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La narratologie est la discipline qui étudie les techniques et les structures narratives
mises en œuvre dans les textes littéraires.
On ne peut parler d'une "science" de la littérature, et particulièrement du roman, qu'à
partir de la deuxième moitié du XXème siècle, quand les "nouveaux chemins" de la critique
marquent un tournant décisif. Les courants structuraliste et génétique (dont les racines se
trouvent ailleurs, en linguistique surtout) sont les lieux d'émergence de la discipline appelée
aujourd'hui narratologie.
Le premier se propose d'étudier le texte comme lieu d'une production structurale (et
structurée) des significations et de démontrer le fonctionnement interne et purement
relationnel du texte en tant que système. L'approche structuraliste a révélé l'existence de
certains processus qui entraînent les transformations de l'écriture, telles que la représentation,
la focalisation, la fictionnalisation, la textualisation. Refusant le "sujet" biographique ou
psychologique, les structuralistes considèrent le texte en dehors de ses origines, comme un
produit fini et isolé.
Paradoxalement, les acquis du structuralisme, qui crée une "théorie du texte" sans
avoir égard à ses alentours, ont servi à la critique génétique, qui revendiquera la théorisation
d'une "dimension historique à l'intérieur même de l'écrit" (Louis Hay) et choisira un nouvel
objet d'étude, concret et structuré par le temps, le manuscrit.
Les travaux critiques des dernières décennies du XXème siècle ont démontré que toute
œuvre romanesque repose sur quelques grandes articulations: chronologiques (généalogies,
schéma diégétique), narratives (repères événementiels, disposition, personnages, lieux,
descriptions) et symboliques (réseaux d'images, annonces, échos, rappels). L'ensemble de ces
données essentielles ne devient un "roman" que grâce à un travail de textualisation (mises en
phrases, structuration en paragraphes, en chapitres, etc.)
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Les concepts-clé
Tout récit romanesque repose sur un personnage (le participant à l'histoire), sur un
narrateur (celui qui raconte l'histoire) et sur un auteur (celui qui écrit l'histoire). A part le
roman personnel et le récit où l'auteur et le narrateur se déclarent unique instance du récit, il
ne faut pas confondre le narrateur et l'auteur. L'écrivain est celui qui écrit le roman, le
narrateur est celui qui narre l'histoire. Le narrateur peut très souvent se confondre à l'un des
personnages, tantôt il est saisissable au cours du récit, tantôt il est "plusieurs", lorsque les
points de vue se multiplient et s'entrelacent.
De même, si l'œuvre contient un auteur implicite, elle présuppose aussi un lecteur et
une personne construite à laquelle on destine le récit, c'est-à-dire le destinataire. Tout texte
implique un destinataire. En narratologie, le destinateur s'appelle narrateur, celui qui émet le
message, et le destinataire est nommé narrataire, celui à qui s'adresse le discours énoncé.
Le lecteur construit par le texte, le narrataire, remplit des valeurs fort différentes, qui
tiennent au type de roman où il apparaît.
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1.Le narrataire-personnage (celui qui joue un rôle dans l'histoire) se rencontre surtout dans
le roman épistolaire ou dans les préfaces (v. Le Lys dans la vallée, Balzac).
2.Le second type de narrataire est le narrataire invoqué, c'est-à-dire le lecteur anonyme, sans
identité véritable, apostrophé ou invoqué par le narrateur à un moment donné du récit. Il
apparaît accidentellement dans les œuvres de Balzac et de Stendhal, mais il est utilisé par
Diderot (Jacques le fataliste) dans le but de parodier et de tourner en dérision les attentes
codées du lecteur. Le narrataire invoqué n'est pas un personnage (il n'intervient pas dans
l'histoire) et est apprécié surtout par le roman auto-parodique.
3.Le troisième type de narrataire, le narrataire effacé, se "confond" avec l'acte d'énonciation
et on le retrouve dans tout roman. Il n'est pas décrit, ni nommé, mais il est présent à travers le
savoir et les valeurs que le narrataire suppose chez le destinataire de son texte. Le XIX e siècle
réaliste privilégie ce dernier type de narrataire.
La diégèse
En ce qui concerne la distance narrative, Aristote fut le premier qui ait fait une
distinction entre "montrer" et "raconter"(Poétique). Selon lui, la mimesis est l'imitation
proprement dite, tandis que la diegesis est le simple récit. La diegesis aristotélicienne réfère
aux passages où le narrateur parle en son propre nom et la mimesis reprend les paroles des
personnages énoncées au style direct. Les deux modes "purs", à savoir le dithyrambe et le
théâtre, correspondaient à la diegesis, respectivement à la mimésis. L'épopée, genre mixte, se
fonde sur l'alternance perpétuelle entre diegesis et mimesis. On voit bien de cette
classification de l'Antiquité qui est, à l'époque moderne et bien avant, l'héritier de l'épopée.
Le roman est (définition possible) l'alternance de l'histoire entre le mode diégétique et
le mode mimétique. A partir de cette distinction, on voit aisément que certains romans
privilègient le discours direct du narrateur, qui parle pour orienter le narrataire (roman
didactique, roman idéologique ou simplement à thèse). Ces romans ont une dominante
diégétique et s'opposent aux récits mimétiques dont le seul but semble être de faire oublier au
lecteur la voix narrative pour lui créer un plus grand effet de réel (le roman réaliste et celui
naturaliste).
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En narratologie, le terme diégèse revêt deux acceptions courantes: elle désigne soit
l'univers spatio-temporel du roman, soit le fait de raconter les choses. Cette dernière acception
pousse G. Genette à opposer la diégèse à la mimésis (qui consiste à montrer les choses).
Dans un roman, on distingue plusieurs niveaux diégétiques:
1. le niveau extradiégétique: le narrateur ne s'implique pas dans l'histoire narrée, il se veut
omniscient et "objectif".
2. le niveau intradiégétique: ce niveau appartient aux personnages, à leurs pensées et à leurs
actions;
3. le niveau métadiégétique: c'est le cas le plus complexe, lorsqu'une diégèse contient elle-
même une diégèse, par l'entremise d'un personnage-narrateur.
Dans ce dernier cas, une autre dichotomie peut venir à l'aide d'une meilleure précision
des instances narratives: le récit est dit homodiégétique lorsque le personnage-narrateur
prend part lui-même au récit qu'il raconte ou il est appelé hétérodiégétique, lorsqu'il ne
participe pas à l'histoire qu'il raconte.
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Les jeux narratifs de la fréquence reposent sur plusieurs modes: le singulatif devient
dominant dès l'Antiquité. On trouve le mode répétitif au XVIIe et au XVIIIe siècles à travers
le roman épistolaire. Le mode itératif se trouve, jusqu'à Flaubert, en état de subordination
fonctionnelle par rapport aux scènes singulatives: les scènes de Madame Bovary, narrées à
l'imparfait, evoquent l'ennui et la routine, mais réussisssent en même temps à prendre une
véritable autonomie dans l'ensemble du récit.
La modernité porte une attention particulière au mode répétitif en jouant sur la
focalisation interne variable (un même événement vu par différents personnages: Virginia
Woolf, Camil Petrescu).
Le dernier concept-clé que notre synthèse vous propose (last but not least) est celui de
schéma quinaire. Il s'agit d'une suite logique de cinq étapes: 1. état initial; 2. perturbation; 3.
dynamique; 4. résolution; 5. état final. Proposée d'abord pour rendre compte de la séquence
narrative élémentaire des contes, elle s'est révélée très efficace pour le travail de découverte
de la logique profonde de n'importe quel récit.
Bibliographie obligatoire:
1. Gérard Genette, Figures III, Seuil, 1972
2. Gérard Genette, Nouveau discours du récit, Seuil, 1983
3. Bernard Valette, Le Roman, Nathan Université, 1992
4. Gustave Flaubert, Madame Bovary, chapitre 10 de la deuxième partie
Bibliographie facultative:
1. Carole Tisset, Analyse linguistique de la narration, Sedes, 2000
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