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FACULTE DE DROIT ET DE SCIENCE POLITIOI.

JE DAIX-MARSEILLE
CENTRE D’ETUDES ET DE RECHERCHES DHISTO!RE DES IDEES FT DES LNSTITUTIONS POLITIQUES

Collection d’Histoire des Instiiutionx ci des Idécs Poliliques dirigéc par Michel G4NZIN

Ca/hers Aiois &9lLctoire dks


!Droits d (‘Outre-9vler Français

N°J

PRESSES UNIVERSITAIRES QAIX-MARSEILLE


2002
LA CONDITION JURIDIQUE
DE LA FEMME EN NOUVELLE-FRANCE:
ESSAI SUR L’APPLICATION
DE LA COUTUME DE PARIS
DANS UN CONTEXTE COLONIAL
Par

David GILLES
A TE R a Ia Faculte de Droit de La Rochelle

<<Ii n est pas etonnant qu en tout pays 1 homme


rendu le maitre de Ia femme tout etant fonde sur se soft
Ia force II a
d ordinaire beaucoup de supriorite par celle du corps
et meme de
I esprit>> Telle est une pat-tie de I expose peu flatteu
r de Voltaire
concernant Ia femme dans son Dictionnaire PhilosophzqueW
meme epoque les juristes ne se trou ent pas en reste A la
pour justifier
Ia preponderance juridique de I homme sur celle-ca
C est ainsi qu un
peu plus tot Cardin Le Bret a propos de I exclusion
des femmes a
Ia couronne de France, ecrit <L exclusion des flues
et
issus des filles est conforme a la by de la nature laquell des males
e ayant cree
Ia femme imparfoite foible et debile tant du corps
que de I esprit
1 a soubmise a Ia puissance de 1 homme x.m Si les
junstes et Ia
doctrine aux XVII et XVuIIe siecles ne se montre
nt guere en
faveur de Ia femme et cela en ce qut concerne tant
le droit public
que le droit prive il n en reste pas moms que pour
Ia femme la
capacite demeure Ia regle >> et cela tout autant clans
les
droit ecrit que les pays de coutumes meme si cette capaci pays de
te est tres

Voltaire Dicfwnnazre Phi losophique Till (Euvre


s ed Gamier coil
.
Ciassiques, Paris, 1879, art. e Femmes (pp. 95-99)
(2) . p. 96.
Cardin Le Bret De la couveraznete du roy Paris 1632 livre
(3) I ch 4
Jean Portemer < Le statut de Ia femme en France
depuis Ia reformation des
coutumes jusqu a Ia redaction du Code civil>> Recuei
ls de La Societe Jean Bodin
pour i’Histoire comparative des institutions, T. XII,
La femme, Deuxième partie,
Bruxelles 1962 pp 447 497
p 453
78 Cahiers aixois d’histoire des droits de l’Outre-mer francais N° I David GILLES
79

fortement encadree L exemple de Ia Coutume de Paris 4 est institutionnelle°>, puisque la colonie des 1665 se trouve dirigée
interessant sur cc point puisque, tout en entravant fortement par
une sorte de trzumvirat dont un gouvemement bicephale,
l’exercice des prerogatives juridiques de Ia femme mariée en Ia Ic
gouvemeur étant chargé des activités militaires et des relations
subordonnant a son man, elle lui laisse pourtant un certain nombre extérieures et l’intendant étant chargé de la Justice, de Ia police et
de portes de sortie pour échapper a cette emprise masculine. des finances. Troisième tête de I’hydre institutionnel, les Conseils
La 5
,
Nouvel1e-France a partir de 1663 et de Ia dissolution de Souverains de Québec et Louisbourg, sont charges de rendre Ia
Ia Compagnie des Cent-Associés, passe véntablement sous le justice et d’appliquer les decisions du pouvoir royal et de
contrôle direct du pouvoir royal Ic territoire de Ia colonie étant ses
représentants. La consequence de l’unité juridique souhaitée est
mcorpore au domame royal Elle se trouve rapidement conflee aux que
Ia femme canadienne se trouve pour une grande panic dans
soms de Ia Compagme des Indes Occidentales en 1664 et Ic restera Ia
méme situation juridique que Ia femme parisienne. Ce faisant,
jusqu’en 1674. La France gardera le contrôle de ses possessions Ia
comparaison entre Ies deux situations de part et d’autre
d’Amérique dii nord jusqu’en 1760(6>, date a laquelle Ia Nouvelle de
1 ‘Atlantique devient alors particuliérement intéressante.
France passe définitivement sous contrôle anglais. Malgré
cette unite normative, des particularismes se font rapidement
La Coutume de Paris fut introduite en Nouvelle-France par jour
lorsque I’on étudie attentivement Ia place des femmes dans
I article 33 de I edit d etabhssement de la Compagnie des Indes le
monde juridique de Ia Nouvelle-France. La Coutume de Paris
Occidentales du mois de mai 1664 Elle etait déjà presente dans le evolue assez rapidement a tel point qu en 1760 on parlera des
système jundique du Canada en 1627 par Ia fondation de Ia <<Lois du Canada>> Ia Coutume de Pans appliquée a
compagnie de Ia Nouvelle-France (Compagnie des Cent Québec et
Montréal, aprés des modifications en 1670, 1678 et 1685,
t7
Associés)
. Cette application de Ia Coutume de Paris aux colonies se
trouvant sir bien des points éloignée de celle appliquée
d’Ancien Régime est Ia solution adoptée pour l’ensemble des au
21
Châtelet
. Ce système juridique, examine par les auteurs anglo
colonies comme Ic remarque Denisart clans son article sir les saxons Ia fin du XVIII siècle, lors de la conquëte definitive
colonies françaises
t8 a l’exclusion de toute autre norme juridique, <<des
quelques arpents de neiges>> tant négliges par Louis XV, trouve
afin <<d eviter Ia diversite >> Unite juridique donc mats diversaté clans
leur analyse des critiques mais également un respect pour I
‘ceuvre
(4)
accomplie <<Cc systeme de lois>> ecrira plus turd Ic gouvemeur
Sur Ia Coutume de Pans voir notamment les ouvrages de François Olivier de
Québec Guy Carleton en 1767, établissait, dii plus petit au
Martin, Histoire de Ia Coutume de la prévdté et vicomté de Paris, T. 1, Paris, plus
Cujas, 1972, et de V-A. Poulenc, La Coutume de Paris, Paris, éd. F. Jourdan, 1900. grand, une subordination qui assurait l’harmonie intérieure
(5)
dont Ic
Le terme recouvre un espace géographiquement très vaste, puisqu’elie pays jouissait avant notre an-ivée, et pennettait au gouvernemen
t
comprend, a son apogee, le Canada (1524-1763), l’Acadie (1604-1713), Terre supreme d’obtenir I’obéissance d’une province très éloignee.
Neuve (1627-1713), Ia Louisiane (1682-1763), et I’ile Royale (1717-1758). Ii C’était
en tous les cas cc but là que les législateurs avaient
sera ici essentiellement question des possessions septentrionales de Ia France. en tête en
établissant les principes directeurs de Ia Coutume de Paris
Voir Daniel Hickey art < Nouvelle France>> (sous Ia direction de Lucien BCly)
Cette condition jundique reste relativement favorable aux
Dictionnaire de l’Ancien Régime, PUF, coil. Quadrige, 2002, pp.907-911, p. 907.
(6)
femmes
A I exception de Louisbourg qut est perdue en 1745 et rendue a Ia France ainsi La Coutume de Pans apphquee en Nouvelle-France,
flit pourtant
que 1’Iie dii Cap-Breton par Ia Paix d’Aix-la-Chapelie en 1748, et des possessions
perdues iors du Traité d’Utrecht en 1713 : Terre-Neuve, l’Acadie et Ia Baie Juger, suivant les lois et ordonnances du royaume de
d’Hudson. France, & de suivre et se
(7)
conformer a Ia Coutuine de Paris, suivant laquelle les
Scion I’étude du Professeur Jean-Marie Augustin, des < avant 1664, les colons, habitants pourront
contracter, sans que l’on puisse introduire aucune autre
conseillCs par ies notaires, observaient déjà Ia Coutunie de Paris pour tout ce qui coutume pour éviter Ia
diversité.u Denisart, article Colonies Fran çaises, ibid.
touche au droit familial >>, Jean-Marie Augustin, e Les premiers contrats de ((0) p. 389.
Voir notamment sur cc point l’ouvrage de Lionel
manage a Montréal de 1648 a 1664>> La Revue Juridique Themis Faculte de Groulx, Hisroire du Canada
Francais, Tome I Le Régime francais, Fidés, Montréal ème
Droit de L Université de Montreal vol 30 n 1 1996 pp 1 21 p 18 et Paris, 4 edition, 394
p., pp. 67-73.
e Ii eat certain que dans ies Indes en Aménque & par tout aiileurs ou lea Sur Ia Coutume de Paris en Nouvelle-France, voir
francois ont des colonies, l’on suit Ia Coutume de Paris >>, Denisart, Collections notamment l’article de Yves
F. Zoltvany, <<Esquisse de Ia Coutume de Paris >,
de decisions Nouvelles a de Notions relatives a Ia jurisprudence actuelle. Revue dHistoire de 1 Amérique
Fran çaise, décembre 1971, vol. 25, n° 3,
NeuviCme edition, Veuve Desaint 1775, 4 volumes, article Colonies Francaises, ((2) pp. 365-384.
Micheline 0 Johnson, <Histoire de Ia condition de Ia femme
vol. 4, p. 389. dens Ia province
(9)
de Quebec u, Tradition culturelle a histoire polirique
<<L’article 33 de Ia declaration du inois d’aoüt 1664 enregistrC au Parlement le de la femme au Canada,
éd. Labarge, 1975, p. 1.
premier septembre suivant, et constitutive de l’établissement de Ia compagnie des li>
Carleton a Shelbume, 24 décembre 1767, dans WB Munro
Indes orientaies, porte que les juges établis en toutes lea places des lIes que Ia ed., Documents
relating to the seignioral Tenure, 227 cite dens Micheiine
compagme pourroit occuper comme abandonnees et desertes, seront tenus de p. D Johnson, op. cit.
p. 1.
80 Cahiers aixois d’histoire des droits de l’Outre-mer francats N° I David GILLES 81

influencée par le renouveau du droit romain qui renforca, aux junidiquement privilégiee pour leur époque au sein de Ia société
xvlrle et XVIIIe1 siècles, l’emprise de l’homme, et notamment chi canadienne. Pourquoi cette place remarquable de la femme en
man sun la femme. L’uvre du cénacle de Fontenay-le-Comte, Nouvelle-France? Tout d’abord, le choix de Ia Coutume de Paris se
discutant de Ia <querelle des femmes >>, et comptant parmi ses tnouve particulièrement favorable a la femme, essentiellement
I intervenants Tiraqueau, a largement contribué a réaffirmer la grace a l’institution du douaine coutumier qui protege Ia femme
nécessité & la prééminence du man dans les rapports junidiques cki apnès le décés de son époux. Ensuite, Ia place de Ia femme sun le
. L’uvre de Tiraqueau, confortée par le travail de Dii
14
coupl& <<marché matrimonial>> d’outre-atlantique, particulièrement
Moulin, va aboutir a une nette definition de l’incapacité de Ia favorable au XVII siècle, permet aux femmes d’obtenir une plus
femme, incapacité qui va se retrouver dans les coutumes réformées grande force dans leurs rapports juridiques avec leurs èpoux et les
du XVI siècle, et notamment celle de Paris. Maiheureusement, tiers. La capacite de Ia femme maniée se trouve également
rares sont les juristes canadiens de l’Ancien Régime ayant travaillé amplifiée par les particularités géographiques de Ia colonie,
sun l’application de Ia Coutume de Paris en Nouvelle-France. Seuls obligeant réguliènement l’époux a s’absenter longuement, et done a
,
les brefs ouvrages de François-Joseph Cugnet nous éclairent sun confier Ia direction de la communauté a sa femme. Enfin,
.
61
la réflexion junidique coloniale concemant celle-ci l’exemple donné pan les pratiques junidiques des autres populations
A partir du choix de Ia Coutume de Paris en 1664, on peut se américaines, amérindiennes ou anglo-saxonnes vont permettnent
demander comment le contexte colonial (envinonnement une evolution & la Coutume de Paris en faveur de Ia condition
, contacts avec
17
géographique, liens difficiles avec Ia metropole junidique feminine. Cette evolution, constante durant le Régime
d’autnes systémes juridiques) va influencer l’application de celIeci. Français, reste une réalité durant les premiers temps dii Régime
La vie dans Ia colonie va-t-eIle modifier le statut jundique de Ia anglais, puisque Ia Coutume de Paris reste en vigueur, après une
femme, ou accentuer ou diminuer Ia participation juridique des interruption d’une dizaine d’années
8 et subit alors l’influence
femmes a Ia vie de la société coloniale? D’ores et déjà, on peut forte du droit anglo-saxon. L’acte de Québec de 1774 maintiendra
remarquer que les femmes en Nouvelle-France vont bénéficier de néanmoins en vigueur, pour Ia population québècoise, Ia Coutume
nombreux facteurs, et vont rapidement obtenir une place de Paris jusqu’à l’adoption du Code Civil du Bas-Canada en 1866.
Le joug de Ia Coutume de Paris, qui semble dans un premier temps
entraver fortement Ia femme manée (I), va se révéler
(4)
P Ourliac, << L’Cvolution de la condition de Ia femme en Droit français >>, VIII suffisamment souple pour s’adapter a Ia colonie, permettre une
journCes franco-espagnoles de droit compare, Barcelone ( mai 1966): <<La assez grande capacite juridique (II) et constituer in fine, aux yeux
I condition juridique de Ia femme >, publiC dans lea Annales de Ia Faculté de droit
et des sciences économiques de Toulouse, Tome XIV, fasc. 2, 1966, pp. 43-73, des auteurs libéraux aménicains, une protection juridique solide de Ia
p. 62. femme.
Francois-Joseph Cugnet, Traité abrégé des anciennes loix, coustumes et
usages de Ia colonie du Canada, aujourd ‘hul province de Québec, QuCbec, G. 1- LE CADRE JURIDIQUE DE LA FEMME MARJEE:
Brown, 1775, ainsi que Extraits des edits, declarations, ordonnances er ENTRE ENTRAVE JURIDIQTJE ET SOUPLESSE SOCIALE
reglemens de SM. trés chrétienne, des réglements et jugements des gouverneurs
généraux et intendans concernans Ia justice et des reglemens et ordonnances
de police rendues par les inrendans, faisans partie de Ia legislature en force en Selon Ia Coutume de Paris, des sa majorité, Ia femme est
Ia colonie du Canada... tires des registres du Conseil supérieur et de ceux pleinement capable hors mariage, mais I’incapacité de Ia femme
d’intendance, Quebec, G. Brown, 1775. Maiheureusement, ces deux ouvrages, qui 9
mariée est fortement affirméeU
). Si Bourjon, dans son Droit
ne se trouvent en France qu’à Ia Bibliotheque Nationale, n’ont Pu Ctre consultCs, Comm un de Ia France et la coutume de Paris réduits en princzpes
a?!ant mystCrieusement disparu des rayons du site de Tolbiac.
(6) remarque que, selon Ia Coutume de Paris <<la femme par la faiblesse
Cela s’explique en grande panic par Ia pauvretC de l’enseignement juridique
dans Ia colonie. La profession d’avocat y eat interdite, et ce n’est qu’C l’orée du naturelle son sexe est incapable de plusieurs sortes de fonctions,
XVffle siCcle que Ic procureur gCnCral Mathieu-Benoit Collet dispensera les
:1 premiers cours de droit, Cchouant toutefois a Ctablir un veritable enseignement
comme d’être témoin de la passation d’un acte >>. II affirme, dans
I’article suivant < qu’hors ce cas, la femme qui n’est pas en
universitaire. A partir de 1733, Guillaume Verrier dispensera des <<conferences
sur Ia legislation aux jeunes gens de bonne famille >, qui permettra a Ia jeunesse
coloniale de goüter 6 Ia richesse de sa bibliothCque comptant 4000 volumes. Voir Evelyn Kolish, < Les canadiens devant deux droits familiaux , Cap-aux
Robert Lahaise, Noel Vallerand, La Nouvelle-France 1524-1 760, Lanctôt Editeur, diamants, n° 39, automne 1994, pp. 14-17.
QuCbec, 1999, pp. 249-250. Anne Lefebvre-Tejllard, Introduction historique au droit des personnes et de
Sur Ia permanence de ces difficultCs, voir E. Robert, Canada Francais et Ia famille, Presses Universitaires de France, coil. Droit fondamentaI, I CC edition,
Acadie, Au pays de Maria Chapdelaine, Paris, Cd. Roger et C Dumoulin, 1924. 1996, pp. 182-183.
82 Cahiers aixois d’histoire des droits de l’Outre-mer francais N° 1 David GILLES 83

puissance de man jouit de cette liberté, qui est tout ensemble legislation royale a propos du manage et dii consentement des
naturelle et légale (...) >>°>. Pourtant, cette capacité reconnue a Ia parents se retrouvent également en Nouvelle-France. Pour ce qui
femme reste fortement encadrée, voire limitée, par la sociologie et concerne les lois du roi, <des ordonnances de Blois en 1579, le
Ia prépondérance juridique du man. En effet, le manage en Code Michau en 1639, divers edits et declarations au )(WI siècle
Nouvelle-France, plus encore peut-étre que clans Ia métropole, augmentent Ia sevenite des lois contre tous ceux qut ne respectent
s’avère étre une nclcessité, un passage oblige qui se doit d’ëtre pas le consentement des parents au manage de leurs enfants >>(25)
effectué le plus tot possible. L’arsenal juridique mis alors a Ia En Nouvelle France, ces edits et ordonnances doivent s applaquer
disposition des junidictions de Ia Nouvelle-France se trouve alors bien evidemment avec toute Ia sevénte voulue par les decisions
appliqué avec une grande fidélité aux pratiques juridictionnelles de royales. Néanmoins, on peut noter une certaine indulgence des
l’ancienne France (A). La femme tombe ainsi très rapidement en représentants du pouvoir royal, qui se montrent parfois plus
<<puissance de mari >>, subissant <<par son maniage une capitis compréhensifs qu’en ancienne France, Ia pression sociale,
diminutio qui lui enlève toute personnalité, elle ne peut agir seule notamment pour les enfants de bonne famille, se montrant peut
car tous les actes qu’elle ferait sont nuls ab initio. >>(2 > Si le pouvoir étre moindre dans Ia colonie. Cette indulgence se retrouve
affirme clans Ia majonité des cas l’application de Ia <<Coutume de la également dans les premiers temps de Ia colonie, dans I’application
ville, PrévOté et Vicomté de Paris>> qui <s’observe inviolablement des régles de droit en matière de publicité, notamment sur le
en Canada >>(22), un certain nombre de conditions particulières a Ia probleme du pnncipe de I immutabilite des conventions
Nouvelle-France
123 vont pourtant influer stir l’application du droit matrimonaales
t26 qui n est pas rigoureusement respecte t27 Une
et renforcer ainsi l’expression des dispositions plus favorables a Ia grande partie des anregulanités junadiques
t28 qui se retrouvent clans les
femme déjà contenues clans Ia Coutume de Paris, C’est le cas actes passes dans Ia colonie sont favonsees par les conditions de
notamment de la participation juridique (B) de la femme a la vie cii vie particulières de Ia population. Elles sont couvertes ou initiées
couple, a Ia gestion de Ia communauté de biens, rendue essentielle par le pouvoir, qu’il soit local en La personne des intendants,
par les conditions de vie parfois précaires que connait Ia colonie. gouvemeurs, et conseillers royaux, ou métropolitain. Le manage,
premier acte jundique d’importance pour les jeunes gens souhaitant
A) Femme et manage en Nouvelle-France.
(25)
Les femmes canadiennes, tout comme les femmes de Yves Durand, L ‘Ordre du Monde, Ideal politique er valeurs sociales en
France du XVIe au XVJIIe siècle, Cd. SEDES, 2001, p. 57.
l’ancienne France, ne quittent bien souvent la sphere et l’emprise (26)
R. Villers < Note stir 1 immutabilite des conventions matrimoniales dans
juridiue familiale que pour se soumettre a l’autonité juridique cii I Ancien Droit français>> Droit prive et institutions regionales Etudes offertes a
man
t 4), Les tensions flees entre Ia legislation canonique et Ia Jean Yver Publications de I UmversitC de Rouen 1976 pp 679 689
(7)
I.e Professeur Augustin remarque que dans Ia jeune colome de Montréal la
publicitC se trouve facilement assuree et que les irrégularitCs sont couvertes par
(20)
Bousjon, Le droit commun de Ia France et Ia coutume de Paris réduits en Ic gouverneur Chomedey de Maisomieuve Jean Mane Augustm <<Les premiers
principes, tires des Ordonnances, des arréts, des Loix civiles, & des auteurs, & contrats de manage a Montréal de 1648 a 1664 >>, op. cit., p. 7.
28)
mises dans l’ordre dun commentaire complet et méthodique sur cette coutume, Voir I ‘enquCte gCnerale faite par Louis-Guillaume Verner menée de 1730 a
Paris, Cd. Grange Rouy, 1747, 2 vol., Titre ler, Chapitre 11, art 2 et 3, p. 2. 1732 a Ia Suite de nombreuses irrCgularités constatCes par Ic pouvoir
(21)
p Ourliac, <<L’Cvolution de Ia condition de Ia femme >, op. cit. p. 63. mCtropolitain dans les actes de plusieurs notaires dCcCdCs. Les actes incriminés
(22)
224 MIOMJ2, Lettre de Colbert a Talon, 20 FCvrier 1668, Archives d’Ouire concernent 33 notaires. Ils ont été corrigCs et validCs par l’enquCteur royal. Le
Met, Aix-en-Provence, Cl IA, vol. 2. rapport contient en outre des remarques de Verrier a leur sujet, [Archives
(23)
Sur cette question, voir l’article de J. Boucher, <.L’histoire de Ia condition Nationales d’Outre-Mer, Aix-en-Provence, Fonds notaries, CAN 1. étude de
juridique et sociale de Ia femme au Canada français , in Le droit dans la vie Jacques de Home (1704-1730)]. Dc nombreux travaux canadiens ont étudié les
familiale Livre du Centenaire du Code civil, Textes prCsentCs par J. Boucher et activitCs des differentes etudes notanales en Nouvefle France A. et P G Roy
A. Morel, PUM, Montréal, 1970, 302 p. Inventazrec des greffes des notaires du regime francais Quebec Demers 1 943
(24>
Jan Noel remarque que e the marriage laws, which everywhere made it a wife’s 1960 19 vol Louis Lavallee <<Les archives notariales et 1 histoire sociale de Ia
duty to follow her husband to whatever dwelling place he chose. In 1650, the men Nouvelle France>> Revue d histoire de 1 Amerique fran caise 1974 75 n 28
of Montréal were advised by Governor maisonneuve that they were in fact Louis Lavallée <<La vie et la pratique d tin notaire rural sous le regime francais
responsible for the misdemeanours of their wifes since <<Ia loi les Ctablit le cas de Guillaume Barette, notaire a Ia Prairie entre 1709-1744 s, Revue
seigneurs de leurs femmes >>, Jan Noel, “New France: Les femnies favorisées, The d’Histoire de l’4mérique francaise, 1993-1994, n° 47; Joseph-Edmond Roy,
Neglected majority. Essays” in Canadian women’s history, vol. 2, éd. by A. Histoire du notariat au Canada depuis Ia fondarion de la colonie jusqu ‘a nos
Prentice and Susan Mann Trofimenkoff, Mc Clelland and Stewart edition, fours, vol. 2, Levis, 1900; André Vachon, 1-listoire du notariat canadien, 1621-
Toronto, 1985, pp. 18-40. 1960, Québec, Presses de l’Université de Laval, 1962.
David GILLES 85
84 Cahiers aixois d histoire des droits de I Outre mer francais N° 1

donc exié pour pouvoir contracter Ia plupart des manages dans Ia


échapper a l’emprise familiale, reste le fondement de Ia société
1 , excepté ceux des veuves. Si Ia Coutume de Paris prévoit
Colonie
civile. D’ailleurs, les futurs epoux en Nouvelle-France ont
mariage reproduisant ainsi, en
, un age minimum pour pouvoir contracter un manage valide, elle ne
fortement recours au contrat de 291
habitudes juridiques . La
30
des couples parisiens semble pas avoir été appliquée avec une grande nigueur en Nouvelle
les amplifiant, les
France
1 6) Bouijon rappelle effectivement que <<Les males a 1 8
famille, souvent isolée dans les vastes étendues canadiennes, reste le
ans, les femelles a 14 ont acquis Ia pleine pubenté, ceile des males a
seul ancrage pour les colons canadiens, faisant de celle-ci non (37)
14 ans, celle des femelies a 12 est une puberté imparfaite
seulement le premier élément de socialisation, mais également le
.
13
premier lien vers Ia société civile et politique. Ces ages les rendent capables de contracter manage (...). Le
La question de I ‘age du manage: Se Ion Ia Coutume de Paris, manage contracté avant cet age, seroit nil, & Ia femme pnivée de
ses gains nuptiaux >>. Paul-André Lecierc rapponte ainsi
l’age de majorité permettant de se marier est fixé a vingt-cinq ans.
Or, que ce soit au )CVflI” et plus encore au XVII siècle, les plusieurs manages conclus dans les premiers temps de la coionie, qui
manages en Nouvelle-France se font a in age bien plus précoce. En contrevenaient a l’age minimum de douze ans pour les files et
effet, la pénunie de jeunes files au XVTICme, malgré les efforts des quatonze ans pour les garcons prévu par la Coutume, dont l’un eut
132 et des administrateurs coloniaux,
congregations religieues comrne parrain Samuel Champlain en
provoque un trés grand nombre de manages avec des files a peine Le consentement familial : Ce consentement, exigé par le
33 empéche l’installation dans Ia
pubéres. Ce déséquilibre des sexes pouvoir royal pour valider le manage de mineurs, pose probième
colonie de ce que J. Hajnal appelle <<un manage de type dans Ia colonie. En effet, Ia volonté dii pouvoir royal en Nouvelie
européen >, c’est-a-dire un age dii manage retardé pour les femmes France est de favoniser les mariages précoces, quitte a contrevenir a
la stricte opposition des parents. C’est pourquoi I’on trouve chez
aussi bien que pour les hommes, ainsi qu’une forte proportion de
. Le consentement familial est
134 les adrninistrateurs locaux des réticences a permettre aux parents de
personnes qui ne se marient jamais
s’opposer au manage de ieur file jusqu’a l’age de 25 ans comme ie
(29)
M, Verette rapporte que Ia proportion de jeunes gens passant contrat de
<<Le professeur Jacques Hennipin a étudié 794 mariages de femmes célibataires
manage a Montréal entre 1750 et 1770 dépasserait lea 95%. M. Verette,
en Nouvelle-France 607 de ces manages (76,4%) ont été conclus avant que Ia
<<L’alphabótisation de Ia population de Ia yule de Québec de 1750 a 1849 >,
femme n’ait 25 ans (La Population canadienne au debut du XVIIIème siècle, Paris,
Revue d’Hisiofre de 1’Amérique Francaise, 1985, n°39-1, pp. 5 1-77, p. 54. Voir
1954, p. 98) o, Boucher, op. cit., p. 158, note n5.
également L. DechCne, Habitants et marchands a Montréal au XVIIe siècle, (36)
Talon nemarque dana une lettre du 27 octobre 1667 adressée a Colbent, <<qu’on
Montréal, Plon, 1974, pp. 418-422. ne peut trop travailler a engager dana Ic manage les filles d’âge nubile,
(30)
Dana son étude sur Ia pratique notaniale parisienne concernant lea contrats de
puisqu’elles engagent en méme temps leurs parents a demeuner fixement dans le
manage, Armelle Hubert remarque que les contrats de manage sont trés frequents,
pays dans lequel ciTes prétendent faire leur établisaement perpCtuel >,
dana toutes les categories sociales, atm de garantir l’authenticité de l’acte, sa
224M10M/2, Lettre de Talon au Ministre Colbert, Archives Nationales d’Outre
régularite vis-à-vis de Ia Coutume de Paris, Ct de permettre aux futurs conjoints
Mer, Aix-en-Provence, CI IA, Correspondance génénale 1668-1672.
d’établir des clauses et conventions particulieres. Armelie Hubert, Etude des 07)
II ajoute également que eTa nature avance ce qui Ia regande, elle eat plus
contrats de manage et de la pratique notariale a Paris au milieu du XVIIIe siècle
tardive du cotC de Ia raison, mais comme dana Ia fixation indicative de Ta puberte,
(17491758) These de Droit. La Rochelle, 1999.
Ia Ioi n’a eu d’autre régle que Ia nature, cest Ia nature auivant l’espnit mCme de Ia
On retrouve l’anaiogie entre fidélitC monarchique et piCte filiale, dans Ia
Ioi qu’iI faut toujours consulter sun cc point >, Bourjon, Le droit commun de Ia
declaration de 1639, <<(...) lea mariages sont le sCminaire des états, Ia source et
France et Ia coutume de Paris réduit.s en pnincipes, tires des Ordonnances, des
l’onigine de Ta sociétC civile et le fondement des families, (...) Ia naturelle
annéts, des Lois civiles, & des auteurs, & mises dans l’ordre d’un commentaire
révérence des enfants envers leurs parents eat Ic lien de Ia légitime obéissance des
complet et méthodique sur cette coutume, Paris, éd. Grange Rouy, 1 747, 2 vol.,
sujets envers leur souverain (...) >, Yves Durand, L ‘Ordre du Monde, Ideal
Titre II, ant I et 2, p. 3.
politique et valeurs sociales en France du XVIe au XVIHe siècle, op. cit., p. 57. C’est Te maniage de Jean Nicollet et de Marguerite Coulilard qui n’avait que 11
32
L
>
Sun ce point voir R Charbonneau, B. Desjardins, A. Guillemette, V. Landry,
ans. Paul-André Leclerc rapporte d’assez nombreux cas de matiagea en pnincipes
J.Légare, F. Nault, Naissance d’une population, les Francais établis au Canada nuTs, mais dont la nullité ne sembie pas avoir été soulevée devant Ic Conseil
au XVIIe siècle, Paris, Montréal, I.N.E.D, P.U.M., 1987 Marcel Trudel, La
Souverain ou Ic pouvoir ecclésiastique. II est possible Cgalement que lea
population du Canada en 1663, coIl. Fleur de lys, MontrCal, Fides, 1973. rehabilitations possibles de ces manages ne figunent plus au registre de Québec.
Sur Ic déséquiiibre des sexes et son influence sun Ic mariage. notamment sur On peut remarquer encore d’un point de vue symbolique Ic manage précoce mais
lea colonies francaises d’Ancien Régime, voir Paul Lachance, < L’effet du valide, <<Ic 12 aoOt 1652, de Charles de Lauzon Charny, fila du Gouverneur Jean
desequilibre des sexes sur Ic comportement matrimonial comparaison entre Ia de Lauzono qui épousa Marie-Louise Giffard, file du Seigneur de Beauport, qui
Nouvelle-France, Saint-Domingue et Ia Nouvelle-France >>, Revue d ‘I-fistoire de n’avait que treize ans. >. Voir sun cc point Paul-André Leclerc, eLe manage sous
l’Amérique Francaise, n° 39-2, automne 1985, pp. 163-185. Ic Régime francais >, Revue d ‘Histoire de 1 ‘Amérique Française, septembre 1959,
J. Hajual, “European Marnages in Perspectives”, dans DV. Glass et D.E.C Vol. XIII, n2, pp. 236-246.
Eversiey, Population in History, London, Edward Arnold, 1965, p. 101.
86 Cahiers aixois d’histoire des droits de 1’Outre-mer francais N° 1 David GILLES 87

leur permettait
39 Ia Coutume de Paris. C’est par exemple le cas l’institution du manage, qui fait entrer Ia femme en puissance de
dans Ia decision de l’intendant Hocquart de permettre a une jeune man.
.
40
flue de 23 ans de se marier malgré l’opposition de ses parents Malgré cette attenuation du pnincipe du consentement
Le pouvoir royal, afin de favoriser le développement de la colonie, parental, Ia célébration des manages, une fois le contrat passé
va ainsi favoriser, contrairement a sa politique en métropole, les devant notaire, doit se faire, selon les volontés de l’épiscopat,
jeunes gens en rupture de ban vis-à-vis de leurs parents. Bien sür, le <<sans irrévérences et profanations scandaleuses,x. en ayant recours
pouvoir n’entend pas écarter les enfants, et notamment les jeunes <<au Bras Séculier, si cela est nécessaire >>(46). Si les enfants sont
files, du respect qu’ils doivent a leurs pères >>, mais le souhait encore mineurs, les parents peuvent en principe s’appuyer sur toute
de les voir manes au plus tot, va pousser le pouvoir métropolitain a Ia rigueur de Ia legislation royale, dans Ia limite de l’arrét de 1668.
tancer fortement Messieurs Vaudreuil et Raudot, pour le peu Tout comme en métropole, les manages ciandestins sont alors
4
. Les
d’allant qu’ils mettent a favoriser le manage des plus jeunes> sévèrement punis par les conseiliers royaux des Cours Souveraines
administrateurs locaux, comme Raudot ou Bégon, se doivent alors de Nouvelle-France. C’est par exemple le cas en ce qui concerne le
de rappeler aux jeunes gens oqu’en 1668, ii y a eu un arrest rendu manage d’un jeune membre de la famille du gouvemeur Vaudreuil.
au conseil de sa Majesté qui fait deffenses aux pères de s’opposer Celui-ci s’étant mane sans Ia permission du gouvemeur, ii se trouve
aux manages de leurs garçons quand ils auront 20 ans, a peine .
47
<banni >>, lui et son épouse, a l’Ile Royale (ile du Cap-Breton)<
d’amende >> ainsi qu’aux jeunes filles de 16 ans. Bégon face a Ia C’est le cas également du mariage du jeune Lamontagne, qui pour
volonté royale, s’engage a executer l’arrêt <<portant defense aux s’étre mane avec use aménindienne sans le consentement de ses
péres et méres de s’opposer aux manages de leurs enfants, a savoir parents alors qu’il était mineur, voit son manage annulé. Malgré les
les garcons a 20 ans, et les files a 16, et suivra exactement cette peines sévéres encourues, et peut étre a cause de Ia pression sociale,
jurisprudence dans toutes les affaires qui viendront pardevant luy au ii se trouve pourtant un nombre significatif de couples canadiens qui
sujet des manages >>“. L’administration coloniale va méme se manient <<a la gaumine >>. Ces manages sont nés d’un
devancer, ou exagérer, Ia volonté premiere du roi en voyant dans Ia détournement des dispositions du Concile de Trente: les manes
multiplication des congregations religieuses féminines en Nouvelle s’épousent devant témoins lors de l’élévation pendant la messe,
France, un frein au développement de La colonie
45
. Cette attitude sans que le prétre soit consulté. De tels manages sont combattus,
montre bien, s’il en était besoin, la faveur du pouvoir royal pour par les autorités civiles tant que religieuses, et ceci tant en ancienne
qu’en Nouvelle-France,. En 1718, Mgr de Saint-Valuer émet un
mandement menaçant d’excommunication ceux et celles qui ont
(39) recours a cette pratique de maniage. Cela n’empéche pourtant pas,
Boucher, op. cit., p. 157.
Lettre de i’intendant Hocquart, Rapport de l’Archiviste de Ia Province de la mCme année, Elisabeth Rocbert de Ia Morandiène, vingt-deux ans,
Québec, 1921-1922, Québec, p. 62-66. ft lie aInée du garde-magasin du roi de Montréal, d’épouser de cette
(41)
Lettre de Vaudreuil et Raudot a Ponchartrain, 7 novembre 1711, RAPQ, (1946-
1947), p. 439.
manière le chevalier Claude Michel Bégon, vingt-neuf ans, frére
(42>
Au vu du recensement de Ia colonie qui fait apparaItre un nombre important de
garcons et flues (célibataires) de plus de 15 ans, le roi ne peut croire que les Srs
de Vaudreuil et Raudot connaissant Ia enécessité qu’il y a pour l’augmentation
de Ia Colonie d’en augmenter le nombre de families (...) its n’eussent porte Ia u Afin que lea curez soient en état de remédier plus efficacement aux
plus grande partie de cette jeunesse a se marier.>> Mémoire dii roi a MM. De irrCvérences et profanations scandaleuses qui arrivent trés souvent dana Ia
Vaudreuil et Raudot, 7 juillet 1711, cite dana Paul-André Leclerc, eLe manage célébration des Manages, nous jugeons a propos de leurs ordonner d’avertir les
sous le régime français >>, op. cit., p. 244. personnes qui voudront se marier qu’ils ont recu ordre de Nous de ne point
(43)
Lettre de Vaudreuil et Raudot a Ponchartrain, 7 novembre 1711, op. cit. p. 439. admettre a La bénédiction nuptiale, lea personnes du sexe qui seront
Vaudreuil et Began au Ministre, 12 novembre 1712, cite dans Paul-André immodestement habillées, qui n’auront pas Ia tête voilée, qui auront le sein
Leclerc, Le manage sous le régime francais, op. cit., p. 245. découvert, ou seulement couvert d’une toile transparente. Nous leur ordonnons
(4
Boucault rapporte ainsi que le Conseil Souverain de Québec ayant établi <<des encore d’empescher autant qu’ila pourront qu’iI ne se commette aucune impiété,
peines pécuniaires contre les peres qui ne marieraient pas leurs enfants a l’âge de bouffonnerie ou insolence, soit dana l’Egliae, soit en y venant ott en s’en
vingt ans pour les garcons et de seize pour lea fllles>’, cette mesure efait retournant, Ic jour que l’on conferera cc Sacrement, ott Ic lendemain des Nôces. Et
connaitre que les religieuses se sont muitipliées dana Ia colonie contre les pour lea empêcher efficacement Noua voulons qu’ils ayent recours au Bras
intentions du feu Roy >>, Etats present du Canada, dressé sun nombre de Séculier, si cela eat nécessaire.u Mgr de Saint-Valuer, Rituel dii Diocese de
Mémoires et connaissances acquises sun les lieux, par le sieur Boucault, 1754, Québec, Québec, 1703, cite dens Collectif CIio, L histeire des femmes au Québec
cite dana Paul-André Leclerc, eLe manage sous le Régime français >, op. cit., dç,puis quatre siécles , ed Le Jour, ed, 1992, p. 99.
(4
p. 246. Collectif Clio, op. cit. p. 92.
88 Cahiers aixois d’histoire des droits de l’Outre-mer français N° I David GILLES 89

14 Ces manages
cadet de l’intendant Bégon et militaire de carriére. de l’Eglise d’attester de sa prétendue dispense de bans , Ic
52
<<a la gaumineo sont bien souvent le fait de jeunes officiers, qui procureur du roi en profite pour rappeler dans Ia jeune colonie <des
voient interdire de convoler en justes noces de par la volonté ch.i edits et ordonnances régissant Ia validité du mariage, (tels que)
pouvoir militaire. us se trouvent alors dans I ‘obligation de violer a I’ord. d’Henry III du moi de may 1579, l’ord. de Louis XIII du 26
Ia fois I’autonsation de leurs supérieurs, mais également les octobre 1639, i’édit de Louis XIV de mars 1697, l’arrest du Conseil
dispositions royales et canoniques en matiére de publicité, du roi du 13 septembre 1681.>> en consequence de quoi ii demande
entachant ainsi le manage de nullité. C’est le cas par exemple th <<Ia nullité pour Ia cassation du present mariage d’entre le chevalier
manage de Marguerite Guédty et du Chevalier de Ia Noue. Celui-ci, de Lanoue et Iadite Guédiy (qui) peuvent se renfermer en trois
en poste a la baie des Espagnols, face au refus de son supérieur de lui chefs, vu lesquels est plus que suffisant pour le declarer nul et abusif,
permettre de se marier sans attendre l’accord de sa famille ,
49 comme étant célébré contre les canons de l’Eglise, les loix et
decide néanmoins de convoler. Pour ce faire, dans ce poste reculé, il ordonnances du royaume. Le procureur, qui se pose ici en
fait venir l’aumônier de Port-Dauphin qui célèbre alors le manage défenseur de I’ordre mi1itaire,
t54 de I’intérét des families et de
sans respecter Ia publication des bans>. Encourant les peines
50 l’ondre social
t55
, prend a témoin la population pour rendre cette
requises pour insubordination et pour le non-respect des dispositions affaire édifiante pour tous les couples de Nouvelle-France:
en matiêre de validité des manages, le Chevalier tente de faire <Pourrait-on croire qu’un officier et Gentilhomme élevé
.
5 Face au refus
valoir une dispense de bans qu’il ne peut prouver avec des sentiments d’honneurs, et qui donne Ia parole a son
commandant serait capable d’y manquer, c’est cc qui n’arnive guere
ou pour tout dire jamais; Cependant le Chevalier de La Noue
(48) (52)
<<Les membres de Ia famille Bégon désapprouvent Ic manage puisqu’ils Arrêt du 12 octobre 1754 auquel s’ajoute Ic témoignage dii Vicaire GénCral de
jugent que Ic rang social d’Elisabeth n’est pas assez élevé pour leur ambitions l’Isle Royale qui certifle n’avoir pas donné de dispense, et que Ic récollct n’a pas
Ainsi, quelques-uns l’appellent I<< lroquoise > et Ia famille fait pression sur les de pouvoir sun cc point, date dii 23 octobre 1754, DPPC 2114, Centre des
autorités civiles et militaires. Le manage dura trente ans (...) >, Collectif CIio, op. Archives Nationales d’Outne-Mer, Aix-en-Provence, op. cit., fol. 347.
(53>
cit. p. 93. DPPC 2114, Centre des Archives Nationales d’Outre-Mer, Aix-en-Provence,
(49) o. cit., 13 janvier 1755, rCquisitoine dii Procureur, fol. 349.
Dans une Iettre du 18 octobre 1754 adressóe au Prévost de l’lie Royale
Charles Dailleboust, ecuyer, chevalier de St Louis et lieutenant du Roi au Canada Le Procuneur argue comme premiere nullité, Ic fait que La Noise n’a pas célCbrC
rapporte l’insoumission de son subordonné. La chevalier de Ia Noue ayant son <prétendu manage avec Ic consentement verbal ou par écrit de son
demaxidé au commencement de l’année 1754 Ia permission <<de se marier avec une commandant de Louisbourg puisque Ic rCglement du roy du I’ févnier 1685
acadienne, filie d’un nommé Guédiy dit Paul Grivois, et d’une demi sauvagesse aucun officier d’infanterie en garnison dans Ies places ne peuvent se manien même
sa femme, habitants au dit lieu de 1 espagnol, et que 1w ayant refuse et défendu de a dix lieux et environs sans Ic consentement de I’inspecteur general ou
contracter cc manage, ii renouvela les mémes instance deux jours aprCs, ce qui commandant, or c’est notoire que tout les officiers qui sont dCtachés de Ia
nous ports a lui dCfendre de retourner a Ia baie de Espagnols(...) nous lui garnison de Louisbourg pour quelques postes ou hãvres de l’lsle Royale n’ont
pennimes enfin d’y slier sur sa parole d’honneur qu’il nous donna de ne pas d’autres commandant que ccliii de Louisbourg > (or d’apres 1w Ia baie des
passer outre a cc manage et de n’y songer que Iorsqu’iI en aurait l’agrément de Ia espagnols est éloigitée de moms de dix liewc), de plus Ic chevalier avait reconnu
part dii ministre et de sa famille >>, DPPC 2114, Centre des Archives Nationales implicitement Ia validité de cc reglement puisqu’il avait demandé Ia permission
d’OutreMer, Aix-en-Provence, Greffes du Conseil Supèrieur de Louisbourg, 1734 et qu’eIle lui avait été refusée. >>, DPPC 2114, Centre des Archives Nationales
a 1755, fol. 278. d’Outre-Mcr, Aix-en-Provence, 13 janvier 1755, rCquisitoire dii Procureur, op. cit.,
(50) fol. 349-357.
(<Des qu’il fist arrivé audit lieu de l’espagnol il écrivit a Mr Decoux, (55)
commandant dii port dauphin pour liii demander son aumonier sous Ic prétexte Le 08 février 1711, Ic Sieun Macant, procureur du roi au Conseil Souverain de
d’assister un de ses frères a l’extrémitè. Lequel aumônier liii fist envoyé et sitôt Québec, condamnera sun Ic mêmc fondement, c ‘est-à-dirc I’absencc de bans, Ic
son arrivé le chevalier de Ia Noue huy proposa de faire son manage avec Ia manage a Ia gaumme de Paul de Monteleon et de Marie-Anne Joseph de
nommée GuCdxy, cc qui fist accepté et exécuté sans observer Ia rCgle fly autre Lestringan de St Martin contracté en I’Eglise de Beauport Ic 07 févnier 1711, en
formalité que de publier seulement un ban dans Ia maison du père de ladite flue rappelant qu’en l’espèce, il s’agit dc défcndre < l’intCrt public aussy bien que
oü Ic manage a étè fait , DPPC 2114, Centre des Archives Nationales d’Outre celuy de l’Eglisc>> et d’établir <une reglc dans un pays oü I’on doute encore de
Mer, Aix-en-Provence, op. cii., fol. 280. tout, et oü ces dcux puissances doivent toujours concounir ensemble par Ia
Jeudi 12 octobre 1754, Extraits des registres du greffe: <<ii parait par l’extrait validité des manages, dont depend I’ètat des personnes.(...)>s II ne volt dans un
du dit manage qu’il y a eu dispense foumie de deux bans, sans qu’il soit fait tel manage que <profanation, sacrilege, conjonction illégitime damnable, contre
mention Si c’est Ic Sicur abbé Maillard, prétre missionnaire des sauvages, vicaire Ia by naturelle et divine, contre les bonnes mrurs et pour ne rien dine davantage,
general de Monseigneur l’Esveque de Québec ou par Ic curé de cette ville qu’elles que c’est une conjonction diabolique >>, ArrCt du Conseil Souverain de Québec dii
ont Cté donnèes. l’aumônier recollet, qui a donné as bónèdiction nuptiale n’ayant 09 févnier 1711, Chronica I, Jugemens et délibérations du Conseil Souverain
pas Ic pouvoir de donner les disttes dispenses >>, DPPC 2114, Archives Nationales 1663-1716, Archives Nationales de Québec, MontrCal, ed. Sociétè de Recherche
d’Outre-Mer, Aix-en-Provence, op. cit., fol. 340. historique Archiv-Histo, (Cédérom), 1996.
David GTLLES 91
90 Cahiers aixois d’histoire des droits de l’Outre-mer français N° I

jundiques. Les cures des paroisses canadiennes demandent alors aux


n’envisageant que Ia possession d’un objet au-dessous de son estat a époux de fournir des témoignages de liberté au manage, comme
tous egards, qu’un fol amour et une passion immodérée le luy avait c’est le cas par exemple pour Suzanne Dionnet, jeune saintongeaise
suggérer ne craint pas de passer dans le pays present (sans en avoir) souhaitant se manier a Québec. Elle obtient en date du 15 avril 1 757
puisqu’il y manque et agit en consequence pour faire célébrer son en Ia paroisse de Commance un témoignage de hiberté du prétre
manage. Pour cela << le Chevalier de La Noue peut servir de modèle Bniand, qui atteste du célibat de Ia jeune fille:
a la postérité >>(56) <Su.zanne Dionnet native de St Savinien a trois lieues de
Ainsi, pouvoir et famille, comme en ancienne France, visent Saintes, dont elle est sortie a l’age de 9 ans et demi et a demeuré 8
a empécher tout manage <<d’amour >>, conclu irrégulièreme nt, et
ambitions familiales, troublerait l’ordre ass en Charente aprés quoi venue a Rochefort, elle a demeuré trois
qui ne favoriserait pas les ass chez un apothicaire, deux ans chez tin capitaine d’artillerie et
public, et entraInerait certains entilshommes ou jeunes flues clans deux ans chez Mr. Arnoux avec lequel elle est venue en ce pals ii y
une dérogeance trop <<cruelle >>‘. Sur ce point, on peut remarquer a six ass depuis lequel tems elle a toujours demeuré chez Iuy;
que durant le Régime Francais, Ia position stratégique de Ia colonie surquoi luy ayant représenté qu’étant âgée de 35 ans, il manquoit 5
pour I’influence de Ia France clans les Amériques, et la rivalité ass dans Ia numeration susdite; Elle m’a répondu qu’elle avoit
croissante entre anglais et français, va rendre obligatoire une trés demeuré 5 ans a St Savinien chez une demoiselle, produit Ia cite fille
forte presence de troupes militaires. Cette main mise des troupes de pour témoignage de sa Iiberté un certificat du sudit Mr. Arnoux par
marine sur Ia colonie va faire que de nombreux manages entre lequel ii declare que ladite Dionnet n’est point maniée en France et
canadiennes et officiers, pour étre célébrés, vont nécessiter l’accord est assure qu’elle est
qu’elle est a son service depuis neuf ass et qu’il >>(58)
du pouvoir militaire comme clans le cas dii Chevalier de La Noue. libre pour he manage a Québec he 15 avnil 1757
nant
Les différents contrôles, tant familiaux que politiques, concer Cette veritable enquête menée sun les futurs manes est
notamment Ia publicité du manage, sont accentués dans Ia colonie,
nécessaine, car nombreux sont les cas oü I’un des époux, se cnoyant
en raison du risque, plus aigu qu’en ancienne France, de Ia bigamie. veuf ou veuve, suite a un naufrage, une attaque d’Indiens, etc.,
Les libertés des manages et I ‘absence: Ia prevention de Ia convole en seconde noce pensant son premier conjoint mont en
bigamie. En effet, les manages en Nouvelle-France posent un France. II se retrouve alors bigame a Ia suite de Ia réappanition de
probléme particulier vis-à-vis de Ia bigamie. Nombreux sont les cas son premier conjoint revenu aprés une longue absence>>. C’est
oü certaines personnes sont clans le doute quant a leur situation notamment la maiheureuse affaire de Pierre Picher, qui montre
maritale, du fait de la dispanition, plus ou moms certaine de leur I impact des distances et du temps stir les relations jundiques en
conjoint. En effet, les conditions de vie clans la colonie, la forte Nouvelle-France, et l’incertitude junidique qui ne cesse de planer stir
population en transit par Ia colonie, les guerres, les prisonniers font les habitants de la colonie. En 1673, le Conseil Souverain de Québec
peser le doute sur Ia situation junidique de nombreux individus. est saisi afun de statuer sun Ia validite du mariage de Pierre Picher
L’institution ecclésiastique se met donc en devoir de contrôler la avec Catherine Durand. Se trouvant en Nouvelle-France en 1662,
situation des futurs époux avant d’accepter de lês her, et dans Pierre Picher recoit tine lettre missive de son frère, lui annonçant la
certains cas la survenance ou Ia redécouverte d’un conjoint oublié mont de sa femme restée en métropole. Pierre Picher decide alors
oblige les juridictions judiciaires a intervenir pour sanctionner ces de se remarier avec Catherine Durand, manage dont sont issus trois
cas de bigamies, parfois de bonne foi, et en regler les consequences enfants. Pierre Picher, en raison semble-t-il des mauvaises
communications avec l’ancienne France, neste sans nouvelles de sa
(56) janvier famille et de celles de sa défunte femme jusqu’en 1671. Neuf ans
DPPC 21 14, Archives Nationales d’Outre-Mer, Aix-en-Provence, 13
1755, réquisitoire du procureur. op. ci:., fol. 349-357. aprés Ia premiere lettre, un <<homme venant de France huy dist
(57)
C’est Ic cas, après Ia conqu&e, d’un manage entre jewles flues de Ia noblesse qu’elle estoit encore vivante>> Ne jugeant pas le silence
lilies du
francaise et d’officiers anglais en poste dans Ia colonie. Les deux prolonge de sa femme coupable, et suivant I’avis de l’Evêque de
Cpousent des
seigneur Francois Marie PicotC de Belestre, Marie Anne et Maniette,
mere de Pétrée, ii demande a celui-ci de verifier les dires de cet homme. II
capitaines de I’armCe anglaise devant I’aumônier du regiment. < La belle
seconde épouse du seigneur Picote de Belestre, intente une poursuite ne reçolt confirmation de 1 ecclésiastique qu en 1672 et decide de
Marie-Anne,
de
acte de
en rédition de comptes a sa belle-flue et son époux, John Wanton. Elleni refuse
manage, (58)
reconnaitre le manage puisqu’iI n’y a eu ni contrat de Cahiers de témoignages de liberté au manage, Rapport de I Archiviste de Ia
pére. L’affaire aboutit
celebration selon les rites catholiques, ni consentement du Province de Québec (RAPQ), 1951-1952, Tome 32-33, (CédCrom).
et le gouverneur Gage déboute Ia poursuite, affirmant (59)
devant Ia Cour des milices Decision du 11 septembre 1673, rendue pan le Conseil Souverain de Québec,
que l’annulation du manage du manage serait préjudiciable
a l’honneur des Chronica I, Jugements et délibérations du Conseil souverain 1663-1 716, op. cit.
95.
Cpoux Warton et de leurs futurs enfants , Collectif Clio, op. cit. p.
David GILLES 93
92 Cahiers aixois d’histoire des droits de J’Outre-mer francais N° I

retourner en métropole, oü <<ii trouva ladite Lefebvre encore que l’une des parties est absente depuis une longue période, et oi un
vivante >>. Induit en erreur par Ia premiere lettre, Picher se trouve .
63
curateur est le plus souvent nommé
bigarne, contrevenant ainsi aux ordonnances royales et aux canons Malgré les difficuhés posées par I’incertitude juridique quant a
de l’Eglise. Son second manage se trouve alors nul de plein droit et Ia situation des futurs epoux, Ia plupart des manages se concluent
les enfants de sa seconde épouse sont alors entachés de bâtardise. sans probléme juridique particulier, et font ainsi passer Ia jeune file
Conseillé par l’Evêque de Pétrée, et ayant <<beaucoup de tendresse sous la puissance de son époux.
pour ses dicts trois enfants et pour Ia dicte Durand qu’iI avoit Le joug de la puissance maritale, Sous I ‘Ancien Régime, Ia
abuzée par innocence >>, ii se résout alors a se rendre en Nouvelle plupart des couples passent devant le notaire avant de célébrer Ia
France, en compagnie de sa premiere, et seule legitime femme. noce, afin de régler les problèmes patnimoniaux et signer un contrat
Toujours mane, aux yeux de l’Eglise et du roi, avec sa premiere de manage. Les contrats de manage fournissent alors une bonne
femme, Pierre Picher ne le reste pas longtemps, puisque celle-ci source d’information stir l’application des régles juridiques
décéde pendant Ia traversée vers les Amériques. Situation digne d’un métropolitaines en Nouvelle-France ainsi que sur les rapports entre
vaudeville, mais maiheureusement cruelle juridiquement pour les epou.x. Comme le nemarque Jean-Marie Augustin, <<faire un contrat
protagonistes. Arrivé dans Ia Colonie, Pierre Pichet se remet <<par de mariage afin de régler les rapports pécuniaires futurs est une
autorité de I’Eglise avec ladicte Durand >>, mais son contrat de premiere sécurité dans un pays neuf, absolument vierge du point de
manage reste pourtant nul, puisque a l’epoque de sa conclusion, vue dii droit >>(64), La Coutume de Paris qui régit le droit civil en
Picher était encore marie. 11 se trouve done dans I ‘obligation de Nouvelle-France et au Bas-Canada, établit Ia pnmauté junidique de
demander a La juridiction royale d’ordonner que le contrat de l’époux, chef de famille, que ce soit sun La femme ou sun le reste de
manage conclu en 1665 avec Catherine Durand <<sortira son plein Ia famille. <<Des son manage, Ia femme, Ia plupart du temps mariée
et entier effet>>. Confronté a cette situation juridique delicate, les en communauté de biens, tombe sous Ia dépendance personnelle de
conseillers royaux décideat, confortés en cela par Ia rehabilitation son mani et y entraine son patrimoine Elle accompagne ainsi
du manage <<en face d’Eglise >>(60) de suppléer au défaut de lettres Ia position de Ia plupart des coutumes de France et s’inscnt darts
de Chancellenie et de légitimer les enfants du second manage, l’opinion communément admise chez les junisconsultes qui est que
donnant toute sa valeur au contrat de manage de Pierre Picher et <<le manage, en formant une société entre Ie man et Ia femme,
>. Les cas de secondes noces sont nombreux au
61
Catherine Durand< dont le marl est le chef, donne au marl, en Ia qualité qu’il a de chef
Canada, et rendent encore plus delicate la prevention de Ia bigamie, de cette société, un droit de puissance sun Ia personne de Ia femme,
et dans le doute le manage peut étre empêché, ou ses consequences qui s’étend aussi sun ses biens
retardées junidiquement jusqu’à une veritable certitude dii décés chi Cette puissance maritale décnte par Pothier et entralnant
premier conjoint. C’est le cas par exemple de Charles Cauhet qui une certaine incapacité de Ia femme, ne s’est accentuée qu’i Ia
épousa en seconde noce Marie—Charlotte Laroche le 3 aoüt 1726.
Ayant déjà contracté manage, mais un doute <<raisonnable>> (63)
C’est Ie cas par exemple pour Joseph Bellanger qui se trouve être absent

s étant élevé sur Ia mort de Ia premiere femme, ii flit décidé le 30 depuis environ 11 ans lorsque ses frCres et seurs désirent procCder au partage
octobre 1725 d’interdire a Ia pauvre Mane-Charlotte Laroche d’une terre et agissent alors en son nom. Acte NotariC, 02 fCvrierl769, Office
notarial Levesque N.C.L, QuCbec, o Partage d’une part de terre située a La pointe a
d’habiter avec son man jusqu’à ce qu’une reuve certaine de liberté Ia Caifle, paroisse St Thomas dans Ic fief Saint Luc entre Marie Elisabeth Gravelle.
. Ces cas d’absence se
162
ne flit apportée par Charles Cauhet. de Ia côte de Beaupré, paroisse du Château Richer, et Genevieve Gravelle, de Ia
retrouvent dans de nombreux autres actes notaries, oü il est stipule cÔte de Beaupré, paroisse du Château Richer, procuratrices de Catherine Gravelle,
leur sur; et Charles Bellanger, de Ia rivière a Ia Caille, au nom ci comme curateur
(60) de Joseph Bellanger, son frére absent. >>, Parchemin Registre des greffes
est intéressant de noter que le Conseil Souverain profite de cette affaire pour
nojarlaux consignés entre le 12 Février 1626 et le 31 décembre 1779 sur le
réaffirmer son autorité sur le pouvoir ecclósiastique, <ii est retenu que le grand
territoire de Québec, Banque de donnée notariales du Québec ancien, Archives
vicaire du Sieur Evesque de Pétré vicaire apostolique en ce pals sera adverty par Ic
Nationales de Québec (ANQ), Montréal, Cd. Archiv-Histo et Ia chambre des
diet substitut d’attendre les decisions du Conseil a réhabiliter aucunes personnes
notaires du Québec, 2001.
par sacrement de manage, en matiére semblable >>, Chronica 1, Jugements et >‘
Jean-Marie Augustin, <<Les premiers contrats de manage a Montréal de I 648 a
délibérations du Conseil souverain 1663-1 716, op. cit.
61) 1664 >,, op. cit., p.5.
Sur I’ensemble de cette affaire, voir Ia decision du 11 septembre 1673, rendue (65)
0. Martrn, Histoire de Ia coutume de ía prévoté et vicomté de Paris, 1926. T. 2,
par le Conseil Souverain de Québec, Chronica 1, Jugements et délibérations du
Conseil souverain 1663-1716, ANQ, op. cit. p. 224-265.
(&)
(62) Pothier, Traité de la puissance du man sur ía personne et les biens de ía
Paul-André Leclere, < Le Manage sous Ic Régime Francais , Revue d ‘Histoire
femme, dans (Euvres, ed. Bugnet, Paris, 1861, p. 1.
de l’Amérique Française, vol. 14, 1960-1961, pp. 34-61, p. 47.
94 Cahiers aixois d’histoire des droits de I’Outre-mer francais N° I David GILLES 95

seconde moitié du XVIeme siècle dans le droit commun coutumier. Le tire sun tous les biens du man. Un couple peut aussi convenir que Ic
succès de cette théorie a partir de cette époque est dü en grande survivant acquerra, avant le partage, certains biens meubles ou une
partie aux jurisconsultes qui en furent les propagateurs, tels somme fixe de Ia communauté, un prèciput, ou que, s’il n’y a pas
Tiraqueau et Charles Du Moulin
67
, et également a l’infiuence th d’enfant, l’époux survivant gardera le tout. Lorsque les époux
droit romain. qui, a travers le Digeste semblait étayer une telle attendent des heritages, on en fait mention et on determine s’ils
>.
t68
incapacité a travers son titre Ad Senatus Consultum Velleianum seront compnis dans Ia communauté ou non. Dans tous les cas, Ia
Des Ia conclusion de l’union, tous les biens meubles et immeubles veuve peut renoncen a sa part de Ia communauté lorsqu’elle est
des époux, sont en communauté et administrés par le man seul qui déficitaire, privilege prévu pour compenser Ia mauvaise
peut en disposer comme ii l’entend, s’il a le bien de la communauté administration du mart. Les clauses d’un contnat de manage sont
comme but’
69
>. Celui-ci peut vendre, donner ou engager ses biens, extrêmement importantes, car le taux de mortalité élevé en
pourvu qu’il le fasse pour le bien de la communauté. Les seuls biens Nouvelle-France fait beaucoup de veuves et d’orphelins, rendant
qui demeurent légalement propriété de l’épouse sont les meubles indispensables des dispositions jundiques preventives. Mais le
recus par succession ou par donation des parents, le man ne peut contrat de mariage, aussi clairement établi soit-il, ne peut résoudre
vendre les biens immeubles comme tels. Toutefois ii peut disposer Ies difficultés qui vont surgir de la vie conjugale elle-même. En
des fruits de ces biens : par exemple, percevoir des loyers ou vendre effet, parfois, c’est bien plutôt Ia continuation dii lien conjugal qui
iine récolte sans le consentement de sa femme. A la mort de l’un provoque des troubles a I ‘ordre public. La société nord-aménicaine,
des époux, le survivant reçoit la moitié des biens de la communauté, tout comme celle de l’ancienne France, se doit alors de Ies
l’autre moitié allant aux enfants en parts egales. Méme si Colbert, réprimer, même si cela doit se faire au detriment de Ia place
dans un cournier concernant Ia politique d’immigration en prédominante du mati jusqu’alors protégé par le droit. Si Ic lien
Nouvelle-France, considêre que < I ‘un des plus grands désondres qui conjugal se trouve source de troubles, n’est plus supportable pour
se trouvent dans la chose publique, c’est de s’attacher trop au bien, I’un des époux, en nouvelle comme en ancienne France, Ia seule
et de négler la recherche d’une flue sur ce qu’elle peut avoir >>(70), le issue envisageable est la separation de corps ou de biens qui a pour
patnmoine et Ia perpetuation dii lignage restent en Nouvelle consequence de redonner a le femme une certaine autonomie
comme en ancienne France le cceun méme dii manage. junidique.
Dans leur contrat de manage, les futurs manes peuvent La separation de corps: Un exemple de demande de
apporter des modifications au régime de Ia communauté des biens separation se trouve dans les registres du greffe du Conseil
’, La
7
qui est Ia nègle selon les dispositions de la Coutume de Panis Souverain de Louisbourg. Il montre Ies problèmes poses par la
communauté conjugale, selon Gin, est <<une société universelle de demande de separation de corps et de bien. Celle-ci neste
tous les biens meubles acquêts immeubles, & fruits des immeubles relativement difficile a obtenir lorsque c’est Ia femme qui la
propres, ou acquêts de deux conjoints par manage >>(72). La plupart demande. Pourtant, cette separation, si elle penmet a Ia femme de
des époux, au cours de leur manage, n’ont pas d’immeuble pour redécouvnir une pantie de son autonomie junidique, ne Ia libére pas
servir de base a un douaire coutumier, Aussi, ils lui substituent un pour autant de toute contrainte, Boucher d’Argis, dans Les
douaire conventionnel payable a l’épouse après Ia mort dii man et Institutions au droit francois d’Angou, nemarque que <<La femme
séparèe de biens n’a pas me liberté indéfinie de s’obliger sans
(67)
I’autonité de son man; dIe n’a que Ia libre administration de ses
C. Dumoulin, Opera omnia, Paris, 1681, T. 2, p. 752, cue dans Petot, Histoire biens pour poursuivne ses droits en justice, pour recevoin ses
du Droll privé, Lafamille, 7’. 1, d. Loysel, 1992, p. 454.
(65) revenus, pour faire des baux a ferme de ses immeubles, pour
Digeste, 16. 1. (<Ulpien y justifie I ‘interdiction faite aux femmes d’intercéder
pour autrui par I ‘injIrmitas feminarum, par Ia faiblesse du sexe féminin, empnunter jusqu’ã concurrence de ce qui Iui est nécessaire pour ses
imbecillitas sexus o, Petot, op. cit. p. 455. aliments; mais dIe ne peut pas aliénen ni hypothequer ses
(69)
Y.-F. Zoltvany, <Esquisse de is Coutume de Paris >, op. cit., p. 369. immeubles, sans être autonisée par son man, ou par justice, a son
(70)
224MIOM/2, Lettre de Colbert a Talon, 20 février 1668, Centre des Archives refuis.>>
73 En France, rares sont Ies coutumes qui accordent a la
Nationales d’Outre-Mer, Aix-emProvence, Cl IA vol. 2.
(7fl
Gin, Analyse raisonnée du droit francois, par Ia comparaison des
dispositions des Loix Romaines, & de célles de la Coutume de Paris, suivant
(73)
l’ordre des Loix civiles de Domat, avec un texte de la Coutume de Paris, ouvrage Argou, Institution au Droit francois, neuviCme edition, revue corrigCe &
projeté par feu lvi. Doulcet, Paris, Cd. ServiCre, 1782, 1 vol., 681 p., Titre XVII, augmentCe, conformCment aux nouveiies ordonnances, par M. A.-G. Boucher
De Ia CommunautC >>, p. 328. d’Argis, Avocat au parlement, Paris, Cd. Nyon, 1762, 2 vol., liv. ifi, Chapitre XIX
72
> Ibid., p.328. Dc I’AutoritC du man, p.201.
96 Cahiers aixois d’histoire des droits de I’Outre-mer français N° 1 David GILLES 97

femme séparée une capacite entière


74 Selon la Nouvelle Coutume d’intervenir, sans grand succès, afin de permettre a Jeanne Cromié
de Paris, <<La femme séparée de bien d’avec son man ne peut point de réintégrer le domicile conjugal après que cette dernière ait dü Ic
vendre ni disposer de ses biens; elle en a seulement l’administration quitter pour échapper aux coups
78
. Jeanne Cromié, consciente de
sans qu’elle ait pour cela besoin de l’autonté de son man, en sorte l’exception junidique qu’est Ia separation de corps, et de Ia difficulté
qu’elIe peut faire baux a loyer de ses immeubles, bailler quittance, & de l’obtenir, démontre aux Conseillers du Roi, qu’elle n’a Pu S’y
s’obliger pour Ia nourriture & entretenement, mais elle ne peut pas résoudre qu’aprês une tongue vie commune, qu’elle ne peut plus
ni aliéner, ni hypothequer ses immeubles sans le consentement de prolonger aux nisques de sa vie maigre <<Ia way et unique atashe>>
son man, ou l’autonité du juge a son refus >>“. Malgré cette qu’elle nournissait <<pour son many >>. Elle s’est <<efforcée a
restriction a son autonomie juridique, Ia Coutume permet a I’èpouse supporter patiemment ses mauvaises humeurs et a souffert en
séparée de biens de ne plus ëtre soumise a l’obligation de Ia gémissant les coups qu’il lui a donnés, sans vouloir s’en plaindne en
communauté de domicile conjugal, et ainsi d’échapper a d’éventuels justice; croyant qu’il le comgeroit et que les attentions qu’elle avoit
mauvais traitements
76
. Ainsi, devant le Conseil Souverain de pour lui le feroit rentrer en soy méme, et que dans les suites its
Louisbourg, Jeanne Cromié demande a Ia justice de prononcer Ia vivroient ensemble d tine union conjugale>>
separation de corps et de biens contre son époux Jean Laumonier, Ayant montre aux conseillens les efforts qu elle a consentis
coupable de différents sévices sur sa personne. Sévices de notoriété pour faire perdurer l’union conjugale, et se défendre ainsi contre
publique, et qui perdurent depuis leur manage en 1719 jusqu’en toute accusation faite par son man d’abandon dii domicile conjugal,
1731, mais que Ia plaignante se doit de relater clans le detail afin die cherche a démontrer que les actes de son man rendent
d’obtenir Ia separation, qui ne peut se faire a la legere. Elle affirme définitivement impossible toute communauté entre die et son
que <<des les huit a dix premiers jours de leur manage son mary èpoux, ceiui-ci ne modiflant en nien ses pratiques <<ii fut de plus en
s’abandonnant a l’ivresse commença a la maltraiter, sans qu’elle lui plus plonge dans la debauche s en prenant presque journeliement (a
en eut donné le moindre sujet.(...) Ii a depuis continue a se Ia suppliante) et clans ses états, se fonmant des chimères et yams
débausher et poussé ces maltraitements a un tel excès, qu’il a fantosmes, d’une passion jalouse, sa raison se changeant en fureur,
plusieurs fois tant battu Ia suppliante, qu’elle est restée sun Ia place il exerce sun Ia suppliante tout cc que Ia brutalité animée de vapeur
,
sans connaissance, oü elle serait peut ëtre morte faute du secours de Boisson peut Iui suggérer de plus outrageant Ces outrages,
des voisins, qui accourrant au bruit l’arrashoit des mains de ce qui dans une situation tout autre que le lien conjugal entraineraient
brutal >>“, Ces <<divers outrasges que la suppliante a reçu de son des châtiments exemplaines contre Jean Laumonier, ne servent ici,
mary, ne sont, pour son maiheur, que trop notoires >>, et le scandale dans Ies relations femme-époux qu’a tenter d’obtenin une
est tel clans la petite colonie, que les autorités furent obligées separation de corps et de biens, et <dl est nécessaire que Ia
suppliante pour parvenir aux fins d’une separation d’habitation cite
Petot, op. cit., note 45, Coutume de Montargis, ch. 8, art. 6, Femme sépar&,
quelques effets desdits maltraitements >>. La preuve nécessaire a la
<<quant aux biens solennellement, peut et lui loist contracter et disposer de ses separation de biens posée par l’ordonnance de 1667 ne peut en
biens meubles et immeubles, ainsi et en Ia manière qu’elle pourrait faire, si elle pnincipe êtne une preuve testimoniale. L’article 3 du titre 20 de
n’tait mariée >>, p. 460. Boucher d’Argis remarque également que <<La coutulne de l’ordonnance exempte toutefois de Ia preuve testimoniale <des
Montargis permet nèanmoins a Ia femme séparée Ia disposition de sea biens. de Ia faits dont on ne pourrait avoir fait d’actes, & tels sont les sévices,
même manière que si elle n’étoit pas mariée Monto.rgis chapitre 8 art 9>;, Argou,
Institutions au droit francois, op. cit., Liv. [II, Chapitre XIX, < Dc I’Autorité du
les mauvais traitements, les injures graves, sun lesquelles les
man ;>, p. 201. demandes en sépanations sont appuyées >>.(80) La Coutume de Paris,
Claude de Ferriere, Nouveau commentaire sur la Coutume de Ia Prévóté et
Vicomté de Paris, Nouvelle edition revue et augmentCe par Sauvan d’Aramon, )78)
Scion Jeanne Cromie, les coups <<ayant CtC si souvent reiteros, au scandale de
Paris, &1. Saugrain, 1741, Tome second, Titre X, <<Dc Ia Communautó des biens ;>, tout Ic voisinage, tout Ic monde sait leur mauvais menage; méme les puissances
p. 27. de cette colonie ont cut Ia bonte d’employer leur autorite pour faire cesser Ic
(76)
La Coutume de Paris, dans son article 224, permet également a La femme desordre de Laumonier et I’obliger a recevoir son épouse qui avoit etc forcCe
separCe <<d’ester en jugement>> avec l’autorisation de son marl ou par decision de d’abandonner Ia maison a cause de ses mauvais traitements ;>, (ibid., fol. 879-
justice, Claude de FeniCre, Nouveau com,nentaire sur la Coutume de Ia Prévóté et 880).
Vicomté de Paris, op. cit., p. 25. (79)
DPPC 2105, Archives Nationales d’Outre-Mer, Aix-en-Provence, Registres du
DPPC 2105, Archives Nationales d’Outre-Mer, Aix-en-Provence, Registres du Conseil Souverain de Louisbourg 1729-1740, 15 mars 1731 Requete de Jeanne
Conseil Souverain de Louisbourg 1729-1740, 15 mars 1731, RequCte de Jeanne CromiC, epouse de Jean Laumomer contre son marl, op. cit., fol. 879.
Cromiã, épouse de Jean Laumonier contre son man, (fol. 877-888), fol. 877 et (60)
Gin conclu alors que <<rejeter Ia preuve testimoniale de tels faits cc serait
878. souvent reduire une femme maiheureuse a l’impossible; admettre Iegerement une
98 Cahiers aixois d’histoire des droits de I’Outre-mer francais N° 1 David GILLES 99

autorise Ia femme a demander Ia separation de corps et de biens visiblement, la plupart de ces méfaits sont commis en pubIic
,
85
lorsqu’elle subit des sévices et mauvais traitements réitérés et devant Ia communauté et constituent alors un grave trouble a
,
81
considérables Si SOtI man a attenté a sa vie, s’il est débauché, s’iI I’ordre public et aux bonnes murs. Le Curé de la paroisse ayant
concoit contre elle une < haine capitale... >>(82) Maiheureusement fait <plusieurs fois l’impossible pour engager Laumonier a finir son
pour Jeanne Cromié, les exigences et Ia rigueur de Ia Coutume en Ia commerce criminel & vivre avec sa femme (...) ce a quoy ii n’a pü
matiêre se trouvent vraisemblablement remplies trés largement réussir; puisqu’en presence du curé ii maltraita Ia suppliante >>,
dans Ia description qu’elle fait de ces mauvais traitements: injures Jeanne Cromié se tourne vers Ia Justice afin d’obtenir Ia separation
continuelles, Laumonier <<affecte (en outre) d’amener exprés ses de corps et de biens, unique moyen qui lui reste pour <<pouvoir
camarades, ou autres hommes étrangers pour dire en leur presence a vivre chrétiennement et se détourner des mauvais exemples que ses
son épouse toutes les choses imaginables et que la bienséance ne enfants reçoivent des derangements de leurs pères, et enfin arréter
permet de répéter, car combien de fois l’a-t-il traité de femme de le scandale que Laumonier donne au public par son mauvais
mauvaise vie? combien de fois sans sujet, ni raison lorsqu’iI jure, 86 >>.
rnénaget
s’est-il jeté sur elle, Ia frappant a coups de poings sur le visage?>> Ainsi, Laumonier doit se voir sanctionner, non pas
Ces coups, ces insultes vont méme empécher dans une certaine uniquement en raison des délits commis envers sa femme, mais
mesure Ia finalité sacrée du mariage c’est-à-dire, fonder une famille, également en raison des troubles qu’il provoque dans Ia société,
puisqu’à < coup de pied sur le ventre, sans avoir aucun ménagement contrevenant aux preceptes chretiens du manage Laumonier
pour le fruit dont elle était enceinte >>, Laumonier provoqua <<des enfin, est un mauvais exemple pour ses enfants n assumant pas ses
fausses couches et autres incommodités dont la suppliante a lieu de devoirs de père. Sanction de ces dévoiements tant de sujet, d’époux
se plaindre >. Autre accusation portée a son encontre, le fait pour que de pére: Ia separation de corps et de biens. U doit être fait,
Laumonier de ne pas assumer correctement ses devoirs de pére alors, selon Ia Nouvelle Coutume de Paris, un inventaire devant un
envers sa famille et de donner des mauvais <exemples a leur enfant officier public de <<tous les biens, meubles immeubles et habitations
dont ii sera un jour responsable >>. Ces coups, ces mauvais provenant de Ia communauté stipulée par Ie contrat de mariage>.
traitements, ces pressions t83 ’
psychologiques exercées par En effet, comme le remarque Gin en application des articles 224 et
Laumonier sur sa femme et devant leur enfant justifient bien 234 de Ia Coutume de Paris, <<la separation, de I’autorité de la
évidemment la separation de biens et de corps( 84
>, d’autant que Justice, dissout Ia communauté, formée par Ia loi ou par le contrat
de manage En l’espêce, Jeanne Cromié demande, suite a cet
inventaire, a étre mise en (<possession de la moitié desdits biens
preuve testimoniale du roman Ic plus destitué de vraisemblance, ce serait exposer pour en jouir conformément a Ia Coutume de Paris>>. Elle demande
le saint nud du manage a Ia legCreté de femmes ambitieuses & hardies>> Gin, en outre que Laumonier lui remette, <des hardes et linges qui sont a
Analyse raisonnée du droit francois, par Ia comparaison des dispositions des
Loix Romaines, & de celles de Ia Coutume de Paris, suivant 1 ‘ordre des Loix
I’usage de Ia suppliante, avec dépense tant pour les frais de Ia
civiles de Domat, op. cit.., Titre XVII, Sect. IV, art. II, <<Separation de biens u, pension dans Ia communauté religieuse oü elle s’est retiree ; que
p. 348,
M.-A. Cliché, e Les procés en separation de corps dans Ia region de Montréal procés en separation de corps dans Ia region de Montréal I 795 1879 u, op. cit.,
1795-1879 u, Revue d’Histoire de lAmérique Fran caise, n 49-1, etC 1995, p. 10-
p. 15.
11. (85)
(82) Le requCte de Jeanne Cromié relate notamment que les moments oü
Claude de Ferriére, Nouveau commentaire sur Ia Courume de Ia Prévóté er <Laumonier estant dana ses parties ordinaires de desbaushes, se retirant a heures
Vicomté de Paris, vol. 2, op. cit., p. 672. indüe, ayant amené ses camarades chez Iuy; oil trouvant son épouse couchCe, Ia
Jeanne CromiC affirme notamxnent que <<voulans asseoir ses cruautés, il planta fais se lever nüe en shemise (sans examiner l’Ctat ou tine femme peut Ctne) ci ne
un jour une fische dana uric salle de Ia maison, et prepara tine corde disans a sa voulant pas souffrmr qu’elle pnisse ses jupes, 1w faisait dana cette situation versen
femme qu’il vouloit la pendre, ce qu’il auroit peut Ctre fait, si dIe ne se fut a boire (au) vu (de) chacun, et méme a eu I’effrontée bassesse de Ia trousser devant
éloignée de lui.u DPPC 2105, Archives Nationales d’Outre-Mer, Aix-en-Provence, des homrnes, leurs disans, lors que vous voudrez vous divertir, voilã ma femme,
Registres du Conseil Souverain de Louisbourg 1729-1740, 15 mars 1731, n’est-ce pas une jolie putin ? >>, ibid., fol. 882-883.
Requéte de Jeanne Cromié, op. cit., fol. 882. (86)
DPPC 2105, Archives Nationales d’Outre-Mer, Aix-en-Provence, Registres du
Ce tableau dressé par Jeanne CromiC eat en quelque sorte elassique, Conseil Souverain de Louisbourg 1729-1740, 15 mars 1731 RequCte de Jeanne
intemporel en Ce qui concerne Ia demande de separation de corps. M.-A. Cliché Cromié. épouse de Jean Laumonier contre son man, op. cit., fol. 885.
remarque que dana lea procCs devant Ia section civile de Ia Cour du banc du Roi (87)
Gin, Analyse raisonnée du droit francois, par Ia comparaison des
puis Ia Cour supérieure de Montréal durant les années 1795-1879, <<lea femmes dispositions des Loix Romaines, & de celles de la Coutume de Paris, suivant
se décrivent comme fidéles, aimantes, attentives a remplir leurs devoirs I ‘ordre des Lois civiles de Domat, op. cit., Titre XVII, <<Dc Ia communauté >>,
(...)
obéissantes, barnes ménageres, industrieuses et économes.>> M.-A. ClichC, e Lea p. 325.
100 Cahiers aixois d’histoire des droits de l’Outre-mer francais N° I David GILLES 101

ceux de Justice qui conviendront faire pour parvenir a ladite exempte I’autre par sa faiblesse. Art. 233 de Ia Couturne de
separation >>(88) Paris >>(92). Le couple, lors de Ia redaction du contrat de manage,
Ces nécessaires séparations
189 ne doivent pourtant pas peut alors choisir entre la constitution d’un douaire conventionnel
occulter la forte collaboration juridique qui existe au sein des ou de l’application du douaire coutumier, Ia communauté
93 de
couples de Ia Nouvelle-France, rendue encore plus cruciale par les meubles et d’acquêts étant imposée de par Ia Coutume de Paris. Si ía
conditions de vie de la colonie, isolée et en perpétuel état jurisprudence du Parlement de Paris, antérieure a 1521, se trouvait
d’insécurité, tant pour les biens que pour les personnes. en faveur d’une participation méme restreinte de Ia femme a Ia vie
junidique du couple, l’influence des solutions avancées par Tiraqueau
B) Marl et femme: l’indispensable collaboration et Du Moulin va imposer l’incapacité de la femme dans Ia redaction
de Ia Nouvelle Coutume de Paris, qui dans son article 223 prévoit
La femme canadienne en ((puissance de marl : Comme le que a La femme maniée ne peut vendre, aliéner, ni hypothéquer ses
note G. Boyer, le régime des rapports pécuniaires entre époux heritages, sans I ‘autorité et consentement exprès de son marl. Et si
depend étroitement, darts un milieu donné, des conceptions morales elle fait aucun contrat sans l’autonité & consentement de sondit
et religieuses de Ia structure sociale et des circonstances man, tel contrat est nul tant pour le regard d’eIle que de sondit
.
économiques
9 II en est ainsi de Ia situation juridique entre époux man, & n’en peut être poursuivie, ni ses hénitiers aprés le décès de
en Nouvelle-France. L’article 220 de Ia Coutwne prévoit sondit marl Pour autant, Ia femme n’est pas laissée sans
<<qu’homme et femme conjoints ensemble par manage sont protection par Ia Coutume face aux actes de son man. L’article 22
communs en biens meubles et conquëts immeubles faits durant et de la Coutume prévoit que le <<marl ne peut vendre, echanger, faire
constant ledit manage. Et commence la communauté du jour des partage ou Iicitation, charger, obliger, ni hypothéquer le propre
épousailles et bénédiction nuptiale >>. Bounjon precise dans son heritage de Ia femme, sans le consentement de sadite femme, &
Draft commun de la France et la C’outume de Paris réduit en icelle de lui autonisée a cede fin. >>(95)
principe que <<La Loi ou plutôt Ia Coutume, dans le cas que le L ‘absence de I ‘un des époux: La femme mariée, en
contrat de manage ne contient pas separation contractuelle de Nouvelle-France particulièrement, se trouve esseulée, son marl, se
biens, en donne I ‘administration a son man, sa sagesse a tempéré trouve bien souvent au loin, faisant Ia traite des founrures,
cede dépendance, en assujettissant l’un au travail, dont elle prisonnier des indiens, en voyage en France... La femme
canadienne se trouve alors, bien que soumise juridiquement a son
(88) marl et privée de la gestion des biens
96 de Ia communauté
DPPC 2105, Archives Nationales d’Outre-Mer, Aix-en-Provence, Registres du t97
>, en
Conseil Souverain de Louisbourg 1729-1740, 15 mars 1731, Requête de Jeanne
Cromió, epouse de Jean Laumonier contre son marL op. cit, fol, 886. Jeanne (92)
Bourjon, Le droit commun de Ia France et Ia coutume de Paris réduits en
Cromié <<se refusant toutefois de prendre dans Ia suite telles autres conclusions principes, op.cit., Tome I, Titre icr: <<Des Personnes Libres u, Chapitre 11:
que le droit, mênie de renoncer a ladite communauté, si elle le juge a propos, pour aQuand la libertC n’a pas lieu, et quand elle cesse >>, p. 2.
s’en tenir a ses avantages matrimoniaux suivant Ia teneur de son contrat.>> Les (93)
<< faut cependant souuigner que l’adoption de Ia conu’nunauté de meubles et
registres du Conseil Souverain de Louisbourg ne contiennent maiheureusement d’acquêts a ete progressive et librement consentie. Les époux montrCalais se sont
pas Ia decision finale des conseillers concernant cette demande de separation de d’abord soumis volontairement au droit panisien pour établir leurs conventions
corps et de biens. Seule subsiste I’autorisation donnée <<a Ia suppliante de faire matrimoniales >, Jean-Marie Augustin, <c Les premiers contrats de manage a
assigner Jean Laumonier son mary a vemr samedy prochain a neuf heures du Montréal de 1648 A I664n, op. cit., p. 19.
mann a l’audience qui Se tiendra en nostre hotel, fait A Louisbourg Ic jeudy 1 5 Claude de Ferriére, Nouveau commentaire cur Ia Courume de Ia Prévdté et
mars 1731, signCe de Ia main du Conseiller Dc Mezy. DPPC 2105, Archives Vicomté de Paris, Nouvelle edition revue et augmentee par Sauvan d’Aramon,
Nationales d’Outre-Mer, Aix-en-Provence, Registres du Conseil Souverain de Paris, éd. Saugrain, 1741, Tome second, Titre X, Dc Ia Communaute des biens,
Louisbourg 1729-1740, Greffes dii 15 mars 1731, fol. 887. p. 22.
(89) (95)
Sylvie Savoie dCnombre un faible nombre de separations de corps au Canada Gin, Analyse raisonnée du droit francois, par Ia comparaison des
durant Ic Régime francais, peut-ëtre dfl A Ia nécessité pour les couples de dispositions des Lois Romaines, & de celles de Ia Coutume de Paris, suivant
subsister, envers et contre tout, afm de resister aux conditions de vie de Ia l’ordre des Lois civiles de Domat, op.cit., Titre XVII, Sect. II, art. V., p. 339.
colonie. Sylvie Savoie, <<La rupture du couple en Nouvelle-France les demandes Article 225 de Ia Coutume de Paris, ale man est seigneur des meubles &
de separation aux XVIIe et XVIUe siCcles >, Canadian Woman Studies/ Les conquets immeubles par Iui faits durant et constant Ic manage de liii & de sa
cahiers de lafemme, n° 7-4, Hiver 1986, pp. 58-63. femme. En telle maniere qu’iI les peut vendre, aliCner ou hypothCquer, & en faire
(90)
G. Boyer, eRCflexions sur Ia capacitC de Ia femme mariCe a Toulouse, avant & disposer par donation ou autre disposition faite entre-vifs A son plaisir &
1804 >, pp. 121-151, Mélanges d’Histoire du droit occidental, T. I, Sirey, 1962, volontC, sans Ic consentement de sadite femme, personne capable, & sans
364 p., p. 130. fraude >>, Claude-Joseph de FerniCre, Nouveau commentaire sur la Coutume de Ia
(91)
V.-A. Poulenc, La Coutume de Paris, op. cit., p. 108. Prévóté et Vicomté de Paris, op. cit, p. 28.
102 Cahiers aixois d’histoire des droits de I’Outre-mer francais N° I David GILLES 103

position forte ; car elle se doit d’assumer Ia gestion, Ia ménage, la femme contracte valablement, s’acquittant ainsi de son
responsabilité de la famille et du patrimoine
98
. C’est pourquoi on role de maitresse de maison tout en ne s’engageant pas
retrouve un grand nombre de femmes agissant devant les tribunaux personnellement, car elle agit alors scion Pothier°
3
, en vertu d’un
au nom de leur mari t99 ou en leur nom propre°°>, si elles 1 04)
mandat presume que son man 1w aurait donn&
obtiennent l’autorisation de celui-ci ou l’autorisation judiciaire, ou Le man peut egalement representer sa femme en justice
bien concluant des contrats au nom de leur époux. C’est le cas par agissant parfois dans son mteret propre ou dans celui de sa femme
exemple de Marie Magdelaine Marquis, épouse de François C est Ic cas par exemple devant le Bailliage de Louisbourg en 1740
Chasteauneuf de Montel clans un litige concernant une affaire de ou Gabriel B iron habitant de Louisbourg introduat tine requete
recel. Son époux étant <<absent de ce pays >>, Marie Magdelaine se devant le bailli afin d’obtenir reparation du dommage subi par sa
trouve <<autorisée par Justice a Ia poursuite de ses droits >>(b01>. femme et Iui-même. Sa femme se trouvant au logis, elle reçut
D’ailleurs, si Ia femme mariée est incapable Iorsqu’elIe est en <<divers coups avec un baton ferré sun Ia teste, sur le bras cc qui met
puissance de man, de nombreuses exceptions subsistent°
2
, et on le suppliant hors d’etat de vaquer a ses affaires non plus que son
admet généralement que, clans le cadre des besoins courants th épouse, qu’iI doit soigner étant trés offensée, ce qui leur cause un
tors considerable [,,•j (105) La collaboration entre époux peut étre
(97) également quelque peu tumultueuse et source d’incertitude junidique.
Bourjon note que <(le mafiage Ia dépouille de l’administration de ses biens Si
elle est en communauté de biens avec son man Art 234 de Ia Coutume >, Bourjon, C est Ic cas notamment dans les relations entre Marie Coutliard,
Le Droit commun, op. cit. vol. 1, Titre I, Cli. H, art. 1V, p. 2. veuve de François Bissot de Laniviere, qui a epouse <<Jacques de
(98)
•Boucher, op. cit., p. 166. Lalande de Gayon, juge prévôt de la seigneurie de Lauzon et
C’est le cas par exemple de Marie Varin, qui se présente <<le 8 février 1 686 bourgeois >>(06) Elle participe a de nombreuses operations et actes
devant René-Louis Chartier, sieur de Lotbiniére, lieutenant général et juge de Ia juridiques en compagnie de son man, C’est Ic cas notamment de
prévôté de Québec. Elle exige Ic paiement d’honoraires pour Ia reparation d’une
roue ferrée, un travail exécuté par son man n. Dans cette affaire, Ia partie adverse, l’acte créant Ia <<Société entre Jacques de Lalande de Gayon, juge
Jean Bernard dit Anse, un habitant de Charlesbourg, se trouve Cgalement prévOt de Ia seigneurie de Lauzon et Bourgeois et Marie Couillard,
représenté par sa femine, Marie Debure. us se voient alors condainnés a payer Ia son épouse, de la ville de Québec, épouse anténieure de François
totalité de Ia dette et de Ia procedure, (F. Parent, <<Au banc des accusCes : les Bissot de Larivière, Louis Jolliet, marchand et bourgeois, de Ia yule
fenunes et Ia justice en Nouvelle-France >>, Cap-au.x-Diamanrs, n°21, printemps de Québec, tant en son nom que comme tuteur des enfants mineurs
1990, pp. 63-66).
p00) dudit défunt et de Iadite Demoiselle Lalande, Denis Guyon,
(<En matiére cniminelle, si Ia femme est accusée, ii n’est pas nécessaire pour Ia
validité des procedures qu’elIe soit autorisée; mais die ne petit point intenter bourgeois, de la ville de Québec, et Marie Laurence, veuve de
d’action cniminelle sans l’autonité de son marl, ou de justice a son refus; & si Ia Eustache Lambert, bourgeois de Ia ville de Québec Les
femme est condamnCc a quelque amende, ou autre peine pécuniaire, Ia somme a
laquelle elle sera condamnée ne pourra être exigée qu’aprés Ia dissolution de Ia (103)
Robert-Joseph Pothier, Traité du contra: de manage et de Ia puissance du
communauté, non pas méme sun ses propres, ni sun Ia dot dont Ia j ouissance man, U3uvres de Pothier, Tome septiême, Siffrein, 1822, n°49.
appartient au man, aux droits duquel la femme ne peut pas nuire. 11 y a néanmoins (10<)
Petot, op. cit., p. 464.
quelques coutumes qui permettent a Ia femme d’agir en reparation d’injures, sans ((05)
Biron se rend alors epartie civile pour Ia validitC de Ia procedure menée par
Fautonté de son man( Montargis, ch. 2 art 7)>>, (Argou, Institution au Droit Ic procureur du roy >>, procedure menée a I’encontre du dCnommé Jeannot
francois, op. cit., T. II: <S’il est permis aux femmes mariCes d’agir en matiCre pécheur ci JoannCs Dithurbive son camarade menuisier >>, (voir DPPC 21 22,
cnmmeile sans l’autonisation de leurs mans >>, Liv. ifi, Chapitre XIX:
<<Dc Archives Nationales d’Outre-Mer, Aix-en-Provence, Greffe de l’lsle Royale.
l’Autorité du man , p. 203). Bailliage de Louisbourg, Greffes du Bailliage de Louisbourg, 1740).
(101) ((06)
Arrét du Conseil Souverain de Québec, 14 mars 1707, Chronica 1, Jugements Acte Notanié, ii mai 1679, Notaire Becquet R., QuCbec, Parchemin Registre
et délibérations du Conseil Souverain 1663-1 716, Archives Nationales de des greffes notariau.x consignés entre le 12 Février 1626 em le 31 décembre 1779
QuCbec, op. cit. sur Ic teni-itoire de Québec, (Cédérom), Archives Nationales de Québec, op. cit.
(I 2) 1107)
A titre d’exception, les femmes marchandes publiques peuvent, comme en Acte notanié, 11 mai 1679, Notaire Becquet R. Québec, Parchemin Registre
ancienne France, disposer de nombreux avantages lies a leurs statuts, si dIes en des grejj’és notariaux consignés entre le 12 Février 1626 et le 31 décembre 1779
remplissent les conditions. Sun Ia femme marchande publique scion Ia Nouvelle sur Ic ternitoire de Québec, Archives Nationales de Québec, (Cédérom). Marie
Coutume de Paris, Bourjon décrit tine jurisprudence relativement libérale de Ia Couillard est tine femme visiblement active, ci tine bonne gestionnaire
part des junidictions panisiennes, permettant a tin assez grand nombre d’actes de puisqu’eIle est également Ia tutnice des enfants issu.s de son premier manage. On
commerce d’accorder Ia qualité de marchande publique. Sur cc point voir Petot, retrouve en date du 09 mars 1684 (Notaire Genapie de Bellefonds F, a Québec) Ia
op. cit. p. 459, et un article d’Ahmed Slimani, e La femme marchande publique décharge de Ia reddition de compte de Ia tutelle de Louis JolIiet, par (<Marie
dans les coutumiers des XVIIe ci XV1Ue siècle , a paraltre dans Ies Actes de Ia Couillard, Cpouse actuelle de Jacques de Lalande, marchand bourgeois, son
JournCe d’étude de La Faculté de Droit de Besancon, La femme dons 1 ‘histoire du Cpoux. présentement absent. de Ia ville de QuCbec, épouse antCnieure de Francois
droit et des idées politiques, Besancon, 2003. Bissot, au nom ci comme tutnice des enfants mineurs issus d’elle en premiere
104 Cahiers aixois d’histoire des droits de l’Outre-mer francais N° I David GILLES 105

nombreux manages entre militaires et canadiennes, favonsés par le méme >>(113) Les epoux peuvent done révoquer les actes et les
pouvoir, surtout dans les premiers temps de la colonie, posent actions intentées en justice par leur épouse. Ainsi, < Ic 30 juillet
également le problème de l’éloignement des époux, ce qui a des 1686, Jacques de Lalande se prévaut de cette mesure>> contre Marie
repercussions sur l’activité juridique des épouses qui se voient Couillard, <<qui a signé un billet pour des marchandises obtenues>>
souvent investies de Ia representation juridique du couple vis-à-vis durant l’un de ses voyages en France. <<De Lalande refuse Ia dette,
des tiers. Les hommes de Ia famille Ramesay, par exemple, pour la déclarant n’avoir eu connaissance de ce billet, étant en
plupart officiers dans l’armée du roi, ont recours bien souvent, France >> 4) La prévôté de Québec lui donne raison. Jacques de
lorsque les exigences de service le rendent nécessaire, a des Lalande, aprés cette affaire, continue pourtant a accorder sa con-
procurations. Leurs épouses gérent alors les biens de Ia fiance a sa femme ions de ses déplacements, la revocation de I’acte
Communauté, C’est le cas, par exemple, de Jean-Baptiste-Nicolas étant vraisemblablement opportune pour les affaires du couple
’ 15),
1
Roch de Ramesay qui donne procuration a son épouse, Louise La délégation de gestion de la Communauté de biens:
Godefroy de Tonnancourt en 1733, Iorsqu’il est nommé L’usage de Ia procuration, rendu indispensable dans Ia colonie
commandant pour le poste de Ia point de Chagoamigon°°
8
, puis en lorsque le man est appelé a s’éloigner régulièrement est
1742, lorsqu’il est nommé au poste de Ouinipigon
”&
110 réglemente par I’article 223 de Ia Nouvelle Coutume de Paris. Un
Mais ces absences a répétition ne libèrent pas pour autant Ia tel acte se révéle un gage de sécunité junidique pour Ies tiers a Ia
femine de l’autorité junidique de son man. En effet, sa condition communauté, et permet un développement économique indispensa
d’épouse demeure étroitement liée a l’autonité conférée a son man ble a la Nouvelle-France. Pour Bourjon, <<Cette autonisation
par Ia Coutume de Paris et a son pouvoir de déléguer son absolument nécessaire pour faire cessen l’incapacité de Ia femme, ne
1
autorité
’ 10) Pour les femmes en puissance de man, tous les actes de peut étne supplée par aucun autre tenme, die doit ëtre expresse;
Ia vie juridique nécessitent une autonisation, qu’elle provienne soit 9
uelle ii faut se tenir, quoique I’exacte raison
c’est rigueur a Ia
de leur mari directement, soit de Ia justice. Au )CV1 et semble la rejeter >> 17) Ainsi les auteurs a Ia fin de i’Ancien Régime,
4
X’
1III siècles, la jurisprudence et les jurisconsultes semblent et notamment les commentateurs de la Coutume de Paris,
enclins a accentuer l’emprise des maris sur leurs femmes 12) s’onientent vers un formalisme nigoureux en ce qui concerne les
voient se restreindre leurs possibilités d’agir au nom de leur epoux. procurations, qui doivent être speciales et expresses, ce qui restreint
Bourjon, dans son Droit commun de la France, rappelle d’ailleurs largement Ia liberté junidique accordée aux femmes en l’absence de
que <<la femme en puissance de mari, ne peut contracter aucun leur époux. Une autorisation genérale de procéden aux actes de
engagement sans l’autonisation de son man, le manage Ia mettant simple administration est pourtant tolérée, et sa validité
sous sa puissance; c ‘est une disposition prudente & salutaire qui 0 18)
reconnue
maintient Ia paix, conserve encore les biens de Ia communauté >>.
Pourtant puisque cette incapacité a (<pour motif principal I’ intérêt
du man, ii Ia fait cesser en autonisant Ia femme; autorisation qui
lève I’incapacité de cette dernière, autrement ce qui a été Bourjon, Le Droll commun, <<Dc Ia communauté de biens >>, Chp. III, sec. I, op.
cit., vol. 1. p. 501.
pnincipalement en sa faveur, se repliroit & opéroit contre lui (14)
F. Parent, op. cit., p. 63.
(1(51
Un acte notariC de ratification nous rapporte que peu de temps aprés cette
revocation <<Jacques de Lalande est retourné en France sur met peu de temps aprés
noces >>, Parchemin : Registre des greffes notariaux consignés entre le 12 Février son arrivée oü il s’est perdu et naufragé>> et qu’ainsi Marie Couillard est pour Ia
1626 et le 31 décembre 1779 sur le territoire de Québec, (Cédérom) Archives seconde fois veuve, et libre alors de contracter sans procuration. 08. mars 1699,
Nationales de Québec (ANQ), op. cit. acte notarié, Office Notarial Chambalon I., Québec, Parchemin : Registre des
Acte Notarié, 03 aoUt 1734, Office Notarial C.-R. Gaudron de Chevremont, gre./Jes notariaux consignés entre le 12 Février 1626 et le 31 décembre 1779 sur
Montréal, Registre de 1732 a 1739, Parchemin: Registre des greffes notariaux le territoire de Québec (Cédérom), Archives Nationales de Québec (ANQ), op. cit.
conszgnés entre le 12 Février 1626 et le 31 décembre 1779 sur le territoire de (((6)
C’est Ic cas par exemple du contrat de société du 31 mars 1696, <<entre
Québec, Archives Nationales de Québec (ANQ), op. cit. Francois Viennay dit Pahot, marchand bourgeois, de Ia yule de Québec, et Marie
‘°>
Acte Notarié, 26 jum 1742, Office Notarial L-C. Dante de Blanzy, Montréal, Couillard et Jacques de Lalande de Gajon, son époux, présentement absent en
registre de 1738-1760, Parchemin: Registre des greffes notariaux cons ignés I’ancienne France, demeurant en Ia ville de Québec. >>, Acte notané. 31 mars 1696,
entre le 12 Février 1626 et le 31 ddcembre 1779 sur 1e territoire de Québec, Office notarial Chanibalon L., Quebec, Parchemin, Registre des greffes notariaux
Archives Nationales de Québec (ANQ), op. cit. consignés entre le 12 Février 1626 et le 31 décembre 1779 sur le territoire de
(ItO)
(III)
F.Parent, op. cit., p. 63. Quebec, op.cit.
Petot, op. cit., p. 457. (117)
(112)
Bouion, Le Droll Commun. op. cit., p. 501.
Ibid., p.
4
61. (118)
Petot, op. cit., p. 461.
106 Cahiers aixois d’histoire des droits de l’Outre-mer francais N° 1
r
David GILLES I 07

Une telle rigueur juridique se retrouve-t-elle en Nouvelle


France? II semble bien que non. A Louisbourg, par exemple, dernière et entière execution 22), Munie de sa procurntmn,
le 1 9 düment authentifiée par acte notarié, Ia femme canadienne, lout
juin 1737, le capitaine marchand et nógociant Joseph Brisson
decide, devant notaire, de confier par une procuration três comme les femmes de commerçants au long cours en France. c
large a sa trouve alors totalement capable juridiquement durant toute
femme Marie-Joseph Petit, le pouvoir < de par Iuy et en
son nom, l’absenee de son man, non settlement de gérer leurs biens propres,
pendant son absence, d’acquerir, gérer et administrer toutes
leurs mais egalement d’engager les biens de son man. Cette assez large
affaires (...) de quelques natures qu’elles soient, comme de tenir
les marge de manceuvre laissée a la femme par l’usage d’une
marches qu’il pouvait avoir fait, en conclure de nouveaux,
négocier procuration ne doit pourtant pas faire oublier qu’en l’absence d’un
avec leurs débiteurs, vendre et aliéner leurs biens en cas de
nécessité tel acte, comme le note Bourjon: (<Tout engagement contracté
et généralement faire tout ce que ledit Sr Brisson feroit s’il
était par une femme en puissance de man est nul, d’une nullité absolue,
present en ces lieux, approuvant et ratifiant et trouvant
pour radicale & sans reserve; c’est-à-dire, qu’eIle est telle autant a son
agréable, tout ce que ladite Demoiselle fera >>‘ 19)• L’ampleur
de la égard & celui de ses hénitiers, qu’à l’égard de son marl >>23),
liberté accordée ici a Ia femme par cette procuration enregistrée
au La collaboration, peut-être plus qu’en ancienne France, est
greffe du Conseil Souverain de Louisbourg, peut laisser supposer
que rendue nécessaire par les conditions de vie et d’éloignement de Ia
Ia rigueur appliquée par les juridietions parisiennes et conseilide
par colonie. Les femmes se trouvent alors le seul élément stable,
les auteurs métropolitains se trouve quelque peu battue en
brêche continu, permettant d’assurer Ia vie de Ia famille, mais aussi les
par les juridictions canadiennes, plus enclines a favoriser
l’échange rapports juridiques avec les tiers, voire Ia protection des biens de Ia
de relations commerciales et juridiques plutôt que la protection
des communauté, et cela, en tant que femme, mais aussi en tant que
intéréts du man. En prineipe, l’autorisation expresse,
selon mere. C’est le cas par exemple de Marguerite Richard, en Octobre
plusieurs actes de notoniété du Châtelet cites par Pothier,
doit 1739, qui se voit obligée d’adresser une requête au Conseil supénieur
comporter des termes ne laissant aucun doute quant aux
actes de Louisbourg, afin d’assurer le fonctionnement du commerce de
autorisés par le man. Aucun acte ou intervention du man ne
peut son fils, absent. Elle demande a la justice de se muer en comptable
par ailleurs remplacer cette autorisation 20 .
formelle II est a noter
que Bourjon rapporte également une assez grande souplesse des intéréts de son fils car <beaucoup de créanciers viennent
des journellement Iui demander payement des salaires founnitures de
juridictions parisiennes pour les actes judiciaires, qui réservaient
leur vivres & bestlaux pour l’entretien de la bouchenie de ce lieu dont est
rigueur pour les actes extra-judiciaires. Pour ceux-ci,
selon Ia adjudicataire>> son fils, et elle est hors d’estat de payer lea
jurisprudence du Châtelet, ii est meme nécessaire
que l’acte créanciers sans auparavant recevoir des débiteurs de Ia boucherie ce
d’autorisation soit annexé a Ia minute du contfat conclu
par Ia qu’ils doivent et pour ce faire elle doit fournir leurs comptes en
femme 21 ’.
autonisée Ainsi, chargée par son marl de gérer en sa
totalité le négoce de Ia famille, Ia femme se trouve également detail ce qui ne se peut étant démunie des papiers et livres de
en comptes >124). Obtenant les livres de comptes de l’établissement,
charge des intéréts de Ia famille face aux tiers, pouvant faire
valoir, en qualité de mere >, elle entend << ménager les interests de Joseph
de par Ia procuration, les droits de Ia communauté en justice.
Joseph Dugas son fils, payant et recevant fidélement ce qui sera dü, le tout
Bnisson autorise par exemple sa femme a recevoir
de leurs pour éviter a toutes protestations de fait et de droit que pourroient
débiteurs toutes les sommes qui se trouvera leur appartenir,
recevoir ou donner toute quittance de prétendre lesdits créanciers >>. Le carcan juridique coutumier se
(...) plaider, opposer appeler, fissure ici, de Ia main même de Ia Justice, afin d’assurer une
élire domicile les sentences qui interviendront, les
mettre en meilleure stabilité junidique. La question de la procuration expresse
et spéciale est d’autant plus intéressante que, l’acte de la femme
(I passé sans l’autorisation de son marl étant nul, aucune autonisation
DPPC 2109, Archives Nationales d’Outre-Mer, Aix-en-Prove
nce, Greffes du
Conseil Supérieur de Louisbourg-lsle Royale, Procuration
donnée par Joseph
Brisson a sa femme en date du 19 juin 1737 devant Claude
Joseph Desmarest (122)
notaire royal a Louisbourg et deux témoins, fol. 389. DPPC 2109, Archives Nationales d’outre-Mer, Aix-en-Provence, Greffes du
(10) Conseil Supérieur de Louisbourg-IsIe Royale, Procuration donnée par Joseph
Qu’un man intervienne a I’acte de sa femme, qu’il
y souscrive, cela Brisson, op. ci:., foL 389.
n’empéche pas que l’acte soit nul, Si l’autorisation n’a
pas été expressément (123)
Bourjon, Le Droit Commun, op. cit. p. 501.
accordée. De méme, si le mari s’oblige dans un contrat
conjointement avec sa (124)
femme. mais sans dire dans les termes consacrés qu’il Marguerite Richard obtient, Ic transfert des < papiers et livres de comptes >>,
l’autorise, le contrat vaudra DPPC 2111, Archives d’Outre-Mer, Greffes du Conseil Supérieur de Louisbourg
contre Iui, mais sera nul a I’égard de Ia femme >, Petot,
(121) op. cit., p. 461. Isle Royale 1736-1742, Requête du 6 octobre 1739 de Marguerite Latour mere de
Voir Ia jurisprudence citée pan Boutjon, dana Petot, op.
cit., p. 462. Joseph Dugas, pour recouvrement des comptes de Ia boucherie de son Ills, fat. 93.
108 Cahiers aixois d’histoire des droits de l’Outre-mer francais N° I David GILLES 109

ne saurait être faite a posteriori comme le rapporte Pothier dans le qu’elles soient d’onigine aménindienne (A) ou anglo-saxonnes (B).
Traité de Ia puissance du man sur la personne et les biens de Ia Sans s’ interpénétrer totalement, ces influences, tant sociales qua
.
25
femme juridiques, vont fonder a l’aube du XIX siècle, des pratiques
Si le portrait dressé ici de Ia situation juridique de Ia femme junidiques propres aux populations canadiennes.
mariée parait malgré tout bien peu enviable, Ia comparaison avec
les différentes règles coutumières de Ia métropole oblige a nuancer A) Les Veuves : entre pleine
notre appreciation. On constate que le modéle de Ia Coutume de capacité et protection des
droits (128)
Paris appliquee au Canada, bien que plutôt favorable aux femmes,
est toutefois moms <libéra1>> qua tie l’est Ia Couturne de Montargis L’instabilité de Ia colonie, et les conditions de vie difficiles
par exemple. Ce faisant elle se trouve pourtant plus proteetrice de provoquent done l’irruption d’un grand nombre de femmes plus ou
leurs situations que Ia Coutume de Normandie. Malgré cette rigueur moms jeunes sur le marché matrimonial. Malgré cet afflux, la
pour Ia femme mariée, Ia Coutume de Paris permet toutefois de situation de la veuve est plutôt favorable en Nouvelle-France,
nombreuses exceptions a l’incapacité de principe de celle-ci. Sans contrairement a Ia France. En France, le remariage (éventuel) de Ia
autorisation spéciale ou expresse, la femme peut ainsi contracter veuve avec de jeunes célibataires se trouve handicapé par Ia
quotidiemiement pour les besoins courants du ménage et de Ia reprobation sociale, les charivanis de soir de noce 29) et le faible
famille. nombre d’honunes célibataires. Le rapport des sexes, et le surplus
de Ia population feminine en Europe 130
> se trouve inverse en
11- VERS 1JTE UBERATION JURIDIQUE D’U1E FEMME Nouvelle-France, oü sévit une pénunie de femmes au XVIIeme, et un
PROTÉGÉE PAR LA COUTUME équilibre entre les deux sexes au X\,lIIne siècle. Ces facteurs
influent sur Ia situation juridique de Ia veuve dens Ia 3 .
colonie’ Si
Comme le remarque Jean Portemer, si l’intérét de Ia famille dans Ia jeune colonie, le statut de veuve ne se révèle pas un
impose bien souvent que Ia femme soit subordonnée a son man ou a veritable 32
,
handicap le remaniage de celle-ci, parfois favorisé par
son père, <l’intérèt de Ia famille peut requénir qua Ia femme agisse le pouvoir politique
comme un homme, par exemple, en exerçant le commerce chi ou ecclesiastique’ 33>, complique
vivant du man, quand celui-ci l’y a autorisée, et sw-tout aprés le )l2)
Pour une vision d’ensemble de Ia situation des veuves en Nouvelle-France,
décés de l’époux >>(126). Cette situation est fréquente dans Ia colonie, voir Ia these récente de Josette Brun, Le veuvage en Nouvelle-France : genre.
oü bon nombre de veuves prennent une place importante. dynamique familiale et strategies de survie dans deux villes coloniales du XVIIJe
siCcle, éd. Québec et Louisbourg, These d’Histoire, Université de Montréal, 2000.
D’ailleurs, des avant Ia conclusion de l’union, les futurs manes sont ((29)
Edward Shorter, iVairsance de lafamille inoderne, Paris, Seuul, 1977, p. 271.
conscients des problèmes junidiques qui peuvent découler du décés (1301
Pierre Goubert note que les veuves de 35 a 45 ans, dans Ic Beauvaisis
d’un des conjoints. us vont donc bien souvent prendre des trouvent difficilement a se remanier, (Cent mule provinciaux au XVIIe siècle, Paris,
dispositions afin de protéger la femme bien entendu, qui se trouve FlammarIon, 1977 p. 59).
plus souvent qu’à son tour veuve et rapidement remaniée, mais aussi Sun l’exemple des premiers temps de Montréal (1648-1664), Jean-Marie
en faveur des enfants, nés de l’union ou d’un premier lit’ Augustin remarque que Ies veuvages et lea secondes noces sont nombreux, et
27
. Cette particultèrement pour les fenunes. Ainsi ii relCve pour 91 couples, uniquement
liberté junidique laissée aux veuves, l’ampleur de leurs actions dens Ia 168 personnes, dont 90 homines et 78 femmes. Jean-Marie Augustin, <<Les
société trouve un pendant dans les sociétés autoehtones, oü les premiers contrats de manage a Montréal de 1648 a 1664 >>, op. cit., p.4.
(132)
femmes interviennent trés largement, a l’étonnement des Celine Cyr, Guy Dimel, Jacques Mathieu, Jeannine Pozo, Jacques St Pierre,
voyageurs occidentaux, et qui se voient reconnaltre junidiquement, <<Lea alliances matnimoniales exogames dans Ic gouvernement de Québec 1 700-
1760 >, Revue d ‘Histoire de I ‘Aménique Francaise, Juin 1981.
par les hommes, une capacité bien plus grande. La situation 1133) pp. 3-32, p. 20.
En cc qui concerne les paroisses de Neuville et de Charlesbourg, les auteurs
géopolitique de la colonie va done pousser a une confrontation rapportent que dana Ia premiere paroisse, lea veuves bénéficient de Ia connivence
entre la Coutume de Paris et des murs juridiques bien différentes, du curé qui, par son accord, lea fait bénéficier d’une tolerance sociale plus grande
et les incite a epouser tin man venant parfois de fort loin. A Chariesbourg, le
(125) nombre élevé de soldats épousant des veuves s’explique selon eux, pan une
Robert-Joseph Pothier, Traité du contrat de manage et de Ia puissance du pratique administrative d’hébergement des soldats chez les veuves. Pour pallier
man, c.Euvres de Pothier, Tome septiême, Siffrein, 1822, premiere partie, Sec. 111 et labsence d’un chef de famille, l’Eglise et l’Etat cherchent a apporter un appui, an
Iv.
(126) soutien aux veuves et a leur famille. Voir C. Cyr, U. Dimel, J. Mathieu, J. Pozo, J.
Portemer, op. cit., p. 195.
((27) St Pierre, ibid. pp. 20-21. Stir Ia politique des administrateurs francais en matiCre
Jean-Marie Augustin, <Les premiers contrats de manage a Montréal de 1648 de manage voir Marcel Trudel, Les dEbuts du Régime Seigneunial au Canada,
a 1664 >>, op. cit., p. 13. MontrCal, éd. Fidés, coil. Fleur de Lys, 1974 et Yves Landry. Orphelines en
110 Cahiers aixois d’histoire des droits de I’Outre-mer francais N° I David GILLES Ill

considérablement sa situation ,juridique, I’obligeant a recourir ’,


39
celIe-ci et gérer ses biens propres. Pour ce faire, dIe fait
34
largement a I’institution juridique
>. La Coutume de Paris prévoit parfois, a son tour, usage de procuration pour gérer ses intérCts et
en effet une communauté de biens entre époux, qui peut perdurer ceux de ses enfants C est le cas par exemple d Ehsabeth Moyen qui
après la mort de l’un deux si le survivant le desire, notamment si par un acte du 17 jum 1668 donne procuration < au seur Dugue
des enfants sont nés de l’union. En pays coutumier, I’infériorité escuyer au regiment de Chambellay, auquel elle donne pouvoir.
ordinaire de Ia femme est longuement compensée par toute une puissance et authonité, de pour et en son nom, plaider & opposer &
série de dispositions protégeant ses biens et son avenir en cas & appeler & eshre domicile & substituer>> dans 1 affaire de Ia
veuvage. Bourjon indique dans son Droit commun que <<La mort de succession de ses parents Jean Moyen et Elisabeth Le Bret
son man lui rend Ia liberté de l’administration; I’effet que la Ioi odécódez et tuez par les hyroquois en I’IsIe aux oyes >>.
donne a la puissance de ce dernier I’en avoit dépouillé, non Ia Plus peut-être qu’aux dangers des guerres indiennes, les
nature cette mont lui rend donc Ia liberté > Elle retrouve donc, veuves de Nouvelle-France, sont tout d’abord confrontées a un
de par le décés de son époux
t
’ 36), une capacité juridique relativement inextricable ensemble de contrats de manage, donations
étendue. Pourtant, Ia capacité légale des veuves demeure bien communauté de biens successifs... Cette oguerre de tranchée>>
souvent temporaire, dans l’attente d’un remariage éventuel. Elles junidique vient completer bien malheureusement la précarité
sont bien souvent accompagnées <<par un tuteur, un subrogé-tuteur matérielle des veuves. CeIa complique considérablement Ia situation
ou un parent Certaines d’entre elles profitent pourtant de junidique des veuves (et des veufs) et celle de Ieurs proches. Les
leur nouveau statut pour diriger les affaires de leur man défunt ou difficultés trouvent parfois leur source dans le manage lui méme, et
les leurs propres
0 38)• Les époux se trouvant souvent confrontés a Ies choix qui ont été opérés. En effet, certaines veuves souhaitent
des situations pénilleuses, et bien souvent mortelles, Ia jeune veuve renoncer a la communauté de biens, ou contestent Ia validité de leur
se trouve dans l’obligation d’assumer Ia poursuite de Ia communauté manage, pour diverses raisons. Par exemple, Marguerite Seigneuret,
de biens établie par la Coutume de Paris et par le contrat de manage veuve de Louis Godefroy, Sieur de Normanville et procureur dii roi
au bénéfice de ses enfants et d’elle-méme, ou de demander la fin de de Ia juridiction des Trois Rivières, conteste en 1683 Ia validité &
son contrat de manage, celui-ci <<estant contraire a Ia coutume, et
rempli de clauses illicites >>(140)• En effet, Marguerite Seigneuret
France, pionnières au Canada, les Filles du roi au XVHe siècle, Leméac, n’avait que sept ans lors de Ia passation dudit contrat>> et les
Montréal, 1992. parents de celle-ci ont accepté dans le contrat de mariage un certain
(134)
J.-P. Garneau remarque que les veufs et les veuves de BeauprC charges nombre de clauses exorbitantes. Elle demande en consequence que le
d’enfants mineurs ont fortement recours, tant sous Ic régime francais qu’anglais, a contrat soit déclaré nil, et le bénéfice dii douaire coustumier,
l’institution juridique. J.-P. Garneau, e Droit et <<affaires de famille> sur Ia Côte
de-Beaupré : histoire d’une rencontre en amont et en aval de Ia ConquCte
disposant alors de Ia moitié << des meubles et inuneubles délaissés par
britannique >>, Colloque UQAM Les pratiques de I ‘histoire du droit au Québec, ledit défu.nt (ainsi que) des hardes>> a son usage comme Iui << étant
Revue Juridique Thèmis, Faculté de Droit de l’UniversitC de Montréal, vol. 34, donnés par la coustume >>. Elle demande a jouir en sits <de I’autre
n° 2, 2000, pp. 515-561, p. 531. moitié des biens de Ia communauté >>. Le Conseil, sans juger cii
(135)
Bouijon, Le droit commun, op. cit., Tome 1, Titre 1, Ch. 2, Art. VI, 2.
((36) p.
A Ia mon de son marl, Ia veuve a droit au douaire coutumier, une pension qui La Coutume de Paris oblige alors a l’établissement d’inventaires, cc qui n’est
dolt Ia protéger de Ia pauvretC; c’est un droit qui porte sun la moitié des propres
du marl (c’est-â-dire les fonds de terres, lea edifices, rentes, offices...), consistant
pas sans poser des problémes, quant aux formes et aux délais de l’acte. C’est, par
exemple, Ic cas lors de Ia succession de Michel Lecount. L’inventaire qui a été fait
en l’usufruit, c’est-à-dire Ia jouissance, de centains des immeubles du marl, qui suite au décés de michel Lecourt n’ayant pas été
sont restCs en dehors de Ia communauté. Les deux époux Se trouvent done soumis fail avec les solemnitez
requises par Ia Coustume >>, Ic Conseil souvenain demande qu’il salt fait quatre
< a une réalité familiale qui les dépasse et dont us sont
tous deux victimes : Ia jnventajnes des bjens de Ia conimunauté de Michel LeCourt et de sa veuve Louise
femme y perd un pouvoir d’administration ci de disposition, l’homme y perd une
Leblanc. Arnêt du Conseil Souverain de Québec du 07, Juillet 1698, Chronica 1,
grande partie de son droit de disposer des biens réservés a l’usage du lignage >>, Jugements et délibèrations du Conseil Souverain 1663-1 716, op. cit.
çJ.Boucher, op. cit., p. 158). I.e contnat prévoyait entre autres que Ies parents et les grands parents de
C’est Ic cas trois fois sur quatre selon France Parent dans les cas prCsentCs Marguerite Seigneuret faisaientt de I’époux de cette derniére leur seul hénitier, Ic
devant Ia PrCvôté de Québec en 1686, (op. cit. p. 66).
((38) mettant en possession du jour dudit contrat de tous leurs biens, meubles et
Cette situation et cette place dana l’activitC Cconomique n’est bien sr pas immeubles a eux appartenant en France ci en cc pais (Nouvelle-France) (...)u
propre a Ia Nouvelle-France, Un paralléle intéressant peut être fait avec les grands conservant toutefois <<leur vie durant Ia jouissance de leurs biens sans Ies
Ileux de commerce transatlantique, comme La Rochelle, Bordeaux ou Saint Malo.
pouvoin vendre ny aliéner qu’avec Ic consentement dudit Godefroy. >, Arnét du
Sun cette derniCre ville, voir André Lespagnol, Messieurs de Saint Malo. Une elite conseil souverain de Québec du 08 fCvnier 1683, Chronica 1, Jugements et
négociante au temps de Louis XJV, Saint-Malo, 1990. délibérations du Conseil Souverain 1663-1716, op. cit.
12 Cahiers aixois d’histoire des droits de l’Outre-mer francais N° 1 David GILLES II’

contrat qui selon lui <ne regarde que le fait> ordonne que provenant d une peche aux marsouins en 1749” I ouit
<Marguerite Seigneuret joui en pure propriété des biens qui luy sont Ramesay fonde quant a elle une société, avec le maitre tanncur
escheus, et pourront eschoir par succession a l’avenir de son costé Pierre Gauvereau a 1145uébec avec le maitre menuisier Françoii
9
,
et ligne, ensemble du douaire et de la moitié de tous les biens Bouthier a Chambly 46), engage les jeunes Francois (12 ans) et
meubles et conquëts immeubles faits pendant son mariap (.) Jacques Vivier comme matelots, obtient un marché de bois avec
suivant Ia coutume de Ia yule, prévôté et vicomté de Paris >>. Louis RebeIiau
t147 etc. Commercantes, les veuves de la Nouvetle
Les veuves: tutrices et chefs de famille: Pourtant, ces ,
46
France ne le sont pas uniquement dans le cadre de la coIonie
difficultés semblent, peut-être, offrir l’occasion a ces veuves de mais également au long cours, reprenant ainsi bien souvent les
faire montre de toute leur énergie, de déployer leur genie au grand activités qu’elies exercaient conjointement avec leur époux.
jour, en marquant Ia colonie de leur activité incessante tant th Louise-Genevieve de Ramesay, par exemple, en 1753, donne
point de vue économique que juridique. Un exemple en est donné procuration a Jean-Louis Gastumeau, négociant a la Rochelle, afin
par les femmes de Ia famille de Ramesay, et notamment deux de transporter des sommes d’argent nécessaires a son
grandes figures des veuves qu’a connues Ia colonie, Louise >. Devenues chefs de families, elles se doivent
49
commerce
Genevieve de Ramesay et Agathe de St Peyre. Ces deux femmes, la egalement de gérer au mieux les biens de Ia communauté, qu’elles
premiere veuve de Louis Deschaxnps de Boishébert, capitaine peuvent conserver, mais aussi des biens de Ia familie élargie. Ainsi,
d’infanterie, et l’autre de Pierre Legardeur de Repentigny, capitaine Louise Genevieve de Ramesay, en février 1758, cede ses droits et
de troupes de marine et Chevalier de St Louis, vont faire montre prétentions sur un emplacement situé en Ia haute ville de
d’une trés grande activité juridique, et prendre véritablement Ia téte Québec >>, en 1761 c’est Louise de Ramesay qui cede ses droits
de leur famille, dans toutes les questions patrimoniales, juridiques e t successifs immobiliers sur Ia seigneurie de Saw-el a Louise-Genevieve
commerciales, qu’elles appréhenderont avec beaucoup d’assurance de Ramesay, etc. Faisant des cessions internes a Ia famille élargie,
et en utilisant les arcanes juridiques leur donnant une plus grande les veuves de Ia famille Ramesay cedent et achétent bien entendu
liberté. Une rapide analyse des actes notaries enregistrés par les des biens a des personnes étrangères a la famille, perpétuant e t
deux veuves montre qu’elles adoptent Ia méme activité que si elles 50 constitués patiemment par
utilisant ainsi les réseaux de relations
disposaient de la méme place que des hommes, a Ia fois au sein de Ia leur famille
. Par exemple, en 1746 Angelique et Louise de
5
société et juridiquement parlant.
D’ailleurs, Ia Coutume de Paris laisse une assez grande latitude
Acte notarié, 02 juin 1749, Québec, Office notarial Dulaurent, Registre de
aux veuves afin d’intervenir juridiquement, notamment au profit de 1734 a 1759, Parchemin, Archives Nationales de Québec, op. cit.
leurs enfants mineurs. Bow-jon, par exemple, indique que si selon Ia (145)
Acte notarié, 29 mai 1750, Québec, Office notarial C, Barolet, Registre de
coutume de Paris, (des femmes par leur inexperience & par leur 1728 a 1761, Parchemin, Archives Nationales de Québec, op. cit.
foiblesse naturelle sont incapables de tutelle >P 42
>, Ia mere ou Acte notarié, 19 septembre 1751, Montréal, Office notarial G. Hodiesne,
Re,gistre de 1740 a 1764, Parchemin, Archives Nationales de Québec, op. cit.
l’ayeule non remariées peuvent être tutrices de leurs enfans & (14
Acte notarié, 04 janvier 1773, Montréal, Office notarial Grisé dit Villefranche
petits enfans, car Ia présomption de leur tendresse lève leur A., Registre de 1756 a 1725, Parchemin. Archives Nationales de Québec, op. cit.
incapacité & produit exception en leur faveur >>. C’est ainsi que, (148)
En 1754, Louise de Ramesay installée a Montréal, s’engage devant notaire,
le 23 décembre 1745, Agathe de St Peyre agissant comme tutrice de ; envers François Monnier et Jean Greleau, négociants, de Ia yule de Québec n
ses quatre enfants mineurs, de son fils majeur, passe transaction Acte notané du 03 octobre 1754 , Office notarial Saillant de Collégien J.-A. de
avec Louise Genevieve de Ramesay, elle-méme tutrice de ses Quebec, Registre de 1750 a 1776, Parchemin, Archives Nationales de Québec, op.
cit.
enfants mineurs. Agissant comme mères, ces veuves sont aussi 149)
Acte notariè, 25 octobre 1753, Québec, Office notarial Saillant de Collegien,
commerçantes: Louise Genevieve de Ramesay bénéficie ainsi de i-A., Registre de 1750 a 1776, Parchemin, Archives Nationales de Québec, op. cit.
(ISO)
l’abandon opéré par Jean Baptiste Duperé d’une part des huiles De Ia même facon, Ia Veuve Fomel saura user, voire abuser de ses relations,
notamment avec l’intendant Bigot, afin de faire prospérer ses activités. Lilianne
Plamondon, eUne femme d’affaires en Nouvelle-France: Marie-Anne Barbel,
veuve Fomel >>, Revue d ‘Histoire de I ‘Amérique Fran caise, septembre 1977, vol.
31, n°2, p.172-173.
(141)
Arrét dii Conseil Souverain de Québec du 08 février 1683, Chronica 1, Un aperçu des actes qui réunissent les différents membres de Ia famille lors
Jugements et délibérations du Conseil Souverain 16634716, op. cit. des cessions de biens immobiliers a des commerçants montre que certaines
(142;
Bourjon, Le Droit commun, op. cit., Section V, Des causes qui rendent relations privilégiées existent entre Ia famille et certaines personnes, notamment
incapable de tutelle >, art. CCXV, p. 58. les relations entaniáes avec Ia famille Bonfield, comptant phusieurs négociants de
(143)
Bouijon, Le Droit commun, op. cit., Section V., art. CCXVI, p. 58. Quebec. Ces relations flirent initiées par Louise Tonnancourt, épouse de Jean-
114 Cahiers aixois d’histoire des droits de I ‘Outre-mer francais N° 1 David GILLES 115

Ramesay cédent deux emplacements situés en la yule de Montréal a renoncer a Ia communauté de biens si celle-ci est trop fortement
Charles Lefevre et son fils, forgeron taillandier de Ia côte St grevée de dettes, ou tout du moms d’en limiter les consequences.
.
t152
Martinet Utilisant cette liberté juridique née de la souplesse de la
L’exemple de la famille Ramesay n’est bien évidemment pas Coutume de Pans, les femmes canadiennes suivent I exemple liberal
le seul montrant Ia place importante prise par les veuves dans la donne par Ies amenndiennes tout en beneficiant, contrairement a
colonie; Marie-Anne Barbel, veuve Fomel, Thérése de Couagne, leurs consceurs anglo-saxonnes, d’une protection patrimoniale
veuve Poulin de Francheville ainsi q,ue Jeanne Enard, veuve Crevier, forte.
,
pour ne citer qu’elles, illustrent’ quoique de manière bien
54
différente’
, l’activité juridique des veuves en Nouvelle-France, B) Les exemples juridiques de Ia femme indienne et de
\
Le même phénomène se rencontre d’ailleurs en Europe, Ia femme dans Ia Common Law
notamment dans les grands centres commerciaux Q,orts, places
financiére&..) oü les femmes se sont trouvées associées an Parler d’une influence juridique des sociétés amérindiennes sur
commerce dii couple en raison des absences répétees de l’époux. Ia Coutume de Pans serait exagéré. Par contre, l’influence sociale,
Une fois celui-ci disparu, les jeunes veuves prennent alors tout l’exemple donné par les femmes indiennes et les couples mixtes
‘S naturellement la tête de l’entreprise familiale, trouvant dans Ia (A), et l’intégration progressive des populations amérindiennes va
Coutume de Paris un allié, qui leur permet une capacité juridique entraIner des pratiques juridiques plus souples, favorisant une plus
relativement étendue, mais également qui les protege, tout comme grande capacité sociale et juridique de Ia femme canadienne. De la
leurs enfants, contre toute dispersion du capital de Ia communauté. même facon, la confrontation entre Coutume de Paris et Common
D’ailleurs, le régime de la coutume de Paris permet egalement a la Law (B) montre que si la coutume parisienne entrave fortement la
veuve, grace notamnient au <<bénéfice d’émolument >>‘>, & capacité juridique de Ia femme mariée, elle protege patrimonia
lement celle-ci, et se trouve alors plus favorable que la Common
law.
Baptiste-Nicolas-Roch de Ramesay, et Louise de Ramesay par Ia vente du fief et
seigneurie de Sore! situé sur le Gouvernement de Montréal en 1763. Ces relations 1) L ‘exemple social des amérindiennes
semblent marquees par l’influence grandissante des commerçants anglo-saxons
au detriment des anciennes families nobles peuplant Ia Nouvelle-France. Ainsi, le
09 mars 1764, Louise Tonancourt, en tant qu’épouse, et Genevieve de Ramesay, La place de Ia femme dans Ia société amérindienne 56):
en tant que veuve et tutrice, cCdent Ia seigneurie de Ramesay situCe dans la rivière Dans ces sociétés autochtones
57
, les femmes occupent une grande
d’Yamaska a Jean Bondfield. Voir les actes notaries du 23 aoüt 1763 et celui du place au sein de la société civile. Les Iignées indiennes sont
09 mars 1764, Québec, Office notarial Saillant de Collégien J.-A., Registre de matrilinéaires et matrilocales (le man quittant sa famille pour celle
“1 1750 a 1776, Parchemin, Archives Nationales de Québec, op. cit.
(132) de son épouse). Les naissances de filles sont un peu plus valorisées
Acte notarlC, 23 février 1746, Montréal, Office notarial F. Simmonet,
Registres de 1737 a 1778, Parchemin, Archives Nationales de Québec, op. ci:. que celle des garcons. Cette place privilégiée de la femme se trouve
Marie-Anne Barbel va montrer, par son activitC, tant dans Ic commerce que reconnue par les normes juridiques indiennes, puisqu’en cas de
dans I’exploitation des ressources de Ia Nouvelle-France, que Ia Coutume de Paris meurtre, on exige une reparation de trente presents pour un homme
accorde aux veuves une plenitude d’action, comparable a celle des hommes. Sur
cette activitC, voir Lilianne Plamondon, line femme d’affaires en Nouvelle
France: Marie-Anne Barbel, veuve Fomel >>, op. cit.
Si Marie-Anne Barbel et Thérèse de Couagne reprennent pour une grande 156>
Sur cette question voir les ouvrages de Olive Patricia Dickason, Canada s
partie i’activitC de leurs epoux respectifs, qui concerne essentieliement le First Nations: A history of founding Peoples from earliest Times. Toronto,
commerce et Ia traite, Jeanne Enard, veuve Crevier, exerce, dIe, ses talents dans un Ontario, University of Oklahoma Press, 1992; de Denys Delâge, Le pays renversé.
domaine plus exotique : arrivée a Trois-RiviCre en 1639, elle se lance dans Ic Amérindiens et Européens en Amirique du Nord-Est, 1600-1664, Montréal,
commerce florissant du trafic de l’eau-de-vie avec les amCrindiens; s’attaquant Boréal Express, 1985 et l’article d’A. Lachance et S. Savoie, Lea amérindiens
par son trafic aux protCgés des Jésuites, ses activités egailleront Ia chronique sous le Régime français >>, A. Lachance (dir.), Les marginaux, les exclus et I ‘Autre
judiciaire, et cue échappera a toute sanction grace a des appuis influents dans Ia au Canada, 1996.
colonie. (Collectif Clio, op. cit. p. 32). (>57)
(155) Les peuples amerindiens se divisent en deux groupes ethniques : Ia grande
Cette faveur, qui n’apparaissait pas dans Ia coutume parisienne rCdigCe en thmille algonquienne (Montagnais, Nascapis, les AbCnaquis. les MalCcites, les
1510, s’impose nCanmoins sous l’influence de Charles Du Moulin, et permet a Ia Micmacs, les Outaouais, les Cris) qui regroupe des peuples vivant principalement
femme acceptant la communauté, de n’être tenue des dettes que dans Ia mesure dii produit de Ia pCche, de la chasse et de Ia cueillette et les iroquoiens (Hurons,
de l’actif. >>, Jean Bart, Histoire du droit privé, Paris, Cd. Montchrestien, 1998,
312. p. Neutres, PCtuns, EriCs ci lea cinq nations de Ia confédCration iroquoise dont lea
Agniers appelCs aussi <Mohawks >>).


16 Cahiers aixois d’histoire des droits de I’Outre-mer francais N° I David GILLES

5
et de quarante pour une femmeU
. Les femmes amérindiennes font volonté juridique de l’amérindienne. Cette forte liberté undiquc
preuve d’une bien plus grande autonomie et d’un pouvoir de laissée aux jeunes indiennes au sein de leur communauw. ‘.a
decision supérieur a leurs conseurs européennes, elles <<négocient pénétrer Ia société coloniale européenne par le développement
les manages et sont les maitresses des relations sexuelles >>(159) d’unions mixtes, méme s’iI faut reconnaItre que les femmes
D’un point de vue politique, les prises de position des femmes francaises de Ia colonie estiment leur situation préférable a celle des
amérindiennes se voient reconnaitre une bien plus grande place <<sauvagesses >, pius libres sexuellement et juridiquement, mais
qu’en Europe°. Maiheureusement offertes comme present aux .
6
astreintes a de très lourdes tâches’
voyageurs occidentaux hates de Ia tribu, les jeunes femmes La question des manages mixtes :Toutes deux installées
participent également aux tortures infligees aux prisonniers. et fermement en Amerique du Nord. Ia France et Ia Grande Bretagne
peuvent sauver l’un d’eux en le choisissant comme époux, ou ont adopte des positions politiques différentes vis-à-vis des
comme esclave et il remplace alors par exemple le man ou le frère populations indiennes. La France engagée dans les conflits
défunt. C’est ce que rapporte Lahontan lorsqu’il décrit les mesures autochtones des Champlain, va adopter une politique d’assimilation
prises par les conseils des tribus dyers les prisonniers très forte des indiens. La Grande-Bretagne, quant a elle, n’adoptera
<<Les Anciens s’assemblent au Conseil pour Ia distribution cette politique que plus tardivement, a l’orée du dix-neuvième
des prisonniers, qui sont ordinairement présentez aux femmes ou siècle, jouant dans un premier temps de l’alliance avec les Cinq
files de qui les parens ont été tuez, oü a celles qui manquent Nations iroquoises sans veritable interpénétration des deux
d’esclaves; le partage étant fait, trois ou quatre jeunes coquins de ’
t
mondes
.
631 Pour ces deux puissances, une assimilation se limite
quinze ans les prennent & les conduisent chez ces femmes ou chez toutefois a une chnistianisation sommaire et a incuiquer les valeurs
ces files. Or si celle qui reçoit le sien veut qu’il meure, elle lui dit et idéaux de Ia culture européenne. En raison de ces politiques
que son pére, son frére son man, &c. n’ayant point d’esciaves pour différentes, Ia presence française fut, dans une certaine mesure,
le servir dans le Pai des morts, ii est nécessaire qu’il parte mieux percue que celle des bnitanniques, peut-étre en raison de Ia
incessamment. Tellement que s’il y a des preuves que ce miserable politique francaise favorisant Ia mixité entre les deux populations.
prisonnier ait tue des femmes, ou des enfants durant sa vie, ces De plus. les populations indiennes, comme les Mohawks 4

1
, ne
jeunes Bourreaux les mènent au bücher (...). Si cette femme, ou percurent jamais Ia presence territoriale française comme une
fille, veut le sauver (Ce qui arrive assez souvent) elle le prend par Ia menace pour leurs terrains de chasse, alors qu’elles appréhendaient
main, & après i’avoir fait entrer dans sa Cabane elle coupe ses liens. l’expansion temtoriale anglaise.
lui faisant donner des hardes, des armes, & de quoi manger & En Nouvelle-France, les populations amérindiennes, sur le
>>(16!)
fumer plan juridique, sont considérées comme des enfants mineurs, << tous
11 est intéressant de remarquer que les unions entre les biens-fonds qu’ils possédent dans Ia colonie le sont sous Ia tutelle
aménndiens deviennent bien souvent monogames après la naissance des jésuites qui ont été nommés par le roi tuteurs et curateurs des
d’un enfant. Le divorce, lui, peut s’obtenir sur Ia base d’un sauvages de Ia Nouvelle-France >>)165) Malgré cette spécificité
consentement mutuel, laissant toujours une trés forte place a Ia
I )6)
ColIectif Quo, op. cit.. p. 33.
‘ 163)
Denys Deiage. Le pays renversè.Amérindiens er Européens en .4mérique do Sur ce sujet, your K. Jamueson, La fCmme indienne devant Ia loi une
Nord-Est, 1600-1664, Montréal, Boréai Express, 1985, p. 70. citovenne inineure, Conscil Consultant de la situation de Ia jémme. ariI 1978.
159)
CoIlectif Clio, op. cit., p. 25. I 1
7
p.. Chapitre III, p. 35.
160) (164)
Certaines matrones doyennes participent a Ia designation des Anciens et sont Ainsi, des Mohawks domiciliés prés des missions francaises, et s’adressant
consuitées durant les délibérations des conseils, certains anthropologues pensent aux autres nations iroquoise en 1754. stigmatisent I’occupation anglaise en ces
méme que les femmes ont un droit de veto en matière de paix et de guerre. La termes o AIIés voir les forts que notre Pére (Ic gouverneur de La Nouvelle-France)
femme occupe également une grande place dans les cérémonies religieuses et dans a Ctably. Et vous y verrés que Ia terre sous ses murs est encore un lieu de chasse,
les rapports avec les étrangers is Ia tribu. ne s’Ctant place dans ces endroits que nous frCquentons quo pour nous y faciliter
Baron de Lahontan, Euvres completes, edition critique Real Ouellet, coil. nos besoins; lorsque l’anglois au contraire n’est pas plutOt en possession d’une
Bibliotheque du Nouveau Monde, ed. Les Presses Universitaires do Montréal. terre que Ia Gibuer est force de déserté, les bois tombent devant eux, Ia terre se
1990, TI, pp. 720-722. Lahontan ajoute que Ia jeune indienne <accompagne dCcouvre. o cite dans David Schulze, L ‘application de Ia Proclamation royale de
ordinatrement cette honnéteté de ces paroles : o Je t’ai donné Ia vie, je t’ai délié, 1763 dons les frontiCres originates de Ia province de Québec Ia decision du
prends courage, sers moi bien, n’ayes pas Ic ceur mauvais, & tu auras sujet de te Con.reil privé dons I ‘afidire Allsopp, Revue Juridique Thémis, Faculté de Droit.
consoler d’avoir perdu ton pals tes parens. Les femmes iroquoises adoptent Université de Montréal, Montréal, vol. 31, n 2, 1997, pp. 399-51 I, p.535.
(1651
quelquefots les prisonniers qu’on ieur donne pour s’en servir is leur gre, & alors A. Lachance et S. Savoie, Les amCrindiens sous Ic Régime francai.s, op. cit. p.
us sont regardez comme gens de Ia Nation u. 193.
118 Cahiers aixois d’histoire des droits de l’Outre-mer francais N° I David GILLES

juridique pour les autochtones, le pouvoir a été favorable a une perdre leur place privilégiée en épousant scion les rites ci Ic
assimilation des les premiers temps de Ia reprise en main francais un européen. D’oü un grand nombre de inarage a
administrative de Ia colonie. Une politique officielle de manage 69
l’indicnne
>, oü les coureurs des bois épousent une on piuseurs
avec les indiennes pour compenser l’absence de francaises est autochtones sans se soumettre aux nigueurs juridiques françaises. On
menée des les premiers temps de la colonisation. Ainsi, c’est rapporte ainsi l’exemple d’une femme huronne qui a refuse Ic
Champlain clans ses voyages de 1613 qui dit avoir <<promis>> aux baptéme pour pouvoir conserver son droit au divorce. 70) C’est
Hurons que des Français se maneraient avec eux 66
. Colbert dans pour pallier cc désavantage économique que des presents du roi sont
une lettre adressde a Talon en 1666, écrit qu’il Iui semble que, alloués aux jeunes indiennes, pour favoriser Ia formation de families
<<pour augmenter Ia Colonie >>, et sans <<attendre a faire capital sur mixtes. Ces manages ne sont en effet pas forcément appuyés par
les nouveaux colons que l’on peut envoyer de France>>: <<II n’y les Jésuites, qui ont pourtant Ia direction juridique des populations
auroit nen qui y contribuast davantage que de tascher a civiliser les amérindiennes. Si I’attitude des Jésuites sur cette question n’a pas
Algonquins, les Hurons et les autres Sauvages qui ont embrassé le l’heur de satisfaire Colbert, Ic faible nombre de mariage mixte
Christianisme, et les disposer a se venir establir en Communauté s’explique également par les réticences des indiens, C’est par
avec les François pour y vivre avec eux, et eslever leurs enfans dans exemple le cas du chef indien Tadoussac. qui a répondu <aux
nos mceurs, et dans nos coustumes accusations scion lesquelies les membres de sa tribu ne maniaient pas
Pourtant, l’intégration des populations aménndiennes ne se de blancs parce qu’ils n’aimaient pas les Francais
fait pas sans mal, et les manages mixtes restent peu nombreux, ch.i <<Que vouiez-vous de plus? Je crois qu’un de ces jours
moms ceux dont on retrouve des traces clans les archives
168
. Ii vous nous demanderez nos femmes. Vous nous demandez touj ours
sembie que Ia question économique fut plutôt en défaveur des nos enfants, mais vous ne nous donnez pas les vôtres; aucune de
manages avec de jeunes indiennes. Le manage scion la Coutume de nos families ne garde un Français avec die >> .
Paris, fait avec une indienne, ne rapporte pas a l’époux Ia dot qu’il Malgré cette volonté officielle de voir s’établir des couples
serait en droit d’attendre d’un manage avec une europCenne. Cet mixtes, de 1644 a 1760, seuis 180 manages mixtes auraient été
élément se trouve toutefois contrebalancé par Ic fait que les 73
contractés
. La plupant des maniages mixtes ont Ia traite pour
trappeurs et autres coureurs des bois, trouvent un grand bénéfice a Ia onigine et se font donc plutôt dans les marches de Ia colonie.
compagnie des indiennes, qu’ils manient a Ia mode du pays, et qui D’ailleurs, <<‘même si Ic droit canonique interdit a l’époque Ic
sont particulièrement habiles au travail des peaux et a Ia traite.
Mais dans ce cas, le manage officiel selon Ia Coutume de Pans se
trouve inusité dans Ia plupart des cas. La reconnaissance juridique de (‘ L’explorateur David Thompson décrit Ic manage indien de Ia facon
suivante <<On ne requiert que Ic consentement des parties et des parents. La
ces manages pose alors probléme, et les régulanisations par le droit richesse d’un homme ne consiste qu’en son habileté a Ia chasse Ia dot de Ia
coutumier de manages indiens sont très rares. Le d.roit français, et femme. c’est sa bonne sante et sa bonne volonté a decharger son époux de toules
Ia Coutume de Paris, soumettant les femmes a l’autorité du man, Ies täches domestiques (...). S’il survient de l’incompatibilite entre les
constituent alors un frein a l’assimilation des populations temperaments et qu’ils ne peuvent plus vivre en paix. ils se séparent sans plus de
aménindiennes, les femmes indiennes se montrant rCticentes a facons qu’ils se soft unis (...) sans aucunement entacher leur reputation u cite
dans Arthur Ray. < La rencontre de deux mondes n, in (ss. dir.) Craig Brown.
(66) Histoire gdnérale du Canada. BorCal, Québec, 1988, pp. 20-119.
K. Jamieson, La Jèmrne indienne devant la Ioi une citoyenne mineure, °> p. 41,
op. Collectif Clio, op. cit., p.25.
cit., chapitre 3, PP. 34-38. (17))
(67) Les Jésuites << n’ont pas assez travaillé a civiliser les sauvages en mesme
224M10M/2, Lettre de Colbert a Talon. 5 janvier 1666 et 5 avril
1666, temps qu’ils se convertissoient soil en les joignant pour manage aux francois
Archives d’Outre-Mer, Aix-en-Provence, Cl IA, Correspondance generale.
vol. 2. soil en attirant leur familIes entiéres parmy les nôtres (...) rico ne peut d’autant
‘‘ Dailleurs, Ia volonté d’assimiler
les indiens par le biais de manage mixtes ne contribuer a Ia multiplication du pays et a rendre Ia Colonie nombreuse et
trouve pas que des partisans dans Ia colonie. Ainsi Talon lance les péres
jésuites florissante >. Colbert ajoute que les Jésuites doivent les obliger a <<quitter Ia vie
qui, selon, Iui, ne travaillent pas assez a éduquer les esauvages>> eLes péres
fainéante et oisive qu’ils ménent et a cultiver des terres dans Ic voisinage de nos
jesuites auxquels jay fail un espéce de reproche, civilement néanmoins,
de habitations o quitte a tirer n leurs enfans de leurs mains et de Ieur consentement
du
n’avoir pas Jusqu’lcy donné l’application qu’ils devoient a Ia politesse
pour les eslever scIon nos mcurs ci leur apprendre notre langue 224M1OM!2,
naturel des sauvages, el a Ia culture de leurs mrurs. m’ont promis
qu’ils Leltre de Colbert a Talon, 20 février 1668, Archives Nationales d’Outre-Mer. Aix
travailleroient a changer ces barbares en toutes leu,rs parties, a commencer
par Ia en-Provence, Cl IA Correspondance generate 1668-1672, vol. 2.
langue>> (224M10M/2, 22 juin 1669, Lettre de Talon au Ministre 72)
Colbert, K. Jamieson, La jémme indienne devant to loi: une citoyenne mineure, op. cit.
Mémoire instructif de ce qui a été fait pour Ic Canada en execution des
ordres de p36.
Sa Majesté . et de Ce qul reste faire, Archives Nationales d’Outre-Mer ‘<
, Aix-en Voir A. Lachance, S.Savoie, Les amérindiens sons le Régime francais, op. cit.,
Provence, Cl IA, Correspondance générale 1668-1672, vol. 3, fol. 43-57).
p. 190.
120 Cahiers aixois d’histoire des droits de l’Outre-mer francais N I David GILLES 121

manage entre catholique et palens, les missionnaires considèrent population autochtone restent peu nombreux au regard du droit
que c’est un mal moindre que le concubinage 11 est intéressant francais, les unions mixtes, concubinages et manages << a Ia mode dii
de voir que les manages entre femmes d’origine européenne et pays>) sont en revanche très frequents.
amérindiens se font surtout avec des esclaves pan is, et les enfants La place de Ia femme clans les sociétés indiennes. bien moms
nés de ces manages se marient a leur tour bien souvent avec des entravée par sa condition juridique que Ia femme européenne thins Ia
amérindiens ou amérindiennes. Les enfants nés de telles unions se Coutume de Paris, marque d’autant plus l’infériorité juridique de
voient soumis a un régime juridique variable. Les enfants flees d’une cette demiere. A contrario, Ia protection dont jouit Ia femme de
femme panis subissent Ia condition de leur mere selon le modèle cli par les régles successorales introduites par Ia Coutume de Paris va se
Code noir, le statut d’esclave s’imposant au fils d’une esciave, a voir cntiquée par Ic modéle anglo-saxon de la Common Law.
moms d’un affranchissement ou d’un rachat. Et ceci même si dans placant ainsi le modèle de Ia Nouvelle-France entre deux feux. Le
certains cas, les enfants métis sont assimilés pour peu que leur pére premier mettant Ia femme a Ia méme place que l’homme, et
ou mere amérindien aient pris un nom francais au moment de I’amenant a traiter celui-ci parfois comme son inférieur dans les
75
i’union’
. D’ailleurs, tous les administrateurs ne se montrent pas sociétés aménindiennes, et le second faisant primer l’intérët
tous en faveur des amérindiens, empêchant par là mëme une individuel et économique face a Ia protection de Ia famille véhiculée
veritable politique sur tin long terme, et une veritable influence des par Ia Coutume de Paris.
normes indiennes sur les pratiques juridiques canadiennes. C’est ainsi
qu’en 1682 M. de Meulies estime <<qu’lI serait encore fort a propos 2) La Coutume de Paris face a Ia Common Law: ía
que le roy se servit de Ia maison nommé les Islets proche des protection patrimoniale des femmes
Recollets pour en faire une manufacture de flu les sauvages, et au lieu
de les faire instruire aux Ursulines oC elles n’apprennent qu’à prier Avant l’introduction de Ia liberté testamentaire, sous le
Dieu et a parler francois. ce qu’elles ont oubliées en si peü de temps Régime anglais, Ic contrat de manage est presque Ia seule facon de
que des lors qu’elies ont épousées quelques sauvages on les voient contrôler ses biens après sa mort. La Coutume de Paris limite les
peu prier dieu et jamais parier francais >>76). L’intendant De dons entre époux. sinon des aliments et des petits cadeaux. L’article
Meuules trouve ainsi un moyen commode de pallier le manque 296, prévoit que <<Ic marL par son testament ou ordonnance de
d’ouvriers que connait Ia colonie. dernière volonté, ne peut disposer des biens meubles ou conquêts
Pourtant, si le discours officiel se trouve piutôt en faveur de immeubles, communs entre Iui & sa femme. ni de Ia moitié qui peut
ce type de manage, Ia pression sociale et les préjugés de certaines lui appartenir en iceux, par Ic trépas de son dit man
families restreignent ces unions. C’en est ainsi du manage entre et cela
afin de protéger Ia communauté de biens et Ia famille. Ferriere
Nicolas Lamontagne et Marie-Madeleine, une aménndienne, ajoute <<qu’il ne serait pas convenable que I’affection conjugale. qui
célébré a Saguenay. Les parents du mane s’opposent a cette union, doit mutuellement unir les cceurs du man & de Ia femme, füt pour
et présentent tine requète en annulation du manage devant le ainsi dire, vénale, & se put acquérir et conserver par des
Conseil Souverain. Cette demande, pour que Ic manage soit déclaré presents Pour Ia méme raison, d’autres régles de droit
nul et invalide, se fonde sur Ic fait que Nicolas Lamontagne. mineur limitent Ia possibilité, pour tin individu, de conférer des biens a
au moment de l’union, n’a pas demandé leur consentement a ses d’autres personnes qu’aux membres de Ia famille. La Coutume de
parents, violant ainsi l’édit d’Henri 11 sur les manages clandestins. Paris prohibe en pnincipe toute donation entre époux une fois
Noel Lamontagne et Jeanne Pelletier, son épouse, obtiennent gain l’hymen prononce, a I’exception du don mutuel au dernier
de cause par l’annulation du manage par Ic Conseil souverain en
V77)
1694
survivant, parfois prévu dans les contrats de mariage°°.
Si les manages entre population européenne et
L ‘esclavage au Canada Français, Histo ire et conditions de I ‘esciavage, PU. de
p74) Laval, Québec, 1960., Chapitre X. pp. 257-278,
A. Lachance, S.Savoie. Les amérindiens sous le Régime français, op. cit., (I’S)
Gin, .4nalvse raisonnée. op. cit.. Titre XVII, sect.3. p. 340.
p. 191. Claude de Ferrière, Dicrionnaire de droit et de prarique, Toulouse. 1 779.
‘1hid., p. 191.
U71O Tome I. p. 478 cite par Y.F. Zoltvany. Esquisse de Ia Coutume de Paris s>. op. cit.,
224M10M/6, Archives Nationales d’Outre-Mer, Aix-en-Provence, Québec, 1 2
novembre 1682, Lettre de M de Meulles. Situation générale des affaires de Ia p. 369.
(ISO)
Le professeur Augustin relCve dans son étude 20 contrats prévoyant cette
colonie, Cl IA Correspondance generale de 1682 a 1684.
possibilitC cf. Jean-Marie Augustin. n Les premiers contrats de manage a
L’esclavage de certaines populations indiennes, comme les panis, va Montréal de 1648 a 1664 o, op. ci:.. p. 17. Cette libéralité, réservée aux époux
favoriser une certaine mixité de Ia population. Voir sur ce point Marcel Trudel.
sans enfants. consiste en un acte notarié qui prévoil que Iépowc survivant
122 Cahiers aixois d’histoire des droits de l’Outremer francais N° 1 David GILLES 123

Contraignante dans ce domaine, Ia Coutume de Paris se révèle incapable de contracter sans l’aval de son man, ne peut disposer ni
toutefois protectrice des droits de Ia famille et en particulier de Ia gérer ses biens, et ne peut administrer Ies biens de son défunt man si
femme. Selon I’article 247 de la Coutume de Paris, <<Ia femme est elle se remarie
1187
. La Common Law d’ailleurs, appliquée dans les
douée du Douaire coutumier, pose que par aprés, au traité de son tout jeunes Etats-Unis d Amerique ne commencera véritablement a
manage, ne liii ait été constitué ne (soit) octroyé aucun se hberahser en faveur des femmes qu’à partir des annees 1820, sous
douaire >>08. Aprés 1801, hommes et femmes vont pouvoir Ia pression de Ia soctété D ailleurs, les dispositions protectrices de
disposer par testament de la totalité de leurs biens, méme de leur la Coutume de Paris notamment en matière de succession, ou la
part dans la communauté, comme bon leur semble. <<Cependant, au femme et Ies enfants se trouvent proteges par Ic douaire coutumier
debut du XIXe siècle, trés peu de femines font des testaments >82>• seront fortement cnitiquées par les auteurs pré-capitalistes nord
La difference entre le régime établi par la Coutume de Paris et le américains et anglo-saxons. Ceux-ci sont en faveur des solutions
régime de Ia Common Law 0831 qui va régir les habitants dii Haut dégagées par Ia Common Law, permettant d’amasser des capitaux
Canada semble en faveur de Ia Coutume de Paris en ce qui concerne plus rapidement dans les seules mains du man 0881
. Ii est cunieux de
les femmes. En effet, celle-ci protege les droits de la femme et de noter que cette vision plus ou moms critique de Ia Coutume de
ses enfants par le régime de Ia communauté de biens de droit Paris, comme frein au développement économique selon les auteurs
commun, en favonisant notamment les créances de la femme Ct de hberaux, se retrouve dans 1 historiographic nord americame
ses enfants par rapport ii celles des autres créanciers. Ainsi, si elle actuelle En effet, selon J -P Garneau, use partie de
donne urie emprise totale au mari sur les biens de Ia communauté, et I histonographie quebécoise s est construite en reaction aux
si celui-ci contrôle l’activité de sa femme par l’autorisation histonens libéraux qui ont analyse I egalité successorale et la
maritale pour les actes légaux, Ia Coutume de Paris semble toutefois protection de Ia femme par la Coutume de Paris coinme uric des
plus favorable que Ia Common Law. Le point de rupture le plus causes des difficultés de l’agniculture canadienne
1t891
, le cadre
marquant entre Coutume de Paris et Common Law, est l’absence de junidique coutumier poussant a us morcellement des parcelles et des
communauté de biens dans cette dernière, Ia femme n’ayant aucun patnimoines. L’évolution des mceurs au dix-neuvième siècle va
droit aux biens accumulés pendant le maniage
841 Cela est vrai conduire a l’usage progressif du testament, et a I’abandon des
méme si Ia Common Law aux Améniques semble connaltre le méme normes coutumières protectrices. Le lien familial trés fort, et la
phénoméne d’assouplissement juridique a I’égard du statut des protection juridique qui en résulte, va pourtant perdurer dans Ia
femmes que connalt Ia Coutume de Paris. Dans la colonie anglaise société canadienne durant me grande partie du dix-neuvième siècle.
du Massachusetts par exemple, durant Ia deuxième moitié dii XVIIIe L’enjeu pour les femmes va être alors d’obtenir use plus grande
siècle, les femmes font appel régulièrement a Ia justice afin égalité, tout en consenvant une partie des normes juridiques
d’obtenir des droits égaux, et cela avec un succès mitige”
85
. Les protectnices hénitées de l’Ancien Régime.
règles en matière de Common Law appliquees au Massachusetts se
trouvent proches, et bien souvent encore plus strictes que celles de
la Coutume de Paris quant a la capacité junidique de la femme M’ariage etfamille au temps de Papineau, Les Presses de I’Université de Laval,
Québec ci Ottawa, 1993.
086
mariee
. En effet, selon Ia Common Law, la femme mariée est 187)
<<A woman was not even permitted to administer her late husband’s estate if,
during the course of the administration, she remarried>> (William E. Nelson,
jouirait par usuftuit sa vie durant, de Ia partie de Ia communauté appartenant au Americanization of the Common Law: The impact of Legal Change on
predécódé. Y. F. Zoltvany, < Esquisse de Ia Couturne de Paris >>, op. cit., 369. Massachussetts Society 1760-1830, op. cit., p. 103).
L1S) p. 185)
Gin, Analyse raisonnée, op. cit., Titre XVII, p. 324. << British subjects coming to this country are liable to the operation of all
(152)
CollectifClio, op. cit., p.96. these Canadians or French laws, in the same manner that the Canadians
(183)
Sur Ia Common Law durant cette période, voir notamment Alan Harding, A themselves are-They are not always aware of this circumstances; and it has
social history of english law, ad. Peter Smith, Gloucester (Mass.), 1973, pp. 265- created much disturbance in families. A man who has made a fortune here (...)
298 William E Nelson, Americanization of the Common Law: The impact of conceives that he ought, as in England, to have the disposal of it as the thinks
Legal Change on Massachusetts Society 17604830, Cambridge (Mass.) & proper. No, says the Canadian Law, you have a right to one half only (...) Nothing
London, Harvard University Press, 1975, 269 p., et Gerald J. Postema, Bentham can prevent this but an antinuptial contract of marriage, barring the communauté
and the Common Law tradition, Oxford, Clarendon Press, 1989, 490 de bien >>. H. Gray, Letters from Canada Written During a Residence there in the
p.
Evelyn Kolish, <<Les canadiens devant deux droits familiaux >>, op. cit.,
p. 17. Years 1806, 1807 and 1808, Londres, 1809, cite dans Collectif Clio, op. cit.,
5)
William E. Nelson, Americanization of the Common Law: The impact of p. 97.
Legal Change on Massachusserts Society 1760-1830, op. cit., 891
p. 103. Jean-Philippe Garneau, <<Droit et <<affaires de farnilie>> sur Ia Cóte-de
Sur l’adaptation du droit québécois aprés Ia conquéte anglaise, et les Beaupré: histoire d’une rencontre en amont et en aval de Ia ConquCte
caractéres du manage canadian a partir du XIXe siècle, voir notamment S. Gagnon, britannique >>, op. cit., p. 522.
124 Cahiers aixois d’histoire des droits de I’Outre-mer francais N° 1 David GILLES 25

représentants du pouvoir. L’attitude favorable a Ia condition


Conclusion : Si Ia Coutume de Paris, de par Ia volonté royale, feminine ne se retrouve d’ailleurs pas toujours en matiére
se trouve être la seule norme juridique applicable en Nouvelle criminelle, oü les magistrats coloniaux se montrent moms
France, les pratiques juridiques, en ce qui concerne le statut de Ia comprehensafs que les magistrats parasiens notamment en matiere
femme, présentent un cert4in nombre de caractéristiques propres a de murs
9
’ Cette adaptation demontre s il en etait besoin que Ia
la situation coloniale. Si le statut de la femme canadienne est Coutume de Paris, au XVIJ et XVIW’°’ siecle se trouve bien etre
proche de celui de Ia femme métropolitaine sous l’emprise de la Ia plus aboutie des coutumes françaises Ses valeurs mtrinseques
Coutume de Paris, les conditions de vie et l’attitude des justifient a Ia fois son influence consaderable
93 et son choix
représentants du pouvoir ont fait que Ia situation juridique de Ia comme unique norme juridique des colonies en matière de droit
femme est plus favorable dans son application outre-atlantique. Ii prive.
est remarquable de voir que cette application favorable>> de la
Coutume se fait sans veritable rupture juridique, sans normes
particulières a Ia Nouvelle-France. Ceci montre bien que Ia Coutume
de Paris, loin d’être un carcan mettant Ia femme sous l’emprise
totale de son man, est une norme junidique recelant suffisamment
de souplesse pour s’adapter a des caractéristiques régionales (en
l’occurrence continentales). Cette souplesse, déjà démontrée par le
trés large ressort accordé a Ia Coutume de Paris en rnétropole,
s’affirme dans l’application qui en est faite au Canada. On peut
alors essayer d’amorcer une réponse <<coloniale>> a Ia question
initiée par J. Moutet, et reprise par Marie-Jo Bonnet et Christine
Faure: <Y a-t-il un lien entre Ia politique régalienne de Ia
reformation des coutumes et Ia théorisation de Ia subordination des
femmes en matiêre de droit public et privé (...) ? >>90) En l’espéce,
le choix et l’application de Ia Coutume de Paris, marque d’une
politique royale d’unité normative pour les colonies, est
particuliêrement éclairant. Plus encore que Ia reformation des
coutumes, la colonisation est l’occasion d’une tentative d’unifler le
droit pnivé dans une zone géographique vaste. L’exemple de Ia
condition juridique de Ia femme canadienne sous le Régime francais
montre ainsi que la Coutume de Paris permet une trés large capacité
juridique a Ia femme, qu’elle soit majeure célibataire, veuve ou
même mariée dans certaines conditions. L’opposition entre une
politique royale de contrôle social et des <<strategies féminines de
résistance >> perd alors fortement de sa réalité. La Coutume de
Paris, si elle reprend comme Ia majorité des coutumes réformées
l’incapacité de Ia femme mariée, fait montre d’une grande souplesse
juridique, souplesse favorable aux femmes. La Coutume de Paris,
choisie par le pouvoir royal, loin de S’opposer a des <<strategies
féminines de résistance >>, accompagne celles-ci, voire méme en
recéle en son sein. L’application et l’orientation de la Coutume (192)
André Lachance, Crimes et criminels en Nouvelle-France, Montréal, éd.
plus ou moms favorable a la femme depend alors fortement des Boréal, 1984, Chapitre 4, p. 61.
conditions sociales, mais aussi de la politique juridique des (193)
Comine le remarque Jean-Marie Augustin, Ia Coutume de Paris a << surtout
l’avantage d’avoir un caractére tempéré et d’offrir une vole moyenne et donc
(°) Marie-Jo Bonnet et Christine Faure, art. <Femmes >, (ss. dir. Lucien Bély), raisonnable entre les diverses positions que l’on peut relever dans l’ensemble des
Dictionnaire de I ‘Ancien Régime, op. cit., pp.536-540. pays coutumiers , (s Les premiers contrats de manage a Montréal de 1648 a
(191)
Ibid., p. 536. 1664 >, op. ci:., pp. 1-21, p. 10-1 1).

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