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géographie

économie
Géographie, économie, Société 11 (2009) 213-232
société

Compétences et dynamiques territoriales :


quelles interactions ?

Interactions between abilities


and territorial dynamics

Maïten Bel
IDEP-GREQAM-CNRS
2 rue de La Charité - 13236 Marseille Cedex 02

Résumé
Les compétences des personnes présentes sur un territoire contribuent-elles à son destin  ?
Ainsi posée, la question incite à réfléchir différemment à l’orientation à donner aux politiques
publiques notamment en matière de formation. En effet celles-ci considèrent trop souvent la
compétence comme une variable d’ajustement qu’il s’agit d’adapter par l’injection de forma-
tion. A partir d’une analyse fine des dynamiques d’évolution des activités économiques les plus
importantes sur le territoire du Briançonnais et des modes de construction et de mobilisation
des compétences engagées, on propose ici quelques pistes de réflexion. La construction de la
compétence relève de processus complexes engageant la formation, mais aussi l’expérience,
les réseaux sociaux, la culture professionnelle. Si les compétences des individus contribuent
aux dynamiques territoriales, celles-ci nécessitent également l’engagement de compétences
collectives. Ces dernières relèvent de la capacité à dégager des intérêts communs et à trouver
les ressources nécessaires pour défendre ces intérêts, dans une sorte de tension entre capacité
à coopérer au niveau local et proximité des ressources à mobiliser.
© 2009 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

*
Adresse email : marie-therese.bel@univmed.fr
doi:10.3166/ges.11.213-232 © 2009 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.
214 Maïten Bel / Géographie, économie, Société 11 (2009) 213-232

Summary
Do abilities of people who belong to a territory contribute to its destiny? This question implies to think
about how to choose public policies that decide of formation. These policies usually consider that abi-
lities are not central to development, and that they can be produced by a simple addition of teaching.
We analyse the dynamics of evolution of the most important economic activities near Briançon and
the way abilities are built and used. From this analysis we deduce that abilities are consequences of
complex processes that depend on teaching but also on experience of social networks, and working
culture. Abilities of individuals contribute to territorial dynamics, but these dynamics also rely on
collective abilities. Collective abilities are the result of the identification of common interests and the
gathering of resources that enable to protect common interests. There is a kind of tension linking the
ability to cooperate at the local scale and the proximity of needed resources.
© 2009 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

Mots clés : Compétence- territoire-mobilité


Keywords: Abilities - territory - mobility

Les économistes ont appréhendé le territoire principalement à partir de la question des


dynamiques productives1. Le territoire, par les coordinations qui s’y construisent, inter-
vient de façon active dans la formation et la transformation des activités économiques.
Dans cette perspective, les qualifications et les compétences sont souvent considérées
comme une variable d’ajustement que l’on adapte par l’injection de formation initiale
et continue, voire en important des populations nouvelles aux qualifications adéquates.
On propose ici d’aborder cette question en déplaçant ce point de vue et en privilégiant
le rôle des compétences présentes sur un territoire dans les dynamiques qui l’animent.
Autrement dit, sous cet angle, la question devient : comment les compétences des per-
sonnes présentes sur un territoire contribuent-elles à son destin ? Après avoir précisé nos
hypothèses et les notions mobilisées dans cette présentation, on illustrera cette question à
partir de la présentation des évolutions d’un territoire, le Briançonnais2.

1. Problématique et hypothèses

Les questionnements suscités par la prise en compte des territoires se sont multipliés dans
différents champs disciplinaires, interrogeant la pertinence même de la notion et son carac-
tère opérationnel en matière d’action publique, de gestion de l’espace et d’efficacité dans
1
Les réflexions sur le rôle de l’espace dans les dynamiques économiques ont été développées par les éco-
nomistes industriels et les géographes, pour lesquels les questions du travail et de la formation ne sont pas des
sujets centraux. On renvoie sur ce point au numéro spécial de la Revue d’Economie Régionale et Urbaine, n°3,
1983 qui fait le point sur l’historique de l’approche du territoire par les économistes, et aussi à l’ouvrage B.
Pecqueur, J.B. Zimmerman (éds.), 2004, Economie de proximité, Lavoisier, qui présente les problématiques
récentes autour du traitement de l’espace par l’approche économique.
2
Cette présentation est issue d’un travail intitulé « Gens de métiers, acteurs du territoire. Le rôle des com-
pétences dans les dynamiques territoriales, l’exemple du Grand Briançonnais, territoire de montagne », janvier
2009, Observatoire Régional des Métiers, Marseille. Ce travail a été réalisé par une équipe composée de M. Bel
(IDEP-GREQAM, CNRS), A. Lamanthe et S. Landrier (Centre associé CEREQ, LEST-CNRS), S. Inthavong
(ORM).
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les coordinations économiques. Chaque communauté scientifique de géographes (Vanier,


2009), économistes (Pecqueur et Zimmerman, 2004) et politistes (Faure et al., 2007 ; Le
Galès, 2004) est amenée aujourd’hui à faire le point sur ce thème présent depuis plus de
vingt ans dans leurs approches. Les chercheurs de ces différentes disciplines, investis dans
les « sciences du territoire », sont amenés à confronter leurs points de vue (Vanier, 2009).
Si les politiques publiques en matière d’emploi et de formation s’inscrivent de plus en
plus fortement à l’échelle locale, paradoxalement, la lecture problématique à partir du terri-
toire des relations d’emploi et de l’existence d’un rapport salarial local (Mériaux et Verdier,
2009 ; Perrat, 2005) est encore largement à développer. On peut faire le même constat à
propos du triptyque emploi-formation-territoires (Bel, 2007 ; Azaïs et Giraud, 2009).
Le travail présenté ici s’attache à cette relation : emploi-formation-territoire. Il place la
question de la construction et de la mobilisation des compétences au centre de l’analyse.
Ce point de départ implique l’approfondissement de différentes questions.
D’une part, il s’agit de s’interroger sur la façon dont la population du territoire a contri-
bué et contribue à son évolution. Il ne suffit donc pas de s’intéresser aux mutations macro-
économiques et sociales qui l’affectent. Il faut comprendre la façon dont les compétences
sont produites et mobilisées dans les activités productives et la façon dont elles contri-
buent aux dynamiques en cours. De ce point de vue, le territoire produit et mobilise des
compétences, considérées comme des ressources (Pecqueur et Ternaux, 2006) à côté ou
avec d’autres facteurs (capitaux, normes et règles, équipements, ressources naturelles…)
issus ou non du territoire. D’autre part, il s’agit de prendre en compte l’ensemble des pro-
cessus de production des compétences et qualifications professionnelles et de leurs modes
de mobilisation. Ces processus peuvent être très formalisés comme la formation initiale,
les politiques de formation continue des entreprises ou bien encore les dispositifs publics
s’adressant aux demandeurs d’emploi. Ils peuvent être plus diffus quand ils relèvent de
logiques d’accumulation de savoirs et d’expériences selon des formes diverses : mobilité
professionnelle, transmission familiale et communautaire.
La production de compétences et leur implication dans les activités économiques
relèvent de processus multiples. Ces combinaisons adoptent des formes hétérogènes
d’un territoire à l’autre, conduisant ainsi à des « constructions situées » (Zimmermann,
2008). Enfin, il s’agit de prendre en compte les capacités des acteurs du territoire à
s’organiser collectivement pour créer et/ou attirer des ressources publiques ou privées.
On observe que le cadre institutionnel qui structure l’action publique est mobilisé de
façon diversifiée selon les territoires (par exemple, la capacité des communes à tra-
vailler ensemble, à définir des objectifs communs…, connaît des déclinaisons territo-
riales variées). De même, sur un territoire, des associations, constructions locales spéci-
fiques, peuvent influer sur les modalités d’évolution de certaines activités. On peut faire
l’hypothèse d’un lien entre ces capacités, l’histoire du territoire et les compétences dont
il est porteur. Autrement dit, il s’agit de considérer que les territoires ne sont pas seule-
ment des réserves de ressources, mais aussi le résultat de jeux d’acteurs qui participent
à leur construction et à leur destin. Plus largement, les dynamiques territoriales sont
façonnées par l’articulation d’actions individuelles et d’actions collectives, de phéno-
mènes micro-sociaux et de cadres, institutions et réseaux nationaux.
Ce point de vue implique de mettre en question l’hypothèse d’une relation étroite entre
formation et emploi. La critique d’une approche de la relation entre l’emploi et la formation
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au niveau national s’est développée dès les années 1970, en mettant en cause les approches
mobilisées dans les exercices de construction des différents plans (Tanguy, 1986). Par
contre, bien souvent, les approches développées au niveau régional ou infra régional pour
étayer les politiques publiques en matière de formation, s’appuient sur une confrontation
entre offre de formation et emplois présents ou prévus dans l’avenir. La critique et les dan-
gers de ces approches ont déjà été présentés (Bel et Berthet, 2009). Mais ici, on cherche
aussi à mettre en avant la complexité de cette relation, en particulier au niveau local, et la
nécessité d’élargir les fondements de l’action publique dans ce domaine. En effet, dans les
processus d’intégration des personnes dans l’emploi, si la formation joue un rôle, elle est
associée à d’autres composantes concernant l’acquisition des compétences, les formes de
représentation du travail, les modes d’exercice de l’activité et les réseaux sociaux.
Cette hypothèse renvoie, de façon implicite, à l’idée d’une cohérence entre les activités
productives et les compétences présentes sur le territoire : qualifications et savoir-faire,
capacités individuelles et collectives à mobiliser des ressources pour évoluer, s’adapter
ou anticiper les transformations des contraintes productives. Les évolutions du territoire
posent la question du maintien de cette cohérence qui, en fonction des dynamiques à
l’œuvre, peuvent devenir problématiques. Elles renvoient donc aussi à l’analyse de leurs
modalités : par qui et comment le changement est-il introduit ?
Le cadre des hypothèses formulées ici conduit alors à revisiter les formes empruntées
par les politiques publiques visant à accompagner les dynamiques territoriales et à mainte-
nir cette cohérence entre activités productives et compétences. En effet, ainsi formulée, la
question recoupe les préoccupations des acteurs publics3. Les politiques publiques visent à
accompagner le développement économique et à soutenir l’emploi, en s’appuyant notam-
ment sur les politiques de formation. Le processus de décentralisation, caractérisé par un
retrait partiel de l’Etat et un transfert des compétences vers les collectivités territoriales,
conduit à l’émergence d’autres modes de définition et de régulation dans la conduite des
politiques publiques. Les collectivités territoriales, et en particulier les conseils régionaux
qui sont chargés du développement de la formation professionnelle, s’interrogent sur l’orien-
tation à donner aux politiques de formation pour qu’elles accompagnent utilement les dyna-
miques des territoires, à la fois en tant que périmètres d’intervention de l’action publique et
lieux de confrontation entre offre et demande de formation et d’emploi. Le travail présenté
ici invite à élargir la réflexion en matière de politique de formation en dépassant la simple
confrontation entre offre d’emploi et qualification des personnes présentes sur le territoire.
Pour fonder cette analyse, nous nous sommes appuyés sur le cas du Briançonnais.
Les données étudiées concernent la zone d’emploi du Briançonnais. Ce périmètre résul-
tant d’un découpage technique de l’espace recouvre également le périmètre politique du
« Pays du grand Briançonnais, des Ecrins et du Queyras ». Le caractère contingent et
limité de ces périmètres a déjà été souligné (Vanier, 2008). Il nous semble cependant
possible de considérer que les informations recueillies reflètent d’assez près les différents

3
Le travail présenté ici résulte d’une étude réalisée pour l’Observatoire Régional des Métiers (ORM) de la
Région PACA. C’est un des Observatoire Régionaux Emploi Formation. Ces structures ont été créées peu après
la décentralisation pour aider les acteurs publics (collectivités territoriales, structures régionales ou locales de
différentes administrations) dans leur conception et mise en place d’actions publiques dans le champ de l’emploi
et surtout de la formation. Ce sont des structures d’observation, d’étude et d’expertise. Ces OREF sont de plus en
plus souvent interrogés par les acteurs publics sur la façon de conduire des politiques à un niveau infra régional.
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mouvements qui ont affecté le territoire. Le travail de terrain a été réalisé en privilégiant
une entrée par les activités économiques : quelles sont les activités les plus importantes ?
Comment évoluent-elles dans le temps ? Quelles sont les compétences mobilisées ?
Dans un premier temps, l’exploitation des données statistiques disponibles concernant
la population, l’emploi, l’appareil de formation (recensements de la population, Assedic
concernant les établissements et leurs effectifs, données fournies par l’Education natio-
nale) a permis de repérer les caractéristiques majeures de ce territoire. L’analyse de ces
informations en dynamique met en évidence les évolutions principales qui ont affecté la
zone sur la longue durée (une trentaine d’années) tant du point de vue de la population,
de l’emploi que des évolutions des secteurs d’activité et des métiers. Une analyse de ces
données a permis une première compréhension du territoire et des principales évolutions
qu’il a connues sur les vingt dernières années. Nous avons ensuite longuement interviewé
trois « personnes ressources », choisies par leur connaissance de ce territoire sur lequel
elles travaillent et habitent. Ces entretiens ont permis de préciser notre connaissance et de
recueillir les références de différentes personnes qu’il leur paraissait utile de rencontrer en
raison de leur position institutionnelle, de leur rôle et de leur trajectoire.
Ainsi ce travail est essentiellement fondé sur une soixantaine d’entretiens permettant de
recueillir des données plus qualitatives. Ces entretiens ont été conduits auprès des acteurs
impliqués dans les activités économiques (chefs d’entreprise, salariés, organisations profes-
sionnelles), acteurs de la formation tant initiale que continue (responsables d’établissements
et de centres de formation). Une autre partie des entretiens a été menée auprès de respon-
sables institutionnels (collectivités territoriales, antennes locales d’administrations, …). En
fonction de l’interlocuteur, les questions portaient sur : l’histoire, le rôle et la composition
de la structure, et plus précisément sur les personnes au travail, leur mode de recrutement
et leur statut. Enfin, des entretiens ont été conduits auprès de personnes impliquées dans
l’exercice d’un emploi. Le questionnement visait à leur faire retracer leur parcours de vie :
lieux d’habitation, formation initiale et continue, activités professionnelles en faisant préci-
ser à l’interlocuteur le contexte et les raisons de ses choix4.
Avant de développer ces différents éléments il est important de préciser le sens donné
à différentes notions employées dans l’analyse.

4
Acteurs interrogés :
Secteur d’activité Nbre Caractéristiques
Industrie 4 Chefs d’entreprise et salariés
Sport 6 Indépendants, représentant d’associations
Sanitaire 2 Directeurs d’établissement
Tourisme 11 Organisations professionnelles, chefs d’entreprise, salariés
Transport 1 Salarié
BTP 3 Chefs d’entreprise et organisations professionnelles
Services publics et parapublics chargés 5
de l’emploi et l’insertion
Formation 7
Collectivités locales 12
Syndicats UL/UD 2
Associations 3
Personnes ressources 3
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1.1. Compétences individuelles et collectives

On préfère ici employer la notion de compétence plutôt que celle de qualification.


Cette dernière en effet se réfère prioritairement aux qualifications professionnelles
(mises en œuvre dans le cadre d’un emploi salarié ou d’une activité de travail non
salarié, reconnues par des coefficients dans le cadre d’une classification ou ren-
voyant à un métier, à une profession). La notion de compétence, aujourd’hui source
de nombreux débats et réflexions, élargit ce spectre à des capacités dépassant la
qualification. Elle implique en effet une référence plus large à la construction de
la compétence qui mobilise la formation formelle, mais aussi d’autres dimensions.
Pour les spécialistes du travail, la compétence est un mélange de trois composantes :
les savoirs théoriques et procéduraux, les savoir-faire ou « habiletés » et les savoirs
pratiques ou qualités personnelles5. C’est cette acception qui est utilisée dans les
opérations de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC). Notre
problématique demande de dépasser la seule prise en compte des dispositifs for-
malisés de formation (l’offre de formation locale via les établissements scolaires
et les organismes de formation continue, les dispositifs publics) pour l’élargir aux
modalités informelles de l’acquisition de la compétence : savoirs accumulés par une
personne au cours de son expérience professionnelle, transmission générationnelle,
socialisation familiale et professionnelle, appartenance à des réseaux, savoirs peu
visibles car non certifiés par un diplôme ou validés par une classification dans un
emploi. L’usage de la notion de compétence renvoie aussi à une conception large
de la mise en œuvre dans le travail : dimensions relationnelles, insertion dans des
réseaux, capacités à créer et à mobiliser des ressources….
Enfin, cette analyse utilise la notion de compétences collectives. Elle s’adresse à des
groupes, des ensembles d’acteurs et renvoie à deux acceptions différentes. La première
concerne les compétences détenues par une partie significative de la population active.
De ce point de vue, la notion de compétences peut caractériser un territoire en termes de
savoir-faire qui lui est propre. Mais cette notion renvoie aussi aux capacités des acteurs
à se mobiliser collectivement pour agir, pour construire, définir et défendre des intérêts
communs, se procurer des ressources.

1.2. La notion de territoire

La définition du territoire est largement débattue dans la communauté scientifique.


On retiendra que cette notion relève de la conjonction de la proximité géographique des
acteurs et de la proximité organisée qui les unit. On entend par là une ou des références
communes aux acteurs, soit parce qu’ils partagent une histoire, des normes et des règles,
soit parce qu’ils ont un projet commun (Zimmermann, 2008). Mais on insistera plutôt
sur certains aspects particuliers de cette notion qui sont importants dans notre analyse,
c’est à dire ceux qui renvoient à un ensemble de caractéristiques socio-économiques
faisant système (caractéristiques des activités présentes, de la mobilisation du travail,

5
Une plus ample explicitation de ces définitions est présentée in : Guy Le Boterf, Repenser la compétence.
Pour dépasser les idées reçues : 15 propositions, Editions d’Organisation, Eyrolles, 2008
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types de dynamique…). Pour autant, le territoire ne doit pas être perçu comme un vase
clos mais comme le lieu de rencontre de logiques issues d’aires géographiques plus
larges et différenciées. Il est en interaction avec un « extérieur » et des facteurs externes
viennent jouer sur sa dynamique (ce sont des personnes, des politiques publiques, des
politiques d’entreprises et de groupes….). La mobilité professionnelle et géographique
et les trajectoires des personnes (qui vivent sur le territoire, qui viennent s’y installer ou
qui en partent…) sont pour nous une dimension centrale dans l’analyse de la plasticité
d’un territoire et de ses interactions avec un extérieur.

1.3. Les dynamiques territoriales

Les territoires ne sont pas des entités statiques. Ils connaissent tous des évolutions
de leurs caractéristiques démographiques et socio-économiques. En ce qui concerne
l’activité productive, déterminante de l’emploi, les évolutions sont essentiellement
liées aux transformations des conditions de concurrence et des modes de production
(Courlet, 2001) et aux capacités de réaction mises en oeuvre. On préfère ici le terme
de «  dynamique territoriale  » à celui de «  développement  », implicitement porteur
d’une notion de progrès. Or, ces évolutions peuvent être positives  : l’activité éco-
nomique antérieure est dans une dynamique de croissance, la population ayant un
emploi s’accroît. Elles peuvent également permettre de remplacer une activité écono-
mique par une autre. Mais ces évolutions peuvent également être négatives : l’activité
économique décline, la population quitte le territoire ou est au chômage. Divers tra-
vaux, mobilisant économistes, géographes, sociologues, se sont attachés à l’analyse
de l’évolution des territoires (Garnier et al., 2003). En général, ils visent à analyser
les changements en mettant l’accent sur l’évolution des relations des entreprises entre
elles, entre entreprises et acteurs publics. L’attention est portée aux modes de coordi-
nations que les acteurs locaux6 et acteurs du local vont construire. Mais ces travaux
portent assez peu d’attention à la question des compétences, des qualifications et
donc de la formation traitée le plus souvent comme une variable d’ajustement.
L’étude des dynamiques territoriales privilégie une entrée par les activités produc-
tives présentes sur le territoire : les activités traditionnelles déjà implantées  (com-
ment elles évoluent, déclinent, se maintiennent, sont-elles en croissance ? comment
évoluent les qualifications mobilisées par ces activités, comment se renouvellent-
elles ? sont-elles un support des dynamiques ou en sont-elles « victimes » ?), les acti-
vités nouvellement implantées et/ou en émergence (y-a-t-il des activités nouvelles
qui se créent ? qui en est à l’origine ? quels acteurs sur la base de quelles compé-
tences et ressources ?). La dynamique s’appréhende dans le temps. Il s’agit donc de
repérer les évolutions et de s’intéresser à l’histoire un peu longue des territoires pour
en saisir les mouvements récents.

6
On qualifie ici « d’acteurs locaux » ceux qui sont sur le territoire, y travaillent et/ou engagent des res-
sources (par exemple des investisseurs locaux, engageant leur capital personnel ; par exemple aussi les collec-
tivités locales territoriales). On appelle « acteurs du local » les acteurs qui interviennent sur le territoire avec
des ressources extérieures (par exemple une entreprise qui crée ou rachète un établissement sur le territoire,
un ministère qui intervient par des structures délocalisées) et qui souvent sont porteurs de normes et de règles
venues d’ailleurs.
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2. Dans le Briançonnais, des relations entre compétences et dynamiques


territoriales qui sont aujourd’hui questionnées

C’est dans l’exercice du travail que s’articulent concrètement compétences et activité


économique. En privilégiant ce mode d’entrée, on montrera ici, à propos de quatre activi-
tés clés présentes sur le territoire, comment les compétences et leur mode de mobilisation
contribuent aux dynamiques en cours, mais aussi comment les articulations construites
entre activités, compétences, formation et mode de mobilisation dans le travail sont
aujourd’hui mises en œuvre et parfois remises en cause. On s’attachera, pour chacune de
ces activités, à faire ressortir le rôle des acteurs dans les dynamiques en cours.

Encadré n°1 
Le Briançonnais (35 000 habitants en 2008) est, dans la région Provence-Alpes-
Côte d’Azur, la zone la plus typique de l’économie touristique de montagne. Ses spéci-
ficités géographiques en déterminent largement les activités économiques et les modes
de mobilisation des compétences. Le territoire est marqué à la fois par l’enclavement
au milieu des montagnes, mais aussi par sa relative proximité de grandes agglomé-
rations (Grenoble et Turin) qui le tirent plus vers la région Rhône-Alpes et l’Italie
que vers Marseille et le reste de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. La préfecture,
Gap, est à plus d’une heure de voiture et cet éloignement complique les rencontres
entre partenaires, notamment publics et privés. Le caractère montagneux conditionne
l’activité économique et la vie sociale du pays, sa richesse mais aussi sa fragilité en
façonnent l’identité. Celle-ci est renforcée par une histoire singulière et forte qui a
longtemps marqué l’organisation collective locale : le Briançonnais est historiquement
relié au Dauphiné. Au début du XIVe siècle, à la suite d’un mouvement de résistance
collective, les habitants obtiennent un statut particulier, fondé sur une démocratie
directe (la république des Escartons), qui durera jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. Le
Briançonnais a été un lieu de refuge pour les minorités religieuses, vaudois et protes-
tants, ces derniers y ont joué et y jouent un rôle économique non négligeable. Ce passé
politique, la rudesse de la vie montagnarde fondent une identité collective.
Les activités économiques du Briançonnais se sont notablement transfor-
mées durant les cinquante dernières années. Au cours de la période 1950-70, le
Briançonnais se caractérise par la présence d’une importante garnison militaire
justifiée par le caractère frontalier du territoire, un secteur sanitaire (sanatoriums)
qui s’est développé depuis le début du siècle en raison des caractéristiques clima-
tiques locales et, sur le canton de l’Argentière, d’une usine de production d’alumi-
nium du groupe Péchiney. Pendant cette période, le territoire accueille aussi des
citadins que l’on qualifie de néo-ruraux, attirés par le cadre de vie. Pour pouvoir
vivre sur place, ils vont développer des activités parfois innovantes. Durant cette
période, le tourisme de montagne se développe : installation des stations de sport
d’hiver et de centres de vacances du tourisme social. Les années quatre-vingts
sont marquées par la poursuite de l’essor de l’activité touristique, mais aussi par
la mise en évidence des fragilités de cet équilibre économique. L’usine Péchiney
ferme en 1985, déstabilisant profondément l’équilibre économique du canton de
l’Argentière. La répétition des hivers sans neige met en péril le devenir des sta-
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tions et des emplois qui leur sont liés. Les grandes structures d’accueil du tourisme
social entrent en crise du fait d’une désaffection du public. La concurrence avec
d’autres destinations de vacances s’accuse. La demande s’oriente vers des activi-
tés ludiques, diversifiées (raquettes, VTT, accro-branches, patinage sur glace…),
alors que la pratique de l’alpinisme diminue. Les stations doivent renouveler leurs
équipements pour rester compétitives, ce qui nécessite des investissements que les
communes ont du mal à assumer. Peu à peu, la garnison militaire est réduite. Avec
la disparition de la tuberculose, le secteur sanitaire se reconvertit pour assurer
le traitement d’autres affections. Il est soumis à de nouvelles normes de gestion
portées par l’Agence Régionale de Santé(ARS).
Avant d’aborder de façon plus approfondie le rôle des compétences, il faut souligner
que ce territoire connaît aussi d’importants mouvements migratoires. Les jeunes scola-
risés le quittent pour poursuivre leur formation et tous ne reviennent pas. En revanche,
il attire des personnes le plus souvent actives, qui souhaitent s’y installer en raison du
cadre de vie ou des activités liées à la montagne qu’elles veulent exercer. Ainsi entre
1990 et 1999 près de 45% de la population est venue ou est partie du territoire.

2.1. Les activités sportives de montagne

Le premier téléphérique a été construit en 1941. Depuis cette date, les différentes com-
munes développent leurs remontées et se regroupent lentement pour organiser l’exploita-
tion du site au sein de deux régies, chacune regroupant plusieurs communes. Confrontées
à la nécessité d’adapter et de développer leurs équipements, elles rencontrent de graves
difficultés financières. Finalement, elles se sont regroupées sous la responsabilité d’une
seule entité, la Compagnie des Alpes (CdA) en 2004. La CdA est une grande entreprise
qui gère déjà plusieurs grandes stations alpines. Cette reprise se fait sous forme de délé-
gation de service public : la CdA doit entretenir le domaine et assurer une redevance aux
communes avec une délégation de services de 30 ans. Le passage de régies communales
ou intercommunales à un contrôle par une société privée va introduire de nouveaux cri-
tères de gestion : recherche d’une meilleure rentabilité, augmentation de la capacité et
modernisation des équipements, amélioration des pistes, généralisation de fabrication de
neige industrielle, augmentation de la clientèle.
Avant 2004, chaque commune recrutait la main d’œuvre très majoritairement au
niveau local, composée d’un permanent pour cinq saisonniers : mécaniciens, perchman,
conducteurs d’engins et pisteurs (tenus de posséder un diplôme spécifique). Cette main
d’œuvre est stable, formée sur le tas. Ces salariés sont pluriactifs. Ils conjuguent un
emploi lié aux remontées en hiver à un emploi dans le bâtiment ou l’agriculture en été,
comme salarié, artisan, voire patron d’une petite entreprise. Les recrutements, réalisés
dans le cadre de régies communales, se faisaient dans le cadre de ce l’on peut qualifier
de « rapport salarial domestique ». On entend par là des recrutements par réseau, à un
niveau local, de personnes peu qualifiées mais stables dans l’emploi. La reprise par la
CdA est très récente et au moment de l’enquête, l’effectif était resté stable. L’ensemble
regroupe 120 permanents et 450 saisonniers. Mais l’introduction de critères de renta-
bilité « industriels » peut laisser prévoir des changements dans le mode de mobilisa-
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tion de la main d’œuvre. La recherche d’une meilleure efficacité s’accompagne d’une


modernisation des équipements et d’une stabilisation ou d’une réduction des effectifs
et d’une augmentation des qualifications, auxquelles l’entreprise compte répondre par
le recours à la formation continue et le départ à la retraite des salariés plus âgés. Elle
s’accompagne aussi d’une diminution du ratio  : nombre de salariés/journées skieur.
Ces transformations augurent aussi d’évolutions du «  rapport salarial domestique  »
fait de recrutements locaux. Les nouveaux recrutements privilégieront la formation par
rapport au réseau local. De ce point de vue, les entretiens réalisés dans les lycées mon-
trent qu’un certain nombre de jeunes, désireux de rester « au pays », privilégient des
formations techniques leur permettant de postuler à ces postes. Formation continue
en interne, adaptation de l’offre de formation initiale semblent aujourd’hui pouvoir
permettre de faire face aux changements annoncés. La pluriactivité qui articule, pour
un certain nombre de ces salariés, activité dans l’entreprise l’hiver et travail dans le
bâtiment en été peut elle aussi perdurer si les modes de fonctionnement de l’activité
bâtiment ne sont pas fondamentalement remis en cause comme on le verra plus loin.
Des professionnels accompagnent l’activité touristique de montagne. Ce sont les guides,
accompagnateurs de moyenne montagne, moniteurs divers (ski, parapente, escalade…).
Leur quantification est difficile. L’exercice de la profession est réglementé et exige la pos-
session d’un diplôme. Ils ont majoritairement un statut de travailleurs indépendants et une
partie d’entre eux s’organise en association. Un clivage relatif caractérise cette catégorie
professionnelle du point de vue de l’origine et du parcours professionnel. Plus de la moi-
tié des guides n’est pas originaire du territoire mais vient d’autres régions de France. Ce
sont généralement des personnes dotées d’un niveau de formation élevé. Ces professionnels
vivent difficilement de leur activité. L’équilibre économique au sein de l’unité familiale est
assuré par la conjonction de l’activité de guide et celle de la femme occupant un emploi au
statut plus stable (médecin, infirmière). Ils sont enfin confrontés à une désaffection du public
pour la haute montagne au profit d’activités plus ludiques et plus facilement accessibles.
A l’inverse, les moniteurs de ski, ayant eux aussi un statut de travailleurs indépen-
dants, sont pour une proportion importante originaires de la vallée. Ils allient l’activité
de moniteur en hiver à une autre activité en été : agriculture, bâtiment par exemple. En
revanche, les moniteurs ou accompagnateurs dans des activités relativement nouvelles
(accro-branches, canoë-kayak…) viennent eux aussi d’ailleurs. Les nouveaux venus, peu
liés par les réseaux, les normes et les règles locales, sont plus facilement porteurs d’inno-
vations que les natifs du territoire, enserrés dans des normes, des règles et des représenta-
tions portées par la communauté dont ils font partie.
Tableau 1 : Activités sportives de montagne

Dynamiques • multiplication des remontées mécaniques,


d’évolution •m odernisation des équipements, introduction des canons à neige
sur les cinquante et liaisons entre les différentes stations
dernières années • 2004, rachat de l’ensemble par la Compagnie des Alpes
• en réponse aux demandes des clients, diversification des activités de loisir

Acteurs locaux Les communes développent les stations sous statut de régies municipales.
Elles se coordonnent lentement pour unifier l’ensemble du champ skiable, rencontrent
des difficultés économiques, puis délèguent à une compagnie privée extérieure.
Maïten Bel / Géographie, économie, Société 11 (2009) 213-232 223

Acteurs du local Depuis 2004, c’est un acteur extérieur qui a le pouvoir de décision, la Compagnie
des Alpes, société privée propriétaire de plusieurs stations et porteuse de normes
industrielles de rentabilité.

Rapport salarial 1-Initialement, pour faire fonctionner les remontées, personnel local, saisonnier
peu qualifié mais stable, pluriactif. Les évolutions en cours vont conduire
à une réduction de ce personnel et vont exiger un niveau de formation plus élevé.
Mobilisation de la formation continue. Formation initiale locale suffisante.
2-La pratique de la montagne mobilise aussi des travailleurs indépendants : guides,
moniteurs, accompagnateurs. Professions nécessitant l’acquisition d’un diplôme,
activités le plus souvent saisonnières.
Une partie ne sont pas originaires du territoire mais s’y est installée et est souvent
porteuse d’innovations dans le développement d’activités nouvelles.

Innovations • s écurisation de la saison d’hiver par la neige industrielle, modernisation


des équipements
• développement de nouvelles activités liées au tourisme de montagne : kayak, parcours
sur glace, raquettes, cross…réponse à l’évolution des demandes des consommateurs

Rôle des • plutiactivité et saisonnalité ont permis le développement des activités


compétences • la formation y joue un rôle plus important
• importance des compétences « venues d’ailleurs » qui apportent leur capacité
d’innovation, l’adaptation aux métiers de la montagne de qualifications
et expériences acquises ailleurs.

Perspectives • Incertitudes climatiques mais effort important de « sécurisation » de la saison d’hiver.


• augmentation du public accueilli et du nombre de logements
• r éduction de l’activité des guides en raison des changements
dans la demande du public.

2.2. L’hôtellerie-restauration

Son évolution est étroitement liée à celle des activités sportives. Dans ce domaine, le
modèle traditionnel a également évolué. Initialement, l’hôtellerie, composée de petites
unités, s’est développée en même temps que les stations. Au départ, il y a une quarantaine
d’années, les personnes qui vivaient dans la vallée et qui possédaient du terrain (souvent
des agriculteurs), ont pu y construire un hôtel. Quelques personnes extérieures au terri-
toire se sont aussi installées. Elles empruntaient une grande partie des fonds nécessaires
aux investissements. La structure fonctionnait grâce à la participation de la famille et
faisait appel à quelques saisonniers locaux. A côté de ces petites structures, de grands
centres se sont ajoutés  : Club Méditerranée, l’Union nationale des Centres sportifs de
Plein Air (UCPA), centres relevant de comités d’entreprise. Aujourd’hui, ce modèle est
en crise. Une grande partie des grandes structures dédiées au tourisme social ont disparu.
Ces grandes structures ont été remplacées par des Tours Opérator qui viennent avec leur
personnel. Le Club Med, après avoir quitté la vallée, y est revenu récemment. Il recrute
en CDD depuis son centre des ressources humaines à Lyon et très peu de personnel local
y travaille. Par contre, il fournit du travail à un nombre important de moniteurs de ski
dont la charge de travail est ainsi stabilisée. Beaucoup des petites structures ont disparu.
Les enfants ne veulent pas reprendre l’affaire de leurs parents. La hausse des prix rend la
vente difficile. Souvent, les hôtels ont été vendus sous forme d’appartements.
224 Maïten Bel / Géographie, économie, Société 11 (2009) 213-232

Il faut souligner l’absence d’école hôtelière dans le département qui aurait peut-être eu
un effet d’entraînement sur la modernisation du secteur, comme cela a été le cas en Haute-
Savoie avec l’école de Thonon. Dans l’hôtellerie, ces emplois ne peuvent être permanents, ce
qui implique le recours à des saisonniers. Une partie d’entre eux sont des salariés locaux qui
combinent le travail dans l’hôtellerie avec d’autres activités, une partie vient d’ailleurs. Mais
le recrutement de locaux est difficile. En particulier, ceux-ci ne veulent pas travailler dans
les grandes structures collectives en raison de conditions de travail et de salaire difficiles. Le
recrutement de personnel, et surtout de personnel qualifié, pose parfois problème ; les pénuries
de logement accroissent la difficulté. Depuis longtemps, certains acteurs locaux se sont préoc-
cupés de cette question. Ils ont fait partie des premiers au niveau national à créer une Maison
des saisonniers et à tenter de fédérer les intérêts pour résoudre cette question.

Tableau 2 : hôtellerie restauration


Dynamiques Initialement, développement de petites structures hôtelières familiales et grandes
d’évolution structures collectives (Comités d’entreprises, UCPA, Club Med).
Aujourd’hui, réduction importantes des petits établissements, disparition des
structures collectives et installation de quelques établissements privés importants
à capitaux étrangers au territoire.

Acteurs locaux Réduction du nombre d’hôteliers locaux, organisation de l’accueil des saisonniers
par la Maison des saisonniers

Acteurs du local Arrivée d’investisseurs étrangers au territoire

Rapport salarial Secteur faisant appel à de la main d’œuvre saisonnière dont une partie vient
d’ailleurs, partiellement difficultés de recrutement dues aux conditions de travail
et aux pénuries de logement

Innovations Création de résidences hôtelière, Tours opérator

Rôle des •L  es héritiers de structures hôtelières traditionnelles sont rares. Peu reprennent
compétences l’affaire familiale.
• Avec l’arrivée de tours opérator ou de grandes structures, recours à de la main
d’œuvre saisonnière, venue d’ailleurs. Les locaux n’acceptent que rarement
ces emplois peu payés et pénibles.
Le modèle traditionnel de progression, parfois d’une génération à l’autre,
agriculteur, employé des remontées mécaniques, hôtelier a disparu.

Perspectives Augmentation du public , arrivée de grandes structures

2.3. Le bâtiment

Le secteur est très présent sur le territoire. Son expansion accompagne le développe-
ment du tourisme de montagne. Le département comptabilise 2 000 entreprises dans le
bâtiment et les travaux publics, dont plus de 90 % sont artisanales. Elles emploient un
total de 5 000 salariés. Les plus grosses d’entre elles sont situées dans le Briançonnais.
Pour elles, « l’effet station » a été structurant. Si le secteur est en surchauffe depuis plu-
sieurs années, il est aussi fragile. Le logement privé s’est beaucoup développé, accom-
pagnant le tourisme et encouragé par les lois de défiscalisation. Mais la montée des prix
risque de ralentir ce mouvement. Des promoteurs font construire des résidences de tou-
Maïten Bel / Géographie, économie, Société 11 (2009) 213-232 225

risme (Maeva par exemple) qu’ils font gérer par des sociétés d’exploitation, mais leur
développement est lié à l’afflux touristique qui peut varier. Le logement social est atone
mais peut être relancé car les besoins sont très importants.
Initialement, beaucoup d’entreprises du BTP ont été créées par des Italiens immigrés
qui se sont stabilisés et intégrés, ou par des Turcs venus travailler dans l’établissement
local de l’entreprise Péchiney, fermé en 1985. Ils ont recruté de la main d’œuvre saison-
nière locale. En période de forte activité, il y a d’importants problèmes de recrutement.
Face à cette pénurie, des efforts ont été entrepris pour revaloriser la profession. Dans la
convention collective régionale, les minima ont été augmentés de 14 % en 2005 et de 6
% en 2006, ce qui a contribué à attirer les jeunes vers les sections d’apprentissage et la
formation professionnelle des lycées.
Malgré ces améliorations, il y a de réels problèmes posés par la main d’œuvre. Il y a des
filières d’introduction de main-d’œuvre avec les pays de l’Est. La majorité du recours à de
la main-d’œuvre étrangère se fait via des entreprises sous-traitantes. Dans ce cas, il n’y a
pas de limites à la durée de leur intervention. Le droit du travail français n’est pas toujours
respecté par ces sociétés et même par certains artisans. L’inspection du travail n’a pas les
moyens de faire face et ne peut sanctionner toutes les infractions. Il y a donc un réel pro-
blème de concurrence « par le bas » au niveau des prix de la main-d’œuvre.

Tableau 3 : bâtiment


Dynamiques Depuis longtemps, la station a un effet structurant pour le secteur sur tout
d’évolution le département. La croissance de construction de logements est forte, mais risque
de ralentir dans les années qui viennent en raison de la montée des prix,
de la stabilité du nombre de touristes.

Acteurs locaux Classiquement, 90% des entreprises du département sont des entreprises artisanales.
Le secteur est structuré par les organisations professionnelles.

Acteurs du local Arrivée d’entreprises nationales et étrangères dans le cadre d’appels d’offre
européens. Arrivée aussi de sous-traitants étrangers au territoire. L’Etat joue un
rôle dans le développement du marché à travers les incitations et les encadrements
réglementaires de l’activité : loi Robien qui défiscalise, loi sur les logements sociaux.

Rapport salarial Le secteur a recruté nombre des salariés saisonniers.


Le nombre de salariés du secteur croit. Les sections de formations professionnelles
locales sont pleines et cela se conjugue à des pénuries de main d’œuvre.
Concurrence par de la main d’œuvre étrangère, avec la tendance à instaurer
une concurrence « par le bas » entre les salariés et à introduire un équilibre
de bas niveau de qualification.

Innovations

Rôle des Création de nombreuses entreprises par des immigrés installés localement
compétences depuis longtemps.
Recours à de la main d’œuvre saisonnière étrangère dans des conditions
souvent peu respectueuses des règles en vigueur

Perspectives Perspectives incertaines sur la poursuite d’une activité soutenue, risque


de concurrence de la main d’œuvre saisonnière locale par des étrangers
bien formés et moins rémunérés.
226 Maïten Bel / Géographie, économie, Société 11 (2009) 213-232

2.4. Le secteur sanitaire


Le secteur sanitaire doit son importance aux établissements de soins pour tuberculeux
qui ont été créés au début du siècle. En effet, c’est en 1914 qu’un décret érige Briançon en
station climatique et la dote d’une chambre d’industrie climatique. Depuis cette époque, le
secteur a vécu d’importantes évolutions : arrivée des antibiotiques qui rend caduques les
soins en sanatorium, reconversion des établissements vers d’autres activités, transformation
des modes de régulation du secteur, extension des soins à domicile qui diminuent la clien-
tèle. Ces grands établissements ont été créés par des personnes ou des structures privées,
extérieures au territoire. Peu à peu, les établissements de soins ont fermé ou se sont recon-
vertis. Ils évitent de se faire concurrence en se spécialisant sur certains segments : psychia-
trie, rééducation fonctionnelle, traitement de l’alcoolisme, nutrition, etc…Ils profitent aussi
de la présence d’un hôpital public relativement important qui gère une école d’infirmières
et un centre de formation d’aides-soignantes.
Ces établissements ont recruté, outre les personnels de soins, des personnels relevant
de plusieurs métiers et ils ont créé des écoles pour former leur personnel, permettant ainsi
aux établissements de vivre en quasi autarcie. Aujourd’hui, la tendance vise à se recentrer
sur le métier principal et à externaliser un certain nombre de fonctions. Le recrutement
des personnels se fait beaucoup par réseau, et les écoles d’infirmières de Gap et Briançon
permettent d’éviter les problèmes de pénurie qui peuvent se poser ailleurs. Les reconver-
sions d’activité ont exigé des adaptations du personnel réalisées par la formation conti-
nue interne ou assurée localement, notamment par l’Association pour le Développement
Economique de la Haute Durance (ADECOHD).
Outre les évolutions technologiques dans le domaine pharmaceutique, ce sont surtout les
modes de régulation et de gestion du secteur de la santé tout entier qui ont été modifiées. Le
secteur est dépendant des politiques nationales de santé et de celle des thérapeutiques. En ce
qui concerne le Briançonnais, l’application du schéma régional d’organisation sanitaire de
1991 a pu remettre en cause le recrutement national ou régional des malades. Si la régula-
tion des places a toujours été liée aux règles nationales en matière de politique de santé, les
modifications en cours, notamment l’introduction des Agences Régionales de Santé, ont des
conséquences sur le présent et l’avenir du secteur dans le briançonnais.

Tableau 4 : secteur sanitaire


Dynamiques Secteur réglementé, encadré par des règles nationales de prise en charge des soins.
d’évolution Evolution des thérapeutiques, fin des soins de la tuberculose et orientation vers de
nouvelles pathologies. Mise en place de nouvelles règles de régulation du secteur au
niveau national : réduction importantes du secteur, notamment les maisons d’enfants.

Acteurs locaux Coordination des responsables d’établissement locaux parfois difficile. L’objectif
commun serait de défendre la légitimité d’un recrutement des soignés au niveau national.

Acteurs du local Associations créatrices de grands établissements de soins qui nomment les directeurs,
approuvent les orientations.
Agence Régionale Hospitalière, réglementation nationale du système de santé

Rapport salarial Recrutement en CDI de personnel pour majorité à statut. Les personnels sont formés
dans des écoles de Gap ou Briançon et pour l’instant il n’y a pas de problème de pénurie.
Les recrutements se font souvent dans le cadre de réseaux familiaux et sociaux.
Maïten Bel / Géographie, économie, Société 11 (2009) 213-232 227

Innovations • Développement de nouvelles formes de soin (psychiatrie, nutrition, addiction,…)


• Normes de gestion de l’ARS

Rôle des • Emplois stables à statut


compétences • Création d’écoles et développement de la formation continue
Perspectives Incertitude liée à l’évolution des normes nationales et régionales
dans le secteur de la santé.

3. Des compétences collectives à l’origine de ressources spécifiques

Jusqu’ici, on a insisté sur les relations entre dynamiques des secteurs d’activité et
mobilisation des compétences individuelles. Cependant, cette dimension doit être com-
plétée par la prise en compte d’une dimension plus collective. Cette dynamique prend
sa source dans l’articulation entre actions individuelles, actions collectives, interactions
micro-sociales et phénomènes macro sociaux. La qualité des partenariats conditionne
la capacité des acteurs locaux à s’organiser, se coordonner pour se donner des objectifs
communs, se procurer des ressources pour les atteindre (Angeon et Callois, 2006).
On appelle ici compétence collective cette capacité d’un groupe d’acteurs à définir
des intérêts et des objectifs communs et à obtenir des ressources pour les réaliser.
Cette définition très générale regroupe plusieurs types de situations sur un territoire.
Sans prétendre à l’exhaustivité, sur le territoire du Briançonnais, plusieurs cas de
figure de mise en œuvre de compétences collectives peuvent être dégagés. Une pre-
mière catégorie concerne des constructions spécifiques, le plus souvent sous forme
associative, qui prennent en charge l’identification de problèmes et mobilisent des
ressources pour y répondre. Une seconde catégorie concerne des structures «  déjà
là  », implantations locales de structures nationales, de nature sectorielle par leurs
objectifs et/ou par les acteurs impliqués. On peut citer en exemple les fédérations pro-
fessionnelles ou les antennes locales de dispositifs publics (Plate-forme d’initiatives
locales, MJC…). Enfin, les structures de gouvernance donnant un cadre à l’action
politique (pays, communautés de communes) peuvent aussi jouer un rôle plus ou
moins important dans cette évolution. Une présentation un peu plus détaillée de ces
catégories permet d’en illustrer le rôle et la nature.

3.1. Les associations ad hoc

Ce sont des institutions spécifiques au territoire, créées par des acteurs locaux pour
résoudre certains des problèmes qu’ils ont pu identifier comme l’ADECOHD (Association
pour le Développement Economique de la Haute Durance), créée par des acteurs du ter-
ritoire et dont l’objet social est la participation à son développement. Caractérisée par la
polyvalence des activités qu’elle développe, l’ADECOHD confirme ainsi un des traits
dominants des approches visant à accompagner les dynamiques territoriales. Dans cette
perspective, il est nécessaire de décloisonner les différents dispositifs d’action publique,
de les coordonner et de les adapter. L’association met en œuvre des capacités à identifier
des problèmes qui se posent pour permettre de maintenir ou développer des activités liées
aux conditions qui permettent de vivre sur le territoire, liant ainsi formation, emploi,
228 Maïten Bel / Géographie, économie, Société 11 (2009) 213-232

conditions de logement ou d’accès à certains services. Elle recherche ensuite des finan-
cements pour assurer la mise en place et le fonctionnement de services dans différents
domaines. Ce mode de fonctionnement demande la mobilisation de multiples financeurs
et confère à l’association une relative fragilité.

Encadré n°2 
ADECOHD  : à sa création, en 1982, l’association est porteuse du Comité de
Bassin d’Emploi (CBE). Elle a été fondée dans le contexte particulier de naissance
de la politique de la montagne dont R. de Caumont, fondateur de l’ADECODH est
le rapporteur. La rédaction d’une loi relative au développement et à la protection de
la montagne, votée en 1985, a été précédée d’un vaste débat entre élus, socio-profes-
sionnels, syndicats, chambres consulaires et accompagne la réalisation d’un diagnos-
tic et d’un projet de territoire. Très vite l’ADECODH a développé des réflexions sur
la pluriactivité et a contribué à la création de la Maison des saisonniers. Au moment
de la fermeture de l’usine Péchiney à l’Argentière, en 1985, l’association est solli-
citée pour étudier et participer à la reconversion de l’activité sur la zone. Avec ce
nouveau champ d’action, elle crée en son sein les secteurs « création et reprise d’en-
treprises » et formation permanente. Elle continue à développer diverses activités.
Elle joue un rôle d’animation, d’expertise, de formation. Par exemple, elle est maître
d’œuvre dans la rédaction de la Charte de Pays, en 2004. Elle emploie aujourd’hui
30 salariés (22 équivalents plein-temps) dont 50% ont un niveau de formation égal
ou supérieur à bac + 4. Pour fonctionner, elle s’appuie sur 14 financeurs. Les actions
de l’ADHECOD sont au cœur des problématiques socio-économiques du territoire.
Tantôt acteur d’interface, tantôt chef de file, elle a signé en 2006, une convention plu-
riannuelle 2006 – 2008, avec quatre partenaires financiers, l’Europe, l’Etat, la Région
et le Département. Cet accord permet à l’association d’assurer les recettes sur quatre
ans et de stabiliser un peu plus sa situation.

3.2. Les structures nationales à déclinaison territoriale

Il s’agit de structures, d’institutions de périmètre national, présentes sur le terri-


toire par leurs antennes locales. Il est important de comprendre comment les acteurs
locaux « habitent » ces structures et leur donnent une consistance pour en faire de
véritables ressources territoriales. Quelques exemples en témoignent. Les organisa-
tions professionnelles locales du bâtiment ont réalisé une analyse de la situation.
Elles sont conscientes des problèmes qui touchent la profession : pression forte de la
demande sur le secteur mais risques élevés de retournement de la conjoncture, pro-
blèmes de recrutement et de recours au travail clandestin ou dissimulé, appel à de la
main d’œuvre étrangère, peu payée et souvent peu qualifiée, souvent par le biais d’en-
treprises sous-traitantes. Est-ce que ces organisations professionnelles vont savoir
et pouvoir mobiliser les entreprises, l’administration du travail, pour résoudre ces
questions ? On peut également citer la CGT départementale qui s’attache à améliorer
le statut et la situation des saisonniers, fédérant les intérêts autour de la mise en place
et du fonctionnement de la Maison des saisonniers.
Maïten Bel / Géographie, économie, Société 11 (2009) 213-232 229

3.3. Les structures de gouvernance politique

Une troisième modalité de ce que l’on a qualifié de « compétences collectives » concerne


les structures de gouvernance politique, prévues par des lois. L’émergence de ces structures
accompagne la décentralisation. Elles sont conçues dans l’objectif de faciliter les coordina-
tions locales d’acteurs tant publics que privés autour d’un projet. Toute la question est alors
de comprendre dans quelle mesure ces structures assurent ce rôle de coordination, voire
l’élargissent même par rapport aux ambitions initiales (Gilly et Wallet, 2005).
La structure de « pays du Grand Briançonnais des Ecrins et du Queyras » est assez
emblématique de ce cas de figure de compétence collective. En même temps, sa jeu-
nesse, et plus largement la nouveauté de cette gouvernance par les « pays », rendent
aléatoire une appréciation sur ce fonctionnement. On peut considérer que tous les
acteurs sont en apprentissage sur les procédures, sur la démarche. Ainsi, «  l’instru-
ment  » (Lascoumes et Le Galès, 2004) est loin d’avoir produit tous ses effets. Des
lois successives, Pasqua, Chevènement, Voynet ont contribué à l’instauration des struc-
tures de « pays ». Composé de quatre communautés de communes, le Pays du Grand
Briançonnais des Ecrins et du Queyras a tout d’abord été un «  pays  » expérimental
dans le cadre de la loi Pasqua, en 1994, pour lequel a été rédigée une première charte
en 1996. Mais la loi Voynet de 1999 impulse à cette construction la volonté de faire
participer une multiplicité d’acteurs. Le processus est relancé en 2004 avec la création
du Conseil de Développement, accompagnée de l’injonction du Conseil régional et de
l’Etat de rédiger une charte. La participation alors est largement motivée par l’espoir
d’obtenir le financement de projets déjà existants. Trois commissions sont lancées dès
le mois d’août 2004. Accompagné par l’ADECOHD, ce processus de concertation a
permis d’associer plus de 200 personnes à la réflexion et donne lieu à la rédaction de
la charte de pays, instrument mobilisé dans la négociation du contrat de plan Etat-
Région. Ce processus de concertation, après une interruption, va reprendre aujourd’hui
pour fournir un appui aux négociations du nouveau plan qui doit couvrir la période
2007-2010. Les dynamiques observées dans ce processus en montrent la difficulté. En
effet, la proposition de participation des acteurs locaux, en particulier les acteurs écono-
miques, a rencontré un succès certain. Mais ensuite, les participants n’ont pas compris
la façon dont se faisait la négociation entre l’Etat, la Région et la collectivité locale. En
effet, plusieurs projets, portés par le « pays », ont été repoussés sans que les raisons en
soient claires et comprises par tous. La raison donnée est que les projets ne s’intégraient
pas dans les axes prioritaires alors qu’il semble que les règles n’aient pas été données
à l’avance. Aujourd’hui, la rédaction en cours du nouveau contrat de pays est arrêtée,
en attente de la définition de priorités par l’Etat et la Région. Une deuxième difficulté
concerne la tension entre le point de vue des acteurs politiques et des acteurs écono-
miques. Les premiers sont plus porteurs d’une logique de guichet, alors que les seconds
paraissent plus attachés à une logique de projet. Enfin, cette démarche suppose qu’ac-
teurs privés et acteurs publics dépassent les problèmes de concurrence : concurrence
entre acteurs privés, concurrence entre communes pour la prise en charge de certains
problèmes (déchetterie…). Par contre, certaines questions peuvent se constituer en
intérêt commun à tous (problème de la gestion de l’eau, filière bois…). Cette difficulté
à s’engager dans une démarche collective pour les quatre communautés de communes
230 Maïten Bel / Géographie, économie, Société 11 (2009) 213-232

qui composent le « pays », se traduit par leur choix de se constituer en association en


2006. Cette forme juridique donne un pouvoir relativement faible à la structure de
« pays ». Ailleurs, des choix en faveur d’une coopération plus marquée ont pu être faits.
Ces exemples permettent d’attirer l’attention sur le rôle de ce que l’on a qualifié de compé-
tences collectives présentes sur un territoire. Ces compétences jouent un rôle certain dans les
dynamiques présentes. Il serait bien sûr nécessaire d’en approfondir l’analyse de deux points de
vue. Un premier aspect concerne les individus mobilisés : quelles sont les « qualités » des per-
sonnes qui interviennent dans ces processus de définition d’objectifs et d’intérêts communs ?
Quels sont leurs parcours et comment s’est construite leur qualité « d’entrepreneurs sociaux » ?
Un deuxième aspect concerne plus spécifiquement la façon dont les compétences collectives
mobilisées prennent en compte les questions d’emploi et de formation. Bien souvent, ces pro-
blématiques sont liées à des problèmes d’évolution des activités économiques. Elles sont aussi
associées à d’autres problèmes qui concernent la main d’œuvre, telles que les questions de
santé et de logement. L’analyse mériterait d’être prolongée par une étude plus fine de la façon
dont ces questions d’emploi et de formation sont prises en compte par les acteurs collectifs.

4. Quelques propositions pour élargir l’analyse des relations emploi et formation


au niveau des territoires

Le questionnement sur le rôle des compétences dans les dynamiques des territoires est à
l’origine de ce travail, angle de vue peu présent dans les approches du territoire des écono-
mistes, des géographes et des sociologues, et qui pourtant mériterait d’être développé. Le tra-
vail présenté ici, fondé sur une analyse menée dans le Briançonnais reste limité. Pour proposer
une formalisation plus affirmée des relations entre les compétences individuelles et collectives
et les dynamiques territoriales, il serait nécessaire de le confronter à l’étude d’autres territoires.
Au départ de cette analyse, on s’est interrogé sur les interactions entre les compétences
présentes sur un territoire et les dynamiques qui l’animent. Pour cela on s’est appuyé
sur une hypothèse postulant que le territoire n’est pas seulement un «  conteneur  » de
ressources et que les dynamiques qui l’animent sont aussi le résultat de jeux d’acteurs qui
participent à son destin. On s’est aussi appuyé sur la notion de compétences pour caracté-
riser ces acteurs, cette notion englobant la formation mais aussi l’expérience profession-
nelle, la transmission familiale de savoirs divers, l’appartenance à des réseaux sociaux.
Ce point de vue conduit à élargir les éléments mobilisés dans la définition de politiques
publiques notamment. Dans le domaine de la formation, celles-ci ne peuvent être conçues
comme des politiques d’ajustement entre des emplois exigeant des qualifications et des
personnes plus ou moins éloignées des profils définis.
Une première réflexion concerne la cohérence entre compétences et activités. Cette ques-
tion peut être déclinée de différentes manières. Tout d’abord, elle consiste à étudier, dans le
cas présent, comment le contexte montagnard a marqué et continue à marquer fortement les
modes de mobilisation du travail par le poids important de la pluriactivité et de la saisonnalité.
Les compétences mobilisées dans ces activités multiples ne relèvent pas systématiquement de
qualifications apportées par la formation mais d’une acquisition initiale dans le milieu fami-
lial ou les réseaux sociaux. Ce constat invite à élargir l’approche de la relation entre emploi
et formation. L’emploi toute l’année dépend de la complémentarité entre activités, souvent
basée sur le travail dans le secteur du bâtiment en été et un emploi lié au ski de piste en hiver.
Maïten Bel / Géographie, économie, Société 11 (2009) 213-232 231

Cette caractéristique doit être prise en compte dans les politiques d’offre de formation. Tout
événement affectant l’une des activités peut aussi avoir des conséquences sur la mobilisation
des compétences dans celle qui lui est complémentaire du point de vue de l’emploi.
Une deuxième dimension de cette cohérence entre compétences et activité invite à
prendre en compte l’«  économie familiale  ». Au niveau du couple, le travail précaire
d’indépendant (guide, moniteur, accompagnateur de montagne) est associé à un travail
plus stable, à statut, d’un autre membre du ménage (médecin, infirmière, enseignant…).
Les variables affectant l’une ou l’autre de ces dimensions remettent en question cette
cohérence entre activités et mobilisation des compétences. Là encore, cet angle de vue
invite à prendre en considération d’autres données que les seules variables individuelles,
mesurées essentiellement par des qualifications formelles.
L’analyse du rapport entre compétences individuelles et dynamique économique du ter-
ritoire doit aussi tenir compte de la « porosité » du territoire et des mobilités. Ceux « venus
d’ailleurs » ont un rôle important. Ils ne sont héritiers ni de réseaux sociaux, ni de capitaux.
Au cours du temps, une partie des Italiens puis des ouvriers turcs, insérés initialement dans
l’entreprise Pechiney ou dans les petites unités du bâtiment, vont créer des entreprises.
Venus aussi d’ailleurs, ceux qui souhaitent s’installer sur ce territoire en raison du cadre de
vie, souvent dotés de niveaux de formation élevés, sont porteurs d’innovation. Ils créent leur
activité, dans un processus de « destruction créatrice » de leur qualification initiale, mettant
ainsi en évidence la « force des liens faibles » dans le processus d’innovation (Granovetter,
2005). Certains d’entre eux vont développer des activités nouvelles liées au tourisme de
montagne et jusque là absentes du territoire. Il y a enfin ceux « venus d’ailleurs » sur des sta-
tuts précaires de saisonniers qui occupent les emplois que les locaux ne veulent pas occuper.
Mais parfois leurs conditions de travail et de salaire menacent la cohérence d’ensemble en
introduisant une concurrence « par le bas ». Ces considérations invitent à dépasser la seule
prise en compte de dispositifs formalisés.
Un deuxième axe de réflexion concerne les compétences collectives présentes dans les
dynamiques territoriales. Des différences de nature entre les différentes structures porteuses
de ces compétences apparaissent. Les structures « déjà là », déclinaison locale d’instru-
ments nationaux, ont une marge de manœuvre non négligeable. Ainsi un syndicat ou une
organisation professionnelle peuvent être plus ou moins en mesure de défendre des intérêts
collectifs. Cette capacité est liée à l’importance des ressources qu’elles peuvent mobiliser
mais aussi à la capacité des acteurs locaux à se coordonner et défendre un intérêt commun.
Les structures créées localement pour résoudre certains problèmes identifiés collectivement
constituent aussi une deuxième catégorie de compétences collectives. A priori, l’attitude
coopérative des adhérents à la structure est évidente mais la question est celle de la capacité
à mobiliser des ressources qu’il faut aller chercher hors du territoire, auprès d’autres acteurs.
Certaines politiques publiques territoriales mettent dans leurs objectifs le développement
et l’accompagnement de coordination entre acteurs. On peut citer ici par exemple, la mise
en œuvre des pôles de compétitivité. Mais les premiers bilans révèlent qu’au-delà des dif-
ficultés de coopération, les questions d’emploi et surtout de formation sont le plus souvent
abordées dans une perspective limitée d’adéquation entre des formations formalisées, ini-
tiale ou continue, et des emplois.
Moins que des conclusions, les questions soulevées par cette étude mettent en lumière
la complexité des jeux d’acteurs engagés, la multiplicité des ressources mobilisées : capi-
232 Maïten Bel / Géographie, économie, Société 11 (2009) 213-232

taux locaux ou extérieurs au territoire, normes, règles. Elles mettent également en évi-
dence l’intérêt d’élargir l’analyse des relations entre emploi et formation aux modes d’ac-
quisition des savoirs, au rôle des réseaux sociaux et des mobilités. La prise en compte de
ces différentes variables qualitatives devrait permettre d’améliorer l’efficacité des poli-
tiques publiques orientées vers les territoires.

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