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Initiation à l’Economie - Année 2004-2005 Pierre-Noël Giraud

Chapitre 7 : Les vertus de la concurrence

Dans ce chapitre, nous allons présenter un modèle simple de détermination du prix et de la


quantité produite d’un seul bien. On appelle ce genre de modèle un modèle d’équilibre partiel,
dans la mesure où il détermine le prix sur un seul marché, toutes choses égales par ailleurs, ce
qui suppose de faire l’hypothèse que ce qui se passe sur ce marché n’influence pas les autres et
réciproquement.

Nous verrons que ce modèle est explicatif : il explique comment se détermine le prix et la
quantité produite en fonction du comportement des acteurs et de leurs interactions. Il est
également normatif : il indique quelle est la situation "optimale" selon un critère que nous
définirons. Cette situation optimale est la "concurrence parfaite" entre producteurs.

Ce modèle illustre donc un des éléments de doctrine les plus fondamentaux de la théorie
économique : "la concurrence est favorable à l’intérêt général".

1. Définitions des structures de marché

Lorsque nous avons décrit le fonctionnement des mécanismes de marché ci-dessus au chapitre 4,
qu’il s’agisse du marché idéal avec un "arbitre" ou un "commissaire-priseur" qui collecte
l’information sur les courbes d’offre et de demande, ou qu’il s’agisse du marché d’un bien de
consommation courante analysé ensuite, qui fonctionne par tâtonnements et ajustements
progressifs, les producteurs étaient considérés comme des "preneurs de prix". Ils constatent le
"prix de marché" et ajustent leurs comportements de production en conséquence. Mais il existe
des situations où un seul producteur fait face à l’ensemble des consommateurs. EDF par
exemple est en France le seul distributeur d’électricité aux ménages et ménages français n’ont
pas le droit d’acheter de l’électricité à l’étranger (les plus grandes entreprises ont le droit de le
faire depuis peu). Mais ce serait aussi le cas d’une entreprise qui aurait inventé un nouveau
produit, du moins avant qu’elle soit imitée. On parle dans ce cas de "monopole".

Le nombre de producteurs d’un bien donné sur un marché donné (un ensemble de
consommateurs) caractérise la « structure d’un marché ».

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1.1. Taille optimale des entreprises et structure naturelle de marché.

Le coût de production unitaire d’un bien par une entreprise a généralement la forme suivante :

P
Dem ande du m arché
Coût un itaire d ’une
entreprise

c
m

Q
qm Qm

Taille op timale dÕune entreprise

Il passe par un minimum cm pour une quantité produite qm, puis il augmente légèrement. Cette
forme résulte « d’économies d’échelle » : sur le segment (0,qm) : le coût unitaire diminue quand
« l’échelle » de la production augmente. Ces économies peuvent provenir de diverses fonctions
de l’entreprise . La production : une chaîne de montage automobile de 300 000 véhicules par an
a des coûts unitaires de montage inférieurs à une chaîne de 100 000 véhicules. La recherche : un
laboratoire pharmaceutique dimensionné pour trouver cinq nouvelles molécules par an a des
coûts de découvertes par molécule inférieurs à ceux d’un laboratoire qui en découvre une par
an., etc.

Cela permet de définir une taille optimale de l’entreprise : c’est celle qui permet de
produire au coût minimum, compte tenu des technologies disponibles.

Au-delà, le coût unitaire pourrait rester constant : il suffirait que l’entreprise duplique
l’ensemble des outils de production optimaux pour produire 2qm, 3qm, etc. au même coût cm.
Mais on fait l’hypothèse que le coût augmente légèrement au-delà de la taille optimale, ne serait
ce que parce qu’une entreprise deux fois plus grande a, toutes choses égales par ailleurs, des
coûts de coordination hiérarchiques internes plus élevés (cf. chapitre 4).

A un prix égal au coût minimum cm, le marché est capable d’absorber la quantité Qm.

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La structure naturelle du marché est définie par le rapport : Qm/qm.

Si, comme dans la figure ci-dessus, il est égal à 2, cela signifie qu’il n’y a place que pour deux
entreprises au plus sur ce marché. Si elles étaient initialement quatre, les deux premières à
croître plus vite que les deux autres élimineraient ces dernières, car elles auraient des coûts
inférieurs. On dit que la structure naturelle de ce marché est un duopole.

Un marché où Qm/qm est « petit » (de 2 à 6 ou 7, pour fixer les idées) a une structure
naturelle d’oligopole.
Si Qm/qm est très grand, la structure naturelle est concurrentielle : de nombreuses
entreprises peuvent coexister en produisant au coût minimum.

Si Qm/qm est inférieur à 1, on a affaire à un monopole naturel.

1.2. Barrières à l’entrée dans un marché

Supposons que Qm/qm soit égal à 2 . La structure naturelle du marché est donc un duopole.
Mais supposons que, pour des raisons quelconques, il n’y a en réalité qu’une seule firme sur ce
marché. Qu’est ce qui peut empêcher une seconde firme d’entrer sur ce marché ?

La première raison serait que la firme entrante ne puisse pas produire au même coût minimum
cm que la firme en place, mais seulement au coût ce, avec ce>cm.. Ce pourrait être le cas, par
exemple, si la firme en place bénéficie de facteurs de production, tels des ressources naturelles,
à un coût plus bas que la firme candidate à l’entrée, ou si la firme en place a bénéficié d’une
forte réduction des coûts par apprentissage, dont la firme entrante ne pourrait bénéficier qu’
après plusieurs années.

Dans ce cas, la firme en place peut fixer un prix p tel que cm<p<ce. Elle continuerait à faire des
profits positifs, alors que la firme entrante ferait des pertes. Il n’y aurait donc pas entrée, et la
firme en place resterait seule sur le marché, non en situation de monopole naturel, mais en
situation de monopole de fait.

Mais on peut montrer (cf. le modèle du duopole ci-dessous), que tel ne serait pas forcement la
meilleure stratégie pour la firme en place, c’est à dire la stratégie maximisant son profit. Dans
certaines configurations de la courbe de demande et si ce n’est pas très éloigné de cm, la
stratégie qui maximise le profit de la firme en place peut être de laisser se faire l’entrée et de
fixer un prix p>ce>cm.

Il y faut cependant une condition : la firme en place doit réduire sa production pour « faire une
place » à la firme entrante. Il ne faut donc pas que cette réduction de production conduise à une
trop forte augmentation des coûts de la firme en place, qui laminerait son profit. C’est cependant
ce qui se produirait si le coût moyen cm décroissait fortement avec la quantité produite, c’est à

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dire si la part des coûts fixes (supportés quels que soit le niveau de production) est importante
dans le coût total.

Au total, on montre12 qu’il existe des barrières à l’entée si :

- les firmes entrantes n’ont pas accès au même coût de production que la (ou les) firme en
place,

- les firmes en place subiraient des coûts importants si elles réduisaient leur production, c’est-
à-dire si elles sortaient partiellement du marché, pour laisser une place à des firmes
entrantes. C’est le cas si les firmes en place ont fait des investissements engendrant des
coûts fixes importants, investissements qui ne peuvent pas être utilisés à faire autre chose.
Autrement dit si elles ont fait des investissements « spécifiques » à l’industrie considérée.
Ces investissements sont pour elles des « barrières à la sortie », parce qu’ils rendent la sortie
coûteuse.

Cette double condition peut empêcher l’entée : une firme candidate à l’entrée sait qu’elle aura à
subir une guerre des prix, car les firmes en place ne lui laisseront pas « spontanément » une
place (elles n’auront pas intérêt à le faire), et elle sait qu ’elle aborde cette guerre de prix avec
un handicap, parce qu’elle a à priori des coûts supérieurs aux firmes en place : elle renonce donc
à l’entrée.

S’il existe des barrières à l’entée dans une industrie, la structure de marché peut être différente
de la structure naturelle, dans le sens suivant : un marché naturellement concurrentiel peut ne
contenir qu’un petit nombre de firmes et être donc un oligopole de fait, un marché de type
naturellement oligopolistique peut être un monopole de fait.

Dans la suite, nous parlerons des structures effectives de marché, résultant de la combinaison de
la structure naturelle et d’éventuelles barrières à l’entée.

2. Prix et quantités produites selon les structures de marché

Si nous dotons les producteurs d’un comportement simple, en l’occurrence, ils cherchent à
maximiser leur profit, défini par :

Π= pq - C(q)

avec p : prix, q : quantité produite et C(q) : coût total pour produire q

On peut alors montrer que le mécanisme de coordination par le marché entre producteurs et

12 Ceci sera démontré et développé dans le cours d’économie industrielle de seconde année.

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consommateurs va conduire à des résultats différents, en termes de quantités, produites et


consommées, et de prix selon la structure du marché.

Nous présenterons ce modèle économique sous forme d’un exemple numérique.

2.1. La courbe de demande et les conditions techniques de production

Le comportement de l’ensemble des consommateurs est résumé par la fonction de demande du


marché :

q = 120 - p avec q : quantité


donc p = 120 - q p : prix

p
120

120 q

La technologie disponible pour produire le bien est résumée par la fonction de coût total C(q),
qui mesure la totalité de ce que les producteurs doivent dépenser pour assurer la production q.
On supposera C(q) = c q= 30q, soit un coût moyen par unité produite constant : c=30.

Cette hypothèse peut paraître excessivement simplificatrice par rapport à la fonction de coût que
nous avons décrite ci-dessus, où le coût moyen est d’abord décroissant jusqu’à un minimum cm,
puis constant ou légèrement croissant. En fait, il suffit de considérer que toutes les firmes en
place dans l’industrie produisent au moins la quantité qm qui assure le coût minimum cm, et que
le coût moyen est constant au-delà de qm.

Cette fonction de coût permet de définir une fonction d’offre. Elle est dans ce cas assez
particulière.

La fonction d’offre q = q (p) est défini ainsi :

− pour p < 30 : q offert = 0 car aucune firme n’accepte de produire à perte.


− pour p = 30 : une ou plusieurs firmes peuvent offrir la quantité demandée par les
consommateurs sans faire de pertes.
− pour p > 30, le profit étant positif, toutes les firmes existantes vont se précipiter pour tenter
de satisfaire toute la demande à ce prix, l’offre est a priori infinie.

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La fonction d’offre est donc une droite horizontale p=30

2.2. Marché parfaitement concurrentiel

Un marché est parfaitement concurrentiel s’il comporte un grand nombre de producteurs ou, on
démontre que cela revient au même, s’il n’y a aucune "barrière à l’entrée" sur ce marché.

Dans ce cas, les producteurs présents sur le marché n’ont, on va le voir, aucune possibilité
d’influencer le prix sur ce marché. Ils sont de simples "preneurs de prix" (price takers).

Si le marché est concurrentiel, l’équilibre du marché est le suivant :

P
120

SC

p = 30
c = 30 
q = 90

• = 0
90 120 q
SC = 4050

En effet, pour p < 30 la production est nulle, pour p > 30 elle excéderait la totalité de ce que les
consommateurs seraient prêts à consommer à ce prix, car un profit alors positif entraînerait
immédiatement soit une augmentation de la production de chaque firme en place, soit l’entrée
de nouvelles firmes sur ce marché (hypothèse de marché concurrentiel), soit les deux.

Pour p = 30, les firmes présentes sur le marché, qu’elles soient nombreuses ou pas, produisent
exactement la quantité demandée à ce prix, soit 90, et leur profit ∏ est nul puisque le prix est
égal au coût moyen : ∏ = 0

Notion de surplus des consommateurs : SC

La courbe de demande peut s’interpréter ainsi. Supposons que chaque consommateur n’achète
qu’une seule unité de bien (par exemple le bien est une machine à laver, et on a besoin que
d’une machine à laver). Si le prix est de 120, personne n’achète de machine à laver. Si le prix
baisse, des consommateurs de plus en plus nombreux achètent des machines. Quand le prix est
30, 90 consommateurs décident d’acheter une machine. Mais dans ce cas, 89 consommateurs

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auraient été prêts à acheter la machine à un prix supérieur à 30.

Le surplus de chaque consommateur est défini comme la différence entre le prix qu’il aurait été
prêt à payer la machine moins celui auquel il l’a effectivement payée. Il est positif pour tous les
consommateurs sauf le dernier. Le surplus total, somme des surplus individuels, est donc l’aire
hachurée sur le schéma.

Dans notre exemple on a donc : SC = 4 050.

2.3. Monopole

Il n’existe qu’un seul producteur sur le marché. Il est donc entièrement libre de fixer le prix,
mais naturellement dans ce cas, ce sont les consommateurs qui décident quelle quantité ils vont
acheter à ce prix. Le monopole peut donc choisir parmi des couples (prix, quantités) qui sont
déterminés par le comportement des consommateurs.

Puisqu’il est le seul vendeur, le monopole peut fixer le prix p. La demande est déterminée par la
fonction de demande q = 120-p.

Le problème du monopole est donc : quel est le couple (p, q) qui maximise mon profit ∏.

∏ = pq - C(q)

pq est la recette du monopole. C(q) est son coût total.

dpq dC(q)
∏ est maximum pour : =
dq dq

L’égalité signifie que le monopole maximise son profit en fixant une production q qui
dpq dC(q)
égalise sa recette marginale : et son coût marginal .
dq dq

dC(q)
Avec la fonction de coût que nous avons choisie : C(q) = cq = c = 30
dq
pq = (120-q) q = 120 q – q2

dpq
= 120 - 2q = RM
dq

La recette marginale (RM) du monopole est une droite médiane du triangle formé par les deux
axes et la droite de demande.

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P L’équilibre du marché est obtenu pour 120 - 2q


120
= 30. Soit :

q = 45
SC
P = 75 p = 75

P ∏ = 2025

c = 30 SC = 1012,5
D
RM
Surplus total (SC+∏) = 3037,5

0
q = 45 60 90 120 q

Dans ce cas, le surplus des consommateurs est réduit à 1012,5.

Le profit de l’entreprise peut être défini comme le surplus de l’entreprise. En effet celle-ci
pourrait produire 45 au prix de 30, en vendant cette production à 75, elle réalise un profit
exceptionnel qui est son surplus.

Le surplus total dans cette situation est : 2 025 + 1 012,5 = 3 037,5.

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, il y a un sens à additionner ces deux surplus et à
parler de surplus total. En effet, l’Etat, jugeant "anormal" le profit du monopole pourrait le
prélever intégralement par une taxe sur les bénéfices et le reverser intégralement, sous une
forme quelconque, aux consommateurs.

Le surplus total des consommateurs serait alors de 3 037,5. On voit qu’il serait inférieur au
surplus des consommateurs en situation de concurrence.

C’est là, fondamentalement, ce qui va permettre d’affirmer la supériorité de la concurrence sur


le monopole : en cas de concurrence, le surplus total est supérieur.

Le calcul du surplus total (consommateur + producteur) est donc un critère possible qui permet
de juger qu’une situation est meilleure qu’une autre d’un point de vue d’ensemble.

2.4. Duopole

Dans un oligopole, il existe un petit nombre de producteurs sur le marché. Que veut dire petit ?
Simplement ceci : ils sont assez peu nombreux pour être capables de s’étendre et de se
comporter collectivement en monopole, si tel est leur intérêt. Le cas le plus simple d’oligopole
est le duopole : il n’y a que deux producteurs sur le marché.

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Duopole coopératif

Si elles décident de coopérer entre elles, elles se comportent conjointement comme le monopole
précédent. Leur production doit donc être de 45 pour maximiser le profit joint. Leur seul
problème est de trouver une règle pour partager cette production, donc le profit.

Puisque dans notre exemple les deux firmes sont en fait identiques (ie : elles ont la même
fonction de coût), on peut admettre que la règle la plus simple est de se partager
"équitablement" le marché, donc par moitié. On aura donc :

p = 75
q1 = q2 = 22,5
∏1 = ∏2 = 1012,5
SC = 1012,5
Surplus total = 3037,5

Duopole concurrentiel

Mais il est également possible d’étudier le cas où elles se font concurrence. Pour cela il faut
définir plus précisément leur comportement, car il y a à l’évidence interaction dite
« stratégique » : ce que va décider chaque firme dépendra évidemment de ce que va décider
l’autre.

Une modélisation classique du duopole concurrentiel est celle de Nash-Cournot. Dans ce


modèle, on considère que chacun des acteurs offre la quantité qui maximise son profit en
prenant comme une donnée la production de l’autre.

On peut donc pour chaque acteur calculer sa courbe de réaction, CR, c’est-à-dire ce qu’il va
offrir pour une production donnée de l’autre.

Soit q1 et q2 les productions respectives des firmes de 1 et 2 qui doivent respecter q1 + q2 = q =


120 - p, soit : p = 120 - (q1 + q2).

CR1 s’obtient en écrivant :

Max ∏ 1, q2 donné

∏ 1 = (p - 30) q1 = (120 - q1 - q2 - 30) q1 = -q12 + q1 (90 - q2)

Maximum pour q1 = (90 - q2)/2 : cette relation est donc la courbe de réaction de 1 : CR1.
De même Max ∏ 2, pour q1 donné, donne la courbe de réaction de 2 : CR2.
q2 = (90 - q1)/2

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Traçons ces deux courbes sur un graphique q1 - q2.

q2
90
CR1

45

30 •
CR2

30 45 90 q1

Ces deux courbes se croisent au point donné par : q2 = (90 - (90 - q2)/2)/2

A ce point on aura donc :

q1 = q2 = 30
p = 60
∏ 1 = ∏ 2 = 900
SC = 1800
Surplus total = 3600

Ce point est qualifié d’équilibre de Nash-Cournot.

En effet c’est un point d’équilibre par construction. A ce point, aucun des deux acteurs n’a
intérêt à modifier les quantités qu’il produit. De plus c’est une position stable, en ce sens qu’il y
a convergence vers cet équilibre.

Supposons en effet que 1, se croyant seul, se comporte comme dans la situation de monopole ci-
dessus et produise donc q1 = 45, attendant tranquillement par conséquent le prix p = 75 (cf. ci-
dessus). S’il produit 45, compte tenu du marché, ce qui se passe est que 2 sort des ténèbres et
produit 22,5, un niveau de production qui maximise son profit si q1 produit 45 (c’est ce que
donne CR2 : q2 = (90 - q1)/2). Mais si 2 produit 22,5, alors 1 n’a plus intérêt à produire 45,
mais plutôt 33, 75 (d’après CR1). Mais à ce compte là 2 produira 28,125. On voit que cela
converge vers (30,30).

On a là un exemple de la situation évoquée ci dessus, où une firme en place n’a pas forcement
intérêt à empêcher l’entrée d’une nouvelle firme (dans ce cas, la firme entrante a le même coût
que la firme en place, mais on démontre aisément que cela reste vrai si la firme entrante a un
coût supérieur, à condition qu’il ne soit pas « trop » supérieur).

A ce point d’équilibre, le duopole concurrentiel produit donc plus que le monopole (60 au lieu
de 45) et le prix est plus bas (60 au lieu de 75). L’existence de 2 a réduit le profit total de 2025 à
2x900, soit 1800. La situation de concurrence entre les deux firmes réduit leur profit individuel

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par rapport à une situation de coopération, de 1012,5 à 900. Ceci, a priori, devrait les pousser à
coopérer. Mais même si elles se font concurrence, on est toujours assez loin de la situation de
marché parfaitement concurrentiel (donc avec libre entrée) où le prix serait de 30, la production
totale de 90, et le profit des firmes, nul.

3. Conclusions du modèle

En résumé, moins le marché est concurrentiel, plus le prix est élevé, plus la quantité
produite et consommée est petite et plus le surplus total est faible.

Ce modèle est très simple. Mais, à peine plus sophistiqué et généralisé à l’ensemble des
marchés, il est le fondement des interventions des Etats, pour introduire le maximum de
concurrence sur tous les marchés.

La conclusion normative de ce modèle est en effet sans appel.

Si on prend comme critère d’optimalité la maximisation du surplus, celui-ci est maximum


en situation de concurrence pure et parfaite, car celle-ci assure que les produits sont vendus
au prix minimum que permettent les conditions techniques. Toute situation de monopole ou
d’oligopole, coopératif ou non, éloigne cet optimum.

L’Etat doit donc :

− soit assurer, par une libre entrée sur tous les marchés, des situations de concurrence pure et
parfaite dans tous les cas où c’est possible,
− soit, si l’oligopole est inévitable (lorsque l’Etat ne peut rien faire pour abaisser les barrières à
l’entrée), s’assurer que c’est un oligopole concurrentiel, ce qui est un moindre mal, ou le
réglementer, en lui prescrivant des prix.
− soit, si c’est le monopole qui est inévitable, en particulier en cas de monopole "naturel", le
réglementer pour le forcer à produire la même quantité et au même prix que ce qui serait
produit en concurrence pure et parfaite ( nous verrons cela au chapitre 9).
Ces conclusions sont nuancées dans les deux encadrés ci-après.

Encadré 1 : L’augmentation du surplus global est-il une opération Pareto efficace ?

Nous avons vu dans ce chapitre que le passage d’une situation de monopole à une situation de
concurrence parfaite augmentait le surplus total. Nous en avons conclu que la situation de concurrence
parfaite est donc « incontestablement » meilleure. Il s’agit là d’un jugement normatif absolu, tel que
défini au chapitre 1. Nous avons vu au chapitre 1 que le seul critère qui permet de porter des jugements
normatifs absolus sans faire appel à des normes de jugement extérieures à l’économie (par exemple des
normes politiques ou éthiques) est le critère d’efficacité parétienne. D’où la question : à quelles
conditions le passage du monopole à la concurrence, qui augmente le surplus global, est-il pareto-
efficace ?

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Prenons l’exemple de la privatisation de l’électricité en Grande-Bretagne pour discuter cette question.


Faisons l’hypothèse (assez bien vérifiée) que cette privatisation a amélioré le surplus global., en
remplaçant un monopole public unique s’occupant de la production, du transport et de la distribution, par
des compagnies privées dont certaines (les compagnies distributrices) restent en situation de monopole
local et d’autres (les compagnies de production) sont en concurrence.

Que s’est-il passé au départ ? Les prix aux consommateurs ont peu varié, le bénéfice et le prix des actions
des nouvelles compagnies privées ont énormément augmenté, de nombreux employés de l’ancien
monopole public ont été licenciés. Clairement cette transformation n’est pas Pareto-efficace : certains -
les actionnaires - ont beaucoup gagné, d’autres - les employés licenciés - ont beaucoup perdu, d’autres
enfin - les consommateurs - ont vu leur situation inchangée. On peut penser, et c’est vrai, que cela n’est
du qu’à une mauvaise appréciation initiale du réglementeur, qui n’a pas suffisamment forcé les
compagnies de distribution à baisser leurs prix. Il peut donc rectifier (il est en train de le faire) pour
ramener les profits à un niveau normal et faire baisser les prix pour que les consommateurs bénéficient de
surplus. Resteraient alors les employés licenciés. S’ils ont retrouvé un travail équivalent, ils n’ont que peu
perdu. Sinon, on peut imaginer qu’ils soient correctement indemnisés sur une partie des sur profits des
nouvelles entreprises. Dans ce cas, si à la fin, personne n’y perd tandis que les consommateurs y
gagnent, on a bien une transformation Pareto-efficace, ce qui était l’objectif de la réforme. On voit donc
qu’une transformation potentiellement Pareto-efficace, parce qu’elle améliore « l’efficacité » de
l’économie et donc le surplus total, ne l’est effectivement dans la plupart des cas que si des transferts
sont effectués pour indemniser les perdants par une partie des gains des gagnants. Si le surplus total
augmente, c’est toujours en théorie possible et il reste des gagnants nets. Mais il faut :

− Que les transferts eux-mêmes n’engendrent pas d’effets pervers (d’autres perdants ailleurs dans
l’économie). On dit qu’il faut qu’ils soient « neutres ».
− Qu’ils soient effectivement réalisés.
Sinon, on ne peut pas affirmer, de l’intérieur d’un raisonnement purement économique, que cette
transformation doit être effectuée.

Encadré 2 : Innovation et monopole Schumpétérien

La thèse qu’une situation de monopole est toujours une « mauvaise » chose a été vigoureusement
contestée par Schumpeter, en particulier dans son célèbre livre « Capitalisme, Socialisme et
Démocratie ». Schumpeter adopte une vision dynamique de l’économie, où l’innovation (technique, mais
aussi organisationnelle) joue le rôle fondamental dans la création de nouvelles richesses.

L’innovation est le moyen par lequel les firmes cherchent à supplanter leurs concurrentes, en fait à les
faire disparaître. L’innovation est un processus permanent de "destruction (des firmes les moins
innovantes) créatrice (de nouveaux biens, des façons de produire plus efficaces)". Une innovation
crée naturellement, pour la première firme qui la met en œuvre, un monopole de fait, jusqu’à ce qu’elle
soit imitée.

Or l’innovation est surtout le fait de grands firmes, généralement peu nombreuses sur un même marché,

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donc hautement soupçonnables d’ententes au détriment des consommateurs. De plus, pour qu’une firme
soit tentée d’engager des dépenses importantes, et aux résultats incertains, dans la recherche
d’innovations, il faut qu’elle puisse en tirer des profits à la hauteur du montant et surtout des risques de
l’investissement, ce qu’elle ne pourra faire que si elle est, grâce à son innovation, en situation de
monopole pendant un temps suffisant.

Il en résulte pour Schumpeter que des politiques concurrentielles très rigoureuses des Etats, comme le
dispositif antitrust aux Etats-Unis, qui visent à casser systématiquement les situations non seulement de
monopole, mais même d’oligopole soupçonné de pouvoir coopérer, et qui interdisent toute entente quelle
qu’elle soit entre firmes en situation de concurrence, peuvent très bien, eu nom de la défense du
consommateur, freiner l’innovation qui bénéficie toujours in fine au dit consommateur.

Plusieurs décennies après le lancement de cette polémique par Schumpeter, le gouvernement américain a
assoupli dans les années 90 sa conception des lois antitrust. Face aux coûts très élevés de la recherche-
développement dans certains domaines, il a autorisé des firmes concurrentes à s’allier pour faire ensemble
de la R&D, quitte à être en monopole à ce stade, à condition qu’elles se fassent à nouveau concurrence
une fois l’innovation commercialisée. Il est vrai que le gouvernement japonais faisait cela depuis des
années, en finançant même sur fonds publics la recherche « pré-compétitive » des firmes privées dont il
favorisait le rapprochement, et que cela avait eu un succès certain dans les années 80.

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Chapitre 7 : Les vertus de la concurrence

Concepts à retenir

Structure naturelle de marché

Barrière à l’entrée

Marché concurrentiel

Monopole, oligopole, duopole

Price takers et Price makers

Surplus

Equilibre de Nash

Questions

- Quelles sont les justifications de la supériorité « sociale » de la concurrence par rapport aux
monopoles

- Discutez-les.

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