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22ième Forum

Introduction au Grand Format


"Rendre accessible"
Reims, le 2 décembre 2010

1. Le passif entre les habitants et les concepteurs de la ville

Disons-le d’emblée, il y a contentieux entre les Ce passif renforce la méfiance des habitants à
habitants et les concepteurs de la ville. Et ce l’égard des projets et de la communication
contentieux ne date pas d’hier. Pour nos urbaine. Et cette méfiance renforce à son tour
contemporains, il a partie liée avec l’héritage l’attachement au patrimoine et aux formes
de la production urbaine des années 50 à 70. traditionnelles de la ville. Car en matière
d’urbanisme, plus que sur tout autre sujet, les
Il trouve une nouvelle actualité dans les habitants se méfient du changement.
critiques formulées à l’encontre de la
densification urbaine, de la banalisation des S’ils s’en tiennent à un conservatisme prudent,
formes de la ville et de l’imaginaire c’est que l’urbanisation porte en elle un risque
architectural, ou encore dans les critiques à venir, on pourrait même dire un risque
portant sur la perte des identités et des d’avenir. Du point de vue des habitants, elle
singularités locales… « La ville dense de est une menace qui pèse sur la qualité de vie,
partout et de nulle part », voici donc le sur la tranquillité des relations sociales et sur
principal reproche. la manière dont chacun d’entre nous rêve son
projet résidentiel. Elle est donc, avant d’être
une promesse d’avenir radieux, une source
d’inquiétude et d’incertitude.
2. L’entre soi communicationnel

Ce n’est pas nouveau, la production de la ville Convenons-en, on ne peut pas dire que la
a toujours semble-t-il inquiété. Il suffit de « lutte contre le mitage » ou « la radicalité des
relire Tocqueville parlant de l’émergence de la partis pris architecturaux » induisent de
ville industrielle, « de cet égout putride, de ce manière évidente une promesse de vie
cloaque infect…. ». Ce n’est pas nouveau… heureuse et harmonieuse. On pourrait même
mais cela ne retire rien au fait que ce se demander si l’espèce d’entre-soi
« conservatisme inquiet » pose de « linguistique » dans lequel se maintiennent
nombreuses difficultés en matière de parfois les professionnels de la ville ne
communication publique, puisqu’il contraint à réactive en permanence dans l’esprit de la
s’adresser à une population qui n’est pas population la peur d’un développement
totalement prête à entendre ce que l’on a à lui autoritaire qui se fasse sans eux et malgré eux.
dire. « Vous nous densifiez mais on n’est pas des
taupes et on a notre mot dire !».
Disons-le également, jusqu’à une période
récente, le discours des concepteurs de la ville En tous les cas, ce qui est certain c’est que l’on
(compacité de la ville, reconstruction de la a voulu communiquer sur la base de concepts
ville sur elle-même, mixité sociale, ville ou de constructions théoriques qui ne font pas
éducatrice, ville apprenante etc…) n’a pas sens pour les habitants.
franchement aidé à réconcilier les habitants
avec la programmation urbaine, ni
franchement facilité le dialogue et l’échange.

Pas plus d’ailleurs que le langage codé des


architectes qui a souvent quelque chose de
très private pleasure (radicalité, parti pris,
geste fort, inspiration, symbolisme des
formes…) et surtout de très éloigné d’un
possible compromis avec le « philistinisme »
de la population.
3. L’insuccès des approches pédagogiques

Ce qui est compliqué dans cette affaire c’est De l’impossibilité à satisfaire la population et à
que la population a une posture ambigüe et trouver une issue aux contradictions qui la
contradictoire. Elle s’inquiète de la difficulté à caractérisent, on a déduit la nécessité
se loger et de l’envolée des prix mais refuse la d’informer, d’expliquer et de faire œuvre de
création des grands quartiers d’habitat pédagogie… On a mis en place des procédures
collectif. Elle critique la gentrification et la de concertation des plus alambiquées au sein
paupérisation, mais elle refuse la mixité desquelles des modules de formation des
sociale. Elle prône la végétalisation mais exige habitants étaient prévus…. Bref on a cherché à
«du stationnement». Elle défend les mobilités ce que les habitants comprennent les raisons
douces, mais ne veut pas être contrariée dans pour lesquelles la ville d’aujourd’hui ne peut
ces déplacements. Elle critique la banalisation plus être celle d’hier et, d’une certaine
des formes de la ville, mais s’agace des projets manière à ce qu’elle fasse sienne l’idée selon
trop audacieux. laquelle le rêve pavillonnaire est désormais un
rêve anachronique, franchement
En ce sens, la parole des habitants a quelque individualiste, quasi indécent.
chose d’inaudible, non seulement parce
qu’elle est contradictoire, mais aussi et C’est un échec. Combien de villes et d’élus se
surtout parce qu’elle s’exonère du système de sont épuisés dans ces démarches, s’entêtant à
contraintes au sein duquel la collectivité doit expliquer la nécessité de la densification à une
faire ses choix (contraintes techniques et population qui comprenait bien ce que l’on
financières, recherche de l’intérêt général…). voulait dire et faire, mais qui n’y adhérait pas,
Pour caricaturer, si la population devait être tout simplement parce que la densification ne
entendue au pied de la lettre, 70% de la suffit pas à construire une promesse d’avenir
production de logements seraient une dans laquelle les gens peuvent se projeter
production pavillonnaire… et les 30% restants positivement.
seraient sans doute produits sur la base de
modèles architecturaux antérieurs aux années Les tentatives de dialogue ont ainsi bien
50. De ce point de vue, on comprend assez souvent fini en dialogue de sourds, opposant
bien toute la difficulté à laquelle se heurte la d’un côté ceux qui entendaient faire œuvre de
communication urbaine. pédagogie et qui savaient pourquoi ils
faisaient ce qu’ils faisaient et, de l’autre, ceux
qui étaient assez définitifs sur ce qui est
aimable et ce qui ne l’est pas.
4. Renouveler le discours sur la ville

Pour les habitants, l’urbanisme ne peut être fondements techniques, esthétiques et


que la traduction d’un projet de bonheur économiques à l’origine des choix urbains. Le
collectif (production d’une ville douce) et discours est à refonder en mettant l’accent sur
individuel (logements de qualité, fonctionnels la promesse d’une ville douce, identifiable,
et adaptés aux modes de vie) ancré dans une désirable, conviviale, bouillonnante et inscrite
histoire locale. Et c’est cette promesse qui a dans une histoire locale. C’est en tous les cas
bien souvent fait défaut à la communication l’une des conclusions des rencontres
urbaine. L’enjeu est d’éviter l’impression que nationales des agences d’urbanisme qui se
la production de logements n’est régie que sont tenues le mois dernier à Rennes. Jean de
par des logiques économiques, techniques, Legge y insistait en clôture sur l’impossible
sociales ou immobilières, et de montrer que pédagogie du désir et sur la nécessité de
derrière les projets urbains il y a un projet de réinvestir l’univers des représentations et des
société. imaginaires. La question reste et restera en
somme, d’une part, de savoir ce que nous
De ce point de vue, la communication urbaine avons d’autres à partager qu’un territoire et
ne parviendra à reconstruire le lien avec la un espace de vie commun et, d’autre part, de
population qu’à partir du moment où elle sera savoir comment mettre en scène nos
capable de parler d’autres choses que des référents communs.

Vincent Guillaudeux
Directeur Associé de TMO Régions
Décembre 2010

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