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LE VOY[AG]EUR INNOCENT

Carnet illustré d'un voyage illusoire

Paco Alpi
masques, collection imaginaire
Septembre 2008

1
Le voy(ag)eur innocent

Carnet illustré d'un voyage illusoire

masques, collection imaginaire

°°°

Dédicace
A nos enfants, à leurs parents,
et à tous les autres aussi, bien sûr.

Remerciements
Aux uns et aux autres, et à tous
ceux et celles sans qui ce document
ne serait pas ce qu'il est...

Notice technique

* format A5 portrait e-book 122 pages

* Licence CreativeCommons -Paternité-Pas d'Utilisation Commerciale


http://creativecommons.org/licenses/by-nc/2.0/fr/

* Les images et illustrations utilisées ont été collectées sur la Toile, et retravaillées
numériquement à fin de citation. Les originaux, s'ils existent, et leurs droits
demeurent la propriété de leurs détenteurs légitimes respectifs.

* Autres publications et contact

http://www.scribd.com/people/documents/21977
http://pacoalpi.blogspot.com/

Septembre 2008

2
Apparence

Ce qui se cache, sous le masque des apparences, visible illusion,


laisse supposer qu'il y a, invisible, quelque réalité cachée, une vérité,
qui sait, autre chose, peut-être.

Les Anciens distinguent matière et énergie, l'idée et le fait, et donc


au moins deux catégories, c'est soit l'un, soit l'autre, ceci existe ou
non, vrai ou faux, basique logique.

Puis vint l'idée étonnante que les choses ne sont pas si simples, que
la matière n'est pas si solide, et qu'il doit bien en exister une part
indivisible, un grain infime, qui n'est pas rien, minuscule atome, ce
quelque chose que l'on ne peut couper, diviser, séparer.

Il s'agissait d'éviter l'épouvantable idée que derrière les apparences,


il n'y ait rien, rien d'autre, - et que l'on puisse alors creuser la réalité
sans jamais rien trouver, diviser la matière à l'infini, sans pouvoir en
produire un seul élément stable et unique.
Pas même un grain de lumière ?

°°°

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°

°°°

Dans l'ombre immense de la ville morte,


pierre immobile, deux traces, un sourire,
et ce regard double qui contemple le monde.

4
Voyage

Fugace, l'apparence singulière donne à penser le pluriel, il y a


d'autres points de vue, d'autres perspectives, parmi lesquelles on
devrait pouvoir distinguer les plus vraisemblables, les plus
probables, les plus significatives.

La vertu de l'image, sa force ou son impact, c'est de proposer une


solution évidente à une énigme possible, - un dessin plus parlant
que tous les discours, dit la légende, - mais dans ce cas, le masque
serait plus véridique que ce qu'il cache, comme s'il offrait plus de
lumière et de matière que ce qu'il recouvre.

Essayant d'y voir clair, la pénombre n'est pas sans poser quelques
problèmes, de contraste, de luminosité, de reflets divers. Quantifier
la lumière, en régler le dosage, ni trop, ni trop peu, puisque
l'éblouissement aveugle celui qu'il frappe. A l'envers du décor, de
l'apparence, le masque aveugle, justement, celui qui l'observe.
Voyons...

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°

°°°

La pierre, le bois, la forme, le lustre antique,


saisissent le vivant au moment même
où pourrait s'arrêter le temps, silence.

6
Oxymore

Sur la route, l'évidence invisible, plus tu avances, plus tu t'éloignes,


non sans un certain doute. Quelques bornes délimitent le chemin,
bientôt millénaire. Mais nous laissons des monuments à la postérité,
immenses ou minuscules, des cités, des temples, des sculptures, des
fresques, des oeuvres d'art, des outils, des paysages et des ruines.

Spectacle insoutenable, le monde est un terrifiant charnier, la terre


est un gigantesque cimetière, l'histoire entière est le récit d'une
interminable guerre, tel est l'héritage que nous avons reçu, un enfer
invivable.

Dès lors, existe-t-il une seule ressource viable, un moyen d'échapper


à ce destin-là, et de laisser à nos descendants, si possible, un avenir
un peu moins cruel ?
Rêver les yeux ouverts, en somme...

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Sur la carte, ciel, un trou noir, dans l'éclat du métal,


origine des abscisses, coordonnées abstraites,
petit mémento pour oublier le temps qui passe.

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Lustre

Dans les décombres, parfois gisent les insignes ou les emblèmes du


pouvoir, dérisoires débris des gloires passées. La couronne ou la
coiffe, le sceptre ou l'éventail, le trône ou ses armes, les blasons ou
les drapeaux, à visiter dans les musées.

Casse-tête. Symbole royal, mortel, honoré des sujets respectueux,


terrifiés à l'idée que le détenteur légitime en devienne fou.
Subitement, ébloui par l'ivresse de disposer ainsi de la vie et de la
mort.

Sous les feux de la rampe lumineuse, quelques photons ont traversé


le temps. Image du sujet : il est l'objet d'une insondable terreur,
devant le spectre de sa propre destruction, le voilà donc soumis. Ou
sinon, sujet de l'image, il croit disposer du temps, et pouvoir
l'arrêter. Suspension du jugement.
Antique folie, le virus court encore.

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°

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Est-ce comme un clin d'oeil, fermé, ouvert,


malgré le grès fissuré et les traces du temps,
entendre la musique d'un sourire partagé.

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Fulgurance

Si la contemplation du masque de la mort a d'étranges effets,


calmants, apaisants, paraît-il, la paix règne en effet, le plus souvent,
dans les cimetières.

Extinction des feux, le noir complet, coupure générale des circuits,


systèmes de veille défaillants, panne sensorielle, imaginer le
sommeil le plus profond , silencieux, l'absence et le vide, point.

La paix provient peut-être du fait qu'il n'y ait, du point de vue de la


mort, plus rien à dire, sauf à inventer des histoires merveilleuses
pour consoler les survivants. Dans le ciel serein, quelques étoiles,
paisibles, dans la mémoire, enjolivée, le paradis perdu. Triste
inventaire des héritages, âge d'or, de bronze, de fer, pluie d'acier.
Horizon sans éclat. Orage, et pas l'ombre d'un désespoir.

Le reste appartient aux rituels, conjuration, exorcismes, prière de ne


pas déranger, épitaphes, repose en paix, stèles, hommage aux
disparus, - pour se souvenir des étoiles, et des météores, fugaces.

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°

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A l'exacte limite entre l'objet et l'image,


entre la forme et son effet, une rémanence,
pourtant évanescente, transmet son mouvement.

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Mausolée

Sur les temples, les tombeaux, les cénotaphes, les sarcophages, dans
les catacombes, les sépulcres, les tumuli, les pyramides, l'ombre
d'une dénégation : la vie, - et son cortège d'évènements heureux ou
non, - ne s'est pas arrêtée pour autant, il reste des signes, des
portraits, des biographies et des hagiographies, des testaments, des
héritages, des bâtisses, des domaines, des territoires, une
descendance, et des générations suivantes.

Passé le temps de la désolation, du deuil, des regrets, vient,


inévitablement, celui du mémorial. Message du passé pour l'avenir,
l'humanité se souvient que ses racines ancestrales étaient mortelles,
précieuses, sans doute, mais fragiles, passe le temps.

Une étincelle de lumière subsiste, parfois, en forme de sourire.


Comme un clin d'oeil, pour oublier le deuil. Comme la perspective
d'un partage possible, entre l'humanité d'hier, et celle de demain.
Rien de certain, une hypothèse discrète.

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°

°°°

Le mirage illusoire, les yeux fermés,


et sous l'effet du travail de la lumière intérieure,
l'hypothèse de l'éveil, actuelle mystification.

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Mirage

En désignant l'illusion, le masque fait fonction de vecteur, pour une


curieuse réflexion, sur la réalité, éphémère et changeante, sur la
scène et le spectacle qu'il s'y joue, et sur la fragilité même de
l'humain, de sa vision, et de ses visées.

La forme du masque est celle d'un arc, la flèche désigne sa cible, le


temps d'un échange de regards, croisés, opposés, et pourtant,
partagés. Il s'agit bien d'une illusion, qui réside dans l'incertitude du
dessillement.
- Voit-il bien ce que je vois ? Verra-t-il ce qui se cache, sous
l'apparence d'un sourire, immobile, presque éternel. Entendra-t-il le
message, muet, lancé vers l'avenir, alors que son regard se tourne
vers le passé ? Ouvrira-t-il les yeux ?

La scène se prête à bien des confusions, manipulations, triturations,


elle convoque le spectateur dans une position de doute, et lui
propose alors une image en miroir, - ne vois-tu pas l'évidence,
éblouissante !
Dans l'ombre des déités, rodent les prédateurs.

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°

°°°

Pas toujours efficace, la manipulation présente


un sage, un prince, et un passant, remis à sa place,
et justement soumis à l'ignorance, l'innocent...

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Pouvoir

Interactive, l'image produit parfois une émotion, ou plus, une


injonction. Elle situe le regardant et le regardé dans un rapport de
forces, d'un côté le puissant, et de l'autre le sujet, d'un côté l'ordre,
de l'autre l'ordonné. Les humains se suivent et se ressemblent,
s'assemblent en cohortes, et bientôt quelque chef vénéré apparaît,
vénérable, honoré.

Par familiarité, le masque produit une assimilation, un modèle, une


mise en scène, voici l'image même qui fournit l'idéal, la forme à
laquelle se conformer, comme par mimétisme naturel.

Le bonheur parfait n'est pas loin, sans doute aucun, il suffit de se


plier au mode d'emploi indiqué, suivre la recette, fournie par un
chef, orné d'un couvre-chef, pour certains. La couronne, l'auréole,
indiquent la plénitude, la perfection, bientôt le triomphe.
Solennel silence.

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°

°°°

A défaut de sagesse, les démons ne manquent pas


au revers du décor, comme menace et signe de mort,
féroces, ils ont la force et la furie,
le masque vrai de l'humain.

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Naïveté

Une fois tombé le masque, les yeux dessillés, l'ignorant aura-t-il


entendu la leçon, - le pouvoir rend fou, et follement dangereuse la
puissance, ... Il se sert du savoir pour aller au désastre, et bien sage
serait celui qui peut gouverner sans nuire. Une fois démasqué le
loup, et son discours avenant, il reste à reconstruire les villes et les
villages, aurions-nous besoin urgent d'un grand architecte, ou d'un
simple maçon ?

Plaisanterie mise à part, les belles âmes n'ont jamais manqué, le


rêve d'une humanité enfin humaine n'a jamais cessé, les sectes
religieuses n'ont rien perdu de leurs croyances fondamentales,
dogmes et doctrines, l'obscurantisme se porte plutôt bien. Le
résultat est terrifiant. Atterrant. Consternant.

Ne pas confondre naïveté et innocence. L'ignorance est naïve, mais


l'innocence est un art, - celui de ne pas nuire, consciemment, et
même inconsciemment... D'ailleurs, les gouvernants ne sont pas
naïfs, certainement. Ils s'avancent parés de l'image d'utilité
nécessaire, du discours de la nécessité, absolue, si possible.
Inoffensifs, ou innocents ?

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°

°°°

Les démons dévorent le monde, le chaos règne,


et produit les flammes de l'enfer, sans doute aucun,
mais d'où vient donc cet insatiable ricanement ?

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Résonance

Les vieux démons ne manquent pas, ni les jeunes fous. Les mythes
et les légendes en contiennent à foison. Sans oublier les vieilles
sorcières, et les folles coquettes, les poulettes naïves et les
innocentes fillettes. Plus rares sont les sages, ou les justes, surtout
parmi les vivants... En trouverait-on cinquante, ou dix, seulement ?
Un seul, même ?

Le masque du démon est volontiers angélique, comme chacun sait.


Pur visage de la sainteté, déguisement de la perversité, image même
de la divinité. Dès lors le vrai visage du diable, celui du monstre,
inhumain, bestial, terrifiant, cruel, incarnation de la furie féroce, de
la barbarie la plus atroce, démoniaque... Mais son apparence est
celle de l'ange, et de la mort, par la même occasion.

Ange ou démon, ces deux facettes du masque sont le pur produit de


l'imagination humaine, comme le sont les dieux et les esprits, à
l'image même de l'humain.
Est-ce bien raisonnable ?
En écho, les églises sonnent l'angélus ou le tocsin, les muezzin
donnent l'heure, les prêtres distribuent leurs prêches, les moulins
tournent leurs prières, les chamans psalmodient leurs incantations,
les pasteurs tondent leurs moutons, - est-ce bien raisonnable ?

°°°

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Diablerie

Que fait la police ? Ou plus sérieusement, qui fait la polis, la ville, et


sa politique, urbaine et civilisée, civique et citoyenne, si le monde est
un village, et la terre notre lot commun ?

L'état du monde, l'économie, l'écologie, les échanges mondiaux, le


climat, géographique, politique, social, l'eau, la santé, l'alimentation,
la démographie, ... tout va à la dérive, comme sous l'effet de forces
irrépressibles, diaboliques, infernales.

Planète bleue, charmante, vision édénique, les plages, le sable, le


soleil, la mer. Et le désert, qui gagne, et les mégalopoles, qui
s'asphyxient, irrespirables. Une puissante machinerie industrielle
s'est lancée à toute allure, pour produire l'illusion du bonheur,
l'équipement, le confort, pour quelques-uns, ça roule. Et les trois-
quarts de la population rêvent d'un autre monde, seulement plus
viable. Chercher l'erreur.

Le visage de l'humanité, c'est simple comme misère, famine,


guerres, conflits à tous les étages, drogues, trafics, marchands
d'armes et de mort, dictatures diverses, et quelques îlots de
démocratie chancelante.

Depuis 1945, un masque nucléaire s'étend, lentement, sûrement, sur


toute la planète.

Armes de destruction massive de mieux en mieux distribuées, à


l'horizon, l'apocalypse, qui s'approche dangereusement, dans
l'indifférence plus ou moins générale.

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Un spectre plane sur l'humanité, sa dernière guerre mondiale, et sa
disparition radicale. Est-ce bien raisonnable...

°°°

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°

°°°

Chaque continent a fourni ses images de la réalité,


son imaginaire de la haine et de la compassion,
de la fraternité et de la barbarie, pour simplifier.

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Géographie

Le masque de l'humain, que montre-t-il ? Que cache-t-il ?


Et quel est son visage commun ?
Facile. Splendeur et misère. Bientôt sept milliards de cerveaux,
imaginez la puissance de calcul... Portrait de groupe, mammifères et
bipèdes évolués, doués du langage, et dotés d'outils sophistiqués, à
classer dans la catégorie des espèces menacées. Peut-être en voie de
disparition brutale.

Assez simple : nous reconnaissons nos semblables, le plus souvent


au premier regard, et nous devrions savoir respecter ceux et celles
que nous ne voyons pas pour la première fois, - y regarder à deux
fois est le sens premier du mot respecter.
Le masque humain impose le respect. Sous toutes ses formes, il
interroge notre capacité commune à être humain, ou à le devenir. Il
est même comme un joug qui nous attelle à une tâche mal finie,
infinie, et pourtant assez simple à délimiter.

Le patrimoine commun de l'humanité, c'est l'humanité, actuelle et


en devenir. Nous l'avons reçu sans garantie, tel quel, en l'état, et
nous avons comme devoir de le transmettre, au mieux. Et si l'idée
très ancienne que nous naissons avec un devoir et une dette ne nous
plaît pas nécessairement, pourrions-nous faire autrement ? Choisir
le parti de l'inhumain, est-ce seulement pensable ?

°°°

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°

°°°

D' Orient nous vient l'idée qu'une simple nuance,


variation imperceptible, peut changer ou modifier
l'esprit de celui ou celle qui observe, exemple.

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Nuance

Une erreur s'est glissée quelque part. Oui, mais que faire ?
Nous produisons des codes, des signes, des signaux, qui organisent
la circulation de l'information, sa diffusion, ses modes d'accès, son
archivage, et son indexation. Nous disposons de quelques
bibliothèques publiques et privées, et de bases de données de plus
en plus riches, de textes, d'images, de sons, de films, d'oeuvres de
tout type, dans les musées ou dans les rues. Tant de données, de
richesses, de mémoire, de culture et de sciences, - et pourtant, nous
avons oublié quelque chose, non ?

Plusieurs solutions, ne pas chercher l'erreur, et tout recommencer,


reconstruire, avec le risque de retrouver la même erreur, ou au
contraire chercher l'erreur, et la corriger, si possible, depuis son
origine, si elle existe.

Sur le masque que l'humanité se donne, et forme, dans sa diversité,


trouver le bon éclairage, celui qui met en lumière la juste nuance,
celui qui décrit au mieux le patrimoine commun, et son devenir
probable, - voyons qu'avons-nous oublié ?
Le diable se cache dans les détails, dit-on.

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°

°°°

Voyez le masque du serviteur heureux,


la tristesse ordinaire du clown,
l'énigme pestilentielle de Venise,
trois facettes d'un même spectacle.

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Lumière

Dans la nuit, qui recouvre la terre, et masque la terreur, Le cri de


Munch témoigne parmi bien des oeuvres, d'un assourdissant
silence, celui des cimetières, où règne la paix, et celui de la
désolation, si commune, que nous choisissons d'oublier, le regard
vide, halluciné, la bouche grand ouverte et le souffle coupé.

Sous les mille visages qu'elle se donne, ou derrière lesquels elle se


cache, une seule humanité, déchirée, déchirante, unique et
universelle.

Une loi fondamentale hante la galerie de portraits, si simple.


Un seul interdit relie tous les humains, une même étincelle, initiale.
Le don que nous recevons avec la vie, nous ne pouvons le prendre
sans le perdre., sans perdre le nom d'humain.

Faut-il le crier ?

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°

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L'or, le diamant, l'ivoire, le rire est un précieux message,


d'une infinie richesse, fortune faite, tant mieux...

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Trésor

L'or et l'argent, le bronze et l'acier, le diamant et l'ivoire, les bois


précieux ou le marbre, l'émeraude ou le rubis, les bijoux et les
joyaux, tout cet attirail charmant, ce luxe rare, c'est sans doute
manière de montrer que quelques-uns ne manquent de rien, que
quelque-unes n'ont pas de prix, que l'ordre règne, puisqu'il y a du
surplus, et même du superfétatoire.

Est-ce vrai ? Non, bien sûr, un ricanement grotesque accompagne


cette exhibition en forme de scandale.

Sous les bijoux et les joyaux, le spectre de la mort observe le


spectacle, ébahi.

Et son rire n'a rien d'humain.

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°

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Immobile regard,
sous la feuille d'or,
le silence encore,
sans doute une princesse.

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Hommage

Un mythe traverse le temps, une étincelle d'éternité, un granule de


lumière, un élément d'information, une parcelle d'ombre, invisible
dans l'immensité, subsiste quelque part, infime trace mémorielle de
la vie, hors du présent, indécelable, grain d'énergie, pure absence.

Au delà de l'existence, physique, l'essence, l'idée, l'âme, et la


métaphysique. Ainsi, il existe de l'absence, en contrepartie de la
présence, et du rien en regard du tout, du silence pour qu'y vienne
quelque musique, et l'invisible électron où circule l'énergie.

L'art et la magie proviennent de ce mythe, dans le silence qui suit


une oeuvre de Mozart, de Bach, de Schubert, ou de quelques autres,
parfois un début de preuve.

Mais nous n'avons pas besoin de preuve pour savoir et oublier que
nous sommes mortels, que le temps est compté, que l'énergie
s'épuise justement parce qu'elle circule, s'accumule et se libère, et
que demain est un autre jour.

°°°

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°

°°°

Sous le masque immobile,


le pouvoir suppose savoir,
aux esclaves il reste l'ignorance,
depuis la nuit des temps.

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Décision

Un rien sépare le pouvoir et le savoir, l'action et la réflexion.


Quelqu'un va prendre la décision d'agir, pour une bonne raison
parmi mille et une raisons, et voilà la catastrophe, ce qui advient
après la strophe, quand la page est tournée.

Le savoir prétend éclairer le pouvoir, et modérer le tyran. Mais


comme il en sait trop peu, il ne décide rien, et conseille la prudence.
Le pouvoir n'en veut rien savoir de plus, et se lance, tête baissée,
dans l'aventure. Au final, le désastre fournit la preuve de la folie du
pouvoir, inévitable dénouement.

L'espace étrange que scrute le masque immobile, c'est l'avenir, et


bien sûr, il n'en peut rien dire. D'autres s'en chargent, qui racontent
de bien belles histoires.
Les sorciers convoquent les esprits, pour éveiller les ignorants, et les
guider, évidemment. Les ignorants consultent les sorciers, qui
manipulent les esprits, et tentent d'en tirer parti. Mais depuis que
les sorciers sont devenus savants, les choses vont vraiment
beaucoup mieux, n'est-il pas vrai ?
Et si les savants n'ont pas le pouvoir, laissant son usage aux
puissants, qui donc l'a en réalité, les ignorants ?
La démocratie est-elle alors un masque ?

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35
°

°°°

Argile mêlée d'intelligence, le geste de l'artiste


garde la trace d'une très ancienne humanité,
exactement comme signe dédié à l'avenir.

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Galerie

Peinture, sculpture, portrait, le masque tente d'arrêter le temps, et


de transmettre quelque image vers le futur, et parfois comme une
trace de la beauté.

Sourire de la Joconde, le secret reste bien gardé, comme une


invitation, à peine scabreuse, tant elle est heureuse. Non pour
l'éternité, certes, mais pour le présent, dont elle détient l'image
intériorisée, et transcrite par Léonard.

Pas certain, cependant, que le musée ne recèle pas aussi une galerie
des horreurs, et l'enfer en écho.

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37
°

°°°

Là où les mots manquent, définitivement,


l'image suggère le signe d'un souffle,
et même d'une respiration secrète.

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Humanité

Le moindre souffle est précieux, signe de vie. A parcourir d'un oeil


léger cette collection hétéroclite de masques, de visages, d'images
mortes, on cherche ici ou là un regard, un sourire, un signe de vie.
Une illusion, ou l'image fugace d'un signe qui traverserait le silence.
D'un lien invisible et léger, comme celui qui relie, en multiple
chaînage, les humains de la tribu humaine.

La religion, bien sûr, prétend répondre à la question, et relier


l'humain non pas seulement à la simple humanité, ce qui serait
pourtant déjà bien, mais, au delà, à la divinité. Dieu, carrément.
Enfin quelque chose de l'ordre du réel.

"Ordo et Connexio rerum...", avance le fondateur de l'informatique,


et il faut bien que Dieu serve à quelque chose, surtout s'il est réel.
Aussi les religions ne manquent pas une occasion, en effet, de
démontrer à quoi il sert.

Et si l'humanité a bien besoin de trouver le moyen d'échapper à la


folie dans laquelle elle se noie et se perd, hélas !, l'histoire laisse
croire que les croyances de tout poil ont largement contribué aux
festivités.
Long soupir. Bien dommage.

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39
°

°°°

Certes, si nous n'avions pas d'ancêtres,


aurions-nous une descendance et une histoire ?
Regard dubitatif d'une femelle gorille attentive.

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Sagesse

On s'est longtemps moqué des singes, de leurs singeries


mimétiques, de leurs stratégies sociales, claniques, dominance et
soumission, de leurs comportements ludiques, rires grotesques et
cris lassants. Les singes, nos cousins, nos ancêtres, nos anciens
voisins, n'ont certes pas inventé la poudre, ni les missiles, ni les
crimes de guerre, ni les génocides, ni la guerre nucléaire.

On s'est longtemps moqué, on avait tort.

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41
°

°°°

L'image convoque le regard,


le masque convoque l'absence, le vide, le manque,
et sans doute l'inhumain, en forme d'injonction ironique.

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Invention

Nous avons un patrimoine immense, des sciences, des arts, des


technologies, des outils de communication, des satellites
formidables, des machines un peu mortelles, des autoroutes, des
jeux dangereux, et parfois du pain.
Nous avons des villes et des forteresses, des murailles et des
fortifications, des stades et des centres commerciaux, des casernes
et des palais, des bidonvilles et des lotissements, des usines et des
esclaves, des industries parfois performantes et rentables.
Nous avons des architectes et des généraux, des militaires et des
fonctionnaires, des hôpitaux et des hospices, des prisons et des
centres de rétention, des écoles et des collèges, des écrans et de la
publicité, des temples et des marchands, des machines à sous, nous
adorons le veau d'or, les dollars et le ketchup, la chasse et la pêche,
et même la nature.
Et nous laissons mourir de faim, de soif, de maladie, de misère,
d'ignorance, d'esclavage et d'ennui quelques pauvres innocents,
dans l'oubli. Par millions.
Sous le masque avenant ou grimaçant, que porte chacun et chacune,
selon son clan ou son goût, sous l'habit ordinaire ou l'uniforme
conforme, rassurez-vous, la mascarade n'a rien d'humain.

°°°

43
°

°°°

Observer patiemment, puis fermer légèrement les yeux,


et surgit un autre visage, enfantin, éveillé, là où l'image
bouddhique évoquait le sage en méditation.

44
Icône

Trouvaille. Scandale, peut-être. Escroquerie, ou génie.


Représentation exemplaire, à plus d'un titre.
Commentaire, observation, jugement, selon.

Dans le silence d'un obscur temple, voici une preuve évidente de la


manipulation qu'opère le masque, sur celui ou celle qui le vénère, le
contemple, comme oeuvre d'art, image sainte, icône sacrée, - ou
simplement l'aperçoit, ici ou là, dans la pénombre chargée des
vapeurs de l'encens, et le murmure lassant des moulins à prières.

Le message est simple, quelque chose comme : "ça te regarde".


L'image produit son effet, où qu'elle soit reproduite, elle mobilise
une émotion, esthétique, culturelle, et individuelle. Elle nous
regarde, sans nous voir.

L'objet est une statue, monumentale, mentale. Elle est dorée, un


simple film de métal, et peinte, mais ne trouve son impact, son effet,
que dans la pénombre qui permet des reflets, une réflexion de la
lumière, comme une discrète illumination.

Les traits du visage sont assez neutres, détendus, un presque sourire


sur les lèvres, un air de bien-être, de bonhomie tranquille, de
songerie un peu rêveuse, invitation à la méditation plus qu'à la
contemplation. Eloge de la compassion, de la bienveillance.

Le personnage représenté est une des formes supposées d'un


bouddha, d'un sage, d'un humain "éveillé", ses traits sont stylisés,
bouche très étroite, silencieuse, nez droit, sourcils larges, pour
accentuer le regard, et son mystère.

Est-ce une oeuvre d'art, ou une mystification, à vous de juger.

45
°

°°°

Observer patiemment le message,


sous l'image immobile, l'apparence discrète
d'un changement secret,
que l'objet statuaire ou son image produisent.
Savante illusion, en somme.

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Conscience

Les yeux grand ouverts, paupières baissées, contemplant le monde,


réduit au silence, orné d'un troisième oeil, symbole d'éveil, visage
modelé d'ombres, stylisé, l'objet statuaire occupe l'espace d'un autel,
d'une vitrine, d'un décor.
Et les rituels religieux, offrandes, processions, prières, proposent
prosternation, respect et révérence, devant l'oeuvre humaine, le rêve
de perfection, et le contraste qu'il y aurait entre le monde profane, et
l'univers du sacré.
Les iconoclastes détruisaient et détruisent les images, les
représentations, comme négligeables leurres. C'est sans doute qu'ils
pensaient ou pensent avoir mieux à proposer... Preuve aussi qu'ils
font peu de cas des autres hypothèses, et peu confiance à l'autre et à
son regard.
L'image véhicule un discours, et n'existe que portée par ce discours,
qui la code, et la surcharge, lui fournissant une légende, un contexte
historique, une signification. Divertissante illusion, théâtre
d'ombres, modeste spectacle, dont les variantes mimétiques ne
manquent pas, meilleures ou pires, consternantes, parfois.

°°°

47
°

°°°

On en aurait presque oublié la comédie humaine,


le rire, le grotesque, le vulgaire, et l'obscène,
si proches et si voisins, pourtant...

48
Spectacle

Projet de paix, c'est donc qu'il y a la guerre, comme brutale


évidence, et parfois une trêve éphémère, dans la course permanente
à l'extinction finale.
Projet d'éternité, banale contrepartie à la précarité ordinaire, rien de
mieux que la paix éternelle, pour oublier l'incessante misère, pour
l'heure.
Projet de liberté, d'égalité, de respect des droits humains, de même,
jolis discours sur la fraternité, la solidarité, la pauvreté, la
générosité, pas besoin d'en dire plus, la réalité commune s'en
charge, à l'ordinaire.

Dans l'hémicycle, la moitié d'un cirque, quelques vénérables


guignols assurent le spectacle, alternance codifiée de rires et de
larmes. Heureusement, il y a des rires, voyez les bateleurs, qui nous
mènent en bateau, à la grande joie des badauds.

Sur le devant de la scène, l'obscène, pontifiant, édifiant.


Exemples à foison.
En rire, trop facile, mais ça fait du bien...

°°°

49
°

°°°

On en aurait presque oublié le bonheur,


et tout ce qui va avec, dans la mythologie usuelle,
l'argent et la richesse, la santé et la longévité,
le pouvoir et le savoir, et ainsi de suite...

50
Réjouissance

Le masque se prête, parfois, au rire, à la tragédie, la comédie, la


farce...
N'avons-nous pas tout pour être heureux, ou presque...
Et sinon, que manque-t-il vraiment à notre parfait bonheur ?

Festivité, oublieuse de la veille, et du lendemain. Splendeur de


l'instant. Temps suspendu, musique. Au creux de l'hiver, bombance,
pour conjurer la menace de la faim, au milieu de l'été, feux de paille,
pour prévenir la sécheresse, feux d'artifices, efficaces parfois.

Exorciser le pire, au revers de l'image, vieille magie, mimer le


bonheur, masquer les larmes, cette stratégie joue sur le faire
semblant, l'illusion.

Invités à la fête, tous ne viendront pas, dit l'antique légende.

°°°

51
°

°°°

Que le spectacle commence, qu'il se poursuive,


que viennent les danseurs, les conteurs, les musiciens,
bientôt en scène, les dieux et les héros,
leur étonnant destin.

52
Scène

Saltimbanques, bateleurs, comédiens, marionnettistes, danseurs,


actrices et acteurs, et bien d'autres artistes, prennent le masque ou
le maquillage comme support et vecteur, et lui prêtent vie. Ils et elles
jouent, comme s'ils ou elles y étaient, les véritables aventures des
dieux et des héros, les drames épiques des belles dames et de leurs
chevaliers, les farces ou les tragédies où s'empêtrent les pauvres
humains, le temps d'un spectacle.

Le monde est une scène, où les humains jouent le rôle de leur vie, et
où l'humanité se raconte à elle-même, drames et tragédies, farces et
comédies, dans une terrifiante mise en scène, aux accessoires de
plus en plus fantastiques.

Le globe est un théâtre, en effet, dont les acteurs et les spectateurs


n'ont, comme auteur, texte, et metteur en scène, qu'eux-mêmes.
Le savent-ils ? Sans doute.

°°°

53
°

°°°

Dans les coulisses, diables et démons,


les flammes et l'enfer, les enfers et le feu,
dont s'alimentent les fantasmes et la folie.

54
Folie

Le jeu s'appelle les Maîtres du monde, et c'est un épouvantable


cauchemar, où des démons trop puissants rivalisent de perfidie pour
conquérir les esprits, et soumettre les territoires voisins, les pays
proches, les continents lointains, bref, le monde entier.

Le jeu s'appelle Ecopolis, et il s'agit de pomper le maximum de


richesses, de ressources et de revenus, sur la place du marché global.
Tant pis pour les perdants, qui n'auront rien du tout, sauf l'espoir
d'une autre partie, qui sait.

Le jeu s'appelle Civilizations, au pluriel, et c'est une pitrerie sans


nom.

De savants chercheurs se sont attaqués à la question : est-il possible


scientifiquement ou rationnellement d'éviter la folie qui guette la
science, la technique, la logique et la raison, leurs conclusions n'ont
pas fait l'unanimité, mais la réponse est : probablement non...

Un monde sans erreur, impensable ?

°°°

55
°

°°°

Apprivoiser les esprits, les forces obscures de la nature,


et les apaiser, c'est une vieille histoire,
aussi vieille que l'humain.
Puis les croyances ont disparu, comme il paraît.

56
Magie

Si la science n'a pas dit son dernier mot, la pensée pré-logique avait
sans doute des réponses. Nous vivons dans un monde de forces
obscures, qui nous dépassent, nous menacent, et nous restent
incompréhensibles, ou dans un monde d'esprits inconnus, qui
dominent la nature, - mais on peut tenter de les apprivoiser, de les
apaiser, par des rituels ou des cérémonies, des gestes et des chants,
des prières et bien sûr des sacrifices et offrandes, et tutti quanti.

Le masque du sorcier, du chaman, du prêtre, du pasteur, du maître,


du gourou, du guide, c'est la forme visible de l'esprit ou de la déité
qu'il s'agit d'interpeller, d'invoquer, ou d'interpréter.
Dans la nuit, la souffrance, la peur, les larmes, la douleur, la
vieillesse, la solitude, la faim, la soif, ou quelque déchirure. Sous le
masque, l'esprit doué d'un peu de lumière, de bienveillance, de
compassion. D'humanité, de sagesse. Absent.

Il n'est pas dit que les résultats de cette vision du monde soient
probants, certes. Il n'est pas dit non plus que les pays dits civilisés
aient fait beaucoup mieux. Les dieux du jour, le dieu des grandes
religions, seraient-ils si différents de cet esprit absent qu'invoque la
pensée primitive ?

°°°

57
°

°°°

La Renaissance revisite le Moyen-âge,


ce masque mortuaire
réclame, lui aussi, la lumière.
Les Lumières ?

58
Funérailles

Etrange tranquillité. Le silence règne, le jour se lève, grisaille.

Les larmes se sont taries, les cris de même, les conflits semblent
oubliés. D'ailleurs, il n'y a plus rien à en dire, le combat terminé,
faute de combattants. A la place du masque, mortuaire, un ossuaire,
comme fin des temps.

Quelques spécialistes ont promis enfer ou paradis, nirvana ou


résurrection, et imaginé une autre vie, ailleurs, et comme un
jugement. Ou la suite d'un cheminement, d'une conscience, d'un
être. Du réel, on ne peut rien dire. De la réalité, on peut tout
imaginer, entendre une présence dans l'absence, et le tout à la place
du rien, ou l'inverse. Et parler pour ne rien dire, et ne plus entendre
le silence.

Sous l'ossement, pas même un masque, un crâne, et pour les


vivants, quelque souvenir, parfois. Hommage au vivant, et c'est la
vie et le vivant qui manquent, pas la mort, ni le mort.
Et les mots manquent. La suite ne sera pas triste, et même pleine de
vie, de rires et de chants.
Du côté de la vie, et des vivants.

°°°

59
°

°°°

Avec les Lumières, le chant de la liberté, paraît-il.


On remarquera la douceur de ses traits,
et la charge de son auréole, imposante, non ?
Ainsi l'art sert la politique, n'est-ce pas ?

60
Liberté

Elle guide le monde, le monde libre, la liberté.


On en a fait des statues, des devises, des slogans, des discours.
Une déclaration universelle des droits de l'homme, des droits
humains, des droits de l'enfant, qui figurent parmi les beaux
principes, avec l'égalité et la fraternité, le droit des peuples à
disposer d'eux-mêmes, et quelques conventions internationales,
pour compléter le tout.

Un certain ordre mondial règne, chaotique.


Quant au symbole, une statue de ferraille en tient lieu.
Pas vraiment souriante. Sévère.
Déçue, peut-être ?

°°°

61
°

°°°

Statue de bronze, de fer, regard d'acier,


on devine le glaive, qui protège le flambeau,
et menace les barbares, ou les démons.

62
Equité

Sous le masque, la menace, - un retour des vieux démons, des


autocrates, des tyrans, est toujours à craindre, sans parler des
barbares, jamais bien loin. Vigilance, donc, on ne sait jamais
jusqu'où le peuple, masse indéfinie, pourrait aller. Imaginez qu'il
remette en cause le principe sacré, la propriété...

Au fait, la liberté sans la justice, sans l'égalité, sans la fraternité, est-


ce encore la liberté ?

Plutôt qu'un masque, apposé sur une société brutale, mal dégrossie,
infantile et inconséquente, la liberté telle que caricaturée dans la
statue, vaguement replâtrée, c'est un simple mythe. Une vieille
histoire, dont le sens s'est partiellement perdu, dénaturé, oublié.

A l'évidence, le servage, l'esclavage, n'ont pas disparu, ni la


soumission à la normalité, ni la misère sous toutes ses formes.

Voyez vous-même.

°°°

63
°

°°°

Sous des dehors modernes, étranges et autres,


les masques des barbares n'ont pas changé,
ils écoutent le chant des sirènes, regard vide.

64
Voisinage

Barbares à l'horizon, monstres et vampires, le voisin n'est pas loin,


qui écoute d'autres sirènes, et choisit d'autres coutumes. Conflit
ancestral, guerre de clochers, mépris ordinaire de l'autre, si
dissemblable, chacun chez soi, les pauvres avec les pauvres, les
ignorants avec les innocents, et les vaches seront bien gardées.

Cette société archaïque s'acharne à protéger son pré carré, précaire


refuge contre l'adversité, voici des murs et des murailles, des
forteresses, des fortifications, des lignes de défense, des polices des
frontières, des champs de mines, et des barbelés.
Voici les clapiers, bien séparés des beaux quartiers, et bientôt le
ghetto, la favela, les banlieues, et le terrain des gens du voyage, à
deux pas de la décharge, - le reste à l'avenant.

Avenant visage de la modernité, le centre de rétention pour les


migrants et les sans papiers, femmes et enfants compris. Mais où
sont donc les barbares ?

°°°

65
°

°°°

Au loin sur l'océan, les voisins, les sauvages,


dont les tatouages ou les rituels sont différents.
Et pourtant, ce regard, déjà vu quelque part.

66
Veille

Dans la galerie des masques, celui du gardien, qui veille sur


l'horizon, attendant de pied ferme un quelconque évènement, - un
visiteur, des marchands, quelques nomades, des clients, des voisins,
des femmes, des enfants, qui sait...

Une voile à l'horizon, blanche ou noire ? Un orage, une tempête, un


cyclone ? L'avenir le dira. Rien peut-être, l'ennui ordinaire, et
l'inutilité d'une vigilance sans fin. Godot. Un autre, ou l'autre. Un
égal, un frère ? Lequel ?

Espace infini, temps immobile, et rien qui vaille d'avoir tant


attendu.

Quelqu'un peut-être ?

Une statue veille sur le rivage. La liberté, oubliée, sur l'autre rive.

°°°

67
°

°°°

A l'autre bout du monde, une certitude :


mille variations, un seul thème, un seul masque,
immémorial. Une stèle, qui traverse l'espace et le temps.

68
Utopie

Sans exception, tous les visages humains se reconnaissent, au


premier regard, et se distinguent des masques inhumains ou non-
humains. On trouverait ailleurs des signes d'intelligence, de
férocité, d'inhumanité, mais qu'ils viennent du bout du monde ou du
proche pays voisin, dans tous les styles, sur tous les supports, - la
forme humaine paraît unique, universelle, signée d'un regard
singulier, et d'une possible parole, souriante ou guerrière, songeuse
ou déterminée, libre sans doute.

Une seule humanité, qui traverse le temps et l'espace, sur une seule
petite planète.
Aucun autre lieu, où pourraient vivre les humains. Un seul domaine
à partager, et répartir, unité de lieu, unité de temps, voilà un cadre
classique, au présent.

Imagine.
Encore un rêve.

°°°

69
°

°°°

Sous le loup noir de la nuit,


se cache un masque d'or et de lumière,
et la légende dit qu'il s'agit, c'est bien connu,
d'un loup blanc. .. Mais c'est un jeu, bien entendu.

70
Carnaval

Mascarade, défilés, réjouissances, bombances, masques et


déguisements, le spectacle est dans la rue, le peuple s'amuse, pour
oublier les périodes de pénurie, de disette, et le carême imposé par
l'Eglise catholique et romaine, autrefois. Venise n'est pas loin, et ses
pestilences, la peste et les charniers, l'ombre de la mort.
Mardi gras, veille des cendres.

Mais aussi l'exécution du pantin Carnaval, effigie de Sa majesté


jugée et condamnée, dans un grand charivari, en place publique.
Révolution mimée, du plus mauvais goût... L'élégance n'était pas
souvent de la partie, et plus souvent la bouffonnerie, et la licence.

Sous le masque anonyme, les bourgeois s'encanaillent, et les nobles


jouent au peuple, non sans malice. Illusoire liberté provisoire,
comme par jeu.
Ou par leurre.

°°°

71
°

°°°

Une étiquette annonce le prix de la parure,


mais c'est une plaisanterie, bien sûr.
Sous le masque d'argent, lunaire,
la quête du pouvoir, des puissants courtisans.

72
Charme

Quand même, un jeu de séduction, - par ici mignonne, qui se cache


sous le vilain loup, pendant la fête, tout est permis ou presque, dès
la nuit tombée. L'envers du deuil, célébré le lendemain, et c'est
pourquoi les lendemains de fête sont parfois de réveil difficile.

Le déguisement annonce en clair le risque, la tromperie probable, la


tricherie avouée, qui n'est donc pas vrai mensonge, mais jolie
parure, et joyeux maquillage.
On ne peut s'y faire prendre par erreur, ni surprendre. La duchesse
joue les soubrettes, et l'inverse, personne ne s'y trompe, et chacun y
trouve son compte. Son bon plaisir.

Si le faussaire avait mis masque de faussaire, comment pourrait-on


le découvrir, c'est sans doute un honnête homme, non ? Il en a l'air.
Tellement candide.

°°°

73
°

°°°

Dans la galerie, s'amusant, Arlequin paré


de toutes les plumes du Paon, mais en sait-il le prix ?
En écho, sinistre, l'éclat d'un rire.

74
Comédie

Pas de fête sans bouffon, et le masque d'Arlequin, ancêtre vénérable


de la confrérie, méritait le détour.
Contrairement aux apparences, le personnage est déjà évoqué dans
l'antiquité, et c'est un mime rigolard, qui se moque des Romains, les
singe, en leur rappelant qu'eux aussi, ils vont mourir, pas
d'inquiétude, comme tout un chacun. Le costume, rapiécé, le visage
couvert de suie, on en trouve trace à Pompéi.
Plus tard, le mime se mue en cauchemar, et c'est le roi de l'enfer et
des démons, - Hell King, Hellequin, dont il tire son nom, - qui
menace les passants des feux de l'enfer, mais les invite à l'orgie.

L'arlequin de la commedia dell'arte est moins malin, serviteur


famélique, fainéant, crédule et ridicule. Le simplet est amoureux,
pour ne rien arranger.

Dans le carnaval classique, le personnage porte costume bariolé et


masque noir, ainsi qu'un gourdin.
Peut-être un lointain précurseur de Guignol, versant grivois.
Dans le carnaval moderne, la carotte et le bâton complètent la
panoplie.

°°°

75
°

°°°

D'onyx, de marbre noir, d'obsidienne,


de jeunes déesses, de touchantes princesses
gardent le silence, comme pour l'éternité.

76
Jeunesse

Est-ce princesse ou déesse, jeune fille ou garçon, qu'importe, son


masque dit la jeunesse, la beauté, et une certaine sérénité. Là
encore, un regard, un peu étonné, presque effrayé, et un sourire, à
peine esquissé.

La coiffe évoque l'Egypte ancienne, la main tient un rouleau, le


menton est posé, sur l'avant-bras, semble-t-il. Jeune vie, hommage
au vivant, et une question vient, - l'histoire s'est-elle arrêtée là, si
tôt ? Ou s'est-elle poursuivie, et comment ?
Le papyrus, fermé, n'en dira rien. Message comme suspendu,
précieux secret en attente d'un lecteur avisé, qui reprendrait le fil, là
où il s'est arrêté. L'original de cette oeuvre d'art serait au Caire, dans
un musée.

La jeune personne aurait bu, par inadvertance, un élixir d'éternelle


jeunesse, fatale erreur. Les enquêteurs sont sur la piste du
meurtrier. Et bien d'autres hypothèses restent à examiner. Roman
d'une jeune mortelle, dont la beauté semble éternelle, ou presque,
histoire à suivre...

°°°

77
°

°°°

D'un aussi long silence, que dire,


les paroles manquent,
immanquablement.

78
Mutisme

C'est un long cri réduit au silence. La forme du masque, stylisée,


yeux fermés ou presque, et bouche absente, ni bruit, ni parole, une
ombre bleutée joue sur les paupières, comme pour attirer le regard,
et masquer le manque de lèvres.

Impossible évidemment de mettre des paroles sur cet ouvrage


fermé, place au fantasme, le spectateur s'invente, en face de l'oeuvre,
une légende.

Silence, obscurité, contemplation, méditation...


Est-ce liberté intérieure, monacale, spirituelle, rêverie vague,
attente, ascèse ? Ou signe de révolte contenue, d'un baillon brutal,
une variante du cri.

Dans le reflet du métal, un doute étrange, comme mimétique.


L'art se fait secret, invitation à découverte, à interrogation.
Silence en attente.

°°°

79
°

°°°

Masque cosmique, sur un calendrier maya,


des visiteurs venus d'ailleurs, apparemment,
mais n'avons-nous rien inventé, en vérité ?

80
Cosmos

Dans la série des masques étranges, un curieux calendrier solaire


d'Amérique précolombienne, dont nous savons fort peu. Il y eut une
ou des civilisations, puissantes, complexes et raffinées, dont la
conquête espagnole n'a laissé que des traces.
Monumentales et infimes.

L'apocalypse a déjà eu lieu, pour les Mayas, fin des temps, monde
perdu, cycle clos.
La transcription laisse des vides, immenses.
L'oeil moderne se laisse alors aller à la rêverie, non ce ne peut être
un cosmonaute, c'est plutôt une déité exotique, autochtone, un
banal héros guerrier ou même l'image stylisée d'un astronome local.

Pré-scientifique, mais étonnant, quand même.

°°°

81
°

°°°

Masque pélagique, sur un bas relief antique,


des visiteuses devenues des terribles gardiennes,
mortel regard, en vérité ?

82
Mansuétude

Accueillante mégère, une accorte dormeuse veille sur le foyer,


masque inscrit dans la pierre au dessus de l'entrée. Les mauvaises
langues jasent, aussi, jasons. On la dit méchante vipère, mais c'est
pure vilenie. Elle a la douceur du poison, le charme de l'opium, elle
se pare de parfums captivants, mais discrets, ivresse légère en
apparence, et la paix règne dans les profondeurs de la maison.

Si cette vénérable image ne trônait pas au frontispice d'un honorable


palais, elle pourrait sans doute décorer la vitrine d'un apothicaire,
d'une société de gardiennage, d'un service de police, d'une maison
close, ou l'entrée d'un cimetière marin, la façade d'un monument à
la mémoire des marins disparus.

C'est un très vieux symbole, grec sans doute, dont le message est très
simple : "N'osez même pas y penser !", sinon vous pourriez réveiller
un formidable monstre, dont le regard mortel et fascinant vous
réduirait en poussière...

Mais c'est vous qui voyez, voyez-vous ?

°°°

83
°

°°°

Masque robotique, une visiteuse venue du futur,


pas si éloigné, ce futur, dans une ville impossible,
mais avons-nous rêvé, en vérité ?

84
Merveille

Après la veilleuse, mortelle bourgeoise, la merveilleuse nouvelle, un


masque daté des années 20, celles du XXème siècle, période qui fut
appelée l'entre-deux guerres, la première et la seconde, une
séquence exemplaire de l'histoire de l'humanité, toujours entre deux
guerres, et donc parfaitement prophétique.

Cette charmante figure préfigure un monde tout nouveau, et


forcément meilleur, à ce détail près qu'il sera proprement invivable,
ce qui prouve bien que la perfection est parfaitement mortelle, - ça
n'est pas nouveau, mais nous y courons quand même.

L'image emblématique qu'est la Statue de la liberté éclaire le monde,


certes, mais voyez son regard, incontestablement halluciné : elle
n'en croit pas ses yeux !

°°°

85
°

°°°

Le drame antique n'a pas cessé de se reproduire,


duplication à l'identique, en séries homothétiques,
changent les détails, à peine.

86
Théorème

Soit l'hypothèse, pas toujours vérifiée, que les mêmes causes


produisent les mêmes effets, alors la répétition des causes
fonctionne ou fonctionnerait comme un système de reproduction, de
réplication de l'information, en séries homothétiques à défaut d'être
identiques, et cette opération mimétique produirait des résultats
globalement similaires, à la nuance près.

Qu'il advienne dans la duplication quelque duplicité n'étonnera


personne, ni les informaticiens, ni les faussaires, ni les journalistes,
ni les éditeurs, ni les comédiens, ... et quelques autres artistes. Les
illusions ont de l'avenir, parce qu'elles utilisent le système
d'information, pour délivrer un message dont le contenu importe
peu, mais seulement son effet, légèrement trouble.

Voici un masque, parmi tant d'autres. Lèvres généreuses, bouche


fermée sur une moue plutôt qu'un sourire, dans le silence et
l'absence de parole, une légère déception, une attente déçue, voyons,
pourquoi ? Dans l'ombre stratégique du regard, l'absence fascine,
évidemment, parce qu'elle convoque les yeux du regardant, qui
cherche alors comme une réponse. Elle est ailleurs, dans l'invisible
surdité du spectateur, qui n'entend rien. En effet.

°°°

87
°

°°°

Garder les yeux ouverts,


ou variante, le regard d'un enfant,
le monde n'est pas de tout repos, de fait.

88
Religion

Prendre un peu de recul. Courage, fuyons. Toute cette splendeur, cet


art sophistiqué, ce décor aménagé comme un temple, pour signifier
le sacré, l'inaccessible, l'ineffable, la fabuleuse apparition d'un autre
regard, caché sous l'apparence, ce n'est rien d'autre qu'un système
d'information qui tente d'obtenir la réplication mimétique d'une
idéologie particulière, d'obéissance à une doctrine.
Peu importe la doctrine, en fait, si excellente soit-elle, l'effet
mimétique a une visée d'assujettissement, d'une part à une image
cachée, masquée, subliminale, et d'autre part, à un message
dominant : soyez donc comme un enfant, souvenez vous que vous
êtes un enfant.
Objectif : dépendance, soumission, asservissement, subordination, -
en fait l'obéissance demandée aux enfants, et l'accoutumance à la
servitude, pour les adultes en peine de libération, en attente d'une
vie meilleure...
Secte : système mimétique de domination; discrète manipulation
des esprits, à visée économique et sociale ; instauration d'une
dépendance de type addictif ; détournement des systèmes cognitifs,
déformation des capacités de jugement.
Section : en avant, marche !

°°°

89
°

°°°

Dans l'oeil de l'objectif, symétrique et inverse,


une image stable se forme et se déforme,
sur un écran semblable
à l'image de l'image,
songe et mensonge, facile illusion.

90
Parodie

Le corps social, en cohortes fonctionnelles, produit ses élites et ses


serviteurs, ses cadres et ses opérateurs, ses dirigeants et ses
techniciens, ses actionnaires qui actionnent, et ses salariés,
interchangeables grains de sel. De l'image que nous avons de la
réalité dépend notre capacité à participer à la distribution générale,
en y apportant notre utile contribution...

Cette image est-elle valide, fonctionnelle, utile ? Ou simple leurre ?


Examiner l'image que nous avons du robot, le travailleur idéal, la
machine presque parfaite, permet d'espérer une éventuelle réponse.
Mais l'important est peut-être de pouvoir poser la question.

Stéréoscopie mimétique, l'appareil capte une information


analysable, et si les conditions requises sont remplies, il produit un
message, autorisation accordée d'en rire, si le coeur vous en dit.

°°°

91
°

°°°

En regard de l'illusoire, sourire intérieur visible,


rire intérieur invisible, l'écho d'un souvenir en gestation,
perdu dans un épouvantable motif en abyme.

92
Algorithme

Vous disposez d'une image, présente, quelconque, elle représente un


élément pris dans un corpus d'information, pas toujours repérable,
ambigu, - ange ou démon, vrai ou faux ? La forme en elle-même,
grains de lumière, traces de couleurs, décore une surface, s'inscrit
dans un espace, parfois virtuel. Copie conforme, ou authentique
original, un indice existe, pas toujours identifiable.

Le producteur, l'artiste ou l'artisan, quand il en réalise les traits, les


ombres, les rendus, invente une réponse, une réplique, à une
demande ou une commande, il tente d'obtenir satisfaction dans
l'esprit du client, et la sienne propre, s'il y parvient.

Le spectateur, le client, le demandeur, le regardant, est comme


voyeur pris dans une histoire qui ne le regarde pas, et le voici,
interloqué, interpellé, ou collectionneur blasé, indifférent, invité
cependant à percevoir le sens d'un travail antérieur, production ou
reproduction, oeuvre accomplie ou pâle copie.

Il interprète alors à son tour, les signes que l'image lui offre,
identifie un masque, un écran, un message. Au choix, ici, - sérénité,
bonheur, sourire, calme, richesse, plénitude, fraternité, compassion,
sagesse, bienveillance, partage, prière, bénédiction, sommeil,
maîtrise, illusion, ... ou bien d'autres, et leur exact contraire.

Le voilà pris au piège de la culture commune, de la mimétique


sociale, et libre d'ailleurs de l'agréer ou de la refuser. Et maintenant,
remplacez cette image par celle d'un billet de cent dollars, disons, ou
quelque valeur équivalente, et voyez.

Inestimable algorithme, et très antique magie.

93
°

°°°

94
°

°°°

Ceci n'est pas un chat, ni quelque félin exotique,


mâle ou femelle,
c'est un assemblage approximatif de pixels,
un masque muet en cache un autre,
comme un écran supplémentaire,
comme une histoire sans fin.

95
Conte

Version brève. Il était une fois un merveilleux royaume, dont les


habitants vénéraient les chats, et s'en trouvaient fort bien. Hélas, le
royaume voisin, tout aussi puissant et merveilleux, vénérait les
chiens, nobles chasseurs, bons bergers, et s'en trouvait fort bien.
Que croyez-vous qu'il arriva ?

Bestiaire de la planète, archétypes rémanents, - un aigle, un coq, un


ours, un panda, un bélier, un mouton, un chameau, un bison, une
louve, un tigre, une chouette, une belette, un cheval, un cobra, une
vache, un bouquetin, un éléphant, un taureau, un sanglier, un lion,
une loutre, un furet, un scarabée, une gazelle, et même une licorne.
Emblèmes, symboles, blasons, signes et insignes, d'appartenance et
donc d'exclusion.
On en oublierait ceux qui vénèrent une pierre, un buisson, un arbre,
une source, un livre, une croix, une roue, un sceptre, un drapeau,
une épée, un métal, une fleur, un épi, une vigne, une couronne, une
étoile, une planète, un moulin, et qui sait quoi encore.
Que croyez-vous qu'il arriva ?

°°°

96
°

°°°

Un ange passe, un angelot, un lutin, un diablotin,


une légende.
Dans le silence chuchotent quelques tremblements,
cris, borborygmes, grognements,
comme l'annonce d'une terrible fin.

97
Zygomatique

A celui qui la regarde, l'image impose son propre regard, une vision,
en somme. Le masque annonce de plus qu'il est un simulacre, une
visible supercherie, derrière laquelle se cache une intention discrète,
un certain charme, un mystère ouvertement mystificateur. Ceci n'est
pas un loup, c'est un masque. Ceci n'est pas une pipe, c'est un
tableau, ceci n'est pas un angelot, c'est un silence, sans l'ombre d'un
soupir.

Soupçonnant une illusion, le regardant, averti ou méfiant, aperçoit


parfois la cacophonie, le bruit sous-jacent, le sous-entendu, pas
toujours bienveillant.

Candide, l'ignorant qui joue les innocents, s'en tient au premier


coup d'oeil, il évite ainsi bien des complications, sourire béat, l'air
pas trop malin.

Le parti-pris d'en rire, pirouette, pas si bête.

°°°

98
°

°°°

Ceci n'est pas un monstre issu de la mythologie


universelle,
c'est un assemblage approximatif de signaux,
dont le silence discret évoque un cri, un rire féroce,
ou le soulagement secret d'échapper aux légendes.

99
Distinction

Sous le masque angélique, bonne nouvelle, rien de grave, rien de


neuf. Rien qui mobilise l'attention, l'ordinaire, les pauvres tirent eux
le diable par la queue, banal.

Ainsi, il y aurait ceux qui ne savent pas ce qu'ils disent, et ceux qui
ne savent pas ceux qu'ils font, et font ce qu'on leur a dit, mimétiques
marionnettes. Pire, ceux qui croient savoir, et propagent la bonne
parole, sèment le vent, et n'imaginent pas la tempête.
Pauvres pantins ?

Bref, tout va bien.


Ainsi va l'information, sorte de mise en forme, en somme.
Comme la liberté, elle éclaire le monde, sans doute,
et c'est assez terrible.

°°°

100
°

°°°

Mille variantes, mille visages, mille sourires,


et tant de regards...
Puis celui-ci, aléatoire, improbable, distant, présent,
comme un message dubitatif, de compassion, d'humanité,
ou de sagesse, allez savoir. Et pourtant, c'est une image.
Ni plus, ni moins. L'image d'une image, en fait, illusoire.

101
Béance

Le secret visible de l'image, c'est qu'elle est donnée, offerte, ouverte


au partage, comme un don presque gratuit, et destiné à qui veut le
recevoir. Elle crée un espace virtuel d'échange, comme une
invitation à qui voudra bien s'y laisser prendre, ou s'y laisser aller.
Entrez donc, et voyez ma belle marchandise.

Le masque ajoute à cette promesse possible un regard virtuel et une


bouche, grimace ou sourire, en lieu et place de paroles manquantes.
Les yeux se portent alors sur le regard, ou plutôt sur la relation, le
lien qu'il indique. Distance focale, et flou aux alentours, image
trouble parfois roublarde, voyez la main tendue. Ou voyez le sourire,
séraphique, légèrement forcé, à force de patience, d'expectative.
Généreux sourire, un peu ébahi de tant de générosité.

Un discret strabisme, à peine sensible, suggère une vision encore


plus large, musique des sphères. Au delà de la lumière, un mur, et
dans l'ombre, le vide profond de la nuit. Le retour attendu du
message, en effet.

°°°

102
°

°°°

Petit bipède, aux grands yeux doux,


au sourire un peu dubitatif,
il semble dans l'expectative, vigilant, éveillé, tranquille.
Est-ce le descendant de l'un de nos ancêtres ?
Ou l'un de nos futurs descendants, qui sait...

103
Extinction

Chaînage du vivant, le prédateur dépend de la survie de ses proies,


chaque groupe dépend de ses fournisseurs, comme de ses clients,
chaque famille dépend de ses voisins et de ses cousins, et l'un ne
vivrait pas sans l'autre, le citadin sans le paysan, le Franc sans le
Germain, et ainsi de suite.

Nous dépendons. Nos vies dépendent de la survie des forêts et des


rivières, des glaciers et des marais, des champs et des bois, des
abeilles et des passereaux.
Et chaque fois que nous l'oublions, avance le désert.

Sous le masque du vivant, la disparition, et la substitution, il y avait


du vivant, et qu'est-il devenu, remplacé par quoi ? Sept milliards de
fourmis pleurent les scarabées, et leur extermination. Fortuite ?

°°°

104
°

°°°

Une antique reine admire les petits singes,


souriante, douce, un peu rêveuse, sans doute.
Distante, présente, nostalgique, sa légende ne dit pas
la suite de l'histoire, et pourtant...

105
Delta

Des fleuves proviennent les civilisations, les villes dépendent de leur


ressource en eau potable, et pour vingt pour cent, l'oxygène que
nous respirons provient d'Amazonie. Et des forêts himalayennes
dépend l'avenir du Bengladesh, entre autres.

Le Nil, l'Amazone, le Mississipi, le Yang-Tsé, le Huang Ho, le


Congo, le Sénégal, et le Niger, le Tigre et l'Euphrate, l'Ob et la
Volga, l'Indus, le Gange, le Brahmapoutre, le Yukon, le Saint-
Laurent, le Danube et le Zambèze, l'Oural et le Colorado,
l'Ienissei, la Léna, le Mékong, - sans oublier l'Amour , le Don,
et la Rivière des perles, ...

Mais aussi le Krishna, le Rhin, la Loire, le Tibre, le Tage, le


Rio Bravo, le Tennessee, la Vistule, l'Okavango, le Jourdain,
et quelques autres.

Sur les bords du fleuve, un berceau, abandonné au fil de l'eau.


Un peu plus tard, le désert.

°°°

106
°

°°°

Reine ou princesse, elle côtoie le pouvoir,


et l'exerce même,
moins longtemps que son image ne dure, et perdure
malgré les vents de sable.

107
Héritage

Nous avons semé, de civilisation en civilisation, quelques cailloux


dans le désert, la forêt, les montagnes, et sur le bords des fleuves,
des côtes, quelques ruines, oubliées, parfois. Nous avons tracé des
routes, des murailles, des frontières, des forteresses, des digues, des
ponts, des citadelles, des temples, des cathédrales, des mosquées,
des villes, des marchés et des centres commerciaux.

Toutes ces productions de l'humain, pour manifester son pouvoir


d'ordonner le monde, et d'y prendre place. Nous avons dressé des
statues, des monuments, des temples, gravé des portraits, et peint
des paysages. Ecrit et publié des montagnes de livres, de textes, de
documents, de traités.

Patrimoine de l'humanité. Insondable sépulture.


Ce qu'il en reste, étonnante survivance du passé, c'est le masque de
ce que nous avons détruit, rasé, dévasté, ruiné, pillé, exploité, tué,
brûlé, rayé de la carte, exterminé. Sans doute, nous n'avons jamais
cessé. Et toujours recommencé.

Etrange persévérance, toujours d'actualité, la folie mortifère.


Et le rêve de s'en débarrasser, enfin. Délivrance.

°°°

108
°

°°°

Regard inconnu, visage de même,


forme grise, légende ignorée, énigme,
pas d'image sans histoire, ni sans invention.

109
Question

Retour sur ce regard, à nouveau, qui réclame l'attention, tente de


capter l'inconnu, et lui donne un aperçu spéculaire, une image vide.

Vertige, qui donc est-il, est-elle, et donc qui suis-je ? Devinette.


Les yeux ouverts, intensément sur l'horizon, un veilleur dans la
nuit, mais qu'espère-t-il discerner ? Connaître l'inconnu, l'avenir, le
danger, ou la suite de l'histoire, apercevoir une lumière, une étoile,
une voile, blanche ou noire, vigilance, incertitude, attente, qui sait...

Ainsi, nous réinventons des légendes, là où elles semblent manquer,


nous imaginons un autre là où il n'y a personne, nous fabriquons
des réponses, avant même d'avoir la moindre idée de la question.

Immobile, l'image de ce masque de visage dévisage le passant, très


sagement. A vrai dire, il ne voit rien, ne dit rien, et n'entend rien,
parfaite expression vide de la vacuité, de la surdité, de la mutité, de
la cécité. Et donc ?

°°°

110
°

°°°

Et pourtant, sans aucun texte, ni précision,


un simple dessin retrouve parfois son auteur,
le style fait signe, sauf erreur, une esquisse pour Léda.

111
Adolescence

Rêverie intime, quelques traits forment un style, et le dessein du


maître traverse le temps, d'emblée reconnaissable. Il y a quelque
scandale, invisible et présent, pourtant, dans la reprise d'une
légende, où les dieux séduisent les humains, et l'inverse, par grâce et
candeur, semble-t-il.

Transcription d'une pensée magique, le portrait mobilise le regard,


l'imagination, et ce curieux silence marqué d'un demi-sourire.
Non-dit, charme ensommeillé, vibrations figurée d'un autre temps,
d'un contre-jour, le spectateur est convié, convoqué, en deux lieux
imaginaires et impossibles à la fois : la divine jouissance, d'une part,
la jubilation discrète, réservée, intériorisée, d'autre part.

Ou encore, sérénité, plénitude, et comme une sollicitude juvénile qui


situe le spectateur ou la spectatrice dans quelque scabreuse position.
Et le charme de l'esquisse provient alors du fait de son
inachèvement.
De ses virtualités.

°°°

112
°

°°°

Clin d'oeil, sous le masque, l'absence.


Sous l'absence, la mémoire, le souvenir, le geste.
Et plus loin, une légende, parfois.

113
Fantasmatique

Médiocre montage, le masque joue à faire semblant, et s'amuse,


parfois, à laisser croire qu'il y a une autre réalité, plus vraie, sans
vraiment y parvenir. C'est donc que la réalité serait elle-même un
masque, pourrait-on croire. Qu'en est-il ?

Le cliché désigne dans le masque deux béances, deux manques, trop


visibles pour être honnêtes. Le fameux regard, ouvert sur le champ
entier des spectateurs, et le fameux sourire, esquissé pour signifier
un discret secret, n'y sont plus.
Détachés, déformés, effacés.

Démasquer le visage de la réalité, qui figure ici une certaine Mona


Lisa, induit alors de faire disparaître, par un tour de passe-passe,
montage et trucage visibles, le visage lui-même, dans sa totalité.

Cette absence n'est pas dévoilée, impossible, mais au contraire,


réalisée, actualisée, matérialisée.
Pour laisser place alors à la fantasmagorie foisonnante de variations
innombrables. Etonnant pouvoir, quand même...

°°°

114
°

°°°

Fragile indice, entre l'ombre et la lumière, la pénombre,


et le moindre degré change à la fois l'image et le message.
Fragile, la forme, qui peine à dire l'histoire qu'elle porte,
sauf pour celle ou celui qui la reconnaît,
et voilà que son regard s'éclaire.

115
Implosion

La presse, la science, la modernité n'ont de cesse de démasquer


l'ignorance, et c'est à quoi servent les médias, et la société
d'information et de communication qu'ils annoncent. La médiologie
est donc née, de ce constat, et de la nécessité d'y attribuer un corpus
savant. Le savoir tente toujours de servir le pouvoir, comme chacun
sait, si bien que nous disposons désormais d'une médiocratie
généralisée, et même d'un quatrième pouvoir, ou contre-pouvoir, au
choix.

Sous le masque du discours, l'illusion du consensus, pour cacher le


système propriétaire, et l'exalter du même coup.
Hélas, le dit système dysfonctionne, allègrement.
Nuisible. Aveugle, et sourd, à défaut d'être muet, suicidaire. Létal.

Il ne survit qu'en maintenant l'humanité entière sous la menace de


mort, hold-up permanent, pillages et trafics divers, agrémentés il est
vrai, de quelques mystifications.
Funeste farce. Sinistre carnaval.

°°°

116
°

°°°

Loin dans la nuit des temps, quelques signes demeurent


il y eut de l'intelligence, de l'élégance, de la patience,
et quelques traces d'humanité, étrange certitude,
exemplaire.

117
Base

Chef d'oeuvre menacé de disparition.


Impensable, mais pas sans conséquence.
Quelques terroristes en général introuvables ont nommé leur
mouvement fantomatique La Base, ce qui désigne ce à quoi ils
s'attaquent, en désespoir de cause. Parfait prétexte. Imparable
logique systémique, d'interaction cumulée, et d'auto-renforcement
des contraires. Synergie de la haine et de la peur. Conflagration
promise en cours.

Fragile, immobile, inanimé, le masque garde trace d'un visage, d'un


regard, d'un sourire, d'une quête, ou d'une question, sans réponse
parfois, invitation intemporelle à poursuivre l'histoire, à en inventer
la suite, voire la légende. Existe-t-il une (autre) alternative ?
Une alternative ?

Ainsi, il y eut des humains, des nobles, des sages, des bouffons, des
pitres, des esclaves, et sans doute quelques guerriers. Il y eut des
trésors et des pillages, des massacres et des horreurs, innommables,
innombrables.

Et pourtant une seule humanité, en devenir.

°°°

118
°

°°°

Loin dans la nuit des temps, il reste quelques signes


- est-il possible qu'il y ait eu des humains,
qu'ils aient produit quelque hommage incertain
à quelque être vivant, certainement humain ?

119
Ouverture

Origine. Commencement. La nature entière, semble-t-il, chante la


vie, et sa splendide exubérance. Jubilation. Seuls, nous avons
inventé la sépulture, le cérémonial mortuaire, le deuil, les rites
funéraires, et le recueillement qui accompagne les disparus.
Dernier hommage au vivant qui n'est plus, requiem.

Nous avons cultivé la mémoire, pour nous souvenir des vivants, de


leurs trouvailles ou de leurs exploits, de leur rire ou de leurs chants,
envolés, sinon.

Le masque mortuaire dit parfois le prix du vivant, et combien l'être


humain est précieux, tant la vie est fragile, éphémère, fugace. Mais
aussi l'effroi terrifié de connaître une limite indéfinie, un obstacle
infranchissable. La fin du temps.

Une autre histoire commence alors, et comme un point de départ, il


existe un passé, et dès lors un avenir.

En forme d'hypothèse.

°°°
°°°
°°°

120
°
Index des mots-clés

°°°

Adolescence Funérailles Nuance


Algorithme Galerie Ouverture
Apparence Géographie Oxymore
Base Héritage Parodie
Béance Hommage Pouvoir
Carnaval Humanité Question
Charme Icône Réjouissance
Comédie Implosion Religion
Conscience Invention Résonance
Conte Jeunesse Sagesse
Cosmos Liberté Scène
Décision Lumière Spectacle
Delta Lustre Théorème
Diablerie Magie Trésor
Distinction Mansuétude Utopie
Equité Mausolée Veille
Extinction Merveille Voisinage
Fantasmatique Mirage Voyage
Folie Mutisme Zygomatique
Fulgurance Naïveté

°°°

Ce texte est une maquette en cours d'élaboration,


et n'a donc rien de définitif.
N'hésitez pas à nous signaler les erreurs, elles sont inévitables...
Vos commentaires, critiques et suggestions, sont les bienvenus.
Par avance, merci.

°°°

121
:: LE VOY[AG]EUR INNOCENT

Derrière l'apparence, y aurait-il à voir ou à entendre une autre


réalité, quelque secret d'autant mieux gardé qu'il est offert à tous les
regards ?

Démasquer les impostures est souvent jubilatoire, et juste désir de


justice. Le travail ne manque pas, à voir les mythes qui nous
gouvernent. Guignols et bouffons, que nous applaudissons.
En suivant le fil de l'enquête, on découvrira de jeunes beautés
exotiques, agrémentées de curieux silences, un cosmonaute, une
sorcière, un robot, un algorithme, un conte, et même un théorème.
Puis le fascinant regard d'un enfant caché. Encore !

Parcours dans les galeries quasiment infinies, et quelques


découvertes, savoureuses parfois. Travail sur le masque, et ce qu'il
cache et dévoile, du même coup. Voyage, aux limites de
l'éblouissement. Exploration patiente, c'est un carnet de notes
improvisées, comme un mémento de nos lacunes communes.

Quelques trésors, quand même, parmi les plus fabuleux. Et quelques


méprises, qui avoisinent la très banale mystification. Démonter
alors les images du pouvoir, qui joue de l'ignorance, apprendre l'art
difficile de l'innocence, sans céder à l'angélisme, vaste programme...
Pourtant, l'humanité dispose d'un patrimoine immense, et de
quelques illusions spectaculaires et précieuses. Risibles, même.

Quand les mots manquent, nous avons inventé quelques belles


images, pour masquer le désarroi, la détresse. Ces images nous
trompent, certes, ironique retour des choses. Mascarade. Mais voyez
par vous-même. Ne sommes-nous pas à la fois les acteurs et les
spectateurs de cet étonnant théâtre ?
Voyez à quoi nous jouons, depuis la nuit des temps...

°°°

122

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