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Hamid OURAZOUK

De la monarchie parlementaire
 
A notre époque, nombreux sont ceux qui croient que l’instauration, au Maroc, d’une
monarchie parlementaire est l’unique voie qui mène vers le développement et la
prospérité. A force de la répéter, cette idée a fini par devenir un des dogmes les plus
indiscutables chez beaucoup de nos politiques.
Or, cette vision erronée n’est que la conséquence immédiate d’une autre erreur. Il s’agit
de l’idée, très généralement répandue, que les institutions peuvent remédier aux
imperfections des sociétés, et que le progrès des peuples résulte de la seule réforme des
constitutions.
Certes, cette assertion est aussi vieille que la pensée politique. Elle fut, tout au long de
l’Histoire, le point d’appui de toutes les révolutions ayant secoué les différentes
civilisations. Mais est-il vrai que les changements sociaux s’opèrent par le seul
changement des codes et des lois? Assurément, nous ne pouvons répondre que par la
négative. Car nous pensons, à l’instar du sociologue français Gustave Le Bon, que les
institutions sont filles des idées, des sentiments et des mœurs ; et qu’on ne refait pas les
idées, les sentiments et les mœurs en refaisant les codes. «Les peuples, écrit Le Bon, ne
sont pas gouvernés suivant leurs caprices d’un moment, mais comme l’exige leur
caractère». Par conséquent, aucun peuple n’a le pouvoir de choisir des institutions à son
gré, pas plus qu’il n’a le pouvoir de choisir la couleur de sa peau.
A ce propos, la Révolution française représente l’exemple typique des drames pouvant
être causés par la volonté de transformer les destinées des hommes à travers le brusque
changement des régimes politiques. Ignorant, en effet, que la grandeur d’une nation
dépend de son caractère et nullement de la forme de son gouvernement, les penseurs de
la révolution de 1789 prêchèrent la mise en place d’un système politique créé de toute
pièce. Cependant, leur action ne fut qu’un désastre ayant conduit la France à la dictature.
A l’heure actuelle, ce sont les américains qui semblent suivre la même chimère. En effet,
les Etats Unis mènent, en Irak et en Afghanistan, deux guerres sanglantes dont le but est
d’imposer des institutions auxquelles est attribué le pouvoir magique de métamorphoser
les sociétés. Mais la résistance des peuples irakien et afghan démontre que les
constitutions politiques n’ont nullement le pouvoir surnaturel d’être valable en tout lieu.
Utiles à un moment donné pour un peuple donné, elles peuvent être nuisibles pour un
autre.
Malheureusement, cette loi, pourtant évidente, demeure méconnue de la part de tous
ceux qui réclament, avec un enthousiasme exaltant, une monarchie parlementaire au
Maroc. Des personnes qui, pour étayer leur position, passent leur temps à disserter
philosophiquement sur les limites de notre constitution actuelle ainsi que sur celles du
régime auquel elle donne naissance. Un régime au sein duquel ces adeptes de la
rationalité politique pensent que le monarque occupe une place de première ordre
éclipsant, de la même, les autres acteurs. Aussi ces mêmes personnes considèrent-elles
l’activité royale parmi les facteurs perturbateurs de l’action gouvernementale. Des
considérations qui impliquent, à leurs yeux, la nécessité d’élaborer une nouvelle loi
fondamentale qui aura pour conséquence la restriction des pouvoirs dévolues au Roi.
Sans doute, les critiques formulées, ainsi que les réformes préconisées, sont
parfaitement valables aux yeux de la raison pure. Or, ce n’est point la raison qui mène la
vie des peuples. Car quand nous voyons le notre, composé d’ethnies diverses, consacrer
des siècles d’efforts pour fonder cette forme de gouvernement que certains veulent
changer de manière subite ; quand nous constatons les puissants liens affectifs qui
unissent les marocains à leur Roi, nous pouvons conclure que notre système politique
n’est, en réalité, que le résultat d’inexplicables nécessités dont on ne soupçonne même
pas l’existence. De là, vouloir importer des institutions, aussi parfaites soient-elles, ne
serait que contraindre les marocains à porter un vêtement d’emprunt complètement
étranger à leur structure mentale.
Deux raisons nous poussent à croire qu’une monarchie agissante est, pour le moment,
l’une des conditions même de la stabilité de notre société :
* Elle est, en premier lieu, un facteur indispensable pour la cohésion nationale. Personne
ne peut, en effet, nier que les différentes composantes de la société marocaine sont bien
loin d’être fusionnées. Dans ce contexte, l’œuvre la plus utile de la royauté fut toujours
de cimenter les divers éléments de notre mosaïque ethnique. Le roi représente donc, de
ce point de vue, un symbole qui cristallise autour de lui les aspirations de l’ensemble des
citoyens. Méconnaître cette réalité c’est occulter l’une des spécificités inhérentes à notre
particularité nationale.
* Dans un second lieu, l’institution royale est, selon nous, le seul acteur politique qui n’a
pas perdu sa crédibilité aux yeux du peuple marocain. A cet égard, les scènes d’euphorie,
par lesquelles le souverain est accueilli, sont éminemment significatives. Elles sont, à
notre entendement, une preuve irréfutable des espérances énormes que les
déplacements royaux font naître au fond des âmes des citoyens. En revanche, les autres
acteurs, notamment les partis politiques dont le rôle primordial consiste à encadrer les
citoyens, ne jouissent, eux, que de peu de popularité au sein des différentes couches de
la société. Certes, nous sommes ici devant l’une des anomalies de notre vie politique à
laquelle l’on doit impérativement mettre fin. C’est dire l’utilité d’entamer, dès
maintenant, des réformes susceptibles de redonner aux formations partisanes leur éclat
de jadis.
Cependant, la réforme entreprise devrait innover pour se débarrasser de l’anomalie et
non pas pour créer un autre malaise plus grave que celui auquel on remédie. C’est là une
règle précieuse qui devrait guider toutes les actions réformatrices qui se profilent à
l’horizon. Hélas! Certains esprits croient pouvoir agir sans qu’ils aient besoin d’idées
orientatrices de quelque nature qu’elle soit. Il s’agit de ces esprits imprévoyants qui,
dédaignant les réalités et ignorant que l’on n’expérimente pas sur une société comme sur
des cobayes, prétendent être en mesure de remplacer, du jour au lendemain, un régime
ayant pris des siècles pour se former par un autre. En substituant à l’institution royale
des institutions sans aucun éclat, on risque de briser le lien ancestral qui nous a toujours
unis. L’heure présente est peu favorable à de tels bouleversements. Car ceux-ci sont,
souvent, à l’origine de brutales déchirures qui ne se réparent que difficilement.
La réforme de nos institutions est certainement recommandable et toutes les forces vives
de la société en attendent la réalisation, mais elle ne deviendrait utile qu’à la condition
d’être convenablement orientée.
Il faudrait, à notre avis, établir de nouvelles relations entre nos institutions sans trop
s’éloigner, toutefois, de leur schéma actuel. Car l’on ne doit pas perdre de vue, en aucun
instant, que les institutions qui nous gouvernent sont l’expression des besoins de notre
âme collective, et ne sauraient, par conséquent, être, à elles seules, la source des maux
dont souffre notre société.
Le sous-développement de notre pays n’est, avant tout, que le fruit de notre caractère.
Un caractère qui ne pourrait être transformé qu’après de longs efforts éducatifs et,
nullement, par le biais des seules réformes législatives. D’ailleurs, l’exemple chinois
montre parfaitement que les institutions n’ont aucune vertu intrinsèque, et qu’elles ne
sont ni bonnes ni mauvaises en elles-mêmes. En effet, la chine, se développe
merveilleusement malgré la dictature du parti unique à laquelle elle est soumise, alors
que d’autres, tels que les pays africains, végètent dans la plus extrême pauvreté bien
qu’ils soient, majoritairement, régis par des constitutions démocratiques.
Cela nous mène à conclure, en disant avec Le Bon, que «c’est un inutile exercice de
rhéteur que de perdre son temps à fabriquer des constitutions. La nécessité et le temps
se chargent de les élaborer, quand on laisse agir ces deux facteurs».
24/3/2011

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