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01/06/2011 improviser-ca-ne-s-improvise-pas - ma…

Improviser, ça ne s'improvise pas


Premium . Premium . 17-04-2011

Tags : Management

Le 17/032011

Connaissez-vous l’improvisation créative? Il s’agit d’une nouvelle méthode pour trouver des idées géniales,
un peu à l'image de ce que sont capables de faire les musiciens de jazz…

Auteurs : Clin M. Fisher et Teresa M. Amabile | Rotman Magazine

Aujourd’hui, les créateurs qui trouvent des idées géniales tout seuls dans leur coin se font de plus en plus
rares. Ils travaillent plutôt au sein de grandes organisations ayant un rayonnement mondial. D’où l’intérêt
récent des chercheurs en management pour le domaine de la créativité en entreprise.

Cet engouement est né du champ de la psychologie, avec The Art of Thought, un ouvrage précurseur de
Graham Wallas. Ce dernier y considérait qu’un processus créatif efficace doit reposer sur les quatre étapes
suivantes :

1. La préparation, stade au cours duquel le problème à résoudre est déterminé, et où les données
pertinentes sont relevées;

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2. L’incubation, où le problème est mis en veilleuse pour laisser agir l’inconscient;

3. L’illumination, qui est le surgissement de l’idée ou de la solution;

4. La validation, où l’idée ou la solution sont évaluées et testées.

Depuis, l’analyse du processus de créativité a connu de nombreuses variantes. Ainsi, certaines accordent un
rôle prépondérant au stade de l’incubation, alors que pour d’autres, l’illumination suffit à la génération
d’idées. Mais en règle générale, les théories qui traitent du processus créatif comprennent des stades distincts
et séquentiels qui vont de la compréhension du problème au développement de solutions créatives, en passant
par le choix de solutions de rechange.

Dans le cadre de cet article, nous donnons à cette approche conventionnelle le nom de créativité
compositionnelle. Celle-ci semble convenir pour différents aspects de la créativité en entreprise, comme la
mise au point par étapes de nouveaux produits. Cependant, il existe une autre forme de processus créatif, où
il ne semble pas y avoir des stades distinctifs dans le temps. C’est ce que nous appellons l’improvisation
créative.

L’improvisation créative est un condensé de plusieurs stades du modèle conventionnel. En effet, pour
improviser, on doit simultanément distinguer de nouveaux défis et générer des réponses dans un laps de
temps très court. En fait, le processus d’improvisation constitue une seule et même étape, à savoir une
réaction immédiate au problème rencontré. Pas de place, dans le cas présent, à la moindre préparation.

L’exemple de la musique est éclairant. Le saxophoniste de jazz Steve Lacy explique ainsi la différence entre
composition et improvisation : «La différence, c’est que dans la composition, vous avez tout le temps que
vous voulez pour décider ce que vous allez dire en 15 secondes, alors que quand vous improvisez, vous avez
juste 15 secondes».

Les théoriciens de l’organisation se sont penchés récemment sur le rôle que joue l’improvisation au sein des
entreprises, en s’inspirant parfois du jazz pour y trouver leurs concepts. Cependant, rares sont ceux qui ont
pu faire des liens explicites avec les connaissances reconnues sur la créativité en entreprise. Certains d’entre
eux ont défini l’improvisation comme «le degré auquel la composition et l’exécution d’une action convergent
dans le temps»; «le procédé créatif et spontané qui vise à atteindre un objectif d’une façon innovatrice»; ou
encore «la conception de l’action alors qu’elle se déroule, effectuée par une organisation et/ou par ses
membres, en puisant à même les ressources cognitives, affectives et sociales disponibles». Dans chacune de
ces définitions, on voit qu’un rôle central est accordé aux notions d’innovation et de temps.

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L’improvisation doit impliquer la nouveauté et diverger d’une certaine façon des plans ou des conceptions
précédents. Cette conception de l’action pendant qu’elle se déroule ne peut être revendiquée que si la
réaction diverge d’une certaine façon des habitudes; sinon, ce n’est plus de l’improvisation. Et l’improvisation
est «créative» si elle a pour but d’apporter une nouveauté, peu importe si celle-ci se révèle être une trouvaille
ou un échec.

En pratique, l’improvisation implique souvent l’exécution de parties d’un matériau composé au préalable, et
inversement, de nombreuses compositions sont partiellement produites grâce à des moments d’improvisation.
Ainsi, l’improvisation et la composition reposent souvent sur un «vocabulaire» de petits morceaux d’action –
qu’on appelle des «ready mades» dans le théâtre d’improvisation, ou des «licks» en jazz – qui introduisent
des éléments qui ne sont pas nouveaux en soi.

D’où notre propre définition de l’improvisation, en tant qu’«actions possédant un indice élevé de nouveauté et
un faible indice de séparation temporelle de la conception et de l’exécution». Lorsque de telles actions se
produisent en entreprise, nous les considérons comme des cas d’improvisation organisationnelle.

Ce type d’improvisation peut survenir dans trois cas distincts :

1. Les crises soudaines

Dans l’incendie de Mann Gulch qui éclata en 1949, certains pompiers outrepassèrent les consignes et
s’allongèrent dans les cendres d’un petit incendie qu’ils avaient eux-mêmes, dans l’espoir que les flammes de
l’incendie principal les contournent. C’est ce qui s’est produit, et ils eurent la vie sauve.

Autre crise soudaine : en 1982, trois personnes trouvèrent la mort après avoir consommé du Tylénol, un
médicament en vente libre dans lequel on retrouva des traces de poison. James Burke, le PDG de Johnson &
Johnson, la compagnie qui commercialisait le Tylenol, devait prendre une décision rapide tout en ayant une
connaissance incomplète de la situation, puisqu’il ignorait la source du poison (en réalité, une personne avait
mis du poison dans des flacons vendus par un magasin) et recevait une quantité considérable de conseils
contradictoires.

M. Burke, pressé par le temps et les médias, ordonna le rappel immédiat de tous les Tylenol en circulation. À
l’époque, de nombreux analystes prédirent que cette décision risquait de causer l’effondrement de
l’entreprise. Mais ils se trompèrent, et aujourd’hui encore on louange son improvisation, car elle a apporté à
Johnson & Johnson une grande confiance de la part des consommateurs.

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2. Des occasions inattendues

En 1970, l’entrepreneur George Hatsopoulos voulait lancer son entreprise dans une nouvelle branche, celle
des appareils de mesure industriels. Il avait des idées sur les appareils qui répondraient à certaines attentes,
mais rien de plus. Au cours d’un déjeuner de travail, un cadre de Ford lui confia que le vote du Clean Air Act
par le Congrès allait compliquer la tâche des constructeurs automobiles, car il leur faudrait désormais mesurer
les oxydes d’azote émis par les moteurs à un degré d’exactitude atteignant une partie par million. Or à
l’époque, il n’y avait aucun instrument capable de faire de telles mesures. Sur le champ, M. Hatsopoulos lui
promit que si Ford lui passait une commande, il lui livrerait un tel appareil dans les trois mois.

Avant même qu’il n’ait eu le temps de se retourner, Ford lui passa une commande. Puis, Toyota et
Mercedes. M. Hatsopoulos s’aperçut que l’argent n’était pas un problème pour ses nouveaux clients, chacun
sachant que l’instrument en question était le seul qui serait rapidement disponible. Il créa alors Thermo-
Electron Corporation et dépensa sans compter pour respecter les commandes. Le succès fut considérable et
dura plusieurs années.

3. La créativité compositionnelle

Chez Ideo, une agence de design réputée pour sa pratique du design thinking, les réunions de brainstorming
sont axées sur l’improvisation, mais avec une contrainte de temps – un processus dont la durée peut être de
plusieurs semaines, voire de plusieurs mois. L’analyse de cette méthode permet de voir que plusieurs
éléments sont nécessaires à l’improvisation : un indice élevé de nouveauté; un faible niveau de séparation
temporelle entre la conception et l’exécution; et surtout, l’action ne doit pas n’être que spontanée et
novatrice, elle doit aussi être adéquate.

Il en ressort, entre autres, que dans l’improvisation efficace, processus et produit sont liés. Par exemple,
lorsqu’on qualifie de «créative» l’attitude de M. Hatsopoulos lors de ce dîner, on considère que ce qu’il a fait
était novateur (parce qu’il s’éloignait de la réponse habituelle ou attendue) et approprié (parce qu’il répondait
parfaitement aux exigences de la situation). C’est pourquoi nous suggérons que toute improvisation créative
inclut un élément essentiel qui n’a pas été spécifié par les théoriciens de l’improvisation, à savoir la réponse
aux stimuli proximaux.

Les stimuli proximaux sont constitués de l’ensemble des facteurs pertinents observables au moment de
l’action, ou immédiatement avant le moment de l’action. Dans un band de jazz, ces stimuli correspondent à ce
que les autres sont en train de jouer, et à ce que le musicien lui-même vient de jouer. Un tel band est créatif
en tant que groupe, dans la mesure où les musiciens sont sensibles à ce que jouent les uns et les autres, et s’y
adaptent.

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De là notre définition de l’improvisation créative comme «l’ensemble des actions qui répondent à des stimuli
proximaux, lesquelles contiennent à la fois un degré élevé de nouveauté et suivent de très près la présentation
du problème, la genèse de l’idée et son exécution». De telles idées sont échelonnées sur un continuum suivant
leur degré d’innovation, le degré de séparation temporelle, et le degré de réponse aux stimuli proximaux.
Lorsque de telles actions se produisent en entreprise, elles sont considérées comme étant des cas
d’improvisation créative organisationnelle.

Contrairement aux modèles conventionnels de créativité, le nôtre possède deux attributs distinctifs :

a. la préparation précède le processus de l’improvisation;

b. les stades sont «fluides», c’est-à-dire que la présentation du problème, la genèse de la réponse et
l’exécution de celle-ci se produisent pratiquement en même temps.

En créativité compositionnelle, la préparation peut inclure l’apprentissage des compétences appropriées, et le


fait d’obtenir l’information nécessaire pour exécuter la tâche. Par exemple, lorsque l’équipe d’une agence de
publicité met sur pied une campagne pour un nouveau client, elle recherche souvent les campagnes
précédentes, se renseigne sur l’industrie et compare le client à ses concurrents, avant de commencer à
générer des réponses. Toutefois, en improvisation créative, une telle préparation est impossible parce qu’une
action immédiate est nécessaire. Il faut à la place mémoriser une somme de connaissances ainsi que des
routines rapidement accessibles et assez souples pour s’adapter aux exigences que requiert la situation. Ainsi,
les musiciens de jazz étudient la théorie et apprennent des canevas communs avant de choisir le morceau
qu’ils joueront lors d’un jam session. La naissance des idées qui serviront dans un solo et leur exécution se
font simultanément. De la même façon, M. Hatsopoulos n’avait pas réfléchi à la réponse qu’il allait donner à
son partenaire. Il livrait simplement ses idées au cadre de Ford au fur et à mesure qu’elles lui venaient à
l’esprit, en se fondant sur la qualité de ses recherches, sa formation et son expérience.

Après la préparation vient le processus d’improvisation proprement dit. Au fur et à mesure que se déroulent
les événements, et que les données deviennent disponibles, les actions se forment en conséquence et la nature
même du problème peut également changer. De cette façon, les stimuli proximaux font deux choses : ils
présentent le problème, et ils se transforment au gré des réponses et de leur exécution. Les résultats créatifs
et improvisés sont innovateurs (ils sont divergents) et adéquats (ils répondent aux stimuli proximaux). Comme
nous l’avons souligné précédemment, ces résultats peuvent constituer le résultat final, comme dans une
improvisation de jazz, ou encore représenter les réponses possibles au sein d’un processus compositionnel,
comme dans le brainstorming structuré utilisé chez Ideo.

Les éléments qui influencent l’improvisation créative diffèrent également quelque peu de ceux qui jouent dans
le modèle componentiel conventionnel. En improvisation créative, il est nécessaire qu’avant l’action, un grand
nombre de faits et de routines soient facilement accessibles et bien organisés. Contrairement à ce qui se passe
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en créativité compositionnelle, une telle expertise ne peut être obtenue après la présentation d’un problème.
Comme l’improvisation se produit souvent en réaction à une crise, ou lors d’un imprévu, il est probable
qu’une personne ou un groupe peu expérimenté improvise de façon peu créative dans de tels cas.

C’est qu’improviser n’est pas à la portée de tout le monde. Il faut être prêt à prendre des risques. Il faut aussi
être motivé par la mission à accomplir. Il faut encore que l’environnement dans lequel évolue le groupe soit
propice à l’innovation. Sans quoi, pas de place à la moindre improvisation.

Notre approche de l’improvisation souligne le fait qu’il est crucial d’avoir l’expertise nécessaire pour arriver à
un résultat probant, et donc qu’il y ait une certaine forme de prédisposition avant de se lancer dans une
improvisation. Et nous sommes convaincus qu’elle peut être d’un grand secours pour les entreprises,
notamment losrqu’elles se retrouvent plongées dans une crise majeure, confrontées à un imprévu dangereux.
Produire de bonnes idées vite et bien est nécessaire aujourd’hui pour grandir, ou tout simplement survivre.

*****

Colin M. Fisher est un doctorant en comportement organisationnel à Harvard… et trompettiste de jazz.

Teresa M. Amabile est professeure en management à la Harvard Business School.

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