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MEDECINE MENTALE ARABE apogée, décadence et dépendance à l'égard de l’occident

par Ahmed Larheribi


(Millésime 1984)

Les médecins arabes étaient les premiers à traiter les maladies mentales par des méthodes
relativement humanistes. Après l'expansion de l'Islam dans certains pays, on constate, au sein de
ceux-ci, une fois convertis à cette religion, la naissance d'un système d'assistance évolué. En
l'occurrence, l'Islam ne s'est nullement désintéressé de la guérison des « fous ». Ce fut l'apogée
de la civilisation arabo-musulmane entre le VIIIe et le XIIe siècle. En effet, de véritables hôpitaux
pour « fous », souligne P. Jacerme, ont existé à Fez dès le VIIe siècle, à Bagdad au XIIe siècle et
sans doute au Caire au XIIIe. Au sein de ces centres médicaux, on pratiquait des traitements
d'âme et ceci à base de musique, danse, spectacles et audition de récits merveilleux. D'autres
thérapies furent pratiquées, à savoir : l'herborisation médicale, cautérisation, etc. Cela prouve que
les Arabes furent probablement les premiers à inventer des asiles de « fous ».

Avicenne (mort en 1037), une des grandes figures de l'Ecole médicale arabe avait des notions
psychiatriques suffisamment valables. Avicenne, le thérapeute, procède, pour déterminer les
causes des maladies mentales, à une technique que nous pouvons appeler la « ruse curative ».
Cette dernière n'est en fait qu'un facteur d'association de mots. Il s'agit de prononcer, devant le
malade, certains mots (inducteurs) en posant la main sur son « cœur » (partie cardiaque). Le
médecin suit, en citant au hasard un mot, le battement cardiaque du malade : si le rythme de ce
battement varie en fonction de l'écoute d'un mot, le médecin conserve celui-ci et ainsi de suite
jusqu'à la collecte d'une série suffisante de mots.

A la suite de ce premier procédé, le médecin reconstitue l'événement pathogène à l'aide de ces


mots qui se sont révélés émotionnellement significatifs. En cas d'une frustration affective, à titre
d'exemple, Avicenne cite plusieurs mots en les répétant (la main étant posée sur le côté cardiaque
du malade). Si, par exemple, le rythme cardiaque est variant à l'écoute du mot « amour », notre
médecin enregistre celui-ci et passe à un autre mot. Ainsi, à l'aide d'un ensemble de mots, il peut
déterminer la cause de la frustration affective. Cette méthode de thérapeutique, qui est à base
d'association de mots, est analogue à une technique psychanalytique qu'est la libre-association
(méthode qu'a inventé S. Freud lors de ses premières recherches sur l'Inconscient). Certes, il
s'agit là d'un grand sens clinique chez Avicenne. Et, il est curieux de constater chez un médecin
arabe du XIe siècle une notion valable sur les associations de mots comme moyen de déterminer
l'étiologie d'un trouble mental.

De plus, il faut souligner l'importance de la médecine du Prophète Mahomet. En effet, on a pu


relever, dans les Hadiths (tradition prophétique authentique), certaines plantes médicinales telles
que la nigelle, le henné, le cresson alénois, le harmel, le séné, le kadi, le cautère...

Cette approche clinique des maladies mentales, chez les arabes, fut adoptée plus tard par le
monde occidental à partir du XVe siècle.

A une époque où les Européens attribuèrent à la « folie » une signification surnaturelle, les
médecins arabes avaient des conceptions beaucoup plus valables. A en croire les Drs Sérieux et
Lwoff (1911), la création des asiles par les Arabes, en Espagne, donna naissance à l'idée de
l'assistance des aliénés qui fut propagée dans le monde chrétien. Dans le même ordre d'idées, P.
Jacerme, souligne que la naissance des hôpitaux à caractère médical, en Espagne du XVe siècle
(à Saragosse, Séville, etc.) laisse penser à une influence arabe.

Ce qui illustre nettement l'impact de la médecine arabe sur la médecine occidentale est le fait de
constater que les deux cents ouvrages environ d'Abou Bakr Mohamed Ben Zakariya Ar-razi (le
Rhazès des Latins du Moyen-Age), le père de la médecine arabe, furent tous traduits en latin. Par
ailleurs, Wüstenfeld a écrit trois cents traductions de médecins arabes.

D'autres traducteurs tels que Constantin l'Africain (1015-1087) et Gérard de Crémone (1114 -
1187) ont transmis la culture médicale arabe en Europe. Cet héritage médical fut propagé sur-but
par les deux grandes Ecoles laïques de Salerne et de Montpellier.

Après cette apogée, le monde arabo-musulman, connut, à partir du XIIIe siècle, une décadence
culturelle et scientifique. De ce fait, la médecine arabe fut en plein immobilisme alors que la
médecine occidentale se perpétua.

Cette décadence médicale était principalement caractérisée par la disparition de tout


enseignement médical. A titre d'exemple, au Maroc, l'enseignement de la médecine arabe fut
bloqué et par conséquent le champ est resté libre pour la psychiatrie occidentale. Ainsi au
lendemain de l'instauration du Protectorat français, cette dernière s'est introduite au Maroc,
accompagnée d'un stock culturel totalement différent de la culture arabo-musulmane déjà ancrée
dans la mentalité des indigènes.

Bref, c'est la période de dépendance médicale vis-à-vis de l'Occident. L'organisation de l'hygiène


mentale restera à l'image occidentale.

En ce qui concerne le Maghreb du début de ce siècle soulignent les Drs Lwoff et Sérieux
(médecins en chef des asiles de la Seine qui furent chargés, en 1910, par la France, d'une mission
au Maroc et en Tunisie pour y étudier la situation des aliénés), l'assistance des malades mentaux
était inexistante. La création d'une institution psychiatrique occidentale s'imposa. Ainsi,
l'assistance des « fous » devient de plus en plus occidentalisée, et la médecine arabe disparaît.
Ahmed Larheribi
Docteur en Psychologie
Professeur de Psychopédagogie à l'E. N. S de Marrakech VI

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