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DU M~ME AUTEUR
AUX « ÉDITIONS SALVATOR », MULIfOUSE TROISIÈME PARTIE
Nihil obstat :
POURQUOI DIEU S'EST-IL FAIT HOMME?
'".-
~;.
'. triomphant.
Dans la série de sermons que nous venons de ter-
miner, nous avons étudié cette question: qu'était le
1) LE SYMBOLE DES APÔTRES POURQUOI DIEU S'EST-IL FAIT HOMME? 7
Christ et qu'a-t-Il enseigné? Dans celle que nous Sauveur. Pourquoi le Fils de Dieu s'est-Il fait homme,
commenç~ns maintenant, nous verrons ce que le qu'est-ce que le péché originel, qu'est-ce que le Sauveur,
Christ a fait pour nous et comment Il nous a sauvés. qu'est-ce que la Rédemption, que signifie cette phrase,
Les précédentes instructions reposaient sur cet article maintenant nous sommes sauvés? voilà les questions que
du Symbole: « Je crois en Jésus-Christ, Fils unique de je veux ' d'abord traiter dans des sermons spéciaux,
Dieu, qui a été conçu du Saint-Esprit, est né de la de manière que nous puissions, en pleine connaissance
Vierge Marie ». Le cycle que nous commençons aujour- et de toute notre âme, nous tenir près de Notre-Seigneur
d'hui sera consacré à l'explication de l'article suivant: dans sa Passion et sur le chemin de la croix.
« A souffert sous Ponce Pilate, a été crucifié, est mort, Je vais donc étudier dans l'instruction d'aujourd'hui ·
a été enseveli ... ». cette question générale : Pourquoi le Christ est-Il
J'ai l'impression, mes frères, que ce thème de prédi- descendu sur la terre? C'est-à-dire pourquoi le Fils de
cation va nous rapprocher davantage encore du divin Dieu s'est-Il fait homme?
Maître. Le sujet précédent, « Que nous a enseigné Nous pouvons fournir à cette question une triple
le Christ? » s'adressait plutôt à notre raison; celui réponse: le Fils de Dieu s'est fait homme: 1 pour
d'aujourd'hui, « Qu'a souffert le Christ pour nous?» nous enseigner; II pour nous sauver et III pour nous
parle davantage à notre cœur. Et si déjà nous pouvions apprendre à glorifier Dieu parfaitement.
dire avec les disciples d'Emmaüs, lorsque nous
étudions l'enseignement du divin Maître, que notre
cœur était tout brûlant au-dedans de nous (S. Luc XXIV,
32 ), combien davantage s'élèvera en nous la flamme
1
de l'amour, lorsque nous comprendrons la grandeur
sans limite de son sacrifice, lorsque nous serons les
LE CHRIST NOUS A ENSEIGNÉS.
obstacle insurmontable à la conversion des païens. Le Seigneur tient en main la feuille sur laquelle Adam
Mais aujourd'hui nous reconnaissons et nous croyons a inscrit le premier péché et que les autres hommes après
ouvertement que Notre-Seigneur nous a révélé quantité lui ont remplie complètement. Mais le Christ a attaché
de choses sublimes sur Dieu, sur l'âme, la vie éternelle cette feuille à la croix, son sang a coulé dessus et a
et le but de la vie terrestre, que dans son Discours sur effacé la dette. Le Christ a reçu sur la croix des plaies
la montagne Il nous a fait connaître une foule de vérités avec lesquelles Il guérit nos plaies. Le Christ est mort ·
nouvelles, merveilleuses et qui réjouissent le cœur et pour nous et nous a ainsi sauvés de la mort éternelle.
qu'Il est allé encore plus loin en versant son sang, Maintenant je sais ce qu'a été le Christ pour nous.
sa sueur et ses larmes, par ses souffrances et par sa Je suis malade - le Christ est mon médecin. Je suis
mort, que par ses paroles. pécheur - le Christ est mon libérateur. Je suis .égaré
Et c'est ainsi que nous avons la réponse à notre -le Christ est la voie. Je suis ignorant -le Chnst est
seconde question. Le Fils de Dieu s'est fait homme la vérité. Je suis mort - le Christ est la vie. .
non pas seulement pour nous instruire, mais encore Il ne faut que réfléchir un peu, pour aimer le Christ.
pour nous sauver par ses souffrances. Le Père éternel aurait pu nous punir pour nos péchés,
comme Il avait châtié les anges rebelles : sans pitié.
Mais Il ne le fit pas. Il voulait pardonner.
II Le Christ aurait pu aussi venir sous la forme d'un
ange. Mais Il ne l'a pas fait: Il a voulu se faire homme.
LE CHRIST NOUS A SAUVÉS. L'homme par le péché s'était précipité dans l'abîme
et le Christ a voulu descendre dans cette profondeur.
Dans l'histoire, on lit de temps à autre des gestes
A) Un noir nuage planait au-dessus de l'humanité magnifiques de créanciers convoquant leurs débiteurs
avant le Christ et les hommes cheminaient à tâtons et déchirant devant eux leurs reconnaissances de dette
sur la route de la vie. Même chez les Juifs le jour ne et les jetant au feu. Mais le Christ n'avait pas à remettre
faisait que poindre. Finalement le soleil se leva, le une dette terrestre et Il ne le fit pas aussi facilement en
nuag~disparut, le Christ apparut. déchirant simplement le reçu, mais Il fit réparation en
Lorsque la plénitude des temps fut arrivée et que la versant son sang. .
misère du péché fut parvenue à son comble, le Sauveur La seule idée directrice de toute sa vie, avec laquelle
apparut pour effacer notre dette. Un grand malade était Il arriva et Il partit, à laquelle Il se prépara, sur laquelle
étendu à terre et il fallait que vint le Médecin du ciel. Il régla tous ses plans, tout son zèle, toute son âme,
I Sa.~nt Jean Ch~ySQ_~t2me exprime aiQsi cette idée; à un d~gré élllinentj fut la croix)! a enseign~ ~eauçoup
POURQUOI DIEU S'EST-IL FAIT HOMME? 13
IZ LE SYMBOLE DES APÔTRES
b) Mais nous pourrions également 'donner une autre
de choses, mais si l'on voulait résumer toutesadoctdne réponse. Si sur terre nous ne comprenons pas les
en un seul mo~, ce mot serait : la croix. Il a accompli pensées de Dieu, nous les soupçonnons tout au moins
beau COU? de mIracles et de prodiges, mais si l'on v:oulait et cette idée à elle seule est déjà une réponse à notre
les réumr en un seul, ce serait : la croix. difficile question. Dieu n'avait pas voulu la chute de
': Et quel but poursu~vait le Christ par ses souffrances l'homme. Mais dès qu'elle fut arrivée, Dieu s'efforça
et p~r sa.m.0rt.?Il a :am~u sur le bois (le bois de la croix) d'en tirer quelque bien et sut le triste fait de la chute
CelUI ~UI JadIs avaIt vamcu par le bois (de l'arbre du Il a édifié la joie sublime de la Rédemption. S'il n'y
paradIs), chante l'Église dans une des Préfaces de la avait pas de péché, il niy aurait pas de Rédemption;
n;ess~. «.II a détruit. la mort» (II Timothée l, 10), s'il n'y avait pas eu de péché, le Christ ne serait pas
C est.-,a-dlre cette pUissance épouvantable qui se tient descendu sur la terre. C'est ainsi que nous pouvons com-
de~nere la mort, la puissance du démon. Il a brisé la
prendre ces paroles incroyables de saint Augustin que
pUIssance du péché sur nous: « Il s'est livré L~i-même l'Église chante au matin du Samedi-Saint: 0 felix culpa!
po~r nous, afin de nous racheter de toute iniquité »
(~Ite II, 14). L'acte qui était contre nous et nous accu-
o heureuse faute qui nous a valu un tel Rédempteur 1
C) Nous avons là sous les yeux une explication et
saIt, Il l'a ~lou,é à la croix ct l'a déchiré (Colossiens II, 14). une justification remarquables de la Passion du Christ:
B). Mals ~ homme n'est pas satisfait et pose cette Quelle est donc la valeur de mon âme, pour que le Christ
questIOn: DIeu savait pourtant d'avance que l'homme
soit mort pour elle?
commettrait le péché; Il prévoyait les nombreuses Quelle est ma valeur sans mon âme? Les chimistes
souffrances qui en résulteraient, pourquoi néanmoins ont calculé exactement la valeur du corps humain.
a-t-Il créé l'homme et pourquoi a-t-Il cependant permis Avec sa graisse on pourrait faire sept petits morceaux
la chute originelle? ,
de savon. Avec son fer on pourrait confectionner une
Telle est l'objection que l'on trouve fréquemment petite clé. Avec son sucre on pourrait sucrer une tasse
sur les lèvres de l'homme curieux.
de thé. Il y a en lui assez de phosphore pour fainil
Que répondrons-nous, mes frères? 2.200 allumettes et assez de magnésium pour une photo-
a) .D'abord on pourrait répondre par ces paroles graphie. Tout bien pesé, il ne vaut pas vingt francs.
du. LIvre de Job « Qui oserait Lui dire : pourquoi Voilà donc la valeur, toute la valeur du corps humain,
a~lssez-vous ainsi? » (Job IX, 12). On pourrait aussi
sans l'âme.
r~pondre avec saint Paul : « Homme, qui es-tu pour
Et avec l'âme? Ah! quelle est donc sa valeur, dès lors
dlsc~ter .a~ec Dieu? Est-ce que le vase d'argile dit à
que Dieu l'a créée et l'a rachetée du péché, la nourrit
CelUI ~UI 1 a façonné ~ Pourquoi m'as-tu fait ainsi? Il
de son propre corps et lui ouvre son ~oya\lme t
(Romams IX, 20).
LE SYl\1nOLE DES APÔTRES POURQ UOI DIEU S'EST-IL FAIT HOMME? 15
Sans l'âme, l'ho'mme ne vaut pas' vingt francs. Nous comprenons maintenant, n'est-ce pas, ce que
Et avec l'âme? Plus que le monde entier. Le petit l'âme humaine est sans Dieu. Elle est ce qu'est la goutte
bohémien déguenillé vaut davantage que l'univers créé. de rosée sans le soleil. Tant que le soleil n'est pas levé,
D'où tiroI).s-nous cette doctrine qui nous donne le la rosée n'est qu'une goutte d'eau ordinaire, verdâtre
vertige? Du fait que le Christ est mort pour nous, et sans valeur; mais dès qu'apparaît un rayon de soleil,
pour notre âme. elle devient une goutte de cristal brillant des plus riches
Comme nous devrions porter sur ce point no~ couleurs. Mon âme est aussi verdâtre. monotone,
réflexions et comme il' nous serait bon d'approfondir insignifiante et ennuyeuse, tant qu'elle ne se plonge pas
cette idée! Quelle est la valeur de l'âme humaine? Tout en elle-même et qu'elle ne projette pas au dehors d'elle
périt, tout va à sa fin, le monde disparaîtra, mais l'âme les rayons étincelants de la divinité. Et que nous
vivra. Que de grandioses ' civilisations la terre n'a-t-elle puissions le faire aujourd'hui, nous le devons à l'œuvre
pas portées - et où sont-elles? Où sont les civilisations rédemptrice du Christ.
babylonienne, assyrienne, égyptienne, celles d'Athènes
ou de Rome? Mais l'âme vit toujours.
« Qui pour nous autres hommes et pour notre salut
III
est descendu du ciel ». Pour notre âme! entendez-vous,
mes frères! LE CHRIST EST VENU POUR RENDRE GLOInE A DIEU.
/:.,:' ,
l' . t ''''i- : . ~
16 LE SYMBOLE DES APÔTRES
POURQUOI DIEU S'EST- IL FAIT HO~ME?
Le. 18 juin 1815, à.Waterloo les troupes de Napoléon Comme si le Christ ne nous avait pas encore enseigné
.~
tentaIent une· ' dernIère attaque pour empêcher la la véritable manière de vivre. .,
jonctio? des armée~ anglaise et allemande. Entre-temps, Comme si le Christ n'était pas mort pour nous.
RotschIld observait anxieusement les événements à N'oublions donc pas laleçon de l'instruction d'aujour-
l'é~~t-majo~ de Wellington. Et lorsqu'il vit que 'les d'hui: le Fils de Dieu s'est fait homme, pour que l' homme
alhe~ :nglaIs ;t all;mands seraient victorieux, il disparut puisse devenir fils de Dieu.
aussltot de 1 armee et partit au galop. Le lendemain Seigneur Jésus, faites-nous vivre de manière que nous
I~ ~uin, il était au port d'Ostende. La tempêt~ puissions tous être dignes des fruits et des mérites de votre
f~Isait rage. La .traversée était à peu près impos- vie et de votre mort rédemptrices! Amen.
sIb~:. ,Pas un mann ne consentait à tenter le passage.
Qu Importe! Rotschild offre 2000 francs et un
matelot se déclare prêt à le transporter sur la côte
anglaise.
Quelques heures plus tard il débarquait à Douvres.
Sans s'arrêter, il se précipite vers Londres et une fois
arrivé il se rend immédiatement à la Bourse. Sans rien
dire à personne, il achète à vil prix une qUàntité de
titres qui, par suite des défaites continuelles des
Anglais, n'étaient pour ainsi dire plus cotés.
Lorsque, quelques heures plus tard, arriva la nouvelle
de la victoire anglaise, les titres montèrent immédia-
tement à des cours très élevés, le bénéfice était acquis
à Rotschild.
Mes frères, nous pouvons voir le mêm~ cas se renou-
.1 ' '
veler encore toujours. Il y a toujours des hommes qui
aiment l'argent, le cherchent et lui donnent la chasse.
, Des hommes qui n'ont ni repos ni relâche, qui ne
prennent pas le temps de manger, de dormir, de sourire
d'être des hommes ... à cause de l'argent, rien que pou;
l'argent.
Comme si le Christ n'avait pas 'encore vécu.
LA TRAGÉDIE HUMAINB 21
entrés sans fortune dans le monde. Eux, les pauvres, en Le poids monstrueux du péché a toujours écrasé
sont innocents, ils ne son~ pas responsables des fautes l'humanité et laissée à elle-même l'âme humaine a tout
de leur père, mais ils ne peuvent pas entrer dans le essayé pour-s'en débarrasser. On ne peut lire, sans être
château' de leurs aïeux. Ne comprenons-nous pas ainsi touché, le ré,cit des holocaustes des païens qui jetaient
un peu mieux ce que c'est que le péché originel que nous leurs objets précieux, leurs trésors, souvent, même
n'avons pas commis nous-mêmes, mais dont cependant leurs enfants, dans les bras dévorants d'une ' statue
nous souffrons encore. Nous comprenons ainsi la com- de Moloch rougie au feu, car ils croyaient apaiser ainsi
paraison de Pascal, un des plus puissants apologistes la colère de leurs divinités. Ils connaissaient et ressen-
de la foi catholique" qui s'exprime de la manière sui- taient douloureusement le poids du péché et de son
vante au sujet du péché originel : L'homme est un effroyable domination.
mendiant originaire d'une bonne famille. Mais ce n'est pas seulement dans le passé qu'il en
Qui ne songerait ·à ce propos à ces membres de la était ainsi. Le péché originel enlace la terre entière
noblesse russe tombés dans la pauvreté, tels qu'on en comme un serpent gigantesque et empoisonne toute
rencontre depuis la guerre dans 'toutes les capitales? l'histoire de l'humanité. Voilà pourquoi pleure le petit
Sur leur v~sage ridé par les soucis et les privations, enfant nouveau-né, voilà pourquoi la terre produit des
sous les phs de leur vêtements élimés, transparaît la ronces et des épines, voilà pourquoi la souffrance brûle
distinction de leur origine et constamment se révèle en et fait mal, voilà pourquoi l'homme verse des larmes,
eux cette dualité tragique : pour des mendiants ils sont voilà pourquoi la tombe s'ouvre et nous engloutit.
.. ;'
trop distingués, pour des aristocrates ils sont trop
mendiants .
.~ous avons ainsi donné une idée plus nette du péché II
orIg~nel. L'ho~me . a une noble origin~, puisqu'il est
sortI de la mam créatrice de Dieu. Mais la guerre du y A-T-IL UN PÉCHÉ ORIGINEL?
premier péché a tristement défiguré en nous les traits
divins et dès lors nous sommes des nobles en guenilles.
C ) '. Et qu'il n'y ait là ni exagération nI fleur de Je sens bien, mes frères, qu'il me faut m'arrêter un
rhétorique, mais ur~e triste réalité, que le fardeau du peu plus longtemps sur cette idée, car l'esprit critique
premier péché et celui des millions de péchés qui sont sortis de l'homme d'aujourd'hui s'attache particulièrement
de lui aient toujours torturé les hommes, - aussi ceux à attaquer cette vérité.
qui ont vécu avant Jésus-Christ - l'histoire en est Nous entendons sans cesse ces remarques orgueil-
l'éloquent témoin. leuses et moqueuses : « Ah! oui, le péché originell La
·f
. ·' 1 26 LE SYMBOLE DES APÔTRES LA TRAGÉDIE HUMAINE 27
scène du paradis terrestre! Adam et Ève et le fruit au mal, nous apprend la foi chrétienne; et c'est contre
défendu! Et le serpent tentateur! Et le châtiment divin! elle qu'il nous faut constamment être sur nos gardes,
Un vieux conte oriental. Comment l'homme actuel nous apprend la morale chrétienne.
peut-il encore y croire? » D'entre les hommes, seule la Bienheureuse Vierge
Eh bien! ces réflexions ne nous font pas peur, nous Marie a été préservée du péché originel - c'est ce que
les regardons au contraire bien en face. nous reconnaissons dans le dogme de l' « Immaculée
: !. Conception »; mais les autres hommes, même les plus
1 . Oui, le péché originel est l'Ul;le des colonnes les plus
lmportantes de la foi chrétienne. C'est un dogme. grands saints, ont ressenti les humiliantes révoltes d'une
Un dogme auquel non seulement nous croyons dans notre volonté portée vers le mal.
sainte religion, mais dont .la vérité totale repose sur une Au milieu de nos indicibles tentations et de nos luttes
foule d'expériences personnelles. c'est une consolation pour nous que même un saint Paul,
Ne croyez-vous pas qu'il y a un premier péché et que le grand Apôtre, ait eu tant à combattre la nature
ce péché a eu des conséquences épouvantables? Ne humaine inclinée au péché. Personne n'a dépeint les
croyez-vous pas que l'homme, dès ses premiers pas sur effets et la force du péché originel de façon pÎus claire
le chemin de la vie morale, a fait un faux-pas, a glissé et plus saisissante que sàint Paul dans son Épître aux
. ' ~,.
. et que depuis chaque homme suit cette route en boitant? Romains : « Je ne sais pas ce que je fais : je ne fais pas
Si vous ne le croyez pas, alors répondez-moi sur les ce que je veux et je fais ce que je hais ...... Le vouloir
questions suivantes. est à ma portée, mais non le pouvoir de faire le bien ...
A) Avant tout, expliquez-moi le désaccord qU1~ règne Or si je fais ce que je ne veux pas, ce n'est plus moi qui
dans l'âme humaine. Cette tragédie, cette discordance, le fais, c'est le péché qui habite en moi ...... Je prends
ce combat effroyable qui s'engage et fait rage en tout plaisir à la Loi de Dieu, selon l'homme intérieur; mais
homme, dès qu'il lui faut choisir entre le bien et le mal? je vois dans nies membres une autre loi qui lutte contre
N'avez-vous encore jamais remarqué ces monstres qui, la loi dt< ma raison et qui me rend captif de la loi du
dans I~s profondeurs des âmes, se lancent vers le péché, péché qui est dans mes membres» (Romains VII, 15-23).
la bassesse, la laideur et combien il nous est difficile .de Quel tableau émouvant! Et ce' n'est nullement une
les maintenir derrière les barreaux de notre âme? situation particulière ' à saint Paul. C'est l'aveu de
Cette dualité tragique de la nature humaine n'avait l'humanité, le tableau de la condition humainè: Tous;
pas échappé aux anciens païens. « Personne ne vient au nous pouvons nous écrier avec saint Paul: « Malheureux
monde innocent» se lamentait Ovide. « On est toujours que je suis! Qui me délivrera de ce corps de mort? »
porté vers te qui est défendu », disait Cicéron. De fait, (Romains VII, 24). Et notre réponse ne peut être que
il y a en nou~ une mauvaise seme.nce, la volonté. inclinée celle de saint Paul encore : « La grâce de Dieu, par
LE SYMBOLE DES APôTRES
LA TRAGÉDIE HUMAINE 29
Jésus-Christ Notre-Seigneur », (Romains VII, 25).
se battent pour une simple tartine!) Le christianisme
Vous ne croyez pas qu'il y a un péché originel? Alors
donne l'explication. Il déclare: Cet égoïsme désordonné,
expliquez-moi ce fait incompréhensible. Expliquez-moi
cette recherche impitoyable et brutale de ses aises, dans
d'où vient chez l' homme le penchant au mal.
lesquels nous sommes tous venus au monde, c'est ,le Péché
Un petit enfant vient au monde; ses parents écartent
originel. C~t immense égoïsme qui nous fait tout con-
soigneusement de lui tout mauvais exemple, on l'élève
verger vers nous et nous écarter de Dieu et de nos
avec précaution, partout il ne voit que du bien autour
frères, c'est la conséquence du péché originel.
de lui ' - et pourtant se manifeste tantôt ici tantôt là
Cette propension égocentrique et effrénée que nous
une passion mauvaise : égoïsme, désobéissance, men-
avons en nous n'est-elle pas un fait indéniable? N'est-ce
songe, paresse. Qui peut expliquer cela? La semence
pas un fait indéniable que l'existen~e d~ cette multit~de
semée par les parents était excellente et. pourtant ~a
de fantômes effrayants, de bas mstmcts, de déSIrs,
récolte est pleine de mauvaises herbes. QUI peut exph-
d'idées qui surgissent des profondeurs secrètes de notre
quer cela? Uniquement ceiui qui sait que mê~e l'âme
âme, comme disait un grand psychologue :. « Je . ne
d'un enfant nouveau-né n'est pas une terre vIerge. Le
sais pas comment est fait -le cœur d'un coqum; Je ne
péché originel y a déjà répandu la semence des incli-
connais que celui d'un ,honnête homme et c'est affreux ».
nations mauvaises qui pousse presque sans qu'on la
Expliquez-moi encore ce fait. Vous ne pouvez ~as
remarque. Tous, nous sommes entrés en ce monde avec
dire à quelqu'un qui croit en Dieu: Voyez comme DIeu
une nature viciée et portée/ au mal; les aspirations vers
vous a créé : si misérable, si lamentable, si hideux.
le bien, le noble, vers Dieu exigent de nous un certain
. . Je ne peux pas croire cela de Dieu. Il ne réste pas .d'.autre
effort. On naît pécheur, on devient saint. Et celUI qUI
explication que la foi chrétienne au péché ongmel :
pendant sa vie ne 'sait pas lutter pour atteindre, les
l'ho~me n'est plus aujourd'hui tel qu'il était sorti
hauteurs dé la sainteté, celui-là restera pour touJours
des mains du Créateur. L'homme a gâché sa destinée et
dans l'abîme du péché. Vous le voyez, la négation du
a tout perdu. Cette inclination au mal est notre part de
péché originel ,rendrait incompréhensible tout notre
l'héritage paternel, tout homme la reçoit de ses parents,
système d'éduCation.
de même que chaque individu hérite de son père et de ,sa
B) Vous dites qu'il n'y a pas de péc?é origine1. Alors
mère tout un ensemble de penchants bons et maUVaIs.
expliquez-moi d'où proviennent tant de péchés actuels.
C) Vous ne croyez pas qu'il y a un péché originel?
Expliquez-moi la 'cruelle domination du mal, du vice
Alors expliquez-moi finalement l' homme tout entier,
qui s'étend à travers toute l'histoire de l'humanité.
cette curieuse énigme. Sans la croyance au péché ongine/,
Expliquez-moi l'immense égoïsme dans lequel nous
l' homme reste un my stère éternel. ,
sommes nés. (Regardez comme deux petits frères
. .. ~
En effet qui pourrait comprendre le désordre infini,
LE SYMBOLE DES APÔTRES LA TRAGÉDIE HUMAINE
cette foule de contradictions qui fourmillent dans Mes frères, ne croyez-vous pas maintenant qu'il y a
l'humanité? Nous avons soif de lumière et de clarté et un péché originel? Ne voulez-vous pas enéore admettre
pourtant la nuit et les ténèbres nous attirent avec une que le péché originel a eu pour conséquence une mysté-
force inquiétante. Notre âme aimerait à s'élancer vers rieuse tragédie? L'homme tue son semblable, pour ainsi
Dieu et cependant le mal la contraint à rester sur la dire sans sourciller et en même temps il ne peut pas
terre,· dans la boue. Nous aimons le bien, le beau et supporter qu'un petit oiseau périsse à cause de lui.
le vraI et néanmoins que de mal, de laideur, de mensonge Mais il n'est pas nécessaire de penser à des meurtriers.
se trouvent en nous! Qui peut comprendre cette plainte Il suffit de penser à soi-même. Que de mystères, de
d'un petit enfant disant un jour avec un soupir: ({ Pour- contradictions, que d'énigmes insolubles il y a en
: .~ quoia-t-on tant de mal à être bon et fait-il si bon d'être chaque homme 1 Comme nous connaissons le bien et
,~ ,
méchant? » Qui peut l'expliquer? voyons sa nécessité, mais quand il s'agit de le faire,
Nous avons soif de joie, de paix, de bonheur et nous comme nous nous dérobons 1 Quelles grandioses
avons notre bonne part de chagrin, d'ennui et de douleur. pensées nous transportent souvent, comme nous
Quelle belle âme nous découvrons souvent dans un corps sommes aisément enthousiasmés, comme nous prions
débile et quelle pourriture se cache fréquemment sous avec ferveur, - et un instant après nous tombons dans
la beauté physique 1 Qui peut donner l'explication? le péché et le feu de l'enfer flambe au dedans de nous 1
Alors maintenant vous ne voulez toujours pas croire Comme nous savons nous habiller avec élégance et en
qu'un jour,.au commencement, nous avons fait un faux- même temps être grossiers, capricieux, prétentieux,
pas .. .qu'un jour ... à sa première démarche ... il ya eu désagréables. L'homme sait être. ponctuel dans ses
quelque chose de brisé dans l'homme? ' occupations, quand on le voit, mais il sait se vautrer
Dans une grande ville, on trouva assassinée une dans le péché, l'indélicatesse, l'infidélité, quand on ne
domestique qui était toute seule à la maison en l'absence le voit pas. ,
de ses patrons. · Au cours de l'enquête, les autorités Où est donc la solution? Nulle part ailleurs que dans
remarquèrent un fait singulier. Il fut établi en effet que la doctrine chrétienne : L'homme commença sa route,
Ie meurtrier, avant de quitter la chambre, avait mis la tête haute, mais il fit un faux-pas dès le premier
de la nourriture et de l'eau dans la cage d'un canari. instant. ' L'homme avait été créé roi, mais la couronne
Le criminel finit par être découvert et lorsqu'à l'inter- est tombée de sa tête. Non, ce n'est pas vrai que l'homme
rogatoire on lui demanda pourquoi il avait donné de la soit bon de sa nature;- comme le prétend le système
......
nourriture à l'oiseau, il fit cette réponse incroyable: pédagogique de Rousseau. Il n'est pas né non plus
({ Je ne pouvais pas supporter cette pensée que la petite comme un maudit et un démon, ainsi que l'affirme le
.bête pût mourir de faim ). pessimisme. Mais il est né à la fois roi et mendiant,
Symb. d. Ap. .- T. III 2
32 LE SYMBOLE DES APÔTRES LA TRAGÉDIE HUMAINE 33
riche et pauvre, aigle et ver de terre, harmonie et chaos. Rédempteur, nous puissions échapper à l'effroyab~e
Ce n'est pas Dieu qui a créé ce mélange contradictoire, catastrophe universelle, au péché qui couvre de sme
car actuellement l'homme n'est pas tel qu'il est sorti et de èendres tout ce qu'il y a de beau, de noble, de
de Ses mains et c'est le devoir de l'homme ck com- divin dans la vie : voilà pourquoi est mort pour nous
battre... oui, de combattre, mais pourquoi? le Christ-Sauveur.
Nos aïeux chrétiens savaient rendre accessible~ à tous
les vérités religieuses abstraites au moyen d'images
qui nous semblent aujourd'hui un peu naïves. Mes frères, le 19 mai 1929 prirent feu les sources de
Dans la cathédrale d'Halberstadt se trouve un tableau pétrole de Moreni en Roumanie; malgré .tous les, trav~ux
où l'on voit la mort conduisant Adam et Ève enchaînés, entrepris pour les éteindre, elles contmuent ~ bruler
. .;/ tandis que le diable joue du violon. Image naïve, mais comme des flammes de l'enfer. Un soldat, balOnnette
," disant beaucoup de choses. Elle parle du malheur et de au canon, garde l'entrée du vallon où brûlent les puits
'1 .
la souffrance dont l'homme porte les chaînes pat la ruse de naphte depuis quatre ans. Le factionnaire a un .aspect
du tentateur, sous lesquelles il gémit, jusqu'à ce que à peine humain : son uniforme est couvert de sme, une
enfin arriva quelqu'un de plus fort que ces chaînes, sueur noire coule sur son visage. Un vacarme épou-
plus fort que la mort, plus fort que le diable: le Sauveur vantable retentit dans toute la contrée environnante,
Jésus. c'est le bruit des explosions qui se font entendre
« Je vous le dis, ô homme, luttez et ayez confiance» accompagnées de lueurs qui montent, comme ?es
telles sont les derniers mots de Madach dans son drame. éclairs vers le ciel. L'atmosphère dans un rayon de cmq
« La tragédie humaine ». Mais cela ne suffit pas, si l'on cents :nètres est aussi embrasée que si elle était baignée
ne sait pas pourquoi. dans un fleuve de feu. A des kilomètres de distance la
Or le christianisme nous dit pourquoi il nous faut végétation est anéantie. La sécheresse règne dans toutes
combattre. C'est pour que le bien, le beau, le noble, les directions, on ne trouve pas même un brin d'herbe.
l'élan, l'harmonie triomphent en nous du mal; du Le sol tremble par instants sous les pieds. Tout a déjà
laid, de la bassesse, du découragement et du désordre, été tenté pour boucher les issues de ce foyer d'incendie,
c'est-à-dire, pour que nous soyons à nouveau tels que tout a été vain;- Quand on a bouché un puits, un autre
le premier homme est sorti des mains du Ciéateur : s'enflamme. La force humaine demeure impuissante en
pour que notre vie dans « la tragédie humaine » soit un face de 'ce cataclysme, ... tandis que les puits en feu
hymne à la gloire de Dieu. . continuent sans relâche à déverser leur boue et leur suie
Et pour y parvenir, il a fallu la Rédemption. Pour inépuisables, la ruine et la mort.
que, nous tenant fermement après la main du Christ Mes frères, l'incendie de Moreni fait rage depuis
34 LE SYMBOLE DES APôTRES
,l,
/
,
4° LE SYMBOLE DES APÔTRES
LE CHRIST, PESSIMISTE OU OPTIMISTE
Or, qui pourrait accomplir tout cela, s'il était
complètement corrompu? C'est ainsi que nous commençons à découvrir la
Il Y a là une appareIHe contradiction. Où trouver la réponse exacte à la question que nous devons résoudre:
solution? Il est vrai qu'à l'égard de l'homme abandonné ~
B J La solution réside dans le fait que Jésus, lorsqu'il lui-même tout pessimisme se justifie; par contre celUI
employait des expressions pessimistes, avait en vue qui s'attache au Rédempteur a une certitude. et. une
l'homme avec sa volonté abandonnée à elle-même, confiance qui lui permettent un magnifique optim~sme:
« Je suis la vigne, vous êtes les sarments. CelUi qUi
l'homme tel qu'il était en réalité sans le Chnst Rédemp-
t:ur. Mais ~uand II impose des exigences optimistes, demeure en moi et en qui je demeure porte ~eauc~up
c est lorsqu II regarde l'homme tel que nous sommes de fruits· car séparés de moi, vous ne pouvez nen faire.
Si uelq~'un ne demeure pas en moi, il est jeté dehors,
co~me
tous et qu'il faut que nous soyons apres la venue du
Chrt'st Rédempteur. Ceux qui croient au Christ, ceux le sarment et il sèche; puis on ramasse ces sar-
ments, on les jette au feu et ils brûlent» (S. Jean XV, ~-6).
fi:. qui vivent en union infime avec Lui, reçoivent la force
de remplir les espérances les plus optimistes. C'est Oui, sans le Christ, nous nous écroulon.s. MaiS le
';, comme si le Seigneur disait : L'homme laissé à lui- Christ est devenu notre soutien, lorsqu'Il a dit : « Venez
1. m~me ne peut certainement pas sortir du péché; à ce à moi vous tous qui êtes fatigués et chargés et je vous
pOInt de vue, le plus noir pessimisme est justifié. Mais soula~erai. Prenez sur vous mon joug et apprenez de
moi que je suis doux et humble de cœur et vous trou-
...,
par contre il faut que celui qui s'attache à ma force
~.
rédemptrice soit un optimiste. . verez le repos de vos âmes. Car mon joug est doux et
f!J Et maintenant nous comprenons p.ourquoi le mon fardeau léger )l (S. Matthieu XI, 28-30).
Seigneur a tant insisté sur le réconfort et la guért'son de Oui, sans le Christ, l'homme peut sombrer dans les
" . l'âme. Continuellement II a voulu indiquer que dans profondeurs de la corruption morale et de ses écc:urants
l'âme de tous ceux qui vivent de Lui coulent « des marais. Mais lorsque la pécheresse se jeta aux pieds de
fl~uves d'eau vive » (S. Jean VII, 38), qui effacent le Jésus et versa des larmes de repentir, s'accrochant ~ la
p~ch~ et leur donnent des forces pour les luttes et les main du Christ avec l'énergie d'une . personne qUi se
Victoires futures. Certes Notre-Seigneur a opéré de noie, elle entendit sur ses lèvres divines: « Tes péchés
n.ombreuses guérisons corporelles, mais même en ces tt; sont remis )l (S. Luc VII, 48). ..
Circonstances II a également fait ressortir qu'Il faisait au Pas un chant d'oiseau n'a résonné plus victoneu~
malade .un bien plus grand présent que la santé physique sement, pas un rayon de soleil printanier n'a souri aUSSi
.'
e~ guérIssant d abord son âme. « Mon fils, ma fille, tes doucement, pas une nuit étoilée n'a répan~u autant de
pechés te sont remis» (S. Matthieu IX, 2; S. Luc V, 20). calme que ces quelques paroles de Notre-Seigneur: Tes
péchés te sont remis.
l
42 LE SYMBOLE DES APÔTRES LE CHRIST, PESSIMISTE OU OPTIMISTE 43
C'est seulement en pleine connaissance de ces faits chose. C'est un fait indéniable, mes frères, que. ~e
" ~I
que nous pouvons répG~dre définitivement à la christiànisme est la religion du renoncement et de la VIgI-
"1 question : le Christ a-t-il été pessimiste ou optimiste? lance continuels. Ces paroles mémorables . d~ ~otre
" L
Il a été pessimiste à l'égard de l'homme laissé à lui-même; Seigneur ont imprimé cette marq~e au ch;'IStlamSme :
;..'; ' . Tl a été optimiste à l'égard de celui qui s'attache à la force « Si quelqu'un veut être mon disc.lple, qu Il reno~ce à
divine. « Sans moi; vous ne pouvez rien faire» a dit un ._ Ame , qu'il prenne sa crOlx et me· · SUIve
"1 SOI me 1 . ».
f" jour Notre-Seigneur (S. Jean XV 5). Et saint Paul (8. Matthieu XVI, 24). Pourquoi Jésus a-t-I a~nsl
Lui a fait écho: « Je peux tout en Celui qui me fortifie ») -l' ? Parce qu'Il connaissait les tendances maUVaises
(Philippiens IV, 13). pal e ' . . ., ' , . . 1 Il
de la nature humaine VICIee par le peche ongI~e.
connaissait cette tragique dùalité de la vie humame, ce
III combat effrayant qui se livre au dedans de nous entre
le bien et le mal.
LA VIE DU CHRIST A-T-ELLE ÉTÉ TRISTE? Mais ce qu'il y a d'attristant et d'effrayan: d~ns. cette
expression disparaît aussitôt, dès que nous ref1echlssons
~ .. I .
sur' le but de la mortification chrétienne. En effe~ le renon-
Les vérités que nous venons de considérer nous cement dans le christianisme ne reste pas au nIveau de la
permettent de dissiper une erreur très répandue. formule « l'art pour l'art ». Le christianisme n.e trouve
J'ignore comment il se fait que chez tant d'homme!> pas sa satisfaction à se torturer comme les. fakIrs; pour
règne cette idée que la conception chrétienne du monde nous la mortification n'est pas un but, maiS un m9yen
est triste, amere, sans foie, comme si la voie de l'imitation pour atteindre notre destinée, un moyen de réduire les
du Christ s'étendait sous un ciel sans étoile, sans soleil, funestes conséquences 'du péché originel. .
couvert de nuages, comme si celui qui veut suivre le B) Notre première question sera donc celle-Cl :
Christ de toute son âme était obligé d'être abattu, Peut-on iml:ter Jésus-Christ en vivant dans le monde ou
triste, craintif, anxieux et de se retirer du monde en bien seulement dans le cloître? Et nous répondons : On
tremblant. le peut dans le. monde et dans l~ ~loître. Not~e seconde
Est-il donc vrai que la vie chrétienne soit triste? Est-il question sera alors : Peut-on. ImIter. le Chrzst sans u~
vrai que ce1ui qui suit le Christ n'a pas le droit de rire? renoncement continuel? ImpossIble 1 NI dans le monde nI
Est-il vrai qu'on ne peut être un fidèle enfant du Christ
dans le cloître.
qu'en se séparant du monde, en vivant dans la solitude En effet pour non seulement connaître la vérité,
ou derrière les murs d'un cloître? mais la pratiquer, une bonne résolution, un~ ~dhésion
A) Avant tout il nous faut bien comprendre une enthousiaste ne suffisent pas: il y faut une VigIlance et
.,
"
LE SYMBOLE DES APÔTRES
LE CHRIST, PESSIMISTE OU OPTIMISTE 45
un cont~ôle de soi perpétuels. L'homme travaille
profiter les autres de votre richesse, demand~ le c~ris
systématIquement et scientifiquement à la découverte
tianisme. Mais il ne le demande pas, comme SI les blens
. la. nature et pendant ses recherches il est oblige' d e ne
de
de ce monde étaient quelque chose de diabolique, mais
JamaIS perdre de vue les Sources par lesquelles une faute
pour que nous conservions la liberté de notre âme,
ou une erreur pourrait ' se glisser dans ' son travail.
malgré le poids qui nous attire vers la terre. -
Eh bien! l'empire sur soi-même, l'ascétisme ne sont
Menez jusqu'au mariage une vie de continence totale,
pas autre chose que la surveillance et l'aveuglement des
demande le christianisme. Et il ne le demande pas,
sources par lesquelles un défaut pourrait s'insinuer dans
comme si la vie conjugale entre l'homme et la femme
le travatl de conquête du royaume des âmes.
était peccamineuse et diabolique, mais précisément
. C'est un idéal élevé que celui que le Christ nous
pour en f~ire ressortir la sainteté, la préserver de la
Impose : ({ Soyez parfaits, comme votre Père céleste
profanation et protéger l'homme par le cadre légal du
est parfait » (S. Matthieu V, 48); mais on ne réussirait
mariage des excès de la passion. . .
pas à enlever d'assaut ce sommet de la vie morale on
Vendredi chair ne mangeras, non pas que la VIande
ne peut l'atteindre que par un lent et minutieux re~on
soit un objet de péché le vendredi et non les autres jours,
c~ment. Certes,. si on p.ouvait l'enlever d'assaut par un mais pour que j'apprenne à me dominer, à me surveiller,
•f slm~~e enthousla~me, 11 y aurait davantage de vrais pourvoir si en moi l'âme est plus forte que le corps .
chre~lellS pour VIvre parmi nous. :!VIais ce n'est pas Disons-le donc clairement: c'est une erreur détestable
pOSSIble. {( Le royaume des cieux soutFre violence et ce
de croire que l'imitation parfaite du Christ n'est possible
sont les violents qui s'en emparent» (S. Matthieu Xl
que dans. le cloître. Il n' ~n est pas qu~stio?. Par la
12). Il faut ici de longues et patientes recherches bie~ mortificatIOn elle est pOSSIble partout. L ascetlsme, la
des essais et beaucoup d'exercices. '
domination de soi-même, la vigilance sont obligatoires
C) {( Exercice )). se dit en grec {( Askesis )). Qu'appelolls- pour tous les chrétiens; car tous nous avons à combattre
nous donc ascéltsme? La conquête méthodique du
les suites du péché originel et tous nous devons marcher
royaume de notre âme, la recherche incessante de mes
sur les traces du Sauveur. Sans maîtrise de soi et sans
faiblesses" et de celles de mon adversaire, l'affermis-
vigilance, ' il est impossible de suivre le Christ. Mais
sement de notre volonté et l'affaiblissement de la puis- que nous puissions réellement marcher sur ses traces,
sa~~e . de choc adverse; pour employer' une expression quelle que soit notre situation, nous .en avons po~r
mlh;alre, elle. est l'École de Guerre de la vie supérieure
preuves les Saints qui ne sont pas umquement sortIS
de 1 âme, VOIlà ce que nous appelons ascétisme vigi- des cellules d'un cloître solitaire, mais des classes les
lance, mortification. '
plus diverses de la société pour monter sur les autels.
N'attachez pas votre âme à l'argent, mais sachez faire A côté de saintes religieuses et de saints prêtres, nous
.,
'.
l
aussi je guérirai celles des autres. La miséricorde divine sùr la neige, exténués et désespérés, retrouvèrent
m'a pardonné mel' péchés, moi aussi je pardonnerai aux instantanément de nouvelles forces, ils se remirent
autres. Dieu a été patient envers moi, moi aussi je serai debout, et d'un pas chancelant, se mirent en route vers
patient envers les autres. la Suisse. En avan~, en avant! Car ici ce serait la capti-
l' vité ou la mort, là-bas ce sera la liberté, le repos et la
paix.
Mes frères, du haut de la croix retentit sur les hommes
Mes frères, dans cette instruction nous avons suivi des harassés le cri sauveur du Christ: «I:out est consommé ».
chemins pénibles et sombres, mais sa conclusion ne sera Seigneur Jésus, faites que nous ne soyons jamais accablés
l, dans nos combats. Que nous n'oublions jamais que celui qui
>, pas un cri de désespoir ou d'abattement. Elle est triste
la vue du mal que le péché originel a attiré sur nous et sert le péché se livre à l'escla'7wge et à la mort, tandis que ,
" des suites qui nous accompagnent toute notre vie; mais celui qui s'attache à Votre main et lutte avec Vous verra
" s'ouvrir devant lui les portes de la liberté, de la victoire et
il est bien consolant de savoir que, depuis la mort de
Notre-Seigneur, nous pouvons en triompher et que de la paix au royaume éternel du ciel. Amen.
malgré la présence de nos ennemis derrière nous, la
liberté du royaume du Christ nous fait signe et nous
encourage.
Sur la fin de janvier J871, le général français Bour-
baki était à Verrières, près de la frontière suisse. Ses
troupes découragées, désespérées, étaient à bout de
forces; l'ennemi qui les poursuivait était derrière elles.
Le général français envoya un de ses officiers parle-
menter avec les autorités suisses sur les conditions
auxquelles l'armée française pourrait entrer sur le
territoire helvétique. Le 1 er février, à 4 heures du matin,
le parlementaire revint avec la réponse et quelques
minutes après retentissait à travers le camp l'ordre
réconfortant : u Vers la Suisse, marche 1 L'entrée est
libre ».
L'entrée est libre! ce mot passant de bouche en
bouche, opéra des merveilles. Les soldats qui campaient
1
LA PERSONNE DU SAUVEUR .
l
De temps à autre une raie de lumière passait dans la
nuit. Il semble que teI ou tel philosophe grec soit par- l'amitié divine.
C'est cette soif qui lui fit sculpter des idoles. C'est
1
66 LE SYMBOLE DES APÔTRES LA PERSONNE DU SAUVEUR
-\
cette soif qui l'amena jusqu'à supposer Dieu dans des lieuse exactitude et en détails quel serait et comment serait
animaux, des taureaux, des monstres, des arbres, des ce Rédempteur.
sources et tandis qu'il se prosternait devant eux, Et ces prophéties messianiques de l'Ancien Testament
la soif de son âme ne faisait qu'augmenter. Ses - se sont réalisées exactement dans la personne du Christ.
aspirations, ses efforts, ses larmes étaient dirigés Pascal a écrit quelque part que même s'il n'existait
vers Dieu, il pleurait comme de pauvres enfants qu'une seule prophétie relative au Christ pour se réaliser
séparés de leur mère~ comme des oisillons tombés de cette seule prophétie constituerait une preuve con-
leur nid. vaincante. Mais nous n'en avons pas qu'une seule,
Comme une fiancée -impatiente, l'humanité entière, nous en avons toute une série et non pas de la même
la nature toute entière attendait quelqu'un. Quelqu'un époque, mais se succédant dans la suite des siècles.
qui aurait compassion de sa détresse. Quelqu'un qui Et ces prophéties déroulent devant nous l'image du
_effacerait ses péchés. Quelqu'un qui sortirait son âme futur Rédempteur.
de la fange et de la boue qui l'entouraient. a) Tout d'abord nous lisons dans nos Saints Livres
Oui, mes frères, nous n'avons qu'à évoquer en nous la consolante - promesse que le Rédempteur viendra
l'humanité, le monde avant Jésus-Christ, la vie sans but, certainement un jour.
les passions déchaînées, pour pouvoir comprendre la Le Seigneur en parIa déjà au paradis terrestre, après
jubilation du cantique de Noël: « Il est né le Divin le péché, lorsqu'il promit à l'humanité coupable qu'un
Enfant ». Rédempteur viendrait écraser la tête dl,l démon
(Genèse II, 15).
Abraham reçoit également cette annonce: « Toutes
II
les familles de la terre seront bénies en toi» (Genèse
XII, 3); c'est-à-dire de ton peuple sortira le Sauveur.
LE CHRIST, LE SAUVEUR PROMIS.
Puis c'est Jacob mourant qui déclare à Juda: « Le
sceptre ne sortira pas de Juda, jusqu'à ce que vienne
Lorsque fut arrivée la plénitude des temps, Dieu eut Celui qui doit être envoyé et que les peuples attendent»
pitié de notre vie de péchés continuels et pour nous (Genèse XLIX, 10).
racheter nous envoya le Sauv.eur promis depuis des b) Mais les livres prophétiques non seulement
milliers d'années. - annoncent que le Rédempteur . viendra, mais prédisent
A) Dans tous les peuples survivait une petite idée, aussi très exactement Les czrconstances de sa venue. Michée
mais bien confuse, de ce Sauveur qui devait venir; écrit qu'Il naîtra à Bethléem, suivant Malachie, avant
mais les Livres Saints des Juifs décrivaient avec une minu- la ruine du second Temple de Jérusalem. Les détails
LA PERSONNE DU SAUVEUR
68 LE SYMBOLE DES APÔTRES
1/
de sa passion, de sa trahison et de sa mort, sa résurrec- qui s'étaitrévolt~ cont~: Lui. « Dieu.ne veut p~~ la ~ort
du pécheur, malS qu 11 se convertisse et qu 11 VIVe»
tion, le glorieux accroissement de son royaume, tout
(Ézéchiel XXXIII, II). Et c'est pourquoi Il a v,Oulu
cela a été décrit, des siècles avant Jésus-Christ. Et
nous donner dans le Christ un nouveau chef (Éphésiens
les livres du ' Nouveau Testament insistent presque
l, 9-10), pour nous sauver. « Dieu a tellement aimé ~e
continuellement, dans les diverses circonstances -de la
monde, qu'Il a donné son Fils unique, afin que qu~
vie de Notre-Seigneur, sur le fait que tous ces événe-
conque croit en Lui ne périsse point, mais ait la VIe
ments ont eu lieu pour réaliser les paroles prophétiques
éternelle » (S. Jean III, 16).
relatives au Christ (S. Matthieu 1,22; II, 15; IV, 14;
Il n'a pas voulu nous laisser davantage dans l'anarchie
VIII, 17; XXVI, 56; S. Jean XIII, 18).
intellectuelle et morale où nous avions été précipités par
B) L'humanité pécheresse cherchait depuis des
le péché, mai~ Il a voulu donner au monde dans .le
siècles le chemin du salut, mais elle était par elle..,même
Christ un nouv-eau chef pour « restaurer dans le Chnst
incapable de le découvrir. Pourtant combien d'autres
les choses qui sont dans les cieux et celles qui sont
chemins nous avons découverts! Nous avons trouvé les
sur la terre » (Éphésiens l, 10).
routes qui mènent dans des régions totalement incon-
Depuis la venue du Christ nous connaissons aussi la
nues; nous avons trouvé des routes pour défricher des
grandeur de la miséricorde du Pere envers nous. Ne ~oyons
forêts vierges, pour assécher les marais; nous avons
pas scandalisés de cette incroyable bonté du DIeu de
trouvé le moyen de combattre les maladies et de faire de
miséricorde 1 Ne soyons pas choqués d'une telle bonté
nouvelles découvertes, mais sans le, Christ, nous ne .
de Dieu! Bonté que la façon huma.ine de penser est
trouvions pas le moyen de nous délivrer du péché.
incapable de concevoir. .
Mais nous l'avons trouvé dans le Christ. Et del?uis
Oui,'- c'est vrai :' cet amour est un mystère. Un
nous disons : le Christ est notre Sauveur.
mystère que nous sommes trop bornés pour sais.ir,
Que de fois nous' les répétons ces paroles 1 Mais
c'est que Dieu, le maître de la vigne, donne à l'ouvner
avons-nous déjà réfléchi, mes frères, sur ce que a) le
de la onzième heure (c'est-à-dire de la dernière heure)
Christ-Rédempteur nous a donné et surtout sur ce que
avant la fin de la journée autant qu'à ceux qui ont
b) notre rédemption a coûté au Christ?
supporté le poids du jour et de la chaleur.
a) Que nous a donné le Christ-Rédempteur?
Un mystère que nous sommes trop bornés pour com-
Il a rendu aux hommes le Dieu qu'ils avaient perdu
prendre, c'est -que le père offensé ' accueille, les bras
et Il a rendu à Dieu les hommes qu'Il avait perdus.
ouverts, l'enfant prodigue qui revient en haillons, après
Depuis l~ venue du Christ, nous connaissons la grandeur
avoir dissipé toute sa fortune et qu'il organise un fes tin
de l'amour de Dieu le Père pour l' homme tombé.
en son honneur?
Dieu Lui-même a eu pitié du sort tragique de l'homme
LE SYMBOLE DES APôTRES LA PERSONNE DU SAUVEUR
Un mystère, c'est que le Christ était assis à la table Jésus, Jésus notre Rédempteur, ne le saviez-Vous pas?
du publicain et supportait à ses pieds Madeleine la "
Ne sa viez-Vous pas que cette nuit silencieuse qui
pécheresse.
Un mystère, c'est que Dieu soit si bon, si miséricor- 'j s'étendait alors si paisiblement sur les ç~mpagnes de
Judée ne serait pas toujours aussi calme? que le baiser
dieux, si prompt à pardonner. de Judas, le bruit des armes, le rire grossier des soldats
Mais ce qui prouve encore davantage la compatissante interrompraient un jour ce silence au Jardin de Gethsé-
bonté de Dieu, c'est le fait qu'Il nous a aimés, alors que mani? Petit Jésus, Jésus notre Sauveur, rie le saviez-
nous ne L'aimions pas encore, qu'Il nous a tendu la main, Vous pas?
alors que nous nous complaisions dans le péché. « Dieu
montre son amour envers nous en ce que, lorsque nous
1 Ne saviez-Vous pas que la paille de la crèche serait
moins dure que la couronne d'épines: que la petite
étions pécheurs, Jésus-Christ est mort pour nous )) lampe qui donnait sà lueur tremblante dans l'étable
(Romains V, 8-9). « Dieu ... à cause du grand amour 1 serait plus brillante que le soleil au soir du Vendredi-
!
dont Il nous a aimés, ... nous a rendus vivants avec le Saint; que la froide étable et la crèche seraient plus
Christ ... Car c'est par la grâce que -vous êtes sauvés,
accueillantes, plus douces que le bois grossier de la croix?
par le moyen de la foi et non pas par vous, car c'est le
Seigneur Jésus, ne le saviez-Vous pas?
don de Dieu » (Éphésiens II, 4, 5, 8).
Oui, mes frères, Notre-Seigneur savait tout cela. Il
b) Et 'avons-nous pensé, d'un cœur reconnaissant, à
savait ce que nous Lui coûterions : combien de larmes,
ce que notre rachat a coûté au Christ?
de peines, de sang, de souffrances, quelle mort et Il a
Ah! Petit enfant de Bethléem, pourquoi Vous êtes-
tout accepté à cause de nous.
Vous décidé? Ne voyiez-Vous pas,' ne saviez-Vous pas
Et c'est précisément parce qu'Il savait tout cela et
ce qui Vous attendait parmi nous? Ne saviez-Vous pas
tout ce que Vous coûterait notre rédemption? Ne qu'Il l'acceptait volontairement à cause de nous, c'est
saviez-Vous pas que cette pauvreté de Bethléem, ce parce que Notre-Seigneur a pris sur Lui cette incroyable
froid glacial, ce délaissement et cet abandon n'étaient expiation que l'âme chré~ienne ne cesse plus de Le
qu'un commencement : le commencement de trente- louer. C'est depuis lors que notre prière la plus émou-
trois années'- de souffrances terrestres', encore plus vante se compose de ces quelques mots où s'exhale la
grandes par la suite? reconnaissance de notre cœur: Nous Vous adorons; ô
Ne saviez-Vous pas que cette étoile qui brillait si Jésus, et nous Vous bénissons, parce que Vous avez
doucement dans la nuit de Noël, jetterait un jeudi soir, racheté le monde par Votre sainte Croix ».
au Jardin des Oliviers, ses rayons sur votre front ensan-
glanté, sur votre corps dans les affres de l'agonie? Petit
LA PERSONNE DU SAUVEUR 73
LE SYMBOLE DES APÔTRES
lumière d'un cierge comparée au soleil éclatant de la racheter? Dieu ne pouvait-Il pas tout simplement
sainteté infinie de Dieu, Dieu seul pouvait nous racheter. pardonner?
Et si le Christ n'est pas Dieu, alors flOUS ne sommes pas a) Non. Il ne pouvait pas, parce que la restauration de
encore sauvés. l'ordre moral exigeait une réparation.
Écoutez seulement les graves et émouvantes patoles Au milieu du siècle dernier, les populations du -
prononcées à ce sujet par l'illustre dramaturge espagnol, Caucase avaient un sultan ami de la jUstice du nom de
Lope de Vega. Schamyl, qui voulut extirper de son peuple la corruption
« La soif de connaître, le plus puissant de tous les et la vénalité. Il publia que quiconque serait coupable
désirs, m'a poussé sans cesse, pendant des années au de corruption devrait recevoir cinquante coups de fouet
s:rvice de la .s~ience. ~t de~ arts. Quel fruit et q~el1e en public. Et savez-vous quel fut le premier accusé?
recompense ai-Je retIres de mes efforts? Ce fut la mère du sultan.
Ce que j'ai pris pour la vérité, je reconnais maintenant Le souverain fut consterné. Pendant trois jours, il
que c'était une chimère. Ce qui me raraissait la lumière lutta avec lui-même sous sa tente et le quatrième jour,
maintenant je le vois comm~ un sombre nuage mo~ il apparut, le visage pâle et sévère, devant le peuple; il
cœ~r, est resté vide, pauvre d'amour et de foi'. Ah 1 fit amener sa mère enchaînée devant la foule et donna
vamte de toute science 1 Seigneur, maintenant je dirige l'ordre à deux hommes de commencer l'exécution.
~es regards sur la croix, pour chercher auprès de Vous Mais à l'instant même où le premier coup s'abattait,
1 art et la sagesse. Pduvez- Vous être mon Maître Vous il poussa brusquement sa mère de côté et reçut lui-même
qui êtes cloué sur ce bois? Pouvez-vous êtr: mon " le visage livide, les cinquante coups. Ensuite il se releva
Ma~~re? Car sur ce gibet, Vous Vous êtes, ô Christ, et parla ainsi à son peuple profondément ému: Rentrez
ent~e~ement offert. Vous êtes le livre grand ouvert de la chez vous, la loi a été exécutée, le sang de votre prince
vénte éternelle. Vous êtes le livre de vie Il. a coulé en expiation ...... Et de ce jour la corruption
B) Ces paroles si pleines de sens de Lope de Vega disparut, car le peuple ne put oublier le souvenir de
nous font encore penser davantage: le Christ est notre cette heure douloureuse.
Ré~empteur non seulement, parce qu'Il était Dieu, Et nous, mes frères, pourrions-nous oublier ce que
maIS encore parce que, tout en étant Dieu, Il a souffert notre rachat a coûté au Christ qui a reçu sur Lui en
pour nous. expiation les coups de fouet de la colère divine et a subi
~'o~dre moral blessé réclamait une punition. Celui le châtiment à notre place?
qUI salt cela et éprouve dans son âme le besoin de se b) Savez-vous ce' que nous avons coûté au Christ?
réconcilier, celui-là ne demandera pas sans réflexion' Savez-vous ce qu'a coûté notre rédemptwn?
était-il nécessaire que le Christ souffrît pour nou~ La vie du Christ.
LE SYMBOLE DES · APÔTRES L'ŒUVRE DE LA RÉDEMPTION
«. Le Fils de .l'homme est venu, non pour être servï: ne comprennent pas l'émouvant mystère du Golgotha?
., . 1
malS pour serVIr et donner sa vie pour la rédemption C'est parce qu'ils ont pris l'habitude de n'attacher de
d'u.n ~rand nombre ». (S. Matthieu XX, 28) a dit de prix qu'aux choses de ce monde que l'on peut saisir,
LUI-mem~ Notre-Seigneur. Et dans une autre circon- mesurer, voir et palper, et d'oublier que le monde
stance, Il proféra ces sublimes paroles : Dieu a teÙe- sensible et visible n'est qu'une faible et misérable copie
ment aimé le monde qu'Il a donné son Fils unique » du monde -surnaturel et invisible, beaucoup plus grand,
'" (S. Jean III, 16). Saint Paul a' donc raison de plus profond et plus magnifique. L'homme qui ne voit
rappeler aux fidèles : « Vous avez été rachetés à dans la vit que la mêlée fiévreuse des instincts, des
grand prix » (1 Corinthiens VI, 20), car le Christ impulsions et des forces de la nature, qui est totalement
I( s'est donné Lui-même· en rançon pour toUS» (1 absorbé par le mouvement tumultueux de la lutte pour
Timothée II, 6). la vie, l'homme que la vie matérielle tient constamment
Voilà donc l'enseignement de la foi chrétienne sur la enchaîné, celui-là oubliera facilement qu'il Y a encore
Rédemption : Notre- Seigneur Jésus-Christ a satisfait une autre vie qui s'écoule paisiblement, plus grande et
pour nous, car Il a beaucoup souffert et c'est pour nous plus forte et que le Golgotha est précisément le lieu
et à notre place qu'Il a tout souffert. du triomphe et du couronnement. Pour comprendre
Au chapitre LIlI du prophète Isaïe, on trouve douze la leçon de la Croix, nous avons surtout besoin de calme
fois en neuf versets que « le Serviteur de Dieu » souf- et de recueillement.
frira pour nous et à notre place. Mais saint Paul écrit : Dans un cloître de Toscane, une fresque gigantesque
" Celui qui n'a point connu le péché, Il l'a fait péché représente le crucifiement de Notre-Seigneur On ne
pou: nous » • (II Corinthiens V, 21), c'est-à-dire qu'Il peut pas contempler sans être ému cette image qui
apns sur LUI tous les péchés de l'humanité. « Le Christ occupe toute la muraille. On ne peut pas détacher ses yeux
nous a rachetés de la malédiction de la Loi, en se faisant des trois grandes croix qui couvrent de leur ombre le
malédiction pour nous » (Galates III, 13), c'est-à-dire ciel et la terre. Sur cette fresque tout est figé dans la
qu'Il a pris sur Lui nos péchés, source de · toute souf- contemplation du Christ, du Christ qui saigne sans
france et de toute malédiction. « Le Christ est mort pour cesse : ies arbres sont figés, les noirs nuages sont figés,
nos péchés, conformément aux Écritures » (1 Corin- les hommes· sont figés, Jérusalem est figée... tout
thiens XV, 3) . regarde immobile le .Christ qu: laisse tomber sa tête
. c) Tout cela ne suffit-il pas à toucher notre âme? ensanglantée et doul<><lreuse
Après tout cela, ne comprenons-nous pas encore le mystère Un tableau impressionnant! Mais aussi un tableau
du Golgotha? qui suscite une profonde idée. C'est l'idée centrale du
Savez-vous pourquoi tant d'hommes d'aujourd'hui christianisme : le Christ crucifié et sanglant occupe
LE SYMBOLE DES APÔTRES
L'œUVRE DE LA RÉDEMPTION 8-:J
l' histoire universelle tout comme il remplit l' horizon et
obscurcit tous les soleils. A) D'abord nous exprimons notre joie, une Jote
débordante de ce que le ' Christ n'est pas seulement Dieu,
Oui, le Christ est devenu notre Sauveur parce qu'Il
était Dieu . ' mais aussi homme, et de ce que dans le Christ a vécu
parmi nous un homme qui était Dieu. De ce que
dans le Christ nous avons un frère qui est Dieu. De ce
II que 'a chair et le sang de l'homme, de ce que la nature
humaine ne sont plus mauvais et maudits aux yeux de
JÉSUS-CHRIST, NOTRE SEIGNEUR Dieu, car nous sommes devenus dans le Christ parents
de Dieu. De ce que le Dieu fait homme a rétabli le pont
Non seulement nous appelons le Christ notre Dieu qui mène de l'homme à Dieu.
"', C'est justement en cela que l'on découvre les verti-
et .notre Sauveur, mais nous L'appelons aussi notre
gineuses profondeurs de l'Incarnation du Christ, que
Setgneur et notre Frère, Avec quelle joie débordante
l'on découvre que ce n'est pas l'humanité qui a été
nous ~e nomn:ons ainsi! En effet Il n'a pas été seulement
élevée à la c:iivinité, mais que c'est la divinité qui s'est
un Dieu, maiS aussi un homme, un homme formé
abaissée jusqu'à l'humanité. Ce n'est pas l'homme qui
de chair et de sang. Comme homme : Il est notre Frère'
comme Dieu : Il est notre Seigneur; comme Homme~
est devenu le Verbe de Dieu, mais <;'est le Verbe divin
qui est devenu homme. Comme l'écrit saint Paul :
Dieu : Il est notre Sauveur
« Il s'est anéanti Lui-même, en prenant la condition
. C'est un fait bien connu, nous l'entendons tous les
d'esclave, en se rendant semblable aux hommes et
Jours, que notre sainte religion termine toutes ses prières
reconnu pour homme par ses dehors» (Phllippiens II, 7)·
p~r. ces mots : « Per Dominum nostrum Jesum Christum'
Pourquoi nous réjouissons-nous de l'Incarnation du
Fzhum tuum ...... par Notre-Seigneur Jésus-Christ Votre
Fils »... ~ •. Voi~à ce que nous entendons tous les' jours,
Christ? C'est parce que le Christ est une preuve sen-
sible, perceptible, visible, saisissante et convaincante
ce . que nous dIsons dans nos prières, mais la masse de
que Dieu voulait nous sauver. Une preuve visible, car
belles et nobles vérités qui y sont contenues nous ne
pouvons l'apercevoir que dans la connais~ance de
·11 poùrrait-il y avoir une représentation plus perceptible
de Dieu que celle qui nous montre le Christ dans la
l'œuvre rédemptrice du Christ.
crèche et sur la croix? Une preuve saisissaf.lte, car
« Par Notre-Seigneur Jésus-Christ » 'quelles magni-
qu'aurait pu faire Dieu davantage pour nous que de
?ques vérités sont renfermées dans ces paroles entendues
livrer son Fils unique en rançon? Une preuve convain-
Journellement!
cante, car par l'arrivée du Verbe descendu parmi
Que reconnaissons-nous par ces paroles?
nous, notre rédemption est devenue une réalité incon-
86 LE SYMBOLE DES APôTRES L'œuvRE DE LA RÉDEMPTION
testable; en effet a vécu de · nouveau sur la terre quel- ment. Lors donc que nous disons )) par Notre.;.Seigneur
qu'un qui avec un cœur pur pouvait crier à Dieu dans Jésus-Christ )), nous reconnaissons une vérité fonda-
le ci~l : « Mon P~re :) et qui pouvait recevoir cette réponse mentale-'du christianisme: avec le Christ,notre tête,
du ciel : « CelU1~CI est mon Fils bien-aimé )). nous sommes dans une sainte unité.
B) Et celui que le Père céleste appelle son Fils bien- C) Mais nous reconnaissons aussi le dogme fonda-
aimé est en même temps aussi notre Frère, car II a en mental de la vie chrétienne: Vivre, combattre et mériter
Lui-même notre corps humain et notre sang, voilà où dans le Christ. Nous reconnaissons notre situation
réside l'e~sentiel ~u joyeux message de Noël. Non pas tragique: notre âme humaine remplie de penchants au
dans le fait que DIe.u est apparu visiblement parmi nous, péché ne peut pas par elle-même s'élever vers Dieu,
n~~ pas dans le fait· qu'II a marché, vécu, enseigné au . mais uniquement par Notre-Seigneur Jésus-Christ. Et
milieu de nous, mais bien dans le fait que celui qui a c'est pourquoi chaque fois que nous prononçons cette
marché, vécu et enseigné au milieu de nous est aussi not1'e formule, c' est comme si l'humble publicain était à côté
lrhe par le sang. Ce fait aiguilla sur une autre voie le de nous.
che~in suivi jusqu'alors par l'humanité, ce fait nous Mais derrière ces paroles retentit aussi notre joie
OU~Tlt une nouvelle source, nous apporta une nouvelle confiante : certainement nous obtiendrons ce que nous
racme dans le Christ. Depuis nous avons une tête : le demandons par Notre- Seigneur Jésus-Christ.
" !
Christ, et nous sommes tous membres de cette tête Et le bonheur qui nous tranquillise le plus consiste
c'est-à-dire qu'il n'y a plus d'homme solitaire délaissé' dans la joie débordante de l'âme rachetée : de quoi
orphelin, parce que nous sommes ' tous frère~ dans l~ aurais-je peur, si j'aime le Christ qui est mort pour moi.
Christ.
Désormais je perçois les plus beaux accords de l'âme
Si nous descendons dans les profondeurs de notre foi chrétienne : des accents de joie, .de paix,' d'espérance et
qui nous fait dire journellement: « par Jésus-Christ de reconnaissance.
~otre Seigneur )), nous cOnstatons avec surprise com- Nous connaissons tous sainte Jeanne d'Arc, la Pucelle
bien elle renferme de sublimes leçons. C'est maintenant d'Orléans qui sàuva sa patrie. Elle est née dans le petit
que nous comprenons bien les paroles qui viennent village-de Domremy. Or dans les registres d'impositions
constamment sur les lèvres du prédicateur. Sans cesse de Paris, jusqu'à la Révolution~' à côté du nom de
n'est-il pas vrai, nous entendons dire: « Mes frères )/ Domremy il y avait cette annotation: « Exempt d'impôts
~aintc:p.ant nous comprenons que ce n'est pas là un~ à cause de la Pucelle )). Les mérites d'une simple jeune
Simple ~ormule, mais une sainte réalité; le Christ est fille ont donc affranchi d'impôts son village natal plus
notre S~lgneur et notre Frère et en Lui, sous sa mystique de quatre siècles; mais alors est-ce que les mérites du
souverameté, tous les chrétiens sont frères réciproque- Christ, est.. ce que la passion sanglante du Fils de Dieu
L'œUVRE DE LA RÉDEMPTION
88 LE SYMBOLE DES APÔTRES
ne peuvent pas nous lihérer de la peine du péché? mourants et tant qu'il y aura des hommes sur la terre;
Oui, prenons bien au sérieux ces paroles : « par Notre- les âmes rachetées ne cesseront 'amais de proclamer
Seigneur, Jésus- Christ ll. leur reconnaissance envers notre Rédempteur souffrant
Car si nous voulions actuellement faire un examen pour nous, envers le Fils de Dieu mort pour nous, envers
minutieux de nos exercices spirituels quotidiens, que Notre-Seigneur Jésus-Christ.
serions-nous obligés de dire? que de résolutions aban-
données, que de bonnes volontés paralysées, que d'efforts • '* •
sans résultat! et tous ces insuccès proviennent de ce que
nous ne prenons pas les choses au sérieux. Que de gens Et maintenant nous comprenons, mes frères, en quoi
sont remplis d'amertume à cause de tel ou tel défaut, consiste l'œuvre de la Rédemption et ce que signifie
à cause d'une mauvaise habitude et prennent cette « être chrétien )) .
résolution: dorénavant je ne resterai pas dans cet état - ttre chrétien veut dire posséder le Christ et avoir été
et pourtant tout reste comme précédemment, car ils racheté par Lui. Non par nous-mêmes, mais « par
veulent se racheter eux- mêmes et ne s'appuient pas sur Notre-Seigneur Jésus-Christ)), « per Dominum nostrum
la main de Notre-Seigneur Jésus-Christ. J esum Christum ll.
Chaqùe fois donc que nous prononçons ces paroles si ttre chrétien veut dire mettre toutes nos pensées
fréquentes: « par Notre-Seigneur Jésus-Christ )), notre dans les mains du Christ et puiser en Lui toute notre
cœur doit battre de la joie vivifiante de notre rédemption confiance.
et nous devons contempler avec des yeux émerveillés ttre chrétien veut' dire aimer Dieu plutôt que Le
et une joyeuse fierté la face de Jésus, Notre-Seigneur, craindre.
,1 1
dans la plus sainte apparition de l'histoire du monde. ttre chrétien veut dire observer la volonté de Dieu
L'enfant de Bethléem et le Christ ensanglanté du et réunir toutes nos forces pour pouvoir toujours
Golgotha ont conquis le monde, tout comme Cyrus, l'exécuter. Mais si nous tombons dans le'"péché?
Alexandre le Grand et tant d'autres conquérants. Mais ... Comment? Est-il possible qu'un chrétien tombe dans
, '
',, 1'
quelle immense différence entre eux et lui! Le nom le péché? Ah 1 où est-il celui qui n'est jamais tombé?
, ,1
,1 et la puissance de ces derniers se sont élevés tout d'un Non. ttre chrétien ne signifie pas, ne pas tomber dans
coup comme une vague gigantesque pour retomber le péché, mais veut dire : ne pas se sentir à son aise dans
bientôt sans laisser de trace, tandis que le Christ aujour- le péché, ne pas s'y complaire, mais crier de ['abîme vers
d'hui encore vit, commande et règne: et que sa croix le Christ Rédempteur et se cramponner à son bras puissant.
brille en haut du clocher de l'église, sur les tombes des Celui qui règle ainsi sa vie ne peut pas périr. Celui qui
cimetières, sur la couronne des rois, dans la main des s'attache au Christ avec une foi aussi profonde et un
JI " I,
l"~
, i
LE SYMBOLE DES APÔTRES LE SERPENT ET L'AGNEAU 97
II est venu pour me racheter. Comment m'a-t-il équivalait à une prière, de même ils s'adressaient au
racheté?
é . , ses souffrances et par sa mort. Le pec
Par ' lle' Christ avec le mot « Kyrios », « Dominus » et précisé-
t~It. un~ revolte contre Dieu, la rédemption fut la sou- ment dans ce mot se pressaient les sentiments de l'âme
mISSIOn a la. volonté de Dieu; le péché était l'orgueil _ en prière. De l'âme qui comprenait à quelle reconnais-
l~, r~demptIOn ~ut une humiliation; le péché était sance eUt? était obligée à cause du sang versé parl'Agneau
", " l egolsme - la redemption fut un sacrifice. de Dieu. « L'Agneau qui a été immolé est )digne de
,1 1 Les catholiques français parlent avec vénération d'un recevoir la puissance, la richesse, la sagesse, la force,
Il
curé de Paris, du nom de Machiavelli, qui abandonna l'honneur, la gloire et la bénédiction » (Apocalypse V,
.' l' s~ magnifique église de Saint-Augustin, pour aller 12).
1" :1 s'mstaller comme missionnaire auprès des nouveaux
païens incroyants, abandonnés et aigris dans un de ces
II
faùbou~gs qui ~oussent comme des champignons autour
:'/1 de P~ns, à Samt~Ouen. Des garnements lui jetèrent
PARTICIPONS A LA RÉDEMPTION.
des pIerres en pleme rue. Une l'atteignit au front et le
b~essa. Le. prêtre ramassa cette pierre ensanglantée et
d~t : Mer.cI, mes amis! Je garderai précieusement cette Mais il ne suffit pas de savoir, mes frères, que le sang
pIerre et Je vous promets qu'elle sera la première pierre de l'Agneau de Dieu a été versé, pour nous: il faut aussi
de l'église que je bâtirai ici ». que nous profitions du sang divin. Comment devons-
Et de fait, l'église existe aujourd'hui et dans un de ses nous en profiter et comment devons-nous coopérer avec lui,
~u,rs est scellée la pierre rougie du sang de ce prêtre nous ne le verrons que si nous savons clairement en
zele. quoi consiste la Rédemption.
l'
b) C'est ainsi que notre Grand Prêtre a scellé de son Nous sommes donc rachetés? Je ne m'en aperçois
1'11 sang notre rachat et c'est pourquoi nous l'appelons pas. La période d'attente est déjà passée, mais où en
'
,
. ,~. l Not1'e-Seigneur. avons~nous la preuve? Nous, chrétiens, nous sommes
. L'hist?~re de la liturgie 'apporte la preuve que la rachetés? De quoi? La tentation n'existe-t-eUe plus?
JuxtaposItIOn du mot ({ Kyrios » au nom du Christ est Bien trop!, Et le péché, la souffrance, la mort? Hélas 1
a~ssi ancienn.e que l'~glise elle-même. D'autre part il Alors qu'est-ce que cela veut dire la Rédemption?
',II n est p.as molOS certam que dans le mot « Kyrios », A) Exami,nons d'abord, ce que ne signifie pas la
({. D?mlOUS » se trouvait renfermée l'essence du chris- Rédemption. ' _
tIamsme. De même que les chrétiens s'adressaient à leur a) En premier lieu, elle ne veut pas dire que celui qui
Père du ciel avec le mot « Abba », « Pater » et ce mot a été racheté ne sera plus tenté.
,,"
' l,
LE SERPENT ET L'AGNEAU 99
98 LE SYMBOLE DES APÔTRES
Alors même le chrétien court le danger de tomber (S. Jacques 1,' 12). Le Christ ~e ,nous a. donc pas ôté la
dans le péché? Certainement. « Le royaume des tentation, mais Il nous a appns a la yamcre.
cieux souffre violence, a dit Notre-Seigneur, et ce b) La rédemption ne sig~ijie pas non plus q~e l~ sang de
sont les violents qui s'en emparent )} (S. Matthieu l'Agneau de Dieu a supprzmé pour nous le peche.
XI, 12). Et le Christ aussi a regardé en face la tenta- L'homme racheté peut donc encore commettre le
péché? mi es~ ,alors la Rédemption?
, t"
tion, pour nous apprendre comment nous devons lui
", résister. ' . Malheureusement, il le peut. Le Chnst ne nous a pas
Que de fois on entend cette plainte : « Pourquoi le o la possibilité de commettre le péché, mais
'té . Il nous a
l'
Christ ne m'a-t-il pas délivré de cette épreuve? )} donné la possibilité de le vaincre, ou bien SI nous avons
,"
C'était pour que j'acquierre plus -de mérites, en la eu le malheur de succomber, le pouvoir de nous releve,:.
supportant. Ne sentez-vous pas combien l'image dé Tomber est humain et c'est un triste spectacle; malS
Dieu s'est embellie en vous, lorsque vous avez triomphé y a-t-il un spectacle plus émouvant et plus réconfortant
de telle ou telle tentation? que le relèvement d'un grand p~cheur? .
Le Christ ne nous a pas ôté la tentation, mais Il nous a Ah! ne croyez pas que te chemm de la pémtence est
donné la force de ne pas y succomber. Le serpent peut aussi dépourvu de joie que celui de la vie moderne
encore mordre aujourd'hui, mais nous avons un contre- enfoncée jusqu'au cou dans les jouissances. Ne croyez pas
poison particulièrement actif : le sang de l'Agneau. Et que 'a pénitence nous met en mains un~evolv~r, com~e
'I II
maintenant je saisis ce que cela veut dire: je suis catho- le fait l'incroyance moderne à la fin d une VIe gâchee.
Nulle part la malédiction de, l'i,ncro~ance,.?'~pparaît
, /"
lique, je suis racheté. Des jours de tristesse peuvent
,1 plus clairement que dans le pech~. 9U1 a deJa eté con-
"
fondre sur moi, mais je regarde le Christ dans les yeux
et une force en rayonne. Moi aussi je suis attiré par le verti par l'incroyance? Elle a en Jete beau~~up d.ans ~e
péché, mais je lui tiens tête résolument, comme le désespoir, elle en a poussé beaucoup au SU1cl~e : JamaIS
Christ dans le désert. La mer des tentations déferle et elle n'en a sauvé un seul. Le Christ au contraIre se place
menace de m'engloutir, mais je saisis la main du Christ à côté de vous, lorsque vous avez pris. au confefssionn~l
,. " . ,~,
Sacrements: viens, puise et tu seras sauvé. En quoi con- les Juifs Il. (! Et plus bas que les Juifs? » Oui, ré~ondit
siste donc la Rédemption? » Quant à tous ceux qui L'ont le mort les mauvais chrétiens qui ont été rachetes par
reçu Il leur a donné le pouvoir de devenir enfants de le san~' de Notre Seigneur, mais ne l'ont- jamais
Dieu JJ (S. Jean l, 12) Ne nous avait-Il donc pas déjà apprécié: ils sont plus bas que tous ~~s a~tres en enfer.».
sauvés en naissant à Bethléem? Non. Mais en naissant Mes frères ne nous faisons pas d illUSiOns. Le Chnst
aussi au dedans de nous : donc si moi aussi je travaille est unméde~in' il nous a offert un remède, celui qui
pour mon âme. veut guérir doi~ prendre ce remède. Le Christ est un
b) Mais comment participerai-je à la grâce surabon- jardinier: il a planté l'arbre ~e vie, cel~i qui v,eut être
dante de la Rédemption? sauvé doit aller auprès de lm. Le Chn~t est 1 ~gne~u
Par le baptême; mais pas uniquement par lui. La grâce qui a vaincu le serpent, celui qui veut vamcre dOlt bOlre
baptismale efface le péché originel, mais elle ne fait pas du sang de l'Agneau.
disparaître ses traces, ses marques, ses restes. Dieu
1 1
1 1,1 r
MES FnÈREs, 1 .
.!
« JE SUIS RACHETÉ ».
Le sang versé par l'Agneau de Dieu a vaincu le
serpent séducteur et depuis nous sommes sauvés, tel a
été le sujet de mon sermon de dimanche dernier. A) A la base du christianisme se trouve cet~e a~rma
Le dogme de la Rédemption cependant est une tion: Nous avons été rachetés par le Chnst Notre-
colonne si solide de la foi chrétienne et la conscience Seigneur. Mais que veulent dire ces paroles si souvent
d'être racheté est un si ferme appui de la vie morale que entendues: « Nous avons été rachetés »?
je veux consacrer à l'étude détaillée de cette idée encore a) Les enfants allemands ont un joli chant de Noël
de nouvelles instructions. dont deux vers peuvent fournir une excellente réponse
:Ëtn; chrétien signifie non pas seulement croire à à notre question.
la parole de Dieu et observer les commandeménts, mais Que veut dire ce mot la Rédemption, demandons-
renaître dans le Saint-~sprit, être racheté par Notre- nous. Ces deux vers répçmdent : « Le monde était perdu.
Seigneur Jésus-Christ. ' Cette conscience d'avoir été Mais le Christ est venu », voilà la Rédemption, quelle
racheté donne à notre vie sécurité, force et joie, car le brève, simple et naïve réponse, mais quelle sage, instr~c~
Christ est la racine de notre vie et la couronne de notre tive et véritable réponse! Seul celui qui regarde amSI
travail; mais d'autre part elle signifie aussi pour nous l' œuvre de la Rédemption comprend notre joie en la
1"
Il ': ,. un grave devoir et une obligation. fête de Noël. Il n'est pas d'autre fête aussi ravissante,
Celui qui voit clairement ce que veut dire être racheté aussi pleine de poésie, aussi proche de l'âme humaine.
sera rempli d'une fierté et d'une joie bien légitimes, en Mais quelle en est la cause? La jubilation des enfants?
108
LE SYMBOLE DES APÔTRES \
\.
NOUS AVONS ÉTÉ RACHETÉS 1°9
\
L'arbre de Noël scintillant de lumières? Le révei1l6n? \ ffi .,
" ,1
Les cadeaux? 1 ~uelle incroyable, quelle renversante a r~atto?- :
Toute l'œuvre divine de la Rédemption, le chemm SUIVI
1 Non. Tout cela n'est que l'accessoire de la fête tout
par l~ Christ de Bethléem au Golgotha, les diaman~s
cela n'est pas l'essentiel. L'essentiel, ce sont les p~roles
précieux de son sacrifice, de son amour, de son travaIl
des ang:s. aux bergers: « Voici que je vous annonce une et de sa patience que le Christ a semés sur cette route,
gran.de JOIe. Il vous est né aujourd'hui dans la cité de tout cela nous appartient. Voilà ce que signifie cette
DavId, un Sauveur qui est le Christ le Se'
,(S . L uc, II, 10-II). " Igneur Il expression: « Nous avons été rachetés ». Elle signifie ce
qu'a écrit saint Thomas d'Aquin: « Les souffrances du
Il ya quelques années le pape recevait en audience un
Christ nous appartiennent autant que si nous les avions
pèlerinage suisse avec l'évêque de Genève et Lausanne
nous-mêmes endurées jusqu'au bout ».
à sa tête. Et le pape, devant les pèlerins, fit l'éloge de
La Rédemption veut dire aussi que tous nous avons
l'évêque qui, pour sauver tm de ses prêtres dont la été attachés à la croix, dans le Christ, notre frère. La
guérison exigeait une transfusion du sang, avait donné Rédemption signifie donc que la satisfaction exigée par
héroïquement le sien. En vérité, un magnifique exemple la justice divine de l'homme pécheur a été essentielle-
du pasteur donnant son sang pour sa brebis! Mais ment donnée par le Christ, parce que le Christ est
Notre-Seigneur Jésus-Christ, mes frères, a donné son l'Agneau de Dieu, qui enlève les péchés du monde. Elle
sang pour nous. Et non seulement son sang, mais sa vie. signifie que les noirs nuages qui s'étendaient entre Dieu
Et non pas seulement pour un, mais pour tous. Et Il et l'homme sont disparus et que Dieu maintenant nous
ne l'a pas donné seulement une fois, mais Il le donne appartient de nouveau, comme nous de nouveau nous
tous les jours au mystérieux sacrifice de la messe. Voilà appartenons à Dieu. « Le Christ est mort pour tous, afin
la ~édemption. En vérité, le monde était perdu. _ que ceux qui vivent ne vivent plus pour eux-mêmes,
MalS le Christ est venu.
mais pour Celui qui est mort et est ressuscité pour eux»
b) ?n pourrait encoi:e exprimer ainsi la même idée: (II Corinthiens V, 15). « Il est victime de propitiatio?-
D~ faIt que le Christ devint notre frère, c'est-à-dire pour nos péchés, non seulement pour les nôtres, fiaIS
pn~ notre .corps et notre sang, Il nous entraîna tous dans pour ceux du monde entier Il (1 S. Jean II, 2).
l~ CIrculatIOn de son sang, si bien que depuis la Rédemp- c) Mais li ceux qui réfléchissent à fond sur tout cela
tIon nous sommes devenus membres du Christ et c'est pour il n'est pas nécessaire de dire qu'ils doivent être fiers.
,. ,., cela que nous appartient tout ce que le Christ a fait pour
l', Fiers? De quoi? Du christianisme. Soyons fiers! De qui?
nous : pas une larme, pas une douleur du Christ ni ses Du Rédempteur, de Notre-Seigneur Jésus-Christ.
souffr~nces ni sa mort, ni joie ni victoire qui n~ nous Voilà Notre-Seigneur sur le mont des Oliviers au
_a ppartIennent également.
dernier jour de son pèlerinage terrestre et en guise
110 , LE SYMBOLE DES APÔTRES 1\ \ NOUS AVONS ÉTÉ RACHETÉS
. [II
" 1
l,
d'adieu Il adresse à ses a ôtres
naires . « Toute p'UI' P,
' !
ces paroles extrajordl-
, ,
appliquez-vous d'autant plus a assurer par vos bonnes
. ssance m a été donnée ' l '\ . , . .
la terre» (S. Matthieu XXVIII 18 au CIe / t sur ceuvrtîS votre vocatlOn et votre electlOn» (II S. Pierre l,
J mes frères? Toutepuis Q " ). Vous entendez,
sance. u est-ce que cett 1 ?
10). Ce qui veut dire que très certainement le Christ
' • ••
!',,1'l ''. Lorsque Franklin eut d'
.
1 e paro e .
ecouvert e paratonnerre '1
est mort pour tous, mais que tout aussI certalllement Il
. 'le . ..
ih ; auraIt peut-être pu dire . T . , ,1 est mort tnutz ment pour mm, st Je ne veux pas, par mon
donnee ' sur la foudre Q . dloute' db
pUlssance m'a ét'e travaz·z personne, l ' . aux mérites
parttczper rlSt. Il a f'
. du Ch' aIt
1'0 cean,
' . '. uanu d',m . T
peut-être aurait-il ergh eut 'survol'
,e .Jal'11'Ir 1a source, mals
. 1'1 f aut que nous nous pene h'lOns
m'a été donnée sur l'océan:'. 1re. oute pUIssance sur elle pour y boire. La source du Christ sera inutile,
. Mais affirmer: « Toute puissance m'a été do • si je ne veux pas y boire.
CIel et sur la terre» Sur terre 1 Et da 1 . II nnee au a) Il est épouvantable de penser qu'Il y a des hommes
cl 1 d ., . , ' ns e CIe . Et jusque 1 l ' .
ans a ernlere nébuleuse! Et qui a l ' ' . pour esque s le , Christ est mort en vam, et pour lesquels
-, ,f' par e amSI ? Quel- . .
qu un qUl ut toujours réfléchi Qui " é ' . le sang du Christ a coulé en vazn.
Q . 1'" . n exag ra lamaIS .
Ul ne se alssa j:m~alS entraîner. Et maint Il' d ' E s t - c e donc possIble?
cet 0 r d re : « 'rou te puissance m'a été donn'enant .onne
1 L' empereur Constantlll . 1e G rand fut pns . un Jour
.
sur la terre. Allez donc, enseignez toutes 1ee au .CIe ' et d'une maladie terrible et ses médecins lui prescrivirent
Et voici ., que J e SUIS. avec vous jusqu'à la conessom
nattons...
. un rem . b le. Il'
' ède a bomllla n y avait 1 nen
. pus . à tenter,
des slecIes )l (S. Matthieu XXVIII 18-20) Je ~atton dirent-ils, sinon d'égorger une bande de petits enfants,
vou t 1 . . ' . SUIS avec . . . .
sous es jours, Je SUlS avec vous en 67 ' cruc'fi de recuetlhr leur sang dans une baIgnOIre et de s'y
de ' p' . 1 ement
samt lerre. Je suis avec vous en 303 ' perse'c t' tremper, Alors se.ulement, grâce à ce bain dans un sang
de D' lé' . , U tol1
toc. tIen. Je suis avec vous en 19 1 9 ; révolution jeune et fortifiant, l'empereur pourrait être guéri.
com~u~lste en Hongrie. Je suis avec vous en 1928 ' Idée horrible! Mais l'empereur fut assez religieux
Persecutton
,m mexI'ca'
e. . pour ne pas SUIvre, 1'aVIS
. d e ses médeCllls,
.
Votlà tout ce "fi - ,
que slgm ent ces quelques mots' que Cependant supposons que l'empereur ait fait ce que
nouhs éavons été rachetés, Soyons fiers d'aVOir' été les médecins lui avaient dit. Il fait tuer les enfants, se
racB etCs. b algne
' et gue"nt. A '
ssurement, les gernlssements
,. d es
l' !t ep~mda~t nous lisons dans la seconde Épitre de mères en deuil auraient été entendues dans le pays. "
.. 1 apo re samt PIerre un av t' . . é' ,
'h' er Issement dont l'ignorance malS pourtant .. .la VIe d'un tel empereur m ntal'
nous ernpec eralt de Corn d '
de 1 R ' d ' pren re completernent le sens peut-être encore davantage,
a. t p:
e ernptton
" ' M allltenant
. supposons que C ' aIt
onstantlll . f ait
. égorger
S am Ierre ecnt en effet' «C' t ' , . ,
, . es pourquoI, mes frères, les enfants et se Sott baIgne dans leur sang ... et que le
bain soit resté sans effet. Qui pourrait décrire les lamen·
NOUS AVONS ÉTÉ RACHETÉS Il3
Il2 LE SYMBOLE DES APÔTRES \
le chant de victoire de ceux qui sont délivrés de la que leur lance le Sauveur ne trouve pas par où pénétrer
captivité du péché. au fond de ces âmes. ,
La plus imposante et la plus solennelle procession de Voilà les indifférents et ils ne bougent pas, parce qu'il
l'histoire du monde passe sous mes yeux. n'y a personne pour les pousser dans le ~ortè~e.
En tête s'avance un homme tout couvert de sang, Voilà les ennemis et lorsque le Chnst s approche
dont une croix meurtrit l'épaule et derrière lui les d'eux, ces mains gantées de peau et aux doigts cerclés
meilleurs du monde, l'elite de l'humanité. d'or cherchent des pierres. .
Voici les pauvres pécheurs qu'il a choisis pour Mais voici aussi ceux qui attendent pleins d'espé-
prêcher son nom les premiers. Voici saint Pierre, le rance, les peuples lointains à demi-sauvages' qui .vou-
draient peupler le royaume de Dieu et font cette pnère :
premier pape et derrière lui les 259 autres papes. Des
« Que Votre règne arrive 1 Et ils implorent : Venez,
milliers d'évêques et des dizaines de milliers de prêtres,
Seigneur Jésus, venez!
qui L'ont servi avec fidélité, de toutes leurs forces et
Voici les fidèles, les dévoués, les enfants du Christ
llvec persévérance. Les Pères de l'Église. Voici les
par millions et centaines de millions. .
millions de martyrs avec sur leur front livide l'auréole
Et au milieu d'eux tous, quelque part dans cette foule
de la gloire. Voici les moines du désert et des cloîtres.
immense, vous êtes là aussi, mes frères. ~
Derrière eùx des millions et des millions de tous les Vous êtes là mais dans quel groupe, dans quels rangs.
temps, de tous les peuples, de toutes les langues priant Parmi les froids.? Parmi les tièdes? Parmi les ennemis?
et chantant dans des milliers de langues et de dialectes. Parmi les blasphémateurs?
Des saints en vêtements magnifiques et des saints en Oh! Non, Non!
habits de travail, des saints venus du désert et des saints Mais, n'est-ce pas, mes frères, parmi les · centaines de
sortis des palais royaux.
millions qui prient avec reconnaissance,. do~t la vie plu~
Voilà les confesseurs dont les peuples buvaient les encore que les levres chante le chant de vlcto~re de ce~x qUt
paroles. Voilà les vierges aux yeux candides, les jeunes sont sauvés. Le monde était perdu. - Mats le Chrzst est
gens mûris par l'éducation de l'Église ... Et en avant venu. Nous Vous remercions. Seigneur, parce que Vous
d'eux tous, chemine Celui qui porte une croix sur ses rlOUS avez rachetés. Amen.
épaules.
Et sur le bord du chemin, où circule depuis deux mille
ans ce cortège universel, sont debout les hommes
d'aujourd'hui et ils attendent le passage du Sauveur.
Voici les paresseux, les curieux, les âmes glacées,
enfoncées dans les jouissances mondaines et le regard
JE SUIS UN ENFANT DE DIEU 121
MES FRÈRES,
A) La pensée que nous sommes enfants de Dieu et
toutes les obligations qui en découlent ont été clairement
L.a fille de Louis XV, Louise de France, apostropha exprimées dans ce dialogue qui eut lieu jadis entre deux
un Jour en ces termes une de ses dames d'honneur : membres d'une famille noble fort distinguée.
« Mais, pensez, je vous prie, que je suis la fille de votre Un jeune homme qui partait faire ses études vint
roi ». Et la dame d'honneur lui répondit avec calme : adresser ses adieux à son père. « Mon fils, n'oubliez pas
« Et vous, Madame; songez que je suis la fille de votre que vous êtes un Ravenstein. ' Quelles que soient les
Dieu ». tentations qui vous enveloppent, dites-vous bien : un
Oui, depuis la Passion rédemptrice du Christ, nous , Ravenstein ne peut pas fàilIir. » Tels furent les adieux
sommes tous enfants de Dieu, nous sommes fils adoptifs du père à son fils; profondément ému, celui-ci promit
de, Dieu. C'est ce que nous apprenons au catéchisme,
' de demeurer fidèle à ses aïeux et il partit pour une ville
c est ce que nous entendons dans les sermons, c'est une universitaire.
expression courante, employée tous 'les jours, mais nous Là, sa première visite fut pour le membre le plus
n'avons peut-être encore jamais pensé à fond à la sainte âgé de sa famille, un Bénédictin de grande expérience
réalité, à la sublimité et à la profondeur de cette formule et de grande réputation à qui le jeune homme raconta
si usitée: « Je suis un enfant adoptif de Dieu ». les paroles d'adieu de son père. Une ombre passa sur
La dignité d'enfants de Dieu à laquelle nous sommes le visage du vénérable religieux, il regarda un moment
parvenus grâce aux souffrances du Christ, telle est Ïa dans le lointain tout pensif, puis ramenant ses yeux sur
sublime doctrine qui va faire le sujet de mon mstructlOn la figure rayonnante du jeune homme, il lui dit :
d~aujourd'hui.
« Maintenant que vous voilà livré à vous-même, vous
[22 LE SYMBOLE DES APÔTRES JE SUIS UN ENFANT DE DIEU 123
devez entendre de tous autres discours que ceux que Les yeux grands ouverts, le jeune homme regardait
vous avez entendus de votre père et vous devez vous son oncle;- puis lui demanda avec anxiété : -
faire un~ opinion à ce sujet. Faites attention à ce que je « Je sens que vous avez raison, mon oncle, mais
vous dis. Moi aussi, mon père m'a_,envoyé avec ces maintenant à quoi faut-il m'en tenir? Donnez-moi
parolès de recommandations et c'est ainsi que je suis donc un autre conseil paternel »1
parti au loin en fier Ravenstein: J'avais tellement le Alors le vieux Bénédictin prit les deux mains de son
seliltiment de ma valeur que j'accordais plus de confiance neveu dans les siennes et lui dit du fond de son âme
à la force de mes aïeux qu'à Dieu notre Sauveur. Mais inûrie dans la souffrance et la méditation :
la vie a brisé mon orgueil en morceaux ... « OubHez que vous êtes un Ravetistein, maù n'oubliez
Mon cher neveu, quand je pense maintenant à tout pas un seul instant que vous êtes un enfant de Dieu et que
ce que j'ai fait dans ma vie et à tout ce que j'ai lu dans Dieu s'est fait homme pour vous rendre attentif à cette
la chronique de nos ancêtres, alors les paroles cc Un haute origine. Que dans toutes les luttes de la vie Dieu
Ravenstein ne peut pas agir ainsi » me remplissent soit devant vos yeux et votre cœur 1 Ne vous Jaissez pas l'
d'effroi. Car il n'y a pas de crime qu'un Ravenstein, soit tromper par votre Moi orgueilleux, induire en erreur
homme soit femme, tantôt en secret tantôt en public, par les grands mots du monde. Restez fidèle jusqu'à la
n'ait commis. Aussi je vous répète ce que votre père mort et il vous donnera la couronne de la vie éternelle ».
vous a dit, mais en sens contraire: N'oubliez pas q\le Mes frères, en vérité il valait la peine de rapporter
vous êtes un Ravenstein et que vous portez en vous un au long cette conversation entre le vieux religieux et son
héritage dangereux. A côté d'ancêtres remarquables il jeune neveu. Oui, ces sages paroles de la bouche d'un
ya aussi dans notre famille de grands bandits et Dieu moine plein d'expérience méritent de passer à la posté-
seul sait quel est le vrai Ravenstein. rité : « Oubliez que vous êtes le fils d'une famille riche
Savez-vous d'où est venue pour moi la plus grande et distinguée; mais n'oubliez jamais que vous êtes enfant
tentation à des actions mauvaises et déshonorantes? de Dieu ».
De la fausse idée que, par suite de ma naissance, j'étais B) Que,lle résolution bénie que celle par laquelle Dieu
meilleur que tous les autres et supérieur à tous. Précisé- voulut devenir homme!
ment cette fausse idée que nous sommes plus distingués, a) Savez-vous en effet ce qui en résulta? Qu'Il se
que nous descendons d'une excellente noblesse paralyse choisit une mère, une mère terrestre, comme nous en
trop aisément nos efforts et notre ardeur pour une avons une. Qu'II se choisit une demeure familiale, un
véritable délicatesse d'âme et notre perfectionnement berceau, une patrie, des années d'enfance, comme nous
et un tel esprit de caste étouffe trop rapidement en nous en avons. En un mot, Il s'est tout à fait enraciné parmi
la conscience de nos péchés ...... » nous. En devenant homme, en reconnaissant pour sa
12 4 LE SYMBOLE DES APÔTRES JE SUIS UN ENFANT DE DIEU 12 5
mère la Bienheul'euse Vierge Marie, Il nous a reconnus c) Au XVIIe et au XVIIIe siècles, de nombreux savants
pour ses frères. Et si nous sommes les frères du Christ, s'occupaient jour et nuit à chercher la « pierre philoso-
les frères du véritable-Fils de Dieu, alors nous sommes phale ». Ces alchimistes cherchaient le secret de faire de
aussi fils adoptifs du Pere céleste. Au château de Schûn- l'or, ils croyaient pouvoir découvrir le moyen de trans-
brunn près de Vienne, on montre le berceau d'argent former en or pur un vil métal.
offert par la ville de Paris au fils de Napoléon rel. Une Cette « pierre philosophale» l'humanité ne l'a pas
œuvre d'art sans pareille, avec un aigle doré et des èncore découverte ... mais un secret mille fois plus grand
pierres ~précieuses... Certainement en rapport avec est venu entre nos mains, par la doctrine du corps
le titre pompeux que l'on avait donné au nouveau-né mystique du Christ, suivant laquelle pour le chrétien
dès son berceau. en état de grâce, c'est-à-dire s'il n'a pas de péché grave
Mais qu'est-il advenu de tout cela? Comme titres et sur la conscience, par la participation aux mérites du
décorations sont disparus, devenus des hochets sans Christ, tout travail, même apparemment sans valeur,
valeur 1 Le véritable -titre c'est la dignité immortelle toute occupation à la maison, toute conversation, le
conférée au nouveau-né : la dignité d'enfant de Dieu sommeil, le manger, tout projet, toute privation et toute
"eçue par le baptbne. A chaque baptême toutes les souffrance ... toutes ces choses deviennent devant Dieu
cloches de l'église devraient sonner, chanter l'Alleluia, une prière excellente. « Soit que ,vous mangiez, so~t que
lorsque le sacrement confère à l'âme d'un petit enfant vous buviez ou fassiez toute autre-chose, faites-le pour
la dignité d'enfant de Dieu. la gloire de Dieu » (1 Corinthiens X, ,3 1).
b) Rz'èhard Wagner a écrit Un jour ces paroles riches Si je puis employer cette expression, nous sommes
de sens: « Savoir qu'il y a eu un jour un Sauveur reste amalgamés avec le Christ à la vie et à la mort. Nous
le plus grand bien de l'homme ». n'avons pas une seule idée, un seul mot, un seul projet,
Hélas 1 Cette connaissance seule servirait fort peu. une seule action qui ait sans le Christ assez de force pour
Nous savons que ce n'est pas seulement autrefois que nous élever au ciel. De même que dans certaines grottes
le Christ a vécu parmi nous, mais qu' aujourd' hui encore les stalagmites qui s'élèvent de bas en haut sont inca-
Il vit parmi nous et en nous et que les mérites de sa pables de rien faire par elles-mêmes, mais grandissent
Rédemption nous profitent sans cesse, c'est que nous exactement dans la mesure où des gouttes d'eàu tombent
sommes les enfants de Dieu et les frères du Christ, les sur elles, de même nous ne pouvons nous dresser vers
membres de son corps mystique. le ciel qu'autant que le Christ aide à notre croissance.
Je suis membre du corps mystique du Christ, son sang Voilà justement en quoi consiste la connaissance
cÙ'cule en moi, son cœur bat à la place de mort cœur, son sublime de notre qualité d'enfants de Dieu et de frères
souffle m'anime. 'du Christ.
126 LE SYM130LE DES APô'tRES JE SUIS. UN ENFANT DE DIEU 127
que vous êtes frères du Christ, que vous êtes fils adoptifs . traîne tout qui exige toute notre attention, qui
qUI en " . hl
de Dieu. ' réclame nos nerfs, nos efforts;--toutes nos mmutes, ~
c) Hier c'était la fête de saint Remi, évêque. Lorsque comment aurait-on encore le temps de penser ~ ce t:tre
le roi des Francs, Clovis, en 496 fut baptisé par saint Remi d'enfant de Dieu et à ce qui naturellement dOlt en etre
dans l'église Saint-Martin à Reims, le pontife voulut la suite : une vie dirigée suivant la volonté de Dieu?
donner à la cérémonie un cadre digne de l'importance a) Je voudrais répondre à cette question dé~ante par
de ce baptêine. Il fit couvrir de tapis le chemin con- la lettre d'un auditeur de mes sermons, un pemtre fort
duisant à l'église et orner splendidement l'intérieur de intelligent. Les quelques lignes que je vais l~re seront
l'édifice; une quantité de cierges dont la cire avait été pour beaucoup de me~ auditeurs une réplIque à la
au préalable trempée dans un parfum de fleurs de grand question posée.
prixl devaient répandre leur lumière et leur odeur. Le «La lutte pour la vie ne me permet pas de demeurer
roi enthousiasmé demanda à l'évêque: « Dis-moi, est-ce longuement à l'église, les dimanches et jours de fête,
le royaume du ciel dont tu m'as parlé dans tes après avoir assisté à la sainte messe. J'~ntends le ~ermon
instructions? » à la radio dans mon atelier. Je suis pemtre, dessmat~ur
Non, répondit le pontife, ce n'en est qu'une ombre et critique d'art, je vous en avertis pour qu: vous VOyIez
bien pâle. Puis montrant le baptistère, il ajouta ces quel intellectuel, curieux, inquiet, remph de doute~,
paroles : « Voilà la porte qui t'y conduira ». Et arrivé à écoute vos sermons et quelle impression ils font SIU lut.
l'entrée, il formula la condition à remplir pour la fran- Avec un sourire de piété je dois avouer que j'ai été
chir. « Incline la tête et adore ce que tu as brûlé et brûle athée pendant une ~ingtaine d.'années. L~.s ouvrag~s ~es
ce que tu as adoré» - , « Adora, quod combussisti, combure, philosophes pessimIstes, momste~ o.nt deJà dévoy~ ble.n
quod adorasti ». des gens; moi aussi j'ai été leur vlct1ll~e. ~a grâce mfin:e
Voilà à q~oi nous oblige la dignité d'enfant de Dieu, de Dieu m'a arraché sur le bord de 1 ablme. Je me SUIS
Elle nous oblige donc à prendre à la lettre et à réaliser converti. Ma petite fille m'a pris par la main, il y a quel-
les paroles de saint Paul : « Quoi que vous fassiez en ques années et 1n'a conduit à l'église e~ dep?is j'y vais
parole ou en œuvre, faites tout au nom du Seigneur tous les dimanches et fêtes pour remerCier DIeu de cette
Jésus, en rendant par Lui des actions de grâces à Dieu grande grâce imméritée. .
le Père» (Colossiens III, 17). Dirai-je que depuis je suis plus calme, mIeux portant,
B) Quelqu'un dira peut-être que tout cela n'est que que je peux travailler davantage, résoudre des problèmes
de la poésie, un idéal monastique, mais comment pour- plus difliciles et que matériellement aussi mon sort s'est
rait-on le réaliser au milieu de la lutte acharnée du monde amélioré?
actuel? Dans ce combat sauvage pour le pain quotidien Par hasard?
-
13 0 LE SYMBOLE DES APÔTRES JE SUIS UN ENFANT DE D.lEU
Non. C'est tout a fait impossible. Je crois plutôt que tant d'hommes pour lesquels le sang du Christ a été
ma bonne mèr~, disparue de ce monde, a demandé mon inutilement versé. Dites-moi, mes frères : ne vous
pardon; je crois aussi que Dieu a déposé en moi, l'artiste, fait-il pas pitié le sang versé par le Christ? Ce sang sacré,
quelque chose que je pourrai mettre u!1 jour au service . ce sang divin qui couvre toute la terre, ..
de l'Église, quand? Je ne le sais'pas, je le soupçonne Toute la terre? demandez-vous avec étonnement. Je
seulement, - mais tout cela ne peut être l'effet du regarde la terre, mais je ne vois rien d'autre que de la
hasard ». boue, des pierres et des flaques d'eau.
,voilà quelques lignes de cette lettre. Faut-il encore Ah! C'est que vous ne regardez pas en chrétiens. Car
démontrer davantage que l'on peut, dans la vie fiévreuse autrement vous auriez aperçu partout des gouttes de
actuelle, conserver vivante la pensée que nous sommes sang du Christ tombées dans la poussière et perdues
enfants de Dieu et vivre conformément à elle? Faut-il dans la boue. Regardez ce petit enfant qui jusqu'a
démontrer que non seulement on peut vivre de la sorte, présent était si bon, si innocent et qui maintenant est
mais qu'une telle vie, déjà rien · qu 'au point de vue scandalisé par l'exemple de parents inconsidérés, comme
terrestre, est beaucoup plus paisible, plus douce, plus le sang du Christ tombe dans la boue!
joyeuse, plus humaine que tout autre genre de vie. Que Voyez ce jeune homme dont la pureté vient d'être
disait l'auteur de la lettre que je viens de citer sur son ruinée par un spectacle léger. comme le sang du Christ
état depuis qu'il est revenu a la vie religieuse? : « Depuis tombe dans la boue!
je ' suis plus calme; mieux portant, depuis je peux tra- Voyez ces hommes accablés par les soucis de chaque
vailler davantage, résoudre des problèmes plus difficiles jour et dont l'âme est fermée a toute influence religieuse,
et matériellement aussi mon sort s'est amélioré ». comme le sang du Christ tombe dans la boue!
Mes frères, nous que la grâce de Dieu a préservés de Partout où sur terre un homme commet le péché,
cette glace de l'âme, nous qui pouvons toujours nous partout où règne une détresse physique ou morale, le
réchauffer au soleil ardent du Cœur de Jésus, n'oublions sang du Christ tombe dans la boue. Mais en revanche,
pas de prier pour ceux qui gèlent, sur les champs glacés partout où des âmes semblables à celle de sainte _yéro-
du combat de l'âme, afin qu'ils se réchauffent de plus en nique essuient du front des hommes qui ' luttent la
plus a l'idée vivifiante que nous sommes tous frères du sueur de la souffrance, partout où des Madeleines
Christ et enfants ' 'de Dieu. versent <;les larmes amères de rep~ntir, partout où des
b) En effet,' malheureusement, nous ne pouvons pas Simon~ de Cyrène aident leur prochain a porter le
ignorer le fait douloureux que beaucoup d'hommes n'ont fardeau de leur croix, partout où des apôtres ramènent
pas conscience d"être enfants de Dieu. Nous ne pouvons au Christ des brebis perdues, on a pitié du sang dù
pas voir sans être émus que dans le monde actuel, il y a Christ, on adore le Christ souffrant.
13 2 LE SYMBOLE DES APôTRES
"
LE SYMBOLE DES APÔTRES L'ENFANT PRODIGUE 137
toute autre chose au monde, c'est l'innocence de son nerfs : je suis libre, je suis libre! Il ne sent plus la main
âme. Cette catastrophe spirituelle est bientôt suivie de sévère de son père, il ne voit plus les yeux rougis de
~a ~anqueroute intellectuelle et physique, car par la larmes de sa mère, il n'entend plus ni reproches ni
JOUissance ,effrénée de la vie, l'intelligence" s'émousse, réprimandes. Barrières, ordres, obstacles, tout est dis-
le ~aractère s'affaiblit et l'homme se montre plcin de paru ... Avec une joie débordante, il étend les bras vers
cymsme envers tout ce qui est noble. Notre-Seigneur le monde : A moi le monde entier. Je suis libre 1je suis
dépeint cet état en quelques mots seulement, mais sous libre!
ces ~uelques mots que d'idées! « Une grande famine Mais le monde est trompeur, le monde est insatiable.
survmt dans le pays », dit Jésus. Quelle réalité! Une L'argent diminua peu à peu et un jour, il fut obligé de
famine survint dans cette contrée. Mes frères, qui se mettre à emprunter. Il comptait emprunter à ceux
d'entre no].lS ne s'est pas encore aperçu que dans cette avec lesquels il avait banqueté nuit et jour, avec lesquels
c0n.trée, dans le monstrueux royaume du péché, il y a il avait dissipé sa grosse fortune... Mais où étaient
touJ?urs la, fami~e? De loin, il nous semble que passés ces camarades? Maintenant pas un seul ne se
la :le .de peché SOIt une table perpétuellement garnie; montrait. Ils avaient disparu comme s'ils n'avaient
~als SI les hommes aveugles cherchent à saisir les mets, jamais existé ... « Une grande famine survint dans ce
Il leur reste dans les mains de la boue, de la poussière pays ».
et. de la cendre. De loin il semble que la vie de péché e) Le malheureux fouille dans ses poches : elles sont
SOIt un champ couvert d'épis, mirage profondément toutes vides, plus un centime. Son estomac aussi est vide.
t~ompe~r; mais il ne reste dans les mains que des grains Mais il ne peut pas supporter longtemps cette situation.
VIdes: sll'o~ cueille c~s épis. De loin il semble que la vie Pendant un certain temps, il erre un peu partout à
de ~eché SOIt un papIllon aux mille couleurs, si joli, si l'aventure, mais la faim le presse toujollts davantage.
déSIrable tant que nous ne l'avons pas; mais quand nous Pas de travail, pas d'aumône, pas d'ami, pas d'affection.
nous sommes fatigués à mort après lui et que finalement Finalement quelqu'un l'engage comme porcher. Même
nous l'avons attrapé, il reste dans nos mains de la là il ne peut manger à sa faim. « Il aurait bien voulu se
pou~sière et un peu de cendre ... « Une grande famine rassasier des caroubes que mangeaient les pourceaux, mais
surVl11t dans le pays» (S. Luc XV, 14). personne ne lui en donnait )) (S. Luc XV, 16).
Quelle déception! Quelle amère désillusion! Quelle déchéance! De degré en degré! De chute en
Je.peu~ me représenter la joie enivrante de l'enfant chute! Où était-il et qu'est-il devenu? Maintenant il
prodlg~~ dans les premiers moments... Maintenant! voit comme elle est trompeuse la joie du péché. Il
Enfin. 1111stant est venu après lequel j'ai soupiré toute promet le ciel tant qu'on ne l'a pas commis, mais il
ma VIe et pour lequel a tremblé chaque fibre de mes laisse dans l'âme une morsure dia~olique, si l'on a le
LE SYMBOLE DES APÔTRES L'ENFANT PRODIGUE 139
malheur d'y consentir' et de le commettre. Alors tout et s'était dit avec orgueil: « C'est vrai, c'est ma faute si
est bon pour le pécheur et rien ne le satisfait. II boit je suis tombé si bas, mais je ne veux pas m'en sortir. Je
l'iniquité comme l'eau, sans trouver une vraie joie, sans suis 'décidé à ne jamais revenir en arrière. Je veux
goûter un moment de repos. II en est de lui comme d'un épuiser la coupe jusqu'au bout.f Je me réjouirai Gans
rat qui a mangé du poison et qui sent au dedan~ -ae lui la fange et la boue et je m'efforcerai d'en entraîner
un feu infernal; dans son désespoir il court ça et là pour beaucoup avec moi ».
trouver une boisson adoucissante, il avale n'importe
Oui, si cet infortuné avait parlé ,ainsi, comme ont
quelle ordure, il boit n'importe quelle saleté, mais rien
parlé tant de pécheurs! Oui, s'il s'était obstiné!
ne peut apaiser sa soif, car le poiso~ qu'il a avalé est
irrémédiablement mortel. « II aurait bien voulu se ras- Mais il ne le fit pas.
sasier des caroubès que mangeaient les pourceaux, A) « Alors il rentra en lui-même », il se mit à réfléchir,
mais personne ne lui en donnait ». dit Notre-Seigneur.
Quel tableau émouvant r Combien marchent de même Oh! quel heureux moment, lorsque le malheureux
sur le chemin de la vie! D'abord ils gaspillent tout pécheur passe pour la première fois sa main sur son
l'héritage reçu du Père céleste: leurs capacités intellec- front pâli et ridé: Seigneur Dieu, que suis-je devenu?
tuelles, leur ardeur au travail, l'élan de leur âme, leur D'où suis-je parti et où suis-je arrivé? Un père aimant
idéalisme, leur pureté, ensuite la foi, la persévérance, m'a élevé et maintenant je tremble devant le sifflement
l'espérance, la raison, la santé et après, comme des des serpents qui m'entourent. Je suis né dans une
éclopés à l'arrière-garde d'une armée battue, ils traînent maison royale et maintenant je mange dans l'auge des
leur vie -brisée. « Une grande famine survint dans le pourceaux. La lumière des pures étoiles a j.adis brillé
pays ... II aurait bien voulu se rassasier des caroubes sur moi et maintenant je suis dans une nUit sombre,
que mangeaient les pourceaux, mais personne ne lui en méprisé et me méprisant moi-même, malade et sans,
donnait )l.
amis.
Que m'étais-je imaginé ?Commejem'étais représenté
II mon bonheur futur, comme j'avais tout espéré de la vie
LE RETOUR.
libre et sans frein r Et qu'est-il arrivé en réalité? Il n'y
a pas de mirage plus trompeur, il n'y a pas d'illusion
plus mensongère, il n'y a pas, de plus fa~ssè>cla~té q~e
Voici qu'une question me vient à l'esprit: Que serait- l'état dans lequel je suis tombe, alors que Je croyaiS aVOIr
il arrivé, si cet infortuné était resté dans son malheur trouvé le seul grand bonheur. Maintenant mon âme
et sa misère? S'il avait étouffé la voix de sa conscience est plus amère que l'eau sal!~âtre, plus vide qu'un nid
/
LE SYMBOLE DES APôTRES L'ENFANT PRODIGUE
14° \
d'oiseau abandonné, mon âme est plus pesante qu'une envoyées? Est-ce Lui qui vous a conduit jusqu'ici?
montagne. Non, ce n'est pas Lui. Mais mes parents. Pourquoi
i «Combien de mercenaires dans la maison de mon père ne m'ont-ils pas élevé plus sévèrement? . '
ont du p,ain en abondance et moi je meurs ici de faim» Mais rappelez-vous donc: comme ils ont voulu vous
(S. Luc XV, 17). élever sévèrement et comme vous étiez rebelle et
Amère vérité! Osez-vous encore, pécheurs, dire que obstiné!
vous ne mourez pas de faim? Osez-vous dire que la viè Et mes amis! Ces maudits compagnons de péché qui
est pour vous réellement une joie? Que tant de convoi- m'ont tourné la tête et mené à ma perte.
tises pécheresses vous ont satisfaits? « Oserai-je le dire?» Certainement, certainement, ils sont aussi respon-
Alli! ne mentez pas, ne mentez pas! Vous êtes vides, sables.Eux ,aussi. Mais soyez franc! Tout à fait franc.
vous avez faim, vous êtes misérablés, vous êtes en Qui s'est révolté constamment contre les ordres de la
haillons, vous êtes sales, vous êtes brisés, vous êtes las maison paternelle? Qui a rompu ouvertement avec les
de la vie, si ... si vous êtes pécheuts. Vous souvenez- commandements de la morale? Qui a fait le vaurien,
vous de la joie que vous goûtiez dans la maison de votre qui a mené joyeuse vie, qui s'est mal conduit? Dites:
père, du pain vivifiant que vous mangiez à sa table? n'était-ce pas vous? Ne vous sentez-vous pas coupable
Mais maintenant il vous faut dire: « Qu'ils sont heureux et responsable? . . . .
ceux qui, à côté de moi, vont communier d'un cœur Dans un congrès de psychologie, il y eut une confé-
joyeux et moi, je. ne peux pas y aller, car je suis devenu rence sur la « conversion )l et un savant rappela qu'un
un enfant prodigue et je suis retenu dans le péché ». jour, étant en train de se baigner, cette pensée lui vint à
« Qu'ils sont heureux ceux qui, avec des transports de l'esprit: « Suis-je propre au dedans de moi? )l Et cette
joie et l'âme soulagée, sortent du confessionnal et moi, idée ne lui laissa plus de repos et .réveilla son âme qui
je ne peux pas aller me confesser, parce que je suis dormait sous un ' amas de décombres. '
devenu enfant prodigue et le péché ne me lâche pas ». Notre rénovation n'est possible qu'ainsi. Non pas
Je peux me représenter le premier réveil de l'âme de par des séances de spiritisme. Non pas par les phéno-
cet infortuné, le premier mouvement de sà conscience, . mènes si surexcitants pour les nerfs de l'occultisme.
lorsqu'il était assis, vieilli, dég:uenillé, abandonné de Certainement non. Mais si nous osons regarder au
tous, au milieu de ses pourceaux. dedans de nous, si nous osons nous frapper la poitrine
Pourquoi Dieu m'a-t-Il envoyé ces terribles souf- et dire: « Mea culpa )l, si nous avons le courage de briser
frances et cette humiliation? telle fut peut-être sa avec un passé de péché, si nous avons le courage de nous
première pensée. relever, c'est-à-dire si la conscience de notre culpabilité
Ah! pauvre malheUl:eux! Est~ce Dieu qui vous les a revit en nous.
\
LE SYMBOLE DES APôTRES \ L'ENFANT PRODIGUE 143
.'-./ . B) Que~ co~b~t furieux le malheureux enfant pro- Mes frères, ne perdons pas courage et ne fléchissons
dIgue ~-t-d du lIvrer avec lui-même! Sous ses yeux pas, si nous constatons que le retour auprès de notre
repassaIent la patrie quittée, sa maison, son frère, ses père n'est pëut-être possible qu'au prix d'une opération
parents et que restait-il de tout cela? Rien que la misère daris le vif, taillant dans la chair, le sang et le cœur.
le délaissement, la faim. ' Qu'importe 1 Ne reculons pas devant le sacrifice 1
1
r « Jerne lèverai et j~ retournerai là où je puis recevoir à Ah! que serait-il advenu de l'enfant prodigue, comme
manger )J, telle fut peut-être sa première idée• il serait disparu sans retour dans l'abîme, s'il n'avait pas
. P'
« Je me .lèver~i et je retournerai là où j~ pourrai résolument accompli ce qu'il avait finalement déc,idé :
trouver de 1 affectIOn )J. Telle fut ensuite son espérance. Ibo ad patrem! J'irai chez mon père ?
« Je me lèverai et j'irai à mon père)J (S. Luc XV 18) Tandis qu'il traînait d'un pas fatigué son corps
telle fut sa résolution finale. ·Ibo ad patrem. " amaigri, s'il avait rencontré ses anciens compagnons de
Mais n'est-ce pas un peu tard? Ne se détournera-t-il débauche, ils lui auraient . demandé avec de grands
pas de,m~i avec dégoût? Y a-t-Îl encore un pardon pour yeux : Où vas-tu donc d'un pas si décidé?
mes peches? Car 'personne n'est jamais tombé aussi bas Je vais chez mon père.
que moi. Chez ton vieux? Tu es fou? Il lâchera ses chiens après
Je~e lèverai. Je melèverai, dit-il en regardant autour toi. Allons, reste plutôt avec nous.
de. lUI. Mais ,où suis-je donc? Quels monstres au visage Pauvre jeune homme, ne fléchis pas.
?nma,~a~: m entou~ent? ?uelles rognures ai-je mangées Il poursuit sa route. Elle le mène devant un établis-
Jusqu ICI. Quels haillons Je porte? Où les ai-je recrutés? sement de plaisir où il a passé bien des nuits, gaspillé
Q~el est le, ty:an ~ui m'a réduit ainsi en esclavage? Il son argent, perdu sa gaieté, son âme, son honneur ..•
m a trompe, Il m a endormi par ses promesses mais Et de cette maison sort à sa rencontre une femme de
qu<: m'a-t-il. ?onné? Rien que des chaînes po~r mes mauvaise vie, une ancienne compagne de péché, elle
malll~, la .mIsere pour mon âme. Maintenant en avant! s'arrache les cheveux, se jette à ses pieds dans la rue et
Je. bnserai ces li~ns, je renverserai les obstacles, j'essuie- gémit: C'est impossible. Je ne le permets pas. Ne te
rai la boue, - Je me lèverai. souviens-tu pas comment nous avons vécu ensemble?
Malheureux, tu veux retourner à la maison? A la
C'était une résolution virile. L'enfant prodigue ne dit
maison où on ne peut plus s'amuser ni festoyer. Ne
pas: C'est trop tard .. . mes passions sont nombreuses
m'abandonne pas. Tu ne pourras rester sans moi. Nous
mes mauvais camarades riront de moi. .. je suis habitué .. :
sommes soudés l'un à l'autre. Tu ne pourras pas vivre
~ on, n:ais il dit: même si mes jambes flageolent, même
SI mes .membres sont tendus à se rompre, même si tous sans mm.
Maintenant tu veux changer, à ton âge ? Maintenant
les.,~é~ons de l'enfer ricanent contre moi, je me lèverai
et J U'at vers mon père. . .
LE SYMBOLE DES APÔTRES /
/ L'ENFANT PRODIGUE I4S
tu veux cesser après vingt ans d'une vie pareille?
Maintenant tu veux aller te confesser, après trente « traitez-moi comme un de vos mercenaires », mais il
ans ? Voilà ce qu'entend encore l'enfant prodigue n'en eut pas le temps, car son p~re yinter~ompit. C'en
d'aujourd'hui. était assez. Il voyait son repentIr, Il v~yait ,co~ler ses
'. " . larmes, il voyait son ferme propos ... c en etaIt assez.
Le jeune homme s'arrête ... se trouble ... avec une
Il se tourne vers ses serviteurs : « Apportez la plus belle
force épouvantable, la puissance de l'habitude le ramène
robe et mettez-la lui; passez-lui un anneau au doigt et des
en arrière ... Pauvre âme, ne fléchis pas. Dis résolu-
souliers aux pieds. Amenez aussi le veau gras et tuez-l~,:
ment: non, non. Ibo ad patrem. J'irai chez mon père. '
faisons un festin de réjouissance .: c~r ,m~n fils que ~ozcz
C) Et que fait pendant ce temps le père abandonné?
était mort et il est revenu à la vze; zl etmt perdu et zl est
« Comme. il était encore loin, son père le vit» (S. Luc
XV, 20), dIt Notre-Seigneur. Il était encore loin de la retrouvé» (S. Luc XV, 22-24). •
Ne remarquez-vous pas comme cette partIe de la
maison, mais son père l'aperçoit. Comment ne le verrait-
parabole correspond en tous point~ à l'un de~ sacre- ,
il. ~as, car ses yeux, depuis qu'il est parti, sont toujours
ments au sacrement de Pénitence, a la Confesszon dont
dmgés vers la route, pour le cas où son malheureux fils
",
reviendrait. les clt~s sont déposées entre les mains des prêtres du
Père','céleste, ses indignes serviteurs, pour le salut de
Maisdu moins attendra-t-il, jusqu'à ce que le jeune
homme. arrive à lui? Pour sentir son premier embarras,
l'hu~anité coupable? Vous avez entendu : lorsque
sa cramte. l'enfant prodigue reconnut son péché, il n'y av~it pas
- seulement son père présent, mais encore ses serViteurs,
", Non. Le malheureux s'en retournerait peut-être
et ce n'est pas lui qui met le vêtement, mais il en donne
encore ; peut-être n'ose-t-il pas entrér la porte le
jardin, les murs de la maison, tout, tout l~ regarde ;vec
l'ordre à ses domestiques. Ne reconnaissez-vous pas là
, la Confession? Comme il est pénible le premier pas,
reproches. Le père va donc à sa rencontre, il oublie son
l'aveu 1 Que de fois nous nous y préparons, que de fois
flutre fils qui a toujours été fidèle, il laisse cet autre fils
nous y renonçons, mais si une bonne fois nous allons
qui était resté au foyer et avait travaillé avec affection'
jusqu'au bout, comme notre Père nous revêt de la
~ainte~ant il se précipite, il court au-devant du pro~
dIgue, Il embrass~)ce fils infortuné; il 'étreint ce fils ' magnifique robe ,de notre ancienne innocence, ,co~~,e
Il nous glisse au doigt l'anneau, l'anneau de 1 amIt1e,
tom?é dans .Ia boue; il baise ce front pâli par le péché.
comme Il nous donne les chaussures de la grâce, afin
C est mamtellant seulement que le pauvre jeune
que nous puissions dorénavant suivre sans faiblir Ses
h?mme prend la parole : « Mon père, j'ai péché contre le
etel et contre vous, je ne suis plus digne d'être appelé votre sentiers, et finalement Il fait abattre son plus b~l agneau,
l'Agneau de Dieu et par la Sainte. Commul110n, nous
,enfant II (S. Luc XV, 18-19). Il voulait encore ajouter;
nourrit du corps et du sang du Chnst.
1
/
L'ENFANT PRODIGUE 147
LE SYMBOLE DES APÔTRES
oub· l'lez ceux qU'l Vous ont toU)' ours été fidèles.
. . Main-
tenant dirigez touLyotre amour, toute votre grâce vers
.. "" ... ceux qui ont été touchés en entendant cette parabole et
suivront désormais à nouveau la voie d~ vos comman-
dements. Fortifiez-les, encouragez-les, .aimez-Ies davan~
Telle est la parabole de l'Enfant prodigue.
tag e afin que Vous puissiez dès lors d~re de nous ~ous •
Une parabole ? dites-vous. Donc ce n'est pas la vérité?
(( Réjouissons-nous, car mon ~ls était mort et 11 est
Est-ce un conte, mes frères, ou bien une réalité? Une
revenu à la vie, il était perdu et 11 est retrouvé )J. Amen.
chose arrivée ou bien une histoire inventée?
Ce n'est pas à un seul homme qu'elle est arrivée,
mais à des millions et à des milliards. Cette chute de
l'enfant prodigue est une triste réalité empruntée à la
vie humaine, mais cet .amour et ce pardon du père
abandonné sont aussi une sainte réalité. Ce cœur qui
pardonne, ce père délaissé vit encore aujourd'hui. Cet
amour avec lequel il accueillait l'enfant prodigue n'est
pas diminué en lui. Cette paix et ce calme béni qui ont
coulé sur l'âme de l'enfant coupable, confessant sa
faute, sortent à flots aujourd'hui encore du cœur du
Père pour se répandre dans l'âme de tout pécheur
l' " repentant. ,.
Savez-vous du cœur de qui? De Celui qui a souffert
sur la croix, pour réaliser en nous cette admirable
parabole; de Celui dont l'âme brûlante d'amour nous
attend comme le père attendait ,l'enfant prodigue: du
,,' cœur béni de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Notre-Sei~
gneur prend aujourd'hui encore sur ses épaules ses
enfants prodigues qui se roulent dans les épines et les
encourage à ne ' pas craindre de s'agenouiller au con-
fessionnal et de dire: Mon Père, j'ai péché ...
Seigneur Jésus, nous Vous demandons une seule
chose. · Oubliez en ce moment votre autre fils fidèle,
LE CHRIST ET LA SOUFFRANCE 149
1 ."
avec JOie? Pour se réjouir de la douleur, de la maladie,
du malheur? Nulle part. Chacun cherche le bon, la joie, Est-il difficile ce chemin? Il est difficile, si nous ne
le bonheur. connaissons que le Vendredi-Saint et non pas aussi le
Mais Not~e-Seigneur le savait fort bien. Et si pourtant jour de Pâques. Il est difficile, si nous n'entendons que
I~ nous enseIgne avec tant de netteté à accepter la souf- les commandements et non pas aussi les promesses.
france d'une âme joyeuse et généreuse, c'est qu'Il voit Il serait difficile, si_n'était pas passé devant nous le Christ
en elle quelque chose de gr,and, de précieux, de haute souffrant qui A) ' 'àpprend à supporter la souffrance et
valeur. ~
B) aide à la supporter.
C'est autre chose alors. On peut donc aussi aimer ce A) Le Christ enseigne à supporter la souffrance.
qui est pénible. L'étudiant trouve l'étude pénible t:l a) Il n'a pas étudié dans les livres la maniere de consoler,
LE SYMBOLE DES APôTRES LE CHRIST ET LA SOUFFRANCE 157
ce n'est pas en termes choisis et recherchés qu'Il nous fiance? C'est vrai, mais vous n'avez pas reçu le baiser de
i'
parle,mais Il_a passé par toutes les souffrances que nous Judas. Depuis des années vous êtes torturé par la
endurons. ',; -, maladie? C'est vrai, mais vous ne savez pas encore ce
.' , ,
~ui ~onnaît l'art de consoler? Celui, n'est-ce pas, que c'est qu'une couronne d'épines et des fouets de
qUl a lUI-même souffert pareillement. Or depuis que le plomb.
::1" Christa suivi jusqu'au bout le chemin de la croix, il n'y Ahl Seigneur, Seigneur, comme Vous êtes miséri-
a plus de souffrance humaine qui ne puisse être brisée cordieux! Dès que l'âme de l'un d'entre nous est
par cette pensée: Notre-Seigneur a souffert tout cela envahie par la sombre nuit de l'abandon, nous pouvons
avant moi. Il a même souffert bien davantage. , adoucir notre souffrance avec vos propres paroles :
Vous êtes dans la pauvreté? Vous n'êtes pas plus « Eli, Eli lamma sabacthani! c'est-à-dire mon Dieu,
pauvre que le Christ. Vous avez froid? Il faisait encore mon Dieu, pourquoi m' avez-Vous abandonné? Il
4,,' ,
plus froid dans l'étable de Bethléem. Vous avez so:f? (S. Matthieu XXVII, 46).
Comme le Christ a souffert de la soif sur la croix 1 Ah 1 Seigneur, comme vous êtes miséricordieux!
Vous êtes incompris? Il a été accusé d'avoir commercé Dès que la douleur d'une tristesse indicible pénètre dans
.! ' avec le diable. Des amis fidèles vous ont abandonné? notre âme, nous pouvons nous plaindre avec vos propres
Mais vous n'avez pas été trahi pour de l'argent paroles ': « Mon âme est triste jusqu'à la mort li
comme Il l'a été par Judas. Ah! c'est Lui qui peut (S. Matthieu XXVI, 38). Lorsque la peur de l'avenir
parler 'de la souffrance. étreint notre âme, lorsque nous pâlissons et tremblons
V~us êtes né dans la pauvreté et vous avez manqué à l'idée des combats et des privations qui nous attendent,
de bien des choses? C'est vrai, mais vous n'êtes pas né alors nous pensons à votre sueur de sang et à .votre
dans une étable et votre mère n'a pas été obligée de fuir agonie : « Il fut saisi de frayeur et d'abattement»
avec vous dans l'obscurité de la nuit devant des (S. Marc XIV, 33). « Sa sueur devint comme des gouttes
persécuteurs. " de sang découlant jusqu'à terre» (S. Luc XXII, 44)·
Vous avez perdu votre situation, votre dig'nité, votre Et lorsque je pleure sur la tombe de mon frère, de mes
fortune? C'est vrai, mais Il est descendu des hauteurs parents, de mes amis, je pense aux larmes que vous
de sa dignité divine, pour devenir le fils d'un charpentier. avez versées au tombeau de Lazare;' Et quand je verse
Les hommes'0vous méconnaissent, vous calomnient, des larmes de douleur sur la patrie mutilée, je me
.' : se moquent de vous? C'est vrai, mais vous n'avez pas souviens des larmes' que Vous avez versées sur Jéru-
été r~vêtu d'un habit de fou et on ne vous a pas craché salem ... Et quand je puis à peine supporter ma dou-
au visage sous les huées d'une troupe de railleurs. leur et qu'il me faut implorer la miséricorde du ciel, je
Vous avez été déçu par ceux en qui volis 'aviez con- peux le faire avec vos paroles bénies i « Mon Père1 si
LE SYMBOLE DES APôTRES LE CHRIST ET LA SOUFFRANCE 159
Vous voulez, éloignez de moi ce calice! Mais que Votre étendras les mains et un autre te ceindra et' te mènera
volonté soit faite et non la mienne! » (S. Luc XXII, 42). où tu ~ne voudras pas » (S. Jean XXI, 18). Et l'évan-
_b) Mais l'exemple de Notre-Seigneur nous fournit géliste ajoute : (( Il dit cela indiquant par quelle mort
encore une ' autre magnifique leçon : /' acceptation-de la Pierre devait glorifier Dieu» (S. Jean XXI, 19)"
,.1 souffrance qui nous est imposée par les autres. Entendez-vous, mes frères? Ils sont beaux et bons,
"
''l'' L'exemple du Christ est pour nous,une grande leçon les sacrifices ' et les renoncements que nous nous
"
'" par la manière dont Il a accepté la c'roix. imposons pour Dieu, mais ~lle ~st enco~e pl~s
Il y a des souffrances et des privations que l'on précieuse, l'acceptation d'une crOIX qUl nous est Imposee
accepte librement d'une âme pénitente, et on peut les par d'autres. . ' ,
:,) supporter relativement aisément. Il y a par contre des Voilà pourquoi a souffert Notre-SeIgneur Jesus-
douleurs, des renoncements, des épreuves que nous ne Christ. Pour que, dans la vie d'ici-bas, il n'y ait pas une
prenons pas de nous-mêmes, que nous ne cherchons seule douleur qui ne trouve son soulagement dans ses
pas, mais qui traversent à chaque instant notre existence, propres souffrances.. "
et les endurer d'une âme forte et généreuse est souvent B) Mais le Christ n'enseIgne pas seulement a sup-
difficil!!. Lorsque nos pieds trébuchent continuellement porter la souffrance, Il aide aussi à la supporter. ,
contre les pierres du chemin de la vie, lorsque mon a) Lui seul peut nous aider, car Il a résolu le probleme
épouse est si capricieuse et si agaçante, mon mari si de la souffrance. L'homme souffrait avant la venue du
grossier et si exigeant, lorsque je soupire après un peu Christ ' mais il souffrait sans but, sans comprendr~,
de santé ou un morceau de pain un peu plus gros, sans deviner pourquoi. L'homme était aigri,. e~d.ur;l,
lorsque le manque de principes, l'incroyance, l'immo- brisé, anéanti par la souffrance ... comment. dIrai-Je ... :
ralité font rage autour de moi, ah! combien de croix que antérieurement au Christ, l'homme ne savaIt pas quOl
d'autres mettent sur moi et qu'il me faut porter et - faire de la souffrance. Mais le Christ est venu et Il a
supporter chaque jour 1 embrassé la croix. Volontairement, avec un amour
« Si du moins je savais que c'est la sainte volonté de ardent. Il n'y a pas de fiancé pour attif~r à lui ~a fiancée
.. Dieu !gémit-on bien souvent. Je la porterais volontiers, avec un amour plus grand que le Chnst a faIt pour-la
si elle m'était imposée par Dieu et non pas par ces croix: Et cet amour avec lequel Il a accepté la so~ff:a~ce
méchantes gens! » et l'a volontairement supportée lui a ôté la maledlctlOn
Cependant écoutons cet avertissement de Notre- et l'inutilité qu'elle avait auparavant.. ., '
.. ~
Seigneur à saint Pierre: (( En vérité, en vérité je te le dis, Le Christ était intérieurement toujours pret a souf-:-
quand tu étais plus jeune, tu te ceignais toi-même et tu frir, Il a pris généreusement sur Lui la souffrance et
,allais où tu voulais; mais quand tu seras vieux, tu c'est ce qui L'a rendu grand.
Symb. d. Ap. - T. III 6
160 LE SYMBOLE DES APÔTRES LE CHRIST ET LA SOUFFRANCE 161
Il Y a des 'hommes que la souffrance écrase, iÎ y en a aussi serrer sur son cœur, si son petit propriétaire y
qui sont broyés par l'adversité, il yen a qui ne peuvent trouve son plaisir ... En un mot, dit-elle et elle exprime
plus avancer sous le poids de la croix: le Christ, Notre- ainsi c.de façon saisissante ses sentiments, je voulais
Seigneur, a grandi devant nous à l'ombre de la croix. Et amus~r le petit Jésus, je voulais me livrer à ses caprices
depuis, la souffrance n'a pas de prise sur les âmes chré- enfantins ». Eh bien 1 à l'occasion de son pèlerinage au
tiennes, sur les âmes remplies de l'esprit du Christ. Vatican, le petit Jésus avait exaucé sa prière: Il avait
Elles ont été cruellement déçues par leur prochain et cassé son petit jouet « certainement Il voulait voir ce qu'il
elles continuent à travailler. Elles ont été obsédées y àvait dedans )), écrit la sainte.
par des soucis constants et pourtant elles relèvent la Voilà comment un regard jeté sur la croix du Christ
tête. Elles ont été frappées coup sur coup et néanmoi!1s rend merveilleusement délicate l'âme qui souffre. Voilà
leurs mains se sont jointes pour ,prier. Le ciel s'est comment la souffrance élève tout près de Dieu.
l ,• .
assombri au-dessus , d'elles et cependant elles ont senti b) Toute souffrance agit-elle ainsi? Toute souffrance
la chàleur du soleil caché derrière les nuages, car elles a-t-e'le de la valeur? Oh! pas du tout.
savent que la souffrance endurée avec calme non seule- Est-ce que toute souffrance purifie, ennoblit, élève?
ment rend sage, prudent et humble, mais que souffrir Pas le moins du monde.
en silence est véritablement un service divin. Tant que nous souffrons seulement en nous-mêmes,
.Je ne sais pas si vous avez déjà entendu les paroles de notre âme au dedans de nous peut s'aigrir, se remplir
salfite Thérèse de Lisieux avec lesquelles elle accepta d'amertume et s'endurcir. Mais dès que nous souffrons
une de ses plus grandes épreuves. avec le Christ, si le Christ souffre en nous, si dans nos
Elle n'avait pas encore l'âge exigé pour entrer au souffrances se vérifient ces paroles de saint Paul: « J'ai
couvent. Elle partit à Rome en pèlerinage, pour obtenir été crucifié avec le Christ » (Galates II, 19), alors la'
personnellement l'autorisation de Léon XIII. Le pa e force de la souffrance du Christ se manifeste, cette force
ne lui donna pas l'autorisation. On peut s'imagin~r qui efface le péché et purifie l'âme et alors l'enfer de la
quelle dou.leur ce fut pour Thérèse. S'en plaignit-elle? souffrance se transforme en purgatoire. Tout comme le
Au contraIre; elle reconnut son échec avec humilité. ruisseau de la montagne transforme ses eaux en gout-
• (t Je ~'ét~is proposée à l'Enfant Jésus comme jouet, telettes de cristal, belles comme la rosée et claires
dIt-elle, malS non comme un jouet de grand prix que comme le diamant, 'tandis que le flot rapide frappe les
~es enfa~ts, ne font que regarder et n'osent pas toucher, rives, mugit, écume.
Je voulaIS être comme une petite balle sans . valeur c) Mais maintenant nous comprenons aussi comment
que l'on peutjet.er par terre, pousser avec le pied, se transforme en source d<.. vie joyeuse, enthousiaste et
percer de trous, laIsser dans la boue, mais que l'on peut combative ce christianisme qui nous enseigne à suppor-
162 LE SYMBOLE DES APôTRES LE CHRIST ET LA SOUFFRANCE
ter la souffrance et ia douleur. Chose merveilleuse ce nous puissions Vous louer et Vous glorifier pendant
christianisme qui regarde la souffrance comme si ~ré l'éternité.
cieuse et si utile n'est cependant pas une conception du Seigneur, que Votre volonté soit faite sur la terre;
monde triste et sombre. Il ne l'est pas, parce que~ si les comme au ciel! »
chemins qu'il nous faut suivre, sont sombres, le but Voilà le bienheureux secret de la force consolatrice
auquel ils conduisent plane devant nous dans un éblouis- du Christ souffrant.
sant océan de lumière, tout comme le Christ aussi dut
suivre jusqu'au bout le sanglant chemin de la croix, -.1
pour arriver à la glorification éclatante du tombeau de
Pâques. Suivant le psalmiste, il nous faut d'abord semer Mes frères, Xerxès, le puissant roi des Perses, devant
dans les larmes, avant de récolter dans la jubilation qui tremblaient tous les hommes, fit un jour battre de
(Ps. CXXV, 5) et de pouvoir dire finalement au Sei- verges, dans un accès de rage impuissante, la mer e.n
gneur : « Il m'a été bon que Vous m'ayez humilié» furie. Il avait fait jeter un pont entre l'Europe et l'Asle
(Ps. CXVIII, 71) et de pouvoir aussi redire la magnifique pour le passage de son armée, mais une tempête avait
pri~re que le comte Etienne Széchenyi avait écrite sur le entièrement détruit le pont. Pour cette raison il fit donner
livre de prières de son épouse : 300 coups de verge à la mer avec ces paroles: « Flots
~( Mon Dieu, Source de tout ce qui est bon, noble, amers, votre Maître vous inflige cette peine amère, parce
parfait, remplissez mon cœur et mon âme de Votre que vous l'avez attaqué injustement »•••• La mer con-
Esprit-Saint. tinua naturellement à mugir et à faire rage et demeura
Fortifiez-moi avec votre céleste puissance, pour que aussi amère qu'auparavant, sans se soucier de la fureur
je puisse lutter contre les faiblesses terrestres et arriver impuissante de l'orgueil humain.
jusqu'à Vous. Mais la mer démontée se calma... et la tempête
Affranchissez mes sens de .toute tache terrestre ~'apaisa ... les vagues écumantes et furieuses tom-
purifiez ma nature humaine, afin que cette œuvre puiss~ bèrent à l'instant où le Maître et Créateur du monde,
devenir digne de Vous. Notre-Seigneur Jésus-Christ, se leva du milieu de ses
Remplissez mon âme de courage et ne permettez pas apôtres dans la barque en . péril sur les flots. « Il com-
que je critique vos commandements ou que je mette en manda au vent et à la mer et il se fit un grand calme »
doute:.Y otre toute-puissance, Votre science infinie et (S. Matthieu VIII,~ 26).
Votre miséricorde. Mes frères, sur l'océan de la vie, la tempête de la
-
Donnez enfin Votre meilleure bénédiction à chacun de souffrance nous frappe et nous assaille de toute part;
mes parents et de mes amis, pour que tous ensemble tandis que sans le Christ l'homme s'abandonne à une
LE SYMBOLE DES APÔTRŒ
telle est la réflexion de l'évangéliste que nous venons les poings serrés et en grinçant des dents. Ils veulent,
d'entendre à propos des apôtres. mais l'homme ne peut endurer une souffrance sans
Mais de combien d'hommes d'aujourd'hui la Sainte motif et aveugle. . ,
Écriture devrait-elle dire la même chose! Pas une Quelle triste réalité qu'une grande parhe de 1 huma-
forme de gouvernement n'est capable d'éliminer la nité demeure en présence du problème de la sou~ranc~,
souffrance de la vie. La vic était une « vallée de larmes », sans pouvoir le comprendre et dans un ~eses~01r
elle le sera encore toujours et il n'est pas possible impuissant! La souffrance, la souffrance 1 La vie enuère
d'émigrer hors de cette terre de souffrance. Il nous faut n'est que souffrance, mais pourquoi, dans quel but?
regarder en face le visage de Sphinx de la souffrance, B) Par contre nous comprenons immédiatement le
tout homme doit la regarder en face, mais combien problème de la souffrance, si nous .saisisso~s le sens de
se tiennent devant elle, sans comprendre, avec une ces paroles du Seigneur dans la Samte Écnture : « Mes
fureur impuissante, en grinçant des dents 1 Il n'y a pensées ne sont pas vos pensées et vos voies ne sont pas
pas de porte où elle ne frappe et où elle ne pénètre, mes voies. Car de même que le ciel est plus haut que !a
que ferons-nous donc avec elle? terre de même mes voies sont plus hautes que vos voteS
Nous mettrons-nous à côté de la philosophz'e pessimiste et m~s pensées au-dessus de vos pensées» (Isaïe LV.' 8-9~.
et dirons-nous : le monde est mauvais de fond en S'il en est ainsi, alors nous comprenons que D,leu .a~t
comble, toute demeure est une maison de larmes et une autre mesure. Les hommes en signe d a~Il1tlé
qu'il est heureux celui qui disparaît et est anéanti au s'envoient mutuellement des roses, Dieu nous malllfeste
plus tôt! Parlerons-nous ainsi? Et si nous parlons son amour en nous envoyant des épines. Dans la balance
ainsi, supporterons-nous d'une âme plus ferme les coups de l'homme il n'y a que l'action qui compte, dans la
de la douleur? balance divine la souffrance pèse davantage. Jésus
Ou bien nous rangerons-nous parmi les jouüseurs qui était grand dans ses miracles, mais Il a été encore plus
veulent endormir leur âme souffrante en s'adonnant grand dans sa Passion.
à la jouissance effrénée des plaisirs sensuels, mais le Celui qui ne comprend pas cela ne co~pre~d ~a~
lendemain, une fois l'ivresse dissipée, ils se ré~eillent non plus la vie terrestre du Christ, cette vie qu~ a ete
dans un vide plus affreux? pénétrée en tous sens par la souffrance. Notre~ Selgne~r
Ou bien nous rangerons-nous parmi les cœurs endurcis nous donne Lui-même la clé du mystère de sa ~l~,
qui voient bien qu'ils ne peuvent pas fuir devant la lorsqu'Il dit aux disciples d'Emmaüs : (( Ne fallalt-Il
souffrance, mais ne réfléchissent pas davantage, ne as que le Christ souffrît toutes ces choses, pour entrer
l'expliquent pas, n'en cherchent pas la cause; ils veulent ~ans sa gloire? » (S. Luc XXIV; 26).
simplement la supporter, l'âme · pleine d'amertume, En vérité, quelle que soit l'époque de sa vie que
1
1 \ \
/ \
170 LE SYMBOLE DES APÔTRES ; \. LE CHRIST ET LA SOUFFRANCE 17 1
, 'dé'
nous consl nons, nous voyons que la souffrance, s&us
J le sort c'o mmun de l'humanité, en élevant la souffrance
une forme ou une autre, L'a accompagné constamm~nt. à dn si haut degré qu'Il l'a donnée pour medèle à ceux
Pourquoi? Pour donner l'exemple à tous ceu~ ' qui qui ~~ulentr Le suivre ». Si quelqu'un veut venir apr~s
s.ouffrent. A Bethléem, la pauvreté; dans la Mite en moi , \nu'il
["1 .
' renonce à soi-même, qu'il -'prenne sa crOIX
Egy~te, l'e~iI; dans l'atelier de Nazareth et pendant et qu"n me suive » (S. Matthieu XVI, 24)·
sa Vle publIque, la fatigue et finalement la trahison Dep~is, personne ne reut être dignement disciple
l'abandon, le mépris, la raillerie, la haine et la mort: du Christ, en Le laissant tout seul dans ses souffrances.
C) Et précisément parce que la vie entière du divin Voici que nous montons à Jérusalem, dit Notre-
Maître. a été traversée par la souffrance acceptée Seigneur à ses apôtres, et le Fils de l'Homme sera
volontaIrement, Il nous a rendù plus supportable le poids moqué, flagellé et mis à mort.
de la souffrance. Il ne nous a pas ôté la souffrance, Avez-vous entendu, mes frères? « Nous montons ».
mais Il en a retiré ce qu'elle avait de mystérieux et Le Christ ne dit pas « Je mo~te », mais « nous montons » :
d'angoissant pour nous. vous et moi, moi le Maître et vous qui me suivez.
,a) La souffrance est venue avec le premier péché et Et qu'est-ce que répondentles disciples? Reculent-ils
elle existera tant qu'il y aura un homme sur la terre. devant la souffrance, s'enfuient-ils avec effrQi? D'abord
« ils n'ont pas compris)) le divin Maître. Mais plus tard,
La douleur, le mal, la maladie, la mort n'ont pas été "
créés par Dieu, mais c'est l'homme qui les a attirés ils répondent ; « Allons nous aussi, pour' mourir avec
sur lui, lorsqu'il s'est attaqué, d'une main désobéis- Lui » (S. Jean XI, 16). Si l'on comprend ainsi la
sante ,et pécheressç, à l'ordre moral universel. Si souffrance, elle fera sans doute encore mal et la nature
aujourd'hui la souffrance est le lot de tout être vivant humaine gémira et pleurera devant elle, mais elle
il n'en était pas ainsi au commencement. Tout ce qu~ gardera sa profonde signification divine, tandis qu'elle
Dieu a créé était bon, « très bon » (Genèse 1,31); mais restera une énigme indéchiffrable et un mystère pour
« par un seul homme le péché est entré dans le monde l'humanité.
et par le péché, la mort» (Romains V, 12). Et depuis; Lorsque la vie nous écrase, rappelons-nous ces
depuis le péché originel, la souffrance est le sort commun paroles du Sauveur: « Si quelqu'un veut venir après moi,
de tous les hommes. « Un joug écrase les enfants d'Adam qu'il renonce à soi-même, qu'il prenne sa croixet qu'il
,de leur naissance à leur mort», dit la Sainte Écriture me suive );, (S. Matthieu XVI, 24). Le Christ nous ,
(Ecclésiastique XL, 1). « La vie de l'homme surIa terre enseigne donc non pas à désespérer sous le poids de
est un combat» (Job VII, 1) est-il dit encore dans la souffrance, à nous révolter, à lever le poing contre
un autre passage. le ciel, à nous mettre en grève contre Dieu, mais à nous
,b) Mais Notre-Seigneur a rendu plus supportable serrer sur le cœur de Dieu. Certainement vous vous
LE CHRIST ET LA SOUFFRANCE 173
172 LE SYMBOLE DES APÔTRES f
1
u e parole de salut, un avertissement, une marque de
rendez compte qu~ celui qui porte la croix avec patiej te
marche, ,s ûrement sur les pas du Christ. miléricorde .
Ùne parole de salut : Hom~e, Je veu~ .déposer au
.Tous les jours, nous récitons dans le « Je croi!! en
plus\ profond de ton âme une VIe pl~s precleus~.
DIeU» : « A souffert sous Ponce-Pilate, a été crut ifié,
Un\ avertissement: Homme, tu SUlS un chemm dan-
est mort, a été enseveli ... » Mais que ce ne soit r as là \ M.
un~ formule sans âme, au contraire, lorsque nous la gereu~, retourne vers 01. . . '
Unelmarque de miséricorde: Homme, faIs pémtence
. réCItons, efforçons-nous de communier spiritue~{ement
ici-bas;\pour ne pas être obligé de faire pénitence dans
par nos souffrances avec les souffrances du Christ
(Philippiens III, 10), et de redire avec enthousiasme l'autre vie.
Écoutons bien, comprenons bien la parole que Dieu
après l'apôtre saint Thomas: « Allons, nous aussi, pou;
nous adresse. Dans notre instruction d'aujourd'hui
mourir av~c Lui! » (S. Jean XI, 16). Voilà l'enseigne-
nous avons seulement le temps de considérer la parole
ment sublIme que nous donne Notre-Seigneur au sujet
de salut; l'avertissement et la parole de miséricorde
de la souffrance.
feront l'objet des prédications prochaines.
Suivant l'exemple et l'enseignement du Sauveur
la philosophie chrétienne et l'ascétisme se sont efforcé~
de je~er de plus en plus de lumièr~ sur l'angoissant
probleme de la souffrance. En effet il est très sûr que II
not.r~ Père du ciel infiniment bon ne peut pas prendre
plaISIr aux douleurs et aux souffrances de ses enfants. LA SOUFFRANCE EST UNE PAROLE DE SALUT
QUE DIEU NOUS ADRESSE.
Si donc Dieu d'un regard indifférent permet que le
sort nous frappe et que la souffrance nous atteigne
I~ n~ regarde et ne permet que parce qu'II poursui; L'Ancien et le Nouveau Testament proclament à
amSI ses plans et son but. Plans que nous ne compren- chaque page cette idée sublime que Dieu veut par
drons jamais complètement sur cette terre; buts que la souffrance rendre encore plus pure, plus précieuse
d~rant notre vie -terrestre nous ne pourrons' jamais l'âme de ses enfants fidèles. « La fournaise éprouve les
dlscerne~ tout à fait clairement, mais plans et buts que vases du potier et la souffrance les hommes justes »
nous pouvons soupçonner du moins dans les grandes (Ecclésiastique XXVII, 6). « Parce que tu étais a~réable
~ig,nes_ et si nous nous en fonnons même une simple à Dieu, il a fallu que la tentation t'éprouvât» (TobIe XII,
Idee, 11 nous sera plus facile de supporter la souffrance. 13)' « Nous avons été accablés au delà de toute mesure,
La souffrance a donc un but dans les desseins de au delà de toutes nos forces, à tel point que nous
Dieu. La souffrance est une parole que Dieu nous adresse:
174 LE SYMBOLE DES APÔTRES LE CHRIST ET LA SOUFFRANÇE 175
. désespérions même de la vie », s'écrie saint Paul. M fi E~raversant les champs, il vit un homme faisant
il ajoute aussitôt pourquoi cela arrive. C'est « afin)tle passr la charrue sur le sol. « Pourquoi lac~res-tu le
ne pas mettr~ notre confiance en nous-mêmes, tpais corps 'de cette malheureuse terre? » demanda-t-il au
de la m~ttre en Dieu» (Ile Corinthiens l, 8-9)· t< out labour~ur. « C'est pour qu'elle soit. pl~s meuble et
sarment qui porte du fruit, Dieu l'émonde afin qu'il reçoive\la pluie et les ~a'y~ns de soletl »:
en porte davantage» (Jean XV, 2). « Vous tre saillez Son c~emin le condUlsit a travers des VIgnobles où les
de joie, bien qu'il vous · faille encore pour un yeu de viticultelfrs, avec de grands ciseaux, taillaient les ceps.
temps être affligés par diverses épreuves, . afin que « Pourqu'9 i mutilez-vous ainsi ces pauvres ceps? _.
l'épreuve de votre foi beaucoup plus précie.hse que Nous ne l\ ur faisons pas de mal. Nous les é~ondons,
l'or (que l'on éprouve par le feu) vous soit fun sujet pour qu'ils produisent beaucoup de bons-frUlts ».
de louange» (le S. Pierre l, 6). Alors lell yeux du triste voyageur s'ouvrirent
Mais comment est-il possible que les coups du sort Seigneur, je suis le grain que vous avez remué, afin
puissent rendre l'âme de l' homme plus belle, plus pure, que je ne me corrompe pas. Je suis le champ où vous avez
plus profonde, plus précieuse?
tracé des sillons, pour que pénètrent plus facilement
A) D'abord c'est seulement dans le malheur que
en moi votre parole et votre grâce. Je suis le cep que
l'on voit si notre piété est véritable, si la douleur nous
vous avez taillé, pour que je porte des fruits.
éloigne de Dieu ou nous rapproche de lui. L'âme
Oui, la souffrance est la parole de salut que Dieu
véritablement chrétienne ne sait jamais prier avec plus
de recueillement tt de ferveur qu'au moment de la nous adresse et qui purifie notre âme.
détresse. C'est là que se vérifie la parole de la Sainte B) Surtout si nous considérons les mérites que nous
Écriture: « L'or .et l'argent s'éprouvent dans le feu, pouvons amasser pour le ciel par notre persévérance.
les hommes agréables à Dieu, dans le creuset de l'humi- « Ne voyez qu'un sujet de joie, mes frères, dit l'apôtre
liation » '-Ecclésiastique II, 5). saint Jacques, dans les épreuves de toute sorte qui
Avez-vous déjà entendu l'histoire intéressante de cet tombent sur vous; sachant que l'épreuve de votre foi
homme riche mais peu intelligent. Il était dans l'opu- produit la patience. Mais que la patience soit acco~
lence, mais un jour il perdit toute sa fortune et dès lors pagnée d'œuvres parfaites, afin que vous soyez parfaIts
s'en alla à l'aventure, l'âme brisée. Passant dans un et accomplis, ne laissant désirer en rien» (S. Jacques l,
village, il vit un cultivateur remuant son blé avec une 2-4)·
grande pelle. « Pourquoi ne laisses-tu pas les grains Dans la cathédrale de Spire, au-dessus des tombeaux
tranquilles? » lui demanda-t-il. « C'est pour qu'ils ne des empereurs, se trouvent suspendues aux extrémités
moisissent pas )), fut la réponse. de deux chaînes une grande croix et une grande cou-
ronne : symbole éloquent de toute vie humaine. Car le~
LE SYMBOLE DES APôTRES
LE CHRIST ET LA SOUFFRANCE
\
yeux de sphynx de l'épouvantable souffrance et du « J~ , grandis lentement. Mes années sont une calme
malheur nous regardent fixement et il nous faut mé iter,
patiehce.- Je grandis chaque a?née. L; g~lée ?e me
en portant la croix, ({ la couronne de gloire qui ne se
flétrit jamais» (1 S. Pierre V, 4). C'est ce qui ,encou- pre nd Pas à l'improviste, le frOId ne m. est JamaIS
_. trop
rude ... Le ver peut ronger mes racmes; Je pousse
rageait saint Paul au milieu de ses nombreux colnbats :
, · 1a couronne d e~ JustIce
.
quand même. La tempête qui siffle à travers mes bran-
« Il ne me reste pus1 qu, a receVOIr .
ches me fait grandir. Je concentre toutes mes forces
que me donnera en ce jour-là le Seigneur» (n' Timo-
po ur croître vers le ciel. Je supporte la foudre. et, le
thée IV, 8). Et l'apôtre saint Jacques écrit également:
rayon de soleil, je ne sens .au deda?s de mOl qu une
« Heu reux l'homme qui supporte l'épreuve. Devenu
seule chose, c'est que je dOlS grandIr. Du sommet de
un homme éprouvé, il recevra la couronne de vie que
la montagne je contemple le monde immense et qua~d
Dieu a promise à ceux qui L'aiment» (S. Ja.cques l, 12).
viendra l'instant où je tomberai, j'ornerai le paradIS,
En Suisse, dans le canton des Grisons, il y a une
le temple de Dieu qui m'a appelé à quelque chose de
gorge profonde qui porte de tout temps le nom terrifiant
de « Boser Weg », ({ Mauvais Chemin ». D'un côté grand ». •
Oui, la souffrance est une parole de salut que DIeu
elle est bordée par u.ne haute muraille de roches qui
nous adresse pour nous appeler dans les hauteurs.
menacent à chaque instant de s'écrouler, de l'autre
C) Et finalement la souffrance nous élève égalem~nt
côté le Rhin mugit avec fracas. Certainement un
en donnant au cœur humain tendresse, compréhenswn,
« Mauvais Chemin ». Mais la vie humaine ne lui
indulgence générosité à l'égard d'autrui.
ressemble-t-elle pas? « Elle est large la porte et spa-
Hélas 1~omme il est dur le cœur de bien des hommes!
cieuse la voie qui conduisent à la perdition .. . comme
L'homme d'aujourd'hui souffre d'une maladie de cœur,
elle est étroite la porte et resserrée la voie qui conduisent
mais ce n'est pas une dilatation du cœur, c'est un
à la vie! » (S. Matthieu VII, 13-14), nous avertit Notre-
rétrécissement du cœur, un affaissement, une sclérose,
Seigneur. ({ Soyez sobres et veillez, car votre adversaire,
une pétrification. Comme il comprend peu les faiblesses
le diable, comme un lion rugissant, rôde autour de
de son prochain 1 Comme il est impatient à l'égard des
vous, cherchant qui dévorer; résistez-lui, fermes dans
la foi» (1 S. Pierre V, 8-9). petites nervosités de son entourage 1 Et ch?se extra-
ordinaire : plus l'homme est heureux, plus 11 est sans
({ C'.est par beaucoup de tribulations qu'il nous faut
entrer dans le royaume dè Dieu », prêchaient les Pitié , plus il est nerveux, tandis que dans le cœur
1 •
de
beaucoup de · malheureux on découvre un~ samte
apôtres (Actes XIV, 21); et cette idée a été exprimée
gravité, une charité frater?elle, une .grande patience.
magnifiquement par un poète allemand (Bertram)
Celui dont la vie a éte affranchIe de la souffrance
dont Jlimagination fait ainsi parler le cèdre du Liban:
conserve toujours dans son âme quelque chose de
LE SYMBOLE DES APôTRES
~résor~ des~profondeurs de l'âme humaine ne peUvent mal~die alors ' 'arrive la deuxième ' marche de son
etre d~tache.s que par l~ pic de la souffrance~ )Regardez ascensi;n : être patient envers le prochain. Envers ceux
donc 1 exténeur, les traits de quelqu'un qui a beaucoup aussi qui se tiennent près de notre lit de ~alade,
souffert : quelle bonté, quelle douceur, quelle pureté envers tous ceux èt envers toutes les choses qUI ont p~
dans le désir, quelle sérénité après la tempête ! Nous si facilement auparavant nous irriter. L'âme de celUI
voyons se réaliser en lui ces paroles de saint Paul : qui a beaucoup' souffert est pure et délicate et peut
cc Personne ne m'a assisté, tous m'ont abandonné ...
pardonner beaucoup aux autres. "
Mais le Seigneur m'a assisté et m'a fortifié» (Ile Timo- Vous rappelez-vous cette scène de lévanglle où
thée IV, 16- 1 7).
Notre-Seigneur guérit un paralytique? Vous rappelez.-
Celui qui sait tout cela au sujet de la souffrance vous ce que le Sauveur dit à ce malade : cc Lève-tOI,
et celui-là seulement, comprend l'enseignement d~ prends ton grabat e~ marche » ? A co~bie~ de. malades
l'ascétique chrétienne sur la valeur de la souffrance. le divin Maître ne d1t-Il pas encore aUJourd hUI, au sens
Un. des plus grands penseurs français, Pascal, spirituel : Cette maladie sera pour vous .u?e époque de
emplOIe u.ne expression qui déconcerte au premier purification, d'ennoblissement, de matunte; élevez-vo~s
abord, maIS dont 011 reconnaît bien vite la vérité. au-dessus de ce monde mesquin et marchez enSUIte
Pascal écrit ceci : cc Pour un chrétien la maladie est un vers mes sommets vivifiants.
état normal ». Sans doute cette affirmation serait Maintenant nous comprenons l'histoire du moine
effrayante, si elle signifiait que le chrétien est obligé d'Optina. Car celui qui sait souffrir avec une telle grandeur
de rechercher la souffrance avec passion, avec délices. d'âme déploie une activité bénie au sein, m~~e ~'~n~
Mais c~ n'est pas ce que veut dire le grand philosophe. maladie qui apparemment le condamne a 1 mactzvzte.
Il veut dire que la force d'âme offerte par une manière Oui, même le malade, cloué sur son lit pendant des
de penser vraiment chrétienne ne peut nulle part se années, prêche, enseigne, travaille. Car le plus beau
révéler plus belle qu'au moment de la détresse. Quand travail de l'homme n'est pas celui qui construit des
le monde menace de nous engloutir, quand nous nous machines, bâtit des usines, met des automobiles ~en
sentons abandonnés, isolés, quand le ciel s'assombrit circulation, mais celui qui nous apprend comment on
au-dessus 'de -nous, 'il ne nous reste que ces deux peut avec une âme forte s'élever au-dessus des malheurs
aItern~tiv~s : serrer les. poings. et le visage décomposé, de cette terre et des misères du sort.
maudire 1 aveugle destm ou bien par la considération
des. vérités éternelles auxquelles nous nous élevons,
,apaiser avec une âme disciplinée -la mer en fureur.
LE CHRIST ET LA SOUFFRANCE
180 LE SYMBOLE DES APÔTRES
ne chante pas des airs de danse: ils ne conviendraient
pas à ma vocation actuelle )J.
A ma vocation actuelle! quelle magnifique pensée 1
pour une vocation il faut un appel. Qui donc appelle ?
Le Seigneur. Tout comme Il appelle les uns au travail,
Et parce que le christianisme pense ainsi de la à un métier, à des exploits, de même Il appelle les autres
~ouff.rance, il sort de la souffrance une manière de voir à la souffrance.
mfintm~nt délicate, d'une.sublimité presque incroyahle, Ne demandez pas: « Pourquoi est-ce moi préci-
t~lle qu elle ne peut vemr à l'idée d'un homme qui sément que Vous appelez, Seigneur? Et pourquoi à
n est pas chrétien. des souffrances si pénibles?» Non, ne le demandez pas,
Savez-vous, mes frères, que suivant le christianisme mes frères : il n'y a pas de réponse. Dieu seul sait
la souffrance peut être aussi un but et une vocation pourquoi c'est justement vous.
Une vocation? Comme cela paraît incompréhensible 1 Mais demandez ceci: Dans quel but, m'envoyez-vous
Et pourtant
'é . c'est
. ce que dit du héros de l'un d e ses cette épreuve, Seigneur? Que voulez-vous en obtenir?
contes l . cnvam russe Tourgueniew. Au début de ce Demandez, les yeux fixés sur la vie éternelle et alors
sermon Je vous ai cité l'exemple d'un moine malade vous entendrez la réponse de la bouche . de Dieu.
« Ma~s c'était un religieux ", dira-t-on peut-être: Et savez-vous quelle sera la réponse?
Eh bIen 1 Écoutez donc l'histoire d'une danseuse Si tu es pauvre, Je suis riche.
tombée malade. Si tu es pécheur, Je suis le pardon.
Lukarja était le nom de cette danseuse toujours gaie Si tu as faim, Je suis le pain du ciel.
et toujours .en train de chanter. Un matin de printemps, Si tu as soif, Je suis la source de la vie éternelle.
elle
Il se
b réveIlla
d. au chant d'un rossignol. A demi e'vei·llé e, . Si tu es dans les ténèbres, Je suis un clair rayon de
e e on lt hors de son lit et se précipita dans l'escalier
soleil.
pour aller entendre l'oiseau, mais elle manqua une Si tu te plains, Je t'écoute.
marche et depuis "ce moment fut paralysée. On essaya Si tu souffres, J'ai pitié de toi.
tous !es remèdes. ;. le fer rouge... la glace... rien ne Si tu pleures, Jete console.
réUSSIt ... pendant des années elle endura des douleurs Si tu es un homme, Je suis Dieu.
atroc~s. ~ Au, co~mencement j'étais triste, dit-elle, par Voilà ce que Vous êtes, Vous êtes mon Seigneur, mon
la smte Je m habItuai peu à peu . .'. Il y en a de plus Père, mon Dieu, en qui je crois, en qui j'espère, que j'aime,
malheureux que moi, pensai-je ». Plus tard cette grande que j'aime infiniment. Amen.
malade déclara: « Je chante et je fredonne d'anciens
chants, des cantiques de Noël, de l'Épiphanie. Mais je
LE · CHRIST ET LA SOUFFRANCE 183
'.
186 LE SYMBOLE DES APÔTRES LE CHRIST ET LA SOUFFRANCE
sauvés par un châtiment de la miséricorde divine JOe le Suivant la sainte Écriture, Dieu émonde tout
, , ' sarment qui porte du fruit, « afin qu'il en porte
repete : par un châtiment miséricordieux.
!l suffira peut-être de vous citer l'exemple . de davantage » (S. Jean XV, 2); les larmes de douleur ne
saznte Marguerite de Corione. Elle perdit sa mère à sont ~ donc pas autre chose dans les mains., de Dieu
l'âge de huit ans et dès lors la pauvre fille grandit dans qu'une lotion de l'âme contre les germes du péché.
la frivolité. Elle tomba si bas qu'elle quitta la maison Il est possible que la douleur ne vous fasse réfléchir
paternelle en compagnie d'un jeune homme et se livra que lorsque la souffrance vous mord, vous brûle, vous
à une vie de désordres. Et pendant dix ans elle marcha déchire. -Vous qui vous étiez donné totalement au
vers sa perte. Un jour le petit chien qui avait l'habitude monde. Vous que la jouissance du péché tenait dàns
d'accompagner le jeune ,homme rentra à la maison en une chaîne de fer. Vous qui vous étiez échappé du
jappant et en hurlant, il saisit la robe de Marguerite et troupeau du Seigneur. Vous que Dieu, le Dieu des misé-
la tira en gémissant ... Finalement il s'arrêta devant un ricordes, ne pouvait plus . dompter qu'en lâchant sur
c~?a;re ensanglanté et commençant à se décomposer, vous son chien féroce, tout comme le berger envoie
c etait le cqrps de son amant tué depuis trois jours ... son chien après l'agneau échappé, afin qu'il le tour-
Cet instant arracha la malheureuse au bourbier et mente, le poursuive et le morde, tant qu'il n'a pas repris
pendant vingt-trois ans elle s'enferma dans une étroite sa place dans le troupeau.
1
cJllule où par une rigoureuse pénitence elle s'éleva Dites-moi, n'y a-t-il personne parmi vous que la
./ "
iusqu'aux sommets de la sainteté. Si ce grand malheur morsure de la souffrance n'ait ramené de l'erreur, de
ne lui était pas arrivé, rien ne l'aurait jamais sauvée de la froideur, de la frivolité ou d'une épouvantable faillite
la damnation. morale vers le Seigneur, vers le Père céleste qui l'atten-
'1
" dait les bras ouverts avec sollicitude?
C) Mais pourquoi nous appuyer sur les exemples
d'autrui, quand nous n'avons qu'à nous en rapporter à Voilà donc une nouvelle réponse à l'angoissante
nous-mêmes? question, pourquoi la souffrance? La souffrance peut
Je ne veux engager personne à faire ici une confession être le dernier ~ssai de Dieu, le dernier moyen pour
sauver notre âme.
publique ... Mais je crois qu'elle lie resterait pas sans
Elles peuvent nous sembler actuellement un peu
réponse, si je posais cette question : Ici parmi nous qui
l' étranges, ces paroles du cardinal Pierre Pazmany,
actuellement nous,cfforçons de suivre les voies de Dieu,
prononcées il y a trois siècles, mais l'idée qu'elles
n'yen a-t-il pas, 'et peut-être plus d'un, qui, sans la
expriment est aujourd'hui encore la pure vérité :
souffrance et l'épreuve, sans le malheur, la maladie,
Savez-vous, demande-t-il, comment les médecins pro-
un décès ou une autre grande douleur, n'auraient jamais
cèdent avec leurs malades? Celui dont ils veulent
reto1,lrné à Dieu?
188 LE SYMBOLE DES APÔTRES LE CHRIST ET LA SOUFFRANCE
conserver la vie, ils le torturent par le fer et le feu, la A) Sans doute, on entend à chaque instant la grande
faim et la soif; ils comptent ses os, ils taillent dans ses et angoissante question: ·« Pourquoi moi? Pourquoi est-ce
membres, ~ ils lui imposent des breuvages ' amers, justement moi qui souffre? Moi qui ai ~oujours servi
ils agissent envers le malade comme s'ils avaient conclu Dieu fidèlement. Moi qui me contenteraiS de quelques
avec lui un contrat à charge de le supplicier. Mais quand petites joies, mais je n'en reçois pas. ~on v~isin,
ils voient .que la maladie est plus forte que la nature ce blasphémateur, ce frivole, ce débauché, 11 a touJours
et qu'il n'y a pas de guérison à espérer, ils n'ennuient de la chance ».
plus le malade avec des potions amères, ils ne lui Ne nous scandalisons pas, si les gens à l~horizon
interdisent plus ses mets préférés, ils lui donnent tout borné font de telles réflexions. Saint Pierre lui-même
ce qu'il veut, n'ayant plus d'espoir de le guérir, ils ne a été victime de cette façon mesquine de penser. Lorsque
veulent plus lui imposer de gêne. Il est curieux' que le Seigneur lui annonça qu'il souffrirait le martyre,
personne ne s'étonne de voir le médecin soigner avec il demanda avec curiosité au divin Maître, ce qu'il
le fer et le feu, la f~im et la soif; tandis que beaucoup adviendrait de saint Jean (S. Jean XXI, 21). Mais le
s'étonnent, s'indignent de ce que Dieu ici-bas brûle et Sauveur répliqua assez brusquement à cette curiosité :
mutile les justes pour les sauver et les garder pour «Que t'importe? Pour toi, suis-moi» (S. Jean XXI,22).
l'éternité, tandis qu'Il laisse les impies à leur bonheur. Que m'importe, mes frères, si les autres ont un
Quelle véritablement et profondément chrétienne meilleur sort et que moi je sois dans une situation Pénible!
façon de penser: entendre dalls la souffrance · un Je suis suffisamment consolé ~e s~vo.ir ~ue je, marcl~e
avertissement de Dieu 1 sur là route que Dieu m'a tracee, SI difficile qu elle SOlt
et quand je devrais la parcourir dans les froides nuits
II de décembre. « Toi, suis-moi! » aussi fidèlement que les
étoiles suiv~nt la route qui leur est prescrite, même
LA SOUFFRANCE EST UNE MARQUE si elles doivent ·traverser des espaces glacés.
DE LA MISÉRICORDE DE DIEU B) « Mais justement Dieu me frappe, alors q~e ~' ~i
toujours voulu Le servir fidèlement... En quO/. at-Je
"
.,' mérité que Dieu soit irrité contre moi? »
La souffrance n'est cependant pas seulement une Hélas! la répartition de la souffrance et de la douleur
parole de salut et un avertissement de Dieu, mais elle est véritablement le grand mystère de la divine Provi-
peut être aussi une marque de miséricorde, la mani- dence dont notre intelligence humaine ne peut com-
festation de la miséricorde divine: l'occasion de faire prendre les voies. l\1ais nous savons une chose .:. le
pénitence pour nos anciens péchés. malheùr n'est pas du tout un signe de colère ou de pU11ltwn
LE SYMBOLE DES APôTRES LE CHRIST ET LA SOUFFRANCE
divine. Écoutez ce que dit saint Paul de Notre-Seigneut dans lequel la force sauvage de l'instinct célèbre
Jésus-Christ: « Tout Fils de Dieu qu'Il est, Il a appris, souvent la victoire du péché. Un homme, dans lequel
par ses ('ropres souffrances, ce que c'est que d'obéir» l'âme succombe dans la lutte contre le corps. Faites
(Hébreux V, 8), c'est-à-dire que par ses souffrances, le seulement cette constatation et alors vous préférerez dire
Christ a pratiqué l'obéissance. « Je reprends et je châtie avec le larron crucifié à la droite du Sauveur: « Pour nous
tous Ceux que J'aime » (Apocalypse III, 19). « Heureux c'est justice, car nous recevons ce qu'ont mérité nos
l'homme que Dieu châtie, ne méprisez donc pas la crimes» (S. Luc XXIII, 41).
correction du Tout-Puissant. Il fait la blessure et Il la Comme elle est consolante cette pensée : J'aime
bl11de, Il frappe et sa main guérit» (Job V, 17- 18). mieux souffrir ici-bas que dans ['autre monde! Qui oserait
« Le Seigneur châtie celui qu'II aime ... Dieu vous penser en toutè tranquillité à sa vie passée, comme s'il
traite comme des fils, car quel est le fils que son père avait satisfait pour tous ses anciens péchés? Oui, il s'est
n e châtie pas? » (Hébreux XII, 6-7). confessé et Dieu lui ' a remis la peine éternelle de ses
Y eut-il dans le monde quelqu'un pour servir Dieu gros péchés. Mais il reste encore la réparation, le devoir
aussi, fidèlement que la sainte Vierge? Or l'a-t-Il de l'expiation.
préservée des souffrances et des épreuves de cette vie? Si la souffrance tombe sur nous, demandons-nous
Voyez comme elle fuit en Égypte devant les desseins donc en premier lieu : ne l'avons-nous pas méritée?
criminels d'Hérode. Que de nuits sans sommeil, que Mais répondez franchement: N'y a-t-il pas eudans votre '
,de privations, que d'angoisses, que de difficultés furent vie passée un faux pas, une faute ou un péché que le
la conséquence de cette fuite 1 Ce furent de tristes Dieu des miséricordes, oui le Dieu des miséricordes, .
semaines, mais la bienheureuse Vierge les supporta. veut vous faire expier en cette vie? Dites-moi, oseriez-
Pourquoi les supporta-t-elle? Parce qu'elle tenait vous répondre à cette question, loyalement, en toute
l'enfant Jésus dans ses bras. C'est bien cela. C'est la assurance : « Non »? Si r~ellement vous avez mérité
clé du mystère : Je dois porter Jésus dans mon âme. la souffrance, ne vous faut-il pas dire : Seigneur,
C) Ne disons donc pas ce que l'on entend si souvent je Vous remercie infiniment de ce que Vous êtes aussi
sur leS> lèvres des hommes qui souffrent : « Pourquoi miséricordieux. Certainement j'ai mérité davantage.
",
est-ce justement moi que Dieu frappe? Moi qui n'ai Ici à côté de moi tâtonne un pauvre aveugle et je vois.
jamais commis aucun Péché ». , Là se traîne un paralytique et je marche. C'est vrai,
Ah! mes frères, baissez profondément la tête et aux mon cœur saigne, mais combien d'autres saignent
~eure~ paisibles du soir efforcez-vous de comprendre cent fois plus!
combIen vous avez tort. « Vous n'avez jamais commis Ne disons donc pas sans réfléchir: Je n'ai pas de
aucun péché?» N'êtes-vous pas un homme? Un homme péché, je n'ai jamais fait de mal de ma vie, pourquoi
Symb. d, Ap. - T. III 7
LE SYMBOLE DES APôTRES LE CHRIST ET LA SOUFFRANCE 193
donc suis-je frappé? Mais disons avec les frères de tant qu'il eut à lutter contre la misère et l~s p:ivati~ns;
Joseph: « Nous sommes cause de ce que ~ous souffr~ns» Salomon fut fidèle à Dieu, tant que le blen-etre eL le
(Genèse XLII, 21). Et ajoutons avec samt Augustm : faste royal ne l'eurent pas étourdi; mais au milieu de
« Seigneur, frappez, coupez, brûlez maintenant, comme
biens terrestres et de magnificences sans mesure tous
Vous voulez, mais épargnez-moi dans l'éternité ». deux tombèrent dans de grands péchés. Le ruisseau de
D) Mais pouvez-vous dire loyalement: « Je ne l'ai la montagne reste pur, tant que ses eaux se jettent
pas mérité ». Jusqu'à présent il n'y a eu dans ma :ie contre les rochers et les pierres pour se frayer un
'aucune mauvaise action qui crie vengeance vers le CIel. passage, mais iÎ devient un ma~a~s fangeux, lorsqu'il
J'ai toujours servi Dieu et maintenant cependant Il se jette dans un lac calme et pa1Slble.
m'éprouve bien cruellement? Oui, la souffrance peut être une peine, elle peut être
Si vous pouviez réellement le dire en toute loyauté,
'., aussi un avertissement, mais elle peut être encore une
même alors vous ne devriez pas désespérer, mais vous
épuration qui rend l'âme plus intérieure et plus
poser cette question: De quoi Dieu veut-Il me·préserver
précieuse. .
par cette souffrance? Sous le feu de la douleur, vous
E) Et sous cette lumière nous pouvons exphquer
n'apercevez peut-être pas son but, un œil qui pleure
non seulement la douleur des individus, mais aussi
ne voit pas distinctement, mais je fais appel à notre
la souffrance des peuples.
propre expérience. N'est-il pas arrivé plus d'une fois
Que signifie la souffrance d'un peuple? Là-dessus,
dans notre existence une souffrance à propos de
nous, les Hongrois foulés aux pieds, nous n'avons pas
laquelle, après des années, alors que la blessure était
besoin de nous étendre. Ce qu'elle veut dire pour un
guérie, nous avons été obligés de dire: « Seigneur,
royaume millénaire, dont on a coupé les memb~es,
c'était Votre main, Votre main bénie. Je Vous remercie
torturé le corps et qui a été jeté dans les fers ... Ternble
de m'avoir retiré du bord de l'abîme béant. Je Vous
épreuve qui a ravi la foi à bien des hommes: « Comment
remercie de m'avoir brûlé, mutilé jusqu'à ce que je
Dieu peut-Il Supp01:ter la vue d'un peuple qui souffre
sois revenu à de meilleurs sentiments ».
tant? » ,
N'oublions donc pas que la souffrance n'est pas
Tout-d'abord 'posons cette question: « En vérité,
" l,
nécessairement une peine, mais que les malheurs peuvent
ne l'avons-nous pas mérité? La vie familiale chez nous
nous atteindre aussi pour que dorénavant nous restions
était-elle aussi pure que Dieu le veut et regardait-on
à l'abri du Péché.- Où est l'homme en ce monde qui
l'enfant comme un don de Dieu? Les débats des
pourrait, sans dommage pour son âme, supporter un
tribunaux, les tristes détails des procès en divorce,
bonheur terrestre continuel et sans nuage, alors que
les attraits frivoles des étalages, des affiches, des
. David
. . - -- ... ".. et- Salomon
-. -. . .._.. - en
- furent
.
incapables. David fut pieux,
,
théâtres, des cinémas1 les multiples excès de licence et
194 LE SYMBOLE DES APÔTRES LE CHRIST ET LA SOUFFRANCE 195 (
Mais là , l'attendaient encore d'autres épreuves. ennemis, abandonné de tous, ses derniè-res paroles sont
On l'emmèna dans une misérable forteresse de la celles-ci : « Gloire à Dieu pour tout ».
montagne, où pendant l'hiver il souffrit beaucoup du Comme nous sommes loin d'un tel état d'âme vrai.-
froid. Peu après, des brigands attaquèrent la cité et ment chrétien. De cette sainte conviction qui, même
derrière les malheurs et les souffrances qui s'abattent
la population prit la fuite, le traînant avéc elle à Ara-
sur nous, découvre le visage du Père céleste qui nous
bissos. De là un nouveau décret impérial le bannit
aime tous et prononce ces paroles dignes d'un chrétien:
encore bien plus loin sur la côte nord-est de la mer
« Gloire à Dieu pour tout ».
Noire, aupied du Caucase, à Pityus. Alors recommença
Dans les trois sermons précédents nous avons
un nouveau voyage très pénible en compagnie de soldats examiné ce que veut Dieu, quand Il permet la souffrance,
:;, barbares et grossiers. Les· rayons ardents du soleil
la regarde ou nous l'envoie.
". occasionnèrent de violents maux de tête au vieil évêque Cherchons dans les instructions suivantes à répondre
l' et c'était en vain qu'il demandait qu'on le laissât un à de nouvelles questions : 1 Dans quels senti11l/.3tlts
peu se reposer à l'ombre. Son corps brûlé par la faut-il acceptér la souffranCt1 et II comment peut-on
fièvre fut trempé sous des pluies torrentielles et les acquérir ces sentiments.
soldats continuaient . à le faire avancer sans aucune
pitié.
Alors il comprit quel était le but des soldats. Avec un 1
courage sans exemple, il se traîna péniblement pendant
DANS QUELS SENTIMENTS FAUT-IL ACCUEILLIR
des jours et ' des semaines .... Mais un jour il n'en
LA SOUFFJ,lANCE?
supporta pas davantage ... Il s'affaissa sur la route,
son pouls devint irrégulier, son soufRe s'arrêta. On le
porta dans une maison. Il poussa quelques soupirs, A) La souffrance! Incontestablement un des plus d~fJi
ouvrit les yeux vers le ciel et se fit entendre pour la ciles problemes de notre vie terrestre. Depuis que la porte
dernière fois... Ses dernières paroles furent celles-ci : du paradis s'est refermée derrière l'homme pécheur,
{( Gloire à Dieu pour tout ». Et il mourut. nous suivons tous la route pénible et semée d'épines de
Mes ~'frères, représentons-nous bien cette scène. la souffrance et nous portons « le joug pesant qui
Le plus grand orateur du christianisme, le grand repose sur les enfants d'Adam» (Ecclésiastique XL, 1).
évêque, le docteur de l'Église, est exilé bien loin pour a) Il n'y a ni âge ni sexe ni situation ni puissance
avoir défendu intrépidement la morale chrétienne et ni classe sociale qui soit à même de fermer sa porte
lorsque, après des mois et des années de soUffrances , à la souifrance. Elle entre dans la cabane du pauvre et
il meurt sur une route d'Asie, entre les mains de ses
zoo LE SYMBOLE DES APôTRES LE CHRIST ET LA SOUFFRANCE 201
dans le palais du riche. Elle existe chez les peuples Nous trouvons la réponse dans l'exemple de Simon .
primitifs, mais la civilisation et la technique les plus leCyrénéen. 1 J.
développées ne peuvent pas la chasser. Des lèvres de a) Simon le Cyrénéen, un simple ouvrier, suit -
millions d'hommes qui soupirent, pleurent, languissent tranquillement son chemin, il revient de travailler à la
et luttent s'échappe ce cri: Qu'es-tu donc, ô souffrance? campagne. Il rencontre le Christ condamné à mort'_j
Que veux-tu? Pourquoi ne nous laisses-tu pas en paix, portant la croix. Mais Il ne peut pas la porter plus
hous les pauvres hommes?' longtemps. Les soldats empoignent Simon : Aide-le l
Il Y aura toujours de la souffrance sur la terre. Quel Simon essaie de fuir devant la croix. Il proteste. C'est,
que soit le progrès de la science et de la technique, inutile: on le force. Quoi faire d'autre: il prend la
quels que soient nos efforts pour rendre la vie plus croix. Mais une fois la croix sur l'épaule, il ne regimba
supportable par les institutions sociales, il y aura plus, il la porta avec bonne volonté, sans murmurer. _
encore toujours des accidents, des maladies, des mal- Il ne cherchait pas la croix; mais quand au milieu de son
heurs, la mort, et nous qui portons la croix de l'existence, travail journalier il la rencontra, il n'écarta pàs le fardeau
nous aurons toujours besoin de l'exemple divin de qu'on lui imposait. -
Celui qui a porté la Croix. _ Sommes-nous obligés de rechercher la souffrance?
· b) Un proverbe allemand donne à ceu~ qui souffre~t Non. Peut-on fuir la souffrance? Peut-on l'éviter?
le conseil suivant : Le bonheur consiste à oublier ce Se défendre contre elle? On le peut. Seulement ...
qui est inévitable. 1\1ais faites l'essai et vous verrez seulement, si Dieu néanmoins trouve bon que le
le résultat. Et même si cela réussissait! Serait-ce une malheur nous atteigne, alors on ne doit pas se révolte/.
réponse digne de l'homme à nos innombrables peines Quelle consolation, quelle précieuse leçon pour nous
et douleurs que de nous efforcer de n'y plus penser? que l'histoire de Simon! Devant Dieu est méritoire
Dans ces conditions, la question de la souffrance également la souffrance que nous n'avons ni cherchée
demeurerait éternellement sans solution. De fait le ni appelée sur nous, mais que, même contre notre
problème de la souffrance est insoluble pour tous ceux volonté, la maladie et les misères de la vie humaine
qui n'ont 'pas le Christ. Mais pour ceux qui Le nous ont imposée. Ainsi nous pouvons donner un sens
possèdent, la vie du Christ, cette vie où la souffrance chrétien au proverbe que nous avons cité: Avec sou-
occupe la place principale, est une réponse et un mission à la volonté de Dieu, acceptons ce que nous
guide dans le grand labyrinthe de la souffra~ce. ne pouvons pas éviter.
-B) Nous arrivons ainsi àla grande . question : Remarquons en passant que celui qui - peut garder
Quelle est donc l'attitude d'un vrai chrétien en face de son âme calme, pure et élevée contribue efficacement
ra souffrance? à sa santé physique. Aujourd'hui il est de plus en plus
LE SYMBOLE DES APÔTRES LE CHRIST ET LA SqUFFRANCE 2°3
clair que l'âme exerce sur le corps une influence plus s'I!~riant : « 0 bonne croix qui as été illustré", par les
forte qu'on ne l'avait soupçonné -auparavant. Et plus me~bres du Christ, et préparée pour répondre aux
l'âme est soumise à Dieu; plus le corps est soumis à vœu?, de mon âme 1 » Qui pourrait imiter cet exemple?
l'âme. Q~i oserait dire avec sainte Thérese : « Ou souffrir
\ . ?
ou mpunr»
; Mais c'est peut-être-de ma part simple imagination?
Non, mes frères. J'en suis sûr. Je le sais par une lettre Oui il existe un tel héroïsme surhumain. Mais moi, -
1
que j'ai reçue ces jours-ci. A la suite de mon dernier je suis faible. Moi, je suis fragile. Moi aussi, je fuis
sermon sur la souffrance, je fus appelé chez un officier la souffrance, comme Simon le Cyrénéen. Pourtant
distingué à qui, il y a sept ans, en pleine jeunesse, je peux être brave. Pourtant ma souffrance peut être
on dut amputer un pied. Faut-il vous dire ce que signi- méritoire, si je suis l'exemple du Christ.
fiait une telle épreuve? Cet infortuné se confessa et Comme le Seigneur nous connaissait bien, comme
communia. Quelques jours après, son frère, un médecin, Il me connaissait bien, lorsqu'Il a voulu souffrir ainsi!
m'écrivait ceci : « Je vous remercie de ce qu'après D'abord Lui aussi a eu peur, a tremblé: « Il commença
sept années de souffrances, mon frère a retrouvé, grâce à sentir de la frayeur et de l'abattement» (S. Marc XIV,
à vous, le réconfort de la foi. 33); dans son angoisse Il a même sué du sang et s'est
Nous les médecins, nous ne pouvions ' pas adoucir écrié : « Mon Père, s'il est possible, que ce calice
ses souffrances physiques et voilà que la consotation 1 s'éloigne de moi» (S: Matthieu XXVI, 39).
spirituelle réussit : aujourd'hui il est plU[. caHne et « Qu'il s'éloigne de moi! » Le Seigneur a certainement
sG\it souffrir, parce qu'il sait que la souffrance peut être ?ensé alors à moi et à nous tous qui répétons avec
une manifestation de la grâce de Dieu ». effroi: « Non, non, Seigneur, pas ce malheur! Epargnez-
· 1
Ah! mes frères, quel précieux trésor que ' la foi le moi! Qu'il s'éloigne de moi! » On peut, on peut prier
catholique 1 ainsi. Mais si le malheur nous atteint, sachons incliner
. Quelle consolation pour nous que Dieu ne regarde la tête, baiser la main de Dieu et dire, comme le Christ:
pas seulement .comme méritoires le degré héroïque « Cependant non pas. çomme je veux, mais comme
d'un sacrifice, la souffrance supportée volontairement, Vous voulez» (S. Matthieu XXVI, 39). « Fiat voluntas
mais aussi les sacrifices qui nous sont imposés par la vie tua! » « Que votre volonté soit faite! »
da chaque jour. b) Selon saint Matthieu et saint Marc, la moitié
Qui d'entre nous, en effet, pourrait imiter l'apôtre du poids de la croix resta sur le Christ, si bien que
saint André, qui non seulement ne voulait pas fuir Simon le Cyrénéen ne fit qu'aider Notre-Seigneur.
devant la croix, mais, lorsqu'au moment de son exé: Par contre nous voyons d'après l'évangile selon saint Luc,
cution il aperçut la croix, t<:;ndit de loin les bras en que Simon le Cyrénéen porta pendant un certain. .temps.
LE SYMBOLE DES APÔTRES LE CHRIST ET LA SOUFFRANCE 2°5
tout seul la croix derrière le Sauveur. Les peintres ont les ~échés que tous les hom~es com:nettraient à l'~venir,
l'habitude de représenter cette scène en montrant le dont par mes péchés aUSSl, de meme Notre-SeIgneur
Christ et Simon portant ensemble la croix. Mais dans a pr~vu notre -empire sur nous-mêmes, nos privations
la Passion d'Oberammergau, c'est Simon tout( seul et toutes les souffrances que nous supporterions en son
qui la porte. , nom let tout cela L'a consolé et réconforté. Saint Paul
, Assurément les deux représentations nous1 con- repré~ènte le Christ dans le ciel montrant devant son
viennent. Tantôt on sent que l'on porte la croix de la Père les plaies qu'Il a reçues pour expier nos péchés.
vie avec le Christ et alors on la porte avec bonheur et Mais il est certain qu'Il n'a pas seulement conservé ses
facilement, car on sait et on sent que le Christ nous plaies, ~ais aussi les consolations qu'Il a reçues de nous.
aide et qu'une moitié de la croix pèse sur ses épaules. Celui qui porte sa croix sans murmurer, paisiblement,
Tantôt au contraire, une nuit sombre descend sur nous, avec une âme généreuse, soulage réellement le Christ. Et
qui de nous n'en a pas encore eu la sensation? Si bien ainsi nous avons la plus délicatement chrétienne façon
qu'il semble que le Christ nous a laissé la croix toute de penser, la véritablement chrétienne manière d'agir
entière et qu'elle nous écrase presque sur le chemin et la grandeur d'âme chrétienne en face de l'angoissant
obscur de la douleur. C'est le moment le plus pénible, problème de la souffrance: Je porte ma propre croix;
lorsque nous portons une croix et que nous ne sentons pour soulager Jésus portant sa croix, pOUl" rendre plus
pas son effet méritoire. légère la croix du Christ.
c) « Oui, oui, dites-vous. Simon a porté volontiers la
croix, car il venait en aide au Christ souffrant.,Moi aussi, II
je supporterais plus joyeusement mes peines, si je
savais que par là.i' adoucis les douleurs du Christ. Mais
COMMENT POUVONS- NOUS ACQUÉRIR CES SENTIMENTS?
le Christ ne vit plus sur la terre. Il ne peut donc plus
souffrir. Ce Christ a pleuré jadis, mais actuellement
Il ne •.plèure plus dans sa gloire céleste. Comment A vrai dire, tout ce que nous avons entendu jusqu'à
pourrais-je Le consoler, quel avantage aurait-Il de me présent n'est qu'un exposé théorique. Mais reste devant
voir prendre sur moi sa souffrance?» . nous la grande question : Comment réussirons-nous
Quel avantage -aurait-Il, mes frères? Le même que à nous hisser jusqu'à ces hauteurs vivifiantes? Comment
si vous vous étiez trouvés là à côté' de Simon et que vous acquerrons-nous ces sentiments?
L'eussiez aidé à porter la croix. De même que les A) Nulle part ailleurs qu'auprès de la croix de
souffrances du Christ n'ont pas été seulement causées Notre-Seigneur Jésus-Christ.
par les péchés commis avant sa venue mais aussi par Il y a quelques années (au printemps de 1926) fut
206 LE SYMBOLE DES APÔTRES LE CHRIST ET LA SOUFFRANCE
exposé à Paris un tableau saisissant: L'artiste (MaxJme . d~sa croix qui parlerait le .plus à l'humanité. Il a été
Re~l del Sarte) nous montre le Chnst portant sa cr ix, paurre aussi, n:a~s Il a su.rmonté .la. pau;,re:é d'une ~me
malS Il n'est pas brisé, fatigué, épuisé jusqu'à la 1Jlort, joyeuse. Il a Jeuné, mars son Jeune etart un saçnfice
comme on Le représente habituellement; Il est debout l ,
volo~tairement accepté. Il a été blessé, mais ses blessures
porte triomphalement la c.roix dont les bras attejgnent étaie~t les mar~ues de s?n arr;o~r. Il a .port~ la croi.x,
presque l'horizon. Et derrière cette figure du {Christ mais \on chemm de crOIX a ete une VIa tnumphahs.
puissant et portant victorieusement sa croix, Farche Il est mort, mais sa mort a été une victoire sur la mort.
d~ns son omb~e gigantesque une foule incommell'surable C'est\ par expérience qu'un poète français a écrit les
d hommes qUI tous offrent au Sauveur leurs iépaules vers suivants :
pour alléger son fardeau. Hommes et femmek jeunes
« Vous qui pleurez, venez à ce Dieu, car Il pleure;
et vieux, jeunes gens et enfants, prêtres et laïcs,
Vous qui souffrez, venez à Lui, car Il guérit;
ouvriers, soldats, petites filles, religieuses ... tous, tous
Vous qui tremblez, venez à Lui, car Il sourit;
offrent au Christ leurs épaules robustes ou faibles ...
Vous qui passez, venez à Lui, car Il demeure ».
Et tous, le Christ et les hommes s'avancent avec le
(Victor Hugo).
même courage, la même confiance, la même âme' vers
le Golgotha, vers le sacrifice. B) Ainsi nous comprenons pourquoi ils sont si forts
Quelle magnifique reproduction artistique de l'idée ceux qui, aux jours de leurs souffrances, savent s'attacher
dont nous parlons actuellement! Cette idée que la au Christ et dont saint Paul pourrait redire, car ils
souffrance n'est pas le plus grand mal, mais l'effon- ont été vainqueurs après les plus grandes souffrances,
drement de l'âme dans la souffrance et que ce n'est pas ce qu'il a~ écrit au sujet des héros de la foi: « d'autres
un deuil qui est la douleur la plus · lugubre, mais ont souffert les moqueries et les verges; de plus les
l'aveuglement de l'âme dans les ténèbres de ce deuil. chaînes et les cachots; ils ont été lapidés, sciés,éprouvés;
Souffrir a toujours été. et sera toujours le sort . de ils sont ~orts p~r le tranchant de l'épée ... eux dont le
l'humanité, mais c'est seulement la croix du Christ qui monde n'était pas digne» (Hébreux XI, 36-38).
peut nous apprendre à ne pas nous perdre, à ne pas nous a) Ils sont forts, parce que le Christ est leur ancre,
effondrer sous la souffrance, mais au contraire à la regarder le Christ est leur rocher, le Christ est leur chaîne, le Christ
comme un échelon qui nous permet de monter' dans les est leur colonne; il peut arriver qu'ils tremblent, qu'ils
hauteurs. se raidissent, qu'ils soupirent et gémissent, mais
Le Christ n'a pas fui devant la douleur, mais Il en qu'importe : l'ancre tient bon, le rocher ne' s'effrite
a triomphé. Il a aimé la croix d'un amour enflammé pas, la chaîne ne se rompt pas, la colonne ne cède pas.
parce qu'Il savait que dé tout l'évangile ce serait le bois Ils sont forts, parce que par le Christ ils ont obtenu
208 LE SYMBOLE DES APôTRES . LE CHRIST ET LA SOUFFRANCE 209
. ,.
•
a ~a~se de~ n:échants qu'il me faut tant souffrir! Cett~ Mes frères, c'est déjà le quatrième dimanclle que
VOISIne qUI dIt de moi tout le mal possible ... l'entête- je vous parle de la souffrance et pourtant je n'ai pas
ment de mon mari... les innombrables caprices de encore tout dit. Y a-t-il un sujet plus actuel que celui-là?
210
LE SYMBOLE DES APÔTRES
LE CHRIST ET LA SOUFFRANCE 2II
hommes dans le désert, n'y aura-t-il pas un de ces Très certainement pour nous, à cause de nous.
cinq mille pour être présent? Non. Et les paralytiques A cause des heures douloureuses qui s'abattent sur nous
et les estropiés auxquels Il a rendu la santé, viendront-ils dans l'isolement. Pour consoler notre cœur affligé.
au moins? Ils ne peuvent pas venir : le temps est trop Afin qu'aux heures de souffrances nous puissions nous
beau, il leur faut encore travailler à la campagne. cramponner après quelqu'un, afin que nous puissions
Mais où sont les anges? Eux du moins devraient Le marcher' sur les traces du divin Maître et apprendre
consoler. Lorsque saint Pierre coupa l'oreille'-du valet, par là le grand secret : comment il faut souffrir pour que
le divin Maître lui dit avec assurance: « Penses-tu que la souffrance soit méritoire.
je ne puisse pas sur l'heure prier inon Père, qui me a) Souffrir est le sort de tous les hommes, mais
donnerait plus de douze légions d'anges? Il (S. Matthieu souffrir de fafon méritoire est un privilège des chrétiens.
XXVI, 53). Maintenant Il tes demande à son Père et La souffrance n'est intolérable que pour celui qui ne
il n'arrive aucune légion d'anges, il n'arrive même pas connaît pas la valeur 'divine de la souffrance, qui ne sait
un seul ange. pas la raison d'être de la souffrance. Mais pour celui qui
Car, chose épouvantable à dire, il semble que son Père souffre ,de manière à améliorer, par la souffrance, son
aussi L'ait abandonné ... L'évangéliste rapporte qu'un âme ou celle de son prochain, la souffrance ne sera
tel sentiment d'abandon s'empara du Christ agonisant jamais insupportable.
sur la croix qu'Il poussa un cri de détresse vers son Lorsque descend sur nous une nuit de douleur et
Père. L'évangéliste rapporte , en araméen les paroles de larmes et qu'il n'y a personne, personne au monde,
telles que le Christ les a prononcées réellement (peut- pour comprendre notre peine, tournons-nous vers le
être pour que nous puissions les répéter avec un pieux Christ souffrant. Et si nous souffrons beaucoup, nous
respect jusqu'à la fin du monde) : «.Eloi 1 Eloi! lamma pouvons nous plaindre, si la . douleur nous brûle,
sabachtani? II « mon Dieu, mon Dieu, pourquoi nous pouvons pleurer, mais avec notre cœur, notre cœur
m'avez-Vous abandonné? II (S. Marc XV, 34): Et ce cri saignant et notre volonté, notre ferme volonté attachons-
de détresse retentit, sans trouver d'écho. nous au Christ, et notre souffrance sera méritoire.
Mes'-. frères, peut-on imaginer un instant plus b) Que de fois on entend les gens se plaindre :
douloureux? « Il n'est pas possible de supporter une vie pareille! ...
Voyez dans quel écrasant délaissement N otre- Avons-nous un Père dans le ciel?
Seigneur verse son sang. S'Il est notre Père, s'Il nous aime, pourquoi ne nous
B) Mais pourquoi, pourquoi? nous demandons-nous
encore. Pourquoi le Sauveur a-t-Il voulu souffrir dans
un tel abandon?
1 épargne-t-Il pas tant de malheurs et de souffrances?
Pourquoi, ' pourquoi? Qui pourrait donner une
réponse entièrement satisfaisante? Mais qui pourrait
LE SYMBOLE DES APÔTRES
comme le cultivateur un peu simple qui portait une le Seigneur se dispose à rappeler l'homme à Lui; d'ordi-
corbeille dans laquelle se trouvait un petit grillon. , naire Il ne veut pas que cet adieu à la vie soit une
La journée touchait à sa fin et le cultivateur fatigué brusque séparation, mais que la vieillesse avec ses
du travail regagnait sa maison en portant son panier. nombreuses misères et maladies dénou~ peu à peu nos
Chez lui l'attendaient une mauvaise soupe, des enfants liens terrestres je dirais, presque : qu'elle nous ôte le
affamés, des soucis et des chagrins... Harassé et de goût de la vie, de manière que beaucoup attendent
mauvaise humeur, le pauvre homme se traîne sur le comme une amie « la mort libératrice ».
chemin ... L'existence est si pénible, si amère! Et pas Voyez comme l'on est consolé et fortifié, quand on
une seule joie 1 Mais voilà que tout d'un coup un petit suit les traces du Christ souffrant 1
grillon se met à grésiller à côté de lui ou derrière lui ,
ici ou là, au fond de son panier. Il s'y est glissé au cours
de la journée, lorsque le panier était par terre et main- II
tenant il chante joyeusement sa petite chanson naïve
aux oreilles du paysan pendant le trajet. Et plus l'homme LA SOUFFRANCE NOUS RAPPROCHE DE DIEU.
avance, plus il écoute attentivement le petit grillon
grésiller au fond du panier, son âme devient d'autant
plus légère et son regard plus calme, il sourit même Celui qui a l'habitude, aux heures douloureuses,
un peu, en s'approchant de son logis avec cet hôte de de se cramponner ainsi à la croix du Christ souffrant,
bonne humeur. la souffrance ne l'ébranle pas dans sa foi, ne le détache
, Mes frères, il est pénible de porter sur ses épaules pas de Dieu, mais au contraire, elle le rapproche de Dieu.
la corbeille de l'existence ... mais écoutez cependant ce A) Quand on regarde la croix du Christ, l'âme devient
que la foi chante au dedans de vous : pour ce que vous plus belle, plus noble et plus forte.
faites pour Dieu, pour ce que vous endurez avec Dieu, a) Un comit/;)américain décida de commander en
pour tout cela Dieu sera votre récompense. Heureux 1talie pour les tombes des trente mille soldats américains
l'homme dans l'âme duquel la foi chante d'une manière tués pendant la guerre autant de croix en marbre blanc.
d'autant plus consolante que le soir de la vie est plus Mais la commande de ces trente mille croix comportait
proche, jquoi donc? la récompense qui attend la vie une condition curieuse : les ouvriers qui sculptaient
terrestre supportée conformément à la volonté de Dieu. le marbre ne devaient pas blasphémer une seule fois
Ces réflexions me permettent de comprendre lés pendant leur travail. Les ouvriers italiens promirent de
contrariétés, les en'nuis, les maladies de la vieillesse. ne pas blasphémer et ils tinrent leur parole. Mais, mes
Je peux reconnaître la main paternelle de Dieu, lorsque frères, s'il n'y a pas compatibilité entre. sculpter des
222 LE SYMBOLE DES APôTRES LE CHRIST ET LA SOUFFRANCE 223
croix et blasphémer, il doit y en avoir encore moins dresse un homme en longue robe blanche portant une
entre porter la croix et en être contrarié, entre porter la ëroix sur ses épaules et faisant signe à la foule de le
croix et s'effondrer spirituellement. Mais au contraire, suivre. ,Tous les yeux sont tournés vers cette croix
il faut porter la croix et s'avancer plus près de Dieu sur rayonnante et vers le chemin étroit situé à sa droite
le chemin de la croix. que Notre-Seigneur indique à ceux qui souffrent ... mais
Le lendemain de Noël nous célébrons la fête d'un au bout du chemin s'ouvrent des prairies en fleurs et
martyr. L'Église nous avertit par là que sur le rocher s'épanouit le sourire du printemps. Oui, si Dieu nous
de la grotte de Bethléem poussent les rouges fleurs laissait souffrir et si le Christ souffrant ne nous aidait
du martyre, c'est-à-dire que suivre le Christ, c'est mener pas par son exemple à supporter la souffrance, alors
une vie généreuse, austère et obéissante .. Et de même que nous aurions le droit de nous plaindre.
sur le bord des grandes routes conduisant à la Rome Mais depuis l'exemple du Sauveur, la croix n'est pas
antique les tombes se suivaient les unes à côté des seulement une douleur, elle est aussi un instrument
autres, si bien que le voyageur, avant d'entrer dans la de salut. La croix n'est pas seulement une souffrance,
merveilleuse cité, était obligé de passer devant ces mais aussi un bonheur.
nombreuses tombes, de même le chemin qui conduit B)' Mais tout cela n'est-il pas simplement une fleur
à la ville éternelle de notre Dieu est parsemé de tom- de rhétorique? N'est-ce pas une fiction poétique?
beaux, de tombeaux dans lesquels sont ensevelis Est-il possible en réalité que la lourde meule de la
notre indiscipline domptée par une lutte héroïque, souffrance ne nous écrase pas dans la tombe, dans le
nos caprices et nos bas instincts. suicide, le désespoir, l'incroyance et qu'au contraire
b) Bienheureux l'homme qui sait entendre dans la elle élève, ennoblisse, purifie?
furieuse tempête de la souffrance l'appel divin. Car la a) Écoutez en réponse ces lignes tirées d'une lettre
souffrance est réellement une parole divine, un appel d'une"de mes auditrices.
divin. Cette dame, qui jadis occupait une situation élevée
Il existe un tableau impressionnant de Gustave dans la société, s'est enfuie de Transylvanie; je ne l'ai
Doré, intitulé « La vallée de larmes ». La misère jamais vue, c'est seulement par la radio qu'elle écoute
humaine est représentée sur l'image de manière aussi mes sermons.
pittoresque qu'effrayante. U ne foule de gens qui « Ne vous étonnez pas que la pauvreté soit pour moi
pleurent, souffrent, luttent : grands et petits, nobles si affreuse, mais celui qui a mené comme moi un grand
et vilains, rO,is couronnés et esclaves enchaînés, jeunes train de vie (j'avais un palais, une auto, une propriété
et vieux ... des malheureux, partout del) malheureux. à la campagne, et combien d'admirateurs! ... ) ressent la
Mais voici que parmi cette multitude souffrante se pauvreté beaucoup plus péniblement que celui qui a
toujours été pauvre. Et pourtant, je suis heureuse de Pourtant la souffrance qui n'est pas sanctifiée par la
l'écrire, actuellement mon cœur et mon âme jouissent grâce est un trésor enfoui, un capital improductif.
dans ma pauvre demeure d'une paix pius grande que Apprenons donc le grand art de la sanctification de
jac;lis dans mon palais. En effet ma foi est plus grande ... la souffrance par la croix du Christ. Ces deux poutres
Et quand de ma petite fenêtre je contemple le ciel étoilé, grossièremen.t équarries. Deux poutres, 'l'une hori-
je sens que le ciel est plus près de moi que lorsque je zontale,) l'autre verticale, sont un frappànt symbole de
le regardais '.. de' mon balcon... Et très certainement la destinée humaine. En effet, de quoi se compose la
maintenant Dieu est aussi plu!> près de moi ». vic? D'une ligne verticale de désirs, de projets et de
Oui, mes frères, quand on voit cette foi vivante que buts s'élevant audacieusement et ensuite arrive une
la souffrance fait briller d'un tel éclat, on commence ligne horizontale qui barre tout. Elle barre tout et ces
à comprendre le plan de Dieu au sujet de la souffrance. plans deviennent une croix.
De même que le marin, à l'occasion d'une tempête Mais quelle différence entre la croix du Christ et
en mer, découvre fréquemment une île inconnue jus- la croix de l'homme irréfléchi·! L'homme sans réflexion
qu'alors sur les cartes, de même dans les tempêtes de traîne sa croix, peut-être s'y résigne-t-il aussi, mais le
l'âme beaucoup d'hommes se découvrent eux-mêmes, Christ en est vainqueur. L'homme grince des dents ct
découvrent des profondeurs jusqu'alors inconnues dans maudit son sort, mais le Christ reconnaît la main du
leur âme (Monseigneur Keppler). Père dans le trait horizontal qui barre le plan de l'homme
b) Ah! si nous savions sanctifier ainsi toutes nos et les mauvaises intentions qui prennent leur source
souffrances et gravir ainsi les degrés de granit de la dans la méchanceté humaine et Il dompte sous ses pas
douleur! Si nous savions remplir de l'esprit du Christ vainqueurs les puissances des ténèbres.
tous nos martyres, ceux du corps et ceux de l'âme, les « Puisqu'il nous faut souffrir, que nous le voulions
petits et les grands, les extraordinaires et ceux de tous ou non, il vaut mieux accepter les infortunes que Dieu
les jours! Il y a dans le monde beaucoup de péchés nous envoie, avec patience et l'espoir de la récompense,
et beaucoup de souffrances. Mais si nous sanctifiions que les rendre encore plus pénibles par l'impatience.
en ce monde toutes nos souffrances avec la grâce du Plus le gibier pris au piège se débat, plus le lacet se
Christ, nous atteindrions devant Dieu à une telle resserre; plus l'oiseau pris à la glu se débat, plu~ il
masse' de ~atisfactions qu'eUes pourraient servir empoisse ses ailes; il n'y a pas de joug qui ne soit plus
d'expiations' pour les nombreux péchés des hommes. aisé à porter dans le calme que dans l'agitation )l
Ne nous contentons donc pas de souffrir, c'est ce (Pazmany).
que nous faisons tous. mais souffrons de façon méri- Le Christ sur la croix! Voilà donc la solution défintûve
toire, c'est un art que bien peu savent apprendre. du terrible probteme de la souffrance. C'est un exemple
LE SYMBOLE DES APôTRES LE CHRIST ET LA SOUFFRANCE 227
béni pour l'homme souffrant de pouvoir, même au Sauveur parcourait en prêchant la Palestine, chaque
milieu des ruines d'une vie brisée, au milieu des abcès jour elle descendait sur la fenêtre de la bienheureuse
rongeurs de l'enfer, aU milieu des désillusions et des Vierge Marie et lui donnait des nouvelles de son divin
douleurs les plus amères, s'élever jusqu'aux sommets . Fils. Et lorsque Notre-Seigneur mourut sur la croix,
du monde éternel, de la vie surnaturelle, tout près de elle se posa sur une de ses mains ensanglantées et
Dieu, et de pouvoir dire : Qu'il m'arrive n'importe essaya avec son petit bec d'arracher le clou pointu.
quoi, déception, malheur, douleur ou souffrance, je . Elle essaya, mais elle ne le put pas. Elle descendit donc
sais que mon Père ne m'abandonnera pas et je suppor- près de la Mère des Douleurs et la consola de ·son
terai avec calme, sans . murmure, la volonté de Dieu. immense chagrin par sa touchante chanson.
Notre foi en Dieu et nos regards tournés, ver~ le
Christ souffrant ne peuvent pas arracher les clous de
la croix de notre vie, mais ils parlent du moins de façon
Il existe en Pologne une belle et émouvante légende consolante d'une autre vie, de la vie éternelle dont la
sur la création de l'alouette. souffrance supportée patiemment nous ouvre la porte.
Lorsque 'Dieu vit que les premiers hommes, chassés Et alors si la nuit de la souffrance s'abattait sur nous
du paradis, travaillaient ·si péniblement, et que pendant comme les ténèbres d'Égypte, luirait encore sur notre
le travail ils baissaient tristement la tête vers le sol, âme la consolante lumière de la ·vie éternelle.
Il prit une poignée de terre et la lanca en l'air ... et Ah! mes frères, nous tous que la souffrance a attachés
voilà que . cette poignée de terre ainsi lancée par Dieu à la croix, entendons-nous le chant consolateur de
devint un petit oiseau, la première alouette, dont le l'alouette de notre foi?
chant fait redresser vers le ciel la tête de l'homme Écoutez-le et répétez souvent après moi ces quelques
fatigué et réconforte le cultivateur trempé de sueur. mots : Ce que Dieu veut, je le veux. Amen.
IVIes frères, l'alouette de notre vie terrestre est notre
foi inébranlable en Dieu. Lorsque notre tête fatiguée
s'incline vers la terre, la foi la redresse. Lorsque les
vagues d~·) la souffrance déferlent au-dessus de notre
tête, la foi nous encourage. Et lorsque la souffrance de
l'existence nous attache à la croix, elle nous redonne
de noùveau consolation et soulagement.
Continuons la légende. La petite alouette voulut c;e
montrer reconnaissante envers Dieu et tandis que le
LE CHRIST ET LA SOUFFRANCB 229
Voici ces deux mots . « foi » et ,i vi.! ôiernellc ~) Voici Combien portent la croix, souffrent, sont dans le
la réponse définitive du christianisme au grand pro- dénuement, ne trouvent pas de travail! Que d'hommes
blème de la souffrance . 1 « Ne craignez pas, mats inco~pris ou négligés! Que de milliers et de milliers
croyez! » II «. Croyez en la vie éternelle! » de gens sont en ce moment malades rien qu'à Budapest.
Mais ces malheureux font-ils aussi ce que faisait Jaïre
si anxieux pour sa fille, « il se jeta aux pieds de Jésus
1 le priant d'entrer dans sa maison» (S. Luc VIII, 41).
Répondons en nous-mêmes à cette question :
« NE CRAIGNEZ PAS, MAIS CROYEZ! » lorsqu'un malheur nous arrive, allons-nous trouver
réellement Dieu, nous jetons-nous à ses pieds? Pensons-
A) Quel est le rôle joué par la souffrance dans les nous d'abord à Dieu, sans la permission de qui pas un
desseins de la Providence et dans quels sentiments cheveu ne tombe de notre tête? '
devons-nous regarder la souffrance, telles sont les Mais comment dans le malheur ma première pensée
questions auxquelles j'ai essayé de répondre dans les serait-elle ' pour Dieu? demanderez-vous peut-être.
cinq sermons précédents. Et maintenant apercevons- Ne dois-je pas m'efforcer 'd'adoucir mon sort? Ne
nous tuut? Maintenant tout est-il clair devant nos dois-je pas chercher du travail? Dois-je simplement
yeux? Maintenant avons-nous résolu entièrement le attendre que les alouettes tombent toutes rôties et ne
problème de la souffrance? Hélas! non. Pour avoir faite que prier? Je suis malade. Dois-je ne pas appeler
une réponse définitive, dissipant toute obscurité et de médecin et me contenter de prier? Pas du tout.
apaisante, il nous faut encore une fois nous tourner vers Cherchez du travail. Appelez un médecin. Seulement ...
Notre-Seigneur Jésus-Christ. La réponse définitive est seulement croyez aussi en Dieu. Croyez que votre Père
donnée par les parol~s que le Christ a adressées à Jaïre. du, ciel est avec vous, aussi dans le malheur. Croyez ·
La fille unique de J aïre, chef de la synagogue, était que les efforts de l'homme sont inutiles, si la béné-
malade à la mort. Le père supplia le Sauveur de venir diction divine ne vient pas s'y ajouter. Croyez que la
chez lui et de guérir sa fille. Tandis que Jésus était en science du m~decin restera sans effet, si Dieu n'apporte
route vers la maison, arriva la nouvelle : Trop tard, pas son aide. Croyez à l'ens,eignement de saint Paul:
« Tout est à vous ... le monde, la vie, l~ mort, les choses
la jeune fille est morte.
Et que dit alors Notre-Seigneur au père accablé de présentes et les choses à venir. Tout est à vous mais
douleur? Faites bien ·attention. (i Ne crains pas, crotS vous, vous êtes au Christ et le Christ est à ' Dieu »
seulement! ) (S. Luc VIII, 50).
(10 Corinthiens III, 22-23). Croyez en Dieu avec un
a) Je réfléchis à la misère qui règne parmi nous. aussi total abandon 1
23 2 LE SYMBOLE DES APÔTRES LE CHRIST ET LA SOUFFRANCE 233
\
'-
b) Deux petits enfants portaient du bois avec leur strophes pleurnicheuses : C'est la volonté de 'Dieu,
père. L'un tendait ses faibles bras et le père posait acceptons-la. Ces quelques mots n'apportent-ils pas
dessus du petit bois pout l'emporter dans la maison. de réconfort dans les tempêtes de la vie? « Que Votre
Son frère le regardait et quand il pensa que la charge volonté soit faite! »
était bien suffisante, il dit: ,-, 1 Comme la souffrance endurée dans de telles dispo-
C'est assez, J eannot, tu ne peux pas en porter autant. sitions nous rapproche de la croix du Sauveur, comme
Mais Jean répondit en souriant: elle nous attache au divin Supplicié! Dans les instants
Papa sait bien ce que je peux porter et il n'en met les plus douloureux peuvent s'échapper des lèvres d'un
pas davantage sur mes bras. malade ces paroles de saint Paul : (c je suis rempli de
Oui, celui qui croit ainsi en Dieu est aussi visité par consolation, je surabonde de joie au milieu de toutes
la souffrance, il peut être ébranlé, même il peut chan- mes tribulations» (lIO Corinthiens VII, 4).
celer, il ne sera pas écrasé. Il ne peut pas être écrasé, Le grand écrivain français, François Coppée, avait
parce qu'un tel homme peut toujours redire : « Mon cherché le bonheur en dehors de Dieu. Et lorsqu'il
Pere sait ce que je peux supporter ». ' l'eut cherché partout en vain et n'eut trouvé partout
B) Une telle foi rapproche réellement de Dieu même que des déceptions, sur son lit de souffrances il revint
dans la souffrance. à la foi de son enfance et par elle au vrai bonheur.
La conception du monde qui ne reconnaît pàs le Croyons-le, lui qui avait goûté jusqu'au bout toutes
Christ enseigne que l'on doit supporter virilement la les joies trompeuses de l'existence, lorsqu'il déclare:
souffrance en serrant les dents. Il est facile de donner cc La vie est semblable à un oignon; quand on la coupe,
cette leçon, qu'il faut endurer courageusement la nous nous mettons à pleurer )i.
souffrance, mais si je ne sais pas dans quel but je dois N'est-ce pas ce que ressentait le grand compositeur,
souffrir? Il est facile de recommander ce que dit un Chopin, lorsque; sur son lit de mort, il portait à ses lèvres
proverbe allemand: « Se taire, souffrir et rire sont utiles exsangues le crucifix et disaj.t i cc Maintenant je suis à
dans le malheur », mais essayez un peu de rire dans la la source du bonheur )}.
souffrance, lorsque la roue de la vie grince et vous écrase. . L'heure de la maladie peut être un temps de
Mais la douleur s'adoucit aussitôt, si je sais m'en lamentations et d'angoisse sans but et le mal n'en est
tenir aux desseins de Dieu. pas pour cela diminué. Elle peut être aussi une heure
En . Allemagne, .un touriste surpris par un orage de réflexion sainte, une visite divine et la compréhension
écrivit sur le mur d'une cabane forestière quelques des desseins de Dieu, le coup frappé par Dieu à la
strophes irritées contre le mauvais temps. Un peu plus porte de notre âme et celui qui regarde ainsi la souffrance
tard un autre voyageur écrivit au-dessous de ces supportera aussi bien plus facilement même la douleur
234 LE SYMBOLE DES APÔTRES LE CHRIST ET LA SOUFFRAN CE 235
physique, tandis qu'en toutes, drconstances son âme vers l'~tre suprême, mais ils ne savent pas Lui parler,
sera toujours plus belle, plus précieuse. Dans la solitude parce qu'ils n'en ont jamais eu l'habitude. ",
de sa chambre de malade, l'homme a enfin du temps à Mes frères, aux jours de paix et de tranquillité,
lui. Car l'allure hâtive de la vie moderne laisse juste prenons' l'habitude de nous entretenir avec Dieu,
le temps de gagner son pain, de jouir et de se distraire; de Le prier avec une âme fervente, afin qu'au milieu
sur un lit de malade on trouve enfin du temps pour sa des souffrances qui s' abattront sur nous nous sachions
pauvre âme aban4onnée. « Humiliez-vous donc sous dire quelque chose à notre Père du ciel et que, même
la puissante main"de Dieu, afin qu'Il vous élève au au milieu des éclairs de la douleur, nous puissions
temps de l'épreuve» (10 S. Pierre V, 6). Ainsi la chambre entendre son encourageante réponse; « Ne crains pas,
du malade devient une église, le lit un autel sur lequel" crois seulement ,».
nous offrons au Seigneur nos douleurs en sacrifice
expiatoire et purificateur.
II
C) Mais savez-vous, mes frères, quel est celui qui
peut, dans le malheur et la souffrance, s'attacher ainsi
CROYEZ , EN LÀ VIE ÉTERNELLE 1
à Dieu, croire ainsi en Lui et Le prier ainsi? C'est celui
qui aussi aux jours paisibles du bonheur a l'habitude de
s'entretenir avec Dieu. Je me rends cependant compte que je dois expl1quer
Je tie connais pas d'instant plus angoissant que celui encore mieux cet encouragement de Notre-Seigneur:
où un homme qui a oublié Dieu, est ramené à Dieu par « Ne crains pas, crois seulement »; il ne veut pas dil:e
les circonstances cruelles de la vie, mais le malheureux que Dieu réalise toutes nos demandes aussitôt et de la
ne sait quoi dire à Dieu, parce qu'il n'a jamais eu manière que nOUR les avons sollicitées dans nos prières,
l'habitude de Lui parler. Lorsque le fils unique d'un je n'ai pas de place et j'en trouve une immédiatement,
homme parvenu à un bien-être insolent et totalement je suis malade et je retrouve la santé, je souffre et ma
oublieux de son âme, gît gravement malade, que sa douleur disparaît; ah! ce n'est pas ce que voulait dire le
respiration devient plus courte et plus faible, ses mains divin Maître. Il voulait dire qu'Il exauce toutes nos
moites et froides, que la sueur coule de son front. que prières" mais comme Ille juge le meilleur, croyons donc
dans l'antichambre on interroge le médecin, et que en son infinie justice, en ses récompenses infinies,
celui-ci ne fait qu'une réponse évasive... ah! en en son royaume éternel.
ces tristes moments d'impuissance c9.,mbien d'athées C'est assurément dans le mystère de la souffrance
orgueilleux se jettent à genoux en se tordant les mains, qu'il faut appliquer à Dieu ceR paroles de saint Paul:
.P9}1fgi~r da~s leur détresse vers le grand Inconnu, (! Que Ses jugements sont insondables et Ses vo~es
/
incompréhensibles! » (Romains XI, 33). Car je ne veux une vie sans Dieu et je me trouve devant un avenir
pas .pas.ser sous silence que, même après toutes les incertain ».
exp.hcatlO~s et toutes les démonstrations, il reste encore Lorsqu'on reçoit une telle lettre, est-il étonnant que
toujours bIen des traits indéchiffrables sur le visage de l'âme frémisse?
la souffrance, nul ne peut donner de réponse entière~ Lorsque de jour en jour on voit de pareilles choses
ment satisfaisante sinon la grande, la .sainte pensée de et même de plus grandes injustices, est~il étonnant que
l' Au~delà';-' de l'Éternité. l'on s'écrie avec. Job: Pourquoi les méchants vivent-ils
; A) Un jour que Dante, dans les dernières an~ées de dans l'orgueil et la richesse? Comme tout leur réussitl
son exil à Vérone, se promenait dans la rue, il entendit Leurs troupeaux s'accroissent sans cesse, leurs enfants
une conversation intéressante. Deux femmes venaient sont dans la joiù et ils nous disent d'un ton provoquant:
de passer à côté de lui et l'une dit à l'autre avec un Quel est-il ce Tout-Puissant, pour que nous le servions_?
grandl'soupir : « Regardez, c'est cet homme q~i est allé Et quel avantage en: retirerions~nous, si nous le priions?
en ~nler ~t en est revenu Il. Sur quoi, l'autre ajouta: (cf. Job XXI, 6~I5).
« C est .blen vrai. C'est pour cela qu'il a la barbe en Où trouver la réponse définitive à ces questions qui
broussalIl~ et la figure si noire. C'est le diable et la nous intéressent tous? La réponse nous est donnée
fumée qUi l'ont arrangé ainsi ». par notre foi en l'éternité. Ici-bas nous ne sommes que
En vérité, dans l'âme de celui qui regarde l'éternité des voyageurs assis en chemin de fer, l'un est sur les
- a? 1 ce n' es~ pas son visage qui devient noir par la coussins d'un compartiment de Ire classe, l'autre est
fum~e - se degage comme une sorte de force austère assis sur un banc de bois en troisième; l'un voyage en
dommant le monde, le souffle de l'éternité. Des hommes Pullman garni de velours et de broderies, l'autre dans
Iutte~t, des veuves pleurent, des jeunes gens s'amusent un wagon d'omnibus bondé et enfumé; qu'importe?
'"
des. justes .souffrent, des coupables se rejOUlssent ...' lorsqu'ils descendent ils sont tous dans la même gare,
mats .s?n œd a regardé dans l'éternité et a vu que tout mais que se passe~t~il alors, que se passe-t-il après?
se ,dlr~ge _yers 1a tombe, vers l'au~delà. Et après? Qu'arrive~t-il à l'instant où ils descendent à la station
Qu arrtvera-t~il après? terminus?
Derni~rement une jeune fille m'écrivait: « Pendant A ce moment, le dernier de notre vie, oil toute notre
un cert~lll ~emps j'ai senti le terrain assuré sous mes existence terrestre passe en un instant sous les yeux
pas, mats bIentôt arrivèrent les noirs soucis ,:'ai perd de notre âme, nous ne serons pas à .notre aise, si notre
n;a pl~ce et me voilà maintenant de nouveau ~~ute seul: vie n'a été qu'une suite de bonheurs, de jouissances, de
J aU;aIs, ~u conserver mon emploi, si j'avais pu mettre bien-être et de paresse; mais si au contraire nous avons
le peche a la place de la vertu. Je ne supporterais pas porté la croix de l'existence, les yeux tournés vers le
23 8 LE SYMBOLE DES APÔTRES /
/
/.
LE CHRIST ET LA SOUFFRANCE 239
Christ, alors à ce moment-là jailliront de L èvres ces tiques, la maladie, la douleur, tout cela servira d'auxi-
paroles de nos saints Livres: {( Il m'a été bon que Vous liaire pour atteindre le grand But.
m'ayez humilié» (Ps. CXVIII, 71). Au milieu de toutes ses souffrances et de tous ses
Je ve ndrais redire à cette héroïque jeune fille qui a malheurs la vie est supportable, la vie peut acquérir de
préféré la,_vie honnête avec sa pauvreté à la chute la valeur, il n'yen a qu'un qui ne puisse pas la supporter :
morale avec sa richesse, je voudrais lui redire ces c'est celui qui n'a pas la foi, celui pour qui il n'y a pas
paroles de Notre-Seigneur: « Large est la porte et de Dieu.
spacieuse la voie qui conduisent à la perdition )J Ah! mes frères, écoutez donc, ce que disent les chefs
(S. Matthieu VII, 13), mais « étroite est la porte et des incroyants, comment ils supportent la vie. Ils ne
resserrée la voie qui conduisent à la vie» (S. Matthieu la supportent pas. Ils s'écroulent dans le plus sombre
VII, 14). Je voudrais lui redire les consolations de pessimisme.
notre foi : Vivre chrétiennement est difficile, mourir « Vivre c'est souffrir, le monde '· entier n'est qu'un
chrétiennement est facile, mais il meurt difficilement celui hôpital et son médecin c'est la mort )J, voilà ce que dit
qui a vécu facilement. l'un d'eux (Heine). « Je ne sais pas ce qu'est la vie éter-
B) Toutefois, pour comprendre cette idée et pour nelle, mais je sais bien que la vie .présente est une
s'approprier de tels sentiments, on a besoin d'avoir des mauvaise plaisanterie )J, a dit un autre (Voltaire).
yeux comme les rayons X, les rayons X de la foi en D'après un troisième (Lenau) : « Le plus heureux c'est
l'Au-delà, qui pénètrent toutes les douleurs et toutes celui qui a fermé ses yeux dès l'enfance)J. Voilà comment
les erreurs, toutes les angoisses et toutes les séparations tombent la colonne vertébrale, le pilier, le lièn de
de la vie et jugent tout en fonction de l'éternité. De l'existence, si la foi disparaît.
même que la nuit sombre s'illumine, dès qüe brillent Au contraire celui qui, avec la lumière de la justice
les lampes à arc, de même toute vie terrestre envahie divine infinie et de la vie éternelle, éclaire les chemins
par le malheur devierit supportable, si l'on y allume obscurs de la vie terrestre, reconnaîtra toujours sa route.
la lumière de la vie éternelle. C'est ainsi que fonctionnent les phares modernes par
Celui qui vit dans cette croyance trouvera ',tussi la temps couvert de nuages. Ils n'éclairent pas en avant
route de la vie éternelle pavée avec le granit de la ni au large, mais projettent leur lumière,_dans les
souffrance. A celui qui sait que son âme, comme toutes nuages. Et les nuages, qui autrement obsèurciraient
les âmes, a en ce monde, à côté de sa tâche terrestre, l'horizon, . reflètent la gerbe lumineuse du phare de
une tâche surnaturelle, à laquelle doit être subordonnée 100 à 200 kilomètres de distance. Notre foi, elle aussi,
celle de cette terre, c'est-à-dire : façonner en nous- dirige la lumière de la vie éternelle sur les nuages qui
mêmes l'image de Dieu/ la souffrancel les ennuis domes- enveloppent nos chemins de cette terre, parce qu'elle
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240 LE SYMBOLE DES APôTRES LE CHRIST ET LA SOUFFRANCE 24 1
sait qu'autrement la souffrance est intoltJable. Elle ne maladie ~ystérieuse torturait depuis un an et demi.
peut pas être endurée sinon par ceux qui possèdent la Les plus grands professeurs s'étaient efforcés de. déc~u:
consolante conviction qu'elle n'est pas le dernier mot vrir son mal; il avait été en traitement, on l'avait opere
de notre vie. plusieurs fois, et quand je le visitai, après dix-huit m.ois
Dieu en effet n'a pas créé l'homme pour la douleur, de souffrances, il était toujours couché, avec un pied
mais pour le bonheur. Toutes les fibres de notre être dans le plâtre. '
réclament.le bonheur. Elle était grande, Marie- Je fus surpris de trouver une âme si joyeuse dans un
Madeleine, ' lorsqu'elle versait ses larmes de repentir corps si malade.
sur les pieds du Sauveur, mais ce ne fut pas là la Voyez-vous, Monseigneur, ce crucifix, au mur vis-
dernière station de sa route, ce ne fut pas le dernier à-vis de moi, il me montrait la croix qu'il avait fait
mot de sa vie, elle n'atteignit le sommet du bonheur que poser à l'un des murs de la chambre magnifique qu'il
lorsque le Christ ressuscité lui dit ce seul mot: Marie. occupait à la clinique. Auparavant, quand j'étais en
Elle était grande la Très Sainte Vierge, quand, l'âme bonne santé, j'avais ce crucifix à la maison, à la tête
transpercée par la douleur, elle était debout au pied de de mon lit; maintenant je l'ai fait placer là en face de
la croix de son divin Fils, mais la dernière station de moi. Car il est plus facile de souffrir, quand on a la croix
sa route ne pouvait pas être le « Stabat Mater », . ce sous les yeux et que l'on peut contempler le Christ
devait être le « Regina caeli laetare », le « Réjouissez- souffrant. .
vous, Reine du ciel ». Voilà ce que m'a dit ce grand malade alité depuis un
Voilà la réponse définitive, la solution complète de an et demi et dans ses paroles il y a toute la force,
notre sainte foi, par elle s'allume, au-dessus des chemins toute la valeur, toute l'onction que l'homme qui
obscurcis par les tempêtes de la vie terrestre, la douce souffre reçoit du Christ souffrant.
et pacifique lumière de l'étoile de la vie éternelle. Seigneur, quand la souffrance, qui est le sort commun
Voilà la solution définitive et apaisante du problème de l'humanité, tombera sur moi, ne me laissez jamais
de la souffrance. souffrir en murmurant ! Ne m'envoyez pas de souffrance
, plus grande que celle que je puis supporter, en m'at!achant
à Votre sainte croix! Si vous le jugez bon, adouClssez-la,
Mes frères, j'ai commencé mon sermon par le récit fe vous en prie, abrégez les jours de douleur. Je vous en
de la mort d'un prince, je voudrais le terminer par prie, si c'est possible, que le calice passe loin de moi;
l'exemple d'un comte actuellement en vie. mais avant tout, qu'il soit fait selon votre volonté; et non
J'étais assis au chevet d'un comte gravement malade ... pas la mienne! Que toujours, partout, Seigneurt soit faite
au chevet d'un monsieur distingué et fort riche qu'une Votre sainte volonté! Amen.
~.:
LE FRUIT DES SOUFFRANCES DU CHRIST 243
MES FRÈRES,
Lorsque nous pensons au résultat des souffrances du
Dans les sermons que nous avons jusqu'ici consacrés Christ, deux grandes vérités nous viennent particu-
aux souffrances du Christ, nous avons cherché la lièrement à l'esprit. Par ses souffrances et par sa mort,
réponse à la question pourquoi Jésus a-t-Il voulu souffrir. Notre-Seigneur Jésus-Christ est devenu : A) notre
Afin d~ pouvoir L'accompagner, avec une ~âme réfléchie, Grand-Prêtre éternel, comme Le nomme . l'apôtre
sur le chemin de la croix, il nous faut d'abord voir saint Paul (Hébreux VI, 20) et B) notre Rédempteur.
clairement le but et le résultat de ses souffrances. A) Le Christ est notre Grand-Prêtre éternel.
Dans mon instruction de dimanche prochain, nous a) Si loin que l'histoire des civilisations étende ses
marcherons à côté du Sauveur sur le chemin de la recherches dans la vie des peuples anciens, chez tous
croix, nous dirigerons notre attention sur la seconde et à toutes les époques, elle trouve une sorte de sacerdoce.
question : quelles ont été les souffrances du Christ? C'est-à-dire , qu'elle découvre dans tous ces peuples
Mais pour mieux comprendre la grandeur du sacrifice une sorte d'instinct qui les pousse à choisir entre Dieu
et de l'amour de Notre-Seigneur souffrant, je voudrais et eux, comme lien et comme intermédiaire, les hommes
dans le sermon de ce jour résumer à grands traits les les meilleurs auxquels ils donnent le nom de « prêtres ».
idées que, vous avez déjà entendues et vous exposer Mais à ceux qui étaient les plus éminents parmi ces
encore une fois en un tableau d'ensemble pourquoi prêtres ils donnèrent le nom de « pontifex » « con-
a souffert Notre-Seigneur Jésus-Christ. . structeur de pont », car ils vénéraient en eux comme
. 1. Que nous ont donné les souffrances du Christ? une sorte de pont vivant reliant le ciel et la terre .
II. Que nous apprennent les souffrances du Christ? et La fonction la plus importante du prêtre a toùjours
LE SYMBOLE DES APÔTRES LE FRUIT DES SOUFFRANCES DU CHRIST 245
été d'offrir à Die~ des sacrifices sur les autels et par là la nouvelle alliance, répandu pour un grand nombre
de demander pardon pour les péchés des hommes, de en rémission des péchés )} (S. Matthieu XXVI, 28).
demander du secours pour les hommes impuissants « Pourquoi vos disciples ne jeûnent-ils pas? demanda-
ou de remercier pour les bienfaits reçus. t-on un jour à Notre Seigneur. Écoutons ce qu'II
Cette série de prêtres et de grands prêtres est terminée répondit : « Les compagnons de l'époux peuvent-ils
et couronnée par la dignité sacerdotale de Notre- jeûner, pendant que l'époux est avec eux? Aussi
Seigneur Jésus-Christ. C'est de Lui que saint Paul longtemps qu'ils ont avec eux l'époux, ils ne peuvent
écrit ces lignes dans son Épître aux Hébreux : « II est pas jeûner. Mais les jours viendront où l'époux leur
grand prêtre selon l'ordre de Melchisédec » (Hébreux sera enlevé et alors ils jeûneront en ces jours-là »
VI, 20). (S. Marc II, 19-20).
Du reste, toute l'Épître d~ saint Paul aux Hébreux Ses disciples se querellent au sujet de la première
est un hymne magnifique au sacerdoce du Christ. place, mais II voit devant Lui le calice de souffrance
« Puisque nous avons en Jésus, le Fils de Dieu, un grand (S. Matthieu X, 38). Sur le Thabor, Il en parle avec
prêtre excellent qui a pénétré les cieux, demeurons Moïse et Élie (S. Luc IX, 31). « Je dois encore être
fermes dans la profession de notre foi» (Hébreux IV,I4). baptisé d'un baptême (c'est-à-dire être plo~gé dans
« .Tel .est en effet le grand prêtre qu'il nous fallait , la souffrance), dit-Il ailleurs, et quelle angoisse en moi,
samt, mnocent, sans tache, séparé des péchés et élevé jusqu'à ce qu'il soit accompli! )} (S. Luc XII, 50).
au-dessus des cieux» (Hébreux VII, 26). Le but de sa vie a donc été de se livrer en rançon pour
b) Comment le Christ est-II devenu notre grand nous. « Ceci est mon Corps qui est livré pour vous »
prêtre ~t~rnel ? Parce qu'Il réunit en sa personne le prêtre (S. Luc XXII, 19), déclare-t-II à la dernière Cène.
et la vlctlme. De la crèche de Bethléem à la croix du Voilà quel a été le premier résultat des souffrances
Golgotha, toute sa vie n'a été qu'un sacrifice offert pour _du Christ: Il est devenu notre Grand-Prêtre.
nous. Durant toute son existence terrestre, II est allé B) Mais par ses souffrances le Christ est également
der ''Jacrifice en- sacrifice, jusqu'à ce que finalement devenu notre Rédempteur.
II ,~oi~ arrivé à l'autel le plus élevé de tous: au Golgotha. Pourquoi a-t-Il tant souffert? Il ne peut y avoir de
C etait
( le but final de sa venue sur la terre, qui avait doute, la sainte Écriture le proclame à chaque page.
fi otte sans cesse devant ses yeu~. C'est à cause de 'nous. A cause de nous. Écoutons le
Que de fois II a exprimé cette pensée! « Le Fils de prophète Isaïe : « II a été transpercé à cause de nos
l'homme est venu, non pour être servi, mais pour servir péchés, brisé à cam;" de nos iniquités» (Isaïe LIlI, 5)'
et donner sa vie pour la rédemption d'un grand nombre» Écoutons saint Paul : « Le Christ est mort à cause de
(S. Matthieu XX, 28). « Ceci est mon sang, le sang de nos péchés » (l0 Corinthiens XV, 3).
LE SYMBOLE DES APÔTRES LE FRUIT DES SOUFFRANCES DU CHRIST 247
Par ses souffrances, le Christ est devenu l'Agneau de
':, Dieu qui enlève les péchés du monde (S. Jean l, 29).
II
Alors que nous étions ennemis de Dieu, Il nous a
réconciliés avec Lui par sa mort (Romains V, IO), QUE NOUS APPRENNENT LES SOUFFRANCES DU CHRIST?
« car notre Pâque, le Christ, a été immolé » (10 Corin-
thiens V, 7). Dieu « nous a rendus agréables à ses yeux
en son Fils bien-aimé, en qui nous avons la Rédemption Le Christ souffrant n'a pas été seulement notre
acquise par son sang, la, rémission des péchés selon Grand-Prêtre et notre Rédempteur, mais aussi notre
la richesse de sa grâce » (Éphésiens l, 6-7). Le Christ Maître; la . croix n'est pas seulement un autel, mais
est « une victime . de propitiation pour nos péchés » aussi une chaire. Que nous enseignent donc les souf-
(10 S. Jean II, 2). « Vous avez été rachetés à grand prix» frances du Christ? Que nous apprend le Christ souf-
(10 Corinthiens VI, 20). « Sachez que vous n'avez pas frant? Les souffrances du Christ sont pour nous :
été affranchis de la vaine manière de vivre que vous A) une grande révélation et B) une grande consolation.
teniez de vos pères par des choses périssables, de A) Les souffrances ' du Christ sont pour nous une
l'argent ou de l'or, mais par un sang précieux, celui grandiose révélation.
de l'agneau sans défaut et sans tache, le sang du Christ » a) Les souffrances du Christ ont révélé combien
(10 S. Pierre l, 18-19). « Le Christ nous a rachetés de Dieu est juste. Car c'est le Christ « que Dieu a donné
la malédiction de la Loi, en se faisant malédiction pour comme victime propitiatoire par son sang, afin de
nous » (Galates III, 13), c'est-à-dire qu'Il a pris sur manifester sa justice, pour la rémission des péchés »
Lui nos péchés, sources de toutes malédictions. (Romains III, 25). « Celui qui n'a point connu le péché,
Voilà comment le Christ nous a rachetés. En obéissant Il l'a fait péché pour nous, afin que nous devenions
à son Père du ciel, tandis que nous étions désobéissants. en Lui justice de Dieu» (IIO Corinthiens V, 21).
En aimant son Père, tandis que nous ne L'aimions pas. b) Mais les souffrances du Christ nous ont 'encore
En étant complètement pur, tandis que notre âme révélé combien Dieu est miséricordieux.
était plongée dans la boue. En disant : « Mon Père, « Dieu II tellement aimé le monde qu'Il a donné son
que Votre volonté soit faite et non pas la mienne », Fils unique, afin 'que quiconque croit en Lui ne périsse
tandis que nous agissions selon notre volonté et non point, mais ait la vie éternelle» (S. Jean III, 16). « Dieu
a manifesté son amour pour nous, en envoyant son Fils
selon celle de Dieu.
unique dans le monde, afin gue nous vivions par Lui ))
(10 S. Jean IV, 9). « Dieu montre son amour envers nous,
en ce que, lorsque nous étions encore des pécheurs,
LE SYMBOLE DES APÔTRES LE FRUIT DES SOUFFRANCES DU CHRIST ·
au temps marqué, Jésus-Christ est mort pour nous» n'y eût personne sur terre, quelles que soient les
(Romains V, 8-9). « Cet amour consiste en ce que ce souffrances qu'il ait endurées, qui ne pût réclamer
n'est pas nous qui avons aimé Dieu, mais Lui qui nous consolation auprès du Sauveur souffrant. En réalité,
a aimés et qui a envoyé son Fils comme victime de dans toutes nos souffrances, nous nous tournons avec
propitiation pour nos péchés» (10 S. Jean IV, 10). confiance, vers le Christ, sur les lèvres duquel ont retenti
c) Les souffrances du Christ ont encore révélé deux exclamations, si émouvantes, si humaines, qui
combien le Christ a aimé son Pere. Notre'-Seigneur Lui- Le rapprochent de tous ceux qui souffrent en ce monde.
même explique ainsi ses souffrances: « c'est pour que L'une au Mont des Oliviers : « Mon Père, s'il est
le monde sache que j'aime mon Père et que j'agis possible, que ce calice passe loin de moi! » (S. Matthieu
selon le commandement que mon Père m'a donné » XXVI, 39). L'autre au Golgotha : « Mon Dieu, mon
(S. Jean XIV, 31). « Il s'est abaissé Lui-même, se Dieu, pourquoi m'avez- Vous abandonné?» (S. Matthieu
faisant obéissant jusqu'à la mort et la mort de la croix» XXVII,46).
(Philippiens II, 8). « Tout Fils de Dieu qu'Il était, Mais en est-il ainsi? demandons-nous, l'âme émue.
Il a appris, par ses propres souffrances, ce que c'est Est-il vrai que le Père céleste ait délaissé, abandonné
qu'obéir» (Hébreux V, 8). à Lui-même le Christ expirant? J'ose à peine le dire:
d) Enfin les souffrances du Christ ont révélé combien le Christ s'est-Il vraiment abandonné au désespoir sur
le Christ a aimé les hom~es. « Il n'y a pas de plus la croix, comme ces paroles le signifient peut-être au
grand amour que de donner sa vie pour ses amis » premier abord?
(S. Jean XV, 13). « Le Christ est mort ... pour des Certainément non. Il n'a pas désespéré, mais Il a
impies. C'est à peine si l'on meurt pour un juste ..• prié. Celui qui commence par ces paroles: « Mon Dieu,
Mais Dieu montre son amour .envers nous en ce que, mon Dieu » ne désespère pas, mais prie.
lorsque nous étions encore des"pécheurs, au temps Alors que voulait donc dire le Sauveur, quand ce cri
marqué, Jésus-Christ est mort pour nous» (Romains V, de douleur sortait de sa poitrine?
6-9). « Il m'a aimé et s'est livré Lui-même pour moi» Il voulait nous apprendre qu'il n'y a ·pas de péché,
(Galates II, 20). « Nous avons reconnu son amour, si nous versons des larmes de douleur, qu'il n'y a
parce qu'Il a donné sa vie pour nous» (10 S. Jean III, 16). pas de péché, si notre âme gémit au dedans de nous
B) Les souffrances du Christ ne sont pas seulement sous le poids de' terribles malheurs, pourvu que nous
une révélation pour nous, mais aussi une grande conso- commencions toujours notre prière par ces paroles :
li Mon Dieu, mon Dieu ».
lation. Une consolante leçon pour l'homme qui souffre.
Le Christ a voulu aller jusqu'au bout dans les Votre époux est mort? Votre grande fille est morte?
profondeurs des souffrances les plus atroces, afin qu'il Vous avez tout perdu? Vous souffrez d'une maladie
,".
LE SYMBOLE DES APôTRES LE FRUIT DES SOUFFRANCES DU CHRIST
incurable depuis des années? Ah! je comprends que Mes frères, maintenant, n'est-cè pas, vous savez pour-
vous gémissiez, que vous pleuriez, mais avec vos lèvres quoi le Christ a souffert.
tordues par la douleur baisez la croix du Christ et dites- Voilà ce que nous ont donné et enseigné les souf-
Lui, au milieu de vos larmes: « Mon Dieu, mon Dieu ). frances du Christ.
y a-t-il donc vraiment une force consolante dans les
souffrances du Sauveur? Écoutez ce que m'écrit une III
malade clouée sur son lit depuis onze ans :
« De terribles malheurs arrivèrent. J'ai tout perdu A QUOI NOUS OBLIGENT LES SOUFFRANCES DU CHRIST?
successivement. Mes parents, mon fiancé que j'aimais
et qui m'aimait, tous mes biens, j'entends par là mes
biens matériels, je suis tombée dans une extrême Mais voici une nouvelle question : A quoi nous
pauvreté et quand je croyais avoir déjà perdu tout ce obligent les soUffrances du Christ? Car ceux-là seu-
que j'avais à perdre, survint une grave maladie accom- lement puisent consolation dans les souffrances du
pagnée de terribles souffrances physiques. Je suis alitée Christ qui observent fidèlement les saintes obligations
depuis onze ans. Pendant toute cette période, je n'ai qui résultent pour nous du sacrifice du Sauveur.
pu quitter le lit qu'une paire de fois. J'ai subi de Quelles sont donc ces obligations? A quoi nous obligent
graves opérations dont chacune m'a retirée des portes les souffrances du Christ?
de la mort, après d'indicibles tortures. Depuis des A) Il y a des miroirs qui ne reflètent pas le visage
années, je suis à l'hôpital, toujours au milieu 'd'étrangers, tel qu'il est, mais l'agrandissent, le diminuent, le
sans foyer, sans ressources matérielles et pourtant, déforment. .
mon Père, je suis riche, car j'ai trouvé la paix de l'âme et Celui qui se place devant un miroir concave ou
une satisfaction qui me faisaient défaut dans mes années convexe se met à rire de lui-même, parce que dans
de prospérité. J'ai trouvé le Christ. Le Christ qui est ' le premier son visagli, sa bouche, ses mains et ses pieds
mort sur la croix pour nous, pour ceux qui souffrent, sont démesurément allongés et dans l'autre extra-
non pas pour ceux qui jouissent, pour ceux qui font ordinairement élargis.
bonne chère, dansent ou flirtent, mais pour nous qui Dans le miroir de nos passions nous voyons toute
souffrons patiemment avec soumission à la volonté de notre vie ainsi déformée, faussement agrandie ou
Dieu et avec confiance en Lui. Nous ne demandons élargie; ce qui, du point de vue de la vie éternelle,
pas: pourquoi moi? pourquoi faut-il que ce soit moi? n'a réellement aucune valeur: l'argent, la puissance,
Mais nous faisons le signe de la croix et nous disons: la gloire, le plaisir, tout cela nous paraît extrêmement
li Que Votre volonté soit faite 1 » importantj mais ce qui serait seul important: la moralité,
LE SYMBOLE DES APÔTRES LE FRUIT DES SOUFFRANCES DU CHRIST 253
l'honnêteté, la pureté d'âme et la vertu, apparaît de la joie qu'II avait -devant Lui, méprisant l'ignominie,
affreusement déformé dans le miroir faussé du monde. a souffert la croix et s'est assis à la droite du trône
Mais dans le miroir des souffrances du Christ tout appa- de Dieu» (Hébreux XII, 1-2).
raît dans sa vraie lumière, les souffrances du Christ Les coureurs s'efforcent de se débarrasser de tout
montrent tout dans son exacte mesure. fardeau et de tout obstacle; notre vie est une course
A quoi donc obligent les souffrances du Christ? dont le but est la vie éternelle et dont le plus grand
Les apôtres répondent clairement: De même que le Christ obstacle est le péché, dégageons-nous-en.
est mort POUl' nous, de même devons-nous mourir au péché. B) Mais des souffrances du Christ découle encore
« Maintenant nous sommes dégagés de la Loi, sous une nouvelle obligation : Aimons le Christ qui souffre
l'autorité de laquelle nous étions tenus, de sorte à cause de nous.
que nous servons Dieu dans un esprit nouveau » Quand aimons-nous le Christ souffrant? Lorsque
(Romains VII, 6). nous en avons pitié? Lorsque nous pleurons? Lorsque
« Si, après avoir fait le bien, vous avez à souffrir et nous versons des larmes sur Lui? Non.
que vous le supportiez avec patience, voilà ce qui est a) Mais nous aimons le Christ, lorsque dans nos
agréable à Dieu. C'est à quoi, en effet, vous avez été · souffrances nous souffrons avec Lui.
appelés, puisque le .Christ aussi a souffert pour vous, « Puisque le Christ a souffert dans la chair, armez-
vous laissant un modèle, afin que vous suiviez ses vous, vous aussi, de la même pensée, car celui qui a
traces » (10 S. Pierre II, 20-21). souffyrt dans sa chair a rompu avec le péché »
Jésus-Christ « est mort pour nous, afin que, soit que (10 S. Pierre IV, 1).
nous veillions soit que nous dormions, nous vivions « Ne soyez point surpris de l'incendie qui s'est allumé
avec Lui» (1° Thessaloniciens V, la). au milieu de volis pour vous éprouver... Mais dans la
« Ce\lx qui sont à Jésus-Christ ont crucifié la chair mesure où vous avez part aux souffrances du Christ,
avec ses passions et ses convoitises» (Galates V, 24). réjouissez-vous, afin que, lorsque sa gloire sera mani-
Le corps et l'âme sont en lutte; tout chrétien doit festée, vous soyez aussi dans la joie et l'allégresse »
participer à ce grand combat et les souffrances du Christ (10 S. Pierre IV, 12-13).
obligent à juger cette lutte et tout événement de notre « Car c'est une chose agréable à Dieu que l'on
vie terrestre d'un coup d'œil exact. endure pour Lui des peines infligées injustement ...
« Rejetons tout ce qui nous appesantit et le péché puisque le Christ aussi a souffert pour nous et vous a
qui nous enveloppe et courons avec persévérance dans laissé un modèle, afin que vous suiviez ses traces »
la carrière qui nous est ouverte, les yeux fixés sur Jésus, (10 S. Pierre II, 19, 21).
l'auteur et le consommateur de la foi, Lui qui, au lieu Nous aimons donc le Christ souffrant, quand dans nos
';[''.
pour ceux qui sont appelés, soit Juifs, soit Grecs, prêtre., Entre temps, le Grand Conseil des J~ifs .se
puissance de Dieu et sagesse de Dieu» (1° Corinthiens l, réunit ' sous la présidence de Caïphe et le ChrIst fut
23- 2 4). conduit d'Anne chez Caïphe. L'interrogatoire resta
Oui, nous voulons considérer les souffrances du cependant sans résultat, car les témoins à gàges se
Sauveur, afin que sur ses traces nos âmes reçoivent le contredisaient,
flot de la puissance, de la sagesse et de la consolation Alors le grand prêtre adressa à Jésus la question
divines. solennelle: « Je t'adjure, par le Dieu vivant, de nous
dire si tu es le Christ, le Fils de Dieu? Jésus lui répon-
1 dit: Tu l'as dit» (S. Matthieu XXVI, 63-64). Aussitôt
le grand prêtre déchira ses vêtements, en disa~t : « Il a
PETITE HISTOIRE DE LA PASSION DU CHRIST. blasphémé, qu'avons-nous encore besoin de témoins?
Vous venez d'entendre son blasphème » (S. Matthieu
XXVI, 65).
L'histoire 'des dernières heures de Notre-Seigneur Le sanhédrin condamna Jésus à mort. Mais comme
est tellement connue de tout chrétien qu'il est superflu la Judée était alors occupée par les Romains et que les
d'en parler en détails. Je n'entreprendrai donc pas de Romains avaient ôté aux Juifs le droit de faire exécuter
traiter à fond toute l'histoire de la P~ssion, mais seule- . une condamnation capitale, Jésus, qui toute la nuit
ment de mettre en relief quelques scènes et quelques avait été cruellement maltraité, fut amené de bon matin,
personnages dont l'étude semble, précisément de nos chargé de chaînes, auprès du gouverneur romain,
jours, extrêmement instructive. Cependant, pour que Ponce-Pilate, pour faire confirmer sur-le-champ la
soit suffisamment complet le tableau dans lequel doivent sentence de mort. .
prendre place ces épisodes, j'estime bon de résumer, Vers 7 ou 8 heures du matin, commença l'interro-
en quelques phrases rapides, les dernières heures de la gatoire devant Pilate. Jésus fut d'abord accusé de se
vie de Notre-Seigneur. faire roi. Mais comme cette accusation n'avait aucun
Après la Cène, Jésus se rendit avec ses apôtres au succès, on en sortit une autre : le Christ soulève le
. mont des Oliviers, pour prier dans le jardin de Gethsé- peuple.' Pilate voulut à tout prix remettre Jésus .e~
""
mani. Là, à l'approche des souffrances qui L'attend\lient, liberté : il offrit une amnistie, mais le peup~e cholSlt
Il fut saisi d'une t~l1e angoisse qu'Il fut baigné d'une l'assassin Barabbas. Il fit flageller le Sauveur, dans le
sueur de sang. A minuit, ses ennemis, guidés par le but d'apaiser ainsi ses ennemis, mais ceux-ci n'en
traître Judas, Le firent prisonnier et L'amenèrent, devinrent que plus hardis et lorsqu'ils virent qu'avec
pour un premier interrogatoire, chez Anne, le grand leurs accusations politiques ils n' obtenaiel1tl'as de ,
"
LE CHRisT AU MONT DES OLIVIERS
LE SYMBOLE DES ' APÔTRES
le soleil et resplendi comme la neige, Il livre maintenant qu'Il voyait d'avance, en vertu de s~n omni~cie.nce .
un rude combat dans son âme meurtrie. , divine. Lorsqu'on est sur le point de subIr une. opera.tlOn,
A travers les branches, la lune répand sur Lui une déJ'à n'est-ce pas, fort inquiet plUSIeurs Jours
on es t , d'"
lueur blafarde, tout comme au paradis terrestre sur auparavant, on ne dort plus et l'on e~dUI'e" e~a par
les premiers hommes qui par leur péché sont cause des avance,-,les douleurs à venir. Le Chnst n etait .pas
souffrances du Christ. C'était la nuit du 14 Nisan, seulement Dieu, mais également homme. Comme I?Ieu,
la première pleine lune après l'équinoxe du printemps. Il savait d'avance les souffrances qui L'attendment;
Sa lueur blême et mystérieuse tombe sur le . visage comme Homme, son cœur était déchiré par les douleurs
douloureux de Jésus agenouillé. Quel spectacle émou- horribles qui s'approchaient. D~avan.ce, Il .passa par
vant que cette agonie anticipée du Sauveur! Le monde toutes les hontes des heures qUI allaient SUIvre. Il se
n'a encore jamais rien vu de pareil. L'Homme-Dieu sentait frapper au visage par les soldats barbares, Il les
qui tremble, gémit et lutte avec les affres de la mort! voyait Lui cracher à la figure, Le flageller, Le cour?nner
B) Moment solennel où le Christ regarda la mort d'épines. Il sentait les coups de fouet, le.sc1ous pOl~tuS,
dam' les yeux! les liens, le poids horrible de la crOIX: Il vOyait le
a) Tel n'est pas le sort des autres condamnés à Golgotha et Lui-même cloué sur la crOIX entre deux
mort. Ils attendent la mort dans leur cachot, mais on brigands, Il entendait les blasphèmes de ~a foul~ en
ne leur fait pas fabriquer la potence, on ne la leur fureur, Il voyait la douleur de la Très Samte VI~rge
montre pas d'avance. Jusqu'au dernier jour, ils espèrent au pied de la croix ... Est-il étonnant qu'en LUI la
leur grâce. Si toutefois le chef de l'État l'a refusée et nature humaine frémisse à la pensée de ce~ sou~ra~ce~
que l'exécution doive avoir lieu le lendemain, alors on et que tout son: corps tremble, et 100;Squ Il VOlt ams~
rend plus supportables leurs dernières heures : quel .d'avance que tous L'abandonnent, de son âme sort ce ~n
que soit leur dernier désir, on le leur accorde. Et quand de douleur: « Mon Père, s'il est possible, que ce calIce
ils sont amenés au lieu du supplice, ils ne voient que passe loin de moi! » (S. Matthieu XXVI, 39)' Po~r
quelques instants le gibet... te·. trouver de la consolation, Il se tourne vers les tro.ls
Notre-Seigneur n'a pas voulu mourz'r ainsi. C'est en apôtres, mais ces derniers sont plongés dans Je sommeI~.
pleine connaissance qu'Il a voulu regarder la mort en Pauvre Sauveur, Vous êtes bien abandonné en cette nu~t
face: bù étaient les valets du bourreau, où était encore douloureuse! Il retourne à la place où Il se tro~vaIt
la sentence de condamnation? et déjà au mont des et là Il est envahi par une angoisse encore plus terrible.
Oliviers Il vivait jusqu'au bout toutes les circonstances by'Ca~ le Christ, le Christ qui n'.avait j~mais connu
de son supplice. le péché~ endura, chose plus pémble meme que la
Il etldu1'a la souffrance physique qui L'attendait et souffrance physique, le fardeau immense des péchés
266 LE SYMBOLE DES APÔTRES LE CHRIST AU MONT DES OLIVIERS
\
qu'Il prit sur Lui, afin de satisfaire pour nous, ' et dont COrint~'ens V, 21). Et lorsque le Christ écrasé sous
l'horreur, l'ignominie et la honte s'abattent maintenant le poids des péchés pleure et gémit, alors s'accomplissent
sur se~':'deux épaules qui frissonnent. les paro es de saint Paul que le Christ « dans les jours
Depuis Adam jusqu'à l'époque de Notre-Seigneur, de sa ,chair a offert, avec de grands cris et d(!s larmes,
que de péchés dans le monde! Et le Christ, jllste à , des prière~ et des supplicatiop.s » (Hébreux V, 7). c
ce moment, prit sur Lui tous les péchés des hommes. Si du moins il y avait quelqu'un pour Le consoler!
De ceux qui avaient vécu avant Lui. ,De ceux qui S'il y avait seulement près de Lui un être vivant pour
vivaient à son époque. Et ,de ceux qui vivront après Lui adresser un mot ' de réconfort! En effet, souffrir
Lui, jusqu'à la fin du monde. Et à cet instant les siècles est toujours douloureux, mais souffrir seul, abandonné,'
passèrent devant ses yeux : les millions d'hommes laissé à soi-même, sans sympathie ni consolation, c'est
avec leurs innombrables crimes : les meurtres, les épouvantable.
brigandages, les impuretés, les blasphèmes, les abomi- Jésus se relève et va chercher consolation auprès de
nations de toute sorte ... Et l'âme du Christ, cette âme ses trois apôtres préférés, mais ceux-ci dorment toujours.
qui n'avait jamais été effleurée par l'ombre d'une faute, Dormez-vous aussi? Vous qui êtes tout près de moi?
plongeait maintenant ses regards dans cet abîme Vous sur qui je devrais le plus compter, quand je livre
écœurant de péchés et cette masse de péchés des hommes mon sanglant combat au péché?
se jetait avec violence sur le Sauveur innocent et sans Mes frères, cet appel ne fait-il pas battre notre cœur?
péché. « Le Cœur de Jésus, Fils du Père éternel »... Seigneur, c'est à nous aussi, que s'adresse ce douloureux
dans la fange! « Le Cœur de Jésus, Temple saint de reproche. Autour de nou.s font rage les flots du péché
Dieu »... dans la boue et le sang! « Le Cœur de Jésus, qui entraînent avec eux les âmes faibles, mais les
d'une infinie Majesté »... chargé des péchés du monde! disciples du Christ dorment tranquillement. Avec quelle
; Lui, en qui, selon saint Jean « il n'y a pas de péché» ruse travaille l'impiété; à tous les coins de rue, sur les
(10 S. Jean III, 5), porte maintenant sur Lui tous les tableaux d'affichage, dans les vitrines, combien elle a
péchés du monde. Et lorsque sur son âme innocente de propagateurs! Comme le péché, comme l'immoralité
se q~chaîna Îe flot terrible des péchés commis depuis s'offrent, s'imposent, se poussent en avant, et les
le commencet.n,ent des temps, se réalisèrent ces paroles disciples du Christ dorment toujours paisiblementÇ· .
du prophète Isaïe: « Il a été mis au nombre des malfai- Aujourd'hui !,!ncore retentit parmi nous la plainte
teurs, Ita porté la faute de beaucoup» (Isaïe LIII,. 12), douloureuse du 'Christ : Vous ne pouvez même pas
se réalisèrent alors ces paroles de saint Paul : « Celui veiller une heure avec moi? Tandis que je livre un
qui n'a point connu le péché, Il l'a fait péché pour nous, combat gigantesque pour les, âmes immortelles, ne
afin
... _.....
que nous
.. devenions
- .. _.'._.
en
. ....
lui justice de Dieu » (IIO pouvez-vous pas vous précipiter à mon ~ig~ ? Voyez ,
\\
,/
z68 LE SYMBOLE DES APôTRES
, 1
1
com~ien de p,eines aujourd'hui encore on se d01jhe pour
\ ••LE CHRIST AU ~ONT OL~VI~
DES .69
Me V-?lCl. Tu m'as appele au combat. Je SUIS l'OrgueIl.
le dI~ble, malS qui travaille pour Dieu? Voyez comme Par la bouche des anges rebelles j'ai crié dans le ciel,
le peché, entraîne les âmes par milliers à le,&r perte, à la face\de Dieu: « Non serviam » « Je n'obéirai pas ».
pourqUOI ne pourriez-vous pas, vous aussi, employer J'ai insirb é aux premiers hommes dans le paradis
to~s, les ~oyens, afin que viennent à moi !ceux pour terrestre : \«' Mangez de ce fruit et vous devi,endrez
qUi Je SUIS mort? ' comme Die~ ». C'est moi qui, par les puissants potentats,
c:) ~es disciples dorment, mais Satan ne dort pas, ai donné l'ordre que les hommes les adorent comme
Et Il bvre son dernier duel au Fils de Dieu. des dieux. C'est moi qui ai habité dans le cœur des
~e Christ regagne. ~ne troisième fois sa place et tyrans pour leur fa.ire massacrer des milliers d'hommes,
mam;enant Il est assaIllI par les plus 'terribles douleurs. anéantir des peuples entiers, sans sourciller. Et je
Ce n est pas le pressentiment de la souffrance physique, continuerai à l'avenir à m'installer dans les têtes
ce ne sont pas les nombreux péchés qu'Il a pris sur Lui humaines, afin qu'on ne croie' qu'en moi, qu'à l'argent,
ce ?'est pas tout cela qui Le fait le plus souffrir. Ce qui à la machine, au monde physique visible et qu'on rejette
LUI fut le plus pénible, le plus cruel, ce fut la conviction la foi en Dieu, à l'âme, à l'Au-delà, à la vie éternelle.
que pour bien des hommes tout cela serait inutile Un perpétuel succès suit mon entreprise. Devant moi
que pour beaucoup d' hommes Il souffrirait en vain: s'inclinent les mères et les filles, les savants, les hommes
D~ns quelques . ~inutes Judas va faire défection, puis politiques, les souverains ... Alors tu veux entrer en
sUivront des mtlhers et des milliers de Judas au cours lutte avec moi? Toi, pauvre homme tremblant, si
des siècles : voilà quelle fut la plus atroce des douleurs faible, si abandonné? C'est en vain. Tout à fait
du Sauveur. en vain.
a) Un sanglant et terrible duel se livre maintenant Notre-Seigneur 'se jette à terre ({ et sa sueur devint
entre ~e Chr,ist et Satan. Depuis la chute originelle, comme des gouttes de sang découlant jusqu'à terre»
l~ ChrIst avaIt provoqué le péché en duel; maintenant (saint Luc XXII, 44). 0
1 heure est venue et le Chi'ist se présente sur le terrain b) Le Christ relève sa face ensanglantée et voici ...
du combat. ô horreur ... que dans la demi-obscurité une nouvelle
Ma,is ~o.n adversaire ne se fait pas attendre. L'air ,forme se dresse devant Lui. Elle est plus petite que
hautam, vetu de pourpre, un homme de haute stature ~ la précédente, elle ne dresse pas fièrement la tête, mais
appar~ît entre les oliviers; sur sa tête fièrement renversée se balance avec coquetterie et légèreté , ~. Elle n'est
~~ arr~èr~, à la pâle clarté de la lune, on pouvait lire pas semblable à un homme, mais présente plutôt des
1 mSCrt~tlOn de la couronne posée sur son front : traits féminins . .! Sa robe est tachée de sang mais
Superbta. L'Orgueil. brodée, déchirée mais de grand prix, salie mais
27° LE SYMBOLE DES APÔTRES " /
\ LE CHRIST AU MONT DES OLIVIERS 271
parfumée ... Sur son front une couronne db fleurs possib e, que ce calice passe loin de moi 1 Il (saint
flétries, avec l'inscription : Luxuria. L'Impufeté. Matthi~u XXVI, 39)'
Qu'est-ce que c'est? De quoi as-tu peut Devant Que \~lites- Vous, Seigneur Jésus? Que ce calice
quoi trembles-tu? dit-elle au Sauveur d'unI on impu- passe loi~ de Vous? Est-ce que Vous n'êtes pas venu
dent. Tu m'as appelée à ce rendez-vous, ~ cette ren- sur la terrè pour le vider? Le vider entièrement jusqu'à
contre: eh bien 1je ~uis venue. Je suis venu((' hardiment: la lie. pou\ quoi Vous êtes-Vous donné tant de mal
car le monde entier est à moi. Entends-tu? Le monde .pendant tre~~e-trois ans? Pourquoi avez-Vous supporté
entier. 1
tant de chose~? N'était-ce pas à cause de ce calice, à
Ils sont déjà à moi ces petits enfant: si jeunes que cause de ce terrible moment de l'agonie? Et maintenant,
leurs parents croient encore si innocents, mais un de Seigneur, Vous tremblez? Maintenant, Seigneur, Vous
leurs domestiques, un de leurs amis, une de leurs voulez fuir? Vous qui avez dit autrefois: « Quiconque
lectures les ont depuis longtemps déjà amenés à moi. met la main à la charrue et regarde e,n arrière, n'est pas
Ils sont à moi les jeunes gens et les jeunes filles que propre au royaume de Dieu Il (saint Luc IX, 62), et
les affiches, les lieux de plaisir, les cinémas, les tableaux, maintenant Vous hésitez? Maintenant l'instant décisif
les lectures et les mauvaises compagnies ont jetés en de notre rédemption est arrivé; qu'allons-nous devenir, si
foule dans mes bras. Vous Vous montrez maintenant si faible? Seigneur, ne
Ils sont à moi ces époux qui, infectés par les idées à la faiblissez pas maintenant, maintenant, au dernier
mode, ont fait du sanctuaire de la vie familiale un moment. Ne repoussez pas le calice d'amertume, car
antre du péché. alors qu'est-ce que nous deviendrions?
Bien plus, ils sont à moi encore ces vieillards à che- Non. Il ne le repousse pas. Il tombe à terre dans ce
veux blancs qui ont déjà un pied dans la tombe et ne terrible combat, Il gît sur le gazon baigné de son sang,
peuvent pas se dégager de la légèreté morale de leur mais de ses lèvres tremblantes s'échappe cependant
jeunesse. ' cette prière: « Non pas comme je veux, mais comme
Jadis, tu as fait descendre une pluie de feu sur Vous voulez Il (saint Matthieu XXVI, 39).
Sodome et Gomorrhe, les hommes y sont morts, mais Le Christ. accepta la croix et notre rédemption fut
moi je m'en suis tirée. Et maintenant à moi les théâtres, assurée.
à moi les palais, à moi les chaumières, à moi des légions
d'hommes tout entières.
Avec une ironie mordante résonnent dans le calme
de la nuit ces -èffroyables paroles; Notre-Seigneur Et maintenant Notre-Seigneur gît, épuisé, sur la
tressa.iUe _ <t.h-9ttcur et s'écrie : « Mon Père, s'il est terre froide; autour de lui le sol et l'herbe sont ensan-
LE SYMBOLE DES APôTRES \ \ LE CHRIST AU MONT DES OLIVIERS 27l
gIantés et maintenant je m'approche de Lui, je oudrais mettre s6f âme si souvent tiraillée par le péché à côté
L'embrasser. de la Viei'ge Immaculée?
Dans la vie de Jésus nous connaissons trois baisers. Quel bai~er donnerai-je donc au Christ? Je ne veux
Dans la nuit du Jeudi-Saint, le traître JudAs s'appro- pas du baiser du traître, je ne peux pas donner le baiser
cha d~ ~hrist pour ~e li~rer aux soldats et ~'embrassa, du pur amour, il n'en reste pas d'autre que le baiser de
en ~Ul disant: cc Maitre, Je Vous salue ». Quelle profa- Madeleine, le baiser du repentir, le baiser de l'âme qui
natiOn de ce symbole sacré.! Le baiser eit le signe de
pleure ses péchés.
l'amour, le baiser est le signe du respect, qu'est-il Agenouillons-nous en silence près du visage doulou-
devenu sur les lèvres de Judas? Le baiser de la trahison. reux du Christ étendu à terre.
Un autre baiser, c'est celui de Marie-Madeleine Seigneur Jésus, noUs voici. Relevez-Vous, redressez-
couvrant de baisers les pieds sacrés du divin Maître. Vous: voyez nous sommes ici à côté de Vous. Ils sont
Lorsqu'au fond de cette âme déchirée se leva le désir disparus, le spectre arrogant de l'Orgueil et le visage
du. pardon de ~es péchés, elle se jeta aux pieds du r:icaneur de l'Impureté, nous sommes ici autour de
Seigneur, les baigna de ses larmes, les essuya avec ses Vous, nous Vos enfants reconnaissants qui s'agenouil-
cheveux et les couvrit de baisers. C'est le baiser du lent devant Vous. Nous dont la vie pécheresse, l'orgueil
repentir. et l'impureté se sont appesantis sur votre âme blanche
. Le troisième baiser, bien que l'Évangile ne le men- comme la neige, au jardin des Oliviers, mais c'est là
t~on~e pas, ~~is qui ne· trouve tout naturel qu'il en soit
que pour nous pécheurs Vous avez tenu bon.
mnSi, le trolSlème baiser c'est celui de la Très Sainte Nous Vous en supplions, oubliez ce qu'a été notre
Vierge, le baiser ~éni et douloureux, lorsque le corps
passé.
exsangue de son Ftls fut descendu de la croix et déposé
Quel sera notre avenir?
sur ses genoux. C'est le baiser du pur amour.
Nous promettons, Seigneur J ésus,que Votre sang
Trois baisers! Mes frères, avec lequel voulez-vous
sacré n'aura pas coulé en vain pour nous, en cette nuit
embrasser le Sauveur?
triste, sombre et douloureuse. Amen.
Avec le baiser de Judas? Avec le baiser d'un homme
dont l'âme fourmille de péchés, mais qui extérieurement
paraît. bon, si~ule la sainteté et embrasse le Seigneur?
Non, Je ne SUlS pas encore tombé si bas. Je ne serai pas
un traître.
Avec le baiser de la sainte Vierge? Ah' si seulement
j'avais le droit d'y penser. Mais qui oserait, qui oserait
·/
! \ \
\
Jésus EST CONDAMNÉ A MORT 275
/ / dans là matinée du lendemain. .De là, ces renvois
incessants d'Anne à Caïphè, de Caïphe ' à Pilate, de
Pilate à Hérode, puis de nouveau à Pilate, sans un
instant d'arrêt, jusqu'à ce que Pilate, intimidé et effrayé,
XIX malgré sa conviction, son aveu formel et les reproches
de sa conscience, ait ratifié la sentence de mort pro-
noncée par les Juifs et leur ait livré le Christ pour être
JÉSUS EST CONDAMNÉ A MORT crucifié.
Mais pendant tout ce temps, quelle honte, quelle
douleur, quelle humiliation immenses dut endurer
Notre-Seigneur 1Dans le sermon de ce jour, je voudrais
MES FRÈRES,
étudier quelques circonstances du procès de Jésus:
toutes sont pleines de profondes leçons et de grands
La chrétienté a célébré l'an dernier un jubilé bien enseignements pour notre vie spirituelle.
émouvant. Le dix-neuvième centenaire de cet extraordi-
naire événement : la mort du Fils de Dieu pour les
hommes. Assurément il est de .mon devoir de consacrer,
.
abaissements du Christ; devaient venir ensuite : le La fidélité conjugale? Allons donc 1 Quelle idée super-
manteau de pourpre, la couronne d'épines, le roseau les stitieuse et surannée l ,-\
génuflexions, le « Salut, 1"Oides Juifs ». « Alors ils 'Lui Ici on ne peut que prier. Si je sais que cet homme
c~achèrent au visage et Le frappèrent avec le poing, écrasé, couvert de crachats est le Maître du ciel et de
d autres~ Le souffletèrent» (S. Matthieu XXVI; 67). la terre, qu'il règne sur les anges, alors je ne puis que
« Ils Lui crachaient au visage et prenant le roseau faire cette prière: « Seigneur, on se moque de Vous,
ils en. frappaient sa têt~ » (S. Matthieu XXVII, 30 ). ' parce que Vous Vous dites roi, et pourtant Vous l'êtes;
Mamtenant elles étalent réalisées littéralement ces Vous l'êtes pour moi. Un roi qui s'est abaissé Lui-même
paroles
. de saint, Pierre, relatives au Christ : « Lui , pour m'élever. Un roi qui n'a pas épargné son sang,
qUI, outrage, ne rendait pas l'outrage; qui, maltraité afin de délivrer mes frères. Un roi qui s'est laissé
ne faisait point de menaces; mais s'en remettait à Celui couronner d'épines, pour que je puisse redresser vers
qui juge avec justice; qui a Lui-même porté nos péchés Dieu mon front courbé par le péché.
en son. ~orps sur le bois, afin que, morts au péché,
nous VIVIOns pour la justice; c'est par ses meurtrissures
que vous ~vez été guéris » (1° S. Pierre II, 23- 2 4).
III
Le Chnst bafoué dans la cour du grand prêtre r
Quelle douloureuse humiliation r Mais comme elle s'est
LE CHRIST EST CONDAMNE A MORT.
agrandie cette cour de douleur! Le monde entier actuel
est une cour de moquerie et de mépris et comme le
Sauveur y est frappé depuis 1900 ans 1 Ah r Pauvre Pilate se trompait en croyant que la foulesure"citée
Christ, que de fois les hommes Vous ont à nouveau aurait pitié du Christ flagellé et inondé de sang et
couronné d'épines 1 demanderait sa mise en liberté. Donnez du sang à boire
Vous êtes couronné d'épines par l'impie qui ne croit à un lion, en deviendra-t-il plus doux? Le tumulte et
pas ent Vous, ne Vous aime pas, ne Vous suit pas. la fureur du peuple ne font que croître, à la vue de
~ou~ êtes co~ronné d'épines par l'orgueilleux, lors- Jésus ensanglanté et les menaces se prolongent tant
qu Il dIt : Je n obéirai pas. que Pilate ne s'incline pas devant sa volonté et ne lui
'. Vous êtes couronné d'épines par l'indifférent, lorsqu'il livre pas le Christ pour Le mettre à mort.
dit, avec une moue dédaigneuse: L'âme? La vie éter- Prenez-Le et crucifiez-Le, telle fut la sentence de
nelle? Allons donc 1La vie terrestre. C'est cela l'essentiel. Pilate.
, Vou~ êt~s couro~né d'épines par l'homme corrompu, A) Encore un innocent condamné par le monde, direz-
quand Il dit : Une vie pure? L'honneur des jeunes filles? vous. Encore un? Non. Car une innocence pareille
l ' LE SYMBOLE DES APÔTRES JÉSUS EST CO!'i'DAMNÉ A MORT
n'a encore jamais été condamnée. Les princes des prêtres qui lancent la foule contre Lui, mais des chefs du l'euple
lancent contre le Christ cette accusation: « Nous avons qui font mauvais usage de la presse et de la science ...
trouvé cet homme qui poussait notre nation à la révolte» Que defois aujourd'hui encore le Christ est condamné
(S. Luc XXIII, 2). Ah 1 menteurs, dites donc où vous à mortl .
L'avez trouvé? Où a-t-il appelé le peuple à la révolte? B) Et voici _que pénètrent dans mon âme de graves
Est-ce à la porte de Naïm, où Il a ressuscité des morts pensées.
le fils unique d'une veuve? Est-ce dans le désert où Ne puis-je pas être un consolateur, un défenseur,
, l '
'
Il ~ nourri 5.000 hommes? Est-ce sur la montagne un apôtre de ce Christ qui a tant souffert pour moi
où Il a déclaré bienheureux les miséricordieux, les doux, et que maintenant encore tant d'hommes condamnent
les pacifiques? Où L'avez-vous donc tr-ouvé? Citez ,à mort? Lorsqu'en société, dans les réunions, au
seulement un mot, un geste de révolte. Lorsqu'Il a bureau, à l'usine on condamne le Christ à mort et qu'on
rendu la vue l\ l'aveugle, guéri le paralytique? Lorsqu'Il se moque de sa doctrine et de sa religion, qu'on foule ~
a dit, en étendant les bras : « Venez tous à moi, vous aux pieds ses commandements, ne puis-je pas me
qui êtes chargés et fatigués et je vous soulagerai » ranger à ses côtés et prendre sa défense?
(S. Matthieu XI, 28). Etait-ce là de la révolte? Mais il y a encore une question plus douloureuse :
Avec ces fausses accusations on a pu condamner le péché. N'ai-je pas moi-même, dans mon cœur,
Jésus à mort. On le peut encore aujourd'hui. condamné déjà le Christ à mort? Le Christ habite en
La langue dè Pilate est tombée en poussière, les cris moi par la grâce sanctifiante. Mais le péché condamne
de la foule se sont tus depuis longtemps, le Golgotha à mort le Christ dans mo~ âme.
est silencieux et pourtant le Christ aujourd'hui encore Un péché? Hélas 1 Non, une foule de péchés. Par
est bien souvent condamné à mort. mes yeux, mes oreilles, ma bouche, mon cerveau, le
Regardons seulement autour de nous dans le monde, péché pénètre en moi. Quelle violente révolte, quel
en combien de lieux le Seigneur n'est-Il pas condamné . combat, quelle ' agitation, quel soulèvement exercent
à mort de nos jours, combien crient encore: Crucifiez-le J leurs ravages dans ce petit morceau de chair que l'on
Enlevez-Le J Seulement ce sont d'autres villes, seu- appelle un cœur humain 1 Et l'on fait comme Pilate.
lement ce sont d'autres hommes, mais leur sentence Pendant un certain temps il a lutté'let résisté, mais
est ' -~ussi cruelle. Ce n' t;st pas à Jérusalem qu'Il est ensuite « il voulut satisfaire le peuple» (S. Marc XV, 15).
"
condamné à mort, mais à Moscou, à Mexico ou à Combien il y en a qui luttent un certain temps contre
Madrid. Ces juges ne portent pas la toge romaine, leurs passions, mais ensuite « ils font plaisir au peuple )),
mais le tablier des francs-maçons ou l'étoile à cinq ils se précipitent dans le péché et par là condamnent
branches. Ce ne sont pas des scribes et des pharisiens Jésus à mort.
"" '"
vivants de Dieu qui sont pillés, quand ce sont des âmes aujourd'hui encore porte sa lourde croix au milieu de
qui sont ruinées dans le monde à l'envers actuel. nous. ,_, j
Partout règne le péché, partout la tentation, partout B) Et instruisons-nous auprès du Christ portant la croix.
la séduction; 'comme autant de coups de marteau sur Apprenons à porter d'une âme forte notre propre croix.
la croix invisible du Christ. V n coup de marteau, Si Jésus n'avait regardé sa croix qu'avec nos yeux,
la négligence de ses devoirs religieux, un coup de qu'aurait-Il vu? Des hommes laids et frivoles, des
marteau la négligence d'assister à la messe du dimanche, apôtres lâches, des traîtr{!s comme Judas, des blas-
la négligence des jours de jeûne et de la prière. Vn coup phèmes et des ricanements, Il aur,ait dû désespérer.
de marteau les railleries de la vie publique actuelle, Mais Il vit partout la volonté de son Père et Il adora
de la société, du livre, du cinéma contre la morale , les grands desseins de Dieu.
chrétienne. La croix nous attend tous. Il n'y a pas de créature
Qu'elle est teriible la misère actuelle, la détresse humaine qui n'ait pas sa croix.
physique et morale' du corps et de l'âme: que chacun Il nous faut porter la croix, nous ne pouvons pas nous
apporte son aide, autant qu'il peut l ' contenter de nous glisser dessous. La seule question
est celle-ci i La portons-nous en grinçant des dents
« Qu'est-ce que quelques sous, qu'est-ce qu'une
ou bien en vue de notre salut? A gauche du Christ,
bonne parole dans cet océan de misère physique et
un brigand a porté aussi une croix et cela ne lui a servi
d'obscurité morale? )) Ah 1 ne parlez pas ainsi, mais
en rien. A droite, un autre pécheur l'a portée pareil-
faites, faites tout ce que vous pouvez.
lement, et il s'est converti sous le poids de sa croix.
Que puis-je faire pour le Christ, moi , petite fille
Beaucoup souffrent, ont froid, ont faim, sans la foi,
inconnue, moi père de famille qui peine sur le travail
en grinçant des dents. en blasphémant. Mais moi,
quotidien, moi mère de famille au travail obscur?
j'apprends auprès du Christ qui porte avec joie sa croix,
Oui, vous pouvez faire quelque chose. Si vous pouvez la sainte sagesse, comment il faut dans ma douleur
être une étoile dans le ciel, soyez cette étoile. Si vous ne poser ma tête souffrante dans les mains bénies de mon
pouvez pas être une étoile- du firmament, soyez une Père-du ciel.
colonne de flammes au sommet de la montagne. Si vous « Oui, pourrez-vous dire, il est facile de 'raisonner
ne pouvez pas être un flambeau" qui éclaire sur les ainsi, pour celui qui nernanque de rien. Mais quand
!' 1
dmes, soyez du 'moins une lampe à arc dans une rue je so:uffre, comment les larmes ne sortiraient-elles pas
' obscure. Et si vous ne le pouvez pas, vous pouvez, de mes yeux? » Non, mes frères, ce n'est pas cela ce
nous pouvons tous, être la petite lampe qui répand une que j'ai dit. J'ai dit seulement ceci : si vous pleurez,
douce lumière au sein de notre paisible foyer. Ayons fajtes couler.-. .ce .ruisseau de souffrances dans l'océan des
... seulement pitié du Christ, consolons le Christ qui
..
~
souffrances infinies du Christ et vous verrez que vos Ah! précieuse croix du Christ, aux cinq roses de
larmes ne seront plus aussi amères. sang, sainte croix, étends tes deux bras sanglants
Comment le sais-je? Parce que depuis dix-ne~f siècles au-dessus de moi l '
des millions en ont fait l'épreuve. Ils ont entendu les Sainte croix, je veux 1'egarder vers toi, lorsque je
paroles" du divin Maître : « Si quelqu'un veut être sentirai l'aj)proche du péché : sois alors ma force.
mon disciple, qu'il renonce à soi-même, qu'il prenne Sainte croix, je veux regarder vers toi, lorsque la
sa croix et me suive » (S. Matthieu XVI, 24). Ils ont lourde croix de la vie pèsera sur moi, sois alors mon
pris la croix, ils ont suivi le Christ et ils ont dit: « Je récor~fort.
marche vers la croix, car je ne puis trouver ailleurs de Sainte croix, je veux regarder vers toi, lorsque près de
repos pour mon âme ». mourir, mes yeux se couvriront d'un voile; sois alors mon
espérance, ma consolation, ma récompense... ô sainte
croix bénie du Christ qui a 'versé son sang pour moi. Amen.
Mes frères, alors que presque toute, l'Espagne était
tombée aux mains des Arabes, les conquérants con-
struisirent à Cordoue une magnifique mosquée, et pour
rendre plus grande la solennité, ils attachèrent un
esclave chrétien, un noble espagnol à l'une des colonnes
dt' la mosquée. Et savez-vous ce qui donna à cet esclave
enchaîné la force de persévérer dans sa foi jusqu'à la
mort? Savez-vous ce qui le réconforta dans son iso-
lement et dans sa lutte spirituelle ?Dans l'amertume
de son malheur, il grava avec son ongle une croix sur
la colonne de pierre à laquelle il était attaché et la vue
de cette croix lui donna la force de supporter héroï-
quement ses souffrances.
La puissance musulmane en Espagne est depuis
longtemps _brisée, la mosquée est devenue une église
catholique et les visiteurs peuvent, aujourd'hui encore,
dans cette église voir sur une colonne la croix d'où
rayonna tant de force, d'encouragement et de conso-
lation dans la détresse de cet infortuné.
" '1
l
Cl IL M'A AIMÉ ET S'EST LIVRÉ POUR MOI Il 291
et le cœur humain égarés L'ont attaqué bien des fois; innocent, a été cloué sur la croix, tandiR que nous, les
cependant personne au monde n'a encore pu nier la pécheurs, tout comme le criminel Barabbas, nous
vérité des paroles de saint Paul: « Il m'a aimé et s'est étions laissés en liberté.
livré Lui-même pour moi »; personne n'a pu nier Barabbas ne savait pas ce qui lui arrivait. ~orsque le
[' amour généreux qui sort du cœur du Christ pour nous, gardien entra tout à coup dans son cachot. Certai-
hommes pécheurs. . nement il crut que le bourreau était venu pour son
a) Comme une mer agitée par la tempête, toute sa exécution. Or voilà qu'à la place, on le met en liberté.
vie; .son cœur, ses desseinR, ses œuvres ont étt: traversés Mais comment cela, pourquoi? « Pourquoi me rend··on
par son amour pour nous, pour les hommes. Et s'il arrivait la liberté? » « Parce qu'un autre va être exécuté ta a
une époque où la doctrine, les paroles et les miracles place ».
du Christ tombassent en oubli, l'humanité ne pourrait Un autre~
jamais oublier le souvenir de son amour plus fort Je ne sais pas si Barabbas l'a fait, malS .le puis me
que la mort. figurer ce qu'il aurait ressenti dans son âme de criminel
Nous nepourron~ jamais oublier ces pieds meurtris, endurci, si, après sa libération, il était monté au
aux crevasses sanglantes, avec lesquels Il poursuivait Golgotha et avait porté ses regards sur le Christ attaché
les âmes pécheresses et devant lesquels, depuis que à la croix. Voilà donc l'autre, celùiqui est mort à ma
Marie-Madeleine a purifié son âme en les arrosant de place? C'est moi qui devrais être là et c'est lui qui y est
ses larmes, des milliards de pécheurs se sont agenouillés à ma place.
en pleurant leurs fautes. R) Oui, mes frères, faisons pénétrer dans notre âme
Nous ne pourrons jamais oublier ces mains ensan- cette sainte et salutaire pensée: Il est mort; Il est mort
glantées qui ont béni les petits enfants, guéri les malades, à ma place. Quelle foi, quelle consolarlte pensée, quel
donné le Pain de Vie et se sont levées en signe de béné- avel'tissement en découlent pour nous l ,
.;
diction au moment de l'Ascension• a) Quelle foi 1 Il Y a bien des choses obscures pour
Et surtout nous ne pourrons jamais oublier le divin nous dans notre croyance, et même dans les âmes les
Cœur, source de l'amour du Christ qui, depuis qu'il a meilleures et les plus pieuses peut se glisser parfois
été ouvert par la lance du soldat sur la croix, est devenu une heure sombre de désespoir religieux. Il y a bien
un lieu d'asile pour toutes les âmes. Nous ne pourrons des choses que je ne comprends pas dans la foi ; je ne
jamais oublier qu' (; Il m'a aimé et s'est livré Lui-même comprends pas. le mystère de la Sainte-Trinité, je
pour moi ». ne comprends pas l'efficacité des Sacrements, je ne
b) Cet amour a conduit le Christ à la mort - à notre comprends pas les voies de la Providence... je ne
place. C'est cet amour qui est cau~e que ;e Christ, comprends pas. '
'!It
j
LE SYMBOLE DES APôTRES Il IL M'A AIMÉ ET S'EST LIVRÉ POUR MOI» 295
~ai.s voi~à la ré~onse à toutes ces obscurités : Je changer, en inoffensif clapotis, même le mugissement
crOIS, Je crOIS. Car Celui qui m'aime tant ne peut absolu- de la nature humaine la plus effrénée. Les anciens
ment pas me tromper. Je crois, car à la vue d'untel versaient de l'huile sur la mer en furie, pour la calmer;
amour, jè ne puis que m'écrier à perdre haleine avec le Christ a versé son propre sang sur la mer furieuse de
saint Pierre Damien : cc Enfin ' de la pleine mer' nous l'âme humaine, pour la guérir et l'apaiser•.
sommes arrivés au port, de la promesse à la réalisation Voilà la grande consolation des , souffrances du
du désespoir à l'espérance, du travail au repos de l'exii Christ. Sans la croix sanglante, pas de 'pardon pour les
dans la patrie ». ' péchés. Sans les souffrances du Christ, il n'y aurait pas
b) Maîs quelles consolantes pensées nous offre encore ce de sacrement de Pénitence. Mes frères, savez-vous
gran~ am~ur! Les ~ouffrances du Christ, tout pécheur apprécier le merveilleux trésor que Notre-Seigneur nous
que Je SUlS, ne me Jettent pas à terre, mais me consolent a donné dans le sacrement de Pénitence? Même parmi
et m'élèvent. C'est vrai, je suis épouvanté quand je les catholiques, on remarque parfois une manière
pe~se que le sang divin a coulé à cause de mes péchés; de voir si étrangement superficielle, si frivole et .une
mal~ en re~a~che mon cœur se remplit d'une joyeuse indifférence si offensante à l'égard de ce sacrement.
gratitude, SI Je pense que son sang sacr~ a été versé Pourtant celui qui a déjà senti dans son âme le poids
pour effacer mes fautes. écrasant des péchés commis, celui en qui, après telle
Il est intéressant d'observe~ la mer, au moment du ou telle triste chute, a retenti le cri de sa conscience,
reflux. Les vagues se jettent contre le rivage avec la celui qui, dans ses moments
1 •
de calme, de réflexion, de
même fureur qu'elles le faisaient à marée haute mais repos, est obligé de pleurer les nombreuses sottises de
. chose étrange, elles n'y réussissent plus main~enant: ses jeunes années, celui-là ne s'attarde pas à une critique
Elles s'élancent continuellement contre la rive, mais glaciale du sacrement de Pénitence, mais il se hâte
dès qu'elles l'atteignent, une force mystérieuse incon- de se confesser avec la joie de quelqu'un qui se débar-
nue les rejette en arrière, brise leur fureur, dissipe rasse de son fardeau.
leur écume et comme une eau paisible elles lèchent la c) Mais les souffrances du Christ ne sont pas seule-
rive qu'au moment du flux elles battaient si impi- ment une consolation, elles sont encore un avertissement
toyablement. pour nous.
C'est ce qui se passe pour nous avec l'amour généreux Les automobiles qui traversent à toute vitesse les
du Christ. villages ont souvent écrasé et tué de petits enfants.
Après la rédempti~n, lp.s instincts mauvais ne sont pas C'est pourquoi dans un petit bourg français, à Pompey
morts au dedans de nous, mais le sang du Christ, (Meurthe-et-Moselle), est suspendu ' un écriteau avec
comme une samte et mystérieuse puissance, peut cet avertissement aux automobilistes cc Les m~,mans
LE SYMBOLE DES APôTRES
« IL M'A AIMÉ ET S'EST LIVRÉ POUR MOI» 297
vous demandent de ralentir ». Peut-on refuser quelque «Il m'a aimé et s'est livré Lui-même pour moi ».
chose aux mères qui aiment si tendrement leurs Il 'est mort pour moi, mais moi je vivrai pour Lui.
enfants? Mais pourrait-on aussi refuser quelque chose C'est 'à Lui que je consacre ma vie. C'est à Lui que je
au Christ, au Christ qui s'est sacrifié pour ' nous, la consacre avec toutes ses luttes, ses privations et ses
lorsqu'Il nous dit: « C'est votre Sauveur qui vous le souffrances. .
demande: ne courez pas si vite. Ne courez pasà votre Avez-vous déjà traversé une prairie fraîchement
perte, n'avancez pas davantage dans la voie du péché ». fauchée? Avez-vous senti comme le parfum délicat
C'est le Christ qui nous prie, Lui qui \( m'a aimé et du foin coupé s'élève de cette herbe mortellement
s'est livré Lui-même pour moi ». ~
blessée par la faux du moissonneur? Eh bien! moi aussi,
y , a-t-il un sacrifice, y a-t-il un renoncement, y
je dois exhaler pareil parfum par la discipline de ma vie,
a-t-il une mortificatîon trop grands ou trop pénibles
par ma fidélité à suivre le Christ sur le pénible chemin
en échange d'un tel amour?
de croix des commandements, le Christ qui a tant
Guillaume Achtermann, le peintre bien connu, dans
souffert pour moi, qui « m'a aimé et s'est livré Lui-
l'une de ses grandes compositions, « La descente de la
même pour moi ».
croix », s'est représenté lui-même parmi les person-
nages, comme les artistes ont coutume de le faire. II
Achtermann a pris la personne d'un disciple monté
sur une échelle appuyée à la croix, en train d'arracher SOYEZ RECONNAISSANTS ENVERS NOTRE- SEIGNEUR 1
le clou des pieds de Notre-Seigneur. Et lorsqu'on
demanda au peintre pourquoi il avait précisément
Mais celui qui est animé de pareils sentiments pour
choisi cette attitude, il fit cette judicieuse réponse :
le Christ qui nous aime tant, sera poussé à faire un pas
« Les gens de notre profession ont, par leurs nombreux
de plus, à se montrer reconnaissant envers Jésus qui
péchés, tant enfoncé de clous dans le corps du Christ
a souffert pour nous. 1!tre reconnaissant envers le
qu'il est bien temps de nous mettre à les en retirer ».
Christ souffrant! Comment le serons-nous? En pleurant
En vérité, celui qui fait un retour sur sa vie passée,
" sur ses douleurs? En sanglotant, en nous désolant?
"
sur ses nombreuses et tristes chutes, sur les péchés
N on. Ce n'est pas une telle reconnaissance que demande
de sa vie, celui-là certainement répétera avec cet
le Seigneur.
humble artiste: Il est grand temps, par une vie d'obéis-
Quel est donc celui qui se montre reconnaissant
sance et de pénitence, de me mettre enfin à retirer les
. pour le Christ souffrant? A) Celui en qui vit l'espn't
clous du corps de Notre-Seigneur Jésus-Christ qui a
souffert pour moi. de pénitence et B) celui qui s'efforce de le susciter aussi
dans les autres.
il , 1
1 1
j
LE SYMBOLE DES APÔTRES 1 \ « IL M'A AIMÉ ET S'EST LIVRÉ POUR MOI» 299
,1 ' 1
1
"
A) Il se montre reconnaissant énvers le Christ, celui ni r mille cinq cents hommes qui prient, qui prient
en qui vit l'esprit de pénitence.
no~ seulement P?ur eux-mêmes; pour leurs propres
, Dans la nuit du 12 au 13 mars 1932, la nuit avant pécl\és, mais aUSSI pour les péches de leurs frères, ces
le dimanche de la Passion, à onze heures, sortait de -la \ épaves d e l' eXlstence.
pauvres . . .
cathédrale de Cologne une interminable procession La\ pénitence, mes frères, la pémtence. VOIlà. la
d'hommes se dirigeant vers l'antique Chapelle de véritable compassion, voilà la _véritable . véné~atlOn
Grâce de cette ville. Ces hommes, au nombre de près pour le Christ souffrant. Se confesser: expl:r: repar~r
de vingt mille, rentrèrent à la cathédrale vers deux sa faute, se laver dans le sang du Chnst, VOIla la vén-
heures et demie du matin; là ils entendirent la messe, table reconnaissance envers le Christ souffrant.
trente prêtres distribuèrent la sainte communion, à B) Mais celui qui est reconnaissant envers le Sauveur
laquelle prirent part plus de dix mille hommes et vers ne se contentera pas de cela. Il ne se contente~a pas
trois heures et demie, la procession de pénitence avait de Lui faire plaisir dans sa propre personne, malS son
pris fin.
âme pénétrera en tremblant dans cette nuit spirituellé;
Instituée depuis plusieurs années déjà, cette proces- dans cette nuit glaciale qui enveloppe tant de ~es
sion voit chaque fois grandir le nombre des parti- frères et il s'efforcera d'amener d'autres hommes au Chrzst,
cipants. Hommes du peuple et intellectuels, riches et il s'efforcera d'être pour tant d'âmes égarées dans les
pauvres, marchent à côté l'un de l'autre en priant et en ténèbres comme la petite lumière du ver luisant, dans
chantant à travers les rues de cette grande ville; ils ne la nuit sans étoiles.
se connaissent pas entre eux, mais tous sont unis par Au milieu des flots agités de la mer du Nord se
l'esprit de pénitence: j'ai pitié du Christ dans la -mesure dresse , comme un château enchanté, l'île d'Helgoland
où je fais pénitence pour mes propres péchés. Les rapides , .
avec ses falaises rougeâtres. Elle n'est qu un petit
de -nuit roulent à toute vapeur sur le grand pont du point dans l'océan, car elle n'a pas plus d'un kilomètre
Rhin, les automobiles sillonnent les rues, les cloches carrè. 'L'île n'a pas d'eau potable, mais les habitants
des tramways résonnent, la lueur rouge des affiches conservent précieusement l'eau de la pluie et c'est elle
de cinéma flamboie, les malheureux et les malheureuses qu'ils boivent. La bonne eau est un grand. tr~sor et celui
noctambules se tiennent, avec un sourire ironique aux qui offre un verre d'eau à son procham, 'se montre
l'
lèvres, sur le bord de la chaussée, tandis que défile réellement généreùx. Parmi les habitants règne encore
l,
devant eux -cette extraordinaire procession nocturne. une vieille coutume, lorsqu'un nouveau-né doit être
Mais -l'ironie disparaît peu à peu des visages, à mesure
baptisé, les enfants plus âgés quêtent l'e~u du baptême
que s'avancent, en un cortège interminable, ces milliers qu'ils apportent à l'église dans de p.etltes cruches, ~t
,et ces millièrs d'hommes en prières. Ils sont dix- ainsi chacun a le mérite d'avoir contnbuépar un petIt
'1
", ,'
3°0 LE SYMBOLE DES APÔTRES
no~veau-né ,puisse se refléter le saint visage de No~e- eu\: aussi et eux, bâillant d'ennui, se mettent à jouer.
SeIgneur Jesus-Christ. ,/ Diàu 'est si près d'eux et eux sont si loin de Dieu.
Quel aimable et frappant symbole, quel avertisse- I-iX
'laS! en combien d'hommes aujourd'hui se rencontre
ment béni pour nous que cet usage! Mes ffères cette douloureuse énigme: Dieu serait tout près d'eux
aimez-vous Jésus? Avez-vous pitié de Jésus? !Alor~ et eu ' sont si loin de Dieu. Ils ont été baptisés, le sang
travai~lez autant que vous le pouvez, même au prix de du Christ a coulé sur eux, mais ils ne s'en soucient pas. '
vos aIses, au prix d'une raillerie ou d'un sacrifice, Ils se Isont confessés et ont fait un jour leur première
afin que dans beaucoup d'âmes de vos frères égarées communion, ils ont reçu le corps et le sang du Christ,
dans les ténèbres se reflète le visage du Christ. mais d~puis des années, des dizaines d'années, ils s'en
. ~,yez piti~ du Christ dans les âmes glacées et ayez sont abstenus et ainsi se sont séparés de la communauté
pitIe de LUl dans les âmes pleines de haine. spirituelle avec le Christ. Ils circulent avec nous dans
a) Ay~z pitié du Christ dans les âmes glacées. Dans la même ville, dans la même rue, ils demeurent peut-être
celles qUl demeurent insensibles à la vue du Sauveur au même étage que nous, ils sont aussi près que nous de
souffrant. Dans ceux qui restent « neutres » même au l'église, du Saint-Sacrement, du confessionnal, ils
pied ~e la croix du Christ souffrant. Dans ceux qui se entendent comme nous le son des cloches qui les
c~ndUlsent comme les soldats romains se sont conduits au appellent à la messe du dimanche, mais tout cela ne
pud de la croix. les intéresse pas et tandis que les fidèles s'efforcent,
Il yen-eut au pied de la croix qui prirent part avec par leurs exercices religieux, de former dans leurs âmes
un cœur sympathique et affligé aux souffrances du . une image du Christ toujours plus belle, tout cela ne
Christ, ah! .nous comprenons leur douleur et c'est dans les intéresse pas, ils n'en savent rien. Ils jouent, ils vont
ces sentiments que, nous aussi, nous voulons toujours sur les plages ou font des excursions, ils s'amusent,
fixer nos regards sur le Christ en croix. ' se distraient ou vont gagner leur pain.
Il y ~,n eut qui, avec une fureur révoltante, insultèrent Peut-être n'ont-ils pas mauvaise volonté, les mal-
le Chns!. même sur la croix, je pui~~ encore les com- heureux! ' Ils ne font rien contre la religion, ils ne la
prend~e,: ils étaient les ennemis aveuglés du Christ. combattent pas, seulement ils ne s'en occupent pas et
,~l~IS Je ne comprends pas l'attitude des soldats qui c'est pour, cela que le sang du Christ a été versé en vain
n etaIent pas contre le Christ. ni non plus pour Lui' pour eux.
de:an~ eux se déroulait la plus émouvante tragédie d~ Comme elle est émouvante cette seule phrase : Le
l'?lstOlre du monde, ils étaient tranquillement assis au sang du Christ a coulé en vain pour eux!
pIed de la croix et jouaient aux dés. Sur la croix le Elle est ·donc réellement fondée la terrible pensée
l
, 1
30 2 LE SYMBOLE DES APôTRES « IL M'A AIMÉ ET S'EST LIVRÉ POUR MOI» 303
que !e ~ng du Christ a été inutilement versé p ur ' grossi~rs frappant la statue du Christ f Mais, mesfrères,
certaIns, pour beaucoup d'hommes? Les parole~de n'àvez-vous pas entendu bien des foi~ les balles des
Notre-SeIgneur
. . Jésus-Christ affirment q u "1
I el1 est mé~r.ahts, les attaques des Caïphes, des Hérodeset,
aInSI. Lorsque le Sauveur vit l'endurcisseme lt d des ~udas , de nos jours, frap~er non pas .une statue
Jér~salem, Il. dit en .pleurant:
mo ,
« Si tu connaîssa~J's d e
, u du G:hrist,' mais les temples VIvants sanct1~s par le
~ns e~ ce Jour qUI t est donné, ce qui ferait ta paix; sang ~u Christ? . ,
malS maIntenant ces choses sont cache'es à t ~ / 'eux» Notre sainte religion nous enseigne que toute la
(S~. Luc XIX, 42). Comme les habitants de Jérusalem
chrétienté, l'ensemble des fidèles, forme un seul corps,
étalent près du divin Maître! Que de fois ils L I ' le corns mystique du Christ, qui a pour tête Notre-
'1 L' . e VIrent,
Is entendIrent, mais leur cœur resta dur rude, Seigneur Jésus-Christ. S'il en est ainsi, alors toute
inflexible et aveugle. ' profanation du corps ou de l'âme, tout outrage, toute
Mes frères: ayez pitié du Christ dans ces âmes glacées. impureté ne son~ pas autre chose qu'un renou"ellement
,Soyez des apotres pour les ramener au Christ, autant que de cette fusillade et si j'aime le Christ souffrant, si je
~ous. le pouvez. Que le sang du Christ ne soit pas versé Le prends en pitié et si je veux me montrer reconnaissant
mutdement pour elles! envers Lui, alors, par _mes paroles et mes exemples,
b). ~ai~ n'ayez pas seulement pitié du Christ dans avec amour et bonne volonté, je mettrai tout en œuvre
les IndIfferents, dans les âmes de glace m . pour enflammer l'amour du Christ même chez « les
7
d ans tes A " . ' azs encore
ame~ azgrtes, hazneuses, irritées, pécheresses. ennemis de la croix du Christ » (Philippiens III, 18),
A la frontIère du Chili et de l'Argentine, au sommet qui errent à travers les ténèbres de la nuit de la colère
des Andes, se dresse une statue gigantesque du Christ et de la, haine.
que les deux éta~s. ~nt érigée pour rappeler qu'après de
nombreuses hostthtes, le pape réussit à rétablir la aix
entre eux" (, p
pepuis des années cette statue colossale s'élève au Mes frères, une des scènes les plus douloureuses de
mIlIeu de~ montagnes gigantesques ... mais récemment l'histoire de la Passion est celle du couronnement
se répandIt une douloureuse nouvelle : la magnifique d'épines~ ~
" t
l' ;'
stat~e de bronze était percée de balles, parce que les Après que les soldats eurent flagellé Jésus, ils
tounstes de Buenos-Ayres avaient pris l'habitude de la L'emmenèrent dans le prétoire et attendirent de
pre~dre pour cible, afin d'entendre la curieuse réper- nouveaux ordres. Pour passer d'une façon ou de l'autre
CUSSIOn du bronze au milieu des hautes montagnes. ces moments d'attente, il leur vint à l'idée un jeu
".,Q!-telle dçl.!l21.1!euse image .. les balles de touristes épouvantable~,~~~~allt l'interrogatoire, ils avaient appris
30 4 LE SYMBOLE DIlS APôTRES ( \,
~rrêtonsl 1>,c'est l'apôtre traître, au sort épouvantable, dep?-lis dix-neuf siècles, l'humanité condamne sans rémission
a la.fin m~l?eureuse: Judas. Un homme que le Seigneur et u'fanimement.
avaIt choIsI pour la plus sublime vocation et au sujet Pourquoi?
duquel il Lui fallut pourtant prononcer ces· tertibles Patce qu'il a é.té un traître.
',>.:
paroles: « Mieux vaudrait pour lui que cet homme-là Pourtant dans le monde actuel les jugements des
ne fut pas né » (S. Matthieu XXVI, 24). Le nom de hommes ne sont pas, malheureusement, particulière-
Judas est dans le langage courant associé aux vices ment sévères; dans les questions morales ils se sont
les. plus bas., La d~loyauté et la trahison d'un'ami étaient accoutumés et pliés à bien des choses. Il y a des gens
déjà regardees meme chez les païens comme un crime qui pardonneraient bien des choses à Judas. Ils lui
ex~crable :.mais Judas l'a commis dans des circonstances . pardonneraient son avarice et sa cupidité; ils lui
qUI ne ~O?t, qu'accroître la perversité de son acte. pardonneraient son habileté à rechercher son avantage;
On est saIsI d un sentiment de révolte lorsqu'on entend peut-être encore pourraient-ils admettre son suicide,
p~rler d'une « âme de Judas », d'un «'baiser de Judas », après avoir tout perdu ... Je dis qu'il y en a qui ferme-
d un « salaire de Judas ». raient les yeux devant ces choses. Mais même dans
1. La chute de Judas et II. Les leçons de sa chute doivent le monde moderne dépravé et corrompu, il n'y a per-
nous servir d'émouvant et éloquent avertissement. sonne pour pouvoir lui pardonner d'avoir frappé avec
ingratitude la main qui l'avait béni, d'avoir embrassé
avec une perfide hypocrisie cette face qui avait toujours
1 été si aimable pour lui et d'avoir, pour un misérable
argent, vendu et trahi cet ami qui lui avait toujours été
LA CHUTE DE JUDAS. fidèle. '.,
B) La trahison de Judas devient encore plus odieuse,
A) Dans l'histoire de la Passion nous rencontrons si l'on considère les tentatives faites par Jésus pour le
bien des pécheurs, mais pour tous, sauf un seul, nous sauver. Que n'a pas fait le divin Maître pour sauver
trouvons des excuses à leurs fautes. Saint Pierre a cette âme près de se perdre 1 .
renié son Maître, mais il l'a fait dans un instant de a) Lorsque Judas, à la dernière Cène, demande à
fai~lesse'v humaine. Pilate Le condamna, "mais après Jésus avec une figure hypocrite: Est-ce moi, Maître,
a~Olr lut~~ po~r ~e reme~tre eri liberté. Anne et Caïphe qui trahirai? Il aurait bien mérité, n'est-ce pas, que
L ont hal, maIs ds croyaIent peut-être sauver . ainsi la Notre-Seigneur le fixât dans les yeux et s'écriât à
religion de Moïse. Pour chacun d'eux, nous rencontrons haute voix, de façon que tous entendissent: Oui, c'est
des . circonstances at~énuantes. Juda~ est le seul que, toit c'est toi le tra!tre.
. 1 p
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1
LE SYMBOLE DES APôTRES JUDAS
(: Ma!s Jésus ne se. conduisit pas ainsi avec lui. Ave! C'est ainsi que commence chaque jour sur les
Peut-etre se convertira-t-il encore. Il lui dit doucement, lèvres de millions et de millions de chrétiens l' ({ Ave
pour que personne d'autre n'enten~e: Oui, c'est toi. Maria ».
,.Malheureux: Judas, jette-toi. aux pieds du ,Maître. ({ Ave, . verum corpus natum l,) C'est ainsi que
S Il y a encore un reste de sentIment humain dans ton commence notre hymne magnifique au Très Saint-
âme, tombe dans la poussière devant le Rédemnteur Sacrement.
confe~se. to~ pé.ché et Il te reprendra avec joie. • , « 0 Crux, ave, spes unica! » C'est ainsi que, depuis
MalS rI n etaIt plus possible de sauver Judas. Il se dix-neuf siècles, nous saluons, nous les pauvres, les
1e~a de table et sortant de la saHe se rendit chez le~ malades, les mourants, notre unique et dernière espé-
pnnces des prêtres pour trahir le Sauveur. Ici l'évan- . rance, la sainte Croix du Christ.
géliste ajoute au récit ces trois mots ({ erat autem nox » . Et Judas met sur ses lèvres de traître ces saintes
({ 0: il faisai~ nuit): (St Jean XIII, 30), une nuit sombre: paroles: (( Ave Rabbi! »
plem.e de. desespOlr. Comment ne l'aurait-elle pas été? Malheureux, jusqu'où es-tu tombé? Le plus beau
CelUI qUI abandonne le Christ ne se précipite~t-il pas signe de la fidélité, de l'amour et du respect mutuel,
dans la nuit? tu t'en sers pour réaliser ton infidélité, ta vilenie et ta
b) . ~ais Jésus n'abandonnait pas tout espoir. trahison. Personne ne l'avait fait avant toi. C'est toi
, VOICI que Judas arrive à la tête des soldats, il qui l'as entièrement inventé. Ton nom y restera
s approche du Sauveur et Lui donne un baiser ' attaché, comme une marque de fabrication infernale :
Ave Rabbi. Salut Maître! • le baiser de Judas.
Salut, Maître 1 Et les mots ne se glacèrent pas sur c) Mais Notre-Seigneur ne perd pas encore tout
ses lèvres perfides, lorsqu'il les prononça. Et ce cœur espoir~ Même maintenant, à la dernière minute, Il
scélérat ne se brisa pas, lorsque, le salaire de Tudas essaye de le sauver. Même après le baiser de trahison,
en poche,. il dép?sa le baiser de Judas sur le saint visage. il réplique avec amour : ( Mon ami, pourquoi es-tu
Et cett~ ame pecheresse ne se déchira pas, lorsque ce venu? » (S. Matthieu XXVI, 50).
Satan Incarné embrassa Dieu incarné. Et le doux Mon ami! Comme cette réponse aurait dû éveiller
Sa~ve~~ ne sursau~a pas sous ce baiser, comme s'Il en Judas toute une série de vieux souvenirs! Ces années
avart ete mordu par une vipère. passées près de Jésus. Cet amour ardent qu'Il lui avait
Ave Rabbi! dit Judas à Notre-Seigneur. si souvent témoigné. N'auraient-elles pas dû éveiller
., ", A ~e.IC' est a.msl
' .
que commence la salutation apportée en lui un vibrant écho,ces paroles:( Mon ami, pourquoi
du CIel à Mane par l'archange Gabriel: « Ave, gratia es-tu venu? »
plena ». Les mots se sont fait entendre et l'écho n'y a pas
JUDAS
310 LE SYMBOLE DES APÔTRES
l ",
répondu. Le cœur de Judas reste dur comme la glace. t il aurait été béni des hommes au cours des siècles.
Il ne peut plus être sauvé. Il a déjà l'argent en poche: ~l a vécu pendant trois ans aux côtés de Jésus. 11 ~ été
30 deniers. Quand un animal devenu furieux tuait un ' ré avec Lui de l'amitié la plus intime~ Chaque Jour,
.1 ntendait des lèvres divines de merveilleuses leçons.
esclave, son propriétaire, d'après la législation de 11 e .
l'époque, était obligé de verser cette ~omme. Telle était Chaque jour, il voyait des prodiges de sa p~lssance :
donc pour toi la valeur du Maître, malheureux apôtre? les boîteux et les paralytiques venir au Selgneur et
Si du moins tu avais accompli gratis ta trahison, on ' repartir en Le comblant de bénédictions} hl~s , âmes
aurait pu avoir pitié de ta folie. Ou du moins si tu abandonnées, les hommes accablés par l~ pec e s lavaEn-
avais demandé une grosse somme, de l'or, une quantité cer et s'éloigner, l'âme purifié~. Judas V1~ to~t ~e a. .t
d'or, on pourrait te haïr à cause de ton infidélité. Mais le soir, après une journée blen. remphe, ?l eco~talt
pour combien? Pour trente deniers? Livrer le Seigneur les paroles que le Maître adressalt à ~es apotres blen-
au prix de rançon d'un esclave? Nous ne pouvons avoir aimés. Il Le voyait prier. On peut dlre que Judas s~
que du mépris pour toi. trouvait en plein soleil de l'Évangile et pourtant t1
C'est nous qui te méprisons? Non. C'est toi, toi- était resté un homme au cœur froid et glacé, à l'âme
même qui t'as méprisé, c'est toi qui t'as jugé quelques sombre et traîtresse.
heures après. « Un des douze» (S. Matthieu XXVI, 14.).··· Quelle
Quelques heures plus tard, le désespoir l'a saisi. saisissante expression! A lui aussi Notre-Seigneur avait
Il est tourmenté par son forfait, il voudrait revenir dit un jour : (( Viens et suis-moi ». A lui aussi N'Ütre-
en arrière, mais il est trop tard. La seule réponse qu'il Seigneur avait dit: (( Comme mon Père m'a envoyé,
a reçue des ennemis du Christ a été celle-ci: « Que nous moi aussi je vous envoie» (S. Jean XX, 4 1 ). Ju.das
importe? Cela te regarde ». aussi avait été appelé à porter dans le monde la lumlère
Abandonné par les hommes, écarté de Dieu, il de l'Évangile, comme l'ont fait les 011ze autres, p~ur
termine son affaire : de la même main malheureuse être élevé, un jour, après une vie consac~é~ au ~ervlce
avec laquelle il a reçu le prix du sang et embrassé le du Christ, en qualité d'apôtre, sur des mllhers d autels
Maître qu'il trahissait, il met fin à ses jours. chrétiens comme les Onze .autres, et prendre place
C) Il, est épouvantable de penser que ce Judas avait dans le ~iel à la droite de Jésus, comme son fidèle
été précédemment un apôtre et qu'une brillante vocation soldat.
",.. l'attendait: J'ouvre le dixième chapitre de l'évangile Pourquoi ce malheureux apôtre s'est-il perdu?
"
de saint Matthieu où sont nommés les douze apôtres, Comment cela est-il arrivé? Écoutons le terrible
Judas est parmi eux. Quelle sublime vocation! avertissement qui s'adresse à nous tous.
Il était l'un des plus heY.r.~l;l~I!l_e.œ):>!es de l'!mmanité
31 2 LE SYMBOLE DES APÔ1'RES JUDAS
cette réflexion : « Il disait cela, non pas qu'il se souciât bonheur éternel. Donnez-moi un peu plus d'aises et
des pauvres, mais parce qu'il était un voleur et qu'ayant je ne laisserai pas venir au monde les enfants que Dieu
, la bourse il dérobait ce qu'on y mettait» (S. Jean XII, 6). voudrait me donner. Donnez-moi une heure de plus à
Témoignage bien attristant de ce que devient un passer au lit et je manquerai à la messe du dimanche .•.
homme, s'il ne combat pas ses passions. Tout homme Hélas 1 elles se font bien souvent entendre aujourd'hui
a ses passions, c'est notre commune destinée. Mais les encore les paroles de Judas: « Que voulez-vous me
combattre est le devoir vital du chrétien. Chez l'un, c'est la ' donner et je vous Le livrerai? )l -
vanité qui domine, chez l'autre, c'est l'orgueil; chez un B) Mais celui qui a les yeux ouverts peut découvrir,
troisième, une sensualité effrénée; en Judas c'était la un second avertissement dans la triste destinée de Judas.
cupidité. C'était sa seule passion et ce fut elle qui le 'Judas a eu confiance au péché, mais le péché, comme
menâ à sa perte, qui en fit un traître. toujours, l'a trompé. Judas croyait qu'une fois les trente
S'Ur les poteaux qui portent les fils électriques à deniers en mains il serait au comble du bonheur. Le
haute tension, on représente un éclair avec une tête diable l'avait promis à, Judas, à d'autres il promet
d,e mort, pour que les gens fassent attention. Ah! d'autres genres de bonheur; il saisit chacun différem-
Il faudrait bien peindre une tête de mort sur nos ment, il prend chacun par son côté faible, mais il
passions. trompe tout le monde de la même manière qu'il a
« Que voulez-vous me donner et je vous le livrerai? Et trompé Judas.
ils lui comptèrent trente pièces d'argent II (S.' Matthieu On a l'argent, mais où est le bonheur? Vous avez en
XXVI, 15). Faisons bien attention, mes frères, car les poche l'~rgent après lequel vous avez couru, êtes-vous
trente deniers de Judas circulent toujours dans le heureux? Du moins pour un an? Pour un mois? Non,
monde. Ils circulent au milieu de nous comme le prix même pas pour un jour. En Judas, au bout de quelques
de la trahison et des milliers et des milliers de mains heures, criait déjà la voix de sa conscience, au bout
se tendent vers eux. de quelques heures, arrivait la terrible déception, le
Que me donnerez-vous, si je Le trahis? Donnez-moi désenchantement; au bout de quelques heures, le
un meilleur poste ou une nomination et j'abandonnerai suicide. (
ma foi, mes prjncipes, mes convictions. Donnez-moi Ne remarquez-vous pas la merveilleuse et profonde
un parti avantageux, un riche mariage et je livrerai en P!?ychologie de nos saints Livres? A peine Judas a-t-il
échange la foi catholique de mes enfants et la paix de commis son péché que s'élance au dedans de lui,
mon âme. Donnez-moi une chaîne en or ou des boucles comme un volcan en éruption, la voix de la conscience.
d'oreilles en diamant et je renoncerai à la pureté. Ah! mes frères, quels sont ceux qui n'ont pas vécu de
Donnez-moi une nuit de plaisir et je renoncerai au par_eJll~~mill\J~es? Des minutes où app<v-:~.ll_ clj!k~W;tlt
LE SYMBOLE DES APÔTRES JUDAS
comme le péché est trompeur, comme il est faux, à droite et à gàuche, mais il ne se tourna pas vers
pervers et bas. Comme il trompe, promet, flatte, attire, Dieu. Pour lui il n'y avait pas de Dieu, parce qu'il
tant qu'on ne l'a pas commis et avec quelle impudence avait désappris la prière.
il nous regarde en ricanant et nous abandonne dans Pourtant Judas s'est repenti de son péché. « Paeni-
nos peines et nos tortures, si nous succombons. -, tentia ductus », « touché de repentir )) (S. Matthieu
Nous ne voulons pas partager le sort de Judas? Alors XXVII, 3), il vient trouver les princes des prêtres.
n'oublions pas ce que nous avons promis à notre Il confesse aussi sa faute. « Peccavi », « j'ai péché »,
"" : baptême: « Renoncez-vous à Satan? - J'y renonce _ dit-il. Il rendit également l'argent acquis par le péché.
Et à toutes ses œuvres? - J'y renonce - Et à toutes ses Il y avait là : contrition, confession et satisfaction,
pompes? - J'y renonce ». cependant il se perdit. Il se perdit, car il manquait
« L'un de vous me trahira» (S. Matthieu XXVI, 21), encore quelque chose dans son âme, quelque chose
dit Notre-Seigneur à la dernière Cène. Les apôtres bien minime en apparence et pourtant indispensable :
demandent avec tristesse, les uns après les autres : la confiance en -l'.amour et le pardon du Christ
« Est-ce moi, Seigneur? » Ah! puissé-je, moi aussi, miséricordieux.
demander souvent avec anxiété au sujet de mes pensées, L'histoire de ce malheureux apôtre nous offre une
de mes desseins, de mes paroles et de mes actes : Vous grande leçon : Résistez à vos inclinations mauvaises,
ai-je trahi, Seigneur? tant qu'il 'n'est pas trop tard. Ne, vous fiez pas au
C) Et finalement tirons de la chute de Judas encore péché, car il vous trompera aussi. Mais si vous étiez
une dernière leçon. Elle fut grandement tragique cette assez malheureux pour succomber, ne désespérez jamais,
chute de Judas dans un péché si monstnieux, mais le jamais. A tout pécheur pénitent le Seigneur déclare
pire fut lorsqu'ayant pris conscience de sa faute, par le prophète Isaïe . : « Quand vos péchés seraient
Il
il s'abandonna au désespoir et perdit confiance en le comme l'écarlate, ils deviendront blancs comme la
pardon de Dieu. Ce fut le dénouement de cette tragédie. neige; quand ils seraient rouges comme la pourpre, ils
Et savez-vous pourquoi il tomba dans le désespoir? deviendront comme la laine )) (Isaïe l, 18). Et saint Jean
C'est parce qu'il n'avait pas l'habitude de prier. Pour Chrysostome parle ainsi à tous les pécheurs convf!rtis :
sauve~ les apparences devant les apôtres et ne pas trahir « Si des étincelles tombent dans la mer, y mettront-elles
la nOlrce,ur de' son âme, il murmurait hypocritement le feu? Non. Mais la mer les éteindra. Tes péchés
quelques prières, mais l'âme n'y_ était pas ef' depuis sont les étincelles, la mer est la miséricorde de Dieu ))
longtemps s'était séparée de Dieu. Comment le sais -je? (Homélie VIII, De la pénit. n. 1).
Parce que, s'il avait bien prié, il n'en serait pas arrivé là. Seigneur, mon Péché est grandl maz's votre miséricorde
Lorsque sa conscience se réveilla, il chercha de l'aide bénie est encore plus grande.
JUDAS
LE SYMBOLE DES APÔTRES
XXII
La chute de saint Pierre serait pour nous inexplicable,
si nous ne connaissions de son caractère que son zèle
SAINT PIERRE religieux, ses nobles sentiments, sa bonne ·volonté, son
. désintéressement et son honnêteté et si nous ne remar-
quions pas d'autre part sa confiance excessive en lui-
MES FRÈRES,
même, sa précipitation et sa vivacité.
A) Saint Pierre était véritablement une âme profon-
dément religieuse : les évangiles nous en donnent plus
, Parmi l~s apôtres, deux ont renié Notre-Seigneur
- d'une fois la preuve. Avant de faire partie du cercle
J~s~s-Chrtst : Judas et Pierre et pourtant quelle
dIfference entre les destinées de ces deux hommes 1 de Jésus, il avait été avec son frère André des disciples
Judas trahit le divin Maître et lorsqu'il prit conscience de saint Jean-Baptiste; c'est là qu'il rencontra le divin
Maître pour la première fois et qu'il s'attacha à Lui.
de.son ~cte odieu~, il tomba dans le désespoir et se tua.
Samt PIerre aussI renia Notre-Seigneur, mais après sa Le Seigneur a bien souvent proclamé son zèle; lors
chute momentanée, son âme pénitente demanda pardon de sa transfiguration sur le Thabor et de son agonie
en p~eur~nt e.t le Christ qu'il avait renié pardonna au jardin de Gethsémani, Il emmène saint Pierre avec
tout a samt PIerre repentant et pénitent. Lui, ct même Il le choisit comme chef de sa future
. Si l'étude de la chute de Judas a été pour nous Églist:. .
u~e é~ouvante leçon, l'examen de la faiblesse de Saint Pierre auss~ donne à chaque instant des preuves
sam~ PIerre ne no~s sera pas moins utile ainsi que de ses sentiments désintéressés, de son honnêteté, de
celUI de sa converSIOn et de sa pénitence. son véritable amour envers Notre-Seigneur. Rappelons.,.
'I rl , Représentons-nous donc d'abord en quelques traits: nous seulement par exemple cet épisode de la dernière
.te
~.) caractère de saint Pierre, afin qu'ensuite 2) nous Cène, lorsqu'il s'aperçut que le Sauveur voulait lui
1:
pmsswns comprendre dans sa chute et 3) l'imiter dans laver les pieds. « Jamais Vous nc me laverez les pieds».
s'écrie-t-il avec indignation au premier moment. Jésus
sa '()!lpe!Jl9 n•
,lui répond. « Si je ne te lave, tu n'auras pas de part
322 LE SYMBOLE DES APÔTRES SAINT PIERRE 32 3
avec moi ». Maintenant saint Pierre reprend avec un quoi ne puis-je Vous suivre à présent? Je donnerai ma
accent indescriptible d'amour ardent: « Seigneur, non vie pour Vous ». Jésus lui réplique: « Tu donneras
seulement les pieds, mais aussi les mains et la tête » ta vie pour moi? En vérité, en vérité je ' te le dis :
(S. Jean XIII, 8-II). Quelle franche manifestation de Avant que le coq n'ait chanté, tu m'auras. renié trois
son amour fervent 1 fois» (S. Jean XIII, 36-38). Voilà un avertissement du
Voici une autre scène qui se passa avec le Christ au Maître, mais saint Pierre ne veut pas admettre qu'il
bord de la mer de Tibériade. Il est très tôt. Les apôtres pourrait bien un jour être aussi faible.
pêchent dans le lac. Tout à coup quelqu'un apparaît Pendant qu'ils vont au mont des Oliviers, le Christ
sur le rivage. A cause de l'obscurité, seul saint Jean parle ainsi aux apôtres : l( Je serai pour vous tous cette
Le reconnaît. « C'est le Seigneur», dit-il.Et les apôtres nuit une occasion de chute ». Saint Pierre proteste
commencent à se diriger vers la rive. Mais saint Pierre aussitôt : « Quand Vous seriez pour tous une occasion
ne peut pas attendre jusqu'à l'arrivée à la côte. Il remet de chute, Vous ne le serez jamais pour moi ». Jésus
son vêtement et se jette à l'eau pour se trouver plus parle à nouveau du chant du coq, mais saint Pierre
vite auprès du Christ (S. Jean XXI). Voilà comment cep rend avec, plus de vivacité : «Quand il me faudrait
il aimait son Maître 1 mourir avec Vous, je ne Vous renierai pas » (S. Matthieu
B) Mais saint Pierre n'était pas seulement de bonne XXVI, 31-35).
volonté, enthousiaste, honnête, mais, comme le sont « Quand tous les autres, moi pasl » Pierre, cela ,
ordinairement de tels hommes, il était aussi extrêmement n'était pas beau de votre part. Nous comprenons bien
présomptueux, exalté, irréfléchi, et ce fut sa perte. que c'était l'amour qui le faisait parler ainsi, mais
Ces caractères profondément honnêtes ordinairement l'amour peut aussi faire dire quelque chose de faux.
ne se surveillent pas assez eux-mêmes. Ils se rendent Saint Pierre ne pensait qu'à son grand amour pour
compte de l'honnêteté de leurs intentions et cela leur son Maître.
suffit. Ils ne veulent rien savoir de leur précipitation Mais s'il avait mieux examiné les profondeurs de
et de leur manque de réflexion et deviennent facile~ent son âme, il aurait pu découvrir aussi de la poltronnerie.
présomptueux. Ce fut aussi le défaut de saint Pierre. Quand il avait marché sur la mer, comme son courage
Le Seigneur lui don~a des avertissements à plusieurs avait rapidement disparu 1 Et s'il avait compris la
reprises, mais en vain. lâcheté de sa nature, alors il n'aurait pas négligé au
A la dernière Cène, le Sauveur dit à saint Pierre : mont des Oliviers le troisième avertissement de Notre~
« Où je vais,- tu ne peux me suivre à présent; mais tu Seigneur : « Siffion, tu dors? » (S. Marc XIV, 37).
me suivras ,plus tard». Saint Pierre n'accepte pas Mais alors il aurait suivi les paroles du Sauveur qui
, tranquillement ces paroles et répond avec feu. « Pour- l'auraient préservé de la chute: « Veillez et priez, afin
\,
,
LE SYMBOLE DES APÔTRES SAINT PIERRE 32 5
que vous n'entriez point en tentation. L'esprit est n'est-ce pas toi qui as dit ces mots sublimes: « Seigneur,
prompt ~a~s la chair est faible)) (S. Marc XIV, 37-3 8). à qui irions-nous? Vous avez les paroles de la vie
.. ,': Paroles divmes! Que de fois nous en sentons la vérité éternelle. Et nous, nous avons cru et nous avons connu
dans notre présomption 1 Mais saint Pierre 'ne le~ que Vous êtes le Saint de Dieu)) (S. Jean VI, 69-7°),
croyait pas, ne les prenait pas au sérieux et c'est ainsi et maintenant tu ne Le connais pas?
qu'arriva sa triste chute. . Pierre 1 Lorsqu'Il demandait aux apôtres pour qui
ils Le prenaient; n'est-ce pas toi qui as répondu, au nom
..' ~
un mot à effet, pour être à la page, par respect humain. jusqu'à ce lamentable reniement" cherchons ce qui a
Aujourd'hui il n'est plus de mode d'observer l'absti- provoqué sa chute. "')
nence le vendredi. Aujourd'hui il n'est plus de mode a) Était-ce parce qu'il n'aimait pas Notre-Seigneur?
d'avoir plus de deux enfants dans la famille. Aujourd'hui Qui oserait l'affirmer? Il L'aimait, mais il avait une
il n'est plu~l'" de mode d'avoir une image sainte au mur, confiancetJ• excessive en ,lui-même. Il avait une nature
au lieu d'une nudité. Aujourd'hui il n'est plus,;'de-mode emballée, il était facilement enthousiasmé et son malheur
". que le père et la mère aillent se confesser et non pas fut qu'il jeta ces flammèches dans la tempête : natu-
seulement les enfants qui vont en classe... Tout cela rellement le vent les dispersa. Son malheur fut son
n'est plus à la mode, donc (: je ne connais pas cet orgueilleuse présomption qui se révéla dans cette
homme ». phrase : « Quand tous les autres seraient scandalisés
Mes frères, faisons un sérieux examen de conscience à cause de Vous, moi je ne le serai jamais ».
et posons-nous cette question :. N'avons-nous encore Pour combien d'âmes une confiance excessive en
jamais été lâches, alors qu'il nous aurait fallu confesser elles-mêmes a été leur perte 1 « Ceux-là oui; , moi,
le Christ? N'avons-nous encore jamais renié Jésus, jamais 1 »
comme saint Pierre L'a renié? Un jeune homme et une jeuné fille ont entre eux
Il renie le Christ, celui qui, pour un intérêt terrestre une amitié idéale, ils sont gentils et pieux, mais
quelconque, abandonne ses principes d'honnêteté et cherchent toutes les occasions de se rencontrer; leur
ses convictions morales. Il renie le Christ, celui qui, intimité grandit; leur confesseur les avertit du danger.
pour un avantage terrestre, pour pouvoir se chauffer Et quelle est la réponse? « Je vous en prie, ne pensez
un peu auprès du feu, n'ose pas confesser sa foi et pra- .pas du mal de nous. Pour les autres, peut-être. Mais
tiquer sa religion. Il renie le Christ, celui qui, par
<
pour nous? Impossible! »
respect hltmain, n'ose pas prendre la parole en faveur Ne lisez pas ce mauvais livre, ne fréquentez pas
cette société légère, n'assistez pas à cette pièce scabreuse.
de ses convictions. Il renie le Christ, celui qui, en société,
{( Je vous en prie, n'ayez pas peur. Les autres, peut-être.
aime mieux tenir lui-même des propos grivois plutôt
Mais moi? Impossible! Je n'y vais certainement pas
que de s'entendre dire: ({ espèce de bigot », « bébé »,
pour faire le mal ». Je le crois, que vous n'Y('lallez pas
« toi aussi tu es un disciple du Christ ». Ils renient le
dans ce but, mais ... mais le meunier ne va pas dans le
Christ, tous ceux qui, sous l'effet de leurs passions,
moulin pour ~evenir blanc de farine; et pourtant il le
consentent au péché.
devient:-"Saint l>ierre ne vint pas à côté du feu pour
B) Mes , frères, voulons;-nous ne pas en arriver là?
renier son Màître. Il y vint, parce qu'il avait froid et
Voulez-vous ne pas renier le Seigneur? Alors étudions
.qu'il VOWll~t se récha.vfl;~r JIJl peJ!~ ;t c'~st <\W.s iqu'il
d'une âme attentive~ comment saint Pierre est descendu·
LE SYMBOLE DES APôTRES SAiNT Plrumn
tomba sur des gens dont les paroles, les idées, les projets confiance en lui-même et c'est ainsi qu'il s'exposa inuti-
et les points de vue étaient tout autres que les siens. lement au danger. Sa chute est pour nous un nouvel
"~. Que de fois nous sommes obligés aussi, au collège, avertissement de ne pas nous exposer inutilement au danger
à l'Université, au bureau, au magasin, à l'atelier, et de ne pas avoir une confiance excessive en nous-mêmes.
partout, où nous gagnons notre vie, où il nous faut Même pas si nous avons derrière nous toute une vie
habiter, iravaiUer, étudier, que de fois nous sommes de fidélité au service de Dieé Tant que l'homme vit,
'" obligés de constater que nous sommes au milieu de il y a toujours au-dessus de sa tête le danger de tomber.
gens dont toutes les paroles, toutes les intentions Il tombe, s'il est présomptueux. Saint Pierre a été
tous les actes sont contraires à nos idées chrétiennes i amené à son reniement par une seule faiblesse, le respect
Au milieu de gens dont nous sommes constamment humain. Et cela non pas devant quelque chose de
obligés d'entendre cette question ironique: « N'es-tu terrible, mais à la voix d'une simple servante. En vérité,
pas aussi un disciple du Nazaréen? » « Il faut que tu il a glissé sur un noyau de cerise.
sois aussi naïf qu'un bébé pour faire cela ». « Faut-il L'âme humaine ressemble à un abîme mystérieux,
que tu sois bigot, obscurantin, borné pour ne pas à un abîme dans le fond duquel des monstres affamés
oser cela? » ouvrent des gueules effrayantes. Attachons-les avec de
, Heureux celui qui peut leur échapper! Saint Pierre courtes chaînes, les chaînes de la mortification et de la
ne serait pas tombé, si, à la première tentation, il avait vio·ilance. Mais malheur si ces bêtes féroces brisent
réfléclù et s'était éloigné du feu, avant d'être obligé le~rs chaînes 1 Au fond de l'âme de saint Pierre était
de laisser la pureté de son âme. aux aguets le respect humain et lorsqu'il se fut débar-
: Mais si l'on ~e peut pas s'éloigner? Si la lourde rassé de sa chaîne, il mit en pièces la fidélité, l'amour,
chaîne · des nécessités de l'existence vous rive à une la persévérance. Dans' notre âme il y a peut-être la
" ' compagnie dangereuse, que faire alors? Efforcez-vous vivacité, la sensualité, l'envie, la cupidité ... Mes frères,
du moins de vous attacher au Christ avec des racines veillons et prions.
toujours plus profondes. Si saint Pierre avait été amené c) Mais la chute de saint Pierre nous apprend encore
par le froid en telle société, il aurait dû au moins se à apprécier la voix de la conscience. Quelle force contre
p~'é'parer ~u ,dan~e~ qui l'attendait par la prière et la le péché que la voix de la conscience, si nous la suivons!
VIgIlance. N avaIt-Il pas entendu quelques minutes Saint Pierre succomba, parce qu'il ne sursauta pas
~up~ravant cet avertissement de Notre-Seigneur au au premier chant du coq. Mais que de fois le co.q
j~rdIn. de G~th.",émani : «. Veillez et priez, afin qUI;( vous ne chante-t-il pas au dedans de nous, que de fOlS
n entnez pOInt en tentatIOn »? ' notre' conscience inquiète ne nous avertit-elle pas :
b) Mais saint Pierre ne veillait pas, car 'il avait trop Ne va pas voir ce spectacle; il te faut quitter cette
\
/
/
33° LE SYMBOLE DES , APÔTRES SAINT PIERRE
connaissance dangereuse; ne t'associe pas à ces affaires 'nue de choses dans ce regard muet et réprobatetid
" ,
suspectes .. :'-- Heureux l'homme qui est maître de i sa Eierre! réellement tu ne me connais pas? Je suis le
volonté ,et suit la voix de sa 'conscience! Heureux MaÎtre qui t'a choisi comme apôtre (S. Matthieu IV,
l'homme qui écoute toujours d'un cœur docile la voix 18-22). Je suis Celui qui jadis s'est approché de toi
de sa conscience, car la chute de saint Pierre(.'est un sur la mer et ~rs lequel, dans toft.:amour impatient,
perpétuel avertissement qu'aujourd'hui nous pouvons tu t'es élancé en marchant sur les vagues? (S. Matthieu
c~nf~sser notre foi et demain renier le Christ, si nous XIV, 25-33). Et maintenant tu ne me connais pas?
neghgeons sa recommandation: Veillez et priez. Je suis Celui qui, il y a quelques heures, s'est agenouillé
devant toi et t'a lavé les pieds (S. Jean XVIII, 6).1
Je suis Celui à qui tu as soutenu que tu aimerais mieux
mourir que le renier (S. Matthieu XXVI, 35). Pierre!
III est-ce que maintenant tu ne me connais plus?
b) « Et le Seigneur s'étant retournéregard,a P ierre YI;
LA C;ONVER.SION DE SAINT PIERRE.
Quel regard l ' ,
, Si .la chute de saint Pierre est pour nous un grand Que se passa-t-il dans l'esprit de saint Pierre?
avertIssement, son touchant repentir et sa conversion Ahl Que m'est-il arrivé?
sont en retour une importante leçon. Tomber est bien C'est vrai, le Maître a dit un jour à mon sujet %:
triste, c'est la destinée de l'homme; mais se relever du « Tu es Pierre et sUr cette pierre je bâtirai mon Église »,
péché est une vertu chrétienne. (S. Matthieu XVI, 18). Moi, une pierre? Ne suis'je'
, A)« Et le Seigneur s'étant retourné regarda Pierre 1) pas plutôt un fragile roseau ?Moi, le fondement de
(S: Luc XXII, 61), lisons-nous dans la sainte Écriture l'Église? Moi, le lâche qui vient de Le renie!"? " "
aussitôt après le reniement de saint Pierre. "" , ' C'est ~rai, l~ Seigneur m'a. diL: (~iyoici que Satan
a) nAhL ce triste regard divin 1 Bien s~uvent vous a reclames pour vous cnbler comme le froment;
sai~t ~ierr~àvait vu déjà le Sauveur regarder tristement, mais j'ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaiHepoint »
mazs )amazs comme cela. Lorsque le jeune homme (S. Luc XXII, 31-32). Pour que ma foi ne défaille pointf:
riche s'était éloigné et avait quitté le Seigneur ... Oui, Seigneur, ,, Vous avez prié pour moi, mais moi je'
lorsque de la montagne II avait contemplé Jémsalem n'ai pas prié p""our moi et voilà pourquoi je, suis tQmp~:
vouée à la mine ... lorsqu'Il se tenait près du tombeau parce que j'avais trop confiance en moif j, ,. '"
de Lazare... oui, le regard du Christ était alors bien Puissions-nous aussi au milieu des tentâtiôns rétOn';
triste, mais jamais il n'avait encore pam si chagriné naître les regards douloureux que nous jette le Sauveur.
~~§iA~ç;gl l\~,§,s.i .p1~w de reproches. ' Lorsque des amis (riv:01es nous atti~~nt ~~t -(l~~ I~ ,
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,( l>lLATE 337
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XXIII t
QU'ÉTAIT-CE QUE PILATE?
' QI ,
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Il avait donc largement ses aises, cependant il n'ét~it effet, s'il s'était agi seulement de questions religieuses
pas tranquille. , et de problèmes métaphysiques, il n'aurait pas du tout
Pilate était marié .et précisément ce qu'il apprit un été inquiet. Mais proclamer quelqu'un roi? Cela
jour par son épouse commença à l'inquiéter. Il semble équivalait à se révolter contre le pouvoir romain. Et
que celle-ci ait déjà beaucoup entendu parler de Jésus lui, le représentant suprême de la puissance romaine,
et elle raconta à son mari, ce qui du reste faisait l'objet lui qui, de plus, portait le titre d' « amicus Caesaris »,
des conversations dans tout le pays, que de Nazareth d' « ami de César », il ne pouvait plus rester simple
un nouveau prophète était arrivé parmi les Juifs, mais spectateur.
un prophète extraordinaire, plus grand que tous ses Dans ces circonstances, Pilate fut certainement
prédécesseurs, et que le peuple était plein d'enthou- . heureux d'apprendre que, dans la nuit du jeudi, les
siasme pour lui à cause de ses miracles. Juifs avaient fait prisonnier le grand prophète. Si les
Pour Pilate cette nouvelle était bien ennuyeuse. Il Juifs se débarrassaient eux-mêmes du prophète, il
pressentait en quelque sorte que, soit avec ce prophète n'aurait pas eu grand mal avec lui. Il serait condamné,
soit avec le Sanhédrin, il aurait des difficultés,parce sans avoir eu besoin d'intervenir. Qu'il fût innocent ou
que les princes des prêtres regardaient d'un œil jaloux non, cela n'avait pas d'importance; l'essentiel était
la manière d'agir du nouveau prophète. Pilate aimait que sa tranquillité ne fût pas troublée par cet homme.
sa tranquillité et nè voulait à aucun prix s'immiscer La joie de Pilate était prématurée. Les Juifs con-
dans cette affaire. damnèrent en effet le Christ, mais à mort; or pour
B) Pourtant ce qu'il redoutait arriva plus tôt qu'il ne pouvoir exécuter la sentence capitale, il était nécessaire
[' avait pensé. d'obtenir la ratification du gouverneur romain. Ainsi
En l'année 33, il se rendit à Jérusalem pour la fête arriva-t-il qu'après le procès tout le sanhédrin et la
de Pâque. Pâque attirait toujours les Juifs par centaines foule abusée et en effervescence amenèrent Jésus
de mille dans la capitale. Il était donc tout indiqué que enchaîné devant la maison du gouver~eur, demandant
le gouverneur romain fût aussi présent pour étouffer la . ratification de la sentence de mort.
immédiatement les troubles possibles. Mais les fêtes Et . c'est ainsi que Notre-Seigneur Jésus-Christ
paraissaient devoir être cette fois particulièrement comparut devant Pilate.
agitées, car on répandait au sujet du prophète de
Nazareth les bruits les plus étranges: qu'il ressuscitait
les morts et que l'enthousiasme du peuple était arrivé
à un tel point qu'on voulait le proclamer roi.
Et c'était ce dernier point qui faisait pâlir Pilate. En ·
" " !
témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité C'est ainsi que parla Pilate. Et C'est ainsi que parlent
écoute ma VOiX» (S. Jean XVIII, 36-37). aussi depuis dix-neuf siècles les coreligionnaires de
Comme le Seigneur parle doucement, tranquillement . Pilate. Qu'est-ce que la vérité? demandent-ils avec
et cependant quel trouble dans l'âme de Pilate! une moue dédaigneuse et un regard cynique et ils ne
La vérité! Ce fut ce mot qui bouleversa complètement s'aperçoivent pas qu'ils prononcent eux-mêmes contre
Pilate.reut-être .lui rappela-t-il sa jeuness;7 alors qu'il ' leur âme une sentence de mort.
croyait ~ncore à la vérité, alors qu'il savait encore C) En fait, pour Pilate la vérité n'était rien, la vérité
distinguer entre le bien et le mal, entre le beau et le n'avait pas la moindre valeur, seuls comptaient l'intérêt
et l'art de se faire valoir. Comme il le montre ouver-
laid, entre le noble et le vil, alors qu'il dirigeait sa vie
. tement, quelques minutes plus tard! Il n'a trouvé
en conséquence, alors qu'il avait un but dans l'existence.
aucune faute dans le Christ, et c'est pourquoi il Le fait
Mais qu'était-il advenu de tout cela dans le dur combat
de la vie? Il avait vu l'arrivisme sans âme, le désir flageller.
« Je n'ai trouvé , en lui aucun des crimes dont vous
d'arriver à tout prix, il avait vu fouler aux pieds
l'accusez ... Je vais donc le faire châtier» (S. Luc XXIII,
~'honneur, la moralité, les convenances pour de l'argent,
Il avait vu la lutte inégale entre le juste et l'injuste ... 14- 16).
'.. A-t-on déjà entendu pareil raisonnement? Je ne
S'il n'avait fait que les voir! Mais ensuite il s'y était trouve aucune faute en lui, donc... Donc, je le mets
plongé jusqu'au cou. Il avait dévoré les philosophes en liberté! Voilà ce que l'on attend. S'il n'y a pas de
qui exaltaient cette absence de caractère en la submer- faute en lui, alors on l'a accusé faussement, je termine
geant sous un déluge de subtilités, comme un idéal le procès et je le remets en liberté.
à atteindre... et tandis que tout cela passait comme C'eût été une parole virile. Et si Pilate avait agi
un éclair dans sa mémoire, de ses lèvres incrédules ainsi, son nom n'aurait jamais été inscrit pour sa honte
sortit cette question cynique: « Qu'est-ce que la vérité? » dans IJ- Credo.
(S. Jean XVIII, 38). Mais Pilate n'était pas un caractère. Il aurait voulu
Qu'est-ce que la vérité? La vérité, c'est la puissance à la fois obéir à la vérité et plaire aux Juifs. Il jetait
des légions romaines. La vérité c'est la richesse de ses regards des deux côtés et c'est ainsi qu'il arriva à
Rome. o:f-,a vérité, c'est tout ce que l'on peut toucher, cette fausse conclusion : Je ne trouve aucune faute en
palper, mesurer, enregistrer, aligner en colonnes. La lui, donc je vais le faire châtier.
vérité c'est le succès, la gloire, le faste, le bien-être Conclusion incroyable! et pourtant combien l'ont
le boire et le manger, le triomphe. Mais l'âme, la morale: imitée! Je sais, je sens que le Christ a raison. Sa religion
la vertu, l'honnêteté et surtout ton royaume?.. Ah 1 .est si belle, sa doctrine si élevée/. son imitation si
qu'est-ce que la vérité?
".
Il '
I~ ~
'"
l, 344 LE SYMBOLE DES APÔTRES PILATE 345
apaisante, donc ... donc je ne Le suivrai pas, car il fau- Et maintenant le peuple frappe un grand coup :
drait faire des sacrifices, car il faudrait du renoncement, « Si tu le délivres, tu n'es point l'ami de César; quiconque
car le monde se moquerait de moi. Oui, il raisonne se fait roi se déclare contre César )J (S. Jean XIX, 12).
comme~ Pilate, celui qui porte le nom de chrétien, Le coup porta. Il avait frappé juste.
mais dont la vie, l'attitude morale, les distractions, « Tu n'es pas l'ami de César )J. Ahl Ces gens-là
les plaisirs contredisent ce nom. veulent me dénoncer à César. Qu'en dira César?
: « Je n'ai jamais péché contre la lumière )J, disait à Je voudrais bien me ranger dù côté de ce malheureux,
sa grande consolation le cardinal Newman, l'illustre mais que dirait l'empereur? Que deviendrait mon
converti anglais. Quelle joie pour l'âme de celui qui avenir? Et mon avancement? Après tout, cet homme ne
peut dire aussi de lui-même: je n'ai jamais agi contre . sera pas le dernier pour souffrir quoique innocent ...
ma conséience, contre ma conviction et mes principes Et puis il lui faudra bien mourir une fois ou l'autre.
moraux. A quoi bon en faire une question de conscience?
D) Pilate ne peut justement pas dire cela de lui- « Ibis ad crucem », prononce-t-il, « tu iras à la croix )J.
même, mais regardons avec pitié l'embarras et la peine « Alors il Le leur livra pour être crucifié» (S. Jean
par lesquels il a passe. Avec la conviction très nette XIX, 16) .
..,"
de l'innocence du Christ et la force de ses soldats,
il avait donc en mains la vérité et le pouvoir et pourtant
III .
il tomba, parce qu'il était un lâche et un faible dont
le peuple découvrit aussitôt et exploita la faiblesse.
LA TRAGÉDIE DE PILATE.
Que d'expédients pour éviter de rendre la sentence 1
Il envoie le Sauveur à Hérode, pour être jugé par
ce dernier. Mais Hérode Le lui retourne. A) La tragédie de Pilate est pour nous tous un
Alors il propose de faire participer le Christ à grave avertissement. Pilate aurait pu sauver le Christ,
l'amnistie,_ accordée habituellement à l'occasion des s'il avait eu un caractere bien trempé et une volonté
fêtes. Mais la foule exige l'amnistie en faveur du indomptable. Si on avait 'pu dire de lui: c'est un homme
'meurtrier Barabbas. de parole et un cœur de bronze, s'il n'avait pas mar-
Ensuite il fait flageller Jésus, dans l'espoir que le chandé, s'il n'avait pas discuté, mais frappé du poing
peuple sera satisfait. Mais à la vue du sang, son appétit sur la table en disant : « Je ' remets cet homme en
s'accroît. Il voit là présent qu'on peut marchander, liberté, car je ne trouve aucune faute en lui )J.
qu'on peut discu.ter, que l'air sévère de Pilate caché Mais Pilate manquait précisément de cela. Il manquait
une grande faiblesse. de courage pour agir raisonnablement. Il était lâche.
' ,,,
'I l n'était qu'une girouette. II souriait à droite et à comme le roc, qui ne sont pas soumises aux vicissitudes
~~uc~~.ÜComme u.nacrobate, il cherchait à garder . du temps et se ' rangent courageusement aux côtés de
1 eqUlhbre. Il hurlaIt avec les loups. Il était du parti la vérité. La boussole des navires est soigneusement
de la majorité, prêt à tout, niais pas à assurer le isolée, afin qu'elle ne subisse aucune ~utre influence
succès de la vérité. .
que l'attraction du pôle magnétiqu.e, ) car ce n'est
Ne remarquons-nous pas constamment que le plus qu'ainsi qu'on peut donner au vaIsseau la bonne ,
dangereux adversaire de la vérité, c'est la peur de direction. De même seuls peuvent mettre sur la bonne
l'opinion générale à laquelle peut seul s'opposer un route l'humanité, ceux dont les âmes se tournent avec :
1. '
caractère viril, ferme comme le roc, prêt à soutenir la
vérité établie.
persévérance vers le pôle magnétique de la vérité. i
B) De la tragédie de Pilate se dégage pour nous un
; « Ahl de moi-même je ne le ferais pas, c'est l'excuse grave avertissement.
que l'on entend souvent. Je n'irais pas à cette soirée S'il s'est rangé du côté des adversaires du Christ, ~
av.ec une robe aussi décolletée, je n'aurais pas peur que on peut encore lui trouver quelque excuse, mais quelle ·
~Ieu n~us ~onne un troisième et un quatrième enfant, culpabilité pour nous, lorsque nous abandonnons le Chrùtl
Je ~e tIreraIs pas ce journal illustré indécent, je ne Pilate a pu être étourdi par les clameurs de la foule;;'
feraIS pas des plaisanteries aussi légères, si... s'il n'y son accusé ne fut pas défendu par dix~neuf siècles
avait pas la mode, l'opinion, le bon ton, le goût du d'histoire. Pilate comptait les années « ab urbe condita »' .
public »••• Certainement, Pilate n'aurait pas condamné de la fondation de Rome; comment aurait-il pû savoir
Jésus à mort, s'il n'y avait pas eu les exigences des Juifs. que l'axe du monde était à présent changé et que les
. «Monsieur seul et indépendant demande chambre » dates de l'histoire partiraient de la naissance de cet,
lisons-nous fréquemment dans les annonces de~ homme couvert de sang, en haillons et à bout de forœs,
journaux. Avons-nous jamais pensé à la rareté de ceux qui était là enchaîné devant lui?
qui sont véritablement indépendants, de ceux qui osent Mais nos Pilates d'aujourd'hui devraient le savoir.
rester fidèles à leurs convictions et prendre parti, même Comment? Pilate,)vit e~core aujourd'hui? ! ;
s'ils doivent rester isolés, pour la vérité. La vérité n'est Oui, Pilate vit encore actuellement. Il vit en tous
jamaisOpopulaire. C'est pourquoi le sort de la vérité ceux qui ont aujourd'hui encore pour devise: « En fer~
est si souvent l'exil et la solitude. mant un peu les yeux, on va plus loin qu'un honnête
Cependant >l'humanité marche à sa perte avec des homme ». Pilate vit en ceux qui disent : « Ne soyons
hommes dans le genre de Pilate. Oui, elle irait à sa ruine, pas si bêtes et profitons de l'occasion, qu'importe
si le flot vagabond et capricieux des passions des masses si l'âme et la main sont un peu salies ».
ne se heyn~jt p~;~ . àll~~ Jli~1,J.&. ~ c,~s. ~~~sJ fermes Pilate vit en ceux q~i haussent les épaul~s deval\l1.1~
PILATE 349
1
' ,U
LE SyMBOLE DES APôTRES
'1, " entend à chaque instant, C'est assurément le malheur
âmes généreuses prêtes à se sacrifie'!: ' . du monde actuel que les gens ne veuillent plus faire de
leurs convictions religI'e uses et moralespour et la'ffiventé de
, ILe.~ Q u ,est-ce que la qUi
, , avec quoi que ce soit une question de conscience. Ni de la
l' • • 'b . cynisme' . . «La vér'.' a nnent
vérité? B' fidélité au devoir. Ni de l'honnêteté. Ni de l'intégrité.
, Oire et bIen manger ' ' len
affah:es, voilà la vérité l:. ;i~:::~~-~~t c faire ~e bonnes Ni de la fidélité conjugale. Ni d'aucune autre chose.
D) On peut étouffer un certain temps la voix de
. ' pour leur carn'è re, poureuxunqUI,
avancement bon pour un . sa 'conscience, on peut la mettre de côté, la trahir, la
rementleurs convictions et aband l" parti,
en tous ceux . onnent a fOl. PIlate vit renier, agir en sens contraire, mais c'est en vain, elle
qUl nagent avec le courant hurlent a parlera cependant un jour et cette voix sera terrible.
es 1oups car « l e ' ' vec
1l'honnête~é ce n'estc;::ctere, la l,c?nviction, la fidélité, Le sort ultérieur de Pilate ~ proclamé au monde ce
vit en tou~ ceux qUI' f ulne po Itlqu,e réaliste )J. Pilate grand avertissement qu'il faut souvent un sacrifice
ou ent aux pIed l '
, et se lavent les mains h ' s es mnocents pour se ranger ouvertement du côté de la vérité et
, ypocntement. demeurer fidèle au Christ, mais c'est un sacrifice qui
C)
' Ptlate se lava les mains,C'est Va ei nn ' qu,'l , 1 élève l'âme; par contre piétiner cyniquement la vérité
avees. Et quand
1dans l'eau d'un b ' bien même il l ' , l e sa
, es auraIt lavees, non pas n'est qu'une tactique passagère et infructueuse qui ,sera
~ d assm, maIs dans les flots du J ourd . 1
l on pas ans le Jourdain, mais dan ' ,am 1 inévitablement suivie du châtiment.
. y aurait-il eu assez d' eau . d ans tous s la 1mer de Galdée On ne sait pas exactement ce qu'il advint de Pilate
é
la~er cette effroyable tache? Laquelle;S ~:ll;n~, pou,r après la mort du Christ. Mais nous savons une chose:
cette carrière, cet avancement, cette chance qu'il pour-
agt cont1'e sa conscience. ' avozr
suivait à tout prix, même en sacrifiant l'innocent
Meslafrères
nous de n tCh acune ~e nos actions, écoutons-
voix' avant Jésus, il ne les trouva pas.
o re conscIence? E t « Si tu Le délivres, tu n'es pas ami de César)J (S. Jean
demandons ce que Dieu n d'I ,s -ce que nous
nous, comme a fait Pilat: . Qt ~u bIen demandons- XIX, 12), criait la foule en le menaçant. Eh bien!
~s
'1 Ph"
anSIens, qu'est-ce qu'e d't
• u est-ce qu'en d'
i 1 t Isent
il ne Le çlélivra pas, Il Le livra aux mains des meurtriers.
Et ainsi il demeura ami de César? Pas le moins du
qu'en dit l'empereur? Combie: ii a oule, qu'est-ce
der : Qu'en disent " y e n a pour deman- monde 1 Comme le raconte l'historien Flavius Josèphe
mes relatio:S mon emtes VOlsms, mes connaissances, (Antiquités XVIII, 3, 1; 4, 2), dès l'année 36, Tibère
, s omac mon port '
carrière, mon avancement ...'? M aIS ' comme e-mo~naIe,
1 ma l'appelait à Rome'- pour rendre ses comptes, Mais à
son arrivée, Tibère venait de mourir. - L'historien
peu pour demander: Qu'est-ce qu'en dit 1 y, en a1
«Voyons , comment pouvez-vous en f ' ma conSCIence Eusèbe (Hist. ecclés, Il, 7) rapporte qu'il mit fin à ses
' ,
de conscience? Il tel est 1e 1angage aI~e fnvole une que
questIOn l'on
jours sous le règne de Caligula.
~I
d·' ) . 1;
l' ..
.:'1'
' ,II
.' qu'il se cacha la figure dans ses mains, toujours il mon Pere qui est dans les cieux; mais celui qui m'aura
avait devant lui le visage ensanglanté du Christ qui renié devant les hommes, moi aussi je le renierai devant
semblait dire: « Pourquoi m'as-tu condamné à mort mon Père » (S. Matthieu X, 32-33).
malgré mon innocence? » .,
Pilate n'y tint plus; il s'enfuit à l'étranger, mais la
face sanglante du Christ le, poursuivit partout. A
moitié fou, il erra à l'aventure, et arriva un jour sur les
bords du lac des Quatre-Cantons, il se jeta dans l'eau
~t ~'~ noya, mais l'eau le rejeta sur la rive et des esprits
' .' '
InvIsIbles roulèrent sur lui une énorme pierre tombale,
comme un éternel avertissement : c'est aujourd'hui
le mont Pilate.
-
Mes frères, ce n'est qu'une légende.
-
·'c.• (
.f.', HÉRODE 353
est originaire de Galilée, qui est sous la domination
','i
'. /- d'Hérode. A cause des fêtes de Pâque, Hérode se
trouve justement à Jérusalem, Pilate lui envoie donc
XXIV Jésus pour être jugé par lui. Car la pensée lui est venue
.:' :/
qu'il va pouvoir ainsi se décharger de cette affaire
épineuse et qu'il ne Sera pas obligé de prononcer
HÉRODE une sentence. C'est à Hérode de décider si le Christ est
coupable ou innocent.
On a peine à en croire ses yeux, lorsqu'on lit cela
MES FRÈRES, - dans l'Évangile. C'est Hérode qui va décider si le
Christ a raison ou non 1
Dans l'histoire de la Passion, les événements les Hérode 1 Ce petit prince oriental, honoré de la faveur
plus émouvants se succèdent. Les uns nous arrachent de l'empereur romain, qui s'était fait bâtir sur la rive
des larmes ~ la vue des souffrances du Christ; d'autres du lac de Génézareth, à Tibériade, un palais luxueux
nous remplIssent de colère et d'amertume devant la et y menait, au milieu d'une cour de flatteurs, une. vie
méchanceté humaine; enfin il y a des scènes dont nous de débauches avec la femme séparée de son frère,
~e pouvons ~uivre les douloureux détails que dans un Hérodiade 1 Quels miasmes délétères, quelle atmo-
sIlence recueIlli. sphère d'immoralité dans ce magnifique palais, où ce
~'~st ce dernier effet qui ré~ulte du sujet que j'ai prince pouvait offrir en récompense de la danse lascive
ChOISI pour mon sermon d'aujourd'hui: le rôle d'Hérode de sa nièce Salomé la tête du plus grand des prophètes,
dans la Passt'on de Jésus. saint Jean-Baptiste 1 Et maintenant on traîne le Christ
. . Comme il est douloureux de voir le Sauveur p~ussé devant lui. Devant cet Hérode, pour qu'il juge s'Il est
ICI et là et traîné d'une autorité à l'autre 1 Il 1 . C coupable. Interrogez un aveugle sur la beauté du ciel.
. . d' UI laut
pour amsl. Ire aller de porte en porte mendier sa Demandez à un sourd si le son du violon lui plaît.
conda~nnatlOn à mort. Après son arrestation, on Le Demandez à un Hérode si le Christ est coupable ou non.
condUIt chez Anne, puis chez Caïphe. Caïphe prononce Mes;" frères, accompagnons Notre-Seigneur à cette
la sent:nc;I--,~e ~ort, mais pour faire confirmer le juge- nouvelle station sur le chemin de" 'ses humiliations.
~ent, t1 L en:ol~ à Pilate. Pilate trouve que Jéslls est Tenons-nous près de Lui avec la prièr({"d'une âme
m~ocent, m~l~ t1 ,n'ose pas Le libérer par crainte des pénitente, tandis qu'Il endure cette ignominie, mais
JUIfs. Or VOICI qu a!rive à point la nouvelle que Jésus prenons bien en considération la haute leçon que le
Seigneur nous donne par son attitude.
354 LE SYMBOLE DES APÔTRES HÉRODE 355
Pas un traître mot.
Pourtant comme Il aurait eu facile de s'assurer la
1 faveur de ce prince vaniteux! Et s'Il l'avait obtenue et
qu'Hérode eût rendu le même jugement que Pilate :
LE PASSÉ D'HÉRODE.
« Je ne trouve rien de mal enlui», alors toutes les machi-
nations des Juifs et leur indignation seraient demeurées
A) Notre-Seigneur comparaît devant Hérode. C'était sans résultat devant la sentence unanime d'acquit-
la première occasion pour Hérode de voir Jésus, bien tement d'Hérode et de Pilate.
que, suivant la sainte Écriture, « il fût depuis long- Le Sauveur le savait bien. Il savait qu'il ne Lui fallait
temps désireux de Le voir, car il avait entendu beaucoup que fermer un peu les yeux, être un peu moins sévère,
parler de Lui» (S. Luc XXIII, 8). oublier pour le moment les vices d'Hérode, et sa vie
a) Maintenant il pouvait enfin Le voir et L'interroger. était s~uvée.
Le voilà devant lui, garrotté, complètement en son pou- Mais Notre-Seigneur ne montra aucune complaisance
voir. Maintenant il va pouvoir L'examiner à fond et envers lui. Hérode « Lui adressa beaucoup de questions,
Lui poser ·toutes sortes de questions curieuses. Main- mais Jésus ne lui répondit rien» (S. Luc XXIII, 9)·
tenant il va pouvoir Le payer de retour, pour l'avoir Celui qui ne connaît pas le passé d'Hérode ne
appelé un rusé renard. s'explique pas le silence du Christ. On sent dans cet
De fait, c'est ainsi que l'avait nommé Notre-Seigneur. interrogatoire que le silence du Seigneur proclame dans
Un jour Il lui avait adressé un message ~ommençant le monde une èondamnation accablante contre Hérode.
ainsi: « Allez et dites à ce renard» (S. Luc XIII, 32). Mais pour comprendre pleinement l'attitude du Sau-
Eh bien! le rusé renard va Lui montrer à présent ce veur, il nous faut connaître la vie et l'état d'esprit
qu'il peut. Toute sa cour et sa garde du corps sont d'Hérode.
réunies dans la salle ruisselante d'or, afin que tous B) Qu'était-ce qu'Hérode?
puissent se réjouir du spectacle des prodiges ·du rabbin a) L'Hérode dont il est ici question n'était pas le
miraculeux totnbé aux mains d'Hérode. Certains même meurtrier des enfants de Bethléem, celui qu'on nomme
croyaienPsavoir- qu'Hérode voulait faire guérir par Hérode le Grand, mais son successeur Hérode AntijJas
Jésus la belle Salomé qui souffrait de la goutte et qui avait répudié sa première femme et épousé Héro-
avait été amenée pour ce motif dans la salle. diade, femme -ode son beau-frère Philippe, encore
b) Notre-Seigneur est donc là devant Hérode. vivant. Cet Hérode devant qui se trouvait Notre-
Hérode « Lui adressa beaucoup de questions» (S. Luc Seigneur et à qui Il n'adressa pas un seul mot n'avait
XXIII, 9), mais le Christ ne lui- répondit pas un seul mot. pas fait massacrer les enfants de Bethléem, mais.
: ' '1'1
, l '
Alors Salomé s'arrête devant Hérode, sous l'empire t'est pas permis de contracter un nouveau ma~iage,
de l'ivresse, et d'un ton triomphant et impérieux, elle car ton premier mari, ta première épouse, VIvent
demande de manière à être entendue par tous les encore. «M~is c'est intolérable, j'aime mieux renoncer
assistants: « Je veux" que tu me donnes à l'instant, à la religion éatholique n. •
sur un plat, la tête de Jean~Baptiste n (8. Marc VI, 25). Salomé aussi réapparaît. Elle danse touJours ... elle
Hérode prend peur. Hérode, si enivré, si aveuglé continue à danser à travers l'histoire... Elle gris~ le~
qu'il soit, est plongé dans la consternation. Il ne s'y hommes raisonnables, elle enivre davantage ceux qUI
attendait pas. Peut-être, sur le premier instant, eut-il sont iv.res, et sa danse provoque toujours le même
la pensée que la tête sanglant~ du saint prophète ne le serment de la part des Hérodes modernes: Tout .c~, que
laisserait jamais plus en repos ... Peut-être soupçonna- , tu me demanderas ... argent, honneur, la mOlt1e de
t-il que pendant ' toute sa vie il serait tourmenté et mon royaume... je te le donnerai .. : Et les . Salomés
poursuivi par ces deux mots : Adultère... assassin! d'aujourd'hui ne demandent pas la t~t~, de samt Jean-
Qui sait ce qu'il ressentit à cette minute : la sainte Baptiste, elles ne demandent pas la mOlt!e du royaume ...
Écritu~e se contente de dire qu' « il fut contristé )l. non... mais... simplement le bonheur éternel des
Il aurait voulu sauver Jean, mais il a du mal à s'arrêter Hérodes plongés dans l'ivresse~
celui 'qui glisse sur une pente.
Et Hérode fait signe que oui.
'c
Hérodiade avait calculé juste. Elle avait compté sur
la perversité de convives enivrés. Une tête sanglante dans II
la blanche main d'une jolie danseuse: oui, ce n'était
pàs un spectacle de tous les jours. LE SILENCE DU CHRIST.
, C'est ainsi que tomba la tête de saint Jean sous le
glaive du bourreau. Et la haine d'Hérodiade fut apaisée,
. A) C'est devant cet Hérode que comparaît le Sauveur,
lorsqu'elle eut la joie de voir devant elle la tête fraîche-
c'est à cet Hérode qu'Il ne daigne pas adresser une seule
ment coupée et ensanglantée.
parole. Mais ce noble silence fut pour lui une peine plus
Mes frères, Hérodiade et Salomé sont mortes de puis
sévère que de longs reproches. Car si la p.arole est une
longtemps ... mais'~dans l'histoire de l'humanité, elles
réapparaissent toujours de nouveau sous un autre nom. puissance, il y a des circonstances où le sIlence est une
Hérodiade réapparaît dans la pécheresse qui jette feu puissance encore plus grande. . ,
et flamme contre l'Église qui, au nom du Christ, se a) Pauvre Seigneur Jésus 1 où êtes- vous tombe?
dresse sur le chemin du péché et ose lui dire ; Il ne Vous avez souffert de votre couronne d'épines, Vous
avez souffert de la flagellation et des soufflets, mais
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Dans nos dernières instructions, nous avons vu
défiler devant nous de tristes échantillons de l'humanité.
Le traître Judas, le pusillanime Pierre, le faible Pilate,
le voluptueux Hérode ... Quelle tristesse pour Notre-
Seigneur 1Quelle profondeur tragique de l'âme humaine 1
Et c'étàient pourtant des hommes, de vrais hommes.
Et les femnies? Quel rôle. ont-elles joué dans la
Passion du Christ?
De nos jours, le prédicateur est très souvent obligé
de remplir la tâche désagréable de condamner du haut
de la chaire les folies de la mode, les faiblesses morales,
l'esprit superficiel des femmes. Il n'aime pas de le faire,
mais pourtant il y est obligé. Aussi est-il très heureux,
lorsqu'au lieu de blâmes et de reproches il pè ut adresser
des éloges, des éloges réels et mérités.
Ce sera une gloire éternelle pour le sexe féminin que
de ne pas avoir -coopéré aux souffrances terrestres du
Sauveur. Ce sont des hommes qui ont renié le Christ,
"
,',
"
de~ h?mmes qui L'ont arrêté et condamné, des hommes Quelle 'était cette femrhe? . _
qUI ~ ont flagellé et attaché à la croix. Nous rencontrons ,'
Nous n'en savons absolument rien. Nous ne connaIS-
auss~ de~ femmes à plusieurs reprises au Cours de la "
sons même son nom que par ouï dire; on croit qu'elle
PassIOn, mais leur rôle est toujours noble toujours (
s'appelait Claudia Procula. Pe~ imp~rte, Ce ~'est pas
é?ifi~~t. Nous consacrerons donc notre sermo~ d'aujour_
le nom qui est important, malS le faIt. Le fart q~e sa
d hUI a cette questIOn: Comment les femmes se sont-elles 1
conscience ne supporta pas tranquillement de VOIr ce
comportées à l'égard du Christ dans sa Passion? Cependant
cette instruction ne sera pas seulement un éloge cha- qui se passait, le fait qu'elle eut pitié du Christ et
voulut Le sauver, dans toute la mesure de ses moyens~
leureux de l'âme compatissante des femmes mais aussi
un encouragement à puiser dans leurs exemples une L'important fut qu'elle osa prendre la parole .en fave~r
sérieuse leçon pour chacun de nous. du Sauveur, alors que tous étaient contre LUI. Je crOIS
que cette femme aurait aussi osé parler,. si, même dans
la société la plus distinguée, elle avaIt entendu des
1 plaisanteries inconvenantes. Je cr~is q~e, cette femme
aurait eu le courage d'élever la VOIX, SI, a un thé, elle
L'ÉPOUSE DE PILATE. avait entendu des gens superficiels critiquer les pres-
criptions ou les dogmes de notre sainte ~eligjon.
Et cette femme n'était même pas chréttenne.
La première femme qui joua un rôle dans la Passion
du Christ fut l'épouse de Pilate. B) L'épouse de Pilate ne lui envoya pas .ce messag.e
Notre-Seigneur est là devant Pilate. Autour de Lui uniquement pàr compassion pour le Chrt.st. Certa:-
nement elle a agi aussi par sOllci pour son man. Elle avart
comme une mer en furie, la foule de ses accusateurs~
Tous .sont contre Lui, tous Le déclarent coupable. vu devant quelle désagréable et dangereuse respo~
MalS, ,voici qu'arrive tout à coup un serviteur sabilité il était ,placé, elle se hâta donc, comme Il
apportant un message à Pilate. Le message vient de convient à une fidèle épouse, de venir en aide à son
l~ femme de .celui-ci et est ainsi conçu: « Qu'il n'y ait mari en ce moment difficile et décisif. Il est vrai qu'elle
rten entr~ tOI et ce juste; car j'ai été aujourd'hui fort n'a pas pu sauver son é?oux, mais c':st parce qU'i!ne
tourmentee en songe à cause de Lui Il (S. Matthieu l'a pas écoutée. Du mOInS a-t-elle fait tout ce, qu cl~e
XXVII, 19). , " pouvait: or Dieu ne juge pas d'après le sucees, mats
A). ~nfin quelqu'un qui appcIle le Christ \1 un juste" d'après l'intention. · ,
au.mtlIe~ de cette foule remplie de haine. Enfin quelqu'un Cette femme courageuse mérite que sa conduite soit
'lUt ose dtre un mot en faveur du Christ. citée en exemple à tous les fidèles. L'épouse de Pilate
,"
comprit et exécuta la grande tâche que Dieu a confiée
'; li '
Le Sauveur les regarde et leur dit: « Filles de Jéru- dans l'incroyant égaré. Le Christ souffre dans cel~i qui i
sa~em, ne pleurez pas sur moi, mais plutôt sur vous- est séduit par le péché. Le Christ souffre partout où
memes et sur vos enfants» (S. Luc XXIII, 28). " une âme plire se salit. ._ ,
: A) Dans l'attitude des filles de Jérusalem nous distin- cc Mais aujourd'hui il y a tant de 'misères dans le'
guons deux choses : leur compassion et leur courage. monde! On ne peut pas secourir tout le monde ». C'est
, a) Elles furent saisies de compassion. Il y a bien des vrai. Mais du moins venons en aide autant que nous le
femmes pour pleurer dans le monde. Les femmes pouvons. Et si nous ne pouvons pas apporter une aide
pleurent plus facilement que les hommes; elles pleurent matérielle, tout comme les filles de Jérusalem ne
sou:,ent pour des riens, par dépit, par entêtement. pouvaient pas sauver le Christ du supplice, ayons du
MalS vous,. filles de Jérusalem, vous avez raison de moins une larme pour notre prochain qui souffre ou
pleurer mamtenant. Vos yeux n'ont pas ëncore laissé une parole compatissante ou un regard d'encoura-
~omber des larmes aussi précieuses que celles-ci. Quel gement, de consolation, de sympathie.
emouvant spectacle devait présenter Jésus marchant b) Les filles de Jérusalem ne furent pas seulement
à la mort, inondé de son sang 1 saisies de compassion, mais elles eurent encore le courage
< 1
' 1:
, Ii:lli,
du jubilé, nous nous placerons au pied de la croix, yeux brûlant de fièvre aperçoiv~nt ,de ' n~uveau . les
l'âme attentive: 1) afin de comprendre ce qu'est pour palmiers et un vert gazon, et SI pres. qu ds . crOlent
nous la croix de Jésus et 2) afin d'apprendre ce que entendre le murmure d'une source. MalS le gUide leur
nous devons faire pour avoir part à la bénédiction de la répète que tout cela n'est qu'illusion et de ~ouv.eau
croix. il ne veut pas ' les laisser aller dans cette dlrectlOn.
Alors un voyageur saisit son revolver, et abat le guide.
Et tandis qu'il s'écroule frappé à mort" il rassemble ses
l dernières forces pour indiquer le bon chemin en disant:
« Suivez cette direction, sinon vous êtes perdus ».
QU'EST-CE QUE LA CROIX DE JÉsus POUR NOUS?
Le Christ, notre guide, indique aussi en mourant
le chemin de la Vie à la caravane humaine qui chemine
La croix, de Jésus est pour nous: A) une indication; dans le désert de cette terre. En étendant ses deux bras,
B) un rachat; C) une miséricorde et D) une consolation. Il lui crie: « Suivez la direction que vous donne la croix,
A) La croix, du Christ est une indication pour nous. sinon vous êtes perdus ». Écoutons seulement ces
a) Notre-Seigneur a certes beaucoup prêché, mais paroles de saint Pierre : « Le Christ a souffert. ~our
jamais aussi éloquemment et aussi efficacement que sur nous, nous laissant un modèle, afin que nous SUIVIOns
la croix. Ce qui, en ce monde, a une valeur véritable ses traces » (10 S. Pierre II, 21).
et ce qui a une vaine apparence, ce qui est totalement b) Mais la croix du Christ est une indication pour
mauvais et ce qui est véritablement bon, ce que je dois nous encore à un autre point de vue. '
redouter et ce que je dois imiter, la monstruosité du L~ croix du Golgotha a donné à l'humaruté la réponse
péché devant Dieu, la réparation qu'elle exige, le chemin vainement attendue pendant des siècles tau problùne
que je dois suivre, si je veux arriver à la vie éternelle, angoissant de la souffrance. .
tout cela est enseigné de façon très sûre par la croix. Quelle mélancolie, quel impuissant pessimisme sur
La provision d'eau 'd'une caravane cheminant dans les lèvres de ceux qui, ';avant le Christ, ont cherché
le désert touchait à sa fin; la chaleur semblait insuppor- la solution de ce problème! Quel désespoir dans ces
table, les hommes devenaient de plus en plus impatients, paroles d'un des plus grands philosophes grecs: Mieux
de plus en plus nerveux. Mais voilà que devant leurs vaut pour l'homme de n'être point né; et s'il est. né,
yeu", sUrgissent des palmiers et une -oasis verdoyante le mieux est qu'il meure bientôt! Quelle mélancollque
-, ", leur fait signe. Ils veulent s'y précipiter, mais le guide aspect du problème de la souffrance nous offrent les
les retient: « Restez tranquilles. Ce n'est que le mirage ». traits du groupe de Laocoon ou les tragédies de Sophocle
,Torturés par la soif, ils continuent leur route. Leurs et d'Euripide! La vue de la méchanceté du monde a
:"Ir':
,', .\
1
fait dire avec amertume à un de; auteurs de la Sainte que, sâns le concours de. la main, de Dieu, la vie ne
-; ' 1 Écriture, à l'auteur de l'Ecclésiaste : « J'ai trouvé les pourrait lui offrir que l'amertume des problèmes inso-
morts plus heureux que les vivants et plus heureux lubles. Du reste, nos plus grands esprits l'ont toujours
que les uns et les autres celui qui n'est pas encore compris et proclamé, pour citer seulement le « Promé-
arrIvé à l'existence et qui n'a pas vu les mauvaises théeenchaîné « d'Eschyle, le « Parsifal .» de Wolfram
actions qui se commettent sous le soleil» (Ecclésiaste von Eschenbach, la « Divine Comédie » de Dante,
IV, 2-3). « La Tempête» de Shakespeare, le « F~ust » de Goethe
.,
." Et à toutes ces questions angoissantes le Christ nous et « La tragédie Humaine » de Madach .
a répondu du haut de la croix. Du haut de cette croix Mais depuis que le sang du Christ a coulé sur l'âme
où fut atteint le maximum de souffrances imméritées. humaine, nous 'sommes véritablement rachetés et la
Et le Christ, qui sur terre avait le moins mérité la forteresse divine de la vie éternelle peut être élevée
souffrance, la prit cependant sur ses épaules dans une dans ' nos âmes.
mesure supérieure à tout ce que l'on avait jamais souffert Connaissez-vous la légende de Clément Komives?
sur cette terre. Et de plus Il la prit volontairement, Cette légende d'après laquelle les maçons mélangent
afin de satisfaire ainsi pour les péchés des autres. C'est du sang humain au mortier qui servira à construire la
pourquoi tout homme qui souffre se sent soulagé, s'il forteresse, afin qu'elle puisse braver t9us les assauts?
jette ses regards sur la croix où sou.ffre le Christ. Eh bien 1 depuis que le sang de Jésus a coulé sur nos
. Dès lors toute souffrance humaine se transfigure, si âmes et circule dans nos veines, le royaume imprenable
nous l'unissons aux souffrances du Sauveur. de la vie éternelle peut être édifié en nous, dans notre
C'est ainsi que la croix de Jésus est une indication âme rachetée. C'est ainsi que la: croix du Christ est
pour nous. devenue notre salut.
E) Mais la croix du Christ est aussi devenue notre C) La croix du Christ est enCore le signe de la miséricorde.
rachat. Sans les mérites rédempteurs du Sauveur, Que notre Père céleste soit véritablement et infiniment
aujourd'hui encore nous ne serions pas rachetés. , miséricordieux pour ceux qui se convertissent, que
L'orgueilleuse humanité avait souvent voulu se notre soif du pardon de nos péchés ne soit pas le rêve
racheter elle-même; elle croyait qu'elle pouvait se fiévreux d'un {lécheur aux abois, mais une sainte réalité,
suffire à' clIe-même, que suffisaient à son bonheur le c'est ce que )montre avec une parfaite clarté Notre-
laboratoire, l'usine, la machine, la mine, la technique, Seigneur Jésus-Christ sur la croix, le miséricordi,e~x
le chemin de fer, le dirigeable ... Mais aux époques de Sauveur en accueillant le bon larron. .
. grandes déceptions, comme celles que nous vivons Que se passa-t-il dans l'âme du bon larron, lorsque
actuellement~ il lui fallut reconna~tre de plus en plus, sur la croix, il balbutia ses paroles de repentir, l'évangile
LE SYMBOLE DES APÔTRES IL A ÉTÉ CRUCIFIÉ
n'en parle pas, mais il n'est pas difficile de se l'imaginer. de votre vie passée, vous qui n'osez pas compter sur un
Il entendait les clameurs du peuple aveuglé contre le pardon miséricordieux, regardez donc; ' voici le chemin
Christ, il entendait les blasphèmes de l'autre brigand du salut: ayez confiance, ayez confiance, dans le pardon
crucifié avec lui et alors, à sa dernière heure, il ne put divin, disons tout bas, avec contrition, nos péchés
résister davantage à la grâce divine, "'qui jusqu'à ce dans le confessionnal, faisons pénitence et ne péchons
moment avait en vain frappé à la porte de son âme. plus. - .. . _
Tous les forfaits de sa vie passée défilèrent devant « Qui Mariam absolvisti et latronem' exaudlstl, mlhl
lui et de ses yeux vitreux jetant un regard sur .le Christ quoque spem dedisti » récite l'Église dans cette magni-
dont le sang coulait à ,côté de lui, il exhala ces fique séquence du « Dies irae ». « Vous qui avez absout
paroles ,de repentir : « Seigneur, souvenez-Vous de Marie-Madeleine la pécheresse et exaucé le larron,
moi, quand Vous serez daris votre royaume )) (S. Luc à moi aussi Vous avez donné l'espérance ». C'est ainsi
XXIII, 42). Et le Fils de Dieu agonisant lui que la croix de Jésus est devenue le signe -de la
donna aussitôt l'absolution : « En vérité, je te le dis, miséricorde.
aujourd'hui même tu seras avec moi dans le paradis )) D) Et enfin la croix du Christ est égal~ment pour no.us
(S. Luc XXIII, 43). une marque de grande consolation. DepUiS que le Chnst
Arrêtons-nous, un instant, mes frères. On ne veut est mort sur la croix, ce signe d'infamie est devenu un
pas en croire ses oreilles. Pourquoi? Dieu n'est-il pas sigrie de consolation pour toute âme qui aime Dieu.
miséricordieux? N'est-ce pas assez pour Lui qu'une U ne croix se dresse sur les tombes chrétiennes et ce
parole sortie d'un cœur contrit? Ne suffit-il pas de signe sacré est pour nos sépultures l'unique consolation
prononéer avec repentir le nom de Jésus? Oui, nous qui ne soit pas muette et qui ne demeure pas comme un
. devons croire que cela suffit ; le Dieu des miséricordes mot impuissant devant la sévère majesté de la mort :
a pardonné. elle nous parle de la 'Oie éternelle par delà la tombe.
Il est vrai que le larron converti dut encore expier Près de l'île d'Helgoland, au milieu des flots sauvages
avant d'entrer dans le paradis, mais après l'expiation de la Mer du Nord, se trouve un petit banc de sable:
l'attendait la miséricorde divine. Il est vrai qu'il lui personne n'y habite, il y a là se~le~ent. un ~imetière
fallut encore souffrir horriblement : les soldats romains enseveli dans le calme. On peut a peme Imaglller plus
lui brisèrent les jambes sur la croix. A celui qui s'est ttiste abandon, on peut difficilement ressentir une plus
déjà cassé une jambe, ai-je besoin de dire quelle peine pénible impression que dans ce petit cimetiè~e où sont
signifiait cette expiation? Mais après cette peine enterrés ces morts inconnus dont les flots rejettent les
l'attendait la miséricorde divine. cadavres sur le rivage d'Helgoland. Le nom de ce
, l\fes frères, v0:t:Is qui ê~~ si effrayés pat les déficiences ,cimetière est évocateur de bien des douleurs :. « L~,
tE SYMBOU; DES APÔTRES
IL A ÉTÉ CRUCIFIÉ 39 1
cimetière des sans pays ». On ne sait pas qui ils étaient, après de nombreux errements spirituels, que la mort
.<
· .1 on ne sait pas d'où ils venaient, on ne sait pas qui les approchait, prononça ces quelques mots : « Placez une
pleure à la maison, ici ils reposent dans le calme et le croix sur ma tombe avec cette inscription : Ave crux,
silence. Il n'y a pas sur la ~erre plus grand abandon ... spes unica ».
et pourtant, mes frères, en quelqu'endroit de la terre Salut, croix sainte, notre unique espérance! Salut,
que soit creusée notre tombe, quand ce serait sur un ô Christ qui avez été condamné à la mort de la croix et
banc de sable inconnu de l'immense océan, nous ne· Vous êtes imposé ce sublime sacrifice à cause de moi!
<
somn:es pas abandonnés, nous ne sommes pas seuls et, Salut, ô Christ qui, aujourd'hui encore, êtes condamné
ce qUI est. le plus important, nous ne retournerons pas par tant d'hommes au su~plice .d.e la croi~! Je Vous
sans espOIr en poussière, si ... si sur notre tombe brille en prie, donnez-moi la mam et dIrIgez ma VIe, a:fi~ que
r"' ,
la croix consolante du Christ, la croix bénie de Notre- moi, je ne Vous condamne pas à la mort de la crOIX par
Sez"gneur Jésus-Christ.
ma vie, mes paroles, et mes actes, mais si Vous, Vous
L'art a élevé sur les tombes de magnifiques monu- êtes mort pour moi, moi aussi je peux mvre pour Vous,
ments, mais moi je n'en ai pas besoin. Que sur ma . vivre conformément à vos saints commandements ....
to~be ne. se dresse pas d'autre signe que la croix, la Salut, croix sainte, croix bénie du Christ 1
crOIX béme sur laquelle Notre-Seigneur a versé son
sang pour moi 1 Car je dis avec saint Jean Damascene :
La croix est un bouclier, une arme et un signe de II
, ':, victojre contre le démon, elle est la résurrection pour les
morts, un appui pour ceux qui sont debout, un soutien . '« J'AI ÉTÉ CRUCIFIÉ AVEC LE CHRIST ».
pour les faibles, un bâton pour les pasteurs, un guide
pour les convertis, un gage de succès pour ceux qui Non seulement l'apôtre saint Paul pense à la croix
progressent dans le bien, un signe de salut pour le corps du Seigneur avec un amour enthousiaste, non seulement
et l'âme, un protecteur contre tous les maux, la source « il s'en glorifie », mais encore il indique la grande
de tout bien, l'arbre de la vie éternelle. condition dont la réaiisation assure les bénédictions de
Et je reconnais avec saint Paul : « Pour moi, Dieu la crQix.
me garde de me glorifier, si ce n'est dans la croix de Voulons-nous que toutes les bénédictions méritées
Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui le monde est par la croix de Jésus se réalisent aussi en no~s? Alors
crucifié pour moi, comme je le suis pour le monde » considérons et observons l'avertissement de samt Paul:
(Galates VI, 14). « Christo confixus sum cruci », « J'ai été crucifié avec
,Strindberg, le grand poète ~uédois, lorsqu'~l sentit; le Christ» (Galates II, 19).
r.. :
J'
:' 1
li Il dirigea ses yeux mourants vers l'Occident ... par delà
les mers ... par delà les siècles ... Il regarda bien loin
vers l'ouest et de son œil divin qui voit tout, Il embrassa
tous les peuples qui un jour entreraient dans son bercail,
Il nous aperçut tous, Il m'aperçut moi aussi... Main-
tenant voilà que se posent sur moi les yeux du Christ
à l'agonie et que coule sur moi le sang divin.
« Que soh sang retombe sur nous» hurlait la populace
déchaînée qui blasphémait au pied de la croix ». Que
votre sang retombe sur moi » demanderai-je avec une
profonde humilité. Que votre croix soit pour moi un
guide! Que votre croix soit mon salut! Que votre croix
./
1
1
1
l"
Î « TOUT EST CONSOMMÉ » 399
01)" 1 Tout est consommé, a proclamé a~ monde, au milieu
des ténèbres du Vendredi saint, le Christ expirant.
. ,
1 Et nous, ses fidèles reconnaissants qui vivons, dix-
XXVII neuf siècles plus tard, efforçons-nous, en ces instants
solennels, de pénétrer le sens de ces mots merveilleux :
« Tout est consommé », Demandons-nous ce qui a été
(c TOUT EST CONSOMMli J)
"i consommé, précisément à cette minute émouvante.
(ST JEAN X IX, 30 ). La parole du Christ est accomplie : Le Fils de
l'homme est venu pour « donner sa vie pour la rédemp-
tion d'un grand nombre)) (S. Matthieu XX, 28). Elle
MES FRÈRES, s'est accomplie aussi cette autre parole du Sauveur :
« Dieu a tellement aimé le monde qu'Il a donné son
dé~~teque ,nous cé~ébr,ons aujourd'hui n'est Fils unique » (S. Jean III, 16).
, malS une VIctoIre, pas une Cela veut dire: l la misûon du Christ est achevée et
Les larmes q consommée et II l'amour de Dieu est achevé et consommé.
ue nous versons au' d'h'
pas des larmes de d '1 ,Jour Ul ne sont
,
reconnaIssance, eUl, malS des 1armes de
'~, 1 ii , Cdui
, qui est mort aUJourd'hui
' ' ,
•
., ,
périr dans 1; .
ceux de Bab lone "
mIS re, une SOCIété
1
.
es pa aIS comme
'è ~ats d autr: part laisse le peuple
.
ses ailes, et tu n'as pas voulu!» (S. MatthJeu XXIII, 37).
Quelle douleur pour Jésus, lorsque, du haut de la
dissipe'-des fortunes dans l' . qUI, nUIt . et jour, croix, Il jeta les yeux sur la ville infidèle et sut que sa
laqueHe 1'1' d'ffé d orgIe; une société dans ruine approchait! Mais mon âme également est une
n 1 rence e l'opin' br
toutes les abomin t' IOn pu Ique sanctionne Jérusalem. Toute ', âme humaine est une Jérusalem, la
fid T a IOns morales; une société ù 1
e Ité conjugale et l'indissolubilité du . l' 0 a ville sainte de Dieu; ah! quelle souffrance pour le Christ.
et l'acceptation de rem: t manage, amour s'il Lui faut prévoir la ruine de cette ville! Parce qu'elle
une société où les m' an sont tournés en dérision; est pleine d'immondices. Parce que ses rues four-
ams,nettes la pur té d .
et la fidélité au d ' ,e e conscIence millent d'insectes hideux et que toute une armée de
evolr sont regardées comme des articles
rats y circule.
LE SYMBOLE DES APÔTRES
« TOUT 1'ST CONSOMMÉ »
Celui donc qui aime ce ' Ch' "
a pitié du Christ s ff nst SI aImant et celui qui
.
conserver son âme sa é h
ou rant cel '1' '
Ul- a s efforcera de
II
fidèle au pied de la c ~s. pc. é, . de la garder pure et
rOIX, maIS SI le p' h' bl '
âme, avec une âme é . . ec e a esse son
·
1a crOIX et récitera P llltente Il s'a '11 L'AMOUR DE DIEU POUR NOUS EST ACCOMPLI.
'. genoUl era devant
avec repentIr la prière de . l'Égl'Ise:
Les dernières paroles du Sauveur ne nous apprennent
Les. ~tendards du Roi s'avancent;
l'u J ,
:1 pas seulement que notre r.édemption est accomplie,
Il VOl CZ que brille le m1Jstere de la C ' arrivée à son terme. Ces paroles nous rappellent aussi
0'u leereateur
' de Jla vie rozx
les sentiments d'un cœur humain à l'agonie, car main-
Fut suspendu dans sa chaz'r aUgl'0 et, tenant, au moment de la mort du Sauveur, brille devant
nos yeux l'amour de Dieu pour nous, maintenant
Arbre précieux et éclatant d.e l ' s'accomplissent ces paroles de la Sainte Écriture
P, 'é d g Olre
al e la pompre du R . ' que dans l'Ancien Testament Dieu a prononcées au
T oz,
u fus appelé, en ton noble tronc sujet du peuple élu: « Je t'ai aimé d'un amour éternel;
A .toucher
.
des membres st. saznts
. ' c'est pourquoi j'ai prolongé pour toi la miséricorde »
(Jérémie XXXI, 3),
Salut ô C . .
E '. rOIX, notre unique esPérance A) Quelle bienfaisante et réchauffante expression que
. ')-Pl ,
'1·,' n ce temps de la Passion ' ce passage de nos Saints Livres où nous trouvons
(' .., Accorde auxJ'u t '
_E . s es un accrOIssement de A résumé tout l'amour qui remplissait les profondeurs
t le pardon aux Pécheurs. graces du Cœur divin du Christ! « Je t'ai aimé d'un amour
,1
éternel .»,
:" 1
La reviviscence de cet amour ré On ne peut jamais assez méditer ces paroles . « Je
'l'
teur, repentant dans 1 ,concl Iateur, expia- t'ai aimé d'un amour éternel ». Y a-t-il dans le monde
e cœur humaI '1
et le plus saint souvenir d n seraIt e meil1eur un amour éternel? Les hommes, les amis, les fiancés se
il est impossible que t e cette année jubilaire, Mais promettent mutuellement une fidélité éternelle, un ·
ce amour exp' t '
'f" '
pas en nous, si nous étud' 1 la eur ne s éveille amour éternel, mais le temps, n'est-il pas vrai, recouvre
de ce cri; « Tout est con IOns a second ' 'fi bientôt de poussière ces promesses et la mort déchire
' .e SIglll cation
. somme ».
impitoyablement ces liens d'amour éternel?
, ',' y a-t-il réellement dans le monde un amour éternel?
Qui m'aimait il y a cent ans? Il y avait alors déjà des
LE' SYMBOLE DES APÔTRES
a TOUT EST CONSOMMÉ »
."
"
',:
4 12 TABLE DES MATIÈRES
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1
XXVI. Il a été.crucifié ..................... ........... ....... 38 2
XXVII. cc Tout est consommé,.............................. 398
,
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