Professional Documents
Culture Documents
DE LA PERSONNALITE
ET DU COMPORTEMENT
Carl R. Rogers
Les propositions.
III- L'organisme réagit comme une totalité organisée à l'égard de ce champ phénoménal. 6
VI- L'émotion accompagne et facilite en général un tel comportement dirigé vers un but, le
type d'émotion étant en rapport avec la recherche à l'encontre des aspects de
consommation du comportement, et l'intensité de l'émotion étant en rapport avec la
signification perçue du comportement à l'égard du maintien et du rehaussement de
l'organisme. 10
VII- Le meilleur angle de vue pour comprendre le comportement est celui qui se situe au
niveau du cadre de référence interne de l'individu lui-même. 11
VIII- Une partie du champ perceptif total sera progressivement différenciée pour
constituer le Moi. 13
IX- C'est en tant que résultat d'interactions avec l'environnement, et plus particulière -ment
en tant que résultat d'interactions évaluatives avec d'autres, que la structure du Moi se
forme comme un schéma conceptuel organisé, fluide mais consistant des perceptions, des
caractéristiques et de s relations du "Je" ou du "Moi", ensemble avec des valeurs attachées
à ces concepts. 14
X- Les valeurs attachées aux expériences et les valeurs qui font partie de la structure du
Moi sont pour certaines des valeurs directement expérimentées par l'organisme, et pour
d'autres des valeurs introjectées ou empruntées aux autres mais perçues d'une manière
déformée, comme si elles avaient été expérimentées directement. 14
XI- Au fur et à mesure que les expériences se présentent dans la vie de l'individu, elles sont
: 18
ou pourvues d'une symbolisation déformée parce que l'expérience n'est pas compatible avec
la structure du Moi. 18
XV- L'adaptation psychologique existe lorsque le concept du Moi est tel, que toutes les
expériences sensorielles et viscérales de l'organisme sont, ou pourraient être assimilées sous
une forme symbolique à une relation avec le concept du Moi. 24
XVI- Toute expérience qui est incompatible avec l'organisation ou la structure du Moi, peut
être perçue comme une menace, et plus il y a de telles perceptions, plus la structure du Moi
s'organise de manière rigide pour se maintenir elle-même. 26
XVII- Dans certaines conditions, notamment lorsqu'il n'y a aucune menace pour la
structure du Moi au départ, des expériences en dépit de leur incompatibilité avec celle-ci,
seront perçues et examinées, et la structure du Moi sera révisée pour assimiler et incorporer
de telles expériences. 27
XVIII- Lorsque l'individu perçoit et accepte toutes ses expériences sensorielles et viscérales
à l'intérieur d'un système intégré, il devient nécessairement plus compréhensif à l'égard des
autres et il lui est plus facile d'accepter les autres comme des individus séparés. 29
Il faut reconnaître que, de ce monde personnel d'expérience de l'individu, seule une partie,
et probablement une partie infime, fait l'objet d'une expérience consciente. Quantité de nos
expériences sensorielles et viscérales ne sont pas symbolisées. Mais il est vrai aussi qu'une partie
importante de ce monde d'expérience est accessible à la conscience, et peut devenir consciente si
le besoin de l'individu donne à certaines sensations une prédominance du fait qu'elles sont
associées avec la satisfaction de ce besoin. En d'autres termes, la majorité des expériences de
l'individu constitue le "fond" du champ perceptuel, mais celles-ci peuvent facilement devenir
"figure", alors que d'autres expériences se résorbent dans le fond. Nous allons traiter plus tard les
expériences que l'individu empêche de devenir figure.
il s'agit ici d'une simple constatation, que nous avons tous pu faire dans notre vie, pourtant
c'est un point auquel on ne prête pas forcément attention. Je ne réagis pas à une sorte de réalité
absolue, mais à ma propre perception de cette réalité. C'est cette perception qui est pour moi la
Cette proposition peut être illustrée par l'expérience quotidienne de chacun. Prenons deux
individus qui écoutent à la radio le discours d'un candidat politique dont ils n'ont aucune
connaissance préalable. Ils sont tous les deux soumis à la même stimulation auditive. Pourtant
l'un perçoit le candidat comme un démagogue, un charlatan, un faux prophète et réagit
conformément. L'autre le perçoit comme un leader populaire, une personne dont les buts et les
propos sont élevés. Chacun réagit à la réalité telle qu'il la perçoit. De la même façon, de deux
jeunes parents chacun perçoit le comportement de leur progéniture différemment. Le fils et la
fille ont des perceptions différentes de leurs parents. Et le comportement dans tous ces cas est
approprié à la réalité-telle-qu'elle-est-percue. Cette proposition se démontre également dans des
conditions, disons, anormales. Le psychotique qui perçoit que sa nourriture est empoisonnée, ou
qu'un groupe de gens mal-intentionnés l'attend dehors pour l'attraper, réagit selon sa réalité à lui,
exactement de la même façon que vous et moi nous réagirions, si nous nous rendions compte (de
manière plus 'réaliste') que notre nourriture est empoisonnée, ou que nos ennemis sont en train de
comploter contre nous.
Pour comprendre ce concept: à savoir que pour l'individu, ses perceptions sont la réalité,
nous pourrions avoir recours à une métaphore empruntée aux sémanticiens. Ceux-ci ont fait
remarquer que les mots et les symboles entretiennent avec la réalité le même rapport qu'une carte
géographique avec le territoire qu'elle représente. Cette relation s'applique aussi à notre
perception de la réalité. Nous vivons en nous servant d'une "carte perceptive" qui n'est jamais la
réalité elle-même. Il s'agit là d'un concept utile à garder dans l'esprit, car il peut nous servir à
transformer la nature du monde dans lequel l'individu vit.
Bien que notre propos n'exige nullement de définir un quelconque concept absolu de la
réalité, il faut cependant tenir compte du fait que nous vérifions constamment nos perceptions les
unes par rapport aux autres, ou nous les additionnons entre elles, afin qu'elles deviennent des
guides plus fiables à l'égard de "la réalité". Par exemple, je vois du sel dans un plat. Ceci est à cet
instant la réalité. Si je goûte le plat, et le goût est salé, ma perception ne fait que se confirmer.
Mais s'il a un goût sucré, toute mon interprétation de la situation est changée, et ma perception
aussi bien visuelle que gustative me fait dire que cette substance est du sucre. Ainsi toute
perception est essentiellement une hypothèse - une hypothèse en rapport avec les besoins de
Que le champ personnel soit la réalité à laquelle l'individu réagit se confirme souvent de
manière stupéfiante dans la thérapie, où nous assistons fréquemment à la démonstration que, si la
perception change, la réaction de l'individu change. Par ailleurs, aussi longtemps qu'un parent est
perçu comme un individu dominateur, c'est en fonction de cette réalité que l'individu va réagir.
Lorsqu'il est perçu comme une personne plutôt pathétique, s'efforçant de maintenir son statut,
alors la réaction à l'égard de cette nouvelle "réalité" sera assez différente.
Bien que certains continuent à s'intéresser en premier lieu à des réactions organiques du
type segmenté ou atomisé, on peut constater une acceptation de plus en plus générale du fait,
qu'une des caractéristiques les plus fondamentales de la vie organique, est la tendance à réagir de
manière globale, organisée et orientée vers un but. Ceci est vrai en ce qui concerne les réactions
essentiellement physiologiques, comme de celles que nous appelons psychologiques. Prenons un
sujet comme celui du maintien de la balance d'eau dans le corps. On sait que celle-ci est
habituellement maintenue par l'activité du lobe postérieur de la glande pituïtique qui, lorsque le
corps perd de l'eau, secrète davantage d'une hormone anti-diurétique, réduisant ainsi l'évacuation
de l'eau par les reins. Cette réaction appartient incontestablement au type atomisé, étant
réductible en dernière analyse à des facteurs purement chimiques. Mais lorsqu'on enlève pour des
raisons expérimentales, le lobe postérieur, l'animal boit de grandes quantités d'eau et arrive à
maintenir néanmoins une balance d'eau satisfaisante, en dépit de la disparition du mécanisme
régulateur. C'est donc la réaction globale, organisée, orientée vers un but qui paraît fondamentale,
puisque le fait qu'une avenue soit bloquée, n'empêche pas l'animal de s'organiser pour utiliser une
autre avenue qui conduit au même but. Ceci s'applique à divers phénomènes physiologiques de
compensation.
La tendance orientée vers un but que nous voulons décrire, est indéniable dans la vie de
l'organisme individuel depuis la conception jusqu'à la maturité, quel que soit le niveau de la
complexité organique. Elle apparaît également avec évidence dans le processus d'évolution, la
direction étant définie par la comparaison de la vie en bas de l'échelle de l'évolution avec des
catégories d'organismes qui se sont développées plus tard, ou qui sont considérées comme plus
avancés au niveau du processus de l'évolution. Ainsi, pour définir cette tendance directionnelle
avec le plus d'exactitude, il suffit de comparer l'organisme non-développé avec l'organisme
développé, l'organisme simple avec l'organisme complexe, l'organisme ancien ou situé en bas de
l'échelle de l'évolution avec l'organisme qui s'est développé plus tardivement et qui est considéré
comme plus évolué. Quelles que soient les différences globales qu'on trouve, elles confirment la
nature téléologique de la tendance fondamentale que nous postulons.
Notre expérience en thérapie nous a amené à donner à cette proposition une place
prépondérante. Le thérapeute s'aperçoit très vite qu'il ne peut s'appuyer au fond que sur la
tendance évolutive de l'organisme humain. C'est évident non seulement en ce qui concerne la
tendance générale qu'ont les clients à avancer en direction de la croissance lorsque les facteurs de
la situation sont clairs, mais cela se manifeste de manière dramatique dans des cas très graves où
l'individu est sur le point de devenir psychotique ou de se suicider. Dans ce cas, le thérapeute est
très impérativement conscient que la seule force sur laquelle il peut compter au fond, est la
tendance vers la croissance continue et vers la valorisation. Quelque chose de notre expérience a
été résumé par l'auteur d'un article paru précédemment, que voici:
"Quand j'étudie, avec tout le sérieux possible, les cas cliniques enregistrés qui sont si
révélateurs de la dynamique personnelle, je trouve quelque chose qui me paraît très significatif.
Je trouve que le besoin d'un plus haut degré d'indépendance, le désir d'une intégration auto-
déterminée, la tendance à avancer même au prix de la souffrance vers une maturité socialisée,
est aussi fort que - non, même plus fort que - le désir d'une dépendance confortable, le besoin de
s'appuyer sur une autorité extérieure pour des besoins de sécurité... Cliniquement parlant, je
pense qu'on a prouvé que, même si l'individu reste dépendant parce qu'il l'a toujours été, ou
tombe dans une dépendance sans se rendre compte, ou peut avoir temporairement envie d'être
dépendant parce que sa situation semble désespérée, je cherche en vain l'individu qui, lorsqu'il
examine sa situation à fond, et sent qu'il en a une perception claire, opterait délibérément pour la
dépendance, choisirait délibérément qu'un autre se charge à sa place de la direction intégrative
de lui-même. Quand tous les éléments sont clairement perçus, la balance semble pencher
invariablement du côté de la voie pénible mais ultimement bénéficiaire de l'auto actualisation ou
de la croissance".
il reste un problème qui n'est pas correctement résolu par cette proposition: à savoir la
question, "Pourquoi les facteurs de choix doivent-ils être clairement perçus pour que la tendance
évolutive puisse opérer ?" Il semblerait que tant que l'expérience n'est pas symbolisée de manière
adéquate, tant que les différentiations qui conviennent ne sont pas faites, l'individu confond le
comportement régressif avec un comportement auto-valorisant. Cet aspect sera discuté plus en
avant dans la Proposition XI et la suite.
Nous sommes obligés de modifier cette proposition quand il s'agit de l'organisme humain,
comme nous allons le voir à propos du développement du Moi. Mais considérons la d'abord telle
qu'elle s'applique aux organismes en général, et au petit enfant avant que le Moi ne commence à
jouer un rôle important dans la régulation du comportement.
Tous les besoins sont interconnectés à la base, Si nous acceptons la Proposition IV, dans
la mesure où ils procèdent de, et se réfèrent à la tendance à maintenir et à rehausser l'organisme.
Ces besoins se manifestent en tant que tensions physiologiques qui, quand on les expérimente,
forment la base du comportement qui semble destiné, du point de vue fonctionnel (et non
conscient) à réduire la tension, à maintenir et à rehausser l'organisme. Le besoin ne fait pas
nécessairement l'objet d'une expérience consciente, il y a apparemment différents niveaux à
considérer. Lorsque nous avons faim par exemple, des contractions stomacales se produisent qui,
habituellement, ne sont pas ressenties directement, mais l'excitation ainsi déclenchée que nous
expérimentons en dessous du niveau conscient, produit néanmoins un comportement déterminé
par la quête de la nourriture, ou qui, au niveau conscient, est symbolisé comme "j'ai faim.3
On peut poser la question de savoir Si tous les besoins ont leur origine dans des tensions
physiologiques ? Les besoins d'affection et d'accomplissement de soi, par exemple, qui semblent
avoir une relation significative avec le maintien et le rehaussement de l'organisme, sont-ils
biologiquement fondés ? Nous pourrions tirer profit d'une recherche bien menée sur ce point. Le
travail de Ribble et d'autres semble indiquer que le besoin d'affection est un besoin
physiologique, et qu'un nourrisson privé du contact physique intime dont il a besoin avec une
personne maternelle, est laissé dans un état de tension physiologique d'insatisfaction. Si cela est
vrai pour le nourrisson, alors il est facile de voir que ce besoin, comme tous les autres, sera
élaboré et canalisé au moyen d'un conditionnement culturel, pour devenir un besoin qui ne sera
Une théorie de la personnalité et du comportement page 9
plus que très vaguement rattaché aux tensions physiques sous jacentes. Il faudrait faire beaucoup
plus de travaux dans ce domaine avant de connaître le fond du problème.
Rappelons que le comportement est postulé ici comme une réaction à l'égard du champ
perceptif du sujet. Ce point, au même titre que d'autres propositions, se trouve vérifié chaque jour
dans notre expérience, mais il est souvent négligé. La réaction ne s'adresse pas à la réalité, mais à
la perception de la réalité. Un cheval, sentant le danger, essayera de retrouver sa sécurité dans un
lieu sûr, qui est pour lui son écurie, même Si la grange est en flammes. Un homme au milieu du
désert va lutter avec autant d'acharnement pour atteindre le "lac" qu'il perçoit dans un mirage, que
pour atteindre un vrai trou d'eau. A un niveau plus complexe, un homme peut se démener pour
gagner de l'argent, parce qu'il voit dans l'argent une source de sécurité émotionnelle, même Si en
définitive, celui-ci ne satisfait pas son besoin. Il va de soi que la perception entretient souvent un
haut degré de correspondance avec la réalité, mais il est important de reconnaître que c'est la
perception, et non la réalité, qui est cruciale pour déterminer le comportement.
Pour ce qui est du concept de la motivation, tous les éléments effectifs existent dans le
présent. Le comportement n'est pas "cause par quelque chose qui aurait eu lieu dans le passé. Les
tensions présentes et les besoins actuels sont les seuls que l'organisme s'efforce de réduire ou de
satisfaire. Bien qu'il soit vrai que l'expérience passée a certainement modifié la signification qui
sera appliquée aux expériences présentes, il n'y a de comportement que s'il y a un besoin actuel.
Dans cet effort engagé dans la recherche d'un but, qu'on appelle le comportement, quelle
est la place de l'émotion, du ressenti, des attitudes émotionnelles ? Une réponse succincte ne peut
comporter que des inexactitudes, cependant la proposition V pourrait fournir un cadre pour notre
réflexion. Nous pouvons considérer que les émotions se divisent fondamentalement en deux
groupes, à savoir le ressenti désagréable et/ou excité, et les émotions calmes et/ou de satisfaction.
Le premier groupe accompagne plutôt l'effort de recherche de l'organisme, et le second
accompagne la satisfaction du besoin, l'expérience de la consommation. Le premier groupe
semble avoir pour effet d'intégrer et de concentrer le comportement en fonction du but, plutôt que
d'avoir l'effet désintégrateur que lui prêtent certains psychologues. Ainsi, la peur accélère
l'organisation de l'individu dans le sens qu'il puisse échapper au danger, et la jalousie compétitive
lui permet de concentrer ses efforts pour se surpasser. Leeper a formulé ce point plus
complètement.
Nous avons énoncé et discuté jusqu'à présent ces deux propositions comme si le
comportement avait à voir avec le maintien et le rehaussement de l'organisme. Comme nous
allons le voir dans les propositions qui suivent, le développement du Moi nécessite quelques
modifications à cet égard, puisque le comportement est alors défini comme allant à la rencontre
des besoins du Moi, qui sont parfois contraires aux besoins de l'organisme, et l'intensité
émotionnelle étant davantage influencée par le degré d'implication du Moi que par le degré
d'implication de l'organisme. Cependant, en les appliquant aux organismes infra-humains ou au
nourrisson humain, les Propositions V et VI paraissent se tenir.
VII- Le meilleur angle de vue pour comprendre le comportement est celui qui se
situe au niveau du cadre de référence interne de l'individu lui-même.
Nous avons mentionné dans la Proposition I , que la seule personne qui est à même de
connaître pleinement son champ expérientiel est l'individu lui-même, le comportement étant une
réaction à son propre champ perceptuel. On pourrait donc conclure qu'on serait en mesure de
mieux comprendre le comportement si on accédait, autant que cela est possible, au cadre de
référence interne de la personne elle-même, pour voir le monde de son expérience d'aussi près
que possible à travers ses yeux.
Ce que nous avons fait la plupart du temps en psychologie peut être mis en parallèle avec
les premières études sur les sociétés primitives. L'observateur rapportait alors que ces peuples
primitifs mangent des nourritures ridicules, tiennent des cérémonies fantasques et dépourvues de
sens et se comportent de manière tantôt vertueuse tantôt dépravée. La chose qu'il ne voyait pas,
était qu'il observait à partir de son propre cadre de référence et qu'il plaquait ses propres valeurs
sur leurs modes de comportement. Nous faisons la même chose en psychologie, lorsque nous
parlons d'un comportement du type "comportement d'essai et d'erreur 1 ", de "délire", de
"comportement anormal" et ainsi de suite. Nous nous trompons quand nous évaluons la personne
à partir de notre propre cadre de référence, ou en fonction d'un cadre complètement général, alors
que le seul moyen de comprendre son comportement de manière significative, est de le
comprendre tel qu'il le perçoit lui-même, de la même façon qu'on ne peut comprendre une autre
culture qu'en adoptant le cadre de référence de celle-ci. Lorsque nous faisons cela, les divers
comportements étranges et incompréhensibles se révèlent alors comme faisant partie d'une
activité significative et orientée vers un but. On ne pourra plus parler d'un comportement répétitif
du type "essai et erreur" ou de délire, à moins que ce soit l'individu lui-même qui applique ces
termes a son comportement passé. Dans le présent, le comportement est toujours intentionnel et
signifie une réaction à la réalité telle qu'elle est perçue.
1
trial-and-error behavior, comportement conditionné
Qui plus est, notre connaissance du cadre de référence interne de la personne dépend en
premier lieu de la communication qu'elle nous en fait. Or, la communication est toujours sujette à
caution et imparfaite. Ainsi, nous ne pouvons voir le monde de l'expérience tel qu'il apparaît à
cette personne, qu'approximativement.
On pourrait présenter toute la situation comme suit:
Ainsi, nous pouvons par déduction, à partir de la communication de l'individu ou, moins
exactement, par l'observation de son comportement, connaître une partie de son champ
expérientiel.
Plus toutes ses expériences sont disponibles à sa conscience, plus il est possible pour lui
de fournir un tableau complet de son champ phénomènal.
Plus la communication est une libre expression non modifiée par un besoin ou un désir de
défense, plus la communication du champ sera véridique. (Ainsi, un journal intime sera une
meilleure communication du champ perceptif qu'un propos sommaire quant l'individu se sent
jugé).
Il faudrait également ajouter que les bénéfices dynamiques - pour le client et pour
l'apprentissage du thérapeute - qui s'obtiennent dans la thérapie centrée sur le client, lorsque, ne
serait-ce qu'une partie du champ perceptuel est communiquée, nous ont amenés à penser qu'il y a
là une manière de regarder l'expérience qui est bien plus proche des lois fondamentales qui
régissent le processus de la personnalité et du comportement. Non seulement il en résulte une
compréhension plus vivante de la signification du comportement, mais les occasions pour
acquérir des connaissances nouvelles sont optimales, lorsque nous approchons l'individu sans être
encombrés d'une série de catégories auxquelles nous voudrions le faire correspondre.
VIII- Une partie du champ perceptif total sera progressivement différenciée pour
constituer le Moi.
Mead, Cooley, Angyal, Lecky et d'autres ont contribué à faire avancer notre connaissance
quant au développement et au fonctionnement du Moi. Nous avons beaucoup à dire au sujet des
divers aspects opérationnels du Moi. Pour l'instant, nous avons constaté que progressivement, au
fur et à mesure que le petit enfant se développe, une partie de son monde personnel sera reconnue
comme "moi", "je", "moi-même". Il reste beaucoup de questions déroutantes et non résolues à
propos du concept du moi naissant. Nous allons essayer d'en reprendre quelques unes.
On peut se demander si l'interaction sociale est nécessaire pour que le Moi puisse se
développer. Une personne hypothétique, perdue sur une lie déserte, aurait-elle un Moi? Le Moi
est-il en premier lieu le produit d'un processus de symbolisation? Est-ce le fait que tous les
évènements expérientiels ne soient pas obligatoirement expérimentés de manière directe, mais
symbolisés et manipulés au niveau de la pensée, qui rend le Moi possible? Le Moi est-il
simplement la partie symbolisée de l'expérience? Voici quelques unes des questions auxquelles
pourrait éventuellement répondre une recherche judicieuse.
Par ailleurs, il faut constater à propos du développement du Moi conscient, qu'il ne co-
existe pas nécessairement avec l'organisme physique. Angyal fait remarquer, qu'il n'y a pas de
démarcation précise entre l'organisme et l'environnement, pas plus qu'il n'y a vraisemblablement
de frontière nette entre l'expérience du Moi et le monde extérieur. Qu'un objet ou une expérience
puissent être considérés comme faisant partie du Moi, dépend dans une large mesure du fait,
qu'ils soient perçus comme se trouvant à l'intérieur des limites du contrôle du Moi et non en
dehors. Les éléments que nous contrôlons sont regardés comme une partie du Moi, mais quand
un objet, même un objet comme notre corps, échappe au contrôle du Moi, il est expérimenté
comme faisant moins partie du Moi. De la même façon qu'un pied qui "s'endort" par manque de
Une théorie de la personnalité et du comportement page 13
circulation devient à nos yeux plutôt un objet, qu'une partie de nous-même. Peut-être est-ce "cette
échelle d'autonomie" qui donne au petit enfant d'abord la conscience du Moi, lorsqu'il devient
conscient pour la première fois du sentiment de pouvoir contrôler certains aspects de son monde
d'expérience.
Il devrait être clair après ce qui précède, que même si certains auteurs utilisent le terme
"self" comme étant synonyme "d'organisme", ici "self"2 est utilisé dans un sens plus restrictif,
signifiant la conscience d'être et de fonctionner.
X- Les valeurs attachées aux expériences et les valeurs qui font partie de la
structure du Moi sont pour certaines des valeurs directement expérimentées par
l'organisme, et pour d'autres des valeurs introjectées ou empruntées aux autres
mais perçues d'une manière déformée, comme si elles avaient été expérimentées
directement.
Pendant que le très jeune enfant est en interaction avec son environnement, il construit
progressivement des concepts sur lui-même, sur son environnement, et sur lui en relation avec cet
environnement. Même si ces concepts ne sont pas verbalisés et peuvent ne pas être présents dans
la conscience, cela ne les empêche pas de fonctionner comme des principes directeurs, comme
Leeper l'a démontré. Une évaluation directe par l'organisme est intimement associée avec toutes
ces expériences, ce qui paraît très important pour comprendre le développement ultérieur. Le très
jeune enfant a peu d'incertitudes quant à l'évaluation. En même temps qu'il a une conscience
naissante du genre "je fais l'expérience", il a la conscience du ressenti "j'aime" ou "je n'aime pas",
"j'ai froid et je n'aime pas ça", ou "je suis pris dans les bras et j'aime ça", ou "je peux toucher mes
orteils et je trouve cela amusant"- tous ces constats semblent être des descriptions justes de
l'expérience de l'enfant, bien qu'il ne dispose pas des moyens du langage dont nous nous sommes
servis. il semble apprécier les expériences qu'il perçoit comme valorisantes pour lui-même, et
attribuer une valeur négative aux expériences qui semblent le menacer ou qui ne le maintiennent
ni ne le rehaussent.
2
NdT: c'est pour cette raison que "self" a été traduit par "Moi" tout au long de ce chapitre
Un des premiers aspects et le plus important de l'expérience du Moi qu'a l'enfant ordinaire
est qu'il est aimé par ses parents. Il se perçoit comme aimable, digne d'amour, et sa relation avec
ses parents est affectueuse. Il fait l'expérience de tout cela avec satisfaction. Cela constitue le
noyau de la structure du Moi au moment où celle-ci commence à se former.
Mais il se présente alors une menace sérieuse pour le Moi de notre enfant hypothétique. il
fait l'expérience de paroles et d'actes de la part de ses parents à propos de ces comportements
satisfaisants, et ces paroles et ces actes finissent par créer le sentiment: "Tu est mauvais, ton
comportement est mauvais, et tu n'est pas aimé ou aimable quand tu te conduit de cette façon".
Ceci constitue une profonde menace pour la structure naissante du Moi. Le dilemme de l'enfant
pourrait être schématisé ainsi:
"Si j'admets de laisser venir à la conscience les satisfactions de ces comportements et les
valeurs que j'y appréhende, alors cela est incompatible avec mon Moi perçu comme étant aimé et
digne d'amour".
De ce fait, l'attitude parentale n'est pas seulement introjectée, mais ce qui est beaucoup
plus important, c'est qu'elle est expérimentée non pas comme l'attitude de l'autre, mais d'une
façon déformée, comme si elle était fondée sur la réalité de son propre équipement sensoriel et
viscéral. Ainsi, à travers une symbolisation déformée, l'expérience de la colère sera ressentie
comme mauvaise, alors que la symbolisation plus correcte serait de reconnaître que l'expression
de la colère est souvent ressentie comme satisfaisante et valorisante. La représentation plus
correcte n'est pas pour autant autorisée à devenir consciente, ou si cela est le cas, l'enfant devient
De cette façon les valeurs que l'enfant attache à l'expérience sont séparées de son propre
fonctionnement organismiques, et l'expérience est valorisée en fonction des attitudes qu'adoptent
les parents, ou d'autres personnes qui lui sont proches. Ces valeurs vont être acceptées comme
aussi "réelles" que les valeurs qui sont connectées directement avec l'expérience. Le "Moi" qui
est formé sur la base de cette réalité sensorielle et viscérale, pour être en conformité avec la
structure déjà existante, exige une organisation et une intégration que l'individu s'évertue à
préserver. Le comportement est considéré comme valorisant pour ce Moi lorsque aucune valeur
de ce genre est appréhendée à travers des réactions sensorielles ou viscérales; le comportement
est considéré comme opposé au maintien et au rehaussement du Moi lorsqu'il n'y a pas de
réaction sensorielle ou viscérale négative. C'est ici, il semble, que l'individu commence à
cheminer sur une voie qui lui fait dire plus tard: "je ne me connais pas vraiment moi-même". Les
réactions sensorielles et viscérales initiales sont ignorées, ou ne sont pas autorisées à devenir
conscientes, sauf sous une forme déformée. Les valeurs qui seront éventuellement édifiées sur
elles ne peuvent pas être admises dans la conscience. Un concept du Moi basé en partie sur une
symbolisation déformée a pris leur place.
Cela vaut peut-être la peine de considérer pour un moment la possibilité d'une structure du
Moi qui se serait formée sans cet aspect de déformation et de négation de l'expérience. Une telle
discussion est à certains égards une digression et anticipe certaines des propositions qui vont
suivre, mais elle peut aussi servir d'introduction à celles-ci.
Si nous nous demandons comment le petit enfant pourrait se développer en tant que
structure du Moi qui ne contiendrait pas ces racines des difficultés psychologiques futures, notre
expérience de la thérapie centrée sur le client est en mesure d'avancer quelques idées
Ayant ainsi fait l'effort d'anticiper un développement sain du point de vue général de notre
théorie, retournons à une considération plus générale de la personnalité en ce qui concerne
l'organisation de l'expérience, la relation du comportement avec le Moi et d'autres sujets
pertinents.
Prenons d'abord les expériences qui sont ignorées parce qu'elles ne sont pas pertinentes à
l'égard de la structure du Moi. Il y a différents bruits présents à ce moment à distance. A moins de
m'en servir comme exemple pour mes besoins intellectuels à cet instant, je suis relativement
oublieux à leur égard. Ils existent dans le fond de mon champ phénomènal, mais ils ne renforcent
ni ne contredisent mon concept du Moi, comme ils ne sont en rapport avec aucun besoin relié au
Moi, ils sont donc ignorés. Il peut même y avoir un doute qu'ils existent vraiment dans le champ
phénomènal, Si ce n'était pour leur aptitude à se focaliser sur des expériences qui pourraient
correspondre à un besoin. Je descends la rue pour la douzième fois, mettons, ignorant la plupart
de mes sensations. Il se trouve qu'aujourd'hui, j'ai besoin d'une quincaillerie et je me rappelle qu'il
y en a une dans cette rue, bien que je ne l'aie jamais vraiment "remarquée". Maintenant où cette
expérience rencontre un besoin du Moi, elle va être détachée du fond pour devenir une figure. Il
est indubitablement vrai que la grande majorité de nos expériences sensorielles sont ignorées, ne
sont jamais portées au niveau de la symbolisation consciente et n'existent qu'en tant que
sensations organiques, sans avoir été reliées d'une façon quelconque au concept du Moi organisé
ou au concept du Moi en relation avec l'environnement.
Un groupe plus important d'expériences est constitué par celles, qui sont acceptées dans la
conscience et organisées en fonction d'une relation avec la structure du Moi, soit parce qu'elles
rencontrent un besoin du Moi, soit qu'elles sont compatibles avec la structure du Moi et la
renforcent de ce fait. La cliente qui a un concept du Moi du genre: "je ne sens tout simplement
pas que je peux prendre ma place dans la société comme n'importe qui d'autre", pense qu'elle n'a
rien appris à l'école, qu'elle échoue quand elle veut entreprendre quelque chose, qu'elle ne réagit
pas normalement et ainsi de suite. Elle sélectionne parmi ses nombreuses expériences sensorielles
celles qui sont en harmonie avec son concept du Moi. (Plus tard lorsque son concept du Moi
change, elle réalise qu'elle réussit de nouveaux projets, qu'elle est suffisamment normale pour y
arriver).
Ainsi, beaucoup d'expériences sont symbolisées parce qu'elles sont en rapport avec les
besoins du Moi. Je remarque un livre parce qu'il traite d'une matière que j'ai envie de connaître, je
perçois des cravates quand je m'apprête à en acheter une moi-même. Le soldat d'infanterie perçoit
la boue fraîchement remuée sur le chemin quand cela pourrait indiquer la présence d'une mine
enfouie.
Prenons un phénomène plus significatif, c'est à dire, celui que les Freudiens ont essayé
d'expliquer par le concept du refoulement. Dans ce cas, il y a bien une expérience organique,
mais elle n'est pas symbolisée, ou symbolisée de manière déformée, parce qu'une représentation
consciente adéquate serait complètement incompatible avec le concept du Moi. Ainsi, une femme
dont le concept du Moi a été profondément influencé par une éducation morale et religieuse très
stricte, éprouve un désir physique très intense d'ordre sexuel. Si elle symbolisait cela, si elle
permettait à ce désir d'apparaître dans la conscience, cela provoquerait une contradiction
traumatisante avec son concept du Moi. L'expérience organique est quelque chose qui se produit,
il s'agit d'un fait physiologique. Mais la symbolisation de ce désir, pour qu'il fasse partie de la
conscience, est quelque chose que le Moi conscient peut empêcher et empêche. L'adolescent qui a
été l'objet dans son foyer d'une sollicitude exagérée, et dont le concept du Moi est celui d'une
personne reconnaissante vis à vis de ses parents, peut ressentir une colère intense à l'égard du
contrôle subtil qui s'exerce sur lui. Organiquement il fait l'expérience de changements physiques
qui sont accompagnés de colère, mais son Moi conscient peut empêcher que ces expériences
soient symbolisées et désormais perçues consciemment. Ou encore, il peut les symboliser de
manière déformée pour les rendre compatible avec la structure du Moi, par exemple, ressentir ces
sensations organiques comme "un méchant mal de tête".
Il faut remarquer que les perceptions sont exclues parce qu'elles sont contradictoires avec
l'organisation du Moi et non parce qu'elles sont dérogatoires. Il semble aussi difficile d'accepter
une perception qui altérerait le concept du Moi dans le sens d'une expansion socialement
acceptable, que d'accepter une expérience qui l'altérerait dans le sens d'un rétrécissement ou qui
serait socialement désapprouvée. La cliente que j'ai déjà citée qui se méfie d'elle-même, a autant
de difficultés à accepter son intelligence, qu'une personne avec un concept du Moi de supériorité
aura du mal à accepter des expériences qui lui feraient voire sa médiocrité.
Lorsque nous étions arrivés à ce point, certaines études instructives nous arrivèrent du
laboratoire. Issus des travaux de Bruner et Postinan sur les facteurs personnels qui influencent la
perception, il y avait certains résultats qui avaient un rapport direct avec le problème que nous
venons juste de définir. I' y apparaissait que, même lors de la présentation tachistoscopique d'un
mot le sujet "sait" ou "pré-perçoit" ou réagit à la valeur positive ou négative du monde, avant que
le stimulus ne soit reconnu consciemment. On peut se référer aux études sur la perception de
Postman, Bruner, McGinnies, McCleary et Lazarus. Eu égard aux resultats toujours plus probants
basés sur des études toujours plus poussées, la conclusion qui suit semble justifiée. L'individu
paraît capable de discriminer entre la menace et un stimulus non menaçant et de réagir en
conséquence, même s'il est consciemment incapable de reconnaître le stimulus auquel il est en
train de réagir. McCleary et Lazarus, dont l'étude est de beaucoup la plus soigneusement
contrôlée parmi celles qui ont été faites à ce jour, a inventé le terme "subception" pour décrire ce
processus. L'individu "subçoit" un mot comme menaçant, d'après sa réaction cutanée galvanique,
même si le temps d'exposition a été trop bref pour qu'il puisse le percevoir. Même si
consciemment il perçoit le mot de manière erronée, sa réaction automatique est celle qui
correspond à une situation menaçante, d'après le GSR3 . L'auteur conclue que même si le sujet
n'est pas capable de présenter une discrimination visuelle (c'est à dire, il la présente de manière
incorrecte, quand il est forcé de faire un choix), il est encore capable de faire une discrimination
quant au stimulus à un niveau inférieur de celui que nécessite la reconnaissance consciente".
Ce serait aussi une. base pour expliquer l'anxiété qui accompagne tant d'inadaptations
psychologiques. L'anxiété peut être la tension manifestée par le concept du Moi organisé, lorsque
ces "subceptions" indiquent que la symbolisation de certaines expériences serait destructrices
pour son organisation. Si ce travail expérimental était confirmé par la recherche future, nous
disposerions de l'articulation nécessaire pour expliquer comment se produit le refoulement et la
négation de l'expérience. Cliniquement il semblerait qu'un processus tel qu'on le trouve à la base
de la "subception" est nécessaire pour justifier le phénomène observé.
3
Galvanic Stimulus Response, Galvanomètre
Bien que cette affirmation comporte quelques exceptions significatives (exceptions dont
nous parlerons dans les propositions suivantes), il faut noter que dans la plupart des cas la forme
que prend l'effort de recherche de l'organisme est dictée par le concept du Moi. L'organisme lutte
pour satisfaire ses besoins dans le monde tel qu'il en fait l'expérience, la forme que prend cette
lutte doit coïncider avec le concept du Moi. L'homme qui a certaines valeurs attachées à
l'honnêteté ne peut pas se battre en vue de son accomplissement avec des moyens qui lui
paraissent malhonnêtes. La personne qui se considère elle-même comme dépourvue de tout
sentiment agressif ne peut pas satisfaire ses besoins d'agressivité d'une façon directe. Les seules
voies par lesquelles ces besoins pourraient être satisfaits sont celles qui coïncident avec le
concept du Moi organisé.
La plupart du temps, cette canalisation du besoin qui est à satisfaire n'implique aucune
déformation. L'individu sélectionne parmi les divers moyens dont il dispose pour satisfaire ses
besoin en nourriture ou en affection, ceux qui sont compatibles avec le concept qu'il a de lui-
même. Parfois, cependant, la négation de l'expérience dont nous avons parlé plus haut, joue un
rôle dans ce processus. Par exemple, un pilote qui se conçoit comme un individu courageux et
relativement exempt de peur, se voit assigné à une mission qui comporte de gros risques.
Physiologiquement il éprouve de la peur et un besoin d'échapper à ce danger. Ces réactions ne
peuvent pas être symbolisées et devenir conscientes, puisqu'elles seraient en contradiction
flagrante avec son concept du Moi. Le besoin organique persiste néanmoins. Il peut alors
remarquer que "l'appareil ne fonctionne pas comme il faut", ou se dire "je suis malade, mon
système digestif est perturbé", et ainsi se dispenser lui-même de cette mission. Dans cet exemple,
comme dans beaucoup d'autres qu'on pourrait citer, les besoins organiques existent mais ne
peuvent être admis à la conscience du fait de leur contradiction avec le concept du Moi. La
plupart des comportements névrotiques sont de cette nature. Dans la névrose typique l'organisme
satisfait un besoin qui n'est pas reconnu au niveau conscient en adoptant des modes de
comportement compatibles avec le concept du Moi et qui peuvent, de ce fait, être acceptés
consciemment.
Dans des moments de grand danger ou dans d'autres situations d'urgence stressantes,
l'individu peut se comporter avec efficacité et ingéniosité pour aller à la rencontre de ses besoins
de sécurité ou ce qui peut y avoir d'autre comme besoin, mais sans jamais amener une telle
situation ou le comportement qu'elle a provoqué jusqu'à la symbolisation consciente. En
l'occurrence, l'individu sent "je ne sais pas ce que j'ai fait", "je n'étais réellement pas responsable
de ce que j'ai fait". Le Moi conscient ne sent à aucun degré d'avoir maîtrisé ces actions, qui ont eu
lieu. Le même constat peut être fait en ce qui concerne l'habitude de ronfler ou de s'agiter dans le
sommeil. Le Moi ne contrôle rien et le comportement n'est pas considéré comme faisant partie du
Moi.
Dans un très grand nombre de cas de troubles psychologiques, ce qui cause le plus
d'inquiétude à la personne est, que certains types de comportement se déroulent en dehors de son
contrôle et sans aucune possibilité de contrôle de sa part. "Je ne sais pas pourquoi je l'ai fait", est
un constat assez commun. Ainsi que la formule, "je ne suis simplement pas moi-même quand je
fais ces choses", je ne savais pas que j'étais en train de faire ça", "je n'ai aucun contrôle sur ces
réactions". Dans chaque cas il se réfère à un comportement qui est organiquement déterminée sur
la base d'expériences auxquelles une symbolisation a été refusée, et qui se poursuit désormais
sans avoir été mis en une relation consistante avec le concept du Moi.
Le fondement de cette proposition est évident après ce qui précède. Si nous pensons à la
structure du Moi en termes d'élaboration symbolique d'une partie du monde expérientiel
personnel de l'organisme, nous pouvons nous rendre compte que, lorsque la symbolisation a été
refusée à une grande partie de ce monde personnel, il en résulte certaines tensions de base. Nous
nous trouvons alors, devant une vraie divergence entre l'organisme en tant que tel faisant des
expériences et le concept du Moi qui exerce à ce point une influence directive sur le
comportement. Ce Moi est maintenant représentatif de l'expérience de l'organisme, mais d'une
manière très inadéquate. Un contrôle conscient devient de plus en plus difficile dans la mesure où
l'organisme doit lutter pour satisfaire des besoins qui ne sont pas reconnus consciemment, et ceci
pour réagir à des expériences qui sont niées par le Moi conscient. Il se crée alors une tension, et si
l'individu est un tant soit peu conscient de cette tension, il va ressentir de l'anxiété, il va sentir
qu'il n'est ni unifié ni intégré, ni sûr de sa direction. De telles constatations ne sont peut-être pas
la manifestation extérieure de l'inadaptation, car celle-ci se rapporte le plus souvent aux
difficultés venant de l'environnement qu'il s'agit d'affronter, mais c'est ce sentiment de manque
d'intégration interne, qui est habituellement communiqué quand l'individu se sent libre de livrer
davantage de son champ perceptuel accessible à la conscience. Ainsi, un constat comme "je ne
sais pas de quoi j'ai peur", "je ne sais pas ce que je veux", je ne suis pas capable de prendre des
décisions", je n'ai pas de véritable but", se présentent très fréquemment dans la thérapie et
indiquent le manque de direction intégrée et significative dans la vie de l'individu.
On observe en clinique que cette tension présente deux degrés un peu différents. Il y a le
genre de tension dont nous venons de parler, l'individu a un concept du Moi défini et organisé,
basé en partie sur ses propres expériences organiques (en l'occurence des sentiments d'affection).
Si le concept de la bonne mère a été introjecté à partir de contacts d'ordre social, il a été aussi
formé en partie à partir de quelques sensations actuellement expérimentées par l'individu, et il est
ainsi devenu plus authentique-ment le sien propre.
En d'autres circonstances, l'individu peut se dire, lorsqu'il explore son inadaptation, qu'il
n'a pas de Moi, qu'il est nul, que le seul Moi qu'il possède s'évertue à faire ce que les autres
croient qu'il doit faire. En d'autres termes, le concept du Moi est basé presque entièrement sur des
évaluations d'expériences empruntées aux autres, qui contiennent un minimum de symbolisation
correcte de l'expérience et un minimum de validation organique directe de l'expérience. Puisque
les valeurs tenues par les autres n'ont pas nécessairement une relation avec son mode d'expérience
organique actuel, la divergence entre la structure du Moi et le monde expérientiel s'exprime
progressivement par un sentiment de tension et de détresse. Une jeune femme, après avoir permis
petit à petit à ses propres expériences de venir à la conscience et de former la base de son concept
du Moi, exprime cela sous cette forme à la fois lapidaire et pertinente: "j'ai essayé d'être ce que
les autres pensent que je doit être, mais maintenant je me demande si je ne devrais pas
simplement voir que je suis ce que je suis".
XV- L'adaptation psychologique existe lorsque le concept du Moi est tel, que
toutes les expériences sensorielles et viscérales de l'organisme sont, ou
pourraient être assimilées sous une forme symbolique à une relation avec le
concept du Moi.
Cette proposition peut être présentée de différentes façons. Nous pourrions dire que
l'absence de tensions intérieures, c'est à dire, l'adaptation psychologique, existe lorsque le concept
du Moi est au moins grossièrement congruent avec toutes les expériences de l'organisme. Pour
reprendre les exemples donnés plus haut, la femme qui perçoit et accepte ses désirs sexuels, et
qui perçoit et accepte également les valeurs que sous-tend la suppression de tels désirs, pourra
accepter et assimiler toute la réalité sensorielle vécue par l'organisme. Cela serait possible si son
concept du Moi était suffisamment large pour englober aussi bien ses désirs sexuels, que son
désir de vivre en une certaine harmonie avec sa culture. La mère qui "rejette" son enfant, peut
être libérée de ses tensions concernant sa relation avec son enfant, si elle a un concept du Moi qui
permet d'accepter ses sentiments de rejet aussi bien que ses sentiments d'affection et d'amour.
Le sentiment de la réduction de la tension intérieure est quelque chose que les clients
éprouvent, ol rsqu'ils font des progrès dans le sens du "vrai Moi", ou quand ils ont un "sentiment
nouveau d'être" par rapport à eux-mêmes. Une cliente, après avoir progressivement abandonné
l'idée que beaucoup de son comportement consistait à "ne pas agir comme moi-même", et qu'elle
ait accepté le fait que son Moi pouvait inclure des expériences et comportements qu'elle avait
auparavant exclus, exprimait ses sentiments en ces termes: "Je me souviens d'un sentiment
Une théorie de la personnalité et du comportement page 24
organique de détente. Je n'avais plus à soutenir une lutte pour recouvrir et cacher cette personne
honnie". Le coût pour maintenir une vigilance de défense en vue d'empêcher les diverses
expériences d'être symbolisées dans la conscience, est manifestement élevé.
La meilleure définition de l'intégration se formule ainsi: toutes les expériences
sensorielles et viscérales sont admissibles à la conscience au moyen d'une symbolisation correcte
et susceptibles d'être organisées en un système interne cohérent, qui représente la structure du
Moi, ou qui est en relation avec elle. Une fois ce type d'intégration atteint, la tendance vers la
croissance peut devenir pleinement opérationnelle, et l'individu avance dans les directions qui
sont inhérentes à toute vie organique. Lorsque la structure du Moi est capable d'accepter et de
prendre en compte des expériences au niveau conscient, lorsque le système organisateur est
suffisamment expansif pour les contenir, alors l'individu dispose d'une intégration libre et d'un
sens de la direction, et il sent que sa force peut se diriger vers un dessein clair, qui correspond à
l'actualisation et au rehaussement d'un organisme unifié.
4
conscious awaness
Cette proposition est une tentative de formuler l'observation de certains faits cliniques. Si
on dit à la mère, celle dont il était déjà question, qui a des problèmes avec son enfant, que
plusieurs observateurs sont arrivés à la conclusion qu'elle rejette son enfant, le résultat inévitable
pour elle sera, d'exclure dans l'immédiat toute assimilation de cette expérience. Pour ce faire, elle
pourra mettre en cause les conditions de l'observation, la formation et la compétence des
observateurs, le degré de compréhension dont ils font preuve et ainsi de suite. Elle va organiser
les défenses de sa propre image, qui est celle d'une bonne mère, et d'une mère aimante, et elle
sera capable d'étoffer ce concept avec une quantité d'arguments. Elle percevra évidemment le
jugement des observateurs comme une menace et s'organisera dans une défense de son concept
dominant. On pourrait observer le même phénomène chez la fille qui se considère elle-même
comme dépourvue de facultés, si celle-ci obtient un score élevé dans un test d'intelligence. Elle
défendra son Moi contre cette menace d'incohérence. Si le Moi ne peut pas se défendre contre
une profonde menace, il en résultera un effondrement psychologique désastreux et la
désintégration.
Une formulation concise et utile des éléments essentiels qui composent cette
configuration de menace/défense de la personnalité, a été élaborée par Hogan. Dans ce résumé il
établit 8 énoncés qui décrivent la façon dont le comportement agressif advient.
3) La défense est une séquence de comportement qui repond à la menace, le but étant
de maintenir la structure du Moi.
XVII- Dans certaines conditions, notamment lorsqu'il n'y a aucune menace pour la
structure du Moi au départ, des expériences en dépit de leur incompatibilité avec
celle-ci, seront perçues et examinées, et la structure du Moi sera révisée pour
assimiler et incorporer de telles expériences.
Il s'agit ici d'un important fait clinique, attesté par de nombreux cas thérapeutiques, et
difficile à formuler correctement en termes généraux. Il est évident que le concept du Moi
change, aussi bien au cours du développement normal qu'en thérapie. Les propositions
précédentes ont exposé des faits ayant trait aux défenses du Moi, alors qu'ici nous allons parler
des voies par lesquelles le changement advient.
Nous allons partir d'exemples probants pour aboutir à d'autres moins nettes: dans la
thérapie du type centrée sur le client, grâce à la relation et à la manière dont celle-ci est maniée
par le thérapeute, le client sera progressivement assuré d'être accepté tel qu'il est, et que chaque
nouvelle facette de lui-même qu'il voudra bien révéler, sera acceptée de même. C'est alors que
des expériences niées auparavant pourront être symbolisées, souvent très graduellement, pour
acquérir désormais clairement une forme consciente. Une fois qu'elles sont devenues conscientes,
le concept du Moi se trouve élargi afin de les incorporer comme des parties d'un tout cohérent.
Ainsi, la mère qui rejette son enfant, pourra dans un tel climat admettre d'abord la perception de
son comportement - "je suppose qu'il doit penser par moment que je ne l'aime pas"- et puis la
possibilité d'une expérience incompatible avec le Moi - "je suppose que parfois je ne l'aime pas" -
et progressivement l'expression d'un concept du Moi élargi - "je peux admettre que je l'aime et
que je ne l'aime pas et que nous pouvons quand même faire avec, et ce n'est pas Si mal". Comme
cette femme qui détestait sa mère et justifiait le schéma du Moi englobant une telle haine, est la
première à admettre qu'il y a eu autre chose que son seul comportement de haine. "Je me mets à
astiquer la maison quand elle doit passer, comme si je devais lui montrer que je suis quelqu'un de
bien, comme si je voulais gagner sa faveur" - elle admet ainsi des expériences directement en
Une théorie de la personnalité et du comportement page 27
contradiction avec son concept du Moi - "je sens un vrai sentiment de chaleur pour elle, une sorte
d'affection saine" - et progressivement voulant vivre avec un concept d'elle-même révisé dans le
cadre de cette relation, elle arrive à élargir celui-ci au point que la tension se réduit. "Au fond on
s'entend pas mal. C'est une chose merveilleuse que d'avoir pu sortir ma mère de mon système. Je
peux la prendre et la laisser sans ressentir trop de tension".
Pour terminer cette discussion avec un exemple plus simple, l'enfant qui sent qu'il est
faible et impuissant devant une certaine tâche, de construire une tour ou de réparer un vélo, peut
réaliser, alors qu'il s'applique au travail plutôt sans espoir, qu'il réussit. Cette expérience est en
contradiction avec le concept qu'il a de lui-même et ne peut pas être intégrée tout de suite; mais si
l'enfant est laissé à lui-même, il procède progressivement, et sur sa propre initiative, à une
révision de son concept du Moi, à savoir alors qu'il est habituellement faible et impuissant, en
l'occurrence il a une capacité. C'est ainsi que, normalement et en l'absence de toute menace, de
nouvelles perceptions sont assimilées. Mais si ce même enfant s'entend dire de manière répétée
de la part de ses parents, qu'il est parfaitement compétent pour faire cela, il va probablement le
nier et prouver par son comportement qu'il est incapable de le faire. La notion de sa compétence
induite Si puissamment, constitue plutôt une menace pour son Moi et il y résistera avec d'autant
plus de force.
Il devrait aussi être évident qu'il s'agit ici d'un processus d'apprentissage, peut-être
l'apprentissage le plus important dont une personne est capable, c'est à dire, l'apprentissage de soi.
Il faut espérer que ceux, qui se sont spécialisés dans la théorie de l'apprentissage, commencent à
utiliser la connaissance que nous avons dans ce domaine pour expliquer comment l'individu
apprend une nouvelle configuration du Moi.
Cette proposition s'est trouvée vérifiée dans notre travail thérapeutique clinique, et est
maintenant confirmée par les résultats d'une recherche menée par Sheerer. C'est une des
découvertes inattendues qu'a produit l'approche centrée sur le client. A une personne qui n'est pas
familiarisée avec l'expérience thérapeutique, cela peut paraître un vœux pieux que d'affirmer
qu'une personne qui s'accepte elle-même, aura en raison de cette acceptation d'elle-même, de
meilleures relations avec les autres.
Cependant, nous avons découvert cliniquement, que la personne qui a fait une thérapie est
plus détendue pour être elle-même, plus sûre d'elle-même, plus réaliste dans ses relations avec les
autres, et plus à même de développer des relations avec autrui notablement meilleures. Une
cliente, en discutant les effets de la thérapie en ce qui la concerne, établit ce fait en ces termes:
"Je suis moi-même, et je suis différente des autres. Je suis plus heureuse d'être moi-même, et je
m'aperçois de plus en plus que je laisse les autres assumer la responsabilité d'êtres eux-mêmes".
Si nous essayons de comprendre la base théorique qui soutend ce qui vient d'être dit, cela
se présente ainsi:
Par conséquent, toutes les expériences sont considérées défensivement comme des
menaces potentielles, au lieu d'être prises pour ce qu'elles sont réellement.
Ainsi, dans une relation avec autrui, les paroles et les comportements sont vécus et perçus
comme menaçants, même s'il n'y avait nulle intention de cet ordre.
Aussi, les paroles et les comportements de l'autre sont attaqués parce qu'ils représentent
les expériences redoutées, ou y ressemblent.
Mais quand toutes les expériences sont accessibles à la conscience et sont intégrées,
L'attitude défensive est minimisée. Lorsqu'il n'y a pas besoin de défense, il n'y pas besoin
d'attaquer.
Quand il n'y a pas besoin d'attaquer, l'autre est perçu tel qu'il est vraiment, c'est à dire, un
individu séparé, agissant selon ses propres conceptions qui sont fondées sur son propre champ
perceptuel.
Cela pourrait paraître abstrus, si ce n'était pas corroboré par les faits quotidiens aussi bien
que par l'expérience clinique. Qui sont les individus, dans n'importe quel voisinage, ou dans
n'importe quel groupe, qui semblent capables de compréhension à l'égard des autres? Il s'agit
généralement d'individus faisant preuve à un degré élevé d'acceptation de tous les aspects de leur
Moi. Quant à l'expérience clinique, comment une meilleure relation interpersonnelle émerge-t-
elle? Cela se fait sur la même base. Cette mère rejettante, qui arrive à accepter ses propres
attitudes négatives à l'égard de son enfant, découvre que cette acceptation, qu'elle a d'abord
redoutée, lui permet d'être plus détendue avec lui. Elle est capable de l'observer tel qu'il est,
autrement qu'à travers l'écran de ses réactions défensives. En faisant cela, elle se rend compte
qu'il est une personne intéressante, avec des bons et des mauvais côtés, envers laquelle elle
éprouve parfois des sentiments hostiles et parfois de l'affection. Sur cette base confortable,
réaliste et spontanée se développe une relation réelle à partir d'un vécu réel, une relation
satisfaisante pour tous les deux. Cette relation ne sera peut-être pas entièrement empreinte de
lumière et de douceur, mais elle sera beaucoup plus confortable que la relation artificielle ne
pourra jamais l'être. Elle sera fondée principalement sur l'acceptation du fait que l'enfant est une
personne séparée.
La femme qui détestait sa mère, après avoir accepté tous ses sentiments d'affection aussi
bien que sa haine, arrive à voir sa mère comme une personne dotée d'une variété de
caractéristiques: intéressante, bonne, vulgaire et mauvaise. Avec cette perception beaucoup plus
correcte elle comprend sa mère, accepte ce qu'elle est, et construit une relation réelle plutôt que
défensive avec elle.
Les implications que pourraient avoir cet aspect de notre théorie sont telles qu'elles
stimulent l'imagination. Il y a ici une base théorique pour des relations saines entre individus,
groupes ou nations. Enoncée en termes de psychologie sociale, cette proposition permet
d'affirmer que la personne (ou les personnes d'un groupe) qui s'accepte elle-même complètement,
améliorera nécessairement sa relation avec ceux avec lesquels elle aura un contact personnel,
parce qu'elle les comprendra et acceptera beaucoup mieux. Un tel climat de compréhension et
d'acceptation est susceptible de créer une expérience thérapeutique dont l'effet est l'acceptation de
soi, chez la personne qui en bénéficie. Ainsi, nous avons, en effet, une "réaction en chaîne"
psychologique qui paraît avoir d'immenses potentialités quant à la résolution des problèmes dans
le domaine des relations sociales.
Dans la thérapie, lorsque la personne explore son champ phénoménal, elle vient à
examiner les valeurs qu'elle a introjectées et qu'elle a utilisées comme si elles étaient fondées sur
sa propre expérience (voir la proposions X). Elle n'en est pas satisfaite, adoptant souvent l'attitude
qui consiste a faire ce que les autres pensent qu'elle doit faire. Mais elle-même, que pense-t-elle
devoir faire? Elle se sent souvent assez incompétente pour inventer ou construire un quelconque
système de remplacement. Si elle ne peut plus supporter le "tu devrais" et le "tu dois", le "c'est
bon" et le "c'est mauvais" du système introjecté, comment peut-elle savoir quelles valeurs il faut
mettre à leur place?
Progressivement le client arrive à se rendre compte, qu'il fait des jugements de valeur
d'une façon qui est nouvelle pour lui, et pourtant il s'agit de quelque chose qu'il a connu dans son
enfance. Comme l'enfant qui place des valeurs assurées sur son expérience, reliées à la réalité de
ses propres sens, comme nous l'avons décrit dans la Proposition X, le client découvre aussi, que
c'est son propre organisme qui fournit la réalité sur laquelle des jugements de valeur peuvent être
construits. Il découvre que ses propres sens, son propre équipement physiologique peut lui
procurer les données pour faire des jugements de valeur et pour les réviser continuellement. li n'a
pas besoin qu'on lui dise qu'il vaudrait mieux agir selon un mode plus libre et plus spontané,
plutôt que d'après la façon rigide à laquelle il avait été habitué. Il a la sensation, le sentiment que
cela est satisfaisant et valorisant. Ou lorsqu'il agit d'une façon défensive, c'est son propre
organisme qui sent une satisfaction immédiate d'être protégé à court terme, mais qui ressent aussi
l'insatisfaction à plus long terme, d'être obligé de rester sur ses gardes. Il fait un choix entre deux
possibilités d'action, plein de peur et d'hésitation, ne sachant pas s'il a jaugé leur valeur
correctement. Puis il découvre qu'il peut permettre à la réalité de sa propre expérience de lui
indiquer s'il a choisi de manière satisfaisante. il découvre qu'il n'a pas besoin de savoir qu'elles
sont les valeurs correctes; à travers les données fournies par son propre organisme, il peut
expérimenter ce qui est satisfaisant et valorisant. Il peut mettre sa confiance dans un processus
d'évaluation, plutôt que dans un quelconque système de valeurs rigide et introjecté.
Regardons cette proposition d'une manière légèrement différente. Les valeurs sont
toujours acceptées parce qu'elles sont perçues en tant que principes contribuant au maintien, à
l'actualisation et au rehaussement de l'organisme. C'est sur cette base que les valeurs sociales sont
introjectées via la culture. Dans la thérapie il semblerait que la réorganisation qui a lieu se fait sur
la base suivante: les valeurs qui sont conservées sont celles qui sont expérimentées comme
favorables au maintien et au rehaussement de l'organisme, et comme distinctes de celles qui,
selon les dires des autres, seraient bonnes pour lui. Par exemple, un individu accepte de sa culture
la valeur suivante, "On ne devrait ni avoir, ni exprimer une agressivité jalouse à l'égard des
personnes de sa famille". La valeur est acceptée parce qu'elle est supposée contribuer au
rehaussement de l'individu - comme d'une personne meilleure, plus satisfaite. Mais dans la
thérapie cette personne, en tant que client, examine cette valeur sur la base de critères plus
fondamentaux - notamment, de ses propres expériences sensorielles et viscérales: "Ai-je ressenti
C'est au niveau des résultats de cette évaluation des valeurs, que nous allons rencontrer la
possibilité qu'il puisse y avoir des similarités très fondamentales dans toute expérience humaine.
Dans la mesure où l'individu teste de telles valeurs, et arrive à concevoir ses propres valeurs
personnelles, on arrive à des conclusions qu'on pourrait énoncer sous cette forme généralisée: que
les plus grandes valeurs pour le rehaussement de l'organisme se produisent quand toutes les
expériences et toutes les attitudes sont admises à la symbolisation consciente, et quand le
comportement correspond à la satisfaction significative et équilibrée de tous les besoins, ces
besoins étant accessibles à la conscience. Le comportement subséquent, satisfera le besoin
d'approbation sociale, le besoin d'exprimer des sentiments affectifs positifs, le besoin de
l'expression sexuelle, le besoin d'éviter la culpabilité et le regret, aussi bien que le besoin
d'exprimer l'agressivité. Cependant, alors que l'idée, que chaque individu puisse établir ses
propres valeurs semble suggérer une anarchie complète de valeurs, l'expérience indique que c'est
juste le contraire. Puisque tous les individus ont à la base les mêmes besoins, y compris le besoin
d'être accepté par les autres, quand l'individu formule ses propres valeurs , en termes de sa propre
expérience, il s'avère qu'il n'en résulte nulle anarchie, mais un degré élevé de sociabilité, et un
système social authentique de valeurs. Un des aboutissements ultimes de l'hypothèse qu'on peut
avoir confiance en l'individu et en sa capacité de résoudre ses propres conflits, serait l'émergence
de systèmes de valeurs uniques et personnels pour chaque individu, qui changeraient en même
temps que change la réalité de l'expérience organique, et qui seraient, néanmoins, profondément
socialisés, possédant un degré élevé de similarité quant à l'essentiel.