Le Soir Lundi 14 février 2011
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polémiques
« L’effet domino a ses limites »
PETIT ATLAS GÉOPOLITIQUE
DU MAGHREB ET DU PROCHE- ORIENT
Maroc
Mohamed VI Rabat
Roi depuis 12 ans
34,3 millions d'habitants
dont 51 % de moins de 25 ans
MAROC
Atlantique
PIB par habitant : 2.807 euros
Mauritanie
Maurita
Algérie
Abdelaziz Bouteflika
Au pouvoir depuis 12 ans
33,76 millions d'habitants
dont 49 % de moins de 25 ans
PIB par habitant : 5.985 euros
(1) : Ex-président du Yémen du Nord en charge depuis la réunification des deux Yémens.
(2) : Dont 5,5 millions de non-nationaux.
A titre indicatif, le PIB par habitant s’élève en Belgique à quelques 27.000 euros
APRÈS LA TUNISIE ET L’EGYPTE, d’autres régimes pourraient-ils basculer ? Gérard
Chaliand, spécialiste français en géostratégie, relativise. Même s’il pointe l’Algérie.
ENTRETIEN
ony Blair, envoyé spécial du Quartet-
T te pour le Proche-Orient (USA, Rus-
sie, Union européenne, ONU), a esti-
mé dimanche qu’après le départ du prési-
dent Moubarak, le Proche-Orient était à
« un moment pivot », où il pouvait s’enga-
ger sur la voie de la démocratie, mais que
les Occidentaux devaient l’aider. « Un mo-
ment excitant, mais plein d’incertitude », a
précisé l’ancien Premier ministre britanni-
que…
Il y a le Proche-Orient, mais également,
l’Afrique du Nord, d’où tout est parti…
Après la Tunisie et l’Egypte, d’autres régi-
mes pourraient-ils céder sous la pression
de la rue ? Nous avons interrogé un expert
en géostratégie, Gérard Chaliand, ancien
directeur du Centre européen d’étude des
conflits.
Après Ben Ali, Moubarak… L’« effet do-
mino » pourrait-il se poursuivre ?
Il va de soi que, pour certains, voir le dicta-
teur tunisien s’en aller a été quelque chose
de très encourageant. En Egypte en tout
cas, l’effet « choc » a joué. Cela dit, la théo-
rie des dominos a ses limites : on ne peut
pas recommencer de façon mécanique ce
genre de choses. D’autant que certains régi-
mes sont sensiblement plus solides que
d’autres. En Algérie par exemple, à la diffé-
rence de l’Egypte, l’armée est elle-même au
pouvoir. Elle ne va pas le lâcher comme ce-
la. Elle l’a d’ailleurs remarquablement prou-
vé la dernière fois ; en 1991, les élections al-
laient être gagnées par l’opposition islamis-
te, elles ont été annulées. Ensuite, le fer a été
croisé entre les deux parties et cela s’est sol-
dé par 100.000 morts.
Dans le cas de Moubarak, on avait un ré-
1NL
13/02/11 22:16 - LE_SOIR du 14/02/11 - p. 12
Alger
TUNISIE
ALGÉRIE
IEE
Libye
Mouammar Kadhafi
Au pouvoir depuis 42 ans
Mali
6,17 millions d'habitants
dont 49 % de moins de 25 ans
PIB par habitant : 9.679 euros
gime qui était profondément impopulaire,
extrêmement corrompu et qui alliait à ces
deux caractéristiques une troisième, qui est
impardonnable : le manque de développe-
ment. En Algérie, il se trouve que le dévelop-
pement non plus n’est pas assuré. La popu-
lation a triplé depuis l’indépendance, mais
les conditions matérielles des Algériens
n’ont pas suivi du tout. Le pays jouit pour-
tant de bénéfices pétroliers et gaziers consi-
dérables. Comme la Tunisie et l’Egypte, le
pays connaît une couche de population ex-
trêmement privilégiée qui devrait être appe-
lée à disparaître… mais je pense qu’elle va
se défendre. Là, ce n’est pas l’affaire de deux
trois personnes qui s’en vont, c’est un énor-
me groupe dans l’armée qui, s’il perd le pou-
voir et n’a pas le temps de partir, sera mas-
sacré » (NDLR : le ministère algérien de l’In-
térieur a annoncé que 14 personnes
avaient été interpellées puis libérées sa-
medi, suite aux manifestations de la
veille ; la Ligue algérienne pour la défense
des droits de l’homme parle pour sa part
de 300 arrestations dans plusieurs villes
du pays).
Les régimes disposant des revenus pé-
troliers et gaziers ont les moyens de fi-
nancer des mesures « sociales » dans
l’urgence. Mais au-delà de telles mesu-
res ponctuelles, restent les aspirations
démocratiques des peuples…
La tentation existe en effet toujours de
lâcher du lest afin de se maintenir au
pouvoir, et le régime d’Alger dispose de
moyens grâce aux hydrocarbures. Mais
voyez le cas de la Tunisie : la contestation a
débuté parce que les prix avaient augmen-
té ; Ben Ali a essayé de sauver la mise en an-
nulant les hausses mais cela n’a pas suffi.
Jordanie Iran
Syrie Abdullah II Mahmoud Ahmadinejad
Bachar El-Assad Roi depuis 12 ans Président depuis 6 ans
Tunis Au pouvoir depuis 11 ans 6,2 millions d'habitants 76,9 millions d'habitants
dont 52 % de moins de 25 ans dont 65 % de moins de 25 ans
19,74 millions d'habitants
dont 53 % de moins de 25 ans SYRIE PIB par habitant : 3.472 euros PIB par habitant : 7.388 euros
Méditerranée PIB par habitant : 3.177 euros
Damas Téhéran
Irak
Tripoli Amman IRAN
JORDANIE
Le Caire
Koweït
Golfe
LIBB
LIBYE ÉGYPTE Riyad
Persique
ARABIE
E.A.U.
Mer SAOUDITE Yémen
Ali Abdullah Saleh
Rou
Au pouvoir depuis 21 ans (1)
g
23,5 millions d'habitants
e
Oman dont 71 % de moins de 25 ans
Tchad
Sanaa PIB par habitant : 1.847 euros
Khartoum
Érythrée
SOUD
SOUDAN YÉMEN
Djibouti
Éthiopie Somalie
aliie
Soudan Arabie S.
Omar El-Béchir Abdallah
Au pouvoir depuis 18 ans Roi depuis 5 ans
40,22 millions d'habitants 28,16 millions d'habitants (2)
dont 59 % de moins de 25 ans dont 65 % de moins de 25 ans
PIB par habitant : 1.847 euros LE SOIR - 14.02.11 - Sources : Ined, ONU, chiffres 2008
PIB par habitant : 15.292 euros
Dans la région, quels sont les régimes Israël observe les événements de ces intellectuels et éditorialistes comme
les plus exposés ? dernières semaines de manière très at- Alexandre Adler, Bernard-Henri Lévy
Il est assez difficile de répondre à cette
question. Disons que celui qui devrait tom-
ber, c’est l’Algérie. Non pas que les problè-
tentive… Quelles pourraient être les
conséquences de ces événements dans
le contexte géostratégique du Proche-
ou Alain Finkielkraut, catalogués pro-
ches de l’Etat hébreux…
Il y a une tentation, à l’échelle de ces chro-
mes n’existent pas au Maroc, mais le Maroc Orient ? niqueurs, d’avoir l’attitude d’un Etat… Mais
connaît une dynastie légitime. C’est impor- Ce qui s’est passé en Egypte est avant qu’un Etat place ses intérêts au-dessus de
tant. Le roi du Maroc est à la fois l’héritier tout un événement intérieur. C’est une révol- tout, c’est une chose ; que le chroniqueur,
d’une longue lignée de souverains et le « Re- te populaire, spontanée. L’armée égyptien- lui qui devrait avoir à l’égard des événe-
présentant des croyants ». Il est donc légiti- ne ne va pas modifier sa politique. Son pro- ments davantage de liberté, se pose des pro-
me aux yeux de la majorité de la population gramme ne sera pas d’entrer en conflit avec blèmes de cet ordre, ça laisse songeur.
– rurale, en tout cas. En ce qui concerne l’Al- les Israéliens. D’une part, ils savent très bien D’une manière générale, les Occidentaux
gérie, pas du tout. que le rapport des forces ne leur permet pas ont à l’égard des droits de l’homme, la dé-
En Libye, le colonel Kadhafi s’en sort par- du tout de le faire, et d’autre part, mieux mocratie, etc., une attitude à géométrie va-
ce qu’il a largement distribué la manne à la vaut rester du côté des Etats-Unis – d’ail- riable, une sorte de double discours. Les régi-
population – quand on a trois millions de leurs, il n’y a pas d’autre option. De ce côté- mes doivent être démocratiques, mais si ce
gens, ce n’est pas comme quand on en a là, je crois qu’il n’y a pas de crainte à avoir. qui émerge du mouvement démocratique
30 millions… Pour le reste, dire que l’Egypte avait des sen- ne plaît pas, le processus dit « démocrati-
timents de sym- que » ne convient plus…
“
pathie vis-à-vis C’est ce que l’on a vu de façon très claire
Ce qui s’est passé en Egypte est avant d’Israël… non. avec le Hamas (qui fut vainqueur, en jan-
tout un événement intérieur ; pas de En 1978, Sada- vier 2006, des élections législatives palesti-
bouleversement géostratégique en vue » te a intelligem- niennes face au Fatah, mais mis à l’index
ment signé une par la communauté internationale).
paix qui a resti-
Sur le papier, le roi Abdullah de Jordanie tué le Sinaï ; on s’en tiendra probablement A propos de l’Iran : à l’été 2009, dans la
aurait toutes les chances d’être contesté, là. Il n’y a pas de bouleversements en vue – foulée de réélection contestée du prési-
car 65 % de sa population est palestinien- même si, côté israélien, il est parfaitement dent Mahmoud Ahmadinejad face à
ne. Ce pouvoir hachémite – qui a réussi à légitime de suivre tout cela avec énormé- Mir Hossein Moussavi, Téhéran a con-
perdurer parce que le roi Hussein, était ex- ment d’attention. nu de violentes manifestations. Le pou-
traordinairement habile et que son fils s’en voir a-t-il définitivement vissé le cou-
sort également bien – représente-t-il sa pro- On agite parfois le spectre d’un scéna- vercle sur la marmite ?
pre population ? rio à l’iranienne (1979)… La partie n’est pas finie en Iran. C’est un
Logiquement, la réponse est « non ». La Il faudrait que le pouvoir soit pris par des pouvoir qui est non seulement contesté par
Jordanie est un Etat où les Palestiniens sont islamistes, ce qui n’est pas du tout ce qui se ceux que l’on pourrait appeler les « libé-
majoritaires – et cela pourrait d’ailleurs con- passe en Egypte. Raison pour laquelle on raux » – si ce terme a un sens – mais égale-
tribuer, en partie, à simplifier le problème peut exclure un bouleversement stratégi- ment par d’autres, à l’intérieur même de la
palestinien… Mais je crois que la plasticité que. mouvance proprement islamique. C’est
de ce souverain, et sa capacité à entamer donc un régime sous pression. ■
des réformes feront qu’il va probablement Cette crainte d’un scénario à l’iranien- Propos recueillis par
s’en sortir. ne au Caire a été agitée à Paris par des WILLIAM BOURTON
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