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LE MAGAZINE DE LA DDC
Sécurité alimentaire
À qui appartient la récolte de Boane ?
Un reportage au Mozambique
Laos : le puissant voisin chinois étale sa richesse
Haïti : l’aide suisse à la reconstruction
Sommaire
D O S S I E R 6 Sécurité alimentaire
Beaucoup de promesses non tenues
Bien qu’ils aient assez de surfaces arables, nombre de pays en développement
ne parviennent pas à nourrir leur population. Un reportage au Mozambique.
16 La viande du pauvre
Les haricots peuvent améliorer considérablement la sécurité alimentaire,
à condition que les paysans disposent de bonnes semences
17 Faits et chiffres
3 Éditorial
4 Périscope Un seul monde est édité par la Direction du développement
26 DDC interne et de la coopération (DDC), agence de coopération internationale
intégrée au Département fédéral des affaires étrangères (DFAE).
34 Service Cette revue n’est cependant pas une publication officielle au
35 Coup de coeur avec Stress sens strict. D’autres opinions y sont également exprimées.
C’est pourquoi les articles ne reflètent pas obligatoirement
35 Impressum le point de vue de la DDC et des autorités fédérales.
RDB/Marcel Nöcker
Les Objectifs du Millénaire restent notre
cadre d’orientation
Les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD), trop limités dans la formation et la santé, les catastrophes
établis par l’ONU en 2000, constituent le principal cadre naturelles, etc.
de la lutte contre la pauvreté au niveau mondial. En sep-
tembre, les représentants des gouvernements de toute la Si nous voulons atteindre les OMD d’ici 2015, tant les do-
planète se retrouveront à New York, afin de dresser le bi- nateurs que les bénéficiaires de l’aide doivent redoubler
lan du chemin parcouru ces dix dernières années. d’efforts. Il faut rappeler à ces derniers qu’ils ont promis
d’entreprendre des réformes politiques, économiques et
Commençons par les points positifs : de grands progrès sociales. De son côté, le monde industrialisé doit faire
ont été réalisés au niveau mondial en ce qui concerne la preuve d’une plus grande cohérence dans ses relations
réduction de la pauvreté, la formation de base, l’égalité avec les pays du Sud et appliquer des politiques com-
des sexes dans l’enseignement primaire et l’accès à merciales, financières et agricoles plus propices au déve-
l’eau. Le bilan n’en demeure pas moins très mitigé. Il reste loppement. Il importe de s’attaquer plus résolument aux
beaucoup à faire pour réduire de moitié la pauvreté et la défis mondiaux tels que le changement climatique, la mi-
faim par rapport à 1990, comme le spécifie l’un des OMD. gration, la sécurité alimentaire et les droits de l’homme.
En effet, environ 1,4 milliard de personnes souffrent d’une Même lorsque l’économie va mal, nous devons tenir les
pauvreté extrême. Plus de la moitié d’entre elles vivent en promesses financières faites aux pays pauvres.
Afrique subsaharienne.
Au cours des années à venir, les OMD resteront un cadre
Plusieurs défis exigent une mobilisation urgente : dimi- d’orientation utile et primordial. Certes, nous ne les at-
nuer la mortalité maternelle et infantile, enrayer des épi- teindrons pas tous dans les cinq années restantes. Ce
démies comme le sida ou le paludisme, et assurer la du- n’est toutefois pas une raison de se décourager. Au
rabilité écologique. Car la crise économique et financière contraire, cela devrait nous inciter à intensifier nos efforts.
des années 2008 et 2009 a réduit à néant une partie des Dans son deuxième rapport intermédiaire sur les OMD, le
avancées enregistrées jusqu’en 2007. Conseil fédéral présente des exemples qui illustrent la
contribution de la Suisse à leur réalisation. Il explique éga-
La réalisation des Objectifs du Millénaire pour le dévelop- lement ce que notre pays devrait entreprendre pour ac-
pement ne repose pas seulement sur les efforts des États célérer le mouvement d’ici 2015. Le rapport montre en
membres de l’OCDE. C’est une tâche que les pays du outre que l’aide suisse s’est axée efficacement sur ces
Nord, de l’Est et du Sud doivent mener à bien ensemble. objectifs et que la collaboration étroite entre États, orga-
Les progrès les plus notables ont été mesurés là où les nisations non gouvernementales, économie privée et so-
États concernés ont fait preuve d’un engagement parti- ciété civile porte ses fruits.
culièrement ferme.
Martin Dahinden
Ces dernières années, les OMD ont fait l’objet de critiques Directeur de la DDC
qu’il s’agit de prendre au sérieux. De fait, ces objectifs se
concentrent excessivement sur les symptômes de la pau- (De l’allemand)
vreté, alors qu’ils accordent moins d’attention à ses
causes. Parmi celles-ci figurent les conflits, la fragilité de
certains États, des performances économiques insuffi-
santes, la corruption, la faible mobilisation des ressources
nationales dans les pays pauvres, des investissements
Boisvieux/hemis.fr/laif
d’appel gratuit. La réponse lui Nigeria et au Ghana.
parvient en quelques instants.
Dans le cas du Glucophage 500, L’accès à la terre pour les
par exemple, un médicament femmes aussi
pour diabétiques vendu au (mr) Les pauvres ne disposent en Asie. La terre appartient le d’années la gestion de l’eau en
Nigeria, le message suivant s’af- jamais ou très rarement de droits plus souvent à l’État. Les petits Asie du Sud-Est. Il met en garde
fiche sur son téléphone portable fonciers, surtout en Afrique et paysans ont beau cultiver les contre les effets pernicieux de
champs pendant des décennies, ces projets sur les moyens d’exis-
ils ne possèdent que des droits tence de beaucoup de gens et
traditionnels d’exploitation. Ils contre le risque de conflits exa-
n’ont aucun titre de propriété cerbés pour la maîtrise de l’eau.
qu’ils pourraient faire valoir « Le développement de l’énergie
devant un tribunal pour éviter, hydroélectrique profite surtout
par exemple, la vente de leurs à la Chine et au Laos. Mais il
terres à un investisseur étranger. porte préjudice aux millions de
Il est donc primordial de recon- personnes qui vivent de la pêche
naître les droits fonciers des pau- au Laos, au Cambodge et au
vres, parmi lesquels figurent un Viêt-nam, car ces aménagements
très grand nombre de femmes. massifs bouleversent toute l’éco-
Meike Mohneke
Maria Roselli
Le Mozambique est un pays typiquement agricole. Pourtant, une bonne partie des denrées alimentaires vendues
sur les marchés de la capitale sont importées de l’étranger, comme en témoignent les colonnes de camions qui se
forment à la frontière sud-africaine.
Visible de loin, une longue colonne de camions côté mozambicain de la frontière. Ils ne veulent pour
s’étire à la frontière entre l’Afrique du Sud et le rien au monde rater l’affaire du jour et proposent
Mozambique. Il est dix heures du matin et les doua- toutes sortes de marchandises aux chauffeurs : œufs
niers mozambicains de Ressano Garcia ont fort à durs, bananes, papayes, mais aussi de l’argent mo-
faire : l’un après l’autre, les poids lourds, le plus sou- zambicain, qu’ils changent au noir à un tarif pré-
vent chargés à ras bord de denrées alimentaires, sont férentiel. Les gardes-frontières armés ne cessent
enregistrés puis dirigés vers le sas de contrôle. Hui- de les repousser. Depuis que plusieurs camions
le, céréales, viande, fruits, légumes et matériaux chargés de vivres ont été pillés l’an dernier, les
pour la fonderie d’aluminium de Mozal, sise à marchands ambulants ne sont plus autorisés à s’ap-
proximité : tout provient d’Afrique du Sud. procher des convois.
L’autre voie de la route, celle qui conduit en
Élève modèle du FMI Afrique du Sud, reste déserte. Ce tableau reflète
Des dizaines de vendeurs ambulants se pressent du parfaitement la balance commerciale du Mozam-
Tanzanie
Malawi
Zambie
Zimbabwe
Mozambique
Océan indien
Maputo Madagascar
Afrique
du Sud
Corruption et
bureaucratie
Centro Terra Viva et Oram,
deux organisations non
gouvernementales actives
au Mozambique, dénon-
cent la corruption qui
accompagne l’octroi de
concessions à de grands
investisseurs. Certes, les
villageois participent aux
négociations avec ces
derniers, mais en fin de
compte, c’est le chef du
village qui décide. Comme
il est en général membre
du Frelimo, le parti au pou-
voir, il prend la décision qui
Joel Chiziane
sied au gouvernement. De
plus, le gouverneur d’une
province pouvait jusqu’ici
Fernando Salvador Muchaga a de la chance : il cultive un champ fertile et même irrigué, qu’une de ses connaissances
lui met à disposition. Les terres qui lui avaient été attribuées à l’origine par l’État sont nettement moins productives.
attribuer, de son propre
chef, les terres d’une
communauté. Depuis peu,
10 ans, cueillent dès lors les feuilles d’un plant de mieux lotie. Aujourd’hui, le petit paysan a emme- toute cession de terres,
même au niveau d’une
haricots. « Je ramasse les plus jeunes, qui sont en- né trois de ses six enfants aux champs : il épand un communauté villageoise,
core tendres. On peut les cuire et elles remplissent insecticide sur le maïs, tandis que Dulce, Florino équivaut cependant à l’oc-
l’estomac », explique la paysanne en changana, la et Amelia désherbent avec dextérité. troi de concessions à des
langue la plus couramment parlée dans le sud du Fernando Muchaga a reçu de nouvelles semences investisseurs privés. Selon
la surface du terrain en
pays. du gouvernement. Depuis lors, il engrange de question, la décision ap-
meilleures récoltes. Grâce à un canal proche, il peut partient donc le plus sou-
De nouvelles semences pour une irriguer ses cultures, mais le coût de l’arrosage est vent à un ministre, voire au
conseil des ministres. Ce
meilleure récolte exorbitant pour un petit paysan. Fernando doit ver- qui engendre davantage
La famille de Fernando Salvador Muchaga, dont ser 360 meticals par mois à la coopérative pour en de bureaucratie et de cor-
les terres se trouvent aussi non loin de Boane, est bénéficier. Ce montant correspond à 12 francs en- ruption.
La DDC et l’accapare- Depuis quelques années, le Mozambique reçoit de grands investissements de la part d’entreprises étrangères aux-
ment des terres quelles il loue gratuitement des milliers d’hectares de surfaces agricoles. Comme le montre l’exemple de Massingir (ci-
Dans sa réponse à une dessus et à droite), où les mêmes terres ont été promises à deux communautés différentes, il est toutefois fréquent que
interpellation du conseiller les investisseurs ne tiennent pas leurs engagements.
national zougois Josef
Lang, qui se disait préoc- viron, un prix considérable dans un pays où le re- communautés villageoises ont absolument besoin
cupé par la « ruée sur venu annuel par habitant avoisine 450 francs. Mal- de capitaux. Nous avons de la chance, car nombre
les terres africaines », le
Conseil fédéral a résumé gré tout, Fernando s’estime chanceux : « Ce champ d’investisseurs étrangers frappent aujourd’hui à
comme suit les activités de n’est pas le mien. Il appartient à une connaissance notre porte. Nous devons saisir cette occasion », ex-
la DDC en matière d’acca- qui m’autorise à l’exploiter. Les terres qui m’avaient plique le représentant du gouvernement.
parement des terres :
été attribuées à l’origine n’ont pas d’irrigation et Les grands investissements dans les terres agricoles
• La DDC appuie notam-
ment la Coalition interna- ne produisent pratiquement rien. » Au Mozam- sont moins répandus au Mozambique que dans
tionale pour l’accès à la bique, les terres sont la propriété de l’État. Dans les d’autres États africains. En effet, à peine 5% des sur-
terre (ILC) et œuvre en régions rurales, c’est le gouverneur de la province faces exploitées appartiennent à d’importantes so-
faveur d’un dialogue avec
les investisseurs publics
qui décide de leur répartition, conformément au ciétés étrangères, le plus souvent sud-africaines.
et privés, en collaboration système traditionnel. Chaque villageois peut ainsi « Certains investisseurs s’intéressent à la sylvicultu-
avec les principales organi- faire valoir son droit à la terre. re, d’autres veulent planter de la canne à sucre pour
sations multilatérales produire du bioéthanol, d’autres encore misent sur
concernées (FAO, Banque
mondiale, Fonds interna- Le gouvernement compte sur les la culture du riz, du maïs ou du coton. Tous sont
tional de développement investisseurs étrangers les bienvenus. Plus ils investissent, mieux c’est »,
agricole). À la sortie de Boane en direction de Maputo, un affirme Mandrata Nakala Oreste.
• Fin 2008, la DDC a mis
chantier imposant attire le regard : « Un centre de
sur pied son programme
global Sécurité alimentaire technologie agricole, financé par la République
dont l’un des axes straté-
giques est de sécuriser
populaire de Chine, verra le jour ici », annonce un « Tous sont les
grand panneau. Comme ailleurs en Afrique, la Chi-
l’accès à la terre pour les
populations rurales pau-
ne investit massivement au Mozambique, en par- bienvenus. Plus ils
vres. ticulier dans la construction d’infrastructures. En
• Dans les pays en déve-
loppement, la DDC conti-
même temps, elle lorgne sur les matières premières investissent,
et les marchés locaux, où elle pourra écouler ses
nue d’aider les organisa-
tions paysannes à renfor- produits. mieux c’est. »
cer leurs capacités de plai- Mandrata Nakala Oreste est à la tête de la Direc-
doyer dans ce domaine. tion de l’agriculture et de la sylviculture au sein du Mandrata Nakala Oreste
• La DDC cofinance des Ministère mozambicain de l’agriculture. Dans son
études permettant d’ap-
profondir les connaissan- bureau climatisé situé au centre de Maputo, il ex-
ces sur de tels contrats plique à la journaliste qui vient d’arriver que son Devant l’afflux de sociétés intéressées ces dernières
d’investissement et de gouvernement mise sur les investissements étran- années, les autorités mozambicaines ont décidé de
rechercher des partages
équitables dans la gestion
gers pour développer le secteur agricole. « Le Mo- soumettre les grands investissements à des condi-
des ressources naturelles zambique possède beaucoup de terres arables, mais tions contraignantes. Afin de protéger les intérêts
et des terres. pour qu’un développement durable s’installe, les des petits paysans locaux, le Parlement a en outre
La malédiction des
agrocarburants
« Les projets d’agrocarbu-
rants sont particulièrement
problématiques. Ils privent
de leur accès à la terre les
villageois qui pratiquent
une agriculture de subsis-
tance. Même ceux qui
trouvent un emploi dans la
plantation ne peuvent pas
vivre de leur salaire. Et
dans les endroits où s’ins-
talle une ferme de jatro-
pha, par exemple, les
petits paysans se mettent
eux aussi à planter cet ar-
adopté une nouvelle loi sur les terres, qui recon- nés participent d’emblée aux négociations avec buste pour pouvoir le ven-
naît explicitement les droits traditionnels des com- l’investisseur », souligne Mandrata Nakala Oreste. dre à l’entreprise. On met
à leur disposition des en-
munautés villageoises. « L’entreprise doit naturellement présenter une grais, de l’eau et des trac-
stratégie d’affaires, assortie d’un calendrier précis, teurs, mais les coûts de
Des projets sous surveillance qui fournit aussi une évaluation claire de l’impact ces moyens de production
engloutissent une grande
Pour obtenir l’autorisation d’investir dans la ter- socioéconomique de ses activités sur les commu- partie de leur revenu. »
re, il faut franchir bien des obstacles au Mozam- nautés locales. » Dulce Mavone, coordina-
bique. « Il est primordial que les villages concer- Les terres restent la propriété de l’État qui les loue trice d’Oram, Maputo
gratuitement, le plus souvent pour une durée de Ils témoignent en partie d’une guerre civile san-
cinquante ans. L’investisseur doit uniquement glante, mais les terribles inondations qui ont dé-
Les nouveaux s’acquitter d’une taxe de concession. Mandrata vasté le pays il y a trois ans ont également endom-
colonisateurs ?
L’Afrique du Sud est le
Nakala Oreste sait toutefois parfaitement que, mal- magé le revêtement.
principal partenaire com- gré les strictes conditions établies, il importe de Massingir contrôle en quelque sorte l’accès au parc
mercial du Mozambique contrôler de près la mise en œuvre des projets et, national du Limpopo, le pendant mozambicain du
et le premier investisseur le cas échéant, de retirer la licence aux promoteurs. parc Kruger sud-africain. C’est ici que le projet de
étranger dans ce pays.
À la fin des années 90, ses L’octroi de la concession dépend d’ailleurs de la bioéthanol Procana devait se réaliser et procurer à
paysans ont pu à nouveau composante sociale de l’investissement. « À nos la population l’essor économique qu’elle souhai-
obtenir des terres au yeux, les intérêts des communautés villageoises
Mozambique. Des sociétés
priment sur tout », assure le haut fonctionnaire.
sud-africaines ont com-
mencé de s’intéresser Outre la construction d’infrastructures et la créa- « Nous n’avons en
aux richesses locales. tion de réseaux de distribution, quelques projets
D’aucuns ont alors mis en
garde contre une « recolo-
d’investissement prévoient dès lors également la principe rien contre les
mise sur pied de structures sociales telles que des
nisation » du Mozambique.
Ce même risque a été évo- écoles. L’année passée, le gouvernement a annulé grands investissements
qué plus récemment à le projet de production de bioéthanol Procana, à
propos de la Chine qui
affiche un intérêt croissant
Massingir, parce que les investisseurs britanniques dans l’agriculture. »
pour l’Afrique. En 2001, n’avaient pas respecté leurs obligations. « Vous
Pékin a conclu un accord voyez, nous sommes sérieux », relève le représen- Teodosio Jeremias
avec Maputo sur le com- tant du gouvernement en prenant congé.
merce et l’investissement.
La Chine a également des
vues sur le secteur du bâti- Les promesses de Procana tait. Teodosio Jeremias, secrétaire de l’association
ment. Entre 2004 et 2006, Le trajet jusqu’à Massingir n’a rien d’une sinécu- d’entraide des petits paysans Oram, nous attend
le volume des échanges re : il faut presque six heures pour franchir les 400 dans son bureau. Pendant deux ans, il a suivi at-
entre les deux pays a pres-
que triplé, dépassant prati-
kilomètres qui séparent Maputo de ce village. La tentivement la mise en œuvre du projet jusqu’à
quement celui du com- route qui se dirige vers le nord-ouest est en très l’annulation du contrat par le gouvernement.
merce avec les États-Unis. mauvais état. Des trous béants émaillent l’asphalte. « Comprenez bien. Nous n’avons en principe rien
Expropriés, les habitants de Massingir n’ont pas reçu les emplois et les pâturages qu’on leur avait promis en échange.
Leur situation alimentaire est précaire. Ils ne peuvent qu’espérer, attendre et se retrouver au coucher du soleil pour une
partie de ntxuva, sorte de jeu d’échecs local.
contre les grands investissements dans l’agriculture. explique Alberto Amosvaloi, représentant des
Au contraire, nous en avons besoin », dit-il. « Mais communautés du parc du Limpopo. Les villageois
Procana s’est moqué des communautés villageoises concernés ne s’expliquent donc pas pourquoi le
vivant dans les environs de Massingir. » gouvernement avait approuvé le projet Procana et
L’entreprise britannique avait promis quelque 7000 fait fi de leur volonté.
emplois et de vastes pâturages aux agriculteurs ex- Les habitants de Massingir sont persuadés qu’un
propriés. Mais les petits paysans n’ont rien reçu et membre du gouvernement a touché des pots-de-
seuls 150 emplois saisonniers ont été créés. De plus, vin en échange de la concession ou qu’il a lui-
la production d’agrocarburants concurrence di- même investi dans le projet. C’est tout à fait pos- Paysans privés de
rectement la sécurité alimentaire. « Lorsque la sous- sible, car la corruption est courante au Mozam- leurs terres
alimentation est aussi endémique qu’au Mozam- bique, comme dans beaucoup de pays africains. Les « Les investissements dans
l’agriculture peuvent parfai-
bique, les terres fertiles et aisément accessibles doi- communautés de la région de Massingir, toujours tement présenter des
vent être vouées en priorité aux cultures vivrières expropriées de leurs terres, ignorent ce qu’elles avantages pour les pays
et non à la production de biocarburants pour les vont devenir. Elles doivent attendre que le gou- en développement.
Cependant, l’achat de
pays riches », affirme Teodosio Jeremias. vernement trouve un nouvel investisseur avec qui vastes surfaces agricoles
négocier. Teodosio Jeremias secoue la tête : « La si- recèle des risques impor-
Dans l’attente d’un nouvel investisseur tuation des habitants est encore plus grave qu’au- tants. De cette manière,
À l’instar de la population de Massingir, le secré- paravant. » la population locale peut
perdre l’accès aux terres et
taire d’Oram est furieux. En fait, les pâturages pro- Lorsque le soleil se couche sur le parc du Limpo- aux ressources naturelles
mis aux paysans avaient déjà été attribués à d’autres po et qu’une lune rousse monte au-dessus de la qu’elle exploite depuis des
communautés villageoises. Ces dernières s’y sont rivière des Éléphants, les habitants de Massingir générations. Les investis-
d’ailleurs installées entre-temps. Leur déplacement s’assoient devant leurs cases. Ils jouent au ntxuva, sements visant à soutenir
les petits paysans et non
avait été rendu nécessaire par l’agrandissement du sorte de jeu d’échecs local, boivent de la bière de les grandes plantations
parc du Limpopo. « Ces gens ne peuvent plus vivre melon faite maison et attendent le lendemain. ■ sont beaucoup plus pro-
dans le parc. Les éléphants reviennent sans cesse sac- metteurs. »
Lorenzo Cotula, Institut in-
cager leurs champs, anéantissant tout leur travail. (De l’allemand)
ternational pour l’environ-
La situation alimentaire est précaire. Et deux villa- nement et le développe-
geois ont même été piétinés par les pachydermes », ment (IIED)
Un seul monde : Les investisseurs du Nord ou Bien que les investissements dans l’agricul-
de pays qui dépendent des importations ali- ture s’imposent de toute urgence, la résis-
mentaires sont toujours plus nombreux à tance s’intensifie dans les pays en dévelop-
acheter ou à louer d’immenses étendues de pement. Que craint-on concrètement ?
terres arables dans les pays en développe- Le principal problème, c’est que les personnes vi-
ment. Pourquoi ? vant sur les terres vendues ou affermées ne sont pas
Michael Taylor, citoyen Michael Taylor : La hausse des prix des denrées
botswanais, dirige depuis alimentaires est la principale cause de cet accapa-
2006 le programme en fa-
veur d’une politique mon-
rement des terres. Elle incite toujours plus d’in-
diale et de l’Afrique au sein vestisseurs à s’assurer le contrôle de surfaces agri-
de la Coalition internatio- coles dans les pays en développement. À cette ten-
nale pour l’accès à la terre dance s’ajoute l’importance croissante des agro-
(ILC), basée à Rome. À ce
titre, il gère les activités de carburants. Leur production, à partir de végétaux
l’ILC en ce qui concerne tels que la betterave sucrière ou le jatropha, occu-
la pression économique pe toujours plus de terres. Il est évident que la cul-
sur le sol. La coalition re-
ture de plantes destinées à la fabrication de carbu-
groupe 83 organisations
qui œuvrent conjointement rants a fait exploser les prix de l’alimentation. De
afin d’assurer aux plus plus, elle est souvent liée à des mesures d’expro-
pauvres, en particulier aux priation : on déloge des petits paysans qui exploi-
Joel Chiziane
Comme les petits paysans ne possèdent que des droits d’exploitation informels, leurs intérêts ne sont pas pris en
considération lors de l’attribution des terres agricoles à des investisseurs
préserver les intérêts socioéconomiques des com- ment importent des produits agricoles.
munautés rurales concernées. Pourquoi ?
C’est vrai et cela s’explique par le fait que les gou-
Quel est l’impact de l’accaparement des vernements ne soutiennent pas assez l’agriculture.
terres sur la sécurité alimentaire des pays en Ces vingt dernières années, gouvernements et
développement ? bailleurs de fonds ont sensiblement réduit leur ap-
L’Union internationale des travailleurs de l’ali- pui au secteur agricole. Ceux qui en souffrent le
mentation a interrogé ses membres sur les effets de plus sont les petits paysans. Il y a quelque temps,
tels investissements dans l’agriculture. Ce sondage les pays donateurs ont heureusement réalisé qu’il
a montré que les grandes cultures créent relative- importe de soutenir davantage et de toute urgence
ment peu d’emplois, car une bonne partie du tra- la petite paysannerie.
(mr) « Les haricots sont la viande du pauvre », dit- améliorées ont été distribuées à plus de 7 millions
on en Afrique. Si cette légumineuse n’a pas la de ménages, soit 35 millions d’habitants. D’ici
même valeur nutritive que la viande, elle est néan- 2013, quelque 16,5 millions de ménages pourront
moins riche en protéines, en zinc et en fer. Elle oc- en profiter, ce qui représente plus de 83 millions
cupe une place centrale dans le régime alimentai- de personnes. Ce projet a une portée énorme », se
re de nombreux ménages africains. Même sans réjouit Philippe Monteil, chargé de programme à
grand recours à des moyens techniques auxiliaires, la DDC. ■
on peut récolter déjà trois mois à peine après les
semis. Cette culture simple est l’affaire des femmes (De l’allemand)
et même les familles pauvres y ont accès.
Au sud du Sahara, environ 4,5 millions d’hectares
sont déjà voués à la culture de haricots, qui sont
ainsi consommés par plus de 100 millions de mé-
nages. La population d’Afrique subsaharienne s’ac-
croît toutefois rapidement : en 2050, elle aura sans
doute doublé, pour atteindre 1,5 à 2 milliards d’ha-
bitants. Et la sous-alimentation risque bien de
suivre une hausse similaire.
L’Alliance panafricaine de recherche sur le haricot
Harmoniser le com-
(Pabra) s’attache depuis 1996 à diffuser ce végétal
merce de semences qui est idéal pour améliorer la sécurité alimentai-
Dans les pays en dévelop- re. Un programme de recherche, soutenu par la
pement, l’accroissement DDC, couvre aujourd’hui 25 pays d’Afrique sub-
de la productivité et donc
la lutte contre la faim dé- saharienne et ses succès sont remarquables.
pendent dans une large
mesure de la qualité des Amélioration constante des semences
semences. Les quatorze
Le programme s’efforce en particulier de mettre au
pays membres de la
Communauté de dévelop- point de nouvelles variétés de haricots : les se-
pement d’Afrique australe mences sont sans cesse améliorées, le plus souvent
(SADC) se sont dotés de dans des instituts nationaux de recherche sur le
lois qui garantissent cette
qualité. Mais la variété des
haricot. Environ 130 nouvelles variétés, plus pro-
législations nationales en- ductives et plus résistantes, ont déjà vu le jour. Les
trave les échanges inter- petits paysans parviennent désormais non seule-
nationaux de semences ment à couvrir leurs propres besoins, mais aussi à
améliorées. Les gouverne-
ments concernés ont vendre une partie de leur récolte.
signé une déclaration d’in- Depuis 2003, la Pabra s’efforce de diffuser aussi
tention qui vise à harmoni- largement que possible les variétés améliorées. Les
ser le commerce des se- entreprises privées négligent la commercialisation
mences, en appliquant un
principe analogue à celui des semences, qui n’est pas un marché particuliè-
du cassis de Dijon qui rement lucratif. C’est pourquoi des organisations
prévaut au sein de l’UE. non gouvernementales, des associations de petits
La DDC aide la Zambie, le
Eva Haeberle/laif
Zimbabwe, le Malawi et le
paysans et d’autres acteurs de la société civile ont
Swaziland à mettre en pris le relais.
œuvre cette déclaration. « Entre 2003 et 2008, des semences de haricot
Faits et chiffres
Liens
www.ctv.org.mz
L’organisation non gouvernementale Centro Terra Viva défend
les intérêts des petits paysans mozambicains
www.cepagri.gov.mz
Le Centro de Promoção da Agricultura (Cepagri) est l’instance
officielle mozambicaine à laquelle peuvent s’adresser les inves-
tisseurs étrangers dans le domaine agricole
www.ifad.org
Le Fonds international de développement agricole (Fida) est
une agence spécialisée de l’ONU, qui a pour objectif de lutter
contre la pauvreté dans les zones rurales
www.grain.org/publications
Barbara Dombrowski/laif
Carte de la faim
La carte de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) montre la
proportion de la population mondiale souffrant de malnutrition. Bibliographie
Lorenzo Cotula, Sonja
Vermeulen, Rebeca Leonard
et James Keeley : Land grab
or development opportunity ?
Agricultural investment and
international land deals in
Africa. Étude réalisée conjoin-
tement par l’IIED, la FAO et
le Fida ; ISBN 978-1-84369-
741-1 ; 2009
Accaparement de terres au
Kenya et au Mozambique.
Étude de la Food First
Information and Action
Network (FIAN), une organisa-
tion de défense des droits
humains ; www.fian.org,
« Publications » ; 2010
Faits et chiffres
Nom
République démocratique
populaire lao
Capitale
Vientiane (la ville du santal),
environ 550 000 habitants
Population
6,8 millions d’habitants,
dont la moitié ont moins
de 20 ans
Superficie
236 800 km2
Ethnies
Le Laos compte officielle-
ment 47 ethnies, réparties
en trois groupes :
Lao Loum : 60% (Lao des
plaines)
Lao Theung : 27% (Lao
des versants, de langue
mon-khmère)
Lao Soung : 13% (Lao des
montagnes, ethnies sino-
tibétaines)
Pascal Nufer
Langues
Lao ou laotien, étroitement
apparenté au thaï. Les
Dans le nord du Laos, les habitants pratiquent traditionnellement la riziculture. Mais leur vie a complètement changé
minorités ethniques se
depuis que les Chinois sont venus ériger à grands frais une fastueuse ville-casino.
répartissent en cinq famil-
depuis quatre ans. « Les Chinois nous prennent tout de même 4% de la superficie du pays qui pour- les linguistiques. Le fran-
çais continue de reculer,
tout », dit ce paysan de 58 ans dans son dialecte lao- rait passer en mains chinoises.
tandis que l’anglais est
tien proche du thaïlandais. Il dirige depuis quelques devenu la principale langue
mois un groupe d’activistes bien décidés à entre- Une amitié intéressée étrangère. Le chinois pro-
prendre quelque chose – ce qui est rare au Laos. L’ouverture au puissant voisin résulte essentielle- gresse.
« Nous nous opposerons jusqu’au bout aux plans du ment de la situation économique catastrophique du Produits d’exportation
gouvernement », assure-t-il. Laos. Il n’est donc pas étonnant que la Chine ait Bois, courant produit par
les centrales hydroélectri-
Ces plans sont en réalité ceux des Chinois. Thon- soutenu de façon très intéressée la construction de ques sur le Mékong, tex-
peung, la patrie de Lung Noi Daa, appartient pour stades et d’autres infrastructures, en y injectant des tiles, chaux et gypse, or,
les 99 prochaines années à la société chinoise Dok millions de dollars, lorsque le Laos s’est vu attribuer café
Newcam : c’est la période durant laquelle le gou- les Jeux Olympiques d’Asie du Sud-Est. L’événe-
vernement laotien loue à cet investisseur, qui dé- ment s’est déroulé en grande pompe l’an dernier.
tient également des participations dans des casinos Ce geste ne relevait pas du mécénat. D’emblée, il
au Myanmar et à Macao, une superficie équivalente était lié sans ambiguïté à des contrats pour l’amé-
à celle du lac de Bienne. À zone spéciale, règles spé- nagement d’autres zones spéciales, notamment la
ciales. Ce que la loi laotienne punit d’ordinaire sé- construction d’une « Chinatown » à proximité de
vèrement est ici au programme : jeux de hasard, Vientiane. « Nous estimons qu’un demi-million de
prostitution et tous les autres ingrédients d’un film Chinois viendront s’installer ces prochaines années
de gangsters et de mafieux. dans l’une ou l’autre des nouvelles zones spéciales
Les règles avaient aussi changé lorsqu’il a fallu du Laos », s’inquiète Pan, qui tait son vrai nom pour
vendre les rizières. « Nous avons été forcés de céder des raisons de sécurité. Mandaté par l’Union des
Chine
notre terrain à la moitié du prix habituel sur le mar- femmes du Laos, il rassemble des informations sur
ché », raconte Lung Noi Daa. Lui et sa femme ont l’influence croissante des Chinois dans le pays. Myanmar Viêt-nam
élevé cinq enfants. Jusqu’à présent, ils ont pu vivre Ce phénomène aura des répercussions considé- Laos
Golfe du
avec les maigres revenus de leur exploitation. rables dans un pays qui compte à peine 7 millions Tonkin
Vientiane
Les villes-casinos comme Thonpeung font partie d’habitants. Selon les observations de Pan, la Chi-
des signes visibles de l’engagement croissant de la ne exerce également un contrôle croissant sur l’ex-
Chine au Laos. On estime que les concessions de- ploitation des ressources minières et la construction Thaïlande
mandées par des Chinois pour d’autres zones spé- de barrages hydroélectriques. « De plus, affirme-t-
ciales totalisent quelque 10 000 km2. Cela représente il, les Chinois vont également produire à l’avenir du Cambodge
La construction d’une « Chinatown » à proximité de la capitale va accélérer l’immigration chinoise, qui constitue un
problème croissant pour les Laotiens
caoutchouc, du papier et des matières premières ses centaines de chambres climatisées, le parking est
destinées à la fabrication de biodiesel dans leurs désert. Tout cela fait penser à un décor de cinéma
zones spéciales. » sans acteurs. Juste à côté se trouve le casino, une bâ-
Pan pense que la grande amitié manifestée par Pé- tisse présomptueuse surmontée d’un dôme doré.
kin à l’égard de son petit frère communiste tient au De longues limousines noires et des véhicules tout-
régime politique du Laos : « Notre système de par- terrain Hummer ornent les alentours de ce temple
ti unique est très vulnérable aux décisions prises par de l’argent, censé rentabiliser un jour les investisse-
le porte-monnaie », dit-il pour décrire la corrup- ments chinois.
tion qui règne dans le pays. Cependant, l’influence
des autres pays voisins reste prédominante malgré Un autre monde
la précipitation des Chinois. Le principal partenai- C’est là un monde totalement étranger à des gens
re commercial est la Thaïlande, dont beaucoup de comme Lung Noi Daa. « De toute manière, je
Laotiens se sentent très proches sur le plan ethnique n’échangerai jamais de mon plein gré ma maison
et linguistique. Du point de vue politique, c’est la contre une maison chinoise préfabriquée », affirme-
voix du Viêt-nam – le voisin oriental – qui est pré- t-il. Cela l’amène à parler des plans de transforma-
pondérante. tion que concoctent les nouveaux propriétaires de
son village. Il paraît que les bulldozers vont démo-
Étalage de la richesse chinoise lir, en janvier prochain, les dernières maisons de Ban
Il est midi. Le soleil est au zénith et fait ruisseler la Kwuan pour les remplacer par un palais des congrès
sueur par tous les pores. Lung Noi Daa mange une – que l’on pourra aussi louer pour des mariages et
soupe aux vermicelles dans la seule échoppe resca- de grandes réceptions privées.
pée de Ban Kwuan. Le terrain sur lequel doit se construire le nouveau
Un avenir incertain
Actuellement, 127 familles vivent encore dans ce Ban Kwuan est déjà défriché et l’on y dresse en ce
Des gens comme Pan ou
le riziculteur Lung Noi Daa petit village laotien, situé au bord du Mékong, qui moment les échafaudages de bambou pour la pre-
osent mettre en doute la depuis longtemps ne ressemble plus à ce qu’il était mière maison type. Lung Noi Daa a l’air perdu en
viabilité à long terme de autrefois. Les simples maisons de bois sur pilotis dis- regardant cet immense espace aplani qui n’a rien à
l’avancée chinoise. « Plus
les Laotiens verront à quel
paraissent déjà derrière le kitsch néoclassique qui voir avec sa réalité à lui. Et juste au-delà, derrière
point les Chinois bénéfi- symbolise le progrès aux yeux des Chinois et sur- les rizières desséchées, on voit apparaître le prochain
cient d’un traitement spé- tout démontre leur puissance. Génération après gé- grand chantier : l’aéroport international de Thon-
cial dans notre pays, plus nération, les habitants de Ban Kwuan ont vécu en peung. Il amènera les joueurs du monde entier au
leur colère sera grande.
Pas seulement contre les harmonie avec la nature : ils pêchaient du poisson casino du Triangle d’Or. Lung Noi Daa ne sait pas
immigrants en provenance dans le Mékong, tandis que les champs leur four- trop quel objectif il entend atteindre avec son grou-
du pays voisin, mais aussi nissaient du riz et des légumes. pe d’activistes. Ce qui est certain, c’est qu’il se bat-
contre notre propre gou- Quelques poules égarées courent encore sur la rou- tra jusqu’à l’irrévocable « Rien ne va plus ! ». ■
vernement », prophétise
Pan. Cette liaison avec la te toute neuve asphaltée en rouge. Elles font tache
Chine pourrait ainsi débou- dans le nouvel univers artificiel qui commence au *Pascal Nufer, journaliste indépendant, vit en Thaïlande.
cher un jour sur une situa- bout de l’allée. Les rues qui forment le cœur de la Il est le correspondant de plusieurs médias germanophones
tion explosive qui compro-
mettrait le gouvernement
zone spéciale du Triangle d’Or se nomment Park pour l’Asie du Sud-Est.
laotien et la stabilité de Avenue ou Shopping Street. Devant le Kapok Gar-
tout le pays. den Hotel, un établissement surdimensionné avec (De l’allemand)
« L’essence de notre
DDC
travail se nourrit
Une chose qui me réjouit moins est le nombre
de rencontres croissant de rapports que nous avons à rédiger pour
la centrale dans le cadre de la réorganisation de la
personnelles.» DDC. Je suis convaincu que l’essence de notre tra-
vail ne figure pas dans les rapports, mais se nourrit
– ici comme en Suisse – de rencontres personnelles.
Hanoi 17. Mon cahier des charges comporte la di-
rection des programmes de la DDC au Laos et au C’est dans le contact direct avec les autochtones que
Viêt-nam – dont les capitales sont à une heure de nous sentons le mieux si notre travail est utile et de
vol l’une de l’autre. Comme je suis également res- quelle manière. Un exemple actuel: le gouverne-
ponsable du programme régional pour le Mékong, ment ayant décidé de transplanter sept villages sou-
je me rends souvent à Bangkok. Nous examinons tenus par la DDC, nous estimions que la seule cho-
actuellement la manière dont une partie des res- se à faire était de nous retirer d’un projet réalisé dans
sources libérées par la restructuration de notre le nord du Laos. Cela a conduit le gouverneur de
programme vietnamien pourront être affectées au la province concernée à venir nous voir dans la ca-
Myanmar. Lors d’un voyage en novembre dernier, pitale. Après une rencontre animée, il nous a invi-
je me suis rendu compte à quel point les Birmans tés à nous rendre sur place. J’ai accepté. Les discus-
ont besoin d’aide. Sur la base du programme hu- sions sur le terrain ont montré que les déplacements
manitaire de la DDC et en coordination avec prévus n’avaient pas que des aspects négatifs. J’ai Liens utiles
d’autres donateurs, nous élaborons une stratégie qui alors proposé au ministre responsable àVientiane de Le programme de la DDC
pour la région du Mékong
doit nous permettre de participer aux efforts de ré- planifier l’opération avec la population concernée se concentre sur le déve-
formes et de porter secours à une population ter- et avec nous. Le ministre est entré en matière. C’est loppement rural, l’agricul-
riblement pauvre – sans favoriser pour autant le ré- la première fois que le gouvernement laotien au- ture et la gouvernance.
Alors que le programme
gime actuel. torise un pays donateur à coorganiser un tel dépla- consacré au Laos sera
cement en apportant son soutien à la population encore étoffé dans les an-
J’ai malheureusement peu l’occasion d’aller sur le concernée. Ce processus est aussi une source d’es- nées à venir, le Viêt-nam
terrain, étant trop occupé par mes tâches de ges- poir pour l’avenir. L’effort a été considérable – rien cessera désormais d’être
un pays prioritaire de la
tion. Je ne peux assumer mes diverses fonctions que ce voyage dans le Nord m’a pris presque une coopération suisse.
qu’en m’appuyant sur des équipes qui travaillent de semaine. Mais l’expérience a été payante pour le vil- La DDC renforce par
manière autonome dans leurs domaines respectifs. lage, pour la province, pour le ministère et, en fin contre son engagement
En février dernier, nous avons évalué et adapté en- de compte, pour la Suisse. ■ à l’échelle régionale et au
Myanmar. Autres informa-
semble le plan quinquennal des deux pays priori- tions sur les activités de la
taires ainsi que le programme régional. Nous nous (Propos recueillis par Gabriela Neuhaus) DDC en Asie du Sud-Est :
y étions préparés avec soin.Ainsi, nous avons pu fai- www.ddc.admin.ch,
« pays », « Asie du Sud-Est »,
re des propositions solides à nos collègues venus de (De l’allemand)
« Mékong » et www.swiss-
Suisse et du Viêt-nam, de sorte que cet atelier de cooperation.admin.ch/
deux jours a eu l’efficacité et les résultats souhaités. mekong (en anglais)
D D C
DDC (2)
L’eau de la rivière Golema est plus propre qu’avant et ses berges rehaussées retiendront les crues Un trésor écologique
à protéger
L’assainissement de la
(jls) Le lac Prespa est un lieu de villégiature idyl- consistent à canaliser la Golema et à rehausser ses rivière Golema fait partie
lique, avec ses plages de sable fin, son climat médi- berges afin qu’elles contiennent les crues. Une d’un projet plus vaste du
terranéen et une nature apparemment intacte. C’est promenade pavée et éclairée est aménagée le long PNUD qui vise à protéger
l’écosystème de tout le
aussi un biotope unique au monde qui abrite une du nouveau canal. Parallèlement, des campagnes de bassin versant du lac
multitude d’espèces animales et végétales. Mais ce sensibilisation incitent la population à changer de Prespa. Cette région mon-
joyau écologique est en danger. La Golema, qui comportement et à protéger l’environnement, no- tagneuse, à cheval sur
l’alimente, était jusqu’ici extrêmement polluée. Les tamment en triant les déchets. trois pays, héberge 1500
types de plantes. On y
eaux usées des ménages et des industries étaient dé- trouve également de très
versées dans la rivière sans aucun traitement préa- Retombées sur le tourisme nombreuses espèces ani-
lable. Les riverains y jetaient également toutes sortes « Toutes ces actions, qui ont permis de réduire sen- males, dont certaines sont
menacées d’extinction,
d’immondices. En outre, les engrais et les pesticides siblement la pollution de la Golema, se réalisent
comme le pélican frisé ou
utilisés par les agriculteurs s’infiltrent dans le sol, avec la participation des autorités et des citoyens », le cormoran pygmée. Mais
contaminant les eaux souterraines et de surface. souligne Romana Tedeschi, chargée de program- la biodiversité s’érode peu
me à la DDC. « Il était essentiel d’intégrer d’em- à peu sous l’effet de la dé-
forestation et de la pollu-
Promenade au bord d’une rivière propre blée la municipalité de Resen dans le projet, car tion. Soucieux d’enrayer
Depuis quelques années, la DDC finance un pro- c’est elle qui devra assurer l’entretien de la rivière ce déclin, les gouverne-
jet de revitalisation de la Golema, mis en œuvre par et du réseau d’égouts. » Hormis ses impacts posi- ments de Macédoine,
le Programme des Nations Unies pour le déve- tifs sur la santé et sur l’environnement, ce projet de Grèce et d’Albanie se
sont engagés en 2000 à
loppement (PNUD). Un système de ramassage des pourrait aussi relancer le tourisme. Ces dernières protéger la région du lac
poubelles a été mis sur pied, de sorte que les habi- années, les nuitées avaient diminué dans les hôtels Prespa, qui abrite un parc
tants ne sont plus tentés de jeter leurs déchets dans du lac Prespa. ■ national transfrontalier.
la rivière. Ensuite, le projet a entrepris d’assainir le Aujourd’hui, avec l’aide du
PNUD, ils mettent en œu-
tronçon le plus pollué, long d’un kilomètre, qui tra- vre une gestion intégrée
verse la petite ville de Resen. Une grande opéra- des écosystèmes. Le but
tion de nettoyage a débarrassé la rivière de tous ses est de préserver la biodi-
versité et de réduire la pol-
détritus. On a construit un réseau d’égouts qui éva- lution de l’eau, tout en as-
cue les eaux usées des ménages et des industries vers surant le développement
une station d’épuration. Actuellement, les travaux économique de la région.
La catastrophe
Le séisme du 12 janvier
2010, d’une magnitude de
7 sur l’échelle de Richter,
a provoqué d’énormes
dégâts dans la capitale (gn) « Une grande confusion continue de régner en catastrophes, les secouristes peuvent normalement
haïtienne, Port-au-Prince, Haïti, où nombre d'organismes cherchent des so- s’appuyer sur des structures existantes. Ce n’est pas
et dans les régions envi- lutions pour mener leurs projets d'entraide. » Tel était le cas en Haïti : déjà faible, l’État a été complète-
ronnantes. Selon l’ONU, le constat fait par Jürg Bohnenblust, chargé de pro- ment paralysé par un tremblement de terre qui a
il a fait 220 000 morts,
300 000 blessés et environ gramme suppléant pour Haïti, en mai dernier, soit irrémédiablement détruit des pans entiers de l’ad-
1,5 million de sans-abri. quatre mois après le terrible séisme. De retour de ministration.
Le 31 mars, l’ONU a l’île meurtrie, il racontait que cette mission avait été Cette situation empêche une progression rapide des
convoqué à New York une
conférence ministérielle sur
l’une des plus exigeantes qu’il ait vécues au cours travaux, alors que l’argent nécessaire est disponible :
la reconstruction de Haïti. de longues années passées au service de l’Aide hu- la conférence internationale des donateurs, réunie
À cette occasion, les pays manitaire de la Confédération : « La plupart des se- en mars à New York, a promis 10 milliards de dol-
donateurs ont promis des couristes présents n’avaient jamais vu un tel degré lars en faveur de la reconstruction. Mais la réalisa-
aides financières totalisant
10 milliards de dollars.
de destruction et été confrontés à des défis aussi im- tion de projets sur le terrain se fait attendre. Et il
Pour la période allant de portants en matière de reconstruction. » y a de quoi. Par exemple, il est délicat de bâtir de
2010 à 2012, la DDC parti- nouvelles habitations alors que les droits fonciers ne
cipe à hauteur de 36 mil- Flou autour des droits de propriété sont pas clairement établis. De plus, « la construc-
lions de francs aux efforts
communs. À ce montant On estime qu’il faudra déblayer quelque 40 mil- tion d’écoles ou de routes nécessite des normes
s’ajoutent 64 millions de lions de tonnes de gravats pour faire de la place aux qui doivent être admises et appliquées par tous les
francs de dons en prove- nouvelles maisons. C’est à Port-au-Prince, capitale intervenants, en particulier par le gouvernement
nance de la Suisse, que la
à l’habitat très densifié, que l’on rencontre les prin- haïtien », souligne Jürg Bohnenblust. Les bases né-
Chaîne du bonheur canali-
sera par l’intermédiaire de cipales difficultés. L’approvisionnement en eau cessaires sont en voie d’élaboration, mais ce pro-
ses partenaires. reste extrêmement précaire. Même après de graves cessus exige du temps.
Aide à la reconstruction
Durant les premiers jours
La reconstruction progresse lentement en Haïti. Beaucoup de maisons sont encore en ruines et un grand nombre et semaines qui ont suivi
d’habitants continuent de vivre dans des abris temporaires fournis par l’aide internationale. le tremblement de terre
en Haïti, la DDC a apporté
une contribution impor-
la sécurité alimentaire et sur l’aide d’urgence. Au re devenir une plate-forme où tous pourront échan- tante aux opérations
cours des mois et des années à venir, nous allons ger les connaissances acquises et les faire évoluer. d’aide d’urgence : 170
tonnes de marchandises
mettre l’expérience ainsi acquise au service d’une On prévoit par exemple de mettre sur pied des et 110 collaborateurs de
reconstruction durable. » Face à l’ampleur des be- cours ciblés pour former des spécialistes locaux du l’Aide humanitaire suisse
soins, il faut beaucoup de courage pour se limiter bâtiment, qui pourront aussitôt être engagés dans ont été envoyés sur place.
Ces derniers ont concen-
à certains domaines, estime-t-elle. Vu l’énorme les divers projets de reconstruction. tré leurs activités sur les
engagement international en faveur d’Haïti, c’est « Cette idée a suscité un vif intérêt aussi bien au- domaines suivants : soins
toutefois uniquement de cette manière que la Suis- près des œuvres d’entraide suisses que des institu- médicaux, approvisionne-
se, petit pays donateur, pourra exploiter son savoir- tions de l’ONU », relève Jürg Bohnenblust. Dans ment en eau potable et
distribution de l’aide. De
faire et les connaissances de ses experts, afin de fai- l’incertitude actuelle, il importe avant tout de res- plus, 2000 familles ont
re valoir ses arguments et d’apporter une aide effi- ter souple et d’axer les activités sur les besoins lo- reçu des lots de matériel
cace à ce pays sinistré. caux. Le CCT a pour objectif de regrouper ces be- (lattes de bois, tôles on-
Plusieurs spécialistes de la DDC travaillent actuel- soins et de créer, avec l’aide des spécialistes du CSA, dulées, bâches, etc.) qui
leur ont permis de se
lement en Haïti pour des organisations de l’ONU. les conditions nécessaires à une mise en œuvre ef- construire un abri tempo-
Un membre du Corps suisse d’aide humanitaire ficace des projets de reconstruction. ■ raire correspondant à
(CSA) dirige par exemple la division de construc- leurs besoins.
www.ddc.admin.ch,
tion de l’Unicef, qui s’est donné pour objectif d’as- (De l’allemand) « Dossiers », « Séisme en
surer d’ici l’automne un enseignement scolaire Haïti : activités de l'aide
digne de ce nom à 700 000 enfants et adolescents. humanitaire sur place »
Redux/laif
de la DDC Chine (Cisar) et la formation de lité et de freiner la propagation
(lrf) Depuis début juillet, ses membres. Ce groupe de de maladies contagieuses. La
Kurt Kunz, 53 ans, dirige le secouristes a franchi une formation continue du person- guerre. Depuis avril 2010, la
domaine Coopération avec étape importante en 2009 : nel local est aussi un thème DDC réalise un programme de
l’Europe de l’Est. Après l’ONU a reconnu sa conformité essentiel du projet. Ces amé- prise en charge psychosociale.
des études de sociologie à aux normes fixées par le liorations apportées au sys- Son objectif est de promouvoir
l’Université de Zurich, il a été Groupe consultatif internatio- tème de santé contribueront les droits de la femme, de sou-
délégué du CICR. Puis il est nal de recherche et de sauve- au développement du Yémen. tenir les femmes victimes de
entré en 1987 dans le service tage (Insarag). Cette certifica- Durée du projet : 2010 - 2015 conflits et d’améliorer leur
diplomatique du DFAE, tra- Volume : 1,5 million CHF santé tant psychique que phy-
vaillant successivement à sique. Ce programme devrait
Berne, Ottawa, Brasilia, Vienne La petite irrigation au Niger permettre de diminuer les vio-
et Bruxelles. Son dernier poste (bm) L’économie du Niger re- lences et de renforcer le statut
a été celui de premier collabo- pose en grande partie sur le des femmes dans la société.
rateur à l’ambassade de secteur rural qui occupe plus Durée du projet (1ère phase) :
P. Fischer/DDC
F O R U M
La FAO évalue
les dégâts
La déforestation a légère-
VU/laif
Déforestation dation Intercooperation et consultant de la DDC tions d’émissions et la redistribution des revenus
et dégradation en matière de forêts. aux populations locales.
La déforestation et la dé- Heureusement, la tendance est en train de s’inver-
gradation des forêts sont ser. « La perception de la forêt a changé au niveau Les aides pleuvent
deux notions bien dis-
tinctes. La première corres- international. Tout le monde reconnaît aujour- Sans attendre la finalisation d’un accord sur la
pond à un changement d’hui que la lutte contre les changements clima- Redd, les pays industrialisés – dont la Suisse, par le
d’affectation des terres. tiques passe par une réduction des émissions de car- biais du Secrétariat d’État à l’économie (Seco) –
Tous les arbres sont abat-
tus, afin d’aménager des
bone forestier », note Jürgen Blaser. Une idée a fait ont déjà engagé des sommes conséquentes pour
cultures agricoles, des pâ- son chemin depuis 2005 dans les négociations in- tester ce mécanisme. Ils ont par exemple versé 260
turages, des exploitations ternationales : il faut allouer des subventions aux millions de dollars au Fonds de partenariat pour le
minières ou des zones pays du Sud pour qu’ils cessent d’abattre leurs fo- carbone forestier. Créé en 2008 par la Banque
d’habitation. Le carbone
stocké dans la biomasse et
rêts. Les pays industrialisés sont prêts à financer un mondiale, cet instrument aide 37 pays tropicaux à
dans le sol est alors libéré mécanisme d’incitation à la Réduction des émis- préparer leur participation au futur système de
en une fois. On parle de sions résultant de la déforestation et de la dégra- compensations. De son côté, le Programme d’in-
dégradation, en revanche, dation des forêts (Redd). Un accord international vestissement pour la forêt a reçu 600 millions de
lorsque l’état de la forêt est
peu à peu altéré, sous l’ef- a de bonnes chances d’être conclu d’ici 2012. Au dollars pour financer la mise en œuvre de straté-
fet de coupes fréquentes et préalable, les négociateurs doivent s’entendre sur la gies nationales de Redd dans cinq pays pilotes
anarchiques. Dans ce cas, structure et les modalités de ce système interna- (Burkina, Ghana, Indonésie, Laos et Pérou). Par
le carbone se perd progres-
tional de paiements. Il reste également à résoudre ailleurs, six nations industrialisées ont promis un
sivement, en même temps
que les autres biens et plusieurs problèmes épineux, comme la mesure du total de 3,5 milliards de dollars, afin d’appuyer le
services de la forêt. carbone stocké dans les forêts, le suivi des réduc- lancement d’activités de Redd entre 2010 et 2012.
En dehors de Kyoto
Le Mécanisme de dévelop-
pement propre (MDP), ins-
tauré par le Protocole de
Kyoto, permet aux pays in-
dustrialisés d’obtenir des
Philippe Brault/Oeil Public/laif
« crédits de carbone » en
finançant des projets qui
Jürgen Blaser/DDC
Andrew Testa/Panos/Strates
Ekrem Çitaku est né il y a
Ces jours-ci, je repense le matin, geâtre ; et je trouvais toujours également une source de dignité, 32 ans à Pristina, la capitale
du Kosovo. C’est dans cette
dans ma ville polluée, à l’époque intéressant de découvrir une de sérénité, de félicité. La richesse ville qu’il vit encore aujour-
où l’on y voyait davantage de toiture de couleur différente. de tout un peuple. d’hui, cumulant un emploi de
verdure, où les habitants étaient dentiste dans une clinique
en meilleure santé, où l’eau était Aujourd’hui, tous les toits sont Nos enfants méritent de grandir privée et la direction d’une
station de radio. « Ces activi-
plus fraîche... gris. Ce n’est pas leur couleur dans un air pur. Si chacun tés sont mes deux passions
d’origine, mais ils sont recou- d’entre nous se donne un peu dans la vie », dit-il. Ekrem
Où est passé l’environnement verts de poussière. Si nous allons de peine, notre ville pourra Çitaku pratiquait déjà le jour-
nalisme pendant ses études
propre de ma cité ? Pristina s’est à la campagne pour visiter nos peut-être se transformer en
de médecine. En 2000, il a
transformée en une étendue villages, nous sommes surpris par une véritable oasis. C’est tout fondé Radio Vala Rinore (les
totalement urbanisée avec une leur « modernité ». Les champs de suite – et non demain – que ondes de la jeunesse) qui est
multitude d’habitants, de loge- sont en friche – ce qui est dû à nous devons commencer d’agir actuellement la station la plus
populaire de Pristina. En
ments et d’immeubles commer- l’absence d’une politique agri- pour le bien de la collectivité, en 2005, il a également créé le
ciaux qui ont encore rétréci les cole digne de ce nom, mais aussi protégeant de manière plus dé- Human Rights Radio Network,
rares espaces restés naturels. au fait qu’il n’y a personne pour terminée la qualité de l’air, de un réseau multiethnique et
les cultiver. Les jeunes sont par- l’eau, de la terre. En travaillant plurilingue auquel participent
neuf stations de diverses
Ce sont les gens eux-mêmes qui tis, attirés par la ville. Les seuls à notre propre éducation et à communautés, basées dans
rendent l’environnement agres- à rester au village sont des per- notre prise de conscience. En toutes les régions du Kosovo.
sif. J’entends par là que nous sonnes âgées, dont les forces dé- réduisant au silence pendant au Son objectif est d’améliorer
la communication entre les
sommes à la croisée des chemins. clinent. moins une journée le moteur de
divers groupes ethniques
Sommes-nous capables de penser notre voiture, afin de sauvegarder et de promouvoir l’entente et
à l’avenir de nos enfants ? Nous cherchons en vain l’image notre santé et l’environnement. ■ la tolérance réciproques.
Debout sur le balcon, je revois idyllique de la nature, que le www.radiovalarinore.com
des images de mon enfance, grand poète albanais Naim (De l’albanais)
du temps où nous faisions des Frashëri a décrite comme aucun
excursions en famille et où – autre dans Troupeaux et labours.
comme tous les enfants curieux Hélas, elle n’existe plus que dans
– j’avais l’habitude de regarder notre mémoire. Les gens doivent
les toits des maisons : presque comprendre que la nature n’est
tous avaient la même teinte rou- pas seulement la nature. C’est
C U L T U R E
Flurina Rothenberger
Par le biais de plates-formes interactives sur Internet, de blogs ou de YouTube, une musique jouée par exemple dans un club de Côte d’Ivoire se fraie
un chemin direct vers les pays du Nord
Quiconque assiste à un concert de la BBC passe les dernières sique du monde qui transite par soutenu financièrement par le
organisé par Motherland, au nouveautés d’Afrique ainsi que des plates-formes interactives sur Fonds culturel Sud de la DDC.
club Exil de Zurich, peut deve- leurs divers remixages réalisés Internet. Ce genre fleurit sur le La ghetto-tech est le reflet et le
nir citoyen de la République par des disc-jockeys et des pro- terreau de la club culture et dans résultat logique de processus qui
démocratique de Tamtam. Au ducteurs de Londres, New York le milieu artistique international. ne cessent de s’accentuer : mon-
service des naturalisations – une ou Munich. Faisant fi des frontières, il se mue dialisation, urbanisation et nu-
simple caisse en bois –, une ac- en un réseau international et mérisation. Grâce aux nouvelles
trice interroge le candidat sur ses Les chasseurs-cueilleurs informel, mais avec le soutien technologies, nombre de musi-
motivations. Elle note lentement du 21e siècle d’entreprises médiatiques natio- ciens africains peuvent atteindre
toutes ses réponses, en tapant à L’Afrique est aujourd’hui du nales, telle la BBC. directement le public d’Europe
deux doigts sur une vieille ma- dernier chic dans les clubs Porté par une équipe bénévole et d’Amérique du Nord.
chine à écrire. L’heureux natura- d’Europe et d’Amérique du pluridisciplinaire – une gra- D’une part, ils utilisent les ré-
lisé fête ensuite sa nouvelle ci- Nord. Certains initiés appellent phiste, une photographe, un seaux de compatriotes qui for-
toyenneté en buvant une bière la nouvelle tendance la ghetto- musicien, un administrateur, ment la première, la deuxième,
au bar et en dansant sur la mu- tech. D’autres parlent de la un politologue et un architecte voire la troisième génération
sique de DJ Edu. Cet animateur « world music 2.0 », soit la mu- d’intérieur –, Motherland est d’immigrants dans les métro-
La ghetto-tech est née dans les townships sud-africains, comme Soweto (page de gauche). Cette musique évolue entre la club culture et la scène
artistique. Parmi ses figures de proue figurent les deux stars sud-africaines du kwaito, DJ Cleo et Pastor Mbhobho (en haut), leur compatriote Gazelle
ainsi que le rappeur somalien K’Naan.
directs, sont empreints d’urgence comme naguère la Jamaïque – clip officiel de la Coupe du *Thomas Burkhalter, musicologue et
et de créativité, mais qui prend révolutionne le monde de la monde de football en Afrique ethnologue, est journaliste culturel
parfois des airs aussi redondants musique avec des rythmes et des du Sud ; la pauvreté et la guerre indépendant et gère le réseau en
qu’étouffants. C’est également le sons inédits ; quant au sociologue ont fait place à des enfants qui ligne Norient (www.norient.com)
cas du kwaito. Ce genre né dans ou au politologue, il se prend à courent en riant derrière un
les townships sud-africains après rêver d’une modernité multiple ballon. (De l’allemand)
la chute de l’apartheid, qui ex- dans un monde affranchi de la Il faut aussi veiller à discerner
primait si bien le désarroi des suprématie euro-américaine. qui prêche quoi dans ces vidéos,
jeunes Noirs sud-africains des car tous les artistes de la ghetto-
années 90, est devenu une mu- Veiller à discerner tech ne sont pas issus d’un quar-
sique commerciale et insipide qui prêche quoi tier pauvre. On devrait se de-
après avoir été récupéré par l’in- L’avenir nous dira si ces espoirs mander à qui cette musique
dustrie du disque et la publicité. étaient utopiques. Car les posi- rapporte de l’argent en défini-
Cependant, même si le plus cé- tions de la ghetto-tech sont fra- tive et à qui (ou à combien de
lèbre des chanteurs de kwaito giles, parfois contradictoires et personnes) profite ce nouveau
fanfaronne dans une voiture de rarement mûries. On pourrait marché de niche.
luxe, vêtu d’un costume sur me- disserter longtemps pour savoir Mais commençons par nous ré-
sure et paré de bijoux précieux, si l’excès d’exotisme africain du jouir. Car lorsque les musiciens Liens
il n’en incarne pas moins les es- groupe londonien Radioclit, par d’Afrique parviennent à percer www.motherland.ch
poirs les plus variés : l’habitant exemple, n’est qu’une nouvelle non seulement dans les discos www.soundcloud.com
du ghetto s’invente une ascen- étape du bradage culturel du alternatives, mais aussi dans les www.nomadicwax.com
sion économique et sociale ; le continent noir. On peut aussi se clubs branchés, cela fait déjà un www.generationbass.com
DJ, le blogueur et le clubiste eu- demander ce que vont devenir bien fou, au moins psychologi- www.myspace.com/radioclit
ropéens ou nord-américains se les stars actuelles des clubs : quement. ■ www.wayneandwax.com
plaisent à penser que l’Afrique – K’Naan vient d’enregistrer le
(bf) La Chine sera présente dans toute la Suisse de mi- l’ensemble Malakastër, qui in- se tient le 19 novembre à Aarau,
septembre à début décembre : le festival Culturescapes carne la tradition albanaise des sera consacrée à cet engage-
proposera à Bâle, Berne, Genève et Zurich plus de polyphonies vocales. ment. Elle évoquera les activités
soixante projets extrêmement divers allant de la musique Festival des Ateliers d’ethnomusico- déjà réalisées dans les pays béné-
du monde au cinéma, en passant par le jazz, le théâtre, la logie, théâtre de l’Alhambra, Genève, ficiaires et le rôle que jouera à
performance, la littérature et les arts plastiques. Plus que du 23 septembre au 2 octobre l’avenir la contribution à l’élar-
tout autre, la Chine est un pays où les contrastes et les gissement. La présidente de la
niveaux de développement évoluent à une cadence verti- Au salon de la coopération Confédération Doris Leuthard
gineuse. Avec le soutien de la DDC, la huitième édition internationale prononcera une allocution. Les
de Culturescapes veut témoigner de cette transformation. (bf ) Organisé une année sur débats seront surtout axés sur la
Le projet Eastern Voices, par exemple, présente 21 jeunes deux, le forum cinfo est une Pologne et les pays baltes. Il est
chanteurs chinois qui interprètent des mélodies tradition- manifestation entièrement prévu que Elzbieta Bienkowska,
nelles. Dans l’exposition Heart-Made, de jeunes architectes consacrée à la coopération inter- ministre polonaise du dévelop-
jouent avec leurs propres formes d’expression. Enfin, un nationale. Les employeurs, les pement régional, s’adresse elle
projet de photo et de vidéo a donné à dix villageois l’occa- spécialistes et ceux qui vont aussi aux participants. Des films,
sion de filmer leur vie à la campagne, la transformation de le devenir s’y retrouvent pour des présentations et un atelier
leur environnement et le processus de démocratisation des débats, des échanges et des viendront compléter la partie
dans leurs villages. contacts. Cette année, le thème officielle de la manifestation.
« Culturescapes China » du 16.9. au 7.12. à Bâle, Berne, central sera la nouvelle concur- D’autres informations se trou-
Genève et Zurich ; programme et informations sous rence qui se manifeste entre vent sur le site Internet de la
www.culturescapes.ch les acteurs commerciaux et tra- contribution à l’élargissement.
ditionnels de la coopération, Conférence annuelle de la coopéra-
ainsi que ses conséquences sur le tion avec l’Europe de l’Est,
marché de l’emploi. La coopéra- 19 novembre, Aarau ;
tion a longtemps été l’apanage www.contribution-elargissement.
des œuvres d’entraide et des admin.ch
pouvoirs publics. De nouveaux
acteurs apparaissent depuis Échos du désert
Musique
Divers
de basse, envolées mélodiques annoncée Souhaitez-vous obtenir des in-
Film
de la flûte ney, battements des (dg) Les réserves mondiales de formations de première main sur Le rappeur vaudois Stress a en-
mains et tambours traditionnels céréales vont en diminuant, tou- la politique étrangère ? Des spé- tamé une carrière solo en 2003.
(daf et tonbak). Ce blues du dé- jours plus de pays perdent leur cialistes du Département fédéral Âgé de 33 ans, il est aujour-
sert, qui oscille entre mélancolie souveraineté alimentaire et les des affaires étrangères (DFAE) d’hui l’un des rares artistes
farouche et énergie débordante, prix des denrées sont à la hausse. sont à la disposition des écoles, suisses à connaître le succès
retentit longtemps dans nos Yves Billy et Richard Prost ont des associations et des institu- des deux côtés de la Sarine.
oreilles. exploré les raisons de cette raré- tions, pour leur présenter des
Mariem Hassan : « Shouka » faction des produits alimentaires exposés et animer des débats De passage à Dakar en 2009, je
(Nubenegra/Internet) et des surfaces agricoles sur sur divers sujets de la politique me suis rendu un soir dans un club
toute la planète. Les cinéastes étrangère. Le service de confé- qui accueillait vingt musiciens sé-
Le come-back de Sanchez français sont partis pour un tour rences est gratuit. Il n’est toute- négalais pour une jam session.
(er) Comme il chante bien ! La du monde. Ils ont enquêté dans fois disponible qu’en Suisse et Ce groupe, composé exclusive-
voix romantique et chatoyante les zones rurales de l’Argentine trente personnes au moins ment de percussionnistes, m’a
de Sanchez, 46 ans, est l’une des et des États-Unis, les deux plus doivent participer à la manifesta- littéralement bluffé. Sa musique
plus belles de l’histoire du reg- gros producteurs d’agrocarbu- tion. dégageait une telle force qu’on en
gae. Le légendaire crooner de rants et partisans de l’utilisation Service de conférences du DFAE, oubliait vite l’absence d’autres ins-
Kingston (Jamaïque) a fait lan- de plantes génétiquement modi- Service de l’information, Palais truments. À aucun moment, elle ne
guir ses fans durant sept longues fiées. Leur film Vers un crash ali- fédéral Ouest, 3003 Berne ; m’a semblé répétitive. On m’a ap-
années avant de publier un mentaire montre également les tél. 031 322 31 53/44 12 ; pris que ces artistes font partie de
nouvel album. On n’avait plus effets de la hausse des prix au fax 031 324 90 47/48 ; l’Étoile de Dakar, qui accompagne
entendu parler de lui depuis le Mali, dans une région affaiblie courriel : info@eda.admin.ch le chanteur Youssou N’Dour.
fameux refrain « Living up, living de surcroît par le réchauffement À mon retour en Suisse, j’ai fait
up ! » de son tube Frenzy, qui climatique. En Chine, les réalisa- des recherches sur Internet et j’ai
avait retenti dans tous les dan- teurs ont voulu savoir comment découvert une perle discogra-
cings de la planète – et que l’on le gouvernement compte assurer phique : plusieurs morceaux de ce
entend encore ici ou là. Le voici l’approvisionnement de la popu- groupe enregistrés durant une jam
donc de retour, avec ses mélo- lation en denrées alimentaires. session, puis transférés tels quels
sur un CD, sans arrangements par-
ticuliers. J’y ai retrouvé l’émotion
ressentie sur place. Cette compila-
Impressum Gabriela Neuhaus (gn) Maria Roselli (mr) 3003 Berne, tion est à l’opposé de ce qui se fait
Un seul monde paraît quatre fois par année, Jane-Lise Schneeberger (jls) Ernst Rieben (er) Courriel : info@deza.admin.ch
en français, en allemand et en italien. Tél. 031 322 44 12 en Europe. Chez nous, chaque
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des affaires étrangères (DFAE) plus sophistiquées. J’ai parfois
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Catherine Vuffray (coordination globale) (vuc) rédaction ait donné son accord. L’envoi
Marie-Noëlle Bossel, Marc-André Bünzli, d’un exemplaire à l’éditeur est souhaité. Couverture : Dulce et Amelia, les deux filles produit le plus parfait possible.
Beat Felber, Thomas Jenatsch, Roland Leffler, de Fernando Salvador Muchaga (page 9) ;
Sabina Mächler, Nicole Suhner Abonnements et changements d’adresse : photo Joel Chiziane
(Propos recueillis par Jane-Lise
Le magazine peut être obtenu gratuitement Schneeberger)
Rédaction : (en Suisse seulement) auprès de : DFAE, ISSN 1661-1675
Beat Felber (bf–production) Service de l’information, Palais fédéral Ouest,