème pourtant important. Certaines affirmations semblent à tout le
moins hypothétiques : ainsi de l'existence de raids en Cyrénaïque en 395 (p. 42\
de la visite de S. à Antioche (p. 4P, de la rédaction de la lettre 148 en 408 (p. 75),
de la composition du Dion (p. 127) et du Traité sur les Songes (p. 145) en 405/406,
île l'ordination épiscopale en 410 (p. 155). Les recherches chronologiques que
j'ai menées invitent à situer par exemple la lettre 148 en 402 (ce qui influe
sur la compréhension de la formule finale de cette lettre, la composition du
Diun et du Trailé en 404, l'ordination au début 412. En somme, comme les
attitudes philosophiques reçoivent un éclairage différent selon la chronologie
adoptée, toute étude d'une évolution de pensée doit commencer par une étude
aussi objective que possible des données de fait.
Toutefois une chronologie ferme ne suffit pas. 11 convient d'y ajouter une
grande prudence dans l'analyse, particulièrement de mise à propos de notions
philosophiques subtiles qui appartiennent peu ou prou à une koinc culturelle
dominée par le néo-platonisme. J. Bregman, qui marque fortement l'influence
des Oracles chaldaïques sur S., n'a pas manqué de sentir lui-même les difficultés

REG, XCV, 1982/2, n°s 452-454. 11


466 DENIS KOQUES
de leur interprétation (cf. p. 114 et p. 145 sq.). Leur état fragmentaire et,
partant, leur obscurité, leurs affinités avec d'autres doctrines dualistes en
rendent délicate la compréhension (cf. d'ailleurs p. 149 et n. 92 ; p. 153 et n. 111
où les précautions se multiplient). Par ailleurs le néoplatonisme lui-même ne
s'oppose pas nécessairement à l'élaboration du christianisme. Plusieurs études
récentes que ΓΑ. ignore (par ex. J. Daniélou, Grégoire de Nysse et le néoplatonisme
de VÉcole d'Athènes, in REG 80, 1967, 395-401 ; P. Courcelle, Grégoire de Nysse
lecteur de Porphyre, ibid., 402-406) mettent en relief la culture néoplatonicienne
de? Pères Cappadociens. Il est donc trop rapide d'inférer du néoplatonisme de S.,
au demeurant nullement original, que le Cyrénéen se souciait peu du
christianisme et n'avait en vue que la conservation des valeurs de l'hellénisme.
De ce point de vue les réflexions qu'avait autrefois développées H. I. Marron
dans son compte rendu de la thèse de G. Lacombrade (REG 65, 1952, 474-4841
ou dans son article sur S. et le néoplatonisme alexandrin, gardent toute leur
pertinence. L'idée que néoplatonisme et christianisme puissent coexister paraît
heurter J. Bregman. Il faut cependant se garder de réagir avec la logique de
l'homme moderne et prendre conscience, comme y invitait H. I. Marron, quo
vers 400 la doctrine de l'Église était loin d'être définitivement élaborée et
constituée en dogme intangible.
D'un autre côté l'essai de J. Bregman, qui envisage la biographie spirituelle
de S. hors de tout contexte historique — et c'est là une faiblesse de l'ouvrage —


ne tient pas compte des réalités ecclésiales qui en sont inséparables. Le
christianisme de S., si teinté de néoplatonisme qu'il puisse paraître, devait s'accorder
moins au dogme qu'aux dispositions des fidèles, qui n'étaient pas tous diplômés
de théologie. L'étude du milieu ecclésial de Pentapole montre l'extrême
dépendance de la province, vers 400, à l'égard du Siège archiépiscopal d'Alexandrie.
Théophile, qui avait platonisé avant S., savait que l'essentiel ne résidait pas
tant dans les subtilités théologiques que dans l'observance et le maintien d'une
discipline hiérarchique. Il fallait aux Libyes moins un théoricien qu'un homme
d'action qui veillât aux avantages matériels de l'Église, menacée par les querelles
d'intérêts, de personnes, et victime, en Pentapole, des attaques barbares.
Que les Homélies ou les Catastases soient encore à l'occasion teintées de
philosophie hellénique importe donc peu. Le point capital était que S. défendît
l'Église contre les agressions bien réelles qu'elle subissait : plus question de
philosophie, mais d'histoire. Au reste l'histoire enseigne aussi le rôle exceptionnel
que jouèrent successivement les personnalités d'Athanase, de Théophile et de
Cyrille d'Alexandrie sur l'épiscopat des Libyes. Lorsque S. déclare à deux
reprises (lettres 11 et 96 de l'éd. Garzya^ : « Dieu a réalisé non mes vœux, mais
Sa volonté », il n'est pas sûr qu'il ne faille pas voir en filigrane la volonté de
Théophile.
Une dernière remarque d'ordre historique. Contrairement à ce que pense
J. Bregman, S. n'a pas exercé l'épiscopat de 410 à 414, mais seulement (selon
mes recherches chronologiques) du début 412 à la mi-413 : non quatre ans,
mais un an et demi. Il est donc concevable que le christianisme de S. n'offre
pas la pureté doctrinale des conceptions que tant d'autres dignitaires de l'Église
contemporaine avaient, au fil des décennies et au choc des épreuves, eu l'occasion
de préciser et d'affiner. La vie impose des exigences que la pensée ne peut
qu'accepter.
En résumé les quelques remarques, non exhaustives, qui viennent d'être
formulées visent toutes à intégrer davantage la biographie spirituelle de S.
dans la réalité historique contemporaine en tenant mieux compte des contraintes
SYNÉSIOS ÉVÊQUE ET PHILOSOPHE 467
chronologiques de la Correspondance, des nécessités de l'histoire intellectuelle
du Bas Empire et de la vie civile et religieuse de la Pentapole.
Ces réserves ne mettent nullement en cause la qualité du travail de
J. Bregman dans une recherche qui est par nature délicate et exige austérité
et rigueur. Son ouvrage fail le point sur la personnalité complexe de S. et,
sans remplacer la thèse de C. Lacombrade, la complète et l'actualise
heureusement. Et même si l'on ne partage pas toujours les conclusions de l'auteur, on ne
pourra pas ignorer cette étude utile et documentée que devra désormais utiliser
avec profit toute approche scientifique des mentalités philosophiques et
religieuses du Bas Empire.
Denis Roques.

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