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TRADUCTION FRANÇAISE
DES ŒUVRES COMPLETES

SAINT JEAN CHR^SOSTOME

TOME PREMIER
AVIS IMPORTANT

JTai seul le droit de joindre aux Œuvres complètes la vie de Saint Jean Chrysoslorne par l'abbé

Martin ; je suis seul propriétaire de cette traduction française ••


toute reproduction partielle ou totale,

contrefaçon ou imitation, sera poursuivie rigoureusement, conformément aux lois.

SUEUR-CHARRUEY
EDITEUR.
SAINT JEAN

CHRYSOSTOME
ŒUVRES COMPLÈTES
TKADUITES POUH LA PREMIÈRE FOIS EN FRANÇAIS

sous la Direction

DE M. JEANNIN
Licencié ès-lettres, professeur de rhétorique au collège de l'Immaculée Conception de Saint-Dizier

TOME PREMIER

HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME


Exhortations à Théodore. — Da Sacerdoce.

ARRAS
SUEUR-CHARRUEY, Imprimeur-Libraire-Editeur
Petite- Place, 20 et 22.

1887

J
THE IKSTlTUTi: CF KECt^EVAL STUCIES
13 ELMSLEY PLACE
TOROMO 5, CAHADA,

DEC -3 1931
'

>»r. .
-^^
AVIS DE L'ÉDITEUR.

Je dois au lecteur quelques mots sur les aussi'ôt de se récrier : quelqu'un prononce
motifs qui m'ont fait entrepreniire celte édi- même le mot de sacrilège : la plupart pro-

tion des OEUVRES de saint Jean Curvsostome fitent de la circonstance pour flétrir, en gé-
traduites, pour la première fois, intégrale- néral, la manie qui se répand trop aujour-
ment en français, sur le caractère de cette d'hui, de traduire en langue vulgaire ce que
traduction, sur le plan et le contenu de l'ou- nos pères savouraient, dit-on, dans le texte

vrage. original. Notre défenseur n'essaie pas d'ar-

Pour le premier point, rien ne résumera rcler directement cette explosion de plaintes,

mieux ma pensée que l'incident d'une con- si justes à certains égards.

férence ecclésiastique, que j'ai raconté déjà Il s'adresse successivement à chacun de ses

dans un de mes prospectus. 11 fut question, confrères et en obtient les réponses qu'il
dans cette conférence, de saint Jean Chryso- désire : « Voyons, dit-il, soyons de bonne
Btome; chacun enchérit sur son éloge, pour foi , confessons la vérité. Vous, Monsieur le
lequel on se contenta de citer les anciens, curé de X***, faites-vous une lecture bien
car la matière est depuis longtemps épuisée, assidue de saint Jean Chrysostome en grec?
et le jugement des siècles immuable. « Saint — J'avoue que je ne le lis pas. — El vous,

Jean Chrysostome, soit dans la pensée, soit Monsieur le curé de X***? — Ni moi non

dans l'expression, a quelque chose de divin, plus. — Et vous? — Ni moi ». Tous, sans
ou qui du moins passe la portée de l'esprit exception, firent l'aveu, a Maintenant, reprit-
humain '. Il a mieux que personne expliqué il, veuillez répondre avec la même franchise

l'Ecriture sainte *... Les orateurs chiéliens à une autre question. Vous lisez volontiers,
devraient le lire, comme faisait Bossuet, toutes j'en suis sûr, surtout lorsque c'est nécessaire,

les fois qu'ils se préparent à la chaire ; ils se et que le français vous manque, quelques
monteraient alors au ton de la véritable élo- pages de saint Jean Chrysostome en latin.

quence... » Ainsi, parlait-on de celui qu'on Mais où est celui qui en lise d'un bout à
appelait le Bossuet grec. Un membre alors l'autre, et d'une haleine, des traités entiers,

annonce, comme une bonne nouvelle, que comme s'il s'agissait de Fénelou ou de Bos-
les oeuvres de saint Jean Chrysostome vont suet ?» La réponse fut unanime : c'est que, si

bientôt paraître en français. Tout le monde saint Jean Chrysostome n'est presque pas lu

en grec, il ne l'est guère plus en latin, et


totomiQ*, Ut. Tm, (. a.
' SvldAi. qu'il le serait universellement eu fiançais.

S. J. Cl. — ToMi I.

I53S
u AVIS DE L'ÉDITEUR.

Je crois que c'est là rerprpssion de l'opi- Telles furent les con«idôrfitions qui me
nion, ou mieux ilii hos )iii puhlic, et c'est lui di'lfrmiuc'reut à iiuldier saint Jean rhrysn-

qui me guide. Il serait à désirer que tout le stnme. J'ai, de plus, cherché à réaliser le

monde pût jouir de saint Jean Clirysostome vœu de Bossuet et de saint Augustin. Pour
en sa langue originale : car là seulement il ne citer que ce dernier, il suppliait saint

s'offre à nous avec tous ses charmes ; est-il Jérôme de traduire les principaux Pères
rien de plus naturel, de plus pur, de plus grecs, surtout saint Jean Chrysostome, le
harmonieux que la langue d'Isocrate, ré- plus grand, parce qu'il n'entendait pas assez
sonnant dans la Bouche d'Or? quelle magni- bien le grec pour lire ces auteurs dans leur
fique éloquence, quels sons vivants, lorsque langue originale. Quel esprit juste pense-
le souffle chrétien, souffle cdeste, anime le rait autrement? La lecture de saint Jean
plus suave de tous les idiomes, de tous les Chrysostome est-elle d'une mince utilité?
instruments de la pensée le plus mélodieux Ne vaut-il pas mieux le lire en français que
à l'oreille humaine ! de ne pas le lire du tout? La traduction
Mais saint Jean Chrysostnme perd-il toutes française empêchera-t-elle la lecture du
ses beautés pour nous, lorsqu'on le fait sor- grec, ou plutôt n'y préparcra-t-elle pas? Ce

tir de cette langue étrangère et généralement qui m'a confirmé dans mon dessein, c'est

ipnorée? Ceux qui ne peuvent trouver dans que cette publication, à peine annoncée, a

le grec ces trésors de doctrine et d'élo- reçu partout un accueil non équivoque, qui
quence, en seront-ils privés? Ecoutez saint a consisté en de très-nombreuses souscrip-

Thomas d'Aquin, sa réponse vaudra mieux tions.

que la mienne. Quoiqu'il n'eût qu'une mau- Il est vrai que je n'ai rien négligé pour
vaise traduction latine des commentaires de rendre cette publication aussi parfaite que

saint Jean Chrysostome sur saint Matthieu, possible.

il dit pourtant qu'il ne l'eût pas échangée On trouvera au commencement du tome I"
contre la ville de Paris. Or, dès que vous en le portrait de saint Jean Chrysostome, peint
êtes réduits à des traductions, pourquoi par Champagne, gravé par un de nos meil-
préférer la traduction latine ? Le latin n'est leurs artistes. Ce portrait, sans doute, n'est

pas plus de saint Jean Chrysostome que le pas authentique, mais il est traditionnel : il

français ; s'il offre plus de garanties de fidé- répond, trait pour trait, à celui qu'a tracé

lité comme traduction, il faut pourtant con- un écrivain du xi° siècle , reproduit dans

venir qu'il est lui-même un idiome dont on l'histoire de saint Jean Chrysostome.

ne connaît pas tous les secrets, soit qu'on Vient ensuite l'histoire de saint Jean Chry-

le parle, soit qu'on l'écoute. Comme nous sostome, par M. l'abbé Martin (d'Agde), curé

ne sommes ni à l'époque, ni dans le pays de Montpellier '


; c'est le seuil nécessaire

de Cicéron, il est peut-être plus facile à un * Cet ouvrage ne se vend siSparéraent qne chez M. Félix Séguin.

Prix 21 francs net


: : 15 francs. Dans mon édition, il reviendra
:

traducteur de faire passer, et à un lecteur aux souscripteurs à environ cinq francs.


Il a été honoré d'un Bref de Notre Saint-Père le Pape Pie IX ;
de saisir un auteur grec, en français qu'en des approbations de Son Eminence le Cardinal de Bonald, arche-
vêque de Lyon de Mgr l'Archevêque d'Avi;,'non, de NN. SS. les
latin. Quoi qu'il en soit, du reste, des tra- ;

Evoques de Grenoble et de Nîmes, de celle du R. P. Lacordaîre,


et des encouragements des Meait}res les plus éminents du clergâ
ductions latines, pour ce qui est de celle de
de France.
saint Jean Chrysostome, elle laisse beau- Lettre adressée à l'auteur par Mqr l'4oégue d'Orléans.

coup à désirer pour la fidélité. Une traduc- Orléans, le 20 février 186Î.


Monsieur le Curé,
tion française plus fidèle serait donc en C'est le cœur profondément ému et les larmes aux yeux que Ja
Tiens d'achever le beau chapitre dans lequel vous racontez le re-
même temps plus avantageuse, plus com- tour triomphant de saint Jean Chrysostome à Constantiuopls
«pris sa mort.
mode et plus agréable. Laiisczmoi TOUS dire combien ]'al go&U votre savant «t ilQ-
,

AVIS DE L'ÉDITEL'Il. m
pour entrer dans la pensée de saint Jean non-seulement la pensée, les images, les

Chrjfsostome comment comprendre les


;
tours, la manière de l'auteur ; mais encore
écrits d'un homme, si l'on ignore sa vie, à les moindres nuances de son style, et jus-

moins de recueillir, de rassembler les traits qu'à l'allure de chaque phrase. De là, cer-

de cette vie épars dans ses écrits, ce qui est tains risques dans la traduction ; car, outre

l'office d'un historien, non d'un simple lec- la différence qui existe entre le génie de la
teur? D'ailleurs, M. Martin nous donne langue grecque et celui de la langue fran-
l'historique de chaque ouvrage du grand çaise, le style de saint Jean Chrysostome,
docteur; il le critique, en fait connaître le ordinairement simple, clair, vif, entraînant,

sujet et le ton. Le lecteur voudra donc bien, est en quelques endroits chargé, ampoulé ;

avant chaque écrit, se reporter à l'endroit quoique sa pensée s'élance presque toujours
de l'histoire où il en est traité. C'est pour neuve, hardie, sublime, il traîne parfois,

rendre ce recours plus facile, que les Œuvres dans sa marche tout asiatique, comme di-

de saint Jean Chrysostome ont été rangées rait Cicéron, sujet lui-même à ce défaut, un
dans l'ordre où il les a composées; elles se cortège trop nombreux d'idées, d'images,

dérouleront parallèlement à sa vie , dont de passions qui nous semblent oiseuses, di-

elles font partie intégrale, qu'elles éclairent gressives ; un traducteur, en le suivant, a

et dont elles sont éclairées. On aura ainsi l'air d'avoir une marche pesante. Il plairait

comme la chronologie de la pensée de cet davantage au vulgaire s'il ne s'arrêtait qu'aux


insigne génie. pensées saillantes de l'original, s'il ne pre-
Avant chaque écrit on a mis une analyse nait que la fleur du texte grec, pour l'expri-

raisonnée , comme celles qui précèdent mer dans le langage libre , coupé , sans

pour la première fois, dans mon édition, gène , des écrivains populaires de notre

chaque sermon de Bossuet. temps ; car beaucoup manquent d'haleine

Le dernier volume se termine par les ta- aujourd'hui et ne peuvent supporter la lec-

bles suivantes : Table des passages de la ture ;des phrases du xvii° siècle, savantes,

Sainte Ecriture commentés par saint Jean majestueuses, aristocratiques, modelées sur

Chrysostome ; Table, par ordre alphabéti- Démosthène , Cicéron et les autres héros

que , des innombrables matières traitées de la pensée antique ; mais une traduction
dans tous ses écrits. aussi fidèle, aussi complète, d'ailleurs tou-

Quant à la traduction, on ne pouvait guère jours correcte, jamais dépouillée de l'élé-

construire un édifice aussi considérable, gance propre à ce genre, offre deux avanta-
sans y employer plusieurs ouvriers mais ;
ges inappréciables : elle supplée à la fois et

cela n'exclut pas ïiinitê : car d'abord tous initie au texte original '.

les traducteurs, hommes du métier, se sont J'ai dit qu'il y a beaucoup d'unité dans
imposé les inêmes lois, ont travaillé d'après cette traduction, [parce que les divers tra-

le même plan ; ils se sont appliqués à rendre ducteurs ont suivi les mêmes principes ; de

pcllier, auteur d'un livre intitulé Saint Jean Chrysottome, ses


(jnent oa^nge. et quelles Inmlires vous m'y avez données sur
:

l'Empire, sur l'EglIje, sar toutes les plus grandes choses qui puis- œuvres et son siècle, 3 vol. in-S". C'est en même temps un très-
beau travail hutorique. plein de force et de sagacité, et une ad-
sent Intéresser mon âme.
mirable traduction des plus éloquentes inspirations du saint
SI Jamal* vous traversiez Orléans, Je serais benrenz de vous y
docteur. Il ne me semble pas que l'on puisse obtenir du français
recevoir sous mon toit, et de causer avec voos de votre livre et
(lu grand sujet que vous y avez si consciencieusement
traité. une couleur plus brillante et nue plus impétueuse énergie ».
VeuIU'-z agré:r, monsieur le Curé, l'iiommaiie de mon profond
' C'est assez dire qu'on a répudié la méthode de l'abbé GuUlon,
et religl^.ux dévou-.-meat. t FÉLIX, écêgue d'Orléans.
qui s'attache, non i la lettre, mais k l'esprit de saint Jean Chry-
M- Loci» VECILLOT a écrit les lignes suivantes dans la Jtevue
sostome. l'abrège, lampllile, le redresse. D'après lui, tout est
du Monde catholique, du 10 avril 1862 :
permis au traducteur, « pourvu que le goût préside & son travail,
Le souvenir Jean Chr>-80stome m'amène à nommer
d"* '«ai t et par conséquent lui commande les suppressions, les écU'.ircisse~

DO «tre curé helléniste. M. labiié Meriin fd'Agdc), curé de Slcnt- menis, l"! emteUisiemenls œSme ijue le tette Indique et que It
If AVIS DE L'EDITEUR.

plus, c'est le même qui a traduit les deux prêter, répandre autour d'eux, pour com-
tiers des OEuvres de saint Jean Chrysostome, battre les séductions de la littérature légère,
et revu le tiers traduit par d'autres ; tout mondaine, impie, par les charmes puis-
l'ouvrage a été mis sous sa responsabilité sants de l'éloquence chrétienne. Je serais
littéraire. trop exclusif, je serais injuste envers saint
Ainsi traduit,'ainsi édité, saint Jean Chry- Jean Chrysostome, si je ne l'offrais qu'aux
sostome comme théologien, comme
sera, ecclésiastiques : il a droit à une place
polémiste, comme commentateur de l'Ecri- d'honneur dans la bibliothèque des chré-
ture Sainte, comme orateur, comme auteur tiens, des gens lettrés, de ceux surtout qui
ascétique, un des livres les plus utiles aux se font gloire de ces deux qualités.
ecclésiastiques ,
pour leurs conférences ,

pour leurs lectures spirituelles et leurs LOUIS GUÉRIN,


sermons, un des meilleurs qu'ils puissent Imprimtur-iiilnir.

génie de l'écilvala n'aurait pas mancin^ de lui fournir & Inl-mSm»


ftyec un peu plui de loisir et de réflexions «. (BibUotf'^qus
choisie des Pires, tom» xi, pag» 86.) Bar-le-Duc, U 23 jiiUlet 1863,

1!
HISTOIRE
lE

SAINT JEAN CIIRYSOSTOME.

CHAPITRE PREMIER.

- Silualion respective du Christianisme


CoBsi.!érations préliminaires.
- Néo PlalmiUmP
- Manichéisme. - Arianisme. - Hérésie schismes.- Empiétements dudes polvlliéigme
et Tnn.tw.m.
"*•
- Aperçu général. - Doclear de charité. -Dignité humaine.- L,be enm'M _ Pèrt ^ di ^i !
et
r ,î^^ -i^'"'"'f
Chrysostome:
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dance da - L'Eglise romaine. - Caractère de Jean. _ Portr
l'Orient.
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Chrysostomeapparlienlàcette grande pléiade phales l'ère sanglante et glorieuse des


marlyrs.
d'hommes supérionrs, dont les travaux, les Chose mille foissignalée et digne de l'èlre tou-
Tertu?, le génie ont exercé lant d'influence sur
jours! Proscrite aussitôt que connue,
la reli-
les destinées du Ciiristinnisme, et rempli d'un gion du Christ semble d'abord ne
se révéler au
éclat incomparable le (itialrièine siècle de son monde que par l'unanime horreur qu'elle ins-
histoire. Sa noble et sainte figure .«e détache et
pire. La haine l'accueille la calomnie s'attache
;
resplendit entre les imposantes figures d'Alha-
à ses pas le genre humain s'inscrit en
nase, d'Hilaire, de Bisile, d Ambroise, de Gré-
;
faux
contre elle, elle l'accable tour à tour
de ses co-
goire, d'AugusIin. une des plus belles
C'est lères et de ses mépris. Ses pùles
adeptes, con-
gloires d'une époque qui en compte tant, oij
traints de cachera la clarté du jour,
Dieu se plut à condenser, comme dans un foyer comme des
conS|iiraleurs, leurs pieuses réunions
et leurs
éblouissant, lant de lumière etde sainteté. Tan-
symboles sacrés, sont comme autant de
vic-
dis que vieux monde, s'affaissant dans son
le
times marquées d'un sceau fatal qui les
impuissance, n'offre plus que ie dégoûlant
dévoue
au glaive des bourreaux, aux bêtes de
l'amphi-
speclaclede toutes les niifèrcs unies à toutes les
lhéàtre,aiix fureurs de la multitude; et
lâchetés, les grands talents, les grandes âmes
quand
trois sièclesd'une oppression
sansexemple dans
affluent dans l'Kglise, et, comme des astres
l'histoire ont pesé sur son berceau, trois
siècles
d'unebeautésans rivale, se lèventenmassedans dont elle n'a compté les heures que parles
son ciel jiour attester son immortelle énergie an-
goisses el les supplices des siens quand
; le dé-
etsa divine fécondité. Jamais peut-êtreriiistoire
chaînement croissant des passions, des intérêts
ne mil en regard, dans un si vif contraste, tant
acharnésà sa perte ne lui présagent que l'im-
de grandeur et tant de bassesse, tant de ruines
possibilité absolue d'atteindre son but,
accumulées et t,inl de créations admirables. Ja- un
avortemenl funeste et prochain, la voilà qui
mais peut-être l'infaillible Providence, qui con-
passe tout à coup du chevalet des marlyrs
duit
au
|.ar la main, à travers les tempêtes
et les trône des Césars, et, d'une main meurtrie
combats, l'Fglisu de Jésus-Christ, ne fil éclore
en-
core du poids des chaînes, saisit, pour ne
plus ,

à ses pieds tant de richesses, ni rayonner sur les laisser tomber, les reines de
la destinée hu-
son front tant de splendeur. Il faut
le dire maine Son sang n'est pas élanché, ses bles-
!

aussi jamais peut-être son œuvre privilégiée,


:
sures ne sont pas bandées, que ce monde qui
l'œuvre chrétienne, ne réclama de plus
grands lui crachait au visage, qui la traînait dans
ouvriers.
la boue pour la jeter aux cloaques, qui ne
L'Evangile venaitdecloredesesmaiDStriom-
trouvait pas , dans l'alroce fécondité de son
ToMt I.
illolu;iil:. l)K SMM' JliAN CHIWSOSTOMË.

un culte quelconque, quand celui de


génie, de supplice assez raffiné quand il s'a- part à
atleclions était frappé de défaveur,
gissait des chrétiens, s'étonne d'èlre devenu leurs

tbrélien lui-même; et, s'agenouillant devant avaient poussé vers l'Evangile une foule de

la croix maudite, adore ce qu'il abhorrait, jette


gens qui, l'embrassant sans le goûter, sans le
connaître, restaient catéchumènes toute leur
au teu ce qu'il avait adoré, et déjà dans ses lois,
dans ses mœurs, partout, il découvre l'esprit et vie ou , admis au bajitéme, n'étaient jamais
,

le sceau de la religion nouvelle Une telle ré- !


que de mauvais chrétiens. Saint Athanase ne
monire-t-il pas l'épiscopat lui-même envahi
volution n'a pas d'ana'ogueilans l'histoire. Les
causes humainesne suffisent pas àl'e.vpliquer ;
par des malheureux sans vocation, sans foi;
part jirosternés la veille encore aux pieds des ido-
le doigt de Dieu est là, ou il n'est nulle
les; ne connaissant, ni les livres sacrés des
iur la terre.
chrétiens, ni la doctrine du Christianisme;
Mais ces grands déplacements de l'humanité
toujours païens sous manteau de l'évèque
ne s accomi>lisi;ent pas avec la précision d'une
le ;

évolution militaire, et sans laisser en arrière qui n'étaient dans l'Eglise que ce qu'ils pou-
vaient y être, les suppôts naturels des hérésies,
bien des traînards. Quelque merveilleuse que
lut cette transformation in.s,)érée, elle n'attei- le lléau du sacerdoce, qu'ils déshonoraient

gnit pas de profondeurs sociales; et


si tôt les par la bassesse de leurs sentiments et la plus

Lien qu'elle eût remué et renouvelé bien des infâme vénalité '
?
^

Certes, ces profanations, ces hypocrisies ne


cœurs, elle n'avait pas encore changé et refait
le cœur humain. Désarmé et vaincu, le paga-
laissaient ni éclaboussure ni ombre sur lasplen- .

nisme n'était plus redoutable; cependant il dide sainteté de l'Eglise hautementglorifiée par
complaît encore, surtout dans les campagnes, les touchantes merveilles de modestie, d'abné-
des adeptes obstinés et nombreux. Soit routine, gation, de charité, qu'elle faisait éclore de tou-

soit ignorance ou lâcheté du cœur, soit peut- tes parts.Avec un noble orgueil de mère, elle
être, de la part de certains esprits, cet orgueil- pouvait montrer à ses ennemis, comme à ses
leux besoin de se raidir contre le mouvement amis, les talents, les vertus, le courage, le dé-
quicntraîne les autres, soit enfin que les efforts vouement de presque tous ses pontifes, l'anti-
I)récii)ilés et maladroits de Constance pour
que ferveur, l'incorruptible fidélité d'un grand
déraciner l'idolâtrie eussent rendu quelque nombre de ses enfants. Et néanmoins, dans son
une opposi-
force à ce corps usé, en soulevant sein même, que d'âmes secrètement vouées à

tion inattendue, bien des gens restaient fidèles l'idolâtrie! En vain avait-on dépouillé celle-ci

de ses privilèges publics il lui restait ses séduc-


aux dieux tombés, fréquentaient leurs temples, :

célébraient leurs fétus', se livraient à toutes les tions intimes. Toutes les faiblesses humaines
pratiques de leur culte, les défendaient à ou- étaient de son parti. Ses temples déserts ou fer-

trance. Longtemps après Constantin, le nombre més, elle gardait les cœurs, d'où, comme d'un
de ces dévots, plus ou moins sincères, plus ou réduit imprenable, elle opposait à l'ennemi
moins fanatiques du passé, bien qu'il décrût de triomphant une résistance muelleet passive,
jour en jour, était considérable. Dans l'armée, plus difficile à vaincre que la résistance légale
les païens se trouvaien'tàcôlé des chrétiens, et et armée. Des hommes, dont la persécution eût

souvent même les hautes charges de l'Etat fait des marlyis, énervés par la paix, retom-

étaient remplies par des païens. La ferveur baient, sans y songer, sous le joug méprisé de
des disciples de l'Evangile ne pouvait que l'idolâtrie. Ils se moquaient de Jupiter, de Vé-

souttrir d'un contact incessant et inévitable nus, de Mercure, et volontiers ils se fussent rués

avec ses ennemis. sur leurs autels pour les briser; mais les vices
11 était, d'ailleurs, difficile que, sur tant de déifiés sous ces noms recevaient leur secret eu-
conversions au Christianisme que les derniers cens, et demeuraient les dieux de leur vie. A
temps avaient vu s'opérer en masse, il n'y en côtédu spectacle consolant et sublime des tra-
eût aucune qui ne fût le fruit de la conviction vaux de l'apostolat, des immolations de la cha-
ou le miracle de la grâce. L'exemple du rité, des saintes associations des vierges et des
prince, l'esprit de courtisanerie et de servile veuves consacrées au service des malheureux,
imitation, des complaisances de famille, chez des mœurs graves et douces de la famille chré-
«juelques-uns peut-cire le besoin de prendre tienne, sanctuaire de pureté et de dignité, à
* TUàodoiei, 1. 5, c. £1.
• Sllnl Aibannse, Sist. Arinn., ao 78,
CnAPÎTilK î>REMfER.

co'.ù dv.S' imgnaniines cxenip'os des Paule, des sou Beaucoup de chrétiens en étaient
efficacité.
Mélanie, lies Olyrnpin'cle; au milieu du monve- là. Ilscroyaient aux présages, consultaient le
mvnl spirilualiflo (jui cinporiailan désert, sur vol des oiseaux, attachaient au cou, aux mains
les traccsdos ililarion et des Antoine, lésâmes de leurs nouveau-nés, les plus étranges aum-
lasses du monde, éprises d'un ardent amour leltes, et substituaient aux prescriptions de la
des cliose; du ciel, tandis que les lois se mo- science, dans leurs maladies, les charmes et les
difiaient visiblement au sonftle de l'Evangile, enchantements. Saint Basile, saint Ambroise,
et que denouvellcsinstitulions, empreintes de saint Astère,saintChrysostome nousoullaissé,
son esprit, attestaient son influence croissante ;
des mœurs de leur temps, des peintures si affli-
on rencontrait à clmquepns le paganisme avec geanies, qu'on se demande avec tristesse ce
ses souvenirs tenaces, ses fèlcs licencieuses, ses «lu'était venu dans une société
faire l'Evangile,
vieilles superstitions, son égoïsme, sa luxure, si rebelle à ses enseignements,
si incapable de

ses vices, sa dureté. L'usure, l'esclavage, l'am- le comprendre. Orgies, débauches, vices infâ-

philliéàire, une foule d'usages liorriiil 'S d'im- mes, superstitions ridicules, amour insatiable
moralité ou de cruauté, survivant aux dieux de l'argent, aplatissement des caractères, servi-
qui avaient inspirés, aux édits qui les pros-
les lité honteuse, dureté cruelle envers
les pauvres
crivaient, formaient un cond-asle scandaleux qu'on rencontre presque
et les petits, voilà ce
avec les enseignements de la religion nouvelle, partout à chaque pas. Dans les villes, les men-
insultée et défiée dan^ son triomphe. diants encombrent les rues, où, sur leur char
Il y avaitencore tiop de sang païen dans les d'or ou d'argent, attelé de mules blanches, d'in-
veires du peuple, trop surtout dans celles des dolentes matrones, couvertes de pierreries, sui-
princes. Constantin immolait son fils aux fu- vies d'un interminable cortège d'eunuques et
reurs d(! sa femme, et sa femme au souvenir de de valets, courent de l'église à l'hippodrome,
son fils. Constance asseyait son trône sur les du théâtre au bain. Le même peuple, qui le ma-
cadavres sanglants de ses oncles, de ses cou- tin entoure les autels du Christ et apjdaudit à
sins, des prir.cipanx officiers de son pL're. Va- outrance les orateurs sacrés, lesoir remplilles
lentinien nourii^sail de cliair humaine deux cirques, se passionne pour descochers, et,
mal-
ours qu'il traînait [)nrlo;it avec lui. La trahi- gré éàilsimpcriaux,encouraged'unefaveur
les

son et l'as-a^sinat étaient la iioliliquede Valens. frénétiquelescombats prohibés des gladiateurs.


Gralien inauguraitson lègne par l'injuste sup- Les vertus éclatantes des vrais chrétiens font
plicedu défjuseur le jiliis vaillant et le [ilus dé- ressortir la dégradation des autres. Des lois
voué de remi>ire, du père de Tliéodose etTliéo- ; sages améliorent le sort des esclaves, donnent
dose lui-même, l'ami d'Ambroise, ordonnaille desmédecinsaux pauvres, adoucissent lesinflic-
massacre de Thessaloniipie. n'a u'ie jiart, la for- ordonnent la salubrité des
lions criminelles,
tune des parvenus, fi uil de la délation ou des prisons, protègent les droits de la femme et la
concussions, avait des insolences et des scan- vie des petits enfants, s'efforcent de rendre au
doli'sinouï^.Quelques uns poséd lient des pro- mariage annoncent le glorieux
sa dignité : elles
vinces entières, dépensaient des millions de lever d'une civilisation nouvelle, mais en pré-
sesterces dans une orgie, et, plutôt (]ue de re- senced'une civilisation funeste, toujours debout
trancher de leur lasle ou de leurs débauches, quoique sapée dans ses bases, écrasant de sou
réduisaient leurs fermiers désespérés à mourir poids toute aspiration vers un ordre meilleur.
de faim ou àse faire esclaves. Des pères endettés Les barbares, se précipitant à grands flots sur
vendaient leurs fils pour satisfaire d'impitoya- l'empire, aggravent cette situation, de tous les
bles créanciers. On vit des riches, des puissants, maux qu'ils traînent avec eux. De là, ce cri de
exiger sans scrupule leur prétendu droit de Salvien : o Je ne sais, ô Eglise de Dieu 1 com-
mettre à mort leursesclaves, etdeprendrepour ment il se fait que ta propre félicité se tournant
concubines les filles de ces infortunes. L'impôt contre toi, tu aies ramassé presque autant de
écrasait les cann)ngnes livrées au brigandage vices que tu as conquis de nations. La foi s'est
desexactcnrs. Tout élait anarchie etconfusion; amoindrie à mesure que le nombre des fidèles
età tantd'idésordres l'ignorance et lasupersti- s'est accru, et nous te voyons épuisée par ta
fion en ajouiaient un autre. En dépit des lois fécondité, appauvrie partes richesses, afifaibUd
terribles portées contre elle, les païens les plus et abattue par les propres forces '
1 »
éclairés s'adonnaient à la magie et célcbraient • '"Ivisn, ad Ecc. ca'h,, 1, 1, n, tf
HisToinF nr. saint jf.an chrysortome.

Ainsi, la grande vicloircqiii avait donné l'ciii- l'égo'ismc ; à faire goûter, pratiquer sur une
piio an C.liiislianisnie ne lui donnait pas le vaste échelle le culte sublime de la croix, les
If |Kis. I.a i-aniôie onvorle à son ambition est hautes doctrines du renoncement et du sacri-
liérisséedobî-tacle? et d'ennemis. Il nécliappe à Ike à élever le niveau de l'humanité, à lui
;

nne épreuve que pour tomber dans une autre. donner un nouvel idéal, une nouvelle langue,
Sa lioslinée est lalulte. Or, le plus grand efibrt un nouveau cœur ; cà reprendre en sous-œuvre,
deeeltolullc, sans Irève et sans lin, incombait à remanier, dans ses éléments, cette vieille so-
peut-être au W siècle. Il ne s'agissait plus, en ciété qui se débattait à ses pieds dans la boue et

l'it'ct. d'ubicnir pour le vrai cnlté de Dieu la le sang, pour en faire une société chrétienne,
libertéque les martyrs a\ aient achetée de leur une nouvelle humanité, â l'imafje de Jésus-
sang, ni de jeter à terre de vieilles idoles ver- Christ, l'homme parfait, créé selon Dieu dans
monlnesqiii Imnbaicnt d'ellrs-nièmes, dès que la justice et la sainteté de la vérité K
1,1 main du p«iM\oir leur relirait son appui. Cette œuvre surhumaine de régénération,
Vainqueur du polythéisme, assis sur le trône l'apostolat chrétien l'avait conuncncée au sortir
des Césars, l'Kvangile avait beaucoup à faire, même du Cénacle et, depuis trois siècles, en
;

pour que sa sainteté devînt la conscience du dépit des bourreauxetdesempercnrs, eu dépit


inonde, dont sa doctrine él,iil le tlanibeau. 11 des obstacles dressés sur sa roule, il la menait
availàlutter contre l'ignorance, la superstition, avec un zèle aussi heureux qu'intrépide. Le
les habitudes invétérées, les passions ennemies monde pa'i'en, la philosoi)hie elle-même subis-
de son joug, l'invincible penchant de toute chair saient, en repoussant, l'intluence de l'Evan-
le

au plaisir et à la mollesse ', contre l'invasion gile. Vn vif reflet de sa doctrine répandait sur

du paganisme dans
subreplice et incessante toutes choses un jour nouveau. Mais ce travail
l'ame humaine, autant que contre l'invasion rénovateur, si puissant qu'il fêit, n'empêchait
violente et sanglante des barbares dans la so- jias un autre travail, déjà fort avancé, de disso-
ciété. Ilavailà consoler le monde d'une longue lution et de mort. Deux courants opposés appa-
ojqiression; à verser sur des blessures ancien- rai saient à la surlace et agitaient les profon-
nes, profondément ulcérées, des trésorsd'cspoir deurs de la vieille société ; l'un, qu'accélérait

et d'amour à guérir des cœurs malades


; à ; de fout le poids d'une pression immense l'arri-
briser des chaînes pesantes à remplacer une ;
vée des barbares, et qui poussait fatalement à
législation atroce par un système complet de lois la destruction et au chaos; l'autre, qui partait

jushîs,douces,enqireintesde son esprit; à arra- des autels du Christ, des chaires de ses pontifes,
cher du solel des mœurs cette vieille civilisa- des sanctuaires de ses vierges et de ses ascètes,
tion, aux inextricables racines, qui avait infecté un contre-coïirant de vérité et d'amour, péné-
l'homme juscjuc dans la moelle des os, vicié les trant, recouvrant en partie le premier, et re-

sources mêmes de la vie; à soulever le poids de foulant, d'un choc vigoureux, le double fardeau
la nature déchue; à enseigner l'humilité aux de la pourriture romaine et delà brutalité bar-
grands, le désintéressement aux riches, aux pe- bare. Mais il eût été moins difficile de créerun
tits le sentiment de la dignité humaine, et la monde nouveau que de refaire le vieux. La
liberté des enfants de Dieu à des êtres dégradés l)lupart des matériaux de celui-ci, trop pourris
de longue main parla servitude à rectifier, à ;
pour entrer dans une construction durable,
épurer une foule de conversions hâtives et im- étaient réprouvés rie l'architecte divin. C'est
parfaites à rendre dignes de leur nom de chré-
;
pourquoi la Providence emmenait à grands
tiens, tant d'hommes qui semblaient ne le por- frais et à grande vitesse, des lointaines régions
ter que pour l'avilir et le compromettre; a leur du Nord et de l'Orient, sur le sol où elle voulait

inculquer son esprit, l'esprit d'abnégation, de neuves, au sang de feu, qu'au-


bâtir, des races
mansuétude, de générosité, de dévouement à ; cune digue ne pouvait contenir, aucun échec
en pénétrer ces masses habituées aux jeux bar- déconcerter, dont la mission visible était de
bares, aux fêtes sanglantes de l'amphithéâtre à ;
renverser, de brûler, de détruire, mais pour
substituer un spiritualisme délicat et saint au déblayer et niveler la route de Dieu. Comme à
sensualisme grossier, par lequel l'idolâtrie tâ- l'origine des choses, l'esprit de Dieu était porté
chait de se survivre à elle-même; à établir le sur le chaos. Il le travaillait, le fécondait; et,

règne de la charité sur des cœurs desséchés par d'un mélange confus d'or etde boue, d'erreurs
'Chiya., 4e Su'ji/.à, a» &. « Saint P»ul, sd Eph. c. Il, v. 13 et ?!.
,

CHAPITRE rnF.MIER. &

cl de vérités, de vices cl de vertus, de sang et lehiue l'Evangile, dut attirer leur attention. Ils

de flammes, de vieille? et de nouvelles idées, il furent frappés de l'auslère beauté de ses ensei-
s'apprêtait à faire jaillir la lumière et la vie, et gnements, que ses disciples commenlaientélo-
tout un monde nouveau. iiuemnientdans leur vie par im courage incon-
Et cette cependant, il ne voulut |irocéder
fois testable et de touchantes vertus. Les plus sin-
qu'avec concours d'insirumcnts humains. Il
le cères, les plus logiques embrassèrent, avec
créa les IVres de l'ICj^lise, et en lit les déniiur- une noble ardeur, c(îtte lumière surnatiu'clle,
^es, les pères du monde nouveau. Etait-ce Iroji, (jui régénrrail h la fois Iciu' intelligence cl leur
pour les approprier à son œuvre, de leur don- cœur. Le plus grand nombre en resta à l'éton-
ner le talcul. l'éloijucnce, la vertu, le courage, neinenl vis-à-vis tl'une doctrine qui, paraissant
la soif du bien, la ])uissance de l'accomplir, la répondriî à quclques-imesde leurs pensées, les
grandeur des vues et du caraclère, la tri|)le au- renversait toutes. La foi chrélieime demandait
torité du savoir, du génie, de la sainteté? Dieu tropàleurorgueil.Maisenrei)oussanlsonjoug,
les fit dignes de lui, grands par l'esprit, grands ils ramassaient sur sa i-oute les étincelles deson

l>ar le ca-ur. Ils furent plus que de grands hom- llambeau. De la, les vérités mêlées leurs er-;i

mes; ils furent des saints! reurs, et cette élévation de langage, nouvelle
A un autre point de vue que celui des mœurs, dans leur liouclie, qui accuse le plagiat. Ils ont
la lâchedes docteurs chrétiens, à cette époque, beau s'en défendre, leur enseigiieineril s'est
étaitencoretrès-ardue. Ce n'était pas seulement modifié d'une manière visible au coulact d'un
avec l'ignorance, la routine, le vice, les passions aulre enseiguemenl: il a sufli de l'oujbre du
populaires (|u'ils avaient à lutter, mais contre Chri-^l projetée sureux pour faire jaillir, dans
la philosophie, éternel adversaire de la foi, de- leurs ténèbres, de précieuses clartés.
venue maintenant l'auxiliaire inattendu du po- Ce fut l'origine de la nouvelle écolequi, s'éle»
lythéisme (|u'elle avait longtemps conspué. Ce vant sur les débris des anciennes, à la lumière
n'est pas que le polythéisme fût le moins du de l'Evangile, arbora le drapeau de Platon
monde philosophique. Amas incohérent de dont elle altérait la doctrine, et se projiosa la
fables grossières, il n'avait rien qui pût attirer double restauration de la |ihilosopliieel du po-
ou retenir sous son joug les intelligences. Il lythéisme, en les modifiantrune par l'autre, et
avait siifli à l'i^vangile de le regarder en face par un conq)romis impossible entre des idées
pour le faire chanceler sur ses fondements; empruntées aux sources les i>lus diverses, aux
et, malgré les fureurs dont la politique impé- réveriesde rOrient, aux mythes de la Crèce, aux
riale l'avait armé, il lonibaitsous le poids de sa théoriesdePlatonel de Pythagore, au judaïsme,
propre absurdité, autant que sous les coups de au Christianisme lui-même (lu'elle voulait a la
ses adversaires, (juand la philosophie entreprit fois imiter et combattre. Quelques-uns, parmi

de lui rendre, sous une autre forme, la vie qui ses m dires les plus illustres, avaient commencé
l'ahandoiuiait. par être ('.brêliens et, d'ailleurs, le Christia-
;

Il est vrai qu'au moment où parut le Christia- nisme occupait dès lors une place trop élevée
nisme, la philosoiihie avait perdu son prestige. et troj) vaste dans le monde, il avait saisi trop

Ses grandes et célèbres écoles étaient tombées; fortement les intelligences jiar la grandeur et

et, à part quelques rares stoïciens drapés dans l'autorité de ses enseignements, pour ijii'il fut

leur orgueil, elle semblait ne se survivre à possible, même à ses adversaires les plus dé-

f lleniènie, et n'élait représentée dans le monde clarés, de ne pas ci)m|)ter sérieusement avec

que par l'Epicuribuie, théorie trop commode lui, dès qu'il s'agissait d'une combinaison doc»

du plaisir et du Nice pour ne pas compter tou- trinalc quelconque. Et n'est-ce pas dans l'or-

jours de nombreux sectateurs. Cependant, au gueilleux désir d'opposerà son influence crois-
milieu de cette prédominance universelle du sante, une barrière iulellecluelle savamment
sensualisme, bien des esprits restaient tournés calculée, que se trouve, en grande partie du
vers les spéculations idiilosoiihiiiues, et s'agi- moins,la raison d'èlrede ce néo-Platonisme, pro-
taient, sans pouvoir les résoudre, autourdeces duit hybride du polythéisme, dont il fut le der-
grandes questions de Dieu, île l'âme, de l'ave- nier soutien, et de la philosophie, dont M se disait
nir, dont l'huniaïuté, a aucune époque, même noble organe et le [dus compli Ire-unn'?
le plus

dans ses |)lus grandes défaillances, ne se dé- Parlant de celle idée, souvent émise depniy,
qu8 les divers syslèmcs religieiiv» «" ciadit
tourne complètement. Un phénomène moral,
,

HISTOIRE TE SAINT JEAN CIIRYSOSTOME.

parmi les liommeSj ne sont que les mauifesla- làlrie, une fois purgée de ses vues grossières et
lions passagères et loculesd'iin besoin unanime comme transfigurée parla philosophie, il leur
et constant de l'humanité, il s'efforça de relier sembla qu'il n'y avait plus entre le culte des

aux conceiitions des philosophes les croyances dieux et le Cliristiaiiisme aucune opposition ra-
du vulgaire; eten épurant, en expliquant cel- dicale, et (ju'il était facile à l'homme de bien de
les-ci, eu donnant un caractère religieux à concilier les tendanci s morales de l'un avec les
celles là, de les fondre dans une harmonieuse pratiques de l'autre. Ils admiraient l'Evangile,
unité, afiu de remplacer le vieux paganisme com me respirant dans tous ; es préceptes la man-
avili et croulant par un polythéisme nouveau, suétude et l'éiiuité; louaient les martyrs, cei
spirilualisé, ennobli, Ici qu'il pût à la fois être ticdmcs de leur constauce religieuse, qui, plu-
accepté des esprits d'élite et devenir la religion tôt que d'aàjwer leur fui, avaient souffert hé-

universelle des peuples. En même temps (ju'il roïquement les dentiers supplices rendaient '
;

écartait de la théologie païenne les idées trop hommage à ces pontifes chrétiens, que la fru-
basses au sujet des dieux, et qu'il présentait les galité, la modestie, leurs mœurs austères et
fables des Grecs comme d'ingénieuses allégo- pures recommandaient à la Diviiùlé et à ses
ries, sous lesquelles il falluitchercher la science vrais udurateurs'; mais en même temps ilsat-
primitive du genre humain, il s'appliquait à tribuaient aux astres la nature et la vie divines;
découvrir^ à mettre en lumière les vérités en- croyaient aux auspices, aux augures, aux ora-
sevelies, dans les traditions antiques, sous une cles; soutenaient ladi^inalion parle vol des oi-

niasse d'erreurs, et à relever le culte des ido- seaux et les enlraiiks des viclimco; cultivaient

les, en donnant à ses actes divers un sens mo- la magie comme la plus haute des sciences, et
ral, propre à porter les âmes à la vertu. Et la théurgie, comme l'art merveilleux de gagnei',
comme c'était la puissance du Christianii-me, de dominer les dieux inférieurs attachés à la

attestée par sa rapide pro[)agation,qui le frap- matière, et u'opcrer, avec leur secours, des
pait surtout, il n'hésitait pas, tout en l'atta- œuvres surnaturelles.
quant avec force, tout en professant pour lui Sans doute, parmi les adeptes de ce poly-
un insolent dédain, à puiser dans ses livres, à théisme savant, plusieurs ne pouvant se con-
copier ses rites, à verser, au milieu des idées tenter d'opinions si incertaines, et sentant plus
piiiiosophiques et des pratiques polythéistes, vivement, au fonddeleurcœur, lebesoin d'une
tout ce qu'il pouvait d'as[)irations et de formu- rédemption divine, ne Iravertèrent le Plato-
les chrélieimes, ne prétendant à rien moins nisme que pour arriver à l'Eglise. Mais, somme
qu'à ressusciter lepaganisme àl'aide de l'Evan- toute, et à part de belles et lio|) rares excejt-
gile, l'erreur par la vérité. Il eut donc, lui aussi, tioiiS, ce mysticisme philosophique était plus
ses saints, ses miracles, ses prophètes, ses codes nuisible ([ue favorableaux progrès de la vérité.
sacrés, sesabstint-ncespieuseSjSalrinifédivine, S'il étaitpour quelques-uns la préparation à la
ses médiateurs invisiblesentrerEIre souverain foi et comme lu vestibule de l'Evangile, il en

et nous, occupés à lui porter nos hommages, à retenait un plus grand nombre dans une indiffé-
nous rapporter ses bienfaits, à proléger et gui- rence funeste, par rapporta leur destinée éter-
der l'homme de bien dans sa route ici las. 11 nelle. Satisfaits de celle prétendue conciliation,
repoussa les sacrifices sanglards, expliqua le la conscience et les hattiludes
entre lesdroits de
culte des images, i)arla, comme les chrétiens, polythéistesméléesdelonguedaleaioules leurs
des ravages du péché, du détachement des pensées comme à tous leurs scnt'uienls, ils s'en
sens, de la purificalion des âmes déchues, du tenaient là, et se croyaient dispensés de faire
inéi ite des souffrances et de la prière, de la un pas de plus pour s'approcher du vrai Dieu.
confiance avec laquelle nous devons nous tour- Celte forme épurée du i)olythéisme leur appa-
ner vers Dieu, comme vers un père, et lui faire raissait, comme la plus aduiirable synthèse de
de notre vie un holocauste spirituel. tout ce qui dans tous les autres
était bon et vrai

Cet éclectisme mystico-panlhéiste, peu goûté cultes, y compriscelui des chrétiens. La sagesse
des foules, devait plaire à ces esprits incct tains, humaine ne pouvait s'élever plus haut. Leur
qui, sentant très-bien le vide et l'absunlilé du orgueil, d'ailleurs, se complaisait dans celte
polythéisme, y tenaientcependant parleurs ha- pensée, que, successeurs du divin Platon, su-
bitudes littéraires et par le fond de leur vie et ; prêmes héritiers des grandes écoles phi losophi-

en ctfet, il eut parmi eux un grand succès. L'ido- •


Am, Mar., 1, 22, c. U. - '
W., 1. 27, c. 3.
CHAPITRE PREMIER.

honorable
qiies, i!s élaioul aus.'i l'appui le plus lenneldela matière et des sens, motif d'austé-
d'un syslème religieux, aa(|uel
el le plus fi'lèle rité pour les uns, justifiant aux yeux des autres
seraltacliaieiil toutes les gloires de l'empire et tous lis désordres, tt faisant de rimmoralilé la
des lellres et fiers de leur petit nombre, ils eus-
; condition de la dignité de l'honnue et de son sa-
sent rougi de partager avec la nuillilude le nom lut, attirèrent au Gnosticisme d'innombrables
de chréiiens '. Avec enipressenienl, ils se grou- prosélytes, et firent de lui, pendant bien des
pèrent autour de Julien, espérant delà torcece années, l'adversaire leplusilangereux et le plus
qu'ils n'attendaient pas de la science, et applau- puissant de la vérité. 11 tombait à peine que
dissant de tout leur cœur à sa tentative impuis- .Manès parut, et tenta un nouvel et suprême ef-
saiile, mais furieuse, de restauration païenne. fort pour opérer la fusion impossible entre l'E-
Ainsi, cette étrangeet tarlive coalition entre vangile et les religions naturelles de l'Orient.
la philosophie et le pulyihoisme, sans sauver Lui aussi, il prétendit épurer le Chrislianisnie,

celui-ci, se dressait comme un uouvel obstacle le dégager de l'alliage ipi'il avait subi, lui don-
devant rE\angile, devenait le dernier point ner le développement dont il était susceptible.
d'appui des résirtancts qu'il avait à vaincre, le Au fond, il cherchait à l'absorber dans une
dernier prétexte dis intelligences pour se sous- masse informe de spéculations tirées de toutes
traire à!a foi, etentraînait à de nouveaux com- les philosophies el de tous Us mythes; et
bats lesdccteurs, les Pères de l'E.^lise, obligés c'était dans le but unique de s'ouvrir un accès

de faire tète à la fois aux préjugés du penfile et facile auprès des chrétiens qu'il prit le litre
aux prétentions dis philosophes, à l'ignorance d'apôtre du Christ, et voulut mettre une espèce
el à la science, au vice et à la sagesse, et à pour- d'éti<|uetteclirélienneùje ne sais quel mélange
suivre l'erreur sons les mille déguisements de panthéisme el de dualisme d'une part, de
qu'elle aimait à revêtir, pour surprendre les stc'îcisme elde quiétisme de l'autre. Malgré
àmes el usurper les droits de la vérité. l'absurdité évidente de ses enseignemcnls, le
Mais déjà de plus aventureux penseui savaient Manichéisme était calculé avec un art profond
essayé d'un syncrétisme autrement vaste et pour séduire les uns par une apparence de
hardi, et, avec des matériaux empruntés à haute sévérité, les autres en consacrant la li-
toutes les doctrines et à tous les sanctuaires, à berté et la sainteté des passions, un grand nom-
l'Inde et à laPerse,àlaChaldéeetà rEgy|)te, à bre eu calomniant l'Eglise tt se posant à leurs
Moïse et à Py thagore.à la Kahale età l'Evangile, yeuxcommelasociélé des vrais croyants. Aussi,
ils avaient élevé en face de l'Eglise, à ses portes lorsque vers la fui du lu" siècle, il ifut violem-
mêmes, les sombres et bizarres constructions ment comprimé, il avait déjà fait beaucoup do
delà Gwose.Lanouveauté étrange et fantasti(jue mal el joussédes racines profondes. On le força
de ses enseignements; le grandiose et le mer- à se cacher on ne put l'anéantir. Il devint une
;

veilleux, mêlés partout à l'absurde l'obscurité ; secte secrète, travailla sons terre, avança dau-
même et la mystérieuse horreur de ces laby- destineiuent, et, tout en s'apprctantàfaire plus
rinthes sans issue ce vertige des esprits
; quand tard une grandeexplosion, il necossa, pendant
ils se i)enclientsurrabime(iu'ilsvenlentsonder plus de cent ans, de fatiguer l'Eglise par ses
el qui les attire ; la prétention d'avoir arraché à sourdes hostilités el de lui disputer les âmes.
la nature tous ses secrets etde résoudre souve- Et cependant, à côté de ces vastes systèmes
rainement tous problèmes (|ui tourmentent
les d'erreurs dressant leur masse formidable de-
l'esprit humain formes imposantes et les
; les vant l'orthodoxie catholifjue, d'autres, moins
noms chrétiens dont il se couvrait la manière ; audacieux en apparence, non moins funestes
de propager ses erreurs au moyen de commen- en réalité, avaient surgi dans le sein même de
taires sur les livres saints dont il disai lavoir seul l'Eglise, el, sous présexle d'expliquer ses

la clef, posséder seul le sens allégoricjue et piri- .-


dogmes, d'en propager la foi, travaillaient ar-

tuel caché sous l'écorcedesmotsetdes faiis, et demment à les ruiner. Il faut qu'il y ait des

inaccessible au vulgaire; le soin desmaiiresde hérédes, avait grand Apôtre '. Cetta
dit le

se donner pour les vrais disciples de Jcsus- épreuve de la vérité ne manqua jamais au Ca-
Christ, les vrais héritiers de sa pensée intime, tholicisme. Du jour où il ouvrit la bouche pour
de sa doctrine secrète, apanageexclusifdes na- parler au monde, il eut contre lui, outre les ad-
tures supérieures; le mépris dogmatique et so- versaires naturels de toute doctrine él«\'ée et
* Stiat AuguitiD, lit CUil, Dei, I. U, c, 16, > 1. ai Corinth, c. II, v, 1»,
8 HISTOIUE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

sainte, outre la routine, la politique, l'incrédu- l'unité. Ariusse leva, et toutes les oppositions à
lité, la une foule
superstition, le sensualisme, renseignement chrétien furent résumées et
d'ennemis dans ses propres disciples, et parmi comme personnifiées en lui. L'Arianisme, en
ceux-là mêmes, que par une consécration spé- effet, futmoins une réaction théologique contre

ciale, il avait destinés à être les gardiens incor- Je modalisme de Sabellius qu'une réaction po-
ruptibles et les propagateurs de ses enseigne- lythéiste et philosophique contre le principe
ments; ennemis d'autant plus dangereux que le chrétien, moins une hérésie que la négation
2èle de la vérité semblait être leur seul mobile, mêmeduChristianisine, une forme nouvelle de
et qu'ilsprélendaienf servir ^Égli^;e en la déchi- Gnoslicisme et de Platonisme tempérée par
rant. L'esprit humain est ainsi fait que même l'idéepurede l'unité et de la simplicité de l'Etre
en se donnant il qu'en paraissant
se réserve, et divin Ml séduisit bien des esprits. L'habiletédes
obéir et s'incliner sous l'autorité de la foi, il chefs, leur puissance d'intrigue, leur art pro-
marchande l'obéissance, et ne veut recevoir que fond de dissimuler, leur crédit auprès des Cé-
de lui-même la règle et l'objet de sa foi. Parmi sars de Byzance, dont ils flattaient les passions,
les hommes de spéculation et d'étude, que la etencourogeaientlesempiéteinentssurl'Eglise,
beauté doctrinale du Christianisme avait frap- l'appuidu despotisme, les vexations prodiguées
pés, plusieurs sebornèrent à prendre dans cette auxorthodoxes fa vorisèrentsinguhèremenl l'es-
grande moisson de l'Évangile, pour verser sor de rArianisme;lequeld'ailleurs trouvait un
dans la philosophie, et parcelle riche adjonc- grand auxiliaire dans la disposition dame de
tion la rajeunir, lui donner une autorité, une cette foule d'anciens idolâtres qui , devenus
vie nouvelles. Leur butétait de rendre la philo- chrétiens par intérêt, jjoliiique ou complai-
sophie chrétienne. D'autres, plus puissamment sance, plutôt que par conviction, et restés in-
attirés et entrés plus avant dans le Christia- crédules ou à peu près au fond du cœur, incli-
ni?me, voulurent y faire entrer la philosophie naient naturellement vers une doctrine qui
avec eux, rattacher les conceiitions de celle-ci leur apparaissait comme un moyen terme et
auxenseignemenls de l'Évangile, ou plutôt plier une espèce detransaction enttele polythéisme,
l'Evangile aux conceptions delà philosophie et dont ils n'avaient pu se détacher tout à fait, et
se faire ainsi un christianisme philosophique. le Christianisme, qu'ils goûtaient médiocre-
Et parce que la hauteur des mystères les dé- ment abandonner. De nouveaux
et n'osaient

concertait, ils se mirent à les abaisser à la por- orages fondirent sur l'Eglise, au moment où
tée de leur raison, à les interpréter selon les une grande victoire lui promettait une longue
données de leur science, à les accommoder paix.llypocrisie, violence, bassesses, sacrilèges,
aux idées païennes, |ilaloniques ou autres dont atrocités de toute espèce, riennecoùtaàl'Aria-
ils étaient imbus, à les manier, à les façonner nisme. En même temps qu'il disputait et subti-

à leur gré, c'est-à-dire que, sous prétexte de lisait, il calomnia, il opprima, il versa le sang.
les rendre intelligibles, ils travaillèrent à les D'illustres pontifes furenl proscrits, des chaires

anéantir. éminentes profanées par la simonie et par l'in-


L'Église, obligée de faire son chemin en pré- trusion, les monastères dévastés, les cénobites
sence des glaives levés sur sa tête et des pas- charges de fers, des femmes orthodoxes, des
sions acharnées à sa perte, eut jilus à craindre prêtres vénérables massacrés, des horreurs
(les témérités de ses propres disciples que de la commises qui rappelaient les plus mauvais
haine ouverte de ses persécuteurs. Des t-sprits joui s du tempsdes persécutions. Mèmefrappéeà
ob.4inésetvains,épris d'eux inên:i'S,s'avisèr(.nt mort par le concile deNicée,rhérésieeutencore
de formuler le dogme à leur gui. e, et de .-ubsli- à force de mensonges, d'astuce, d'intrigues, de
tuer leurs imaginations incohéi entes, aux an- servilités, de fureur, quelque temps de succès

tiques et vénérables tradilions qui remontaient coupable. Ne pouvant faire mieux, elle se divisa
aux Apôtres. Le travail de falsifiiiition ne res- en sectes. Le fleuve empoisonné, en se retirant,
pecta rien. Les vérités les plus fondamentales laissait ses ri ves couvertes de mares infectes ; le

furent attaquées. Les sectes se mnlliplièrent. serpent écrasé se survivait dans chacun de ses
L'erieurenfanla l'erreur. Leshéresiarquesdoii- tronçons, animés de sa malice, pleins de sou
nèrent la main aux hérésiarques. La curiosité venin. Sous les noms de Marcel, de Pliotin,
et l'orgueil mirent la di v ision et l'anarchit^ par- d'Eunoniius, d'Apollinaire, Arius conlinua de
tout où Jésus-Christ avait mis l'harmonie et ' Giuouilhac, Hist. du dogme, t. 2, p. 259, elc.
CllAPlTRK PUEMIER.

iV siède, et de la tenir
fatiguer l'Église tout le nom de dévouement, leurs efforts pour placer
dans un qui-vive perpétuel. La guerre qu'il l'autorité spirituelledans un état de tutelle et
avait faite au Verbe, Macédonius, avec le même de dépendance. La protection que l'Église
acharnement, la fltau Saint-Esprit. Dans l'agi- acceptait de leur part, se changait vite en op-
tation, [iroiluite par ces attaques violentes ou pression. L'appui qu'ils prêlaieutà la vérité dans
perfides contre le dogme, Bonose, Helvidius, quelques circonstances, était tristement com-
Jovinien, Vigilence s'élèvent contre la vie par- pensé parle concours qu'ils donnaient plus sou-
du Christianisme et la beauté de sa morale.
faite vent à l'erreur. Le servilisme et l'ambition de
L'honneur virginalde la Mère du Christ est mis quelques membres du clergé secondaient cette
en question, le culte des Saints bafoué et déjà, ; malheureuse tendance d'une politique sans
dans le crépuscule du siècle, Tliéodore de Mop- grandeur et sans portée, et appelaient à chaque
suelte fraie la route à Pelage et fait pressentir instant l'intervention des Césars dans les choses
impur
Nestorius, tandis quele Priscillianismo, du sacerdoce. Ceux de Byzancc furent plus por-
mélange de manichéisme, de gnosficisme, des tés que ceux d'Occident à cette usurpation su-

plus mauvais éléments, des plus mauvaises hé- bre[)tice de suprématie religieuse d'abord
la ;

résies, nie la Trinité, l'Incariialion, le libre ar- parce qu'ils n'avaient pas devant eux la grande
bitre, autorise le parjure, condamne le mariage, figure de la papauté pour leur imposer et les
pousse aux excès les plus immoraux. contenir ensuite parce que, dans leur aveugle
;

Le schisme aggravait Sans con-


la situation. amour de l'autocratie, il crurent assurer dou-

tester le dogme, des esprits moroses et durs blement leur indépendance de Rome, encréant
s'en prenaient à la discipline, attaquaient la à l'ombre de leur trône, dans la métropole de
hiérarchie, élevaient autel contre aufel ; et, l'Orient, un grand centre de sacerdoce, sur le-

sous lesapparencesd'un zèle ardent pour la pu- quel ils comptaient bien avoir la main. Cette po-
reté-des mœurs cliréliennes, sapaient tout prin- litique, de séparation et d'orgueil mal avisé, ne

cipe d'organisation, déses|iéraient les âmes par leur réussit que trop pour le double malheur
les excèsd'unrij^oiisme implacable, disputaient de la civilisation et des âmes.
au sacerdoce son titre le plus beau, celui d'être Telle était, au iv° siècle de son histoire, la
le dispensateur des pardons du Ciel, et met- situation du Christianisme. Il avait vaincu, il

taient à néant l'Évangiie, où respire, avec une régnait. Mais i)our asseoir et organiser sa vic-
connaissance si profonde de la faiblesse hu- toire, pour en tirer les fruits divins qu'elle pro-

maine, une miséricorde infinie. L'ambition, la mettait, pour prendre pleine possession de ce
vengeance, la jalousie, l'orgueil blessé, l'entê- inonde qu'il venait régénérer, que d'obstacles à
tement étaient au fond de toutes ces dissi- surmonter, que de prodiges à accomplir! 11
dences, quel qu'en fût le drapeau, et, en ébran- avaitdevantlui,contrelui, le paganisme vivace,
lant lefondement del'unilé, créaientà l'Église des goûts, des mœurs, du langage, attaché aux
des épreuves et des périlsnon moins redou- âmes comme une lèpre rentrée l'empire dé- ;

tables que Thérébie. Les Donalistes furieux, mantelé, croulant, qui menaçait d'écraser tout
sous le nom de C('/TO?iC;:/^o)zs, ensanglantaient sous ses ruines une civilisation condamnée,
;

l'Afrique ; et dans quelijues v illcs éminemment défendant à outrance ses vices et ne conservant
chrétiennes, Anlioche par exemple, les fidèles de ses anciennes grandeurs que sa corruption ;

eux mêmes dansle choix des pas-


se divisaient les barbares s'avançant à grands pas, et portant
teurs et formaient deux églises dans une église. avec eux des espérances inconnues et des mal-
L'habitude des empereurs puïijis, d'être les heurs trop visibles le relâchement, la mollesse,
;

chefs de la religion comme de 1 Etat, entiaîna l'ignorance, l'insubordination, l'esprit rétro-

lesempereurschrétienssur une pente fatale. 11 grade et pa'ien de ses propres disciples ; dans
y avait dans le sacerdoce catholique un pouvoir l'abaissement des caractères et la dissolution de
trop élevé et trop obéi pour ne pas exciter leur toutes choses, la fièvre des esprits s'agitant sans
jalousie, et de bonne heure ils laissèrent voir la prévoyance autour de questions brûlantes, et
prétention de le dominer. Sous prétexte d'éviter remplissant de vaines disputes un monde qui
à l'Élatle contre-coupdesquerelles religieuses, avait tant besoin de se reposer dans la vérité ;
ils s'ingéraient dans la théologie, prenaient la philosophie recueillant toutes ses rancunes,
parti pour ou contre le dogme, s'arrogeaient le tontes SIS forces, et tentant, à l'aide d'alliances
droit d'imposer les croyances, et décoraient du nouvelles, un suprêmeeffortpourravirrempire
10 HISTOIRE DE SAINT JEAN CIIliYSOSiOME.

à la foi ; les cent têles de l'bydre de rhéiésie nonyme de la chaiité aussi bien que de l'élo-
s'acharuaiit a tous les dogmes, souillant toutes quence, rayonne dans l'histoire du Chiistia-
les vérités, et, sous les coups (jui l'abaltenl, ver-
nisme du plus pur éclat. Le Ciel s'était plu à
sant encore dans les âmes des flols de poison; réunir sur celle existence privilégiée tous ces
l'orgueil et renlètenieiil du schisme la politi- ;
dons de la grâce et de la nature (ju'il partage
([ue jalouse et envaliissante des empereurs; la d'ordinaire à plusieursdeses favoris, la splen-
disposilion d'une partie du clergé à vendre au deur du talent, la magnificence et la royauté de
pouvoir civil, pour quelques avantages tempo- la parole, une âme intrépide et grande, l'en-
rels, la liigniléel la liberté del'Kglise ;
i'iuiamic Ihoutiaime de la loi, la passion du bien, l'amour
des grands, l'abrutissement du peuple, lescep- sublime des âmes qui fait les apôtres, la science
licisiiie mêlé à la superstition, l'orgueil cU'in- et le sentiment les plus profonds de l'Évaugile,

soleucc dans l'avilissement, la soif des jouis- une charité féconde en prodiges et l'on peut ;

sances et de l'or rendue plus vive par le mal- dire que l'auréole des Saints a rarement cou-
heur des temps ;
l'élernelle aversion de tous les ronné la tète d'un plus grand homme. Rien n'a
vices contre la verlu, de toutes les lâchetés con- manqué d'ailleurs a la grandeur de celte vie,
tre le courage, de tous les mensonges contre la ni la hauteur du rôle, ni la solennité des cir-

vérité: voilà quels ennemis entouraient, élrei- constances, ni la persécutieu, ce piédestal des
guaient Christianisme triomphant, embar-
le grandes destinées, ni la suprême consécration
y-
rassaient sa marche, et menaçaient, s'il n a\ail du martjre'.
eu qu'une existence humaine, de l'étouffer et L'iiisloire d'un tel homme n'est pas une

de l'éteindre dans sa victoire Et c'est dans cette ! simple biographie. C'est l'histoire du sacerdoce
fermentation de tantd'élémenls divers, dans le catholique; une page de celte grande histoire
chaos de toutes ces résistances, dans celte im- de la lutte incessante et sublime de la vérité
mense anarchie des intelligences et des cœurs, contre l'erreur, de l'unité contre l'anarchie, de
qu'il avait à faire prévaloir et fonder l'unité, la la charité contre l'éi^oïsme, de l'es- prit chrétien

charité, la saiukté, l'Evangile ! contre paganisme loujoursaballLi et toujours


le

Au milieu d'une lutte si vaste, si complexe, vivant, de l'Evangile en un mot, pour l'aUran-
si animée, si féconde, éclate sa force divine. chissement, le progiès moral, la glorification
Comme elle avait suscité Its martyrs, elle sus- de la nature humaine contre les idolâtries et
cite les docteurs, et jamais les défenseurs illus- les tyrannies de toute espèce qui la déshono-
tres ne manquent à la cause de Dieu. Au fort de rent et l'asservissent.
la mêlée, on les voit surgir à propos, dominant Bien que ce surnom de Bouched'or, qui
tout de la taille et de la voix. Le chef immortel, lui fut décerné par un peuple enthousiaste
dont ils sont les soldat^, les arma lui- même de et qui est demeuré attaché à sa mémoire
pied en cap pour lesgrands combats delà parole comme le rayon du Sinaï au front de Moïse,
et de la pensée. Il leur a ouvert ions les trésors signale tout d'abord à notre admiration le
de la science et de la sagesse cachée en Jésus- grand orateur, Jean doit être considéié surtout
Christ\ Les grandes âmes des Apôtres et des comme ua grand docteur, un grand pontife,
Prophètes revivent dans leurs âmes. Ils portent un grand aiôtie. Il était mort à peine, (lue son
au front l'empreinte lumineuse de leurs com- nom taii-ait autorité dans l'Eglise. Saint Nil,
munications avec Dieu. Quand la poussière de saint Isidore de Peluse, saint Augustin, saint
tant d'écroulements, la fumée de tant d'incen- Léon, f-aiiit Célestin, les papes, les conciles
dies, les nuages condenses de tant d'erreurs en- louaienlS'abondanceel la pureté de sa doctrine,
veloppent le vieux monde d'une épaisse nuit, et l'appelaient à l'envi un grand homme, un
merveilleuses constellations du génie et de la docteur éminent , l'honneur du sacerdoce,
foi, ils montent à l'horizon, versant au milieu la colonne de l'Eglise, le sage interprète des
de ces ombres des flots de lumières', et mar- secrets de Dieu, le flambeau de la vérité,
quant au ciel le pôle immuable d'un monde la lumière du monde *. Parmi ces hommes
nouveau.
Entre ces astres de première grandeur, non • Ca«s., de Incarn., 1. 7, c. 30. —
" Saint Nil, epist. 199 et 265,
1. 2. et ep. 279,1. 2; saint Isid. Pelus., ep. 152 et 156; saint August ,
loin de saint Alhanase, à côté desaint Augustin, /.W., 1 I, c. 6; saint Léon, ep. 106; saint Célcslu, ad clcr. et pop.
C'mstiin. sai'.d Cyrille Ale.t., ep. 3, Conc. Eph.. p. 117 ; Cassisn,
apparaît saint Jean Chrysostome. Son nom, sy- ;

TUéod. trev. rom., m


de Incarn. Verbij 1. 7, c. 30 et 37 ; didl. 1 ;

' Paul, ad. col., c. 2. — '


Greg. le Grand, 1. 9, Moral., c. 6. 27 jaiiuarii.
CHAPITRE PnKMIER. H
saintomcnlmémorablc'.nnTiimlslavénéntion laire ou sublime, c'cf t toujours la bouche d'or :
des siècles a donné ce grand nom de Pores de sa phrase est harmonieuse, sa parole imagée;
l'Eglise, (|ueliiues-iin3 l'ont surpassé par le mais jamais de tension, jamais d'enflure ni do
génie et le savoir, ancuii par la grandeur de recherehe. Rien n'est donné à l'esprit; tout
lame, ni par la beauté des enseignenienls, ni vient du cœur et s'adresse au cœur. Ce qu'il

par l'éloquence unie à la charité, ni par l'ar- touche, il le rend lumineux ce qu'il recom- ;

deur et le courage de la foi, ni par le nombre mande, il le fait aimer. Les foules charmées
et la portée des travaux, ni par les hinrères et demeurent suspendues à ses lèvres des heures
les bienfailsrépandus; etsoit que l'on considère entières. On ne se lasse pas de l'entendre. Il

les pieux Iriomphes de sa parole, ou ses admi- plaît, il éclaire, il touche, il entraîne. Son âme

rables commentaires sur les saints livres, ou enveloppe et saisit l'auditoire d'une étreinte
les luttes subies pour l'honneur du ?ac( rdoce masnéli(iue, et toute réfistancédevient impos-
elde l'Eglise, dévouement et les immola-
ou le sible.Les juifs, les païens, venus l'écouter par
tions de l'Apôtre, ou l'héroïsme et la sainteté curiosité, s'en retournaient désarmés de toute
du pontife, ou les épreuves qui ont courunné objeclion et convertis à l'Evangile. Jamais pa-
par une grande mort une si grande vie, il est role (dus attrayante n'impressionna plus pro-
impossible de ne pas admirer en lui l'un des fondément.
plus puissants instruments de Dieu jiour l'édu- On l'a dit avec raison : le génie de Chrysos-
calionetlarénovationdu monde |)ar l'Evangile. tome lient de Jérusalem et d'Alliones, de Dé-
De l'orateur,on a tout dit; la critique s'cct moslhène et d'Isaïe il a ; l'éclat et l'abondance
rangée de l'avis du peuple, et, malgré d'incon- de l'Orient, avec la clarté, le sens positif et pra-
testables défauts, Chryseslome est resté dans tique de l'Occident. Ses accents, d'une incom-
l'unanimité des esprits la plus belle personni- parable beauté, tirent un grand prestige de la
fication de l'éloquence sacrée. L'ampleur, la sainteté de sa vie. Ses vertus sont les plus
variété, le mouvement, la souiilesse de la (larole, vives images de ses discours. Mais au fond de
l'élévation de l'idée, l'éclat, la beauté des ima- ces vertus, les inspirant, les dominant toutes,

ges, la science et l'onction des écritures, la cha- resplendit la charité. Il semble n'exister que par
leur, la véhémence, le pathétique, ce je ne sais elle et pour elle, et n'avoir reçu du Ciel la puis-
quoi qui subjugue ou soulève un auditoire, qui sance de la parole que pour la célébrer, la pro-
fait que chaque parole tombée dans les âmes pager, pour faire entrer plus avant dans les
arrache des larmes, allume des flammes, et, cœurs et dans les mœurs cette grande loi qui
répercutée par tous les échos du cœur, produit résume tout l'Evangile,
^

un long et saint retentissement dans la vie; eu Un monument nicignifique a été élevé à la

un mot, tous les attributs du grand orateur gloire du Christianisme par l'éloquence de Jean.
chrétien, il les possède à un degié émincnl. La Cependant il ne songeait guère à la i)0stérité.

tribune évangélitjue n'a rien à lui comparer. 11 n'a pas écrit deux lignes pour elle. Ses œu-

Le luxe oriental de sa diction en atlaiblit rare- vres, à très-peu près, ne sont qu'une collection
ment l'énergie. Chez lui, l'onction tempère de discours adressés à un peuple ardent et mo-
l'éclat, la charité attendrit l'imagination. Rien bile, qui se pressait pour l'entendre, qui aimait
ne resplendit dans sa parole, qui ne bi ùle dans à l'applaudir; discours préparés au jour le jour
son cœur. Discours ou actioiis, tout jaillit de la suivant l'inspiration des circonstances ou les
même un ardent amour de Dieu et des
source, besoins du moment, tantôt pour signaler une
hommes en Jésus-Christ. Cet amour, c'est son erreur, tantôt pour combattre une superstition,
inspiration, son éloquence, son talent, sa force, tantôt pour extirper un abus, toujours pouraf-
sa vie tout entière. On en sent la flamme dans fermir et règne de l'Evangile sur des
étendre le

chaque mot qui sort de sa bouche. L'orateur âmes trop pleines encore des souvenirs et des
n'est que l'interprète du saint. sentiments du paganisme. Les formes sévères
L'art de Chrysostome est de n'en pas avoir. et savantes de l'écrivain n'y paraissent jamais.
Son discours est l'épanchement de son âme. C'est un pasteur qui |iarle à ses ouailles, un
Tout y est noble et simple, d'un ravissant aban- père à ses enfants. Mais au milieu de la fami-
don. H parle une langue admirable, et il la liarité touchante, de l'admirable désordre de
parle admirablement. Qu'il expose, qu'il dis- ces entretiens multipliés, vous voyez se dérou-
cute, qu'il objurgue, qu'il prie, qu'il soit popu- ler devant vous, dans toute sa magnilicence,
\-

42 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

l'ensemble Se ia théologie calliolique. Saint emportements, ne reflétait toujours la douceur


Mattfiieu, saint Jean, saint Paul n'ont pas eu de de l'Evangile et la sérénilé de son âme '. Il ne
plus solide interprète. La pensée, l'âme de fut pas le tribun ; il est le docteur de la charité.
Clirysosfome s'est si bien identifiée à la pensée, Toutefois, reconnaissons-le, la nature lui avait
à l'àmede saint Paul, qu'on croit entendre l'un donné la parole et l'âme d'un tribun. Il était
en écoutant l'autre, et qu'un peuple eutliou- né pour la lutte. A Athènes, à Rome, sa voix
siaste de son docteur se plaît ta dire que le grand eût rempli le forum, agité la multitude, fait
Apôtre lui-même visite son disciple, et lui ré- trembler le despotisme. Il se fût plu aux orages
vèle le sens, lui dicte le commentaire de ses de la liberté, et peut-être se fût-il brisé, lui
écrits'. aussi, à manier, à gouverner les masses igno-
Mais nous aimons à le signaler de nouveau, rantes et mobiles. Mais la charité avait transfi-
celui des enseignements chrétiens auquel le guré la nature, et d'un tribun du peuple fait
ministère de Jean paraît plus spécialement con- un apôtre de Dieu. On ne comprend pas, quels
sacré, c'est la charité. Jamais le grand orateur que soient l'aveuglement et la fureur de sa
ne fut plus beau qu'en plaidant la cause des haine contre tout ce qui porte nom de chré- le
pauvres, confondue dans son cœur avec la tien, que Zozime aitcomme une
représenté,
cause de Jésus-Christ. Prêtre, il s'était dépouillé espèce de démagogue, un homme à qui sans
de l'héritage de ses pères, pour en faire l'héri- doute l'éloquence et la vertu avaient donné
tage des malheureux; évêque, toutes les res- une grande puissance sur le peuple, mais dont
sources connue toutes les influences d'une la puissance ne fut jamais qu'au service de la
haute position furent employées par lui, avec vérité, de la justice, de la charité.
un zèle incouip irable, à développer sur une Avec cette flamme divine de la charité, vous
large échelle, à multiplier sans fin les institu- respirez partout, dans les œuvres de Jean, un
tions et les bienfaits de la charité. Il songea sentiment profond et puissant de la dignité
quelque temps à l'extinction de l'indigence, et humaine. Le cloître couvrait encore de ses
même à établir, dans laville fastuciise de Cons- ombres et de son silence le nom fatal de Pelage:
tantin, au milieu des chrétiens divisés et dégé- le naturalisme impiede l'hérésiarque n'effrayait
nérés de Byzance, (juelque chose comme la pas la foi de l'Eglise, et rien n'obligeait les doc-
communautéapos!oliq\ieef la fraternité primi- teurs catholiques à défendre plus spécialement
tive de l'Eglise de Jérusalem ^ rêve généreux : les dogmes universellement respectés de la dé-
d'une belle âme, que les coudilioas de notre chéance et de la grâce. Au contraire, les som-
existence ici-bas, et les vices de notre nature, bres doctrines de Manès, bien que proscrites et
condamnent à n'être qu'un rêve éternel ! Mais contraintes de se cacher, ne comptaient que
toutes les misères du pauvre, toutes ses an- trop d'adeptes et de fauteurs. Leur influence
goisses, tous ses désespoirs avaient un écho ressentie au-delà même du cercle de leurs par-
puissant dans ce noble cœur, dans cette bouche tisans, et les restes vivaces des vieilles croyances
éloquente du pontife du Christ, et lui arra- païennes à la fortune et au destin, poussaient à
chaient des cris de douleur, à faire trembler l'abandon d'elles-mêmes, à l'insouciance ou au
l'égoïsme et l'orgueil même sur le trône. Dis- désespoir, une foule d'âmes, abattues déjà sous
ciples d'un maître adoré, dont il fut dit qu'il le poids des malheurs publics, en qui d'ail-
n'éteindrait pas la mèche fumante et n'arrache- leurs l'habitude de l'esclavage et la tyrannie de
rait pas le roseau cassé, son discours respire la centralisation romaine avaient singulière-
d'ordinaire la mansuétude et l'onction ; mais à ment affaibli tout sentiment de noblesse et de
l'aspect des vices insolents, du luxe stérile et responsabilité personnelle. C'està peine si, dans

cruel d'une société corrompue, son accent s'é- ce honteux affaissement, quelques-uns conser-
lève, il gronde comme une tempête ; et l'on vaient une vague conscience de leur libre ar-
serait tenté, à la véhémence, à la sainte audace bitre. C'est pourquoi le saint orateur se plaît à

de ses attaques contre les grands, les riches, les relever si souvent la grandeur et la dignité de
oppresseurs du pauvre, contre la cour elle- la nature humaine, la magnificence des dons
même, de l'appeler trièim de la charité, si ces qu'il a plu à Dieu de lui conférer, les forces et

deux mots ne se repoussaient l'un l'autre, et si la liberté qu'elle conserve, même dans la dis-

la parole de Chrysoslome, dans ses plus grands grâce et la déchéance', et cette étincelle sacrée
' Brev. rom., ad 27 jatiuarii. — '
Hom. 9, in Act, npost. '
Hom, 58, in Gènes., in fin. — '•
Efist, L. Jac, 1.
CUAPITHE PP.F.MIEU. 13

qui se cache dans ses entrailles malades, prèle champ de bataille, qu'illustreront après lui les
à jailliren gerbe de lumière etde feu au moin- Grégoire VII, les Innocent III, les Anselme, les
dre cliocdelagràce divine. Il parle à des hom- Thomas de Cantorhéry, une foule de pontifes
mes régénérés par le Christ, en pleine posses- héroïques, champions illustresqni, encombat-
sion de tous les biens de l'Evangile, /a /o?;jrtr- tanlpour l'indépendance du principe religieux,
faite de la liherlé; et il lui semble impossible s'immolaient pour la liberté elle bonheur des
qu'éclairés de cette lumière, pleins de ces espé- peuples. Blessé dans la lutte, trahi par ses frères,
rances, vivants de cette vie, ils puissent con- il tombe; mais en tombant il pousse un cri, et
naître les défaillances, les hontes, lesdésespoirs ce cri, qui est une invocation à l'évèque de
de la servitude ou du fatalisme. Il les rappelle Rome, une solennelle proclamation de sa haute
énergiquement au respect d'eux-mêmes, au suprématie, signale à ses successeurs dans l'é-
sentiment de leur noblesse native, à la gran- glise grecque recueil fatal où les poussent un or-
deur de leur destinée, aux devoirs, à la respon- gueil aveugle et une politique insensée, l'étoile
sabilité de la liberté ; et il uc cesse de leur re- polaire sur laquelle ils doivent gouverner leur
dire, avec lescommentaires les plus saisissants, route, s'ils ne veulent, par une fausse indépen-
ces belles paroles de l'Apôtre Rachetés à grand : dance, arriver à la plus malheureuse servitude.
prix, glorifiez et parlez Dieu dans vos corps' ! Héros, marlyrdela liberlcde l'Eglise, il fraie la
Du reste, nevoyanlThommequ'cn Jésus-Christ, routeà d'autres héros, à d'autres martyrs. «Mal-
idéal divin de toute dignité, de toute perfection gré qui nous séparent, écrivait-il
les distances
humaine, que chaque chrétien doit porler dans du fond de son au pape Innocent je ne suis
exil ,

sa pensée et reproduire dans sa vie, il se plaît à pas éloigné de Votre Sainteté; tous les jours je
célébrer souvent, avec la foi la plus vive et la suis auprès d'elle '. Et maintenant que son
plus chaleureuse éloquence, le dogme sacré, corps repose à deux pas de la confession de saint
ineffable, source de noblesse etdeveriu, foyer Pierre, sous l'œil du successeur d'Innocent, du
rayonnant et inépuisabledecharitéoùrhomme- fond de sa tombe, sa voix semble crier encore à
Dieu se présente, non plus seulement comme des oreilles, hélas! trop sourdes: Revenez à
le guide ctl'oracle, mais comme le pain vivant l'Eglise-mère, fondement de la vérité, source
et céleste de l'homint", appelé à l'union la plus de l'unité. C'est notre rempart, notre sécurité,
intimeavec Dieu, jusqu'à n'avoirqu'une même le port sa7is vagues, le trésor d'innombrables
âme, un même sang avec Jésus-Christ, jusqu'à biens, la cause dhme joie pure et sainte * ! Là,
pouvoir dire avec saint Paul Je vis, moi, non : est la liberté et la dignité des consciences ; là ,

plus moi, Jésus-Christ vit en moi^. Ainsi, le pa- un pilote que la tempête
est le salut; là, veille
négyriste de la dignité humaine, le docteur de ne peut surprendre ; là, une charité qui em-
la charité, est, par cela môme, le prédicateur et brasse le monde, lutte pour les églises affli-
le docteur de l'Eucharistie. gées, pour le clergé opprimé, pour les peuples
Mais une grande préoccupation du pontife, persécutés, pour l'univers entier '.Et quiconque
c'est la liberté de l'Eglise. II la voit menacée, ne marche pas sous la bannière de cette grande
autour de lui du moins, par hypo- la protection Eglife, l'oracle et le guide des autres, l'appui et
crite et la politique envahissante des Césars
de lesuprême refuge de tous, marche à l'abîme 1
Byzance. Sentinelle avancée, du haut de son si grand que soit le docteur, le saint est
Mais,
poste, il surveille, il signale les manœuvres de plus grand encore. Douceur et fermeté, zèle et
l'ennemi, et, de toute l'ardeur d'un dévouement prudence, courage et modération, grandeur
aussi éclairé qu'intrépide, il s'efforce de fermer d'âme et sincère humilité, l'austérité de l'ascé-
la route aux usurpations, quelque nom qu'elles tisme et l'aménité la plus aimable, l'habitude
prennent, quelques complices qu'elles aient. des hautes méditations et le sens droit d'un es-
L'empire, à peinechrétien,jalouse le sacerdoce prit pratique, l'amour de la règle, la haine ar-
et aspire à l'asservir, et déjà commence entre dente de l'orgueil, de l'avarice, de l'hypocrisie,
les deux pouvoirs cette longue lutte qui agitera la sévérité pour lui-môme avec uneindulgence
les plus beauxsièclesdu Christianisme. L'orient inépuisable, une immense charité toujours élo-
hisse voir ses mallieureuses tendances : mais quente et toujours active, l'amour tendre et
Jean s'est élancé ', l'un des premiers, sur ce passionné de Jésus-Christ, toutes les qualités,
• I. ad Corinlh,, r. 6. - ' Ad Gai., c. 2.
toutes les vertus qui font les grands pontifes,
' Sa p«ni4e s« révèle dam ini pnmiari ouvrât*! ; uoy, liv. j«
8. Babyl.,ii<' 'i, t. 2, jj. yA, • Ep. 2 Chrys. ad lin, - ' Jbid. - ' Itiii,
H îlISTOîr.E DE SAINT JEAN CHRYSOSTOMË,

il les rrsiimai! en lui d'une inanière admira- manœuvres de ses ennemis le surprirent tou-
Me, et l'on peut ?ans liésilation le présenter jours'. 11 était incrédule au mal.
comme un des types les plus accomplis du sa- Plein d'amabilitédans son langage,ct, comme
cerdoce clirélien. saint Athanase', pins aimable encore par ses
Dans k'S relations ordinaires de la vie, Chry- mœiirs, on eût dit cependant qu'à bien des
sostome était réservé, presque taciturne. Avare égards, il avait besoin de sa tribune pour être
du temps, il en donnait peu aux conversations : lui-même. Instrument d'enthousiasme, qui ne
folitaire au niilioudu monde, il s'était faitdij sa vibrait qu'au soufllo d's grandes assemblées, sa
pensée un sanctuaire, et il se plaisait dans cette place était entre l'autel et la multitude. La
?nceinte lumineuse queDieii avait parée d'i tant chaire était son Thabor. Dès qu'il y paraissait,
lie richesses, dont aucun liruit terrestre, aucune on ne voyait plus que le proiiliète, l'apôtre,
image grossière ne venait profaner le silence el Jean-RaptisleousaintPaulauxbordsderOronte
la paix : pieux Sinaï de la contemplation et de ou du Bosphore, l'homme de Dieu avec la ma-
l'amour d'où il descend u't par devoiret, comme gniîicence, l'autorité, le prestige irrésistible et
Moï<e, le front rayonnant de !''imlav de Dieu. saint de la parole de Dieu.
D'une sobriété extrême el qui tenait à la fois de Il n'écrivait pas ses discours. D'ordinaire, il

la pénitence et de la délicatessede sa santé, il parlaitaprèsunc méditation plus ou moinspro-


n'acc^plait aucmie invitation, n'en faisait au- fondo de son sujet. Quelquefois la parole jaillis-
cune, mangeait toujours seul et oubliait sou- sait tout h coup de son cœur, et fleurissait spon-
vent de manger. D'autres étaient obligés de se tanément et merveilleusement sur ses lèvres.
souvenir pour lui qu'il avait un corps. Per-onne ne l'égala dans l'improvisation'.
L'auteur d'une liisloire '
ecclésiastique, qui Plongé dans l'étude des livres saints, nourri du
avait pu connaître Clirysostome, mais qui fe- Verbe divin qui se révèle au cœur pieux dans
rait aux Nov.iliens, et, par conséquent, suspect chaque mot de l'Evangile et qui est le flambeau
quand il s'agit d'un évêquecalholique, atlribue du monde et de sa vie, il était, lui aussi, esprit
à notre Saint un caractère fier et emporté, dont et lumière, grâce et amour, et il lui suffisait de
les écarts furent, selon lui, la source de toutes se trouver en présence des masses pressées et
.«es peines. Rien n'est moins vrai. La modéra- attentives au pied de sa chaire, pour que son
tion et la charité dominenltoute la vie de Jean. âme éclatât en magnifiques accents ou s'épan-
S'il naquit avec un caractère hautain et violent, dît en effusions brûlantes. L'auditoire saisi,
'
il le dompta si bien par une victoire complète transporté, répondait par des apidaudissements,
sur lui-même, que la douceur, la sérénité sem- par des acclamations, plus souvent par des
lilait plutôl le facile épanouissement et la phy- larmes, des sanglots, des cris d'épouvante, des
sionomie native de son qu'une vertu ac- être, protestations de repentir, se frappait le front,
quise par de laborieux La pnix céleste efforts. demandait grâce.
qui remplissait son cœur se reQélait sur son Si l'on peut accepter comme ressemblant le

visage. portrait qu'a tracé de Jean un évoque grec du


Néanmoins il avait, dans ses rapports avec XI' siècle', il avait la taille de saint Paul et de
jes hommes, riiabilude' d'une franchise qu'on saint Alhanase, c'est-à-dire qu'il était petit';
trouvait rude tout d'abord, mais qu'on ne tar- mais le noble port de sa tête semblait le gran-
dait pas à apprécier et à aimer.Car cette sainte dir. Il avait l'œil grand, le regard profond, le
rudesse n'élait que la surabondance de droiture nez bien fait, le sourire triste mais plein de
de sincérité, de délicatesse, d'une vertu qui charme. Son front large et chauve, sa barbe
n'admettait, ni la dissimulation, ni ladéfiance, blanche ajoutaient à la majesté calme de ce vi-
et croyait se retrouver elle-même dans les au- sage, où respiraient la loyauté et la fermeté de
tres. Chez cet homme éminent, la naïveté s'al- son âme'. L'austérité de son maintien rehaus-
liait à la grandeur. Cette haute intelligence, ha- sait, au lieu d'exclure, l'attrait des manières et

bituée aux profondeurs de la science de Dieu, du langage. Les longues veilles, les jeûnes ob-
dont le regard jouissait de la vue des anges ', ne ' Chrys. du Saeerd. 1. 6, c. 3. — Grég. de Naz., Orat. pa«
' S.

voyait pas sur la terre, à ses pieds, les grossières tipg. S. Athan., no 9. ' — Suid. in verb. Joan. Phot. 17. — —
* Jonn.y episc. Euchnit. op. Stilting, t. 4, sopt. p. 692.
embûches que lui tendait la jalousie; et les * Jean semble faire allusion à la petitesse de Ba taille, quand il dit

de saint Paul o Sa stature était petite, et en cela il n'avait aucua


:

' Socr, 1. 6, e. 3. — S''m-n., i. 6, c. 12, et 1, 3, c. 10, — '


Si- avantage sur nous». (Lib. ad Steleth., de coniji,, a" 2.)
ftrd., 1. 1, c. 7. - ' S. Nil, ep. 294, 1. 3. •fall.,dial., c. ».
CIIAI'ITRE DEUXIÈME. 18

f tinés, le travail de l'intelligonco cl do la parole s'yconrentraient lacliarilé! Quelque grande


:

avaient crcufé ses jnues, raréfié sa eliair. Oa que fût son intelligence, c'était moins un génie
eût dit une apparition céleste pliilôt qu'un qu'une âme. Il aimait, il hénissait, il s'immo-
Lonunc. On ne laiiprochait pas sans un senti- lait: c'était l'Evangile vivant sous les traits
ment de respect, iiresque de crainte ; et il est d'unhomme. Ainsi que le saint Apôtre, son
vraiquc son premier aliord avail quelque chose homonyme, dit un ancien qui avait eu le bon-
de froid. Ses ennemis laccusiienl de fierté '
;
heur de le voir de prè> ', il tenait sa tète ap-
mais en le voyant de plus près, on ne trouvait puyée sur le sein de Jésus, et, dan? ce sublime
en lui que le plusLicnveill;intet leplusindul- contact, quelque chose de l'âme de Jésus était
penldesliommcs: on l'aimait. C'était une deces passé duns son âme.
natures douées d'attraction, qui font graviter Tel fut, autant du moins qu'on peut le faire
vers elle, sans le vouloir, les regards, les pen- connaître par une esquisse rapide et si impar-
sées, les cœurs. Aus^i inspira-t-il des amitiés faite, l'homme éminent, le grand docteur, le
profondes, qui survécurenl à toutes les \icissi- grand pontife dont nous essayons de racont r
tudes de sa fortune ', des dévouements qui s'é- les travaux et la vie. Piii^set-il, du liant du ciel,
levèrent jusqu'au martyre. Lui méi!ic,il culti- sourire à nos pauvres ttrorf s, et obtenir pour ces
vait avec une sainte tendresse l'affection de ses pages consacrées à sa mémoire un peu de cette
amis. Ce culte faisr.it pisrtie de Fa piété; car tons grâce persuasive etsaintequi coulait de ses lè-
ses sentiments rayonnaient d'un même foyer et vres et qui semble encore attachée à son nom!
' Socr., 1. 6, c. 18. — ' Chrys , Du Sacerd., 1. 1 ; Pall., pajjim ;

BfisI, Chryt. passim ; Tillero., t. U, an. 2, p. 5. ' C.i'îsieD, de Inc.^rn. Verbi, I. 7. c. 31.

CHAPITRE DEUXIÈME.

Naissance de Jean. — Sa mère. — S«9 premières années. —


au barreau. — Succès
DébnU — Libanins.
littéraires. I.e sopliiste

L'empereur Julien. — Martyrs à Aniioche. — — Jean s'éloigne du inonde. — Son ami


Valcnlinion — Bossuet. — Basile.

Saint Eusthale. des Intrijîues .ariens. — Saint Mélèce. — Paulin Eustalhicns. — Lucifer de
et les Saint Jérôme. Calaris.
— — Recours
Saint Basile. à l'Ealise romaine. — Question de! tiypostases. — Popularité de Mélèce. — Etudes sacrées de Jeu.
— Son baptême. — Diodore Flavien. et

Jean naquit à .\ntioche de parents nobles et nés; les plus grandes églises, veuves de leurs
chrétiens '. On ne sait pas au juste la date de pasteurs, livrées à de misérables intrus. Les
sa naissance. Avec le P. Slilting, nouscroyons George, les Etienne, les M cédonius, c'est-à-dire
devoir la placer de jiréférence en 3U'. simonie, l'impiété occupaient les
la cruauté, la
Un grand pontife, pape un grand saint, le chairesensanglantées d'An tioche, d'Alexandrie,
Jules, gouvernait alors l'Eglise de Dieu au mi- de Constantinople. I.esvraischrétiensen étaient
lieu des plus violents orages qui l'aient jamais à regretter, avec saint Hilaire ', sous un fils de
assaillie.L'Arianisme,cnetfet, assis sur le trône Constantin, les jours de Néron et de Décius.
de Byzance, ne connaissait plus démesure. Ua Lesfoliesol les crimesdescirconcellions épou-
calomnie, le faux, le sacrilège, le meurtre, au- vantaient l'Afrique. L'Orient tout entier n'était
cun crime, aucune infamie ne l'arrêtait. Il ex- que confusion et désolation; el comme si la
communiait le papelui-mèinc. Alhanase, Paul, nature eût voulu ajouter son courroux au deuil
Luce, Eusthate, les plus nobles défenseurs de de la religion, des tiemblementsde terre inces-
l'orthodoxie étaient exilés, déportés, emprison- sants ravageaient les plus belles contrées de

GcorKCs d'Alexandrie que


l'empire. Néo-Césarée s'écroulait dansle Pont;
' écrit le père et la mère àe notre Saint
étaient idclàtrcs, et fureot convertis au Christianisme par leur ûls, à de Rhodes était bouleversée; Salamine. Bé-
l'île
l'époque de son baptême. C'est un conte de sa fpçoo. Cbrysostomo
était au berceau quand 50n père mourut. Lui-même nous apprend
rytc.Dyrrachitim, une foule de villes en Italie,
(ad vi'l. junior., et tib. 1 rfe Sncerd.) que ea mère était chréueDoe,
en Grèce, ailleurs, n'offraient plus qu'un amas
Une 9^ur de eoD père, Sabinicnne, fut diacone<ifie de l'église d'An-
tiocbe; el, quant à son pére, Stiliing établit stifUsammcnt qu'il était de ruines; Borne elle-même, ébranlée par dQs
chrétien, lui auBii ;
Socrare et Sozomène nous disent expreiiément
(Soc. 1.6, c. 3; Soz., 1. que Jean
8. c. 2| était d'uce naissance r.oble.
' Toir U noie A à U an du volume. n.lai. aZi. Coniti
iÔ ntSTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME,

coups souterrains, trois jours et trois nuits, chez l'affaiblir, la virilité d'une âme
elle, sans
croyait (ouciicr à sa dernière tieure. romaine. Jamais femme», dit un pieux au-
«

Au plus fort fie la tempête, la Pro\idence teur', « ne fut plus digne de porter le nom de
répandait à pleines mains les germes puissants mère ». Les p;;ïens eux-mêmes la vénéraient.
des plus hautes consolations, des plus grandes Jean raconte que Lihanius, apprenant de lui
Ambroise venait au
gloires de l'Eglise. Saint que sa mère, âgée de 40 ans et veuve depuis 20,
monde en Jirôme en 342, saint Cbry-
340, saint n'avait jamais voulu prendre un autre époux,
soslomccn 3i4, ThéodofecnG'iO, le poète Pru- s'écria, snisi d'admiiation, en se tournant vers

dence, le clu'.nlre des martyrs, en 34S; saint son auditoire idolâtre «0 dieux! quelles fem- :

Porphyre de Gaza etsaintPaulin de Noie en 353, a mes il y a chez les chrétiens


' I »

saint Augustin en 3oi, sainte Mclanieet sainte La jeune mère aimait d.ms sou fiisla vivante
Paule en 341 et 347 plus loin, la Mésopotamie
;
image de son mari ', et surtout les qualités
voyait saint Ephrem succéder à saint Jacques éminentes qui distinguaient déjà cet enfant.
de Nisibe, et mctlrc au service de la vérité des Elle réleva elle-même, ne voulant pas que
trésors d'éloquence, de savoir el de poésie ; et d'autres mains que les siennes touchassent à
déjà l'on pouvait distinguer entre les étudiants une âme en qui le Ciel semblait mettre déjà
de Athènes, à côté de l'astucieux Ju-
la frivole tant de complaisances. Jean fut donc allaité de
lien,deux jeunes hommes, Basile et Grégoire, la foi de sa mère et de son courage; il refpira

parfaitement inconnus alors, mais se préparant près d'elle, dès le berceau, cette mnjcslé de
dans l'obscurité, par la science et la vertu, à mœurs, cette piété forte dont le cachet resta sur
porter la succession d'Athanase, et aux grandes sa vie. Le soleil d'Orient, le cœur d'Anthusa et
luttes qui devaient illustrer leur vie. Au désert les livres saints, oùilapprità lire, versèrcntdes
florissaient Antoine, Pambon, Théodore, Pa- flots d'amour sur cette
de lumière, de poésie et
côme. De Nilrie, delaThébaïde, un parfum de belle âme, ouverte de bonne heure aux grandes
grâce et de sainteté s'exhalait sur le monde. impressions de la nature et delà foi. Bien que
En Occident, Opiat de Milève combattait avec son baptême, suivant l'usage du temps, fût
autant de vigueur que de talent pour l'unité de renvoyé à une autre époque de sa vie, il n'en
l'Eglise; lîilaire de Poitiers commençait à faire fut pas moins instruit avec soin de la loi chré-
entendre sa grande voix ; Marhn de Tours, atta- tienne, dont les graves enseignements, saisis-
ché par lui aux autels, ouvrait cette série de sant fortement sa pensée, la poussaient déjà en
prodiges qui font de sa vie l'un des plus beaux brûlantes aspirations vers le Ciel et vers Dieu *.

monuments de ce siècle et peut-être de tous les D'une intelligence prompte, d'une âme ar-
siècles. dente et tendre, d'une sensibilité très-vive, bon,
Secundus, le père de Jean, était maître des doux, généreux, montrant déjà pour les pau-
soldats de Syrie ', c'est-à-dire qu'il avait un vres cette coni]tassion délicate qui sera l'une
commandement général dans les armées de des sources de son éloquence, prenant feu pour
l'empire en Orient. mourut jeune, et laissa
11 ce qui lui semblait juste et vrai, maissansfiel,
sa veuve âgée de 20ansàpeine^ avec la charge sans colère, incapable de dissinuilalion et de
de deux enfants, une petite fille ', d'environ lâcheté, d'un caractère ouvert comme son vi-
deux ans, Jean qui venait de naître.
et sage , avec un fond de constance rare chez un
Anthusa, c'était le nom de cette noble femme, enfant, il avait quelque chose de décidé, pres-
refusa de se remarier, et se dévoua sans réserve que martialdansles traits, qui rappelaient son
à l'éducation de sou fils *, sa fille étant morte père '. En s'accusant, comme il le fait quelque
en bas-âge. D'un grand cœur et d'une haute
vertu, mélange de sainte Paule etdeCornélie,
•Godeacar, 27 janv. — * Chiys.^ àunejeuD« veuve. — *Du Sa-
cerd,, 1. 1.

la piété douce de la chrétienne attendrissait • Chrys., de Sacerd., 1. 1. — Pall, dial., c. 5. — Geor. Al., p. 1,
col. 2. — S. Joan. Dam., Oral, panegyr., n. 2. — Tillem., 11, t.

p. 5 et 6. — Herm., c. 3. —
A part deux ou
mots de Paliade trois
*Pall., dial., c. 5. — "Chryg., d'une jeune veuve, — 'Pall., loc, cit. et quelques détails fournis par Jean lui-même, nous avons peu da
* On ne dit pas le nom
de cette unique sœur de Jean, ni ce qu'elle renseignements sur celte première époque de sa vie. Ce qu'en raconte
devint. 11 n'en est plus question dans l'histoire du Saint. Le silence Georges ne mérite guère crédit. Le voyage et les études de Chry-
d'Anthusa sur ce point dans son discours k son fils {df' Sacerd.^ lib. 1.) soslome à Athènes sont une de ces fables dont justice a été faite
autorise à penser que sa fille était morte en bas-âge. Hermant a cru, depuis longtemps. Cependant, quand les faits donnés par ce narra*
à tort, qu'elle vivait encore, ainsi que sa mère, lors de l'exildeChry* teur sont vraisemblables, nous n'avons pas le droit de les rejeter,
iostorae. Ce qui l'a induit en erreur, ce sont deux lelttes du prélre parce qu'ils viennent de lui.
Constanlius à sa mère el i sa swur, ra«ss«(B«Dt attribuées à lévëijua ' Pall,, ibid.; Cbrys., du Sacerd., 1. 1, c, I, D et 7 ; I. 3, c. 14}
de Coi.>Uûlinc{>le, Soci., \. 0, c. 3 ; Sot., l », «. a.
CHAPITRE DEUXIÈME. n
part, (11" lonfcur et tle iinnclialancc ', il n'accuse srmcnt des morts glorieuses, dont la contagion
qiif la facilitii nicrveilkMue de son esprit ;
ci lui semblait si redoutable'. Il essaya donc de la
certes, cette riclie nonclialance, si je peux dire ru^e et du sarcasme. Installé dans la capitale

ainsi, seretrouvant pins lard dans ses discours de laéchangeait avec ses habitants des
Syrie, il

et ses écrits, domiora sonvent à sa parole un épigrammes et des satires, écrivait des livres
ciiarniequl en fait oublitr les défauts'. contre les miracles ut la divinité de Jcsus-Chrisl;

Georges |)rétend (Hie, tout petit encore, on le mais en même temps il abolissait les lois favo-
voyait parfois s'arracher tout à coup aux jeux rables au Christianisme portées par ses prédé-
de son âge et s'isoler des compagnons de ses cesseurs, écartait les chrétiens de toutes les po-
ébats, comme pour écouter dans un silence re- silions élevées el influentes, leur interdisait
ligieux une voix mystérieuse qui lui parlait au l'enseignement des lettres, les accablait de vexa-
fond du cœur. Ce qui est certain, c'est ([u'il <liit iioiis el d'impôts, forçait les officiers supérieurs

à la piété précoce, puisée dans le cœur de sa de l'armée à renoncer à leurs grades ou à tra-
mère, de conserver intacte cette fleur de jeu- hir leur foi, donnait pourgouverncursaux pro-
nesse et de pureté, cflVuillée d'ordinaire à tous vinces les hommes les plus connus par la haine
les vents, sur tou< les dicmins. Comme ces tiges de l'Evangile, fermait les églises, chassait les

métalliques qu'il suffit de dresser vers le ciel lirètres, confisquait les vases sacrés, excitait
pour émousscr la fondre, cette direction vers le sous main les habitants des campagnes, encore
monde supérieur, donnée de bonne heure à la idolâtres, à se ruer sur les tombeaux et les ora-
pensée du jiiine homme, préserva sa vie des toires des martyrs, pour brûler les reliques et dé-
orages (jui en brisent tant d'autres. L'exquise, truire les autels; et lorsque, après une expédi-
sensibilité et brillante ima-
de sa nature, sa vive tion de ce genre où le sang avait coulé, un pré-
gination, au lieu de l'égarer, n'aboutirent qu'à fet, prenant les lois au sérieux, essayait de sévir

une compréhension plus prompte et plus pro- contre les meurtriers, il sévissait contre lui, et

fonde de la divine philosophie de la croix. Il s'écriait Quel mal y a-t-il donc que dix Gali-
: «

n'était pas encore catéchumène, que déjà, chré- léens succombent sous la main d'un Gentil * ? »
tien fervent, il aspirait aux immolations du dé- Cela même ne suffisant plus à ses fureurs, il en
sert ', au martyre ', vint contre les chrétiens aux dernierssupplices;
Il avait 17 ans lorsque Julien, arrivé à l'em- seulement il les faisait tuer sans éclat, au milieu
pire et se hâtant de jeter le masque , se mit à de la nuit, sous l'imputation de griefs imagi-
persécuter sans relâche le Christianisme qu'il naires, autres que leurs croyances, s'appliquant
avait professé. Antioche fut le principal théâtre à déshonorer les victimes, s'ill'avait pu, avant
de cette persécution, à la fois hypocrite et vio- de les frapper '.
lente, qui fit des apostats, mais qui donna de Une noble veuve, Publia, que quelques au-
nouveaux et glorieux martyrs à la cause de Jé- teurs' ont prise à tort pour la méredeChrysos-
sus-Christ. Le César philosophe, qui mettait son tome, fut frappée au visage jusqu'au sang, parce
ambition à faire mentir lEvangile et à restau- que, l'autocrate passant devant sa porte les ,

rer le polythéisme, ne put rester longtemps vierges qu'elle gouvernait avaient entonné ce
dans le rôle de modération qu'il s'était d'abord psaume de David Que Dieu se lève, et que ses :

imposé. Sa baine, longtemps étouffée dans sou ennemis soient confondus " /
cœur, débordait, malgré lui, dans tous ses dis- Théodoret, prêtre vénérable conduit les ,

cours et dans tous ses actes. Sachant bien, tou- mains liées derrière le dos devant le comte Ju-
tefois, par l'histoire des derniers siècles, que le lien, oncle de l'empereur et renégat comme
sang des martyrs porte bonheur à la foi, et qu'il lui : « Tu es le débiteur du fisc, lui dit le ma-
n'av.iit qu'à tirer le glaive contre les chrétiens gistrat; dieux et tu seras libéré.
honore les —
pour les voir courir joyeusement au supplice Je ne dois rien à personne, répondit Théodoret,
comme des abeilles, disait-il lui-même % à leur si ce n'est à Dieu, auquel je tâche d'offrir uno

ruche, il se gardait de leur procurer le relentis- conscience pure, pour obtenir l'effet de ses pro-
• Du Saeerd., 1. 3, c. 12, et 1. 6, c. 7.
messes. — Obéis à l'empereur, poursuivit lo
' Ilen est probablement de ce défaut comme de plusieurs autres
qu'il s'attribue 'du Sncerd., 1. 6, p. .126-130), et doDt sa vie n'offre •
Chrys., de S. Biihyt., cml. Jul. elc, no 22. ' Grcg. N«T., —
pas la mûîodre trace ou c'étaient de pieuses terreurs de son humi-
: oral. A, t. l, p. 127. —
'Greg. Naz., oral. 4, t. 1, passim.; Sorr.
iité, ou une vertu supérieure l'avait Iran.^ûguré. lib. 4, c. 14 ; Sozoro., 1. 5, c. 4 et sq. ïhéodor., I. 3, c. 7 et rq. ;
;

' Du Saeerd., 1. 1. —
* Oral, in SS. Juaenl. el Uax.— 'ChTj:, Biiin., Acl. mnrtxjr., p. 614. ' Herm., —
p. 4. ' Théod., 1. 3 —
dis. sur s. Juvent. et Max. C 17.

TOAIE I.
«8 HISTOIRE DE SAINT JEAN CURYSOSTOME.

comte apostat car il est écrit que le cœur du


; vant le sépulcre, leurs visages resplendissaient
roi est dans la main de Dieu. —
Oui, répliqua de la même beauté que celui d'Etienne dans le
l'intrépide vieillard, le cœur du roi qui connaît conseil des Juifs, et tous furent saisis d'une sainte
Dieu est dans la main de Dieu, mais non le frayeur, tant cette vue les impressionnait' ! »

cœur du tyran qui adore les idoles. Si lempe- Le règne de Julien passa sur l'Egypte comme
reur ordonne, et s'il est ce que tu dis. je le tiens une trombe. Jovien lui succéda. Soldat intré-
non-seulement pour un tyran, mais pour le pide, chrétien éprouvé, il fit rétablir sur le la-
plus misérable des hommes». Et le saint prêtre barum le monogramme du Christ, rappela de
fut battu de verges, étendu sur le chevalet, l'exil les évêques bannis par Constance, déchar-
cruellement torturé, et enfin mis à mort'. gea les églises des taxes qui les accablaient, et
Deux officiers de la garde impériale, Juventin mourut quelques mois après son élévation f u
et Maximin, se plaignaient à table, au miheu pouvoir, sans avoir pu réaliser toutes ses bon-
de leurs camarades, des injustices et des vio- nes intentions à l'égard du Christianisme, re-
lences dont les chrétiens étaient l'objet. Dé- monté sur le trône avec lui pour ne plus en
noncés à Julien et par lui interrogés, ils re- descendre. Appelé à prendre les rênes de l'em-
nouvellent en sa présence leurs plaintes pire dans les circonstances les plus critiques,
respectueuses. On les jette en prison leurs ;
Valen'inien revêtit la pourpre à Nicée, le 26 fé-

biens sont confisqués; caresses, niLuaces, on vrier 364, et pour le malheur du monde s'asso-
emploie tout pour leur arracher une abjuration. cia son frère Valens, auquel il donna l'Orient
Rien n'ébranla leur constance. Le prince, qui etConsfantinople. Administrateur habile, capi-
se vantait de sa douceur, les lit appliquer à la taine heureux, caractère droit et ferme, ennemi
question, puis décapiter au milieu de la nuit'. déclaré des mauvais fonctionnaires, grand et
Ces cruautés, ces assassinats par la main du terrible justicier, il gâtait, par les emporte-
bourreau, indignèrent Antioche,oij Julien d'ail- ments d'une âme indomptable et dure, les plus

leurs était détesté. Jean, qui avait vu tomber hautes qualités. Victime, sous Julien, de son
ces nobles têtes et recueilli les derniers soupirs attachement à la foi chrétienne%il s'efforça de
de ces héros, sentit profondément les sanglants réparer au plus tôt les maux de la dernière per-
outrages infligés à la religion de sa mère et de sécution, rendit aux chrétiens les chaires et les
son cœur. Sa foi s'exaltant dans son âme, en biens qu'on leur avaitravis, prescrivit la sanc-
proportion des périls qu'elle faisait courir, il tification du Dimanche, et renouvela la loi de
éprouva, lui aussi, le désir de donner sa vie Constance, qui défendait sous peine de mort
pour la cause de Jésus-Christ. Plus tard, sur la les pratiques magiques et les sacrifices noctur-
tombe commune de Juventin et de Maximin, il nes. Et néanmoins, malgré ces mesures et d'au-
prononça en leur honneur un admirable dis- tres, le paganisme abattu conservait de nom-

cours, pieux dithyrambe où respire l'enthou- breuxadeptes. Les campagnes s'obstinaient à lui
siasme du martyre '. On se demande, à l'enten- être fidèles. En Orient, le feu sacré brûlait
dre, ne fut pas l'un de ces hommes coura-
s'il toujoui s dans les temples, et les fêtes d'Apollon,
geuxqui bravèrent tout pour enlever les restes les mystères de Cérès, étaient célébrés pompeu-
sacrés des victimes et les ensevelir honorable- sement sur les places publiques'. Sous le règne

ment. «Le sang des saints, dit-il, parle et crie, même des fils de Théodose, le fanatisme de
et si sa voix ne résonne pas à l'oreille, elle reten- l'idolâtrie fit encore des martyrs.
tit dans la conscience des meurtriers. Mais, Au moment où
Valentinien arrivait au pou-
poursuit-il, après ce massacre heureux, il y eut voir, Chrysostome atteignait sa vingtième an-
des fidèles qui, au péril de leurs jours, retirè- née. L'aube de sontalentcommençail à poindre.
rent glorieux athlètes de la fosse où ils gi-
les Saintement fièredesa mission, Anthusa voyait
saient,pour leur donner unesépulture décente, avec bonheur les brillantes dispositions de son
presque martyrs eux-mêmes, car la mort qu'ils fils se ciiractériser tous les jours davantage, et
n'ont pas subie, ils l'ont souhaitée. Ceux qui se croyait déjà trop récompensée de ses mater-
étaient là, à qui il fut donné de voir ces corps nelles soUiciiudcs. Mais le jour était venu où,
privés naguère de vie, attestent qu'étendus de- par une apjdication plus spéciale à la philoso-
' Act. martyr., p. 658. phie et à l'éloquence, il devait se préparer au
' Théod. 1.
3, c. 15; Chrys., dise, sur les ss.Jnv. et Maxim. ;
Voir aussi le martyre des ss. Bonosa Maziœiliea à Antiochc(ilcf. ' Cliry., dise, sur les ss. Juï. «t Mal, — ' Théod. 1, S, c, 31. ^
marlyr., p. 6M). — ' Chtys.,
ibid. ' Théod. 1. 3, 0. 16.
CHAPITRE DELiXItMË. i9

barreau, qui menait, alors plus que jamais, à l'honorent. Julien, dans un accès de courroux*
toutes les | osilions élevées. Pour ccln, il n'eut ayant voulu iévir contre le sénat d'Anlioche,
pas à eliertlii r au loin, comme saint Dasilc fit Libanius intervint en faveur de sescompatriotes
saint Grégoire, des nir.îlres qu'il avait sous la avec une grande liberté de parole. Sur quoi,
main. Anlioche était une ville de lettres et do l'un des courtisans lui faisant observer qu'il
sciencis autant que de plaisir, uneofjièco d'A- était bien près de l'Oronle pour parler ainsi :

Ihéni s asiatique. Les rhéteurs et les pliiloso- l'os niaiaces, répondit- il, ne sont propres qu'à
plies y abondaient. Mais dans ce moment, Li- désiwnorer le prince dont vous voulez relever
banius les écli|isait tous par sa ré|iulalion de la puissance.
sages.-^e et de biau parler. Cou. me saint Grégoire fut lié d'amitié avec
Né presque en même
temps qu'Ausonne et Thémislius, tout païen qu'il était, saint Basile
Thémislius, il appartenait à i.elte clasfe d'hom- conserva toujours d'excellentes relations avec
mes qui, sous le nom encore honoré do fo- sou ancien maître, ne cessa de pro-
et celui-ci
phiites, avaient une importance sujiérieure à fesser respect et admiration pour son illustre
leur mérite. Ausonne, de professeur de bel!es- disciple. Libanius adrtssesesœuvres à Basile, et
leltres à Bordeaux, était devenu comte, préfet Basile adresse des élèves à Libanius' ; etquand
delà (laule, et enlin consul. Thénii.-tius fut le sophiste païen-apprend qu^ celui dont il goïi-
préfet et sénateur de la ville impériale, et jouit tailsi fort le talent vient de renoncerau monde,
à la cour, sous les princes les plus divers, d'un iln'hésite pas à lui écrire « Tu n'étais encore :

crédit sans égal Constance lui avait éri^é une


: qu'un jeune homme, que déjà je te vénérais, à
statue à Conslantiuople. Yieturin, converti plus cause de la gravilé de tes mœurs digue de la
tard au Christianisme, obtint à Rome h; même sagesse des vieillards, et cela dans une ville où
honneur. Julien profissait pour Maxime un pro- tant de pièges sont tendus à la vertu! Et mainte-
f' nd respect, et appelait aux premières digni- nant que sachant rentré dans ton pays, je
le
tés de l'empire Libauius qui n'en voulait pas. me disais: Va-t-il se livrer
au barreau? préfère-
Eugène, grammairien à Vienne, ne fut-il oas t-il l'enseignement? voilà qu'on m'annonce que
porté, pour son malheur, de sa modeste chaire tu as pris une roule meilleure, et que tu cher-
au trône des Césars ? ches plutôt à devenir l'ami de Dieu qu'à gagner
Après avoir professé avec éclat àNicomédieet de l'argent. Je félicite les Cappadociens et toi ;
à Constanliuople, où il avait eu saintBasile pour toi,d'avoir pris un parti si beau; eux, d'avoir
disciple, Libanius était rentré à Anlioche, sa pour compatriote un si grand homme ^».
ville natale, et y faisait, par son bel esprit, les Jean suivit donc les leçons d'éloquence de Li-
délices de ses compatriotes. Esprit étroit et ré- banius, en même temps que les leçons de philo-
trograde, écrivain prétentieux et obscur, païen sophied'Andragalhius', personnage célèbre en
avant tout, au dire de Chryfoslome, le plus
et, ce temps-là, qui n'a laissé d'autre trace que son
superstitieux des païens ', c'était un de ces nom conservé dans l'histoire de Chrysostome.
hommes qui, le dos tourné à l'avenir, proster- L'ancien ami de Julien se prit bientôt d'une vive
nés devant les ruines, mesurent à leurs chétives admiration pour le fils d'Anlhusa. « 11 vitavec
pensées les desseins de la Providence, et veu- inquiétude, dit M. Villemain, mais sansjalousie,
lent que le monde soit immobile, parce qu'ils s'élever près de lui ce dangereux adversaire de
ne peuvent marcher. Julien élevé au pouvoir, son culte. Peut-èlre, ajoute l'émincnt écrivain,
il crut tous ses vœux accomplis, et le poly- espérait-il encore le séduire au paganisme par
théisme réintégré à jamais dans son ancienne la vertu de ces fables d'Homère, qu'il interpré-
puissance. Le prince apostat le prit pour colla- tait éloquemment à ses disciples*». En tout
borateur dans ses écrits contre les chrétiens. cas, son espoir fiilbientôldéçu, et il est probable
Quand mort de celui-ci eut détruit ses illu-
la qu'au moment où il s'en berçait le plus, Jean se
sions, voulut d'abord se percer de son épée;
il
promettait déjà de consacrer à lagloire de Jésus-
mais il se résolut à vivre pour célébrer la mé- Christ cette science et cette éloquence ", qu'il
moire de son empereur, et demander grâce travaillait à acquérir sous un ennemi de Jésus-
pour SCS dieux. Du reste, s'il loua Julien, ilavait Christ. L'estime du maître pour l'élève ne souf-
loué Constance, et son encens brûla plus tard —
' Bas., episl. 1 12, episl. 160. Id., episl. H3 j Till., t, 9, p. 23
pour Théodose. On cite de lui des traits qui et 659. — ' Pall lïial., c. D;Socrat.,l. 3, c. 6; Sozom.,1. 8, c. 2.—
• Vill., Éloij. chrël. au IV» siècle, cdit. de 1855. p. 150. — ' Cbrys.,
' Chr;s., i ao« jtun* vtuvt. illi Sacerd., 1. 2, c. 1 ; Soc, I. 6, c. 3 ; Sozom., I. 8, c. 3,
,

20 HISTOIRE DE SAINT JEAN CIIRYSOSTOME.

frit pas de cette déception. L'obstiné polythéiste vie plus sérieuxque nous devions adopter, nous
déplora ce qu'il croyait être un vol fait aux gardâmes cette parfaite harmonie de sentiments.
muses et aux dieux; mais il ne cessa d'admirer D'autres causes contribuaient à la maintenir et
et de louer un talent qu'avec douleur il voyait à l'affermir. Ainsi nous n'avions pas à nous
passer sous un drapeau détesté. Plus tard, sur prévaloir l'un vis-à-vis de l'autre de la gran-
son lit de mort, pressé de désigner lui-même deur et de l'illustration de notre pays. Je n'étais
son successeur : «Je n'en voudrais pas d'autre pas très-riche, il n'était pas très-pauvre'. La
que Jean, s'écria-t-il, si les cliréliens ne nous conformité de nos projets répondait à l'état de
l'avaient ravi par un sacrilège* ». notre fortune. Nous étions d'une naissance éga-
Toutefois, le jeune orateur ne s'éloignait de lement honorable, et tout enfin concourait à
l'école du vieux sophiste que pour entrer au l'unité de nos vues et de nos volontés. Mais
barreau, où le poussaient l'usage du temps et la quand moment fut venu, où l'heureux jeune
le

plus légitime ambilion. Saint Ambroise, saint homme dut embrasser la vie des solitaires et la
Paulin, saint Suipice Sévère payèrentaiissileur vraie philosophie, notre balance perdit son
tribut au barreau, et généralement c'était le équilibre. Le bassin de mon ami, plus léger,
théâtre où venaient se produire et s'éprouver s'élevait plus haut; moi, enchaîné par les pas-

tous les talents, l'indispensable préparation à sions du monde, surchargé des imaginations
toutes les fonctions publi(iues. Jean y fit ses dé- de la jeunesse, je ne pouvais que tendre vers la
buts avec éclata sans que l'étude des lois le dé- terre. Notre amitié subsistait toujours, mais nos
tournât du culte d(_s lettres. 11 publia, vers cette relations n'étaient plus les mêmes. Et com-
époque, ce qu'on appelailalors une déclamation, ment, moi qui ne quittais le barreau et les pro-
c'est-à-dire un discours académique, en l'hon- cès que pour me livrer avec ardeur aux plai-
neur de jeunes princes '. Libanius goûta ce sirs de la scène, aurais-je pu me trouver sou-

travail, et se hâta de féliciter l'auteur dans une vent avec un homme qui, toujours sur ses
letlre que nous a conservée.
saint Isidore « J'ai livres, ne venait jamais au forum*? »

reçu, lui écrit-il, ton grand et beau discours, et Mais l'âme sérieuse et profondede Jean, toute
je l'ai lu à des connaisseurs. Tous trépignaient, pleine des austères enseignements et des exem-
se récriaient, faisaient éclater en toutes ma- ples desa mère, n'était pas de celles que peuvent
nières leur vive admiration. Je suis ravi qu'aux contenter de stériles succès et de vulgaires plai-
travaux du forum tu joignes ceux des lettres. sirs. Il vit le monde de près, le jugea et s'en dé-
Heureuxl'oratcur qui sait louer ainsi 1 Heureux goûta. Son regard ferme et sûr se détourna vite
ceux qui ont trouvé pour les louer un tel ora- de ce faux mirage de bonheur et de gloire qui
teur * I » l'avait un instant séduit, et se dirigea vers le
Jean ne put se défendre d'un instant d'é- ciel. Bientôt toutes ses pensées, toutes ses espé-
blouissement. Il jouit de ses succès, se pas- rances, se concentrèrent dans une vive aspira-
sionna pour le forum, fréquenta le théâtre, et tion vers ce grand idéal de toute créature faite

des nombreux amis qu'il avait, le plus digne et à l'image du Créateur : il cherchait Dieu, il en
le plus sérieux ne fut pas le plus goûté. Ecou- avait soif, il brûlait de sentir sa présence et de
tons-le parler lui-même : s'entretenir avec lui. De là, l'attrait d'un pieux
« J'avais beaucoup d'amis, vrais et sincères isolement, et de cette vie cénobitique que le

amis, connaissant et pratiquant parfaitement les Christianisme semblait avoir créée tout exprès
lois de l'amitié. Dans le nombre, il en était un pour des organisations comme la sienne, et
d'une afifection si grande pour moi, que, sous dont il entendait raconter autour de lui les
ce rapport, il l'emportait sur tous les autres, saintes merveilles. La solitude avec Dieu sur les
autant que ceux-ci sur les indifférents. Il ne montagnes qui semblent rapprocher du ciel,
m'avait jamais quitté : mômes études, mêmes admirable piédestal de l'âme humaine, d'où, su-
professeurs, même ardeur pour les lettres, blime stylite, elle regarde la terre d'en haut et
mêmes goûts nés des mêmes circonstances. Et de loin, et, libre, se lance dans l'infini, s'y
non -seulement quand nous fréquenlions en- plonge, l'embrasse, le respire, le possède, sans
semble les écoles mais après en être sortis
,
* Nous suivons Giacomelli. Montfaucon et autres se sont trompés
quand nous eûmes à réfléchir sur le genre de en faisant dire à Jean que son ami était très-pauvre la preuve en
:

est dans la phrase suivante [voir Gig^comeUi, note 5 du l«r livie du


* Sozom., 1. 8, c. 2. -- 'Voir la pote B aux Pièces jusli/icatives, Sacerdoce),
— ' Voir la DOie C aux PUas jusIificatU'es.— ' Is. Pel., eji. 42, 1. 2. ' Cliryi., du Sacerd., 1. I.
ClIAl'lTHt; DKLIXIÈME. 21

que rien gêne son essor; h solitude dans la laissa de trace dans son intelligence. Comme
prière et l'cxlase lui llarai^sail le plus beau sé- saint Cl égoiie de Naziance,il eût pu se compa-
jour de riioniine ici-bas, le vestibule du séjour rer au fleuve qui, selon le vulgaire, dit-il, roule
de Dieu, et sa riche imaginalion lui eu retraçait SCS flots d'eau douce à travers les flots salés de
les hautes délices avec une volupté sainte, la mer, sans rien perdre de sa douceur Ce '.

pleine d'inetrables ravisst inents. qu'on a dit .le lui, (ju'il faisait ses délices delà
Ces tendances mystiques trouvaient un ali- lecture d'Aristophane, jusiiu'à le savoir par
ment quotidien dans le sein de l'amitié. Car cœur, est dénué de tout fondement'.
Ba^ile, cet ancien coinpaiinon des ses études, Ce nouveau genre de vie et le désir du bap-
dont il nous parlait tout à l'heure, dès qu'il tême mirent le jeune converti en rapiiorl plus
avait su son retour aux fortes idées qui l'occu- directavecMélèce,révôqued'Antiochc. La riche
paient lui-même, s'était rapprochéde Jean, elle nature de Jean frappa tout d'abord le regard
poussait dans celte voie '. « A i)eine, nous dit expérimenté du pontife, f/jm', dit Pallade, de
Chrysostoine, eus-je relevé la tète au-dessus la beauté de cette âme, eiitrevo>/a)it déjà, d'tm
des vaj,'ues du monde, qu'il me saisit des deux regard jirophétiqite les consolatinns et la gloire
mains. Et cependant nous ne pûmes retrouver (jiCen recevrait l'Egliic^, il admit le calécliu-
notre ancienne égalité. Car, nous ayant précé- mènedanssa société intime, et voulut êlre lui-
dés dans la carrière et s'y étant porté avec une même son guide et son maître dans l'élude des
grande ardeur, il s'élevait au-dessus de moi et livres saints.
planait dans les hautes régions. Maisilétaitbon L'influence de Mélèce sur la desiinée de Jean
et prisait mon amitié. C'est pourquoi il s'éloigna fut trop grande, trop décisive, pour que nous
de tous ses amis, pour être assidûment près de puissions le passer sous silence, dans cette his-
moi ce qu'il désirait depuis longtemps, et que
: toire. Arrêtons-nous un instant sur ce nom, et
mon insouciance l'avait empèchéd'accomplir... disons quel homme c'était.
Donc, en possession de l'objet de ses vœux, après Né à Mélilène, dans
la petite Arménie, Mélèce
un long enfantement, il ne me quittait plus fut d'abord évêque de Sébaste. Mais n'ayant
d'un instant, et m'exhortait sans relâche à fuir trouvé dans le peuple confié à ses soins qu'une
la maison paternelle, pour aller vivre tous les indocilité désespérante, il s'accusa lui-même de
deux d'une vie commune sous le même toit^ ». l'insuccès de son zèle, et abdiquant un fardeau
En altemlant ce jour, qui ne devait pas arri- qu'il n'avait pluslecouragede porter, ilse retira
ver, Jean dit adieu à Libanius et aux lettres, au à Boerée, en Syrie, où il vivait dans un doux et
forum et au théâtre, et, prenant, comme son profond oubli du monde et des hommes.
ami, des vêtements de couleur sombre, il se L'église d'Antioche gémissait alors sous la
livra d'esprit et de cœur à la lecture des livres tyrannie insolente des Ariens. Le dernier de ses
saints évêquescatholi(]ues, saint Eusthate, victime des
Le P. De la Rue dit, en parlant de Bossuet : calomnies etdes violencesde lasecte, était mort
a II était déjà rempli des idées des poètes et des en exil, déjà depuis plusieurs années. Pontife
orateurs, lorsque Dieu disposa, comme par ha- d'une orthodoxie parfaite,aussiémiiientpar les
sard, une Bible sous ses yeux, et lui fit sentir si vertus que par la science, d'un dévouement
vivement l'élévation de celte divine parole, au- héroïque à la cause de la vérité, digne en tout de
dessus de tous les discours humains, que ce l'épithète de grand que Théodoret lui donne \
moment le frappa pour tout le reste de sa vie. il avait confessé la foi sous les empereurs païens,

Il demanda le saint livre, et ne cessa point de et fut l'un des premiers à signaler et à com-
l'étudier* ». battre l'arianisme. lleut dansle concile de Nicéo
Jean fit plus, peut-être. Dès qu'il eut goûté de un rôle important, et après le concile il mit le
cetalimenl supérieur, non-seulement il ne vou- plus grand zèle à en faire lu'évaloir les déci-
lut plus d'aucun autre, mais il bannit de son sions.Les prêtres suspects de connivence avec
souven ir orateurs et poètes. Pas plus que l'ivresse Arius furent exclus de son clergé et soit du ;

du monde dans sa vie, la littérature païenne ne haut de la chaire, soit la plume à la main, il
attaqua, avec un redoublement de vigueur,
* n saperâu de faire remarquer qu'il s'agit d'un autre que
serait
•aint Basile le Grand. l'hérésie qui redoublait elle-même d'audace".
' Cbtya., du Sacerd., I. 1. —
' Pall., dial.,c.
5 ;Socr., I. 6, c. 3; *GreK. Naz., Carm. de vit. sua, U 2, p. 687.— 'Voir la note /3 aux
Sozem., 1. 8, c. 3 Chrys., du Saeerd., 1. 1, c. 4.
;
' —
La Rue ; voir Pièces justificatives.—* Pall., dial.,c. 5. —
'Tiiéod., hi3., 1. 1, c. a
auui Ledieu, t. 1, p. 13 et 13. eu 7.— 'Xuéod,, ibid.i S«z9ai.,l, 2, o, 19; Clirys., Iiom., »ur 4i il'lulA.
22 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRVSOSTOME.

Allianase n'eut pas de plus intrépide émule. Ni Les choses en étaient là, quand Eudoxe, em-
les intrigues, ni les fureurs des sectaires, ni porté par son ambition, abandonna le siège
leur crédit à la cour, ne l'empêchèrent de d' Antioche pour aller usurper celui de Byzance.
démasquer Eusèbe de Césarée, hypocrite cor- On pour lui donner un successeur.
s'agita

rupteur de la foi de Nicée. Ariens et catholiques s'unirent dans le choix de


C'était assez pour que la faction jurât sa perte. Mélècc. Ceux-ci aimaient la douce gravitéde ses
On l'accusa desabeIlianisme,banaleaccusation mœurs, je ne sais quoi de noble et de saint qui
jetée tour à tour à la face de tous les défenseurs resi)irait dans sa personne ceux-là, à la réserve ;

delà consubstantialité ;
puis on s'en prit à ses où il vivait, l'avaient pris pour l'un d'eux.
mœurs. L'ariaiiisnie ne reculait devant aucune L'entrée du nouveau pasteur dans la métro-
infamie. Prétextant une visite aux saints lieux, pole do la Syrie eut quelque chose de triomphal.
et voyageant aux frais de l'empereur, Eusèbe La ville en masse se porta à sa rencontre. Les
de Nicomédie, avec un grand cortège de ses païens eux-mêmes se montraient pressés de
adhérents qu'il avait ramassés en route, se voir et de saluer un homme que précédait une
rendit à Antioche où il entra en souverain haute renommée d'éloquence et de vertu. Les
plutôt qu'en évèque. Des misérables apostéset Eustlialiens restèrent à l'écart, et repoussèrent
payés par lui l'abordèrent avec des dénoncia- une élection que la coopération des hérétiques
tions contre la foi et la vie d'Eusthate. Malgré rendait nulle à leurs yeux.
l'absurdité frafipante de ces imputations dé- Quelques jours après. Constance vint dans la
nuées de preuve et se détruisant les unes les grande église d'A.itioche, et demanda aux
autres, malgré les protestations des évêques é\ êques réunis d'exjiliquer au peuple en sa pré-
qui connaissaient Euslhate, et de la ville en- sence ce passage célèbre du livre des Proverbes :

tière qui vénérait ses vertus, ses ennemis, se Le Seigtieur m'a créé au commencement de ses
faisant ses juges, le déclarèrent hérétique et voies', passage sur lequel les Ariens étayaient

de mauvaises mœurs, et le déposèrent '. principalement leur augmentation. Des sténo-


A la première nouvelle d'un acte si audacieux graphes devaient recueillir avec soin les paroles
et si révoltant, le peujjle s'indigna. On courut des orateurs.
aux armes. Des magistrats, des officiers se George de Laodicée et Acace de Césarée par-
mirent à la tète du n)ouvemcnt '. lèrent d'abord le premier eu arien déclaré, le
:

Celte démonstration populaire compromit, second en homme cauteleux qui tâchait de


au lieu de la servir, la cause du pontife. Les passer entre l'erreur et la vérité'. Quand letour
Eusébiens en prirent texte pour le représenter deMélèce fu t venu l'auditoire redoubla d'atten-
,

à Constantin comme un fauteur de sédition. tion. Le nouvel évèque d'Antioche débuta par

La force intervint, et le pasteur arraché à son ces mots « Le sage Ecclésiaste a écrit que la fin
:

troupeau fut comkiit en exil avec plusieurs de d'un difcours vaut mieux que le connnence-
ses prêtres et de ses diacres. Il mourut à Phi- mt nt. En effet, il est plus sage et plus sûr de
lippes, dans la Macédoine. terminer une discussion que de la commencer...
La chaire illustre qu'avait occupée saint D'ailleurs, le corps de l'Eglise n'est pas un seul
Pierre, fut livrée à ce que l'intrusion avait de membre, mais la réunion de plusieurs qui
plus indigne et l'hérésie de plus furieux, aux doivent s'aider, non se conib ittre. La tête ne
Etienne, aux Léonce, aux Eiidoxe. La division doit pas dire aux pieds Je n'ai pas besoin de :

des catholiques aggrava la situation. Un grand vous ; \n'ôi\% [lour que l'irarmonie existe, il faut
nombre d'entre eux, croyant suivre en cela les que chaque partie se conforme à l'esprit de l'en-
conseils d'EusIh ite, résolurent, tout en gar- semble. Par quel autre exnrdepouvais-je com-
dant l'intégrité de leur foi, de se soumettre mencer mon discours que par une exhortation
aux intrus. Les autres, c'était la portion la à la paix ? Et n'est-ce pas la paix qui doit être le
plus fervente, ne voulurent entendre d'aucune point de départ et le but de nos paroles et de nos
relation avec la secte, et sous la direction d'un œuvres ? » Puis, après quelques mots sur l'unité
prêtre vénérable, nonnné Paulin, ils foi nièrent de l'Eglise il en vient à la ques-
et la cliaiité,

une église à paît. On leur donna le nom tion :que vous voulez éprouver la puis-
« Est-ce
à'Eiislhatùns. sance de Jésus-Christquiparle par mahouche'?»
» Théori., 1. 1, c. 21 ; Socr., 1. 1, c. 24 ; Sozom., 1. 2, c. 19 ;

S. mer., apol. 2 =</d. Jiuf. — 'Eus. vil. Conslant., L 3, c. 59; * C'est la version des Septante. Prov,, c. 8.— * Théod., 1, 2,c, 31.
fiocr. et Sùzoïn. iàid. — ' Ad Cti'iiUn. 2. c. 13.
CHAI'ITUE DKUXIÈME. 23

Et ilfxpo-;e d'une manière courle, mais claire à son Iroujieau et conduit en Arménie '.Il lais-
et (lijîne, la doclrinedu Verbe, Fils de Dieu, pauvre église d'Antioche divisée et inal-
sait la
Dieu de Dieu, un seul et un seul, svinblalile au lieunuse plns(iue januiis; car lesEustliatiens,
Père et son caructére par fait, suOsistaul par que la profession de fui du nouvel évé(|uc eût
lui-même et permanent, suifesse et puiss'ince dû lui concilier, ne voulurent ni reconnaîtns
au-dessus de toute sagesse et de toute pu issance, son autorité, niadiuetlredaiisleurcomniunion
qui a créé tout cet univers el le conserve à ceux de son parti, dont la plupart, disaient-ils,
jamais. Toutefois l'orateur évite par discrétion avaient reçu le baptême de prêtres ariens '.

\ti moi àc C'inmbitautiel ; el, passant rapide- Le premier de saint Mélèce ne fut pas
exil
ment sur le texte imposé, dans le
il l'interprète long. Le rescrit de Julien en faveur des prélats
sens catlioli(|ue, et s'écrie profondeur de la
: bannis par Constance le rendit à son église.
sagesse et de la science de Dieu, que vos juge- Mais bientôt, à la douleur que lui causait la
ments soniincompréhensibles et vos voies inves- division des catholiques, se joignit un nouveau
tigables^ Après quoi, il dit que l'hoaune n'a
1 dans le rétablissement du pa-
sujit d'affliction,
besoin de savoir autre chose, si ce n'est que ganisme par l'empereur apostat. Il s'y op|)Osa
Jésus-Christ est le vrai Fils du Père, Dieu de avec une vigueur vraiment épiscopale, assista
Dieu. Par lui, pouvi'U'ii-W, tout aélé fait et rien dans k'ur martyre deux magnanimes soldats,
n'a été fait sans lui Ces mots renferment
'. Bonose et Maximilien ', et fut surtout accusé
toute la doclrine. Que Dieu nous donne dédire d'avoir sauvé des fureurs de son père un jeune
avec le sage Abraham Puisque j'ai commencé,
: homme qui, fils d'un prêtre des idoles, avait
je parlerai encore à mon Seigneur, quoique je néanmoins embrassé le christianisme*. Banni
ne sois que poussière et cendre^, afin de ne pas par Julien en 302, rappelé l'année suivante par
nous eiiorfrueillir comme les cèdres du Liban; Jovien, il reprit, avec le gouvernement de son
car ce n'est point avec les discours persuasifs de église, le fardeau de ses douleurs. Le SoLisme
la sagesse humaine*, mais par la foi, qu'on s'envenimait de plus en plus.
acquiert la véritable et pacifique sagesse. Qu'il Cette déplorable situation affligeait profon-
nous donne, dis-je, de ne pas douter, et, quoi dément tous ceux qui avaient à coeur l'unité
que nous fassions, de plaire au Pèreavec le Fils, catholique. Saint Eusèbe de Verceil et Lucifer
dans le Saint-Esprit' ». de Calai is ou Cagliari, persécutés et proscrits
Ce discours, auquel saint Epiphane a trouvé sous Constance, revenaient de la Thébaïde. Tous
quelques mots à re|)rendre, excita de violents les deux avaient été légats du pape Libère au
murmures et de vifs applaudissements. Les concile de Milan, et ils avaient la mission de
catholiques se félicitaient d'avoir trouvé enfin, représenter chef de l'Eglise, soit dans le con-
le

après une longue attente, un pasteur intrépide cile d'Alexandrie qui allait se tenir, soit dans les
et selon Jésus- Christ. Dès ce moment, ils renon- grandes mesures à prendre pour la pacification

cèrent à la communion des Ariens, c'est-à-dire religieuse de l'Orient*. Mais tandis que l'impé-
à leur joug subi depuis longtemps. Ceux-ci, tueux Lucifer courait à Anlioche pour agir de
furieux d'avoir égaré leur choix sur un ennemi, lui-même, Eusèbe, plus calme, se rendait au-
poursui virent Mélèce de calomnies et d'insultes, près d'Atlianase et réclamait son intervention.
et se donnèrent un autre évèque dans la per- Sous laprésidencedu grand patriarche, un con-
sonned'Euzoïus, le plus ancien et le plusintime cile fut réunit dans la métropole de l'Egypte,

des amis de l'hérésiarque*. Quant à l'empereur, concile illustre, presque tout composé de con-
il venait de recevoir une leçon solennelle et fesseurs de la foi revenus de l'exil. Deux diacres
méritée. On lui avait dit nettement qu'en qua- de l'évêque de Cagliari, deux du prêtre Paulin,
lité de membre de l'Eglise, il devait apprendre chefs des Eusthatiens d'Antioche, y étaient avec
d'elle, non à lui dicter ce qu'il fallait croire, et saintEusèbe de Verceil et saint Astère de Pétra,
qu'au lieu de mettre aux divisions, il ne
fin L'assemblée résolut de recevoir avec une affec-
sa\ait que les entretenir. Sa vengeance ne fut tion paternelle et de conserver dans leurs fonc-.
pas différée. Trentejours après son installation, tions tous ceux qui avaient été engagés dans la
Mélèce, condamné à l'exil, était enlevé de nuit • Epipb., hœr. 73, n. 34. Co quo raconte «aint Cbrysoslome d'an
mouvement occasionné par le départ de Mélèce, se rapporte, selon
• Ad Roman, c. U. — ' /oan., cl.— ' Gen. 18. — ' Ad Co- nous à son troisième exil.
rinih. 1. c. 2. - ' Epiph., Aor. 73, n. 29. — • Soîon». 1. 4, c, 28; Soiom., 1. 4, c. 28. —
' Act. martyr.,
p. «64. — ' TWod., 1. i,

Tbiod., 1. 3, c. 31. •• 24. —' Kohrbacb. 1. 34, t. 6, p. 523.


24 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

communion des Ariens et même dans leurs prélats renommés s'attachèrent inébranlable-
erreurs, sans leur demander autre chose sinon ment conununion de Mélèce. Saint Atha-
à la
de professer la foi de Nicée, et de condamner, nase, saint Epiphane se déclarèrent pour Pau-
avec l'hérésie arienne, celle de Sabellius et de lin, dont le parti était relevé par des lettres

Paul de Samosate, et tous ceux qui disaieutque venues de Rome, qui lui accordaient le titre
leSaint-Esjirit est une créature et d'une autre d'évèque et rejetaient Mélèce'. Saint Jérôme,
substance que le Fils. Celte décision du concile ordonné prêtre par Paulin, embrassa vivement
fut transmise aux catholiques de Syrie, dans sa cause. La confusion fut à son comble quand
une lettreoù respirent l'indulgence et la cha- les disciples d'Apollinaire, quoique peu nom-
rité, et que signèrent, avec saint Athanase et les breux, voulurent aussi se donner un évèque,
évoques présents, les diacres de Lucifer et de et mirent à leur tête Vilalis. C'est alors que le
Paulin. Saint Eusèbe et saint Astère devaient la grand solitaire de Bethléem écrivait au pape
porter eux-mêmes à Antioche et en faire exé- Damase : « L'Eglise d'Antioche, divisée en trois
cuter les dispositions. partis, s'efforce de m'attirera elle. Moi, je m'é-
La précipitation d'un seul homme renditlant crie: S'il y a quelqu'un ici qui soit uni à la
de sagesse L'évêque de Cagliari, qui
inutile. chaire de Pierre, je suis avec lui. Mélèce, Pau-
avait précédé son collègue en Syrie, s'élait lin, Yiialis (irétendent qu'ils te sont unis. Je
flatté de terminer tout seul le diiïéreud des ca- pourrais si un seul le disait. Mais il
le croire y
tholiques, et il y eût réussi s'il avait pu trouver en a deux qui mentent, s'ils ne mentent tous.
un évèque agréable aux uns et aux autres. Mais C'est pouniuoi je supplie ta Béatitude de me
voyant les Eusthatiens obstinés à écarter Mé- faire savoir, par ses lettres, quel est celui avec
lèce, il consacra évèque leur chef, le prêtre lequel je dois communier' ».
Paulin. Cet acte accompli, en l'absence de Mé- Saint Basile
de son côté , ne réclamait pas
,

lèce, sans la participation d'Eusèbe, et contrai- avec moins d'ardeur l'intervention du chef de
rement aux vœux du concile d'Alexandrie, ag- l'Eglise romaine, comme le grand remède à
grava le mal qu'il devait guérir, et devint le tous Ils maux de l'Orient. « C'est mon avis,
point de départ du schisme fatal qui désola écrivait-il à Mélèce, que tu envoies un diacre à
l'église d'Aiitioche presque un siècle durant'. Rome, afin d'en obtenir des légats jiour visiter
Les Méléciens blessés accusèrent Paulin de l'Orient ' »
; et à saint Atlianase: a 11 nous a
partager les erreurs de Sabellius et d'Apolli- paru convenable d'écrire à l'évêque de Rome
naire, ce qui élail faux; car Paulin était un qu'il considèrece qui se passe ici, et de lui con-
homme doux, pieux, d'une doctrine aussi pure seiller d'us.T de son autorité'». Et cependant,
que sa vie, digne eu tout de l'épiscopat et du dévoué à Mélèce, il demandait qu'on lui réunît
litre de saint iju'on lui a donné. D'autre part, toutes les parties de l'Eglise d'Antioche. a Ce
la charité de Jlelèce, son esprit de conciliation, sont, disait-il au saint patriarche d'Alexandrie,
jes vertus admirées de tous, la persécution no- les vœux de tout l'Orient, et je le souhaite en
blement endurée pour la foi, rien ne put lui parliculier, comme élantunien toutesmanières
faire trouver grâce auprès des Eusthatiens : à cet homme désirable dont la foi est aussi pure
« Puisque nosouaillesont unemême foi, disait- que la vie, auiiuel personne ne peut être com-
il amicalement à Paulin, rassemblons-les dans [laré. On trouvera quelque expédient pour con-
une même bergerie ; et si le siège épiscopalcst tenter les autres et apaiser le peuple. Vous
cause de notre différend, plaçons-y le saint n'ignorez pas, ajoute-t-il, que les Occidentaux,
Evangile, et asseyons-nous aux deux côtés, les qui vous sont le plus unis, sont du même sen-
premiers au rang des prêtres: celui de nous timent^ ».
deux qui survivra aura, après la mort de l'au- Inutiles efforts: on s'éloignait de plus en plus
tre, la direction de tout le troupeau ^ ». Le de cette pacification que tous désiraient: c'est
parti de Mélèce approuvait cet arrangement, que l'opposition était entre des hommes d'une
celui de Paulin le refusa. sainteté éminente. Mélèce, sincèrement catho-
De grands saints se trouvèrent engagés dans lique, avait donnédes gages éclatants de la pu-
cette querelle : saint Basile, saint Grégoire
de reté de sa foi; mais ordonné parles Ariens, on
Nysse, saint Grégoire de Nazianze, une foule de le soupçonnait d'en retenir quelque chose, et
* Tbéod., I. 3, c. 5. — Théodore!, 1. 5, c. 3 ; Saint Ambroise • Bas., ep. 214. — ' S. Hier., ep. 15 ad Dam. — '
Bas., ep. ad
attribue cette proposiiios à Paulin {ep, 13). ifel. 89 alias 57. —• Ibid., ep. 69 alias 42. — ' Bas., ep. alias 50.
,

CHAPITRE DEUXIÈME. 2b

saint Athanase lui reprochait d'avoir mal ré- Brebis, je demande secours au pasteur. Arrière
pondu aux avances Pau- qu'il lui avait faites'. donc, envie 1 arrière, dignité et grandeur de
lin, d'autre part, était un honiiiie exemplaire, Rome ! Je parle au successeur du pêcheur et au
'

vénéré des Ariens eux-mêmes; mais il n'avait disciple de la Croix. Ne suivant d'autre chef
pour lui que la moindre portion des catholiques que le Christ, je suis uni de communion à ta
d'Autioche, et ses adversaires, nous l'avons Béatitude, c'est-à-dire à la chaire de Pierre. Je
déjà dit, lui im[)utaient sans fondement des sais que sur cette pierre a été bâtie l'Eglise.

opinions suspectes. Quiconque n'est pas dans l'arche de Noé périt


La question nouvellementsoulevéedes/jypo5- parle déluge... Je neconnaispasVitalis, je re-
tases ajoutait à l'irritation des esprits. Il s'agis- jette Mélèce, j'ignore ce qu'est Paulin. Celuiqui
sait de savoir si ce tnot, appliijué aux |)ersonnes n'amasse pas avec toi disperse c'est-à-dire qui ;

divines dans la Sainte Trinité, n'avait pas l'in- n'est pas pour le Christ est pour l'Antéchrist' ».
convénient de ramener à Arius pour éviter Sa- Et en même temps qu'il s'abandonnait ainsi
bellius. La discussion n'eût été ni longue ni aux nobles élans de sa foi, il maltraitait les
amère, si, comme saint Athanase et saint Gré- Méléciens, et les insultait' de cette épithètede
goire ', on se fût placé au-dessus des paroles compenses [canxpagnards] qui leur venait des
pour au sens. Mais la situation était
s'attacher Ariens : injure glorieuse, car c'était à cause de
tendue. « L'aigreur s'en mêla une minutie, , leur résistance à la secte que celle-ci les avait
dit saint Grégoire devint un monstre, et le , 'basses des églises, et qu'ils étaient contraints
monde fut sur le point d'être mis en lambeaux ^e tenir leurs assemblées hors de la ville, au
avec des syllabes ^ ». On s'accusa réciproque- milieu des champs ', d'oià par dérision ce nom
ment d'hérésie. Pierre, patriarche d'Alexandrie, de campagnards, qu'un docteurcatholique de-
et le prêtre Dorothée, envoyé de saint Basile et vait d'autant moins leur infliger, qu'ils sui-
de saint Mélèce, eurent à Rome, devant le pape, vaient les enseignements de saint Basile avec
une violente contestation. Dorothéemanquade la même
fidélité que la communion de Mélèce.
respect à Pierre; Pierre traita d'hérétique Mé- Au
milieu de ces dissensions malheureuses,
lèce d'Antioche et Eusèbe de Samosate, exilés Mélèce affligé*, maisconservanltoujoursl'inal-
l'un et l'autre dans ce moment. Saint Basile en térable douceur de son caractère, s'appliquait
ressentit une grande peine et l'exprima vive- à épurer son clergé, à fortifier la foi de son
ment: il accusait les Occidentaux d'orgueil, et peuple, à faire fleurir dans son église les anti-
de ne pas savoir la vérité dans les affaires d'O- ques vertus du Christianisme. « La sainteté res-
rient. «Jamais, ajoutait-il, on ne pourra nous piraitsur son visage, ditChrysoslome; son seul
persuader de méconnaître Mélèce, ni d'oublier regard était une prédication " ». Vénéré autant
l'église dont il est le chef * » D'autre part . qu'aimé, il jouissait à Antioche d'une popula-
saint Jérôme écrivait au pa(ie : « On me de- rité sans égale. Chaque fois qu'il quittait la cite,
mande si j'admets trois hypostases. Je demande c'était un deuil public chaque fois ; y ren- qu'il
ce que ces mots signifient; on me répond que trait, une fête. Les mères donnaient son nom à
ce sont trois personnes subsistantes. Je dis que leurs enfants. On voyait, chez les orthodoxes,
je l'admets ainsi on prétend que cela ne suffit
: son image peinte ou gravée partout, sur les
pas, on veut que je dise le mot. Nous crions tout cachets, sur les bagues, sur les meubles, sur les
haut Si quelqu'un ne confesse pas trois hy-
: lambris, a Homme sans art, dit saint Grégoire
postases dans le sens de trois personnes subsis- de Nazianze ^ de mœurs simples, plein de
tantes, qu'il soit anathème. Et parce que nous Dieu, portant dans son cœur le calme auguste
n'employons pas le mot sans explication, l'on de ses traits, il avait souffert pour la cause da
nous traite d'hérétiques. Nous disons, d'un Jésus-Christ ». Saint Basile professait pour lui
autre côté quelqu'un entendant par hypos-
: Si un culte de tendre vénération. « Si ta piété
tase, essence, ne confesse pas une hypostaseen savait, lui disait-il dans une lettre charmantt;,
trois personnes il est étranger au Christ. Et
, quelle joie tu me procures en m'écrivant, tu ne
l'on nous accuse de confondre les trois per- manquerais, j'en suis sûr, aucune occasion de
sonnes en une. Décide donc, je t'en conjure... le faire. Ne sais-tu lias quelle récomi>ense la
Ta grandeur m'effraie, mais ta bonté m'attire. s. Hier., ep. U ad DB., t. 4, ait. p., p. 19. — ' Id., ep. U, t. -i
' Jbid., ep. 57 alias %a, et ep. 258. — '
Voir la note aux Pirces
ff ait., p., p. 21. — Théod.,
' 1. 2, c. 31 1. 3, c. 4. — ' V..ir la l:'j>0

;

justificatiiies. ' Giég. orat. 21, n. 35. — ' S. Bas, ep. 321 et 319 /aux Pièces juslificatiues, — ' Chrys., sut S. Mal.— '
Greg. Nii.,
(éd. Farù). t. 2, p. 755.
26 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

Ciel réserve aux consolateurs des afQigés? Or, tant de prix à ses commentaires. Sans doute, il
ici tout est en proie à la douleur, et la seule faut regretter que les maîtres
,
préoccupés de
diversion à nos maux, c'est ta pensée... Aussi l'abus des interprétations allégoriques reproché
quand je reçois une de tes lettres, je regarde à l'école d'Alexandrie, aient dirigé trop exclu-
d'abord si elle est bien longue, et je l'aime d'au- sivement, vers le sens littéral, l'esprit si élevé
tant puisqu'elle renferme plusdelignes. Jesuis de leur disciple. Cependant la forte trempe de
heureux tant que je la lis; dès qu'elle est finie, cet esprit éminemment chrétien, sa foi humble
je rentre dans ma tristesse. Si, par l'interven- etvive, le préservèrent des inconvénients et des
tion de tes prières, je pouvais obtenir de ne périls de la méthode trop humaine de Diodore
pas terminer mon pèlerinage ici-bas sans te et de l'école d'Antioche, auxquels tant d'autres
voir, sans recueillir de tes lèvres la doctrine n'eurent pas le bonheur d'échapper.
du salut, et m'ajjprovisionner près de toi pour Entre un tel pasteur et de tels amis, Jean
la vie présente et la vie future, je la regarde- marchait d'un pas fermedans les voies de Dieu.
raiscomme un grand bien et la preuve de la Chaque jour était marqué par un triomphe de
bouté de Dieu pour moi ' » ! la grâce.Son talent, qu'il ignoraitseul, le fai-
Quoi qu'en dise l'historien Socrate ', Chry- sait moins aimer que sa douceur et sa modestie

sostome resta fidèle toute sa vie à la commu- poussée jusqu'à la timidité '. Cet homme, dont
nion de Mélèce , son maître dans les études la tribunedevaitètrel'orgueildu Christianisme,
sacrées et son père selon la grâce. se défiait excessivement de lui-même. Il parlait
Alors vivaient près de l'évêque d'Antioche, peu avec hésitation. Son regard, comme sa
et
honorés de sa confiance, deux hommes que pensée, ne semblaient plus voir que le ciel. Sa
distinguaient une grande science, une grande grande préoccupationétaitson baptême. Comme
vertu, et surtout la haine violente des Ariens : saint Basile, comme saint Grégoire, il avait dif-
c'étaient Flavien et Diodore. Nous les verrons, féré de le recevoir, préparer par une pour s'y
Mélèce proscrit, veiller sur son église veuve, et, connaissance plus profonde de l'Evangile et
à force de courage et de dévouement, y main- l'exercice des plus hautes vertus ^ Aucun novi-
tenir intacte, au milieu de rudes épreuves, la ciat ne lui semblait suffisant pour l'établird'une
foi de Nicée '. Jean les vit, les goûta, s'aida de manière solide dans cette vie selon Jésus-Christ,
leurs conseils, et, sous leur direction, fit de ra- dont il n'envipageait qu'avec une pieuse terreur
pides progrès dans la science des livres saints. les devoirs et la sainteté. Il voulait apporter à
Du noble amitié retentit dans toute
reste, cette son Dieu un cœur digne de lui, propre à deve-
sa vie car Flavien, devenu évoque d'Antioche,
;
nir un incorruptible témoin de sa grâce. Tout
lui imposa les mains et lui confia le ministère ce que le Christianisme inspire d'abnégation et
de la parole, c'est-à-dire qu'il plaça la lampe de pureté, il le pratiquait dejiuis plusieurs an-
sur le candélabre, le génie sur son piédestal. nées, lorsque Mélèce lui conféra, près de partir
Quant à Diodore, qui fut plus tard évêque de pour un autre exil, le signe divin des initiés '.
Tarse, il jouit, de son temps, comme interprète Le baptême fut à cette âme généreuse comme
des saintes Ecritures, d'une grande réputation. l'eau du ciel à la terre bien cultivée. Il fit épa-
Estimé de saint Athanase ', loué par saint Ba- nouir dans toute sa splendeur ce que la nature
sile ', suspecté plus tard dans son orthodoxie, il et l'esprit saint y avaient semé. Le fils de Se-
eut pour disciple saint Chryrostome'. Cartérius, cundus, devenu le fils de Dieu et le frère du
le chef célèbre d'un monastère près d'Antioche, Christ s'appliqua avec un zèle heureux à dé-
,

fut aussi l'un des maîtres de notre Saint '. Il se ' Chrys., Du Sacerd., 1 3.
forma près d'eux à cette manière simide et lu- - Ces délais du baptême n'étaient ni rares ni surprenants dans la

priniitive Eglise. Quand ia persécution grondait, et que la trahison


mineuse d'expliquer le texte inspiré, qui donne
d'un faux frère pouvait tout compromettre, une grande prudence était
• s. Bas., ep. 56.— =
Socr., 1. 6, c.3 ; noir Tillem., Chrys., n. 13. nécessaire dans radmi.-siou des catéchumènes. Il fallait de longues
Théodorel (1. 6, c. coutume de
24j prétend qu'ils inlroduisirenlla épreuves pour s'assurer de leur sincérité et prévenir une apostasie.
chanter les psaumes à deux chœu[S, qui d'Antioche se répandit jus- Les néophytes eux mêmes, se faisaient une juste mais haute idée des
qu'aux extrémités de la terre. —
Socrate (1. 6, c. 8) fait remonter cet effets du baptême, aimaient à garder en réserve, pour les derniers

usage à saint Ignace. Toutefois, le chant fut employé dans les assem- jours de leur vie, une grâce si puissante qui devait leur ouvrir les
blées religieuses des clirétiens, dès l'origine même du Christianisme portes du ciel de là, le baptême des cliniques ou des mourant».
:

(saint Paul, ad Ep/i.jC. 5 ; ad Coloss., c.3; Apocahjp., c. 5; Plin., L'Eglise condamnait ces calculs humains d'âmes indécises et lâches,
ep. 97, l. 10; Euseb.,1. 5, c. '28), et il est bien évident qu'il était en qui voulaient s'assurer le bonheur des Saints en se dispensant d'avoir
usage à Anlioche, dès le terai'S de Paul de Samosate, qui remplaça le leurs mérites. Saint Grégoire de Nazianze {orat. 40) et Saint Chrysos-
client des psaumes par des cirants à sa louange. (Euseb., 1. 7, c. 30.) tome (t. 2, p 26 et 27 j t, 9, p. 11 el p. 190J se sont élevés avec
' S. Atl)., op. B. B t. , 2, p, 1293. — ' S. Bas., ep, 157. — force contre cet abus.
' Socrat. 1. li, ci. — '
Sozom , 1. 8, c. 2. ' Fal)., dial. c. 5.
,

CH\riTUE TROISIÈME. 27

truircen lui levieilhornmejusiiu'àlanioirulre la faute la plus légère. L'onde sacrée avait été
faiblesse; et leilo fut, depuis cejour, sa surveil- dans toute la force du mot, l'onde régénéra-
lance sur lui nu me, i|u'il ne mentit ni ne mé- trice elle avait créé en lui, suivant la4)arole
:

dit de sa vie : jamais la haine n'approcha de de saint Paul, l'homme nouveau; à la ressem-
son cœur'; jamais sur ses lèvres une plaisan- blance de Dieu, dans la justice et la sainteté
terie indigne d'une bouche consacrée à la vé- de la vérité ; elle l'avait revêtu de Jésus-
rité et à Dieu. 11 redoutait, à l'égal d'un crime, Christ '.

•Chry»., Du SacerJ., 1. 3; Pïll., dial. c. 19 ; Mosch., Pral. $pi- • Ad. Epk., c. 4, 21 i


Ad Cal., c. 3.

rit.,t. 191; Vil. pair., p. 693.

CHAPITRE TROISIÈME.

PersJcntion des calholiqnes — —


Chrysostomc lecteur. —
Eiil de saint Mélèce Affeclion du peuple d'Anlioche pour son pasleur

Souff; ances des —


catholiques.— Aptiraalcs. —
Valons sévit contre les philosophes. —
Mort Je ïliéoJore. Anlioihc inondé dp
sang. — —
Perqui.-ition des livres de ma^ie. —
Péril Je Ciirysoslome. Il —
veut se retirer au désert. Discours de sa mère

Il auprès
reste — Vojiige de Jean. — Sainte Mélauie. — La mer morte. — Jérusalem. — Pèlerinages aux
d'elle. saints lieux

— .\mis de Jean. — Maxime TliéoJore. — Lettres de Jean à Théodore. — Théodore, évêque de Mopsueste.
et

La paix donnée à l'Eglise par Jovien n'avait sang mystique de Jésus-Christ le sang des mas-
été,en Orient du moins, qu'une trêve do quel- sacres, etaux gémissements de la pénitence les

ques moi*. Valrns, devenu, par la grâce de Va- cris lamentables des blessés et des mourants?
lentinien, le maître de la moitié du monde, ne Avons-nous changé les maisons de prière en
partageait ni la foi religieuse ni les hautes qua- sépulcres, et livré à des mains criminelles les

lités de son frère. Cœur bas, esprit court, carac- vasesdu sacrifice? Aimables autels, maintenant
tère violent et timide à la fois, Arien surtout et autels déshonorés, avons-nous fait monter sur
Arien fanatique, il fut le séide couronné de vous de jeunes impudiques pour vous insulter
l'Arianisme, et mil au service de sa secte sa par des gestes lascifs et des postures infâmes?
tyrannie et sa cruauté. Un prince chrétien flt Cliairevénérable,oiJ se sont assis tant d'hommes
plus de mal au Christianisme que les plus ar- illustres, où tant de saints prêtres ont enseigné
dents ennemis du nom chrétien. leschoses divines, avons-nous élevé sur vous
Dissimulée d'abord et restreinte à quelques des païens, des impies, pour tourner en ridicule
faits déplorables mais isolés, la persécution les vérités chrétiennes? Chasteté des vierges,
contre les catholi(|ues prit, dès l'année 370, un vous qui ne souffrez pas même le regard des
caractère général et atroce. Saint Grégoire de hommes les plus purs, aucun des nôtres vous
Nazianze en a résumé les horreurs en quelques a-t-il outragée par des horreurs dignes des
mots, dont la forme oratoire n'infirme en rien flammes de Sodome? Quelles bêles féroces
la vérité. avons-nous lancées sur les corps des Saints
La en apostrophant les
postérité, dit-il, comme l'ont fait ces profanateurs de la nature
Ariens, conservera lesouvenirde votre barba- humaine à l'égard de personnes dont le seul
rie, et vous infligera, je ne crois pas me trom- crime était de repousser leurs dogmes impics,
per, la noted'uneétermlleinfamie. Que peul-on ou d'avoir donné la sépulture à des restes hu-
dire de semblable dis catholiques ? Avons-nous mains que les bêtes fauves avaient respectés?
déchaîné contre vous une populace insolente, Qui donc a déchiré avec les ongles de fer ces
armé des soldats pour vous combattre, envoyé à évoques cassés de vieillesse, en présence de
votre poursuite un général plus furieux que leurs disciples qui n'avaient que des larmes
ceux dont il remplissait les ordres, a.=siégé pour les secourir? Qui sont ces prêtres que
comme unevilleennemieune pieuse assemblée l'eau et le feu, les éléments les plus contraires,
qui levait les mains au ciel et n'était occupée sé|)arèrent les uns des autres, et qui furcn*
qu'à prier? Avons-nous étouffé le chant des consumé.s par flammes avec la barque qui
les

psaumes par le bruit des trompettes, mêlé au les portait? Et, pour passer sous silence Ift
28 fflSTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME..

plus grande partie de nos maux, quels sont si l'évêque proscrit ne lui avait fait rempart de
ceux qui ont été accusés de cruauté par ceux son corps ', et ramené ses ouailles à des senti-

mêmes qui servaient leurs fureurs ' ?» ments plus chrétiens.


Ces qui semblent exagérés, ne sont
traits, Plus tard, Cbrysostome se plaira h. rappeler à

que de faibles allusions aux atrocités à peine ses compatriotes leurcourageuse persévérance
croyables qui, durant plusieurs années, souil- dans ces jours d'épreuve et de lutte, o Chose
lèrent et ensanglantèrent tout l'Orient, et admirable leurdira-t-il,le pasteur chassé, les
I

que tous les historiens sont unanimes à rap- brebis restaient fidèles le pilote enlevé, ; le vais-

porter '. seau ne sombrait pas. Ni les douleurs, ni les


L'orage grondait sur Antioche au moment où périls, ni le temps, n'ont pu affaiblir votre af-

Cbrysostome reçut le baptême; et peut-être ce fection pour Mélèce. On voulait séparer le père
fut pour ce cœur intrépide un motif de plus de de ses enfants, et c'est le contraire qui arriva.
presser son initiation. C'en fut un du moins, Car il vous emporta tous dans son cœur au fond
pour le vénérable Mélèce d'attacher au sanc- ,
de l'Arménie et vous mêmes, bien qu'enfer-
;

tuaire son jeune et brillant néophyte. Du jour més dans ces murailles, vous partiez tous les
où il l'avait connu, le vieux pontife avait pres- jours sur les ailes de la charité, pour aller visi-
senti le docteur et l'apôtre dans le pieux trans- ter au loin le pasteur bien-aimé, jouir de son

fuge des lettreset du barreau etau moment où ; regard, entendre sa voix, vous pénétrer de son
il allait laisser son église veuve, il crut ne pou- esprit' ».
voir mieux la consoler qu'en lui donnant Jean Diodore et Flavien gouvernaient, en l'ab-
comme une divine promesse de bonheur et de sence de Mélèce, les catholiques de sa commu-

gloire. donc de lui faire monter le


Il se hâta nion ; et l'on peut dire d'eux, qu'au milieu des
premier degré du sacerdoce, en lui conférant plus grandes difficultés, ils ne furent jamais au-
l'ordre de lectexir^ : c'était le plus important et dessous de leur mission. Flavien ne prêchait
le plus considéré des ordres mineurs. On n'y ad- pas alors, dit Théodoiet', mais il fournissait
mettait que des hommes sûrs, recommandés à Diodore les matériaux de la prédication.
par leur vertu et des aptitudes à la science. Ils N'ayant tous les deux qu'une même pensée,
vivaient dans la société de l'évêque, l'aidaient et leur science égalant leur zèle, ils maintinrent
dans ses travaux bibliques, et lui servaient de dans leur troupeau, en dépit des fureurs delà
secrétaires. Leurs fonctions ne consistaient pas secte, la pureté et la ferveur de la foi chassés ;

seulement à lire en public,pendantlahlurgie, le des deux églises qu'ils possédaient, les fidèles,
texte sacré ils avaient aussi dans leurs attribu-
;
sous la conduite de ces chefs intrépides, s'as-
tionsla garde des saints Hvres.C'élaientcomme semblèrent au pied de la montagne d'Antioche,
les bibliothécaires de la communauté chré- dans je ne sais (luelles grottes où saint Paul s'é-
tienne circonstance qui, dans des tL'Uips ora-
:
tait caché autrefois. On leur disputa cet asile,

geux, ouvrait aux lecteurs le glorieux chemin et ils se réunirent tantôt aux bords de l'Oronte,

du martyre. On leur confiait en outre l'école tantôt au champ de Mars, partout persécutés

des catéchumènes, dont on sait la haute im- et traqués, partout inébranlables dans leur

portance, et qui fut si souvent dirigée par des attachement à la foi de Nicée et à leur pas-
hommes éminents '
;
généralement, on les re- teur '. Valons se vengeait en Néron de ces no-
gardait comme des ministres secondaires delà bles résistances; il faisait noyer dans l'Oronte

parole de Dieu et du sulut des âmes =. ceux des orthodoxes qui le gênaient \
L'ordination de Jean fut le dernier acte épis- Au nombre des hommes généreux qui bra-
copal de Mélèce, et la satisfaction qu'il en eut vaient le courroux du tyran et enflammaient de
adoucit l'amertume de son départ. Mais le leur courage l'église opprimée d'Antioche, était
peuple qui l'aimait ne consentit pas si volon- le grand solitaire Apliraates. Persan de nais-

tiers à le voir s'éloigner. Il se jeta sur l'officier sance etd'une famille illustre, il avait embrassé
inipériulquiremmenaitdaussonchar,etquieût le Christianisme, et, pour le pratiquer dans sa

infailliblement péri sous une grêle de pierres, perfection, il étaitvenu s'établir près d'Edesse,
dont l'Eglise comptait alors presque autant de
«
Greg. Naz., orat. 33, alias 25. — = Tliéod., 1. 4, c. 13, 17, 21,
saintsque d'enfants. Au premier bruit des trou-
24, 25; Sûcr., 1. 4, c. 16, 17, 18, 19, etc.; Sozoïn., 1. 6, c. 10, 14,
— '
Pall., dial. c. 5. —
' Eus. de César., hist. c. 3 et 6. —
18. 20.
'
Cbard., Hist. des sacr., t. 5 Thomass., Ane. et nouv. discipline,
'
Chrys., Disc, sur S. Mil, n. 2. — Ibid. — ' Théod., 1. 4, c.

part, l'e, 1. 2, c. 30, n. 2, 11, 12


;

; ei c. 31, n. 1. 25. — ' Theod., 1. 3, c. 4. — ' Socr., 1. 4, c. 17.


CHAPITRE TROISIÈME. 29

bles d'Antiodic, il se rapprocha irelle, et fc bâ- n'est pas douteuse. Eli bien I C'est toi qui as
tit aux iiortcs do la cité une pauvro il( m lure où mis le feu à la maison de mon père, et je cours
tout le inonde accouiait ponr le voir ou le con- l'éteindre». Valens regarda le solitaire d'un
sulter. Là, dans un ijrcc barbare, il explicinail à œil menaçant et se tut '.

ses nombreux auditeurs les vérités sublimes Les malheurs de la religion et l'oppression
qu'il brûlait de répandre. La sainteté de sa vie, du monde réagissaient, en sentiments doulou-
l'ardeur de ^es convictions, l'élrangeté même reux, sur l'âme généreuse et fière de Chryso-
de sa parole donnaient du succès à ses enseigne- stomc. Ce spectacle d'une société en lambeaux,
ments et atlir.di ni les foules, l'n morceau de dont l'esprit de secle, en dépit de l'Evangile,
p:\in, mangé le suir an coticber du soleil, était hâlait la décomposition, affaissée dans la servi-
sa nourriture unique. Un jour, un de ses amis, tude jusqu'à n'avoir plus conscience d'elle-
qui fut plus tard celui de Clirysoslome, Anlhé- même, heureuse de vivre au jour le jour, sous
niius, revenant d'une légation en Perse, crut tous les jougs et sous tous les maîtres, devait
faire une chose agréable à l'anaclinrèle en lui fairemal à un cœur en qui la foi à l'Homme-
portant une tunique de son pays: .\phraatcsla Dieu exaltait le sentiment de la dignité hu-
déposa sur un siège dans sa cellule mais bien- ; maine, et le remplir de dégoût, d'amertume
tôt, comme si la présence de cet objet eût ré- et de pitié.
veillé dans son âme un remords : a Serait-il Valons, qui laissait les barbares s'avancer
raisonnable, s'écria-t-il,de renvoyer un vieux impunément jusqu'au cœur de l'empire et ra-
compagnon de ma solitude, pour en prcndreun vager la Tliracc, du Danube à la Propontide, ne
nouveau sous prétexte que ce dernier serait
,
savait tourner ses armes et n'avait de cœurque
mon compatriote? Car j'ai bien résolu de n'a- contre les évêques catholiques et les philoso-
voir qu'un ami près de moi. — Non, réjiondit phes païens. Ces derniers étaient devenus de-
le visiteur. — Eh bien ! reprends cela, poursui- puis peu le principal objet de ses fureurs, et

une tunique qui me sert de-


vit le vieillard, j'ai voici à quelle occasion :

puis seize ans. La tienne est plus belle, la Deux misérables, Palladius et Héliodore, l'un
mienne m'est plus chère je ne veux pas en ;
empoisonneur, l'autre astrologue, et tous les
avoir deux' ». deux voleurs de deniers publics, s'étaient ra-
L'Oronte baignait au nord le palais de l'em- chetés d'unecondamnation inmiinente, en dé-
pereur. Dudu midi, un grand portique à
côté nonçant une conspiration contre l'empereur.
deux étages, tlanqué de deux tours, touchai taux Sur leurs indications on arrêta deux hommes
murailles de la ville. Entre le palais et le fleuve de bas étage, espèce de devins, lesquels mis à la
une route menait aux jardins suburbains'. Du question, déclarèrent que, de concert avec des
hautduporti(|ue,ValensapcrçutAphraatesvOlu personnes d'un rang plus élevé, ils avaient
d'un pauvre manteau et se dirigeant à la hâte demandé au sort, au moyen de la magie, quel
vers le champ de Mars: «Où vas-tu, lui cria le successeur il réservait au prince régnant. Le
prince. — Je vais, répondit ranachorète, prier sort, disaient-ils, ayant répondu par ces quatre
avec mes frères pour la prospérité de ton em- lettres, th, e, o, d, tous les assistants avaient
pire. — Mieux vaudrait garder ta cellule, répli- prononcé le nom de Théodore. Or, l'un des
qua leCésar. — ce que C'est j'ai fait jusqu'à ce grandsofficiers del'empireportaitalors ce nom.
jour, ôempereur! tant (jueles brebis du Christ Homme de belle mine et de beau langage, joi-
élaientcnsùrelé. Mais à présent que des bêtes gnant à une grande posilion de grandes qua-
féroces se jettent sur elles, je dois tenter tous les lités, païen surtout, et fort populaire parmi h s

moyens pour les sauver. Dis-moi, ô empereur! adeptes de la philosophie et du paganisme, il


j'étais une jeune fille vivant dans le gynécée
si personnifiait, aux yeux de ces malheureux
et gardant maison de mon père, et (|ue jela
la investigateurs de l'avenir, le promesses du
Tisse devenir tout à coup la proie des flammes, destin; et toutes les espérances du polythéisme
devrais-je rester enfermée et laisser l'incendie défaillantse tournaient vers lui, comme vers un
dévorer tout, ou me précipiter au dehors pour autre Julien. Lui-même souriait à ces avances
crier au secours, pour apporter l'eau, et m'op- de la fortune ; absent au moment de la consul-
poser au mal de mon mieux? Ta réponse, César, tation, mais informé delà réponse du sort, il

avait écrit à ses amis qu'il acceptait le présent


• Th*od., Pbiloth., c. 8 ; Vil. Pair., p. 615. — ' Id. hl»l., 1. 4 ,
t. 28. • Théod., hiil., 1. 1, 0. 28.
30 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOMR,

des dieux cl se préparait à remplir ?a destinée. chaire de Constantinople. Un soupçon fatal

Au rapport qu'on fit à Valons de l'affaire, sa plana sur Antioche; on l'entoura de soldats, et
férocité s'enflamma tout à coup
naturelle l'on se mit à rechercher partout les livres de
comme un météore destructeur. Théodore mis prestiges et de magie. L'auteur d'un de ces
à mort, elle se jeta sur ses prétendus compli- livres, ayant jeté son ouvrage inachevé dans le

ces. Une foule de grands personnages, tous les fleuve, fut pris et sommé de le donner, ce qu'il
pliiloL iplies connus furent traités comme tels ne put faire. Chargé de chaînes, on te traîna en
et livrés au dernier supplice. Maxime, le maître prison, en attendant la mort qu'il ne tarda pas
et le conseiller de Julien, eut la têie tranchée ; àsubir. En ce moment, je me dirigeais avec un
Simonide périt par le feu. Une multitude de de mes amis vers un oratoire de martyr, situé
tous rangs, englobée dans le filet de l'accusa- dans leschamps, et nous traversions lesjardins
tion, fatigue le bras du bourreau, pour le peu qui bordent l'Oronte. Mon compagnon voyant
qui leur restait de vie après le fouet et la tor- quelque chose flotter sur l'eau s'approcha elle
ture. II yen eut d'exécutés pendant qu'on dis- saisit : c'était un livre. Je me mis à lui contester
cutait encore s'ils iraient au supplice. Sans en riant la propriété de sa trouvaille. Voyons,
prendre la peine d'articuler une charge, on dit-il, ce que c'est, et, dès les premières lignes,
prononçait la peine de mort, et jeunes ou vieux, ilreconnut des signes de magie. Un soldat pas-
dispos ou perclus, marchaientou étaient portés sait à notre côté. Mon ami, tremblant defrayeur,

à l'éthafaud. C'était une véritable boucherie. cacha le livre. Qui nous aurait crus, quand nous
Antioche inondée de sang, restait muette d'hor- aurions affirméquecevolumevenaitdetombcr
reur. Chacun voyait le glaive suspendu par un par hasard dans nos mains? On emprisonnait
fil au-dessus de sa tète. Une amulette de vieille les gens même les moins suspects. Nous ne
femme, une recette absurde de philtre, un livre savions quel parti prendre. Dieu nous sauva de
de magie trouvé dans une famille, la dévouait ce péril' ».
tout entière au trépas. Les délateurs exploi- Cette situation déplorable attristait Jean de
taient à leur gré un genre d'accusation d'une plus en plus, et redoublait dans son âme le dé-
portée indéfinie, et flattaient à la fois la ven- goût du monde et le désir de la solitude. Trop
geance du maître, lequel, de son
et la cupidité jeune encore pour être d'un secours efficace à
côté, n'avait qu'une préoccupation, celle de l'Eglise d'Antioche, il ne songeait qu'à s'éloi-
voir une seule victime échapper à sa rage '. gner de ce théâtre douloureux d'oppression,
Pour donner aux massacres une couleur dinjuslice et de lâcheté. Basile, son ami, l'en-
moins odieuse, dit Ammien «, on rassembla en tretenait dans ces sentiments. Pas un jour ne
monceaux des livres et des cahiers trouvés dans s'écoulait sans que les jeunes enthousiastes
diverses maisons, et on les brûla publiquement n'eussent ensemble quelqu'un de ces entreliens
comme traitant dessujets illicites, tandis qu'en où leurs cœurs se mêlaient et se confondaient
réalité ce n'étaient guère que des ouvrages de dans une ardente aspiration vers celte vie de
littérature ou de droit. Non-seulement l'esprit cortemplation et d'exiase, loin des hommes,
chrétien fut étranger à ces excès', mais les vrais dans le silence auguste du désert, en face de la
chrétiens déploraient, à l'égal des païens, une nature et de ses grandeurs, sous le seul regard
tyrannie dont le joug sanglantn'avait pas cessé de Dieu. Un pi-ojet fut concerté entre eux ; ils

de peser sur eux. Seuls, de vils courtisans allaient quitter la ville et s'enfuir dans les

applaudissaient à ces fureurs, oii s'engraissait montagnes, pour y mener la vie des ascètes et
leur fortune, et criaient à la faiblesse quand s'abandonner à la sainte passion qui les dévo-
une voix, par hasard, se faisait entendre en rait'.

faveur de l'humanité. Héliodore et Palladius Le secret de ce dessein, couvé sous l'aile de


étaient devenus les plus grands amis du maître, l'amitié, fut surpris par la mère de Jean. Sa
et méritaient de plus en plus son amitié par tendresse s'alarma. Vêtue de deuil, le visage
leurs infamies. pâle, elle entra chez son fils, le prit silencieuse-

Chrysostome conserva toute sa vie un dou- ment par la main, et l'ayant conduit dans sa
loureux souvenir de ces jours de terreur. chambre, le fit asseoir à son côté, près du lit où
«J'étais jeune alors, disait-il un jour sur la ' Chrys., hom. 38 in Ad.
; dans son livre à une Jeune veuve, il
'
Am. Marc, 1. 29, n. 1,2, etc.Etmap. in Max. ; Sozom. 1.
; 6, racoDle la mort de Théodore, comme un des plus tristes exeispUs i»
c. 35 Suer., 1. d, c. 19.
;
' — Amm., 1. 29,— ' Beugnot, £ist, dt la l'inconstanca des choses humaines,
dtcad. du paganisme, t. 2, p. 25.
' Chrys., Du Sacerd., 1, 1, c. J et 2,
CHAPITRE TROISIÈME. 31

elle l'avait mis au monde. Après quelques ins- longue vie; mais nous qui avons vieilli, nous
tants cmploycs à le regarder et à pleurer : n'attendons plus que la fin. Quand tu m'auras
« Mon fils, dit-elle, je n':ii pas joui lonj^tcmps ensevelie et mêlé mes cendres à celles de ton
des vérins de Ion iièi e telle fut la volonté de
: père, entreprends de longs voyages, navigue
Dieu Sa mort, (jni suivit de i)rès ta naissance,
! sur mer que tu voudras; personne alors
telle
nous laissa, loi orplielin, moi veuve de trop ne t'enempêchera. Mais tmt que je respire
bonne heure, avec ces difficultés du veuvage encore, ne dédaigne pas de vivre avec moi.
que celks-la seules peuvent comprendre qui les N'encours pas témérairement la colère de Dieu,
ont éprouvées. Non, aucune parole ne peut dire en précipitant dans un abîme de maux une
dans quel tourbillon, dans quelle tempête se mère qui ne t'a fait que du bien. Du reste, mon
trouve jetée une jeune enfant, lorsque, sortant fils, si tu peux me reprocher de
t'avoir engagé
à peine du toit paternel et sans aucune exjié- dans les embarras du monde, de t'avoir con-
riencedesalTaires, elle est frappée tout à coup traint à t'occuper de tes propres affaires, ou-
d'une horrible dou'eur, et eon<Iamnée à des blie, j'y consens, les lois de la nature, celles de
sollicitudes au-dessus de son âge et de son sexe. la reconnaissance, et ta vie près de moi; fuis

11 lui faut avoir l'œil ouvert sur ses serviteurs, fa mère comme une ennemie. Mais s'il n'est
se garder contre les mauvais desseins de ses rien que je ne fasse pour t'assurer les loisirs
parents, supporter avec courage les vexations et de la piélé, à défaut d'autres liens, que cette
la barbarie îles percepteurs de l'imiiôf. Quand considération du moins te retienne car, mon ;

un père en mourant lui laisse une fille, c'est fils, nombreux amis, mais
tu peux avoir de
pour elle un souci très-grand, exempt néan- nul ne t'assurera autant de liberté que moi,
moins de fortes dépenses et de craintes; mais parce qu'il n'en est aucun à qui l'honneur de
un fils, quelles appréhensions, quelles sollici- ton nom soit plus cher qu'à moi'».
tudes il cause à sa mère, sans compter ce qu'il Ces prières, ces larmes, cette noble douleur
en coûte pour lui donner une éducation li- désarmèrent Jean de sa résolution. Il n'eut pas
bérale ! Tu l'as vu, mon fils, aucun de ces le courage d'affliger sa mère, et, malgré les
embarras ne m'a fiit penser à un autre ma- instances de son ami ', il se décida à continuer
riage, -ni à introduire dans la maison de ton auprès d'elle savie de recueillement et d'étude.
père un autre époux. J'ai affronté seule l'orage, Anihusa avait arrangé toutes choses autour de
et n'ai point clierclié à fuir le creuset de fer de son fils pour que rien ne vînt l'arracher aux
la viduité. D'abord, un secours céleste me sou- célestes enivrements de la prière ou à ses tra-
tenait; ensuite, j'éprouvais beaucoup de conso- vaux sur les livres saints. Il trouvait la solitude
lation à te voir sans cesse, et à conteni[)ler dans dans la cité mais sa mère était l'ange de celte
;

tes traits la vivante image de mon mari qui soMude bénie, toute pleine de sa tendresse.
n'est plus. Oui, tout petit encore, avant que ta Entre elle et Dieu, Jean s'abandonnait à toutes
langue pût prononcer un mot, âge où les en- les inspirations de sa piélé. Il jeûnait souvent,
fants font les délices de leurs parents, tu fus couchait sur le pavé nu, dormait le moins pos-
pour moi une grande consolation. Et tu ne peux sible, et s'efforçait, par toute sorte de rigueurs
pas dire, qu'ayant supporté courageusement la contre lui-même, d'amoindrir la chair, d'élu-
perte d'un époux, j'ai amoindri, dans les diffi- der, pour ainsi dire celte loi de la pesanteur
cultésdu veuvage, les biens laissés par ton père, qui nous écrase, afin que l'âme moins chargée
malheur que bien des pupilles ont éprouvé. Tu de matière pût s'élever plus librement à Dieu.
as reçu ton patrimoine intact. Cependant, pour Une retraite presque absolue ' protégeait ses
t'élever d'une manière honorable, je n'ai re- sens contre les impressions du dehors, en
culé devant aucun sacrifice, et c'est sur mes même temps qu'une oraison incessante gardait
biens, sur la fortune apportée de la maison de son cœur contre les défaillances au dedans.
mon père, que j'ai prisées dépenses. Certes, si Dans un de ses écrits, postérieur de plusieurs
je rappelle ce que j'ai fait, ce n'est pas pour te années, revenant sur cette époque de sa vie, il
le reprocher. Mais, en retour, je te demande décritaveccomplaisancelescharmesetlesavan-
une seule grâce ne me rends (las veuve une
: tages de cette existence auslère et douce sous
seconde fois; ne réveille pas une douleur as- les yeux de sa mère, a Ici, dit-il, la langue des
soupie. Attends ma mort; peut-être viendra-t- méchants ne peut se déchaîner contre moi. Et
elle bientôt. La jeunesse peut espérer une • Cl.rys., Du Saccrd , 1. 1,— Ib., l.S et 1. 6.- ' Jti., 1, l, n. fi.
32 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOilE.

qui donc s'occuperait à divulguer mes vices et jours aussi il la rendait plus étroite. Sa mère
à m'accuser? Ce toit, cette cliambre? mais ils lui tenait la parole donnée, et s'appliquait avec
ne parlent pas. Serait-ce ma mère, qui, mieux une touchante sollicitude à lui assurer, aux dé-
que personne, connaît toutes mes actions? pens de sa propre liberté, celle dont il avait be-
Mais il n'y a rien de commun entre elle et moi, soin lui-môme, la sublime liberté d'être à Dieu.
et nous n'avons jamais eu de contestation. Grâce à cette providence du foyer domestique
Quelle serait d'ailleurs la mère assez dénaturée, toujours cachée et toujours agissante, affranchi
assez barbare pour flétrir, pour attaquer la ré- de toutes les préoccupations de la vie physique,
putation de son Sans doute mes pas-
fils? libre de ces lourdes pensées qui exercent sur
sions ne sont pas éteintes, mais il m'est plus l'âme une fâcheuse compression et la refoulent
facile de les combattre. Assailli par la vaine au dedansd'elle-même, sous un fardeau qui la
gloire, je m'aperçois plus vite de ses pièges. Le profaneen l'écrasant, les yeux fermésaumonde
moins vio-
feu des désirs déréglés est d'autant des phénomènes, endormi pour ainsi dire dans
lent, que mes yeux ne rencontrent aucune ma- un divin magnétisme, toutes ses forces vitales,
tière inflammable. Je suis préservé de dire ou tous ses sens internes se dirigeaient librement
d'entendre dire du mal, car je n'ai personne vers l'autre côté de l'existence, vers le monde
avec qui je puisse converser ,
personne qui supérieur et la lumière incréée, sans que rien
me provoque à la colère; ou si quelquefois un vînt le rappeler à la conscience de sa matérialité

bruit lointain des hommes et de leurs injus- etdesa servitude terrestre. L'ombre des visions
tices soulève en moi comme un flot d'indipna- autour de son front : un reflet
célestes flottait

tion, je m'apaise aussitôt, en pensant combien du jour éternel colorait sa vie. Ses amis regret-
il est ridicule de s'emporter contre les fautes taientcet isolement on l'accusaitde misanthro-
:

des autres qu.inJ on a les siennes à corriger. pie, il eût bien voulu éviter ces mille propos
Mon âme est faible, étroite, facile à entraîner, tenus sur son compte. « Que puis-je faire, écri-
sujette à la plus amère des passions, à l'envie: vait-il, pour me justifier ?Je subis ces reproches
ellene peut supporter avec modération ni les avec douleur; j'en soulTre. Mais il n'est pas aisé
injures ni les hommages De même que les d'être d'un commerce agréable avec les hom-
bêtes féroces, bien nourries et bondissantes, mes, et de garder en même temps la paix et la
terrassent facilement ceux qui les attaquent, sécurité dont je jouis. Aussi, ajoute t-il à son

surtout s'ils ne sont ni forts ni habiles; mais ami, loin de me blâmer, prends pitié d'un
que si on les exténue par la faim, leur fureur homme dans une position si difficile ' a.
s'assoupit et leur force s'éteint en grande Ainsi s'écoulait sa jeunesse libre, pure, stu-
partie ainsi celui qui affaiblit les passions de
: dieuse, extase delà pensée, hymne de l'amour,
l'âme les soumet au joug de la raison; celui printemps sans orages, ivresse sans trouble,
qui les nourrit avec soin les rend si terribles, flamme sans fumée, colloque intime et déli-
qu'il passe toute sa vie dans la crainte ou dans cieux entre Dieu, l'âme et laniilure, aux con-
l'esclavage. Or, quels sont les aliments de ces fins de la terre, aux portes du ciel! Plus tard, ses
monstres? De la vaine gloire les louanges et , ennemis voulurent fouiller dans ce passé pour
les honneurs de l'orgueil, la puissance et les
; jeter à la face du pontife les fautes du jeune
dignités; de la jalousie, la réputation des au- honune mais il leur avait fait d'avance une ré-
;

tres, de la volupté, les plaisirs et le commerce ponse si péremptoire qu'ils en restèrent écra-
aSsidu des femmes... Si je me présentais dans sés ^ Ce fut le rare et beau privilège de cette
le monde, tous ces monstres se jetteraient sur noble vie d'avoir appartenu tout entière et tou-
moi, déchireraient ma vie m'entraîneraient , jours à Dieu, sans qu'il en restât rien sur le
dans une guerre formidable. Enfermé dans chemin glissant de l'adolescence, sans que le
ma solitude j'ai des efforts à faire pour les
, souffle du monde, un instant respiré, en eût
dompter; cependant, par la grâce de Dieu, je terni l'éclat, sans qu'une seule goutte du fleuve
les dompte, et je n'entends plus que leurs fiit détournée de son cours et absorbée ailleurs
lointains hurlements. Voilà pourquoi je garde que dans l'Océan de l'infini, son aspiration et
ma cellule et la tiens close à tout visiteur*». son but. La Chanjbde de luxure, pour parler
Ainsi, dans sa douce sécurité, il attachait plus comme saint Jérôme ', ne put dévorer un seul
de prix tous les jours à sa retraite . et tous les jour de celte existence ; Scylla, de sa figure de
> Cbryo., /)., Sncerrl., 1. 6, c. 7 «t 9, 'Chrys.,0i(S(icer.,c.l2, a/ins,3.-'Pall.,e. 49.— 'I,et.,t.l,p.39.
CHAPITRE troisième; 33

vierge qui sourit pour tromper n'entraîna pas , très des bords de l'Euphrate, qu'il avait par-
une seule fois le naufrage do sa vertu. SourJà couru ces contrées et visité ces hommes de
la voix de la sirène, l'intrépide voyageur ne Dieu, afin de contempUîr de plus près les mer-
sortit pas de sa roule, ne se prépara pas un re- veilles du spiritualisme chrétien et s'encoura-
gret. Il ne perdit ni un atome de ses forces, ni ger à de plus hautes vertus par de plus no-
une pensée de son cœur. Jamais, dans cette bles exemples de pénitence et d'abnégation '.

conscience radieuse, le sentiment du devoir ne A peu près au môme moment % un autre


fut obscurci par la convoitise. Et plus tard, voyageur illustre, aux convictions ardentes, au
quand il écrivit son beau Traité de la virginité, génie orageux et puissant, emporté par un
il n'eut qu'à célébrerce qu'il goûtait, cequ'i! ai- soudain tourbillon de son cœur ', s'arrachait
mait, ce qu'il avait toujours pratiqué. Mieux que courageusement à l'Italie qu'il aimait et à ses
personne il avait le droit de s'écrier a Qu'y a-t- :
amitiés les plus chères *, et, chargé de livres
ilde plusdoux que lavirginité, de plus glorieux, ramassés à grands frais^ il traversait laThrace,
de meilleur? Elle a des splendeurs plus belles le Pont, la Bythinie, la Cappadoce, la Cilicie

que les rayons du soleil et, après nous avoir ;


au climat brûlant % s'efforçant de se fuir lui-
affranchisdi'sennuisdu siècle, elle nous permet même et se retrouvant partout, mais partout
de porter notre regard épuré sur le soleil de observant, étudiant, interrogeant pour conten-
laju4ice et de la paix » Ce soleil, en effet, n'eut
'
.
ter sa noble ardeur d'apprendre et de s'édifier.

pas d'éclipsé pourChrysostome il remplit son :


Enfin, après de longs circuits et bien des souf-
œil et sa vie des clartés les plus douces. Jean frances, il s'arrêtait en Syrie comme dans un
n'était pas tristement condamné comme Jérôme port après naufrage '. La réputation d'Apol-
le

à faire précéder ses éloges à la vertu de cette linaire l'attira à Antioche, celle de Didyme à
confession ingénue mais humiliante, qu'il exalte Alexandrie il profita de la science de ces deux
:

dans les autres ce qui lui manque à lui-même*. hommes sans rien prendre de leurs erreurs,
La fleur de la virginité, pour parler son propre revint à Jérusalem et à Bethléem', et, le cœur
langage, était restée le vêtement de son âme. brisé plutôt que dompté, il se jeta dans le dé-
Aucune ronce ne l'avait déchiré, aucune écla- sert de Chalcis, demandant à la solitude la paix
boussure La sandale de ses pieds n'avait
sali. que le monde et son âme lui refusaient, o dé-
pas une tache. Son livre n'était que le parfum sert, s'écriait-il, tout couvert deslleurs de Jésus-
de sa vie. L'encens était digne de l'encensoir. Christ! solitude où naissent ces pierres dont
L'hymne et l'autel étaient faits l'un pour est bâti dans V Apocalypse le palais du grand
l'autre. Roi sauvage demeure où l'on jouit familiè-
!

Si profonde que fùtla retraite du saint jeune rement de Dieu ! Que fais-tu dans le monde,
homme, elle n'allait pas jusqu'à le priverdeses frère, toi qui es plus grand que lui? Jusques
relations précieuses avec Flavien. Il continuait à quand resteras-tu écrasé sous l'ombre des
prèsde lui ses fonctionsde^ecto/r, commencées toits, enseveli dans la prison de ces villes enfu-
près de Mélèce, heureux de travailler sous un mées? Crois-moi, je jouis ici de je ne sais com-
tel guide, de ne faire ses premiers pas dans le bien plus de lumière. Qu'il est doux de s'arra-
noviciat des apôtres qu'au flambeau d'une or- cher aux chaînes du corps, pour s'envoler vers
thodoxie inflexible et sainte. Sa porte s'ouvrait ces régions pures et brillantes de PElher ' ! »

aussi pour Basile et deux ou trois amis parfaite- Mais ces délices saintes n'endormaient ni son
ment sûrs, dont la noble affection n'était qu'un cœur ni sa vigilance. Les souvenirs de Rome
aliment de plus pour sa piété. Seuls ils avaient venaient le poursuivre au désert, d'où lui-
le droit d'enfreindre celte clôture austère, et de même, sentinelle avancée, soldat sublime de la
venir dans cet autre cénacle s'embraser des foi,il poursuivait de sa haine éloquente et im-

feux qui le remplissaient. placable les ennemis de la vérité, devenus ses


Il semble toutefois qu'il ail fait à cette époque ennemis personnels lion couché devant le :

quelques voyages. Rien sans doute ne l'indique berceau du Christ, dont les rugissements rem-
positivement dans ses écrits mais on peut in- ; plissaient le monde 1

férer d'une lettre adressée d'Arabisse à Ché- ' Epist. Chrys. 70. — Le
monastère de ces religieux était situé à
Zeugma sur l'Euphrate. (Théodoret, Vit. Putr,, c. 53.)
réas, Théodole et Aphtonius, solitaires illus- ' An. 372 ou
373; Tillem., t. 12, p. 15. ' —
Subiliis turbo con-
' Chrya. De la Virg,, c. 21. — Jngenua et verecunda confenio
'
vulsit (ep. S. Hier. 1, t. 4, ait. p., p. 2). — ' Hier. ep. 5. — ' Ibid
4$t quo ipie ctireas ta aliis ^jj-coÀiun t: (Saml Hi^t.fep. 30, t. 4^ ep. 18, p. 42. — ' Ibid., ep. 1, p. 2. — ' Ibii., ep. 1, p. 42.
,


tll. pr.r., p. 'MZ. , Ibid., ep. 41, p. 342. — • Ibid., ep. 5, p. 11.

TOUE I.
34 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

II n'y avait pas très-longtemps encore que natures élevées,


attrait puissantquisaisissaitles
Basile de Césarée avait fait à peu près le même et répondaità leur dégoûtdesmisèresdu siècle,
voyage. Son but éiaitde trouver quelqu'un qui à leur ardente aspiration vers une patrie meil-
voulût embrasser avec lui la vie parfaite de leure, vers une turre de paix, d'affranchisse-
l'Evangile pourquoi il parcourait la Pa-
'. C'est ment, d'immortalité. Il visita, lui aussi, les
lestine, la Cœlésyrie, la Mésopotamie, faisant monastères de la Syrie ', de la Mésopotamie,
halte dans tous les monastères pour mieux étu- de la Palestine, la Terre-Sainte, les environs de
dier ces familles de saints, admirant partout la mer Morte, qu'il décrit avec l'accent d'un
comment par la prière et le travail l'homme homme à qui l'aspect de cette grande désolation
peut s'élever à ce degré de spiritualisme, où il une horreur profonde et durable, a Si
a laissé
domine tellement les appétits delà chair qu'il quelqu'un de mon auditoire a visité la Pales-
semble plutôt un ange qu'un homrne *. Il passa tine, dit-il, et certainement il en est ici, qu'il
en Egypte, s'arrêta à Alexandrie pour voir Atha- rende témoignage de la vérité de mes paroles.
nase qui n'y était plus, et le philosophe Eus- Au-delà d'Ascalon, au-delà de Gaza, à l'endroit
thate', qu'il cherchait partout et ne trouvait oùleJourdainfinit,ilétaitiutrefoisuneplaine,
nulle part, se rendit àJérusalem, à Jéricho', et vaste et fertile, qui eût rivalisé de beauté avec
visita ces lieux vénérés des chrétiens où l'em- le Paradis , et maintenant c'est le désert des
preinte des pas du Sauveur était encore vi- déserts. On y trouve des arbres, et ces arbres
sible. ont des fruits, mais ces fruits eux-mêmes attes-
Il n'était pas rare d'ailleurs, à cette grande tent la colère de Dieu. Ce sont des grenades que
époque du Cbristianisme, de voir des hommes leur belle ap[iarence invite à cueillir, et qui ne
généreux, épris de la beauté de l'Evangile, s'en laissent dans la main qui les ouvre que pous-
aller le bâton à la main, comme autrefois Py- sière et cendre. Tel le sol, tel l'air, telles les
thagoreet Platon, non plus pour connaître les pierres. On sent que le fou du ciel est passé là,
mœurs des peuples et des cités, ni pour recueil- qu'il a tout ravagé, tout détruit, pour ne laisser
lir les oracles de Memphis ou les traditions des debout que les monuments de la colèrede Dieu,
mais pour s'instruire d'une philosophie
écoles, présages du jugement futur Si quelqu'un

plus haute, et de pays en pays, d'église en doute de songe à Sodome, à Go-


l'enfer, qu'il

église, de désert en désert, visiter les pasteurs morrhe, à ce supplice épuisé qui dure tou-
et les solitaires renommés, recueillir de leur jours '...»
bouche même des enseignements qui, domiés Chrysoslome dut voir aussi Jérusalem ily a :

de vive voix, résonnent plus fortement dans lieu de le croire, à la façon dont
il en parle '.

l'âme qui les reçoit % contempler les monu- Peut-être s'y trouva-t-il en même temps que
ments primitifs de la foi, toucher, baiser d'au- Jérôme, sans le savoir '. Peut-être lui fut-il
gustes reliques, s'abreuver aux plus pures donné de connaître et d'admirer Mélanie l'an-
sources de la prière et de la vertu, et, pour cienne, qui était venue enfouir ' dans latombe
quelques jours du moins, respirer, loin des du Cbrist l'orgueil de sa naissance, les regrets
routes battues du vulgaire, où ils suaient, où de son cœur, ses larmes, sa beauté, sa jeunesse,
ils étouffaient, l'air pur et vital de la solitude sa fortune. Issue du plus illustre sang des Ro-
etde la liberté. Leur regard et leur cœur se re- mains, son origine et son opulence l'avaient
posaient, au milieu de ces grands horizons de jetée,encore bien jeune, dans les liens du
la nature et de la pensée, si calmes et si beaux, mariage, où elle n'avait trouvé qu'une mater-
de ce spectacle dégoûtant de décomposition et nité douloureuse et de précoces déceptions.
de servitude qu'ils rencontraient iiartout ail- Dans l'espace d'un an, elle avait perdu deux fils

leurs. Car ce monde prosterné devant les ca- et son mari. Absente de Rome au moment de
prices du despotisme ne pouvait, au prix même ses maltieurs, elle n'y renti'a que pour ensevelir
d'une telle abdication et de tant d'abaissement, * Il double monastère de Saiot-Pablie, àZeugma,8ur l'Eu-
visita le
phrate, fondé par saint Publie, et composé d'un monastère grec pré-
acheter la moindre sécurité, ni contre l'anar- sidé par un grec, et d'un monastère syrien, présidé par un syrien,
séparés par l'église, qui leur était commune, oii Grecs et Syriens se
chie au dedans, ni contre les barbares au
succédaient pour les offices publics. ^Tillem., t. 8, p. 338. Chrys. —
dehors. letir. 7U.) Jean conserva jusqu'à la fin de ses jours un commerce de
lettres avec ces pieu\ solitaires. (Leur. 93 et 146.)
Jean, moins que personne, dut résister à cet ' Cnrys., Disc, sur la cbariie pari"., et hom. 8, in I ad Theii.y
' Ep. Saint Basile, 79, t. 3, p. Ul éd. de Paris. — IbU. —
; t. 11, p. 481.— 'Chrys., sur Is., c. 7. — * Aa. 373 ou 371; Tillem.,
' Tillem., t. 9, p. 25. _ • Bas., t. 1, p. 470, «t t. 3, p. 11.— Saiut
' t. 1:;, p. 17 et 19, — '
Saint Hier., «p. 12 ad Paulam-, t. 4, a!t. p.,
Hiu. f.iS.
CHAI'ITUE TROISIÈME. 35

avec les cendres de ses ancêtres tous les débris temple, avait respecté les souvenirs des chré-
de son boiilieur , et dire à son pays un adieu tiens. Le rocher suintait encore le sang du

éternel. Un jeune fils lui restait. Elle l'arracha


Christ. La vertu qui s'exhalait autrefois de ses
vêlements et qui giiéris^ail les malades, s'exha-
de sou sein, et l'ayant déposé en des mains
chrétiennes, sons la tulelledu préteur, elle des- lait encore, eu |)arfuni d'amour et de])iété,de
celte terre privilégiée et si désolée. Ce par-
cendit le Tibre et s'embarqua pour l'Orient
', si

Ce qu'elle était venue chercher là, le mer- fum, l'àrae de Clirysostome devait l'aspirer et
Teilleux spcclaclede la vie austère que les saj^es le goûter plus qu'une autre. Avec quelle effu-
désert, Mélanic sion il pria sonscesarbn s 'lui avaient entendu
du Christianisme menaient au
l'y apportaitelle-même. Ses immolations n'eu- la prière du Christ, prêté leur ombre à son

rent point d'égales. Elle couvrit la Palestine de agonie! Lui, qui ne pensait pas sans tressaillir
ses bienfaits, et lit de Jérusalem l'hospice du aux chaînes do saint Paul, qui eût tant voulu
monde. Les victimes de lu cour de Byzai.ce, les les voir, les toucher, faire le voyage de Rome

grandes infortunes de Rome, les solitaires, les pour baiser la cendre vénérée de l'Apôtre, quel
évèques persécutés par le fanatisme arien se transport il dut éprouver devant ces reliques
donnaient rendez-vous aux pieds du Cahairc. augustes du Seigneur, celle croix imbibée de
Mélanie était là (lour les accueillir, pour être la son sang, qui avait reçu son dernier soupir,
consolation providence de tous. Elle éton-
et la qui semblait redire encore ses dernières pa-
nait, des prodiges de sa charité, cette terre qui roles, ce sépulcre, berceau d'une nouvelle hu-

avait vu tant do prodiges. manité, qui avait gardé trois jours le cadavre
Ence moment d'ailleurs, la vieille métropole divin, rançon de notre salut 11 crut embrasser !

de l'univers, en proie à de sinistres pressenti- les pieds du Sauveur en baisant cette pierre
ments, versait à Bethléem, à Nazareth, lesdébris qu'il avait touchée, celte terre qui l'avait porté;

de ses grandeurs. Elle quittait le Capitole pour prier avec lui en priant sur cette colline où il

Gethsémani. L'heure fataleapprochait. Le mont avait prié, où il était mort; le voir lui-même
de Sion, de Josaphat s'emplissaient
la vallée en voyant les lieux qu'il avait vus, qu'il avait
d'hôtes illustres apportés de loin par la vague rendus témoins de ses prodiges, de ses vertus,
des tempêtes, ou chassés par les premières ra- de ses douleurs. Jean garda toute sa vie une
fales de l'ouragan. Ils venaient chercher dans impression douce et sainte de ce voyage. Nul
le silence sacré de ces lieux, dans lagrolte bénie doute que son amour pour Jésus-Christ n'ait
où naquit Sauveur des hommes, le salut
le pris là quelque chose de plus tendre, de plus
qu'il avait promis à la terre, un peu de celte passionné, qui se montre dans ses discours
paix annoncée par les anges et toujours plus comme le cachet de sa piété.
exilée d'ici-bas. Des prélats, des confesseurs de Quoi qu'il en soit, sa grande âme se révélait
la foi, des hommes éminents versés dans la de plus en plus, et comme il arrive toujours
science de l'Evangile se rendaientaussidetous aux vertus supérieures, la sienne entraînait
côtés à Jérusalem, persuïidés, dit saint Jérôme, dans sou orbite tous ceux qui avaient quelques
qxi'il eût manqué quelque chose à leur vie s'ils rapports avec lui. L'impulsion qu'il avait reçue
n'avaient adoré le Maître divin dont ils profes- de Basile, il la transmit à deux autres de ses
saient la doctrine, à l'endroit même oîi son re- amis, Théodore et Maxime. Elèves de Libanius
gard mourant avait tracé la route du ciel à l'hu- comme lui, ils avaientdébuté, non sans succès,
manité du haut de la croix *. daus la carrière des honneurs. Mais en voyant
Jean raconteque,desontemps,runiverstout celui de leurs compagnons d'étude, qui les sur-

entier accourait à Bethléem pour voir le lieu où passait tous en talents, renoncer avec tant de
le Sauveur était né, où son divin corps avait courage aux plus brillantes espérances, ils
d'abord reposé. Comment lui, avecson christia- éprouvèrent une telle impression qu'ils vou- ,

nisme ardent et tendre, eût-il résisté à cet lurent, eux aussi quoique âgés tout au plus
',

entraînement universel vers les sources sacrées de vingt ans, dire adieu au monde, pour em-
de l'Evangile? Rien sans doute ne restait plus brasser ce qu'on appelait alors la philosophie
de la cité de David mais la charrue de Titus,
; chrétienne, c'est-à-dire la vie solitaire, et en-
qui avait effacé jusqu'au dernier vestige du trer dans cette voie des abaissements, de la pau-
vreté, de l'abnégation, où se précipitaient les
* s. Hier. ep. 22 id Pav'"" t. 4, nlt. p., p. M. — ' ». Rim^
tfUI., «, au. •
Socr., e, c. J; Soioo)., I. 8, c. ï.
t. f,, p. iâOt, 1.
,

36 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

âmes aimantes et généreuses voies de la paix : dans quelques mots empreints


et l'on respire

et du saliit pour elles, voies de la régénération d'un parfum antitiue la sainteté de l'Eglise pri-
pour le monde, car il s'en fallait bien que ces mitive, et, si je peuxdireainsi, ce stoïcismechré-
exemples renouvelés tous les jours fussent per- de celui de la Grèce etdeRome,
tien, (jui dillere

dus pour le monde. Celte fièvre de spiri- autantque l'amour ditfère de l'égoïsme, et la foi
tualisme était un symptôme heureux et une au Dieu des miséricordes du fatalisme et de
crise désirable. Le levain sacré agissait plus vi- l'orgueil.
vement sur masse, et faisait fermenter tout
la « Celui-là seul est libre, dit-il, qui vit pour
ce qui restait de germe de vie dans cette pour- Jésus-Christ. Aucune peine ne peut l'atteindre.
riture universelle. De toutes ces cellules d'ana- Qu'il ne se nuise pas à lui-même, et nul ne vien-
cliorctes cachées sous les palmiers du désert dra à bout de lui nuire. Supérieur à toutes les
suspendues aux flancs du Liban ou du Sinaï, de vicissitudes d'ici-bas, la perte de ses biens ne le
tous ces ermitages, de tous ces oratoires jetés rend pas malheureux car il sait que, venu au
;

comme des nids d'aigles sur les corniches monde sans rien porter, il doit en sortir de
avancées, sur les dents aiguës des montagnes; même. Ses vœux, ses espérances sont au ciel.

de toutes ces grottes de toutes ces alvéoles


, L'ambition ne l'agite pas, les injures ne l'irri-
taillées dans le marbre et dans le granit, à tent pas. 11 n'y a pour lui qu'un malheur, l'of-
toutes les hnuleurs, ruches de saints, il sortait fense de Dieu. Tout le reste est secondaire. La

Je ne sais quel attrait, quel parfum, quel i)ieux mortelle-même, si horrible au grand nombre,
murmure, quel rayonnement de vertu qui ga- lui paraît plus douce que la vie. Comme un
gnait de proche en proche, et réveillait par- homme du haut d'un rocher voit sans péril la
tout l'idée assoupie de Dieu et de l'immortalité. mer furieuse bondir à ses pieds, tandis que
Maxime, fidèle à ses engagements, devint ceux qui naviguent sur ces flots en courroux
plus tard évêque de Séleucie, et laissa dans luttent vainement contre la tempête, les uns
l'Eglise une mémoire honorée. Un de ses suc- engloutis sous la vague, les autres brisés contre
cesseurs le qualifie d'homme admirable et di- les écueils, ceux-ci s'efforçant de gagner à la
vin '. Quanta Théodore, dont l'imagination in- nage la terre trop éloignée, ceux-là s'attachant
quiète et mobile agita la vie et troubla la foi, il à un débris du vaisseau mis en pièces ainsi le ;

embrassa d'abord la vie des ascètes, et l'aban- chrétien, enrôlé sous les drapeaux du Christ,
donna bientôt pour rentrer dans le monde au- échappe au bruit et aux orages de la vie, placé
quel il avait renoncé. qu'il est dans un heu dont la sûreté égale l'élé-

Ses amis pleurèrent sa désertion à l'égal vation. Et qu'y a-t-il de plus haut, de plus sûr,
d'une apostasie. Jean lit plus il entreprit de : que de s'attacher à une seule pensée plaire à :

ramenersous les drapeaux le transfuge deDieu, Dieu? Tu as vu bien des naufrages, Théodore ;

et dans ce but il écrivit deux lettres, ou plutôt fuis la mer, reduule ses caprices cherche une ;

deux traités, où il déjiloie toutce que la nature position où la vague ne puisse monter jusqu'à
avait mis en lui de grâce persuasive, et la cha- toi. Le jour du jugement viendra. En quittant

rité de sainte tendresse. C'était en 373, l'année ce monde, nous aurons tous à comparaître de-
même où le jeune Augustin lisait à Carlhage vant le tribunal de Jésus-Christ. Non, la me-
VHortensirts de Cicéron, et comniençaità sen- nace des supplices éternels n'est pas une vaine
tir au fond de son cœur l'atlrait de la vérité ^ menace, ni la promesse des biens infinis un
Quoi qu'en diseTillemont ', ces deux lettres mensonge.. Les joies d'ici-bas ne sont qu'une
sont bien adressées à Théodore, et c'est avec ombre elles n'apportent avec elles que périls,
;

raison qu'elles comptent parmi les ouvrages les soucis, servitude. Je t'ensupplie ,nesacrifiepas
plus célèbres de Jean. Néophyte des lettres et de du même coup le bonheur du présent et celui
lafoi, il y tient la plume d'une main ferme la :
de l'avenir, quand l'un et l'autre sont à toi, si
conviction supplée à l'autorité, l'Apôtre inspire tu le veux.
l'écrivain. On y sent la chaleur de cette âme en Reprends, lui dit-il ailleurs, le chemin du
«

quirevitrenthousiasmedeslempsapostoliques; Ce que je te demande, ce n'est pas de re-


salut.
'TiMlem., t. 11, p. 9, art. 4.
monter tout d'un coup au faîte de la vertu,
* SuUing a établi, contre l'opinion de Montfaucon, que ces lettres
ont été écrites en 373, et non en 369 (t. 4, Sept. Boll., p. 416).
maisde ne pasajoulerà tes maux déjàsigrands.
* L'opinion deTiUemont, contraire à celle de Fronton et de SaTille,
Pourquoi hésiter? Pourquoi l'enfoncer davan-
a été réfutée par Montfaucon (t. 1, Chrys., préface des lettres à Théo-
doie) «t par StiUio|; loc. cit.). tage? D'autres ont vécu dans ces délices, dans
CHAPITRE TROISIÈME. 37

C05 enivrements, dansée? menÇf^nçres de la vie a Je sais, poursuit le pieux écrivain mettant
pn sente : où sonlils niaiitenint? Tant de ledoigt surla plaie, qiiela beauté d'IIermione
jeiuii s hommes qui étal lient leur orgueil sur te ravit. Tu ne vois rien sous le soleil qu'on
le foruin, au milieu de nombreux amis. i|ui se puisse lui comparer. Mais toi-même, mon ami,
de soie, se couvraient de parfimis,
vètissaieiit si tu le veux, tu l'emiiortens sur cette beauté,
nourrissaient des parasites, ne quittaient pas autant que la statue d'or l'importe sur celle
le théâlre. où sont-ils? Ou'( st devenu ce t;rand d'argile. Qu'est-ce que
beauté du corps, qui
la

élalaui'' Les repas tli' pr.ind prix, les musiciens, passe si vile, en comparaison de celle de l'âme,
la clientèle des flatteurs, les rires fous, cet mi'il nous est donné de rendre tous les jours
abandon de l'àme, cette vie molle, oisive, livrée plus parfaite, et par laquelle nous pouvons ri-
au luxe et au plaisir, qu'est devenu tout cela? valiser de splendeur avec les angis? .... Si tu
Ou'ont-ils fait de ce corps servi avec tant d'em- pouvais la vc ir, celle-là, combien l'autre te pa-
pressement, soigné avec tant de recherche? raîtrait méprisable ! C'est elle qu'il faut aimer,
Viens au lomlieau regarde cette poussière, ces
: qu'il faut obtenir à tout prix! .... Ne songe pas
cendres, ces vers, la hideur de ce lieu, et sou- à couvrir tes erreursdu voile du mariage. Sans
pire ! Encore si tout Dnissait là ! Mais du sé- doute, c'est une chose légitime que le mariage,
pulcre et des vers, porte ta pensée à ce ver im- mais pour l'homme qui est libre encore tu ne :

mortel, à ce feu inextin^'uible, à ces ténèbres l'esplus. Ton âme aété mariée au céleste Epoux.
sans On, à ces douleurs sans consolation, à cette Rompre ces liens sacrés, c'est être adultère....
parabole du Lazare et du riche qui implore, Si tu n'étais qu'un simple chrétien, personne,
sans l'obtenir, une goutte d'eau ! d à coup sûr, ne t'accuserait de désertion. Maistu
Après quelques mots profondément sentis ne t'aiipartiens pas, enrôlé que tu fus sous les
sur ces su|iplices éternels et ineffdhles, il élève drapeaux d'un empereur qui est Dieu. Tu n'es
au ciel ses regards et les repose avec complai- plus maître de ton corps, et, de quelque nom
sance sur le bonheur des élus. «Quoi s'écrie- I que tu veuilles couvrir ton union avec une
t-il,pour nous épargner la peine d'un moment, femme, elle sera toujours criminelle.
nous renoncerions à cette immortelle félicité ! « Pense à tes amis, à Valérius, à Porphyre, à

Pour moi, quand il me faudrait mourir mille Florentins;... ils déplorent ta chute ; ils prient
fois par jour, souffrir même l'enfer pendant sans cesse pour ton retour, et déjà ils l'auraient
quelque temps je regarderais cela comme
,
obtenu si lu voulais t'arracher quelque peuaux
rien, pourvu que je pusse voir Jésus-Christ mains de l'ennemi. Est-ce donc que celui qui
dans sa gloire et être mis au nombre des est tombé ne peut se relever ? C'est un oracle '

Saints 1 a divin veux-tu le faire mentir ? Non, je t'en sup-


:

Saintf.ermain, patriarche deConstantinople, plie, ne trompe pas nos espérances ne pousse ;

victime des iconoclastes, aimait à répéter, au pas a bout noire douleur. Prends pitié de nos
milieu de ses épreuves, ces paroles de son il- larmes. Oui, nous pleurons car nous avons ;

lustre prédécesseur. fait une perte immense,.... et si une lettre pou-

Chrysostome continue a Ecoute, dit-il à son : vait contenir des soupirs et des pleurs, celle-ci
ami, ce mot de saint Pierre sur le Thabor : en serait toute pleine ».
Seigneur, nous sommes bien ici. Que si une vue Puis, craignant d'avoir frappé trop fort et d'a-
rapide et obscure de la gloire du ciel ravit boutir au désespoir pour exciter le repentir, il
l'Apôtre et lui fait tout oublier, que sera-ce s'efforcede prémunir son ami contre cette réac-
quand la vérité elle-même sera devant nous; tion dangereuse de l'âme sur elle-même, au
quand, les portes de la demeure royale ouver- moment où elle commence à comprendre la
tes, il nous sera donné de voir le roi lui-même, grandeur de sa chute. En médecin habile, il
non plus en énigme et comme dans un miroir, tempère l'effet trop vif de remèdes puissants,
mais face à face, non plus par la foi, mais en parle avec effusion des miséricordes de Dieu,
réalité ? Bien des gens, absurdes dans leur ma- ouvre à son regard les trésors du pardon et ;

nière de juger, ne souhaitent que d'échapper par les paraboles de l'Evangile qu'il rappelle,
aux supplices de l'enfer pour moi, je regarde ; par des exemples frappants qu'il cite, lui dé-
comme un moindre malheur d'être condanmé montre que le découragement serait la pire des
à l'enfer, que d'avoir perdu le ciel et d'être fautes, qu'une péniteoce courageuse produit
privé de sa gloire I e ' Jerem., 8, 4.
,38
HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

des merveilles, et que, pour être tombé bien tions de son ami. Dieu et le remords lui par-
bas, il n'en est pas moins sûr, s'il le
veut, de laient d'ailleurs comme l'amitié. 11 s'arracha
reprendre son rang entre les amis les plus tout en pleurs, quoique bien jeune encore,

chers de Dieu, et d'obtenir auprès de lui tant aux charmes qui le captivaient, et reprit le
de crédit par ses vertus que les autres même joug sacré. Devenu le compagnon assidu de
trouvent un protecteur dans celui qui n'était celui dont il était la conquête, ils se livrèrent

tout à riieure qu'un criminel. Il termine ainsi : ensemble, avec Basile et Maxime, aux travaux
e L'arme la plus dangereuse de Satan, c'est le sérieux de l'exégèse sacrée ', où ils portaient
désespoir : brise-la dans ses mains crois à la ;
toutefois un esprit bien différent. Théodore,

bonté divine et tu seras sauvé. J'ai passé sans qui écrivit plus tard un livre intitulé : De l'Al-
doute les bornes d'une lettre daigne le par- : légorie et de Vhistoire contre Origène ', exagé-
donner à ma tendresse et à ma douleur. On me rant jusqu'au rationalisme le plus hardi la mé-
disait de tous côlés : peine perdue, tu sèmes thode de Diodore de Tarse, et repoussant le
sur les pierres ! Je n'ai prêté l'oreille à aucun flarnbeau de la tradition pour le libre examen,

de ces propos. J'ai l'espoir, pensé-je en moi- se jeta dans les plus grands écarts. Mais, carac-

même, que mes lettres seront utiles ; mais, ce tère faible autant qu'imagination aventureuse,

qu'à Dieu ne plaise ! s'il en était autrement, il masquait ses erreurs, les rétractait au besoin,
mon silence, du moins, ne me sera pas imputé et se fit un nom par ses prédications et son zèle
à crime. Ne soyons pas plus durs que des ma- contre les partisans d'Arius et d'Apollinaire.
telots.A la vue d'un navirs en perdition, ils Devenu évêque de Mopsueste en Cilicie, il fut

arrêtent le leur, jettent l'ancre, lancent leur le maître de Nestorius, le protecteur des pre-
chaloupe, et font tout pour sauver des hommes miers Pélagiens, et l'on a signalé avec raison,
souvent inconnus, qui n'ont d'autre titre à leur dans ses écrits, la source empoisonnée d'où
intérêt que le péril où ils sont. Les malheureux sortirent le Pélagianisme et le Nestorianisme.

s'obstineraient à leur perte, qu'il y aurait tou- Il est le véritable auteur, le père de l'un et de

jours du mérite à se dévouer pour eux. Voilà l'autre. Les sociniens, les rationalistes moder-

ce que je fais, je cours à ton aide autant que je nes doivent saluer en lui leur plus ancien pré-
peux; j'espère qu'avec la grâce de Dieu tu curseur Grâce à sa dissimu-
et leur patriarche.

feras, toi aussi, de généreux efforts pour échap- lation, il mourut dans de l'Eglise et la
la paix

per à ta perle, et que bientôt nous te retrouve- possession de son siège; mais sa mémoire, non
rons plein de vie et de force dans le troupeau moins orageuse que sa jeunesse, fut solennel-
du Christ, unissant tes prières à nos prières. lement condamnée dans le cinquième concile
tête bien-aimce souviens-toi de nous, et si ton
! général '.

cœur ne nous a pas complètement oubliés, Jean conserva toujours un bon souvenir de
écris-nous bientôt, et que ta lettre nous comble Théodore. Mais l'amitié pieuse qui avait inspiré
de joie». de si belles pages au jeune écrivain, n'égara ja-
Ce noble et affectueux langage, ce mélange mais le pontife sur les dangereuses traces de
d'ascélisme et de philosophie, de hautes consi- son ami. L'orgueil de l'un avait trouvé dans
dérations et de pieuses insistances, de saintes l'école d'Antioche des écueils que la foi humble
rudesses et de consolations, demenaces et d'en- et ferme de l'autre n'y pouvait rencontrer, et
couragement, de sévérité el d'indulgence, cette la doctrine de Jean fut toujours aussi pure que
conviction, celle charité, ces prières, ces lar- sa vie *.

mes produisirent leur effet. Ce premier essai — ' Tillem., t. 12, p. «8. -' Mari. M»rcat.,
'
Sozom., 1. 8, c. 2.
du jeune ascète fut aussi le premier triomphe Mign., Pair., t. 48, p. 258 et 1043, 1063 et passim, —' Bosi., Déf.

du grand orateur. Théodore, tout épris d'une de la irad., œuv. t. 5. p. 198, éd. do Vers.

passion funeste, ne put résister aux supplica-


CHAPITRE QUATRIÈME. 39

CHAPITRE QUATRIÈME.

Jean el Ciri'o appelés à l'épiscopat. — — Saint Martin, Amhroijc,


Sainte terreur qu'inspirait celle dignité. Paulin. — saint saint

Ordiiîi'ii! lie Basile. — Jean se dérolie au finleau im;iosé k son ami. —


— Réponse de Jean. — Dialogues
Plaiiitei do, celui-ci.

sur sacerdoce. — Date de ce


le — Diniiulles qui enionrent
livre. — Vertus exige. — Pouvoir de
l'éiiiscopat. de qu'il lier et

délier.— Le prêtre — Abus djns


à l'autel. — Paroles amères de
les eleilions ecclésiastiques. Grégoire de Nazianze. — saint

Science éloquence nécessaires


el l'évèque. — Samt Paul. — Conclusion du
à du Sacerdoce. — Lettres de livre saint Isidore

de Peluse. — Diverses opinions sur de ces dialogues.


l'intcrlocutenr

Nous arrivons à l'année 374. Tandis qu'à violence ; surprise, car je ne pouvais m'expli-
Milan une ncdatnntion populaire faisait Am- quer comment les Pères électeurs avaient été
broise évêi|ue, à Aniioclie une réunion de pré- conduits à de telles vues stir nous. Plus je

lats appelait Jean et Basile à l'épiscopat. La nou- m'examinais moi-même, moins je me trouvais
velle inattendue de cette promotion jeta les digne de cet honneur. Mon généreux ami,
deux amis dans un trouble indicible. élantvenumetrouverenparticulier,etm'ayant
Il époque ce
faut \oir dans les écrits de cette communiqué la nouvelle comme si je l'igno-
qu'était le sacerdoce aux yeux des hommes les rais, me pria de ne rien faire celte fois encore
plus éminents, el combien ils en redoutaient le que d'un commun accord entre nous, prêt à me
fardeau. Pas de pieux stratagème qu'on n'em- suivre dans le parti que je prendrais, qu'il fal-
ployât pour se dérober à cette haute responsa- lût fuir ou céder.
bilité. On prenait la fuite on se calomniait ; «Sûr de ses dispositions et convaincu que je
soi-même pourdéiiister l'estime publique, pour porterais un grand préjudice à l'Eglise si, à
dérouter une candidature menaçante. L'intri- cause de ma faibletse, je privais le troupeau de
gue, si l'on peut dire ainsi, s'exerçait en sens Jésus-Christ d'un pasteur si capable de le gou-
inverse de l'ambition c'était l'intrigue de la
: verner, je lui cachai ma pensée, moi qui l'avais
modestie, la cabale de l'humilité. On s'agitait, habitué à lire jusqu'au fond de mon cœur. Je
on suppliait ponrse faire exclure, pourêh-e dé- lui répondis donc qu'il fallait prendre le temps
claré incapable, pour échapper, n'importecom- de réfléchir, que rien ne pressait, et lui laissai

ment, aune dignité dans laquelle on ne voyait croire qu'en tous cas je serais du même avis
que le péril des périls. Il fallait employer la que lui.
contrainte vis-à-vis de cette poltronnerie ma- Quelques jours après arrive celui qui de-
«
gnanime, poursuivre dans leur retraite ces no- vaitnous imposer les mains. Je me cache. On
bles fuyards, amener de force à l'autel ces tou- s'empare de Basile, qui ne sachant pas ce que
chantes hosties, qui, aprèsavoir reculé devant j'avais fait, se courbe sous le joug, persuadé,
le sacrifice, se dévouaient avec le plus complet d'après ma promesse, que j'allais suivre son
abandon. exemple, ou plutôt qu'il suivait le mien. Quel-
Saint Martin fut arraché à son monastère, et ques-ims,eneffet, parmi les assistants, le voyant
conduit à Tours, sous bonne garde, comme un exaspéré de la violence qu'on lui faisait, se mi-
criminel au supplice. Saint Ambroise essaya de rent à dire tout haut qu'il était absurde, quand
se faire passer pour cruel, et, n'ayant pas celui des deux qui passait pour le plus intrai-
réussi, nuitamment de la ville, où la
il sortit table (c'est moi qu'ils désignaient) s'était sou-
Providence ramena malgré lui. Saint Paulin
le mis avec une modestie parfaite au j ugement des
ne se laissa élever aux ordres qu'après une ré- Pères, que l'autre, plus modéré, plus sage,
sistance désespérée, et sous la pression du peu- s'emportât, résistât, se montrantsi opiniâtre et
ple qui faillit l'étouffer. Mais laissons parler si orgueilleux.
Chrysostome :
a 11 se rendit à ces paroles. Mais quand il sut
Aussitôt que j'eus connaissance du projet que j'avais pris la fuite, il vint metrouver dans
des évêqucs, je fus frappé de crainte et de sur- un profond abattement, et, s'étant assis près de
prise crainte qu'on n'employât contre moi la
: moij il essaya de me raconter la violence qu'il
.

iO IllSTOlUE DE SAINT JEAN C.HUYSOSTOME;

avait subie mais la douleur l'empêcliait de


;
reux et si beau, que mon peu d'expérience ou
parler, et les mots expiraient sur ses lèvres. Le ma lâcheté le faisant dépérir, ne m'attirât la

\oyant couvert de larmes et dans un grand colère de celui qui l'a aimé jusqu'à se sacrifier

trouble, moi, qui savais la cause de tout cela, lui-même pour sa rançon et son salut ' ».

j'éclatai de rire, et, prenant sa main, je voulus Et là-dessus , avec l'accent d'une humilité
l'embrasser et rendre gloire à Dieu du succès convaincue, il confesse à son ami ses faiblesses,

de mon stratagème. A la vue de mon contente- ses passions, ses misères, toutes les infirmités

ment, et comprenant que je l'avais trompé, sa d'une nature pour laquelle il demande grâce,

douleur redoubla avec son indignation ». ' et qu'il nous contraint d'admirer. Puis, il suit
Jean répumlit à Basile et s'efforça de justifier le pasteur pas à pas dans la carrière de ses tra-

sa conduite. Le dialogue qui s'établit entre les vau.\, à la tribune sacrée, au milieu des pau-

deux amis est devenu, sous la plume de Chry- vres, dans ses rapports avec les vierges et les

sostome, le Trailé du Sacerdoce, c'est-à-dire le veuves consacrées aux autels, dans l'adminis-
plus estimé et certainement le plus beau de ses tration des deniers de l'Eglise et des fonds de

ouvrages. la charité, dans le maniement des esprits et la

Quand l'a-t-il écrit? D'après Socrate*, ce se- direction des consciences, économe, docteur,

rait pendant son diaconat, ce qu'on ne peut médecin, juge, consolateur des affligés, dispen-
guère admettre. 11 est plus vraisemblable que sateur des pardons célestes, conseiller de toutes

ce fut sur la montagne, dans le silence et les les situations, depuis le pauvre esclave jusqu'à

loisirs de la solitude, assez près toutefois de celui qui commandeàde nombreux serviteurs,
l'événement qui en a fourni le thème, pour que depuis la mère de famille jusqu'au magistrat
l'impression en fût encore vive dans son es- chargé de fonctions publiques et difficiles,
prit '. Mais s'il y a partage d'opinions quant à guide et modèle du saint troupeau aux yeux
la date du livre, rien n'est unanime comme duquel il doit être l'image vivante et le conti-
l'admiration qu'il a inspirée. Nulle part peut- nuateur de Jésus-Christ, ambassadeur des hom-
être tant d'élévation ne fut unie à tant de mes auprès de Dieu, représentant de Dieu au
charme et degrâce. Ainsi que le porte son titre, milieu des hommes, obligé de lutter sans cesse
cet immortel dialogue roule sur la dignité et !a contre mille obstacles au dehors, mille tenta-
sainteté du sacerdoce. L'auteur en expose les tions au-dedans, affaibli par toute sorte de tem-
devoirs, et faitdel'évêque, selon l'Evangile,
il pêtes et de périls, révoltes des sens, suggestion

un tel portrait, que l'on comprend la terreur de la \ aine gloire, défaillance du cœur, incon-
des plus saints devant le faideaudel'épiscopat, stance et caprice du peuple plus mobile que les
et cette flère parole du grand évêque de Césa- flots de la mer et dont la fureur n'est pas moins
rée à ce préfet impérial étonné d'une résistance redoutable que l'injustice. Est-il une mission
qu'il n'avait jamais rencontrée , disait-il : plus haute et plus délicate, qui impose plus de
o C'est que jamais vous n'avez rencontré d'é- sacrifices, rencontre plus de difficultés, s'ac-
\êque » commode moins d'une vertu médiocre, exige
a Tu n'aimes
pas Jésus-Christ, disait Basile un plus rare assemblage de prudence, de fer-
à son ami, puisque tu refuses de soigner son meté, de douceur, d'instruction, de dévoue-
troupeau ! ment, de courage, de pureté?
Je l'aime, répond Chrysostome, et ne ces-
« « li n'est pas possible que les défauts d'un

serai pas de l'aimer, mais je crains d'irriter ce- évêque échappent aux regards; les plus petits
luique j'aime... Oui, je crains, si je prenais le même sont aussitôt mis au grand jour. Tant
troupeau de Jésus-Christ, ce troupeau si vigou- qu'un athlète se tient chez lui et ne se mesure
avec personne, il peut cacher sa faiblesse et sa
«Chrys., du Sacerd., 1. l,c. 3, alias 6.
'
Socr-, 1. 6, c, 3. Ce Chapitre de l'histonea grec fourmille de lâcheté mais à peine a-t-il quitté ses vêtements
;

faute? Qnoi de absurde, par exemple, que de prendre l'ami de


'.lus
pour lutter dans l'arène, qu'il est aussitôljugé:
Jeau pour Basile de Cesarée I Et quel est ce ZéûoQ qui coufère à
notre Saint l'ordre des lecteurs ? etc., etc. ainsi des hommes qui vivent dans la retraite
* Siilting croit que l'ouvrage fut composé de suite après rordina-
et le repos. Cette vie solitaire jette un voile sur
tion de Basile. Un mot de Pallade, mais qui ne se trouve que dans
une des traductions latines de ses Dialogues, autorise à penser que leurs défauts. Mais sont-ils introduits dans le
ce fut pendant le séjour de Jean au désert. Il est certain que cette
com, Ofeition n'est pas un écrit de circonstan'^e. Elle a été méditée monde, ils sont forcés de quitter la solitude,
séiieusemeiit et soigneusement écrite. On concilie les deux opinions, comme s'ils quittaient leur manteau, et d'expo-
en se lappelant que Jean s'enfuit au désert dès la 0a de 374, quel-
que» mois après la pieuse discus&iOD avec sou ami. ' Chrje., du Sacerd,, I. 2, c. 3.
CHAPITRE QUATRIÈME. 41

ser leur âme nue aux regards de tous. Comme fard des joues, de belles tresses, des cheveux
leurs vertus allument dans k's fnlMes une noble habilement teints, la somptuosité des vête-
émulation, ainsi leurs vices élcignrntdans les ments, la variété des pai'ures, l'éclat (h'S pier-
autres le zèle du bien, et Itiir lâcheté eii},'endre reries, les parfums et tant d'autres choses pro-
la lâcheté, il faut donc à l'ànie du prêtn^ une pres aux femmes, peuvent troubler le cœur,
beauté resplendissante, qui répande la lumière s'il n'est comme
endurci par une austère chas-
et la joie sur tous ceux qui le regardent. Les teté... Souvent même, par des moyens tout con-
fautes des hommes vulgaires, coiumiscs pour traires le démon peut alteindie les âmes
, et ,

dans l'ombre, ne perdent que leurs


ainsi dire voilà une chose étonnante. 11 en est qui, après
auteurs mais le scandale d'un homme élevé
;
avoir évité les pièges que je viens de signaler,
au-dessus du peuple et connu de lui porte à ont été pris à d'autres tout à fait différents :

tous un commun préjudice ; il encourage le ainsi, un visage négligé, descheveuxmal tenus,


péché des uns, il détourne les autr» s du bien. la pauvreté des vêtements, la simplicité des
Les fautes des premiers auraient même de Té- manières et du langage, le défaut de fortune et
claf, qu'il n'en résulterait pour personne un d'appui, le délaissement, après avoir incliné à
grand mal. Mais ceux qui siègent au faîte du la pitiéletémoindeces disgrâces, l'ont entraîné
sacerdoce sont d'abord exposés à tous les re- à la plus déplorable ruine "... Chargé de tout le
gards, et, pour peu qu'ils s'oublient. 1' "; plus troupeau, le pasteur ne peut exclusivement
petites faiblesses sont regardées connue de s'occuper des hommes et négliger les femmes,
grandscrimes; car, généralement, ce n'est pas dont la direction demande d'autant plus de sa-
à la nature de l'action, mis au rang de celui gesse que nous portons en nous l'inclination au
qui pèche, qu'on mesure la grandeur du péché. péché. 11 faut les visiter dans leurs maladies,
Il est nécessaire qu'un zèle incessant, une les consoler dans leurs afflictions, stimuler l'in-

grande vigilance sur lui-même, soient pour le dolence des unes, aider la faiblesse des autres,
prêtre comme une armure fortement trempée et, pendant l'accomplissement même de ce de-
qui le protège tout entier, afin qu'on ne trouve voir, l'ennemi trouve mille moyens de péné-
pas en lui un seul endroit faible et découvert trer dans le cœur si Ton ne fait une garde
par où l'on puisse lui porter un coup mortel ;
sévère. Le regard de la femme chaste n'est pas
car autour de lui, et les ennemis déclarés, et moins redoutableque celui de l'impudique. Les
ceux qui feignent d'être ses amis, tous sont flatteries amollissent , les hommages asser-
prêts à le frapper et à l'abattre. (1 faut donc choi- vissent, et la charitéelle-même, source de tous
sir des âmes semblables aux corps de ces jeunes les biens, devient la source de tous les maux
saints que la grâce divine garda intacts dans la pour qui ne sait pas la pratiquer * Et non-
fournaise de Babylone. Mais il s'agit d'un feu seulement les hommages des femmes ont leur
qui s'alimente, non de sarments, de poix ou péril, ceux des hommes hvrent celui qui les
d'étoupes,maisde matières plus inflammables. reçoit sans une grande fermeté d'âme, à deux
Ce feu non matériel, c'est l'envie qui enveloppe maux opposés la servilité de l'adulation et la
,

de ses flammes dévorantes, qui sonde,


le prêtre folie de l'arrogance ; car, forcé de ramper de-
qui pénètre sa vie tout entière. Oui, que l'en- vant ceux qui le flattent, il se prévaut de leurs
vie trouve dans sa conduite le moindre brin de complaisances pour dédaigner ses inférieurs,
paille à saisir, elle s'y attache aussitôt, dévore et il est entraîné dans l'abîme d'un orgueil
cette partie défectueuse de l'édiOce; et tout le insolent'.
reste serait-il plus resplendissantque les rayons a Pour être digne de son ministère, il ne lui

du soleil, elle le couvre d'une épaisse fumée*. suffit pas d'être pur, il faut encore beaucoup
« Il faut à l'évêque, poursuit-il, beaucoup de savoir et d'expérience. 11 faut connaître les
plus de pureté qu'au solitaire, |>arce qu'il est choses de la vie humaine autant que ceux qui
exposé nécessairement à plus d'occasions qui sont le plus mêlés au monde, et en être en
peuvent le souiller, s'il ne défend l'accès de son même temps plus dégagé que les solitaires qui
âme par une vigilance continuelle et une se sont réfugiés sur les montagnes. Ayant des
grande fermeté. En effet, la beauté du visage, rapports nécessaires avec des hommes de toute
la grâce des mouvements, une démarche étu- condition, les uns engagés dans le mariage, les
diée, une voix douce, la peinture des yeux, le
• Chrys., Du Sacerd,, c. 2. — ' Chiys., Du Sacerd., 1. 6, c. 8. —
' Cbrji., thi Sacerd., I. 3, c. il, aliat 14. ' Ibiil., c. 4.
45 HISTOIRE DE fîAINT JEAN CHRYSOSTOME.

autres assis au pouvoir, ceux-ci nageant dans nous sommes ensevelis avec le FilsdeDieu, et
l'opulence, ceux-là chargés d'enfants, le prêtre nous devenons les membres de ce divin chef...
a besoin d'une conduite variée, non qu'il doive Guérir les corps de la lèpre, ou plutôt constater
êtio dissimulé ou ILUcur ; mais, sans porter seulement la guérison et non l'opérer voilà ce :

atteinte à l'indépendance do son caractère ni à que pouvaient les prêtres chez les Juifs, et tu
la vérité, il faut qu'il sache se plier au besoin sais avec quelle ambition on briguait alors la

des circonstances , tantôt indulgent et tantôt dignité sacerdotale. Les prêtres de la nouvelle
sévère. Le même mode , en effet, ne convient loi ont reçu pouvoir, non de constater mais
pas pour gouverner tous les esprits, pas plus d'opérer la guérison, non delà lèpre du corps,
que les médecins ne prescrivent les mêmes mais de la souillure des âmes. Ceux donc qui
remèdes à tous les malades, et que les pilotes les méprisent sont coupables et méritent ua

n'opposent les mêmes manœuvres à tous les plus grand châtiment que Dalhan et les siens...
vents ' ». La puissance que Dieu leur a donnée sur nous
propos de la direction des âmes, Chryso-
A est bien plus grande que celle de nos propres

stome exalte en termes magnifiques le pouvoir parents. Entre les uns et les autres la d iffércnce
donné au prêtre sur les consciences qu'il délie, est la même qu'entre la vie future et la vie pré-
qu'il guérit, qu'il absout. Nous citons d'autant sente. Les parents nous engendrent à celle-ci;
plus volontiers ses belles paroles sur ce sujet, les prêtres à celle-là. Les uns ne peuvent nous
qu'elles jettent un jour désiré sur quelques préserver ni de la mort ni des maladies ; les

passages obscurs de ses homélies, et qu'on y autres, au contraire, ont sauvé plus d'une fois
trouve un témoignage indirect, mais formel et les âmes malades et prêtes à périr et, soit ,

précieux, de la foi des temps antiques par rap- dans le sacrement de la régénération, soit

port à Li doctrine catholique de la pénitence. après, ils ont toujours le pouvoir de remettre
Qui peut y penser sans étonnement ?
B les péchés' ».
s'écrie-t-il. Des hommes qui ont leur séjour sur Mais, lorsque parlant des fonctions les plus
la terre, dont l'existence y est attachée, ont été hautes du sacerdoce, il soulève le voile du sanc-
commis du ciel
à la dispensation des choses ;
tuaire et montre le prêtre à l'autel, calvaire
ils ont reçu un pouvoir que Dieu ne donna ni mystique, apportant au Très-Haut l'holocauste
aux anges ni aux archanges. Ce n'est pas à ces spiritueldu monde, tenant dans ses mains la
esprits purs qu'il fut dit, en effet Ce que vous : rançon de l'humanité, le sang de Jésus-Christ,
délierez sur la terre sera délié dans le ciel '. nouveau Moïse, nouveau Jésus, Messie perpé-
Les princes d'ici-bas ont bien la puissance de tuel de toutes les expiations, de tous les vœux,
lier et de délier, mais les corpsseulement tan- ; de toutes les espérances; alors le langage de

dis que le lien dont je parle avec l'Evangile l'écrivain prend un éclat surnaturel, sa parole
saisit l'âme même et se rattache aux cieux, et semble sortir fulgurante d'un autre Sinaï, sa
tout ce que les prêtres font ici-bas, Dieu le ra- foi éclate comme une poésie sublime, comme

tifie là-haut: le maître confirme la sentence du un hynune angélique, comme une soudaine
serviteur. Que leur a-t-il donné par ces paroles, apparition des séraphins qui entourent le trône
si ce n'est la toute-puissance des choses célestes ? de Dieu. C'est l'apothéose du prêtre, mais apo-
Les péchés seront remis, leur dit-il, à qui vous théose à le faire trembler et s'anéantir sous le
les remettrez ; ils seront retenus à qui vous les poids de ses devoirs et dans le sentiment de
ref?e;ic?re:'. Qu'y a-t-il de supérieur à un tel son insuffisance, à lui faire tourner la tête, non
pouvoir? Le yjère adonné au fils tout juge- d'orgueil, mais de frayeur et d'humilité.

ment * : et je vois le fils transmettre ce droit Le sacerdoce, dit-il, s'accomplit sur la terre,
tout entier à ses prêtres, comme si déjà, trans- mais il fait partie des choses célestes. Ce n'est
portés aux cicux, supérieurs à la nature hu- pas un homme, ce n'est pas un ange, ni un ar-
maine et lilnes de nos passions, ils avaientélé change, ni aucune puissance créée, mais le Pa-
revêtus à ce titre de cette autorité suprême'... raclet lui-même qui a institué ce grand minis-
A eux fut confié l'enfantement spirituel des tère ; qui l'a ainsi voulu des êtres
c'est lui ;

âmes, à eux de les faire naître par le baptême. plongés encore dans la chair ici-bas sont appe-
Par eux, nous sommes revêtus de Jésus-Christ, lés à remplir les fonctions des angos II faut 1

donc qu'il soit pur celui qui entre dans le sa-


• Chrya., Du Sacerd., 1. 6, c. 4. —' Matlh. 18. ' Joan., —5, t.
i3. — ' Josu., évang., c. 20. — ' Cbrys., Du Sacerd., 1.
3, c. 5. Cbryi., Du Sacerd., 1. 3, c. 6, alias 5.
CHAPITRE QUATRIÈME. 43

cerdoce, pur comme s'il vivait au ciel, au mi- Dieu pour demander l'extinction de toutes les
ht'u dts |>iiissanc('S en effet,
célestes Et, guerres, l'jipai^ement de tous les troubles, le
quaiiil lu vois le Sei|,'neur immolé, étendu sur règne de la paix la prospérité universelle, le
,

l'autel, le sacrifual ur eu prières, penche sur prompt éloignement des malheurs publics et
la victime, et tous les fidèles empourprés de ce privés, dont la menace est toujours suspendue
sang précieux, je te le demande, crois-tu être sur la tête de tous. Il faut donc ([u'un pasteur
encore sur la terre parmi les hommes? N'es- tu montre en tout, et par rapport à tous ceux pour
pas plutôt transporté dans les cieux, et, toute lesquels il prie, la supériorité des mérites qui
pensée charnelle bannie, comme si tuétiis un doit distinguer le chef du sujet.

esprit pur, dépouillé de la chair, ne vois-tu pas a Mais lorsque, invoquant l'Esprit-Saint et cé-
devant loi les choses mêmes du ciel! prodige! lébrant le Irès-redoutable sacrifice, il tient dans

ô bonté de Dieu ! Celui qui est assis là-haut, à la ses mains le souverain Seigneur de l'univers ,

droite du Père, en ce moment même se laisse je le demande, à quel rang le placerons-nous?


prendre par la main detous, ilselivreà quicon- Quelle pureté, quelle piété nous avons droit
que veut l'embrasser et le recevoir. Voilàce qui d'exiger de luiQi'ellesdoiventêtrechastesces
I

se passe aux reganls de la foi. Ces merveilles te mains, celte langue par lesquelles s'accomplit
semblent-elles dignes de mépris ? Sont-elles de un si grand mystère îQu'elledoitêtreéminente
nature à être foulées aux pieds par qui que ce la sainteté de celte âme qui reçoit l'esprit in-
soil? Venx-tu en juger lexcellence, représente- fini ! Alors les anges accourent d'en haut, ils

toi Elie une foule immense l'entoure, la vic-


: environnent le prêtre, ils remplissent le saint
time est placée sur les pierres, tous attendent lieu ; toute la hiérarchie céleste se précipite là,

et regardent inmiobiles et silencieux, le pro- autour de où gît la victime, et proclame


l'autel

phète seul élève la voix pour prier, et tout à sa gloire. Qui donc en pourrait douter s'il songe
coup la flamme tombe du s'empare de ciel et à la grande chose qui s'accomplit?
l'holocauste. Voilà, certes, un grand prodige et Pour moi, j'ai entendu raconter qu'un vieil-
o
bien étonnant Mais de ce sacrifice passe à la
! lard homme admirable, habitué aux révéla-
,

célébration de nos mystères, et tu verras non tions, assurait favoir vu un jour il avait vu, ;

pas seulement des prodiges, mais des choses pendant l'action sainte, autant du moins que de
au-dessus de tous les prodiges. Le prêtre est terrestres organes peuvent y suffire, une mul-
debout, portant non pas un feu qui s'éteint, titude d'anges revêtus de robes éclatantes, ran-
mais lui-même; il prie long-
l'Espril-Saint gés autour de l'autel, le front courbé comme
temps, non pour qu'un jet de flamme tombant des soldats en présence de l'empereur : je le
du ciel vienne consumer les offrandes, mais crois volontiers. Je tiens aussi d'une autre
pour que la grâce, descendant sur l'hostie, em- personne qui le savait, non par oui-dire, mais
brase par elle les âmes de tous et les rende plus pour l'avoir vu elle-même, qu'au moment de
brillantes que l'argent purifié par le feu. Qui quitter cette vie aloi s que s'exhale le dernier
,

donc, à moins d'être dans un accès de délire, soupir, les âmes qui ont eu le bonheur de par-
oserait mépriser un mystère si redoutable ? Ne ticiper avec une conscience pure aux mystères
sais-lu pasqiiejamaisàmehumainen'a pu sou- saints , sont escortées par les anges dans leur
tenir l'action de ce feu céleste, et que nous se- passage à l'éternité, en l'honneur du sacrement
rions promptement anéantis sans un secours qu'elles ont reçu.
puissant de la grâce de Dieu '? Et tu ne frémis pas d'engager une âme
«
L'homme, poursuit
a le futur pontife du comme la mienne dans un ministère si saint;
Christ, l'homme qui se lève devant Dieu au d'élever à la dignité des prêtres un homme aux
nom de tous les hommes, le député, non d'une vêlements souillés, que Jésus-Christ a exclu du
ville,non d'un peu[>le,mais du genre humain, banquet ! L'âme du prêtre doit resplendir
qui parle pour les morts et pour les vivants, et comme flambeau qui éclaire le monde, et la
le
demande grâce pourtous, celui-là, quel homme mienne enveloppée des ténèbres d'une cons-
,

doit-il être? Ni l'assurance de Moïse, ni celle cience impure, n'ose ni ne peut élever un re-
d'Elie, ne lui suffisent pour une telle supplica- gard assuré vers son divin Maître. Les prêtres
Comme si le monde entier lui était conflé,
tion. sont le sel de la terre, et mon peu de sagesse,
comme s'il était le père de tous, il se présente à mon insuffisance en toutes choses, qui pourra
Ctarji., Du Saetri., I. 3, c, i, aHa$ 3. les supporter sans peine, si ce n'est vous, mes
,

il HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

amis, qui m'avez voué depuis longtemps une a Je traitais autrefois les princes d'absurdes,

affection sans bornes '


? » parce que, dans la distribution des honneurs,
Avec ce sentiment de la mission et de la di- ilsont égard moins au mérite qu'à la for-
gnité du sacerdoce, Jean devait regretter plus tune et aux protections. Mais, depuis que le
amèrement que personne les fautes , les pas- même abus a fait irruption dans l'Église, qu'y
sions, les contre-sens à l'esprit évangclique qui a-t-il d'étonnant que des hommes du monde,
troublaient dès lors et désolaient le sanctuaire. pour qui la faveur publique et l'argent ont ua
Tandis que de hautes vertus jettent sur l'Eglise si grand prix, tombent en de pareils désordres,

un éclat divin, l'ambition et l'orgueil se mon- quand ceux qui professent l'exemption de ces
trent au pied de l'autel. Ce que les hommes .misères n'ont point de meilleurs sentiments, et
éminents, la piété sincère, le vrai mérite redou- qu'ils traitent des intérêts éternels comme ils

tent et fuient comme un péril , la médiocrité traiteraient d'un arpent de terre, confiant à des
présomptueuse le convoite sans pudeur. Aux hommes vils, pris au hasard, le gouvernail de

yeuxde quelques-uns, le sacerdoce n'est qu'une pour laquelle le fils unique de Dieu a
l'Eglise

haute position entourée d'hommages^, une ma- bien voulu se dépouiller de sa gloire, se faire
gistrature puissante qui donne une influence homme, être supplicié comme un esclave et
considérable, de nombreux clients. La cabale mourir?
en assiège les avenues. Ce ne sont plus ses a Mais ce n'est pas tout
non-seulement on ;

bourreaux ce sont ses disciples qui tirent au


, choisit les indignes, on repousse les bons... Le
sort la tunique de Jésus-Christ. De là, les ac- but de cette conduite, c'est que l'Église ne puisse
cusations amères de saint Grégoire de Nazianze trouver de consolation nulle part et gémisse
et de saint Jérôme contre le clergé de leur dans l'oppression. Cela ne mérite-t-il pas mille
temps; de là aussi, les plaintes non moins élo- fois les foudres du ciel, ou tous les feux d'un

quentes, quoique moins acerbes, de Chryso- enfer plus terrible que celui dont nous me-
stome, et la force avec laquelle il signale, lui nacent les Ecritures? Et cependant il supporte,
encore sans autorité et sans nom, les abus, les il souffre ces maux affreux, celui qui ne veut
manœuvres de toute espèce qui déshonoraient pas la mort du pécheur, mais sa conversion et
souvent le choix des évêques. sa vie. Pourrions-nous jamais admirer assez sa
« Rends-toi, dit-il, à ces fêtes populaires où se clémence?
font les élections ecclésiasliquts. Les électeurs « Des enfants du Christ ruinent l'héritage du

se divisent; les prêtres même ne sont pas d'ac- Christ avec plus d'acharnement que ses enne-
cord. Chucun fait bande à part l'un donne sa : mis et le Christ, toujours bon leur ouvre son
; ,

voix à celui-ci , l'autre à celui-là. Et pourquoi ? cœur et les invite à la pénitence 1 Gloire à vous,
C'estqu'on ne considère point la seule chose ô Seigneur Gloire à vous quel abîme de misé-
1 I

qu'on devrait considérer les vertus du candi- : ricorde vous êtes, ô mon Ditu Quels trésors de I

dat. Un tel doit être élu parce qu'il est d'une patience vous possédez Des hommes qui, à la 1

J:.3iille illustre; un tel ,


parce qu'il est riche; faveur de votre nom, se sont élevés de la mi-
celui-ci, parce qu'il est venu de nos adversaires sère et de l'obscuritéau faîte des honneurs,
à nous; celui-là, parce qu'il est mon parent. tournentcontre vous vos bienfaits; ilsosentce
Quant à celui qui est vraiment digne, personne qu'on ne peut oser. Profanateurs insolents de
n'y songe. On allègue quelquefois des motifs vos saints mystères, ils rejettent les bons, pour
plus absurdes. Il faut admettre ceux-ci de peur quedcs méchants, des êtres perdus de mœurs,
qu'ils ne passent dans les rangs ennemis ceux- ; avec une entière liberté, avec une pai faite im-
là ,
parce qu'ils sont méchants et que, dédai- punité, bouleversent tout au gré de leur aia-
gnés, ils peuvent faire biaucoup de mal. Des lice.
êtres pervers, chargés de vices, sont élevés à la « Si tu veux connaître les causes de ce dé-
dignité sainte de prêtres, parle motif même qui sordre, tu découvriras que leur racine, leur
devrait leur interdire du temple! le seuil mère commune, c'est l'envie. Mais leur forme
Etaprèscela,je le demande, chercherons nous n'est pas la même ; il y a sur ce point beaucoup
les causes de la colère de Dieu, quand nous de variété. Celui-ci esttuut jeune: écartons-le,
li\rons ainsi les plus redoutables mystères à dira-ton; celui-là manque de souplesse. Ua
des hommes aussi médiants qu'incapables? autre déplaît à un tel ; certain personnage ver-
' Çbrys., Du Siiceid., 1. 6, c. 4, alias i. rait avec peine élire ce caudidatet rejeter celui
CHAPITRE Ql'ATRlÈME. ib

qu'il a présenté. Un antre est l)on, pltùn de pisser sous si lence ce qui est l'un des plus grands
niansuéliuic et detliaiité un autre est sévère ; moyens d'action et desdevoirs les plus considé-

pour les péulieurs. Pounlcs prétextes, on n'en rables du sacerdoce : je veux dire le ministère
manque pas ils en ont tant qu'ils veulent; et
;
de la parole. S«rait-il sans intérêt de recher-
quand ils n'en ont pas d'autres, ils s'attaquent cher comment cette (juestion a été traitée par
à la fortune. 11 ne faut, disent-ils, élever per- un hominiîqui devait être bientôt la gloire et
sonne tout d'un coup à une pareille dignité, le premier maître de la tribune sacrée ?

mais avec précaution et par degrés .... Chaque 11 établit d'abord la nécessité pour l'évêque

jour voit se former de nouvelles cabales. Mille d'unir à une doctrine profonde un talentcon-
traits malins pleiivent sur les élus, tant(iu'enfin venahle d'exposition etd'enseignement. a Pour
on fait exclure ceux qu'on n'aime pas et ad- arriver à la guérison des maladies corporelles,
mettre ses créatures. Un évèquc dans une pa- les médecins ont des moyens divers. Nous, pour
reille situation est connue un pilote (pii aurait obtenir celle des âmes, nous n'en avons qu'un,
dansson vaisseau, i)ourcon)pagnons de voyage, l'instruction par la parole. Remèdes et régime,
des pirates épiant l'occasion de le surprendre, tout est là. Elle fait l'office du fer et du feu.
lui, les matelots et les passagers '
». Qu'elle soit inefficace, tout le reste n'est rien.
Ce tableau, qui paraît chargé, est pâle cepen- Aurait-on le don des miracles, son secours serait
dant auprès de ces quelques mots de Grégoire nécessaire encore '
».

de Nazianze. a On dit, s'écrie-t-il, que l'aigle, Mais, s'écrie son ami Basile en l'interrom-
pour éprouver ses aiglons, leur fait regarder pant « Si l'éloquence a tant de prix, pourquoi
:

fixement le soleil ; s'ils clignottent, il les jette. le bienheureux Paul l'a-t-il dédaignée? Pour-
Pour nous, plus nous plaçons sur le
faciles, quoi s'est-il fait gloire de son ignorance â cet
trône épiscopal premier venu, sans nous
le égard ? »
occuper ni de son présent ni de son passé, ni de « Hélas répond Chrysostome, c'est là préci-
1

ses paroles ni de ses actions c'est un coup de ; sément ce qui a causé la ruine de plusieurs, en
dé. Les choses divines sont livrées au hasard leur faisant négliger l'étude de la vraie doc-
du jeu. Mettez un masque de théâtre au dernier trine. Incapables de s'élever à la hauteur des
des hommes, le voilà tout à coup un homme pensées de l'Apôtre, ni de saisir le sens véritable
pieux. Hier parmi les histrions et dans les cou- de ses paroles, ils ont passé leur vie entière
lisses, aujourd'hui en spectacle dans le temple dans la somnolence, attachés non pas à cette
de Dieu. Hier avocat, vendant la justice, aujour- ignorance dont se vantait saint Paul, mais à
d'hui un autre Daniel. Hier,répée nue, assis sur celle dont nul homme sous les cieux ne fut plus
un tribunal dont tu faisais un brigandage, au- éloigné que lui. Mais supposons le glorieux Apô-
jourd'hui modèle de mansuétude. Hierdanseur tre aussi peu instruit dans l'art de parler qu'ils
efféminé et le plus habile à boire, aujourd'hui le disent, que s'ensuit-il pour les hommes de

directeur des vierges et des épouses. Hier Si- notre tem|)S? Paul, en effet, possédait une puis-
mon le Magicien, aujourd'hui Simon Pierre'». sance supérieure à celle de la parole. Il n'avait

Ces scandales déplorés parChryso>tome, fla- qu'à se montrer, et, sans dire un mot, il faisait

gellés par Grégoire, cet envahissement de trembler démons. Aujourd'hui tous les
les

l'épiscopat par l'ambition et la cupidité, trou- hommes réunis dans un même lieu se répan-
vaient une grande compensation dans les vertus draient en prières et en larmes, ils n'auraient
éminentes du plus grand nombre desévèques. pas pouvoirqu'avaientjadislesvêtements de
le

Jamais le diadème de l'église ne resplendit de Paul Parses prièi es, Paul ressuscitait les morts.
.

plus de lumière et de sainteté. Loin d'altérer ou Il faisait de tels prodiges, que les païens le pre-
d'obscurcir l'idéal chrétien, les passions ruées naient pour un Dieu. Avant de quitter la terre,
sur le sanctuaire, par les hautes protestations il mérita d être ravi jusqu'au troisième ciel. Et

qu'elles inspiraient, faisaient mieux ressortir sa les hommesdenosjours... maisje ne veux rien
beauté divine. Les vapeurs condensées à l'ho- dire de blessant pour personne. Je suis étonné
rizon n'empêchaient pas l'astre de briller au seulement qu'on se compare à un si grand
zénith et de remplir l'universde ses feux. homme. Que si nous mettions de côté ses mi-
Dansunlivresurlesacerdoce,Jeannepouvait racles pour ne considérerque ses mœurs angé-
liques, nous verrions cet athlète du Chris^
• Chryi., £11 Sacerd., 1. 3, c. 12. — >
Gteg. Naz., t, 2, pp. 799
•t 801. ' Chryt., Vu Saceri., 1. i, c. 3.
,

iS HISTOIRE DE SAiKT JEAN CHRYSOSTOME.

triompher plus encore par elles que par les mi- pieds du Christ, abattant tout orgueil qui s'élève
racles». Et, après quelques mots sur les vertus contre la science de Dieu. Et tout cela, il le fait

de l'Apôtre, sur son apostolat et sa charité : par ces admirables épîtres qu'd nous a laissées
« Maintenant, poursuit-il, je prouverai que et qui sont pleines de la divine sagesse. Les pre-

Paul nefut pas un ignorant. Sansdouteil n'est nant pour guides, les chefs des églises envichis-

question ici ni du fini d'Isocrate, ni delà fierté S'int d'une beauté spirituelle cette chaste Vierge
deD(5niosthène, ni de la gravité de Thucydide, qae Paul nous représente comme la fiancée de
ni de l'élévation de Platon je fais grâce des or-
;
Jésus-Christ, repoussent les maux prêts à fondre
nements étudiés des auteurs profanes. Je ne sur elle, et lui conservent une santé inaltéra-
Qu'on n'aille
tiens ni à l'élocution ni à l'action. ble. Tels sont les remèdes que cet ignorant
pas cependant, pour excuser sa propre négli- nous a légués, et telle est leur vertu démon-
gence, ravira cet illustre Saint l'une de ses trée par l'expérience. De tout ceci, concluons
qualités les plus grandes. Et comment confon- que Paul s'était sérieusement appliqué à l'é-

dait-il les Juifs de Damas lorsqu'il n'avait pas tude de l'éloquence ' ».

encore commencéde faire des miracles ? Com- Après avoir détruit l'objection de son inter-
ment terrassa-t-il les Hellènes? Pourquoi fut-il looiteur, après avoir établi, dans les chapitres
relégué à Tarse ? N'est-ce pas pour avoir triom- suivants, qu'un évèque doit être profondément
phé d'eux parla puissance de la parole? N'est-ce instruit de la doctrine pour la communiquer
pas pour les avoir pressés si vivement, que aux autres, remède aux controverses
et porter

ceux-ci, indignésdeleur défaite, s'acharnèrent qui s'élèvent sur les dogmes, il insiste sur la
à le faire mourir ? A Antioche, quel genre de nécessité de consacrer un grand travail au dis-
combat livra-t-il, pour la défense de la vérité, cours qu'on adresse au peuple du haut de la
à ceux qui voulaient judaïser? Et à Athènes, tribune sacrée. « La plupart des auditeurs, dit-
dans cette ville le foyer de la superstition il, viennent, non pas avec les dispositions des

n'est-ce pas après avoir entendu une allocution disciples à l'égard de leurs maîtres, mais comme
de Paul qu'un membre de l'aréopage et sa des oisifs qui assistent aux représentations du
femme quittèrent tout pour s'attacher à lui ? théâtreou aux luttes du cirque. On prend parti
Quenefit-ilpasàThessalonique, àCorinthe, à pour un orateur ou pour un autre, et l'on n'é-
Ephèse, à Rome même? Il consacrait sans re- coute que pour applaudir ou critiquer. Et ce
lâche les jours entiers et les nuits à l'interpréta- n'est pas tout s'il arrive à un prédicateur de
:

tion des Ecritures. Faut-il dire ses luttes avec faire entrer dansson discours des pensées d'au-
les disciples d'Epicure et de Zenon ? Si donc trui, il subit plus d'humiliations que le dernier
nous le voyons, soit avant d'opérer des mira- des voleurs. Souvent même, quoiqu'il n'ait rien
cles, soit lorsqu'il en opérait, faire un si grand em|irunté h personne, il suffît qu'on le soup-
usage delà force de la parole, comment aurait- çonne de l'avoir fait, pour le traiter comme un
on eu l'imprudence de traiter d'ignorant celui homme surpris en flagrant délit de vol. Que
qui excitait l'admiration de tous par ses contro- dis-je?on ne lui permet pas même la fréquente
verses et par ses discours ? Pourquoi les Lycao- répétition de ses propres idées. La foule des au-
niens pour Mercure? Les miracles
le prirent-ils diteurs cherche plutôt le plaisir de l'orei lie que
purent bien Paul et Barnabe pour
faire passer le salut de l'âme. Il faut donc un esprit élevé,
des dieux mais que Paul fût pris pour Mer-
; qui puisse mettre un frein à cette jouissance
cure, ce n'est pas aux miracles, c'est à l'élo- infructueuse de la multitude, et tourne son at-
quencequ'ilfautl'attribuer.Qu'est-cequi a valu tention vers un objet plus utile, si bien que les
àce bienheureux apôtre la gloire de son nom, brebis suivent le pasteur avec docilité, loin que
qui vole de bouche en bouche par tout l'uni- celui-ci se laisse guider par leurs caprices. Or,
vers? N'est-ce pas la vertu divine descs épîtres, c'estune chose qu'on ne peut obtenir qu'à la
où les fidèles de tous les temps ont [luisé et pui- double condition de mépriser leslouanges et de
seront comme à une source qui netarira point posséder la puissance de la parole. Si l'une des
tant que le genrehumain subsistera? Ses écrits deux vient à manquer, l'autre toute seule de-
sont comme un rempart indestructible qui en- vient inutile. Si l'orateur qui dédaigne les
toure toutesleséglises del'univers. Lui,comme louanges expose la doctrine dans un langage
le plus vaillant des héros, il est encore debout dépourvu de grâce et de sel, il sera géuérale*
au milieu d'elles, enchaînant toute pensée aux Ckrri., Du Saeerd., I. 4.
CHAPITRE QUATRIÈME. 47

menttk<(l;ii£rnéetnc rolircn de la noblesse de tôt au chagrin... Souvent on choisit un misé-


ses siMiliiiK'iits îuiciiii fruit. Un antre manie rable orateur, qu'on porte aux nues par des
bien la jiarole, mais il est esclave de la faveur po- dans le but, non d'exal-
élogi's exagérés, et cela

pulaire; pour lui comme pour ses auditeurs le ter un homme sans mérite, mais de rabaisser
préjudice est le même; car, avide de louan^^es, celui qui en a... Outre ces ennemis, le défen-
il sonij'e à plaire plutôtqu'àsauver.Elde même seur de la vérité aura souvent à lutter contre
que aux attraits de la \aine
celui qui résiste l'ignorance de tout un peuple. En effet, un au-
gloire, manijue du talent de bien dire,
s'il ditoire ne se compose pas entièrement d'hom-
quoiqu'il ne soit pas le jouet des caprices du mes instruits : ils y sont d'ordinaire en petit

peuple, se met, par la pénurie de ses moyens, nombre... Aussi le meilleur discours n'est-il
dans l'inipossibililé de lui procurer un bien pas le plus goûlc... 11 faut se résigner d'avance
réel; ainsi, celui qui se laisse entraîner par à CCS absurdes jugements, excuser, pardonner
l'amour des élopes, pouvant, parla doctrine et le défaut d'instruction, aussi bien que la jalou-
l'éloquence, rendre le peuple meilleur, ne sie, et être convaincu que ni l'un ni l'autre ne
songe qu'à lui plaire et à exciter de vains ap- peuvent ôter le talent à celui qui en est doué.
plaudissements. Il faut donc qu'un excellent Un peintre éminent dans son art verrait son ta-
pasteur soit parfait sous ces deux rapports et bleau, celui qu'il a le plus soigné, critiqué par
fassemarcberde fronlees deux qualités. Alors des personnes étrangères à la peinture, qu'il
seulement, il aura la pleine liberté de se mon- n'en éprouverait aucun découragement. De
trer indulgent ou sévère... Possédàt-on à un même, leur enthousiasme ne lui ferait pas
degré supérieur le talent de la parole (ce qui est prendre pour un chef-d'œuvre un travail réel-
le privilège du petit nombre), on ne serait pas lement mauvais. Que le talent soit lui-môme le
dispensa pour cela de travailler sans relâche. juge de ses productions, et ne s'arrête pas à
Puisque c'est de l'étude plutôt que de la nature l'opinion peu éclairée et peu sûre des autres,
que vient l'éloquence, se serait-on élevé sous « Ainsi celui qui a embrassé la mission d'en-
ce rapport au faîte de la perfection, on en des- seigner dans l'Eglise, ne doit pas s'attacher aux
cendra vite, si l'on ne cultive ce talent par une suffrages de lamullitude et tomber dans l'abat-
application soutenue et un exercice continuel. tement s'ils lui manquent. Après avoir médité
D'où il suit que les plus habiles sont aussi ceux ses discours, pour plaire à Dieu, et c'est là le

qui ont le plus à travailler '... » seul but de ses travaux, non les applaudisse-
« En effet, poursuit Chrysostome, on ne par- ments s'il vient à être approuvé
et les éloges,
donne pas à un orateur cette faiblesse commune des hommes, qu'il ne repousse pas cette appro-
à tous les hommes, qui est de ne pas réussir bation; si elle lui manque, qu'il y renonce
toujours également. Si ses discours ne répon- sans se plaindre. Une assez grande consolation
dent pas exactement à sa réputation, il se retire de ses peines, la plus grande de toutes, c'est la
accablé des reproches, des traits malins de l'au- conscience de n'avoir employé son instruction,
ditoire. Personne ne songe qu'une peine subite, son talent, sa parole, qu'à entrer dans les vues
une vive préoccupation a troublé peut-être la de Dieu et à le glorifier' ».
pureté de son intelligence, et ne lui permet pas Le livre du 5acerrfoce, que ces citations déjà
d'enfanter des idées claires et précises que ;
l'o- trop longues n'ont pu cependant faire connaî-
rateur est un homme, et que par conséquent il tre qu'imparfaitement, finit, comme il avait
lui est impossible d'être toujours égal à lui- commencé, par une effusion d'humilité et d'a-
même, et qu'il est, au contraire, fort naturel de mitié. Basile en pleurs dit à Chrysoslome :

faillirquelqiiefois et derester au-dessous de ses « J'étais venu te demander la réponse àfaire


moyens... Au talent de la parole, au travail as- à tes accusateurs, et tu me congédies avec une
sidu, il faut joindre une grande patience. L'ora- autre préoccupation car ce qui m'inquiète à
;

teur est entouré de jaloux; s'ils n'ont rien à lui présent; ce n'est pas ce que je répondrai pour
reprocher, ils s'irritent de l'estime générale toi, mais ma propre justification devant Dieu.
dont il jouit... Ils le diffament, le c.ilomnient, Je t'en conjure, si mes intérêts te touchent un

lepoursuiventdeleurmaliceeten public et en peu, s'il pour moi quelque consolation en


est
particulier. Si à chaque trait qu'on lui lance, Jésus-Christ, ijuelque reste de tendresse ou de
son àme s'afflige, s'irrite, ellesuccomberabien- pitié...., tends-moi la maiu, aide-moi de tt\
• CkJyi., Du SacirJ., L 5, c. 1, 2, t. * Cbr}i.| Bu Sacird; 1. S, c. S.
48 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

parole et de ton exemple. Ne consens jamais à accès difficile , et imposant de graves devoirs.
m'abanitonner même un instant, et \ivons Jean, ce sage interprète des secrets de Dieu, ce

ensemble, plus étroitement unis que dans le grand évèque de Ryzance et l'œil de toutes les
de prudence et de
églises, l'a écrit avec tant
passé' ».
Jean lui répondit en souriant : a De quel soin,que tous, tant ceux qui remplissentselon
le cœur de Dieu les fonctions saintes du sacer-
secours serai-je pour toi dans celte foule im-
mense de devoirs? Mais puisque tu attaches à doce, que ceux qui s'en acquittent avec négli-

cJa quelque prix, ô ami bien-aimé prends I gence, y trouvent, les uns, de quoi nourrir
courage, et tous les instants dont tu pourras leur vertu, les autres, de quoi corriger leurs
disposer après les travaux d'un grand minis- vices'».

tère, je les passerai près de toi; je te soutien- Quanta l'interlocuteur de ces dialogues, on
drai de mes consolations mon dévouement ne;
n'en sait guère plus que ce qu'ils en disent.

te fera jamais défaut. Ceux qui ont vu dans l'ami de Chrysostome,


poursuit Chry sostome, il fondit
A ces mots, l'illustre évêque de Césarée, son homonyme,

en larmes et se leva. Et moi, l'embrassant et sont tombés dans une méprise grossière'. Né
lui donnant un baiser au front, je l'accom- en 329, Basile le Grand ne fut pas, ne put être
pagnai, et l'exhortai à sui>purter avec courage le compagnon d'étude de Jean d'Antioche.

ce qui était arrivé. Oui, lui dis-je, j'ai la con- L'un de l'épiscopat que l'autre
était revêtu

fiance en Jésus-Chiist, qui ta lui-même appelé n'avait pas reçu le baptême.


à la conduite de son Iroupeau, qu'en récom- Photius, en désignant Basile de Séleucie en
pense de ton saint ministère, tu jouiras d'un Isaurie, n'a pas été plus heureux; car ce Basile
assez grand crédit auprès de lui pour me sau- de Séleucie assistait en 451 au concile deChal-
ver du péril au jour solennel de sa justice, et cédoine, et écrivait en 458 à l'empereur Léon.
m'introduire avec toi dans sa demeure éter- Il est de croire qu'il eiit été sacré
difficile

nelle '1 B évêque, comme


l'ami de Jean, en 374, c'est-à-
Nobles amis ! Sainte amitié ! On en respire dire quatre-vingt-quatre ans avant sa mort,
la fleur avec délices dans ces paroles embau- d'autant plus que son prédécesseur occupait
mées d'une céleste charité. Chrysostome s'est encore le siège de Séleucie en 431 '.

peint là, tel qu'il tut avec sa foi ardente, son Ménard émet l'opinion que Basile, celui dont
humililé convaincue et profonde; cœur aimant il est ici question, pourrait bien être le même
sous un visage sévère, austère chrétien et déli- personnage que Maxime, cet autre ami de Jean,
cieux ami. On comprend qu'un tel homme dut que nous avons vu figurer dans sa société in-
être aimé, et que si son génie, ses vertus, sa time avec Théodore, et qui mourut évêque de
haute loyauté,jedirai presque la noble impru- Séleucie sur mer, près d'Antioche. Mais cette
dence de son caractère, lui suscitèrent des ja- hypothèse, absolument gratuite, n'a pour elle
loux et des ennemis, il n'inspira jamais d'atta- aucune vraisemblance.
chement médiocre. Ces âmes-là, quand une fois 11 n'y a d'admissible que l'opinion de Baro-
vous êtes entrés dans leur sphère d'attraction, nius, adoptée par Monlfaucon et soutenue par
TOUS enchaînent à elles à jamais elles vous : Stilting, d'après laquelle l'ami de notre Saint
entraînent dans la vie, dans la mort, dans serait l'évêquede Raphanée, en Syrie, signé
l'éternité. au concile de Constantinople, en 381, sous le
Du admirable traité sur le sacer-
reste, cet nom de Basile'. Raphanée était une petite ville
doce pour qu'il soit utile d'en
est trop célèbre de la Séleucie maritime, entre le château d'An-
parler plus longtemps. Tous les siècles chré- taradam et l'Oronte, à quelques pas d'Antio-
tiens ont souscrit à l'éloge qu'en a fait saint che'. Le voisinage permettait aux deux amis
Isidore de Péluse, contemporain et disciple de de se voir aussi fréquemment qu'ils se l'étaient
Jean. Ecrivant à l'un de ses amis « Je t'envoie, ;
promis, et presque de vivre ensemble.
lui dit-il, lelivre que tu m'as demandé, et j'en
attendspourtoi le fruit qu'il produit pour tout '
Isid. Pelus., ep. 156.

le monde : sa lecture pénètre les âmes et les ' Socr., 1. 6, c. 3. — Erasme a répété cette erreur dans a» vie da
Baint Chrysostome.
embrase du divin amour. Son but est de mon- ' Phot., Bibl., p. 378 ; Stilting, t. 4, sept., p. 425; Hetm., p. 50;

trer le sacerdoce comme saint, vénérable, d'un MoDtf., t. 1, p. 361 ; Tillem., t. 11, p. 13.

'Monlf., ibid. ; Stilting, ibid. ; Bar., od an, 382, n» 69. '


CtU», —
' Cbrys., Du Succrd,, 10. —
1. 6, c.
Ibii. ' Gecg. iuc-, t. 2, p. 2D8.
CIIAPITUC CiiNQUlÉME. 40

CHAPITRE CINQUIÈME.

Jean quille la ville et se relire au désert -• Mouvement général à civile époque veralasolilude et la vie monasliqnc.— Cénobites.
Organisation (iu — Charité des
raonaslère solitaires. — Trav.iil réhaliilité. — Résultats sociaux. — Saint Antoine. — Ana-
chorètes. Pierre Galale. — Zenon. — Eusèhc
le de Tliélédan. — Siinéon l'Ancien. — Macédonius. — Hésitations de Cliry-

sostome. — Lnlles intérieures. — Bonluur de la solituile. — Lettres sur la componction. — Providence. — Confession. —
Peines élernelies.

Le but des évcqties qui avaient imposé les flaiumes et de crimes, brisait, emportait toutes
mains à Basile n'était qu'ii moilié rempli. Il est choses. Les hourras des barbares, les acclama-
probable qu'ilsfircnt de nouvcllisinstances au- lions du cirque, les chants de l'orgie, l'écroule-
près de Jean, clque le do.-ir de s'y dérober fut ment des cités, les horreurs de la guerre étran-
pour beaucoup dans ladélenuinalion qu'il ne gère et de la guerre civile, les révolutions et les
tarda pas à prendre. La terreur de l'cpiscopat le bassesses du palais et de l'armée, se mêlaient
poursuivant sans cesse, et le toit maternel ne dans un affreux tumulte qu'aucune parole hu-
lui offrant pas un asile assez sûr contre sa nais- maine ne pouvait dominer. L'empire s'affaissait
sante renommée, il résolut do quitter la ville dans laboue. La Providence détournait les yeux
pour se faire oublier. de cette agonie.
Sa mère, vaincue enfin par ses prières réité- Un tel spectacle attristait profondément les
rées, et préparée de plus longue main au sacri- esprits élevés et sérieux, et les poussait à cher-
fice, se résigna-t-elle à une séparation jusque-là cher, loinde celte horrible anarchie, au fonddu
redoutée, ou lui-même, plus aguerri contre ses désert, au sommet des montagnes, la paix du
propres attendrissements, plus fort contre son monde spirituel, un abri solide, où ils pusseat
cœur, eut-il le courage de résister aux suppli- se reposer dans les délices du silence et de la
cations et aux larmes de sa mère ? Il est pro- pensée, de tant debruit, d'agitation, de douleur,
bable qu'elle était morte. Un historien l'af- et se dérober la vue de cette immense ignomi-
firme ', qu'un fils aussi
et tout porte à croire nie. Quand tout à leurs
pieds était ruine et dés-
pieux ne délaissa pas la vieillesse vénérée d'une honneur,lcur regard s'élevait vers Dieu, centre
telle mère. de tous les êtres, source de toute vie^ éternelle
Cette mort, et l'exil prolongé de Mélèce, en vérité, éternel amour, dont la beauté rayon-
laissant dans l'existence du jeune homme un nante remplit de splendeur et d'harmonie les
\ide plus grand, lui rendirent plus triste le sé- régions supérieures oii ne montent pas les pas-
jour de la ville, et précipitèrent son départ. Il sionsdes hommes. Pauvres passagers sur un es-
pritdonc le chemin de la montagne, et se retira quif en perdition, ilsavaientluttéquelquesjours
dans cette cité de la vertu ', comme il dit, foute contre la tempête mais fatigués, décourages,
;

pleine de sages, d'hommes intrépides, affran- convaincus de l'impuissance humaine à conju-


chis des passions d'ici-bas, exclusivement occu- rer la catastrophe imminente, ils étaient heu-
pés de Dieu, comme Adam dans le paradis, ou reux d'échapper à ces vagues souillées et à ces
comme les anges du ciel '. naufrages, et do s'envoler sur les ailes de la foi
Un grand mouvement se faisaitalorsdansie vers ces hauteurs sereines, voisines du firma-
inonde des âmes, sous la double impulsion du ment, où ils se baignaient et se berçaient dans
spiritualisme chrétien, et du spectacle de tris- son éther lumineux et embaumé, n'entendant
tesse et de dégoiit qu'offrait dans sa dissolution que la voix des anges dans la prière, ne respi-
la vieille société romaine. Une immense tem- rant que parfum des âmes unies à Dieu,
le

pête, tourbillonnant en rafales de sang, de fleurs immortelles du ciel.


Ce serait mal apprécier ce grand mouvement
'Georg. Alex., in ni/a Sancli.Ce que dit Fleory, d'après Her-
DAnl, qu'elle «Ivalt eocote lors du départ de Jean pour l'exil, est que de l'attribuer tout entier à une cause pure-
complé'cment erroné.
ment humaine. Le noble désir, alluiué par la
Chrys., Sem. 72 iur S. Math., p. 3. — Jd., Uom. 68 sur S.
Matb., 0. «. grâce de Dieu dans une foule de cœurs, d'arri-
S. J. CU. — TOMEI.
.

50 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

ver à une pratique plus parfaite des verlus chré- genou, appelant les pardons et les bontés du
tiennes, de s'affranchir le |)lus possible des liens Ciel sur tous les hommes, implorant pour eux
du monde et du poids de la chair pour suivre lagrâce d'honorer Dieu par une vie sainte et
de plus près Jésus-Christ ; une aspiration ar- de n'être pas exclus de ses miséricordes au der-
dente, presque irrésistildevcrs les chosessain- nier jour.
tes et éternelles, vers cette vie transcendante La prière durait ainsi jusqu'au lever du so-
révélée à l'homme par l'Evangile; un sublime leil après quoi, chacun allait au travail car
; ;

besoin d'expier et de s'immoler, furent les pre- aux champs ou dans les cellules tout le monde
miers éléments du monachisme. travaillait, les plus âgés comme les plus jeunes.
B II existe dans certains hommes, dit Mœlher, On mesurait à l'amour du travail le progrès
une qualité accordée de Dieu, en vertu de la- dans la vertu. Ceux-ci bêchaient la terre, se-
quelle l'attrait vers ce qui est spirituel et divin maient les légumes, arrosaient les plantes,
est si fort, qu'ils ne s'attachent plus à ce qui est greffaient les arbres ; ceux-là tressaient des
temporel et fini que par un
extrêmement lé-
fil nattes et des corbeilles de jonc, fabriquaient des
ger. La partie de leur nature qui est en rapport éventails de palmier, des voiles de navire, de
avec Dieu se met tellement en évidence, que la grossières étoffes de poils de chameau ; d'autres
partie opposée disparaît de cette vie. La vie de ces sciaient le bois, charriaient l'eau, servaient les
hommes est avec Jésus-Christ cachée en Dieu '
« malades et les voyageurs, copiaient les manus-
Jean fut de ce nombre, llsubit l'entraînement crits; quelques-uns étudiaient les saints livres.
de sa piété bien plus que l'influence de son Quiconqueeùt parlé de suppléer au travail par la
siècle. Mais personne mieux que lui n'a décrit prière eût été traité de Massalien et d'hérétique.
les travaux et les charmes de cette vie outre- Le mot de saint Hilarion à son corps était prover-
nature, avant-port de l'éternité, où l'homme bial parmi eux « Si tu ne veux pas travailler,
:

victorieux de la plupart des lois qui le courbent tu ne mangeras pas, et si tu manges présente-
vers la terre voit s'ouvrir devant lui des horizons ment, ce n'est que pour mieux travailler ».
vastes et libres, seuls dignes de sa pensée qui s'y Le jour était partagé en quatre parties, qu'ils
repose et s'y dilate, éblouie et attirée par les désignaient sous les noms de tierce, sexte, noue
plus radieuses perspectives de l'infini. On dirait et wyjres. Chacunecommençaitparlechantd'un
qu'il acquiert ainsi une autre organisation phy- hymme ou d'un psaume, et ainsi les saints can-
sique, d'autres conditions d'existence, un plus tiques se mêlaient à tous les travaux, et le dé-
grand empire sur le monde et sur lui-même, et sert ressemblait à un temple oîi la louange de
qu'il vit déjà de lumière, de vérité, d'amour, Dieu ne se tait jamais.
comme sous l'ère de la résurrection dans le Au milieu des cellules éparses par groupes
royaume de Dieu '. dans le vallon ou sur les flancs de la montagne,
Les solitaires se levaient avant le soleil. Leur s'élevait la modeste église où, deux fois le jour,
premier sentiment, leur première pensée, leur les tribus réunies venaient se retremper et se
premier regard montait à Dieu. Debout, autour rafraîchir à l'ombre du sanctuaire '. Le diman-
du Père, c'est-à dire du chef, le visage sou- che et le samedi, on y célébrait les saints mys-
riant, la conscience pure, le cœur plein d'une tères, et les frères, déposant la ceinture et le
douce joie, ils entonnaient l'hymne des anges : manteau, le sourire des anges sur les lèvres,
Gloire à Dieu, paix aux hommes! ou le canti- recevaient la manne
âmes tombée pour eux
des
que de David // est bon de louer le Seigneur
:
au désert. Quelquefois aussi le sacrifice spiri-
et de chanter votre nom, ô Diev, Très- Haut ! tuel était offert pour les morts. Le jour du Sei-
Il est bon de célébrer votre miséricorde durant gneur se passait tout entier dans la lecture et la
le jour et votre vérité durant la nuit. Vos mer- prière ; mais, ce jour excepté, et à part les quel-
veilles 7n'ont pénétré de joie, et j'ai tressailli ques moments accordés aux besoins du cœur ou
devant l'œuvre de vos main't. Qu'elles sont ma- aux exigences du corps, le travail ne cessait pas.
gnifiques vos œuvres, ô mon Dieu ! que vos pen- Le monastère était une manufacture chrétienne
sées sont profondes ' 1 Puis ils fléchissaient le où chacun avait sa fonction et sa place dans un
ordre parfait. Une sage organisation par tribus
* Mœlh. Athan., 1. 4, ^ers la fia.
* Pour les détails qui suivent, voir Cbrys., Eom. 8, 68, 70 et 72 et décades avait écarté à la fois les périls d'une
aur S. Matb.; Hom. 14, sur la lie à Timotti. et S. Jéli^Oie, lett. 18,
à Eustocb. et Ictt. 95 à Butt. A Ni rie l'église était desservie par buit pt«tr«9, 1] y im\l fuittrt
' Ps. 91.
églises diins le désert de Scétis.
CHAPITRE CINQUIÈME. 51

j-ililude (ixt'rènieetla confusion dcsrassenible- cédait l'usage des légumes frais et d'un peu
nienlsnombreux. Un dccurion veillait sur neuf devin. Souvent, comme Jésus au banquet qu'il
moines; un cenlnrion sur dix décuries; un su- donna dans le désert, ils s'asseyaient sur riu;rbe
liérieur. qui iiortail le nom de Père, sur tout le pour prendre leur nourriture, sans autre voûte
désert. Au travail, comme au repas, on allait sur leur tête que celle du ciel, sans autre lampe
par décuries. Le décurion distribuait et repliait pour leur table que la lune, sans autre diver-
ietravail,cncouraj;cailouréprimandaitles tra- sion au silence religieusement gardé que le
chaque soir rendait compte à Ttico-
vailleurs, et chant des oiseaux, le bruit des cascades et le

nome, qui lui-même, tous les mois, rendait nmrmiire du vent dans les arbres. El cepen-
compte avec la plus ;;rande exactitude au supé- dant la vie hommes se prolongeait calme
de ces
rieur ou au PiMC. Chaque chef de section répon- et sereine, commeun beau jourd'automne, jus-
dait de la famille contiée à ses soins, y mainte- qu'à plus extrême vieillesse. Nul besoin de
la

nait jour et nuit l'ordre et la règle, et pour cha- médecin parmi eux. La plupart des maladies
cun de ses membres était un guide, un conso- qui sont l'apanage des gens du monde, leur
lateur, un ami. La charité la plus parfaite étaient inconnues; et l'on eût dit qu'un reflet
unissait les subordonnés aux chefs, et, la pen- de cette vie future, où leur pensée plongeait
sée de Dieu vivifiant le travail, le travail nour- sans cesse, en se répandant sur leur âme, com-
rissait dans les âmes la pensée de Dieu. muniquait à leur organisme même une im-
Les solitaires ne portaient que des vêtements mortelle jeunesse.
grossiers à la façon d'Elie ou de Jean. Le //e«,le Le repas du soir finissait par cet hymne que
mien, a cette froide parole», dit Chrysostome, Chrysostome nous a conservé « Béni soit le :

leur était inconnu. Ils ne possédaient rien, si ce Dieuquiaprissoindemoi dès ma jeunesse, et


n'esten commun. Une fraternité touchante, donne à toute chair sa nourriture Remplissez I

une mutuelle prévenance confondaient dans notre cœur d'allégresse, afin que, forts de votre
une parfaite égalité les esprits divers. Même grâce, nous abondions en toute bonne œuvre
pauvreté, même obéissance. Au fond, nul ne en Jésus-Christ, notre Seigneur, à qui la gloire,
commandait, toussedévouaient. Pas lemoindre l'honneur, l'empire, dans tous les siècles.
vestige d'orgueil chacun se regardait comme
: Amen Gloire à voiis, ô Seigneur Gloire à
I !

inférieur à son frère ; c'était à qui s'occuperait vous, ô Saint Gloire à vous, ô Roi qui nous
! I

des offices les plus bas et les plus pénibles, à qui donnez notre pain dans une joie pure. Donnez-
Se montrerait plus humble et plus charitable. nous aussi votre esprit, pour qu'à vos yeux,
Quelque nom qu'il eût porté dans le monde, nous trouvions grâce quand vous vie ndrez nous
quelque rôle qu'il y eût joué, chacun devenait juger' » Le chant cessait l'un prenait Isaïe,
1 :

àsontouret par semaine leserviteurde sadé- l'autre saint Paul ils s'entretenaient avec ces
:

curie, coupait le bois, portait l'eau, soignait les grandes âmes, cueillant sans effort, dit Chry-
malades, lavait les pieds des étrangers; car ces sostome, le miel délicieux de ces fleurs divines.
hommes, si rudes pour eux-mêmes, exerçaient Quelques-uns conversaient entre eux, et se
admirablement l'hospitalité. La vénération du communiquaient l'un l'autre les impressions
peuple leur attribuait le don des miracles et le du jour. On laissait éclater l'admiration long-
pouvoirde guérir toutes les maladies; aussi leur temps contenue pourlesœuvresduCréateuren
amenait-on de loin les infirmes, les estropiés, présence de cette nature si grande, sous un ciel
les incurables ; du moins ils les consolaient et si splendide, au milieu de ce recueillement si
les bénissaient. Le monastère était l'infirmerie profond. On philosophait doucement sur Dieu,
universelle de la contrée, l'asile aimé de toutes sur monde, sur les choses visibles et invisi-
le
les souffrances de l'âme et du corps. bles,surlaviletéde lavie présente, sur la gran-
Habituellementlesascètesnemangeaientque deur de la vie future. C'était une assemblée de
coucher du soleil, et rien n'était
le soir a[)rès le sages, délibérant, entre le ciel et la terre, des
frugal commeleur repas. L'eau d'une source plus hauts intérêts de l'humanité; hommes sur-
pure désaltérait leur soif; le pain gagné parle humains, ressuscites, pour ainsi dire, avant
travail apaisait leurfaim.Un peud'huileetquel- d'être morts, et plus semblables aux habitants
quesfruits,ajoulés au pain, étaientle régaldes de ceux du temps; fantômes vé-
l'éternité qu'à
fêtes. Aux infimes, aux vieillards, aux hommes nérables, enveloppés d'une vapeur lumineuse,.
tropjeunes.auxtempé'amcnls délicats, on con- ' Cbry» , Bom, 55, Bur S. Milh,
S2 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

et prêts à s'évanouir dans le dernier rayon du afin que nous prenions sous notre conduite
soleil qui éclairait ces nobles visages transfigu- ceuxqni ont perdu leurs parents, et que, selon
rés et ces grandes scènes de la nature. l'ardente charité de Job, nous devenions les
La journée finissait, comme elle avait com- pères des orphelins. 11 faut les élever, pour-
mencé, par un chaut sacré, peut-être l'iiymiie suit-il, avec toute sorte de charité, comme les
du soir des premiers chrétiens « Lumière : enfants de la famille religieuse '
».
joyeuse de la sainte gloire du Père, immortel, Ainsi, la pénitence volontaire dans la vio
céleste, bienheureux, ô Jésus-Christ
saint, ! monastique n'était pas seulement une manière
Venus ici au coucher du soleil, en contemplant d'accomplir cette loi d'expiation imposée à la
Icsclartésdu soir, nouscélébrons le Père, et le nature humaine, et devenue dans le Christia-
Fils, et le Saint-Esprit de Dieu* ». D'écho en nisme la loi de salut et de vie. Elle n'avait pas
écho, de montagne en montagne, la nuit disait pour unique but d'apprendre à l'homme à
à la nuit ces belles paroles ;
puis tout redevenait vaincre des appétits tyranniques, à redresser
silence. Les pères se couchaient tout vêtus sur des instincts pervers, à se donner sur lui-même
une natte étendue à terre, et dormaient quel- une puissance nécessaire, à pratiquer la pa-
ques heures d'un sommeil léger, jusqu'à ce que tience, le désintéressement, l'abnégation, ver-
le premier chant du coq, le premier souffle de tus qui devaientrégénérerlemonde. Onlui doit
l'aurore, vînt réveiller l'hymne assoupi sur aussi ce résultat importantetjustement remar-
leurs lèvres. Chaque jour était une nouvelle qué d'avoir réhabilité le travail dont l'esclavage
strophe de cet hymne d'amour que l'éternité avait dégradé le caractère et arrêté le dévelop-
seule doit achever. Ils l'entonnaient dès le ma- pement.
tin, reprenant chaque fois avec une ardeur plus Dans la société païenne, en effet, l'esclave
grande leur obscure et noble mission, la plus avait supprimé l'ouvrier. Le patricien, le riche
noble que l'homme ait reçue ici-bas, celle de propriétaire trouvait sous sa main, parmi ses
bénir Dieu au nom de la création, de l'invoquer esclaves, tous les talents et tous les métiers. De
au nom de l'espèce humaine, de l'adorer, de le là, l'horreurdeshommeslibrespour l'industrie
prier pour ceux qui oublient de le prier et de et le travail, horreur que la loi elle-même avait
l'adorer, et de s'offrir à sa justice, comme les consacrée. «Nous regardons comme sordideset
hosties émissaires de tous les péchés et la pro- bas, disait Cicéron, les métiers des mercenaires
pilialion du monde. et de tous ceux dont on achète le travail car le ;

Celte vie plus que sobre était loin d'absorber salaire même est pour eux un contrat de servi-
le produit de leurs travaux. Le superflu d'un si tude. Les artisans, ajoutait-il, sont tous, par
strict nécessaire appartenait aux malheureux. leur profession, gens vils et méprisables, et il

On ne travaillait pas seulement pour subjuguer ne peut y avoir rien de noble dans uneboutique
le corps, mais pour exercer la charité '. « Les ou un atelier'». Et, avant l'orateur romain, le
moines, disait saint Pacôme, ne sont faits que philosophe de Stagyre parlant de la classe ou-
pour secourir leurs frères ' », et cette parole vrière n'avait-il pas dit : « Leur existence est
était la règle deleurconduite. Oneùtditqu'ils dégradée, et la vertu n'a rien à faire avec les
se regardaient comme les fermiers des pau- occupations habituelles des artisans, des mar-
vres: admirablesfermiers qui se refusaient tout chands et des mercenaires' ? »

à eux-mêmes, et, avec une persévérance hé- Mais, quand des hommes que la vénération
roïque, défrichaient le désert, fécondaient les publique regardait comme les élus de Dieu,
rochers, pour créer des revenus à des hommes eurent voué leurs mains libres et saintes au tra-
qui n'avaientrien. Lepauvreétaitaccueillichez vail quand on vit des magistrats, des séna-
;

eux comme un ami, presquecomme un maître; teurs, des personnages d'illustre lignée, posses-
on l'entourait de soins affectueux on se dispu- ; seurs de fortunes immenses, quitter tout pour
tait l'honneur de lede préparer sa
servir, devenir, vêtus de bure, d'humbles ouvriers du
couche, de veiller près de lui s'il était malade. monastère et passer leur vie à bêcher la terre,

Le monastère était aussi l'asile des orphelins. à tresser des joncs, à tisser le chanvre ou le poil
8 Nous approuvons, disait saint Basile, qu'on y de chameau quand les législateurs des com-
;

reçoive les enfants dès leur première jeunesse, munautés religieuses eurent posé le travail

• Cruice, Histoire de TÉgliie de Rome, p. 76.—' S. Bas., Beg. fus. ' S. Bas., Heg., fus. tract., Intettog, 15. - ' Clo., de Of/ic.,l, iS
tract,, iDterrog. 37. — • TiUera., Mm., t. 7, p. 192-205. — • Ariltot., Polit,, 6, 4,
CHAPITRE CINQUIÈME. 53

une rapidité merveilleuse, l'exemple de saint


comme une règle de la vie parfaite, on ne rougit
inamiellos, li'S niétlLTS ne Antuiiif alluma dans une foule d'âmes ledésir
jikis lies occuiialioiis
comnieni; à de tout pour s'agréger à son céleste //i.s-
iiniller
furent [.lus une flélrissurc, et l'on i

///!<; '.liientùt «les montagnes se couvrirent de


approcier, à lionorer le travail, qui, selon
la

saint Chrysoslonie, continue mona.-tères tout remidis ilc chœurs divins, qui
belle pensée île
cliant.iient,éludiaicnt, priaient, se réjouissaient
dans le momie l'œuvre Je Dieu, et n'est pas suu-
Icment pour l'Iionnne une exjjiation du péclié, dans l'esiiérancedeschoses futures, cherchaient
mais un préservatif contre ses atteintes, une dans le travail une source d'aumônes. La con-
source pure de bonnes œuvres et de vertu
'. corde et la charité régnaient i)armi eux on :

Etdemèmeque, dans le iiaganisme, Tescla- eût dit un monde à part habité par la justice et
a Là, dans ce désert plus beau que
vage avait avili et paralysé le travail dans le la piété '
;
» .

Christianisme, àson
le travail libre réagissait vous ne voyez que des milliers d'an-
le paradis,

tour surlescsclaves,ettn diminuait le nombre. ges sous une forme humaine, des peuples de
Ainsi, la vie monastique, inspirée par des martyrs, des réunions de vierges, et le règne
motifs do l'ordre surnaturel, oiiérait dans l'or- de Jésus-Christ dans toute sa splendeur. Là, les
dre social une heureuse révolution. Elle était femmes disputent aux hommes la ()alme de la
en outre un merveilleux instrument de cha- sagesse et de l'héroïsme, et la pureté de la foi
rité '. Chaque panier, chaque filet sorti des est égale à la sainteté des mœurs. Lecielétince-
mains dts solitaires, cliaciue épi arraché à la lant d'étoiles frappe moins mon regard que
montagne, en sus de leurs besoins si réduits, cette solitude d'Egypte avec ses innombrables
se vendait au profit des pauvres; et de ces cellules de religieux. Débarrassés des sollici-

pieux bénéfices, produit mixte et sacré de la tudes de la vie présente, crucifiés au monde,
pénitence et de la charité, on formait, en faveur ils travaillent avec ardeur pour subvenir aux

des infirmes, des vieillards, des indigents de la besoins des pauvres car, parce qu'ils veillent et ;

contrée, une caissed'épargne et de prévoyance, jeûnent, ils ne s'abandonnent pas pour cela à
toujours ouverte et prête à intervenir pour l'oisiveté ; mais, après avoir consacré la nuit
combler ces cruels déficitsque l'âge, la maladie, aux hymnes, ils passent le jour dans la prière
des circonstances malheureuses laissent si sou- et le travail des mains '». «A la vue d'une orga-
vent dans l'existence d'un grand nombre nisation si admirable, ajoute saint Albanase, on
d'hommes. Et voilà comment, sans tempêtes et ne peut que s'écrier Que vos pavillons sont :

sans violences, sans déchaîner la horde sauvage beaux, ô Jacob ! Que vos tentes sont belles, ô
des convoitises, sans ébranler une assise ni une comme des vallées couvertes
Israël ! Elles sont
pierre de l'édifice social, en partant de la seule comme des tentes que le Sei-
de rjrands arbres,
idée d'abnégation et de sacrifice, avec ces deux gneur même a affermies, comme des cèdres
mots incessamment répétés à l'oreille du riche plantés sur le bord des eaux '».
et du iiauvre Expiez vos péchés ; aimez-vous
: L'histoire de saint Antoine, écrite par saint
les uns les autres, comme Jésus-Christ vous a Athanase, et rapid nient |)ropagée, répanditau
a/we's; voilà, dis-je, comment le Christianisme loin dans tout le monde chrétien l'idée et le
changeait peu à peu la face du monde, et jetait désir de cette vie merveilleuse. La Palestine se
au sein de l'humanité de nouveaux principes peupla de monastères. La Syrie devint une
iviûcateurs. seconde Thébaïdo. Le Liban et l'anti-Liban,
L'Egypte avait vu la première explosion de l'Amanus qui sépare la Syrie de la Cilicie, le Ca-
l'esprit monastique, a Cette terre, qui fut, dit sius qui domine Antioche du côté du midi et
Chrysostome, la patrie et la mère des jtoëtes, que les anciens ai)pelaientaussi le mont du so-
des philosophes, des magiciens, qui inventa ou leil,parce que le grand astre, d'après eux, y était
propagea touslesgenresdeprestigesetde trom- visible trois heures avant de se montrera l'ho-
peries, en donnant asile à Jésus fugitif, avait rizon de la plaine ', leTélamissus, dont les bras
contracté avec lui une espèce d'intimité qui la allongés, couverts de lauriers, de myrtes, de
rendit plus docile à la voix de ses apôtres, plus
prompte à se pénétrer de son esjjrit ' », Avec • Athan., in vit. S. AnI., n. 14. —
• Athan., in vit. S. Ànt., n,

44.— '
Chrys., Bom. 8, eur S. Matb., n, 5 et 6, —
• Llv. des nonjb,,

2, 4, 5, 6.
' Chrj»., aur c«s parolct ; Saluet Prisca, n. 5. —
S. Aag., dt
' '
Amm. Marc, 1. 22, uo 11. — L'emporeur Adrien passa une nuit
Mvrih. Ecel. t. I, p. 711. Oneratat navfM in ea loca millant, qua lur le Casius pour voir le lover du soleil, Jult«0| DVtDt eoo expiditioa
i»OfM incotunl. — ' Cbrys., Som, 8, sur S. ïUUu i» P»ne, viBt J offrir dca taciUicu.
b4 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

térébinthes, enceignaient de leur vaste crois- de ceux qui aiment de se plaire dans la vue,
sant une plaine siii)erbe, où de nombreuses non- seulement de l'objet aimé, mais de toutes
villas et une admirable végétation rivalisaient les choses qui lui ont appartenu ou servi, telles

de splendeur et de luxe: toutcela était couvert que sa maison, ses vêtements, sa chaussure.
de cellules, et, suivant l'expression du Théodo- Pierre, comme l'épouse des Cantiques atteinte
ret, émailié, comme une prairie, de fleurs cé- de la blessure d'amour, poursuivait l'ombre
lestes ', même de sonbien-aimé ; il voulait voir la source
En dehors des de la loi du mo-
cénobites et d'où le salut avait jailli sur le monde ' ». Sa
nastère, on comi)lait, aux environs d'Anlioche, piété satisfaite, il vint à Antioche et se fixa sur
un grand nombre d'anachorètes. Ces hommes la montagne. Ayant avisé là un sépulcre vide,
à part avaient poussé la guerrecontre les sensà élevé sur un grand socle et auquel on ne pou-
un degré difficile à comprendre. Une cabane, vait arriver qu'au moyen d'une échelle, il l'a-

une une tombe vide, comme il en exis-


grotte, dopta pour sa demeure. Il ne mangeait que tous
tait beaucoup surles flancs du Casius, un ravin, les deux jours un peu de pain etd'eau compo-
;

une fissure dans le marbre de la montagne, sait son repas. Il possédait le don des miracles:
leur servaient d'asile. Un groscilice et un pau- l'imposition de ses mains, le simple contact de
vre manteau, appelé sisyra, étaient leur seul ses vêtements guérissait les malades. Aussi le

vêtement. Ils couchaient sur la paille, souvent piédestal de cet autre Stylite était-il sans cesse
sur la terre une, chargeaient leurs corps de entouré. On venait de tous côtés réclamer sa
chaînesde fer, mangeaient etdormaientàpeine, bénédiction, et il profitait de cet empressement
et l'on eût dit qu'il n'y avait ni austérité ni sup- populaire pour parler de Dieu et prêcher son
plice qui pût assouvir leur étrange soif de souf- amour. La plate-forme de son sépulcre était sa

frir et d'expier. Toutefois, rien n'était moins tribune sesdiscours roulaient sur l'observation
:

stérilepour la cause de l'Evangileet le salutde de la justice, sur le crime de l'usure, sur les

l'humanité, que ces actes extraordinaires qui, égarements de l'orgueil et l'abus des richesses,
aux yeux du monde, taisaient ressembler leur sur le devoir de l'aumône et la charité, sur
vertu à la folie. Le spectacle d'hommes si déta- l'obligation de songer au bonheur des autres
chés des intérêts d'ici-bas, morts aux plaisirs et en songeant à soi-même. Sa parole, qui venait
aux passions, d'une vie si pure, d'un calme si du cœur, remuait les cœurs. On ne l'entendait
imposant, qui portaient sur leur front pâle un pas sans se sentir entraîné à aimer la vertu, à
visible reflet du ciel, faisait toujours sur les détester le vice. Une femme jeune et pieuse,la
foules une grande et sainte impression. Ils mère de Théodoret, vint un jour au pied de
allaient dans les villages, oîi régnait encore cette étrange demeure demander une grâce à
l'idolâtrie, parler de Jésus-Christ et de son l'homme de Dieu elle était vêtue de soie, parée
;

royaume. Mal accueillis souvent, repoussés et fardée suivant l'usage du temps; car, ajoute

quelquefois, ils finissaient par vaincre, à force son fils, elle n'avait pas encore atteint la per-
de douceur et d'humilité, les résistances les fection qu'elle pratiqua depuis, et n'avait que
plus opiniâtres. Il y a tant de force dans l'oubli vingt-trois ans. «Ecoute, ma fille, lui dit l'ana-

de soi-même C'est là ce qui rendait leurs dis-


1 chorète supposons qu'un peintre du premier
:

cours si puissants. Grâce à eux, le Christianisme mérite ait fait, suivant toutes les règles de l'art,
s'établit dans des contrées jusque-là rebelles '. un portrait magnifique, et qu'un ouvrier igno-
Parmi les hôtes pieux de la montagne, au rant vienne, d'une main inhabile, promener le

milieu desquels vint s'abriter le fils d'Anthusa, pi nceau sur cette œuvre, retouchant les sourcils,

on comptait alors Pierre le Galate, Macédonius corrigeant les paupières, mettant du blanc au
le Crilhophage, Romain, Sévère, Zenon, Eusèbe front et du rouge aux joues ;
penses-tu que le

de Téledan, Malchus, Aphraate, et une foule véritable artiste supportera sans se fâcher cette
d'autres dont les noms, ignorés des hommes, profanation de son œuvre ? Eh bien ma fille. !

sont connus de Dieu. Dieu se fâche aussi quand il vous voit, vous au-
Pierre était venu de Galatie en Palestine pour tres femmes chrétiennes, ajouter de prétendus
voir les lieux, dit Théodoret, où le Sauveur a embellissements au chef-d'œuvre de ses mains,
souffert, et repaître ses yeux de vestiges adorés. Avez-vous donc la prétention de faire mieux
a Car, poursuit le pieux narrateur, c'estle propre que lui ? Son art est-il en défaut? Voulez- VOUS
• ïli«od., Ais(., 1. 4, c. 28. — ' Sozoœ., 1. 6, c. 31. • Tbéûd., vit. pal., c. 9.
.

CHAPITRE CINQUIÈME. ss

l'accuser K'ipnorancc? Laissez, de grâce, ces à côté d'Amnien, ils lisaient l'Evangile ensem-
ajiisleincnls cl ce l'anl i|iii altèrent la pensée tiu ble, suspendant la lecture de temps à antre
Créateur, et ne \ous attachez pas à une beauté poursc communiquer mutuellement lessaiutes
iiii'i'tfuse, funeste même à la vertu ». pensées qu'elle faisait naître dans leur cœur.
Zenon était allaclié à la maison militaire de Au bas, dans la plaine, des laboureurs tra-
Yalens : la cataslropliede son maître l'impres- çaient les sillons de leurs champs. Eusèbe,

sionna si fort, qu'il dit adieu au monde et vint distrait, les suivait macliinalement de l'œil il ;

habiter la montagne d'Antioclie. Lui aussi, il n'entendit pas les derniers mots que venait de

prit un ancien sépulcre pour sa cellule. Ame lire Amnien. Celte distraction lui parut un
élevée et contemplative, dos qu'il eut rompu crime. Pour s'en punir, il se condamna à ne
avec la terre, la terre cessa d'exister pour lui. plus sortir de l'étroit sentier qui menait de sa

Dieu seul occupa sa pensée scsjours, ses nuits: cellule à l'oratoire du monastère, et se garrotta
furent des extases. Possesseur d'une grande for- si bien tout le corps avec des chaînes, qu'il lui
tune, il vivait dans la plus rigoureuse pauvreté. fut possible de porter ses regards sur le vallon

Une poignée d'herbes sèches sur la pierre était ni de les élever vers le ciel. Il passa ainsi
sa couche; la moitié d'un pain de six onces, sa quarante ans ; et ([uand on lui demandait la
nourrituredechaciuejour. Il allait cliercher au raison d'une austérité si étrange, il répondait
loin l'eau qui lui servait de boisson. Théodoret, en souriant : « J'amuse le démon à ces petites
\isit mt la montagne, le rencontra, comme il re- choses, où il gagnerait peu, quand même il me
venait de la fontaine, écrasé sous le poids de vaincrait,arinqu'ilnem'attaquepassur l'humi-
deux cruches pleines et, ne le connaissant pas
; : lité, lajustice oulesantres vertus essentielles' »

a Où est l'admirable Zenon, lui dit-il ? Admi- — Quelques années plus tard, Siméon le Stylite

rable Zenon? répondit le solitaire, personne ici vint dresser là sa colonne.


ne porte ce nom-là » Son humilité même le fit
. En ce moment, un autre Siméon, surnommé
reconnaître à son visiteur. l'Aacien, remplissait la Syrie du bruit de sa
En 404, les Isaures se répandirent comme un sainteté. Ai>rès avoir fondé sur le mont Amanus
torrent sur la Syrie. Ils pillaient les monastè- deux monastères, qui devinrent sous sa direc-
res, égorgeaient les moines rien n'échappait : tion deux grands foyers d'apostolat, il s'était
à leur fureur. Zenon, à genoux dans le tombeau retiré dans une caverne, «où, seul à seul avec
qui lui servait de demeure, et tout entier à sa Dieu, disait-il, il ne parlait qu'avec lui, ne
prière, ne vit, n'entendit rien de ce qui se pas- voyait, n'entendaitque lui ». Son visage portait
sait autour de lui. Des anges veillaient à sa l'empreinte de ces divines communications, et
porte, et repoussèrent les ravageurs '. son âmeavait retrouvé cetempiresur lanature
Au fond de l'anse formée par le Télamissus, qui fut le privilège du premier homme avant le
entre une multitude de villas opulentes, se péché. Les bêtes féroces elles-mêmes, subju-
montrait un bourg populeux appelé Télédan, guées par son regard, obéissaient à sa voix. On
étage sur les dernières pentes de la montagne raconte que deux voyageurs juifs s'étant éga-
toute couverte de myrte, de lauriers, de pins rés au désert, au milieu d'une horrible tempête,
et de cèdres jusqu'à la based'un pic énorme qui vinrent chercher asile dans sa grotte, où les
lasurmonte, alors couronné des ruines pitto- accueillit une charité ravissante. L'orage [tassé,
resques d'un temple païen. .\u milieu dece bois, le Saint fit un signe, et deux lions se présentè-
en face de la mer qu'on voit resplendir au loin, rent avec le regard et l'attitude dociles de deux
le solitaire Amnien avait réuni une colonie chiens, a Allez, leur dit Siméon, et conduisez
d'ascètes.La voix de leurs cantiques se mêlait mes hôtes au terme de leur voyage ». Et ses
aux soupirs du vent dans les cèdres, et la mon- ordres furent exécutés ponctuellement ^
tagne entière était comme une grande harpe Macédonius se nourrissait de grains d'orge
aux sublimes accords. Eusèbe fut mis à la (cte trempés dans l'eau, d'où son nom de Critho-
du monastère mais son exemple seul tenait
; phage. 11 n'avait pas de cellule un ravin de la ;

lieu de commandement. Son regard allumait montagne lui servait de retraite et d'abri. De-
dans les âmes les plus lâclus le feu de la sienne. venu vieux et infirme, il se permit de manger
Plein d'indulgence pour tous, il était impitoya- un peu de pain. «Car, disait-il, si pour m'étre
ble pour lui- inéme. Un jour, assis sur un rocher refusé quelques aliments, j'abrégeais ma vie,
• Théod., lôid., c. 4. — /bid., c 0,
S6 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

j'abrégerais aussi mes combats, et Dieu me trai- que de mauvais légumes ' ; et en un mot, j'étais
terait comme un làclie qui déserte la bataille fort préoccupé de mon corps».
au momcntdécisif. Vivre dans rimmolalion est Il s'indigna de sa faiblesse et se précipita au
encore mieux que mourir d'inanition ». Nous désert. Un saint vieillard, austère entre les
verrons plus tard, lors du malheur d'Anlioche, plus austères, se chargea de l'initier à cette nou-
cet homme sans lettres voler au secours de la velle existence. Mais en quelques mois l'élève
ville menacée, et, avec cette audace sainte que était le rival » du maître. Toutce que la vie des
la charité seule inspire, braver le courroux de ascètes avait de plus âpre aux sens, de plus
l'empereur entendre de flères et belles
et faire propre à mater l'orgueil, à briser la volonté,
paroles. L'évè jue Flavien, pensant qu'une si Jean l'embrassa de toute l'ardeur de son âme.
haute vertu serait une riche parure du sanc- La souffrance, plus vivement sentie dansuneor-
tuaire, imposa les mains à Macédonius, et l'or- gauisation délicate et frêle, lui donnait une plus
donna prêtre; et telle était la simplicité de l'ana- vive soif de souffrir. Il savourait le martyre
chorète, qu'il laissa faire le pontife sans trop qu'il avait redouté.
savoir ce qu'on voulait de lui. Quand il le sut, Quatre ans s'écoulèrent ainsi, sur lesquels
il en re[iroches car, à aucun prix, il ne
éclata ; nous avons peu de renseignements '. Connut-il,
voulait quitter sa solitude chérie. Il en reprit lui aussi, ces tempêtes de l'âme qui troublaient
donclechemin, et s'y attacha plus que jamais. au milieu de ses travaux le grand solitaire de
Privé de la lecture des saints livres, il travail- Calcis ? Ces quelques mots, écrits à celte époque,
lait et priait sans cesse. ne nous permettent pas d'en douter. « Ici même,
Un chasseur l'ayant rencontré sur la mon- dit-il, dans le silence et la paix qui m'entourent,

tagne, et lui demandant ce qu'il faisait là, tou- d'absurdes passions viennent m'attaquer* ». Il
jours seul: «Et toi? lui dit le solitaire, tu est vrai qu'il ajoute aussitôt : a Le feu que n'ali-
chasses? Moi aussi. Mais, au lieu de courir mente pas le regard donne une flamme moins
après les bêtes fauves, je cours à la poursuite de vi ve ' » , Et, sans doute, dans une nature comme
mon Dieu. Je voudrais le saisir, le posséder, le la sienne, riche d'imagination et de sentiment,
voir. De cette belle chasse je ne me lasserai ja- mais sereine et radieuse, et de bonne heure éta-
mais. »
'
blie dans le monde de la pensée et de la prière,
Voilà quels étaient les hommes auprès des- la lutte devait être moins orageuse et moins
quels Jean prenait le parti de fixer sa demeure. longue. Le bruit des fêtes à peine entrevues n'a-
Il allait réaliser enfin le rêve de ses jeunes an- vait laissé dans sa vie qu'un faible écho, et il
nées et vivre au gré de ses nobles désirs. Mais, n'avait pas, comme Jérôme, à se garder sans
au moment de franchir le seuil paternel, il cesse contre d'importunesapparitionsetd'obsti-
hésita. Quelque attrait qui poussât vers la
le nés souvenirs. Mais il portait dans sa poitrine
solitude, il ne i)Ouvait s'arracher à ce toit qui un cœur d'homme, le plus opiniâtre des enne-
avait abrité une de sa vie, sanc-
si belle part mis ; et si la victoire fut complète, elle fut aussi
tuaire de paix et de bonheur, consacré par les disputée. Plus tard, en effet, courbé sous le
larmes et la chasi;té de sa mère. poids des ans et de l'apostolat, il aura à soute-
Au déchirement d'un grand adieu se joi- nir encore de rudes assauts, et, du haut de la
gnaient une foule de petites appréhensions. chaire de Byzance, en fera publiquement le
il

Sa résolution chancelait entre ses regrets et ses touchant aveu, a Viens à moi, dira-t-il au pé-
craintes. Après avoir longtemps aspiréà cette cheur, et recouvre avec moi la sauté. Car moi
vie d'obéissance et de sacrifices, il ne compre- aussi je suis homme, et soumis comme toi aux
me deman-
nait plus qu'elle fût possible. « Je passions de la nature humaine: j'ai besoin de
dais à moi-même, écrit-il, comment je ferais paroles qui allègent le poids de ces lourdes
pouravoirmon pain fraistous les jours; sijene chaînes. Moi non plus, je ne mène pas une vie
serais pas condamné à me servir pour mes ali- paisible, sans soucis et sans troubles. Je suis
ments de la même huile que pour ma lampe ;
bouleversé par les orages de la concupiscence,
si jene tomberais pas entre les mains d'un en proie aux flots soulevés ' ».
supérieur impitoyable qui m'obligerait à bê- Quoi qu'il en soit, le jeune cénobite devint
cher la terre, à scier le bois, à porter l'eau, à bientôt l'admiration desanciens. On lui décerna
travailler comme un mercenaire, à ne manger
' Chrys., dû
compOQCt.
la —
' Pall., dial., c. 5. • — Pall., ibid,
— ' Chrys., Du Sacerd 1. 6, n. 12. ,
' —
Chrys., ibid. — ' Chljr».,
; Théed., ibid., c. 13. ilom.,1'' parmi les uouv. cdit.de Moatf.
.

CHAPITRE CINÛUIÈME. 87

h préfidcnce du monastère, qu'il refusa •.Mais plus d'une fols, il dut s'écrier avec le Prophète :

son humilité, qui dcclinait cet honneur, ne Ceux que vous aimez, ô mon Dieu ! vous les
l'cinpcclia pasd'tMiv, niilgiclui, l'oraclo et le abreuvez au torrent de vos voluptés *

nnuièlf de tous les hôtes île la moiitaj-ne. George Le reflet de ce bonheur est visible sur toutes
d'Alexandrie,etleshagiographesqui le suivent, les pages tombées de sa plume à cette époque.
nous montrent, comme un antre Antoine,
le Il en emporta le parfum, imprégné pourainsi

remplissant le désert de jjrodigos. D'un mot, il dire dans ses vêlements, partout et toujours
rend la vue aux aveugles, la santé aux malades. après avoir quitté la montagne. Ou le sent, on
Au milieu de la contrée que ravage un lion, il lo respire dans ces paroles écrites beaucoup
fait dresser une croix, et la tète féroce vient plus lard :

tomber morte au pied de la croix'. Mais, pour aCoinparcz, dit-il, la viede ces hommes qui
admettre detels récits, il faudrait une autreau- se sont crueilicseux-mèmes, à celledes hommes
torité que celle de George. Ce qui est plus cer- du monde, la plus douce même et la plus déli-

tain,c'estquenul, entre les ascètes qui l'entou- cate. L'une estla mer avec ses tempêtes; l'autre,
raient, ne goûta mieux que Jean le charme le port avec sa sécurité. Loin des villes et du

ineffahle de celte vie libre et sainte, en présence forum, loin deloutbruit, les solitaires mènent
de la nature, dont le sentiment était si profond sur la montagne une vie qui n'a rien de com-
chez lui, et de Dieu, dont la pensée remplissait mun avec la vied'ici-bas; ils ne sentent plus les
son cœur'. passions humaines. Plus de sollicitudes de la
Il est aisé de comprendre, d'ailleurs, qu'un forlune, plus de soucis ni de douleurs: plus de
homme de cette trempe, avec sa foi vive, avec trahison, ni de jalousie, ni d'attachements cri-
sa belle imagination, et cette de feu dont âme minels, ni rien de semblable. A l'ombre des
toutes les ardeurss'ctaient toujours concentrées bois, au bord des fontaines, au sommet des
sur un seul objet, dut aspirer à Dieu plus que montagnes, dans une paix profonde, ils pen-
jamais dans la solitude, se porter à Dieu avec sent au ciel, ils s'entretiennent avec Dieu. Leur
plus d'énergie, à mesure qu'il s'arrachait plus toit est à l'abri de toute agitation, leur âme

complètement aux influences terrestres et que exempte de souillure et de maladie, libre de


l'atmosphère des hommes pesait moins sur lui. foute chaîne, affranchie de tout fardeau, plus
Immatérialiser son corps, ne pouvant s'en af- pure que l'or le plus pur. Leurtravail est celui
franchir, c'était son ambition et il put croire ; d'Adam dans l'état primitif, avant le péché,
parfois qu'elle avait atteint son but. Aux triom- lorsque, vêtu de gloire, il vivait dans l'intimité
phes remportés sur ses sens, au silence prolongé de Dieu, et que sa demeure était pleine d'une
des passions, à l'essor brûlant de sa prière, il parfaite félicité. En quoi, en effet, leur condition
put croire que la montagne touchait au ciel, et est-elle inférieure à celle du premier homme
que, mêlé déjà aux pures Intelligences, il com- quand il fut placé dans le paradis pour y tra-
mençait à vivre de leur vie, il avait saisi, il pos- vailler ? Comme lui, ils sont sans sollicitude ;
sédait, comme elles, le Dieu dont la soif su- comme lui,leur conscience pure parle à Dieu et
blime le dévorait. Aussi s'enivrait-il sans (in du même avec plus de liberté que lui, car ils ont
bonheur de penser à lui, de n'aimer que lui, reçu du Saint-Esprit une grâce plus grande'».
de ne plus vivre que pour lui. Sa vie n'était Ilâtons-nous de le remarquer, Jean n'était
qu'un hymne, une flamme, un délire, chaste et pas seulement un homme de contemplation et
doux délire digne du ciel et des séraphins; et, de prière. L'Esprittoujours plongé dans la pen-
sée de Dieu, il s'adonnait au travail des mains,
• Gecrg. Alei., m vil. S. —'
Georg., ibid. —
Suri., 27 janv. —
Hibideneyrj, 27 jao». - Lo P. Siilting écarte ces faits comme dé- cette prescription essentielle de la vie monas-
nués de fondemeDl. {Boit., t. 4, sept., p. 435, a. 163.)
• Humboldl a remarqué, avec rLiaon,
(lue le Christianisme, occupé
tique, et, comme saint Jérôme', gagnait à la
il

k l'affraDcbiuemeni civil de la race huiname et à la réhabilitatioD des sueur de son front le pain des pauvres et le sien.
cluses iDrérieurei,aSraiicbiMait aussi la nature en élargissant sts ho-
rizoDs. « Les yeux, dit-il, n'étaient plus constamment fixés sur les Peut-être tressait-il des nattes de palmier et des
formes des divinités païennes... Les esprits, autrement disposés, cher- corbeilIesdejonc?Peut-être était-il attaché à la
chiient dus l'ordre du monde et dans la beauté de la nature, le té-
moignage de la grandeur et de l'excellence du Créateur Cette ten-
culture du jardin? Mais toujours aux travaux
dance à glorifier la Divinité par la contemplation enthousiaste de ses
œuvre», amena chez les chrétiens le goût des descriptions poétiques...
manuels il unissait ceux de l'intelligence. Ex-
Il cite un passage de Cbrysostome, et il ajoute Il semble que l'élo-
:
ténué par le jeûue, par l'insomuie, par des fa-
qoence, retrempée à la source delà nature, eûlreUouvéscn
élément,
I* liberté, dans les contrées boisée» cl montagneuses
do la Syrie et ' P9. 35. — • Chrys,. Bom. 68 in Mati/i., n. J. — •
S. Hier., ep,
àt l'Asie-Mjneure ». {Comas., itid. ftanç t. 2, p. 26 et 33.) d,Klt. port-, p. 21.
,
15, t.
.

B8 HISTOIKE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

ligues auxquelles son corps était peu préparé, rôles du Sauveur Malheur d ceux qui rient!
:

il sur la montagne, ses admirables dia-


écrivit, Heureux ceux gui pleurent, parce qu'ils seront
logues sur le sacerdoce. consolésH il fonde la nécessité de la componc-
Les deux livres sur la componction sont de la tion sur ce que le péché règne partout sur la
même époque'. lissont adressés l'un à Dcmé- terre, et que les plus sages eux-mêmes, s'aveu-
personnages obscurs,
trius, l'autre à Stéléchius, glant sur leur état, vivent dansun contraste
dont nous ne savons autre chose sinon qu'ils déplorable avec l'esprit et les préceptes de
furent les amis et les admirateurs de Chryso- l'Evangile.
stome, et qu'ascètes eux-mêmes, ils avaient prié Jetant un rapide coup d'œil sur la scène du
le jeune ascète d'écrire en leur faveur sur la monde,iln'y voit que désordre et confusion. A
componction, afin d'allumer dans leur âme, à peine quelques traces de vertu. Les hommes se
l'aide de sa parole, le feu sacré qui brûlait la conduisent en insensés. Les lois de Jésus-Christ
sienne. Jean ne céda qu'à leurs instances réi- sm[ foulées aux pieds par ses propres enfants.
térées, en exaltant la piété de ses amis, en dé- Jusque dans le sanctuaire du désert, l'ascète
plorant sa tiédeur. Il écrivit d'abord à Dé- cherche son repos plus que son Dieu. Parcourez
mcfrins. les différents préceptes de l'Evangile, et com-
Quand je te vois, bienheureux Démétrius,
u parez-en la teneur avec la vie de la plupart des
nie demander avec tant d'instance quelques chrétiens.Que de médisances et de calomnies!
motssur la componction, j'admire la pureté de Que de parjures! Quelle fureur de vengeance!
ton âme. Ce désir, en effet, ne peut venir qu'à Que d'orgueil, d'égoïsme, de sensualité! Quelle
un homme déjà purifié des souillures du vice horreur des sacrifices ! Quel peu d'estime des
et supéiiour aux pensées du siècle. Uest facile intérêts éternels ! Quelle lâcheté dans tout ce
deteconvaincrequeceuxqu'entlammeunsem- qui tient à la vie à venir Les bonnes œuvres 1

blabledésir, dégagés des sollicitudes, affranchis elles-mêmes sont souillées par la vanité 1 « A
des liens d'ici-bas, ont pris leur essor vers le cette vue, pouvons-nous contenir nos larmes?
ciel comme vers le terme naturel de leur être. La perte de tant d'âmes et la nôtre peut-elle
Ce bonheur est rare dans la vie mais toi, tète ; nous laisser sans douleur? Qu'y a-t-il pour un
bien-aimée, jesaisquc tu brûles toujours de ce croyant de plus naturel que la componction ?
feu sacré de la componction. J'en prends à té- Elle est le contre-poids nécessaire aux égare-
moin ies nuils sans sommeil, tes larmes intaris- ments du monde, l'expiation et le remède de
sables, ton amour croissant pour la solitude. La nos propres erreurs »
preuve de ta ferveur, c'est l'humilité même Après avoir établi le devoir de la componc-
avec laquelle tu t'accuses de n'être qu'une âme tion, Chrysostome s'indigne de ne la trouver
rampante, quand déjà tu t'es placé au faîte de nulle part. «Que de gensje connais, dit-il, que
la vertu ; une âme de pierre, quand des ailes la perte de leurs prochesjette dans une immense
puissantes t'emportent dans les plus hautes ré- douleur Tout ce qui leur avait plu leur devient
!

gions. Souvent prenant ma main, la couvrant odieux. La fortune perd ses enchantements, le
de baisers et de larmes : Brise, me dis-tu, ce monde ses attraits. Ils n'ont qu'une pensée, ils
cœur endurci. Si c'est de ta part une ruse pieuse ne voient qu'une image. Ils se nourrissent de
pour m'arracher à ma tiédeur, j'admire ta sa- leur deuil. Et nous, nous perdons notre âme et
gesse. Si c'est dans ton intérêt que tu parles, je le ciel sans y songer Et quand nous avons tant
I

ne sais comment on pourrait mieux prouver que de torts à expier, tant de vices à corriger, tant
tu n'as pas besoin de moi. Je t'obéirai cepen- delarmes à répandre, tant de grâces à implorer,
dant; mais aide-moi de tes prières, afin que je tant de vertus à acquéri r, nous vivons dans une
puisse à la fois corriger ma propre vie et con- indifférence aussi criminelle qu'inexplicable.
couriràreleverles âmes abattues, à enflammer Il cite ensuite l'exemple de saint Paul: «Epris
celles qui sont tièdes ». de la beaulé du ciel, il ne pensait plus à la terre.

Après cet exorde si modeste, le pieuxécrivain Son amour pour Jésus-Christ était si ardent,
entre eu matière, et prenant pour texte ces pa- que, si pour lui plaire il eût fallu souffrir des
tortures éternelles, il n'eût pas hésité à s'y
* Baronius, Hermanf, Montfaucon, etc., sont unanimes à cet éga.rd.
Le texte, lu avec attention, ue permet pas de penser autrement. dévouer. Ce n'était pas un sentiment comme le
TiUemout seul a élevé contre cet avis des objections qui ne sont pas nôtre, mercenaires que nous sommes, toujours
londées, et qu'il n'a pas cru lui-même assez fortes pour la détermloer
k l'oiiiiiiou ccQiraira. ' Math.,c. 6.
CHAriTRE CINQUIÈME. S9

mus parla crainte des châtiments eU'esiioir des qui tire les pauvres de leur bassesse, d'allumer

récnnipunses. l'iein d'un amour plus noble et en moi ce feu qui dévore le péché, qui arrache
plus heureux, il faisait tout, soulTrait tout, pour lame endormie au sommeil de la chair, et lui
le seul niolif de plaire à Jésus; pour lui il eût donne des ailes pour s'élever au ciel » !

renoncé au ciel, au bonheur; il eût conseuli Après avoir consacré la première lettre à
avec plaisir à être anathème à jamais. Euten- démontrer la nécessité de la componction,
dez-le s'écrier Qui Jiutis séparera de l'amour
:
Chrysostome en retrace dans la seconde les
de Jésus- Christ? L'a/fîiction, la persécution, la caractères et les etTets. Mêlant, comme tou-
twdilv. la faim, le péril, le glaive^ ? El ne comp- jours, avec un art admirable, les textes de
tant pour rieu les épreuves d'ici-bas, il ajoute: l'Ecriture à ses propres raisonnements, il fait

AV les Anges, n/ les Principautés, ni les Puis- le portrait de l'homme vraiment pénétré de
sances, ni les choses présentes ni les futures, com[)onclion.
ni ce quiest au plus haut des deux, ni ce qui « Quand on est parvenu, dit-il, au sommet
est au fond des enfers, nulle créature ne élevé d'une montagne, on n'entend plus, on ne
pourra Jious séparer de l'amour de Dieu qui voit plus ce qui se faitou se dit en bas dans la
est en Jésus-Christ*. au plus un bourdonnement loin-
ville; c'est tout

Chrysostome termine ainsi sa lettre à Dénié- tain qui arrive aux oreilles, confus et désa-
trius ; a Je pouvais m'étendre davantage sur ce gréable comme celui d'un essaim de guêpes.
sujet; mais comme l'obéissance seule et non le Ainsi, quand on a renoncé aux choses du monde
besoin de ton âme m'a engagé à écrire, il n'est pour s'appliquer à la philosophie divine, on est
pas nécessaire d'aller plus loin. Je finis donc et peu louché de ce qui se passe sur la terre. Tant
te conjure de m'accorderen retourtes prières, que l'âme est occupée des choses d'ici-bas, le
afin que je puisse non-seulement bien parler de corps et les affections du corps la tiennent en-
la componction, mais la pratiquer. Car la doc- chaînée dans mille liens les plaisirs lacouvrent
;

trine sans les œuvres n'est pas seulement inu- d'un épais nuage la vue, l'ouïe, le tact, l'odo-
;

tile, elle est funeste dans ce sens qu'elle pré- rat, la langue, attirent sur elle une foule de

pare une condamnation éternelle à celui qui maux. Mais quand elles'élève enhautetqu'elle
aura vécu dans la lâcheté. En effet, il est écrit : se consacreaux choses spirituelles, alors elle
Ce ne sont pas ceux qui disent : Seigneur, Sei- écarte les pensées mauvaises, elle ferme la porte
gneur ! qui seront sauvés, mais ceux qui au- des sens, et force ceux-ci à la suivre dans son
ront fait la volonté du Père qui est au cieP. essor.Une maîtresse sévère et impérieuse, qui
répandue dans le désert parmi
Cette lettre, veut préparer un parfum de grand prix, y em-
les y fit une grande impression.
solitaires, ploie toutes ses servantes: l'une tient la balance,
L'auteur, pressé de tous côtés d'écrire de nou- l'autre broie, l'autre tamise, l'autre fait le mé-
veau sur le même sujet, céda aux instances de lange, l'autre l'approche du fou, l'autre prépare
Stéléchius, un autre de ses amis, et prit la les vases, et l'œil de la maîtresse veille sur
plume en ces mots : toutes ; ainsi l'âme, quand elle veut produire
a Et comment puis-je faire ce que tu m'or- cet exquis parfum delà componction, doitap-
donnes, saint hommede Dieu? Comment avec peler à elle tous les sens, les appliquer à l'ou-
une âme infirme et froide puis-jc écrire sur la vrage qu'elle médite, et ne leur permettre ni
componction? Pour dire quelque chose de bon négligence ni distraction. Ni les yeux, ni les
sur cette matière, il faut brûler, être embrase oreilles, ne doivent rien apporter qui détourne
de cette namnie.afin que les paroles, comme un du but poursuivi; et elle est tellement absorbée
fer incandi scent, puissent s'imprimer forte- dans la pensée de Dieu, qu'elle ne voit plus,
ment dans les cœurs. Or, je n'en ai pas même qu'elle n'entend plus. Les fondions des sens
une étincelle; en moi, tout est cendre et pous- restent suspendues; et comme si déjà elle habi-
sière, le péché abattu su r mon âme comme
s'est tait les cieux, aucune perception ne lui reste
un épaisbrouillard.C'estàtoi, qui commandes, des objets d'ici-bas ».
de me dire comment je dois m'y prendre pour a Tel était, poursuit Jean, le bienheureux
t'jbéir. Volontiers, je te prêterai le ministère
de Paul. Au milieu des grandes cités, il leur était
ma parole: mais prie celui qui guérit les cœurs aussi étranger que nous le sommes pour un
brisés, qui donne aux pusillanimes le courage, cadavre. Il l'était plus encore, car il ne dit pas
' Ai Rom., c. 8. — Ad Rom., ibid. — '
ilath., 5, 19. seulement :Z,e monde est mort pour moi; nm%
co HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

il ajoute : Je suis mort pour le motideK Paul moyen de la mer, comme si le monde entier

était lellement mort au monde, qu'il ne vivait n'était qu'une maison. Nous pouvons nous
plus sur la terre, mais au ciel Son amour visiter de peuple à peuple, échanger mutuelle-

pour Jésus s'élevait même au-dessus de tous les ment les avantages qui nous sont propres, et,
deux. Il était petit de taille; mais, par l'amour dans un petit coin de la terre, jouir en maîtres
spirituel qui remplissait il se mon-
son cœur, des biens de tout l'univers ainsi, dans une riche
:

trait plus grand qu'aucun homme. Si je com- table, les convives se passent les mets l'un à
parais sa passion sublime à un vaste incendie l'autre, et chacun peut goûter à tout. Considérez
qui embraserait la surface de la terre entière, l'infinie variété des semences, des légumes, des
monterait jusqu'à la voûte du ciel, traverserait fleurs, des plantes qui croissent sur les mon-
l'espace qui est ou autre chose,
au dessus, air tagucs ou dans les plaines, au désert ou dans
remplirait l'intervalle des deux cieux, et, ne nos terres cultivées... Le ciel, la mer, la terre,
s'arrêtant pas là, se lancerait au troisième, fai- toutes les choses visibles ont été faites pour
sant de tout un bûcher aussi large que la terre, nous. Dieu a placé l'homme dans le monde
aussi haut que le firmament, cette image serait comme dans un magnifique palais, resplendis-
inférieure encore à la vérité ». sant de pierreries et d'or, et merveilleusement
L'auteur continue à développer sa pensée par éclairé, non par de riches candélabres, mais par
d'autres exemples. Puis, comme nouveau mo- des lampes suspendues au ciel, qui répandent
tif de componction, il met en regard de l'ingra- la joieavec la lumière. La voûte n'en est pas de
titude de l'homme les innombrables bienfaits pierre, mais d'une matière plus précieuse ;
de Dieu. « Est-ce donc, s'écrie-t-il, que nos quant au pavé, c'est une table admirablement
plus belles vertus, nos plus généreux sacriflces servie. Et Dieu a prodigué tous ces biens à ce-
peuvent acquitter ce que nous lui devons? » lui dont il n'avait reçu aucun bien o !

Et, dans une pieuse et poétique effusion, il dé- La conclusion de Jean, c'est l'amour de Dieu.
crit les merveilleuses attentions de la Provi- « Tout nous l'inspire, dit-il, tout nous y porte;

dence pour nous. et, sous ce rapport, aucune faute n'est petite,
« Voyez comme, n'ayant aucun besoin de car il n'en est aucune qui ne soit une ingrati-
nous et se suffisant à lui-même, il nous a fait tude. A la pensée des bontés divines, David
être quand nous n'étions pas... Pour nous, il a s'écrie : que l'homme, ô mon Dieu !
Qu'est-ce
déployé le ciel, étendu la terre comme un tapis, pour que vous ayez pensé à lui .^ Et tout à coup '

allumé de magnitîques flambeaux. Pour nous, se ra[)pelant combien peu nous avons de recon-
il a fait jaillir les sources et couler les fleuves ;
naissance envers l'auteur de tant de biens, il

il a émaillé la terre de fleurs, et le ciel des ajoute : Hélas ! l'homme n'a pas compris vos
groupes variés des étoiles. Il a voulu que la nuit desseins sur lui; il s'est ravalé jusqu'à la brute
ne fût pas moins utile que le jour car le som- ;
et lui est devenu semblable^ ».
meil, non moins que les aliments, nourrit notre «Je t'en supplie, dit enfin Chrysostome à Sté-
corps, répare nos forces, tempère le feu que les léchius en teiminantcette lettre, je t'en supplie
ardeurs du jour et la fatigue ont allumé dans par le crédit que tes bonnes œuvres t'ont donné
nos sens, nous rafraîchit, nous fait revivre pour près de Dieu, tends-moi la main dans mes
de nouveaux labeurs... Comme une mère quand prières, aide-moi à me débarrasser du lourd

elle veut endormir son enfant qui pleure, l'en- fardeau de mes fautes. Que je puisse après l'ex-
toure de ses bras, lui couvre les yeux d'un pan piation et le deuil entrer dans la voie heureuse,

de sa robe pour appeler plus tôt le sommeil; dans celle qui mène au ciel, et n'être pas en-
ainsi, la Providence étend le voile de la nuit traîné dans l'enfer, là où la co7ifession n'est plus

sur l'univers pour inviter les hommes au re- possible, où nul ne viendra nous arracher au
pos. Trop de soucis, trop de passions dévore- supplice. Ici, nous pouvons échanger entre nous
raient notre existence, si cet ordre divin n'im- une précieuse assistance. Mais là, plus d'amis,

posait à nos âmes aussi bien qu'à nos corps ce plus de frères, plus de pères pour nous aider
délassement nécessaire... et nous consoler; il n'y a qu'épaisses ténèbres,
Que dire des facilités du commerce? De
a affreux désespoir, douleur éternelle, flammes
peur que la grandeur des distances ne nuisît à dévorantes qui ne consuiiierout jamais leuvs
la fraternité humaine, il a voulu les abréger au victimes ».
• Ad Cal., 6, • Ps, 8, - • PB. 13.
CHAPITRE SIXIÈME. Gl

CllAPITRE SIXIÈME.

Mort de Vatcntlnien. — Valcns pcrsicntc les catholiques. —


— Intrusion deLucius. — Hor-
Pierre, successeur de saint Athanase.

reurs qui l'aocpuipapnont. — — Le


I.cs solitaires Thémistius. — Martyrs
allaqués dans le iliiJcrldcNilrie. ptiilosoplie d'E.lesse.

prêtres briVcs sur mer. — Guerre aux moines. — Saint


Qiiairc-viiipis — Douleur courage de Clirysostome. — Basile. et

Livre cow/rc de la V'C monasliqtie. — Corrrpiion générale. — Educalion


les fiiiieinh — Services rendus par clirélicnne. le

monastère. Bonticur de — Cvmpnrnm.u du solitaire du


la solitude. — Les Golhs menacent — et roi. Conslantinoiilc.

Prophétie — d'AnJrinoplo. — Mort de Valens. — Son règne


d'Isaac. Bat.ùlle son caractère. — Dangers de l'empire. — Gra- et

ctThéodosc. — Jean anachorète. —


tien de — Vision prophétique.
Attrait la solitude.

L'orage grondant sur l'Eglise arracha bien- lesorthodoxes avec une fureur qui rappelle les
tôl l'ascèlc, trop heureux, à la douceur de ses premiers persécuteurs du Christianisme. Cha-
travaux, auxcélesles enivrements de la solitude que victoire de ses lieutenants sur lesbarbares
et de la prière. se traduisaiten proscriptions, en spoliations de
Valenlinicn venait de mourir; un accès de ceux de ses sujets qui professaient la foi de Ni-
colère l'avait lue '. Prince éclairé, vaillant sol- cée. Le sang des catholiques était l'holocauste
dat,heureux capitaine, adininistrateur intègre, de sa reconnaissance au Dieu des années, le Te
poliliqne déloyal, caractère élrange, pétri de Z)ew?« de l'empereur. En revanche, les païens,
sagesse et de fureurs, de grandeur dame et de les juifs, les hérétiques jouissaient de la pleine
barbarie, homme de sang qui faisait des lois liberté de leur culte. L'encens brûlait dans les
d'humanité, il avait donné, sous Julien, de no- temples des idoles; le paganisme remplissait de
bles gages à la foi chrétienne, et sacrifié sans ses fêtes et de ses orgies les places [)ubliques :

hésitation sa fortune à son devoir. De sages il n'y avait de persécutés que les adorateurs de
rescrits empreints de l'espritde l'Evangile, va- Jésus-Christ. Les évoques étaient chassés de
lurent des éloges à sa mémoire, sur laquelle ses leurs sièges, les solitaires de leurs cellules. En-
emiiorlementset ses cruautés ont laissé d'hor- couragés à la violence, les Ariens ne connais-
ribles taches de sang *. saient plus de mesure.
Son frère Valens, qu'il avait couvert de sa Après quaranîe-six ans d'un épiscopat admi-
pourpre et qui régnait sur lOnent, ne lui res- rable et pendant lequel il n'avait cessé d'être,
semblait que par ses défauts. Esprit sans lu- au milieu des plus grandes épreuves, le fléau de
mière etsans portée, tyran vulgaire, Arien fana- l'erreur, le flambeau de l'orthodoxie, Atlianase
tique, n'ayant d'autre génie que sa cruauté, était mort; mais au moment de mourir, cédant
d'autre politique que sa perfidie, il mit autant aux instances de son clergé, il avait désigné
d'ardeur à faire prévaloir ses idées descctaire, pour son successeur Pierre, l'intrépide et fidèle
que Valentinien mettait de soin à laisser aux compagnon de ses travaux, doses voyages et de
évè()ues l'enseignement et le domaine entier de scspérils, homme vénérable par l'âge et les ver-
la religion '. La mort de celui-ci le débarrassa tus, d'une sagesse etd'une éloquence admirées.
d'une tutelle nécessaire qui pesait à sa médio- L'Eglise d'Alexandrie applaudit unanimement
crité vaniteuse, et lui permit de s'abandonner à ce choix que le pape approuva, et l'intronisa-
sans ménagement à la haine farouche qu'il tion du nouveau pontife fut célébrée comme
nourrissait contre les catholiques. Baptisé par une fête publique. Valens ne put le souffrir-
l'Arien Eudoxe, il avait avec l'Arianisme des Pendant que Pierre, arraché à son troupeau
engagements solennels qu'il tint largement*. chassé dela ville et de l'Egypte, se rendait à
Albia Dominica, sa femme, l'eût d'ailleurs em- Rome, cenlresacré du catholicisme, nobleasilo
pêché de les oublier. Il se mit donc à frapper sur les persécutés, un prêtre arien, Lucius,
de tous
' IT no». 375; Amro. Marc, I. 30, c. 6. — Amm. Marc, I. 27 escorté de soldats, vint prendre possession do
e. 7 ; I. 29, c. 3 ; 1. 30, c. 8, etc. S. Ambr., t. 2, p. 213, ep. 13. '

• Saint Ambroiie ate de lai celle parole : qu'il ne lui comenait lacliaire de saint Athanase. Celle installation à
pu de M faire juge entre dei éïéques. ilalbeureuaenieiit, elle na
lut pu tonjoara la règle de M conduit*.
main armée fut le signal d'impiétés et d'atroci-
* ibioi., I. «, c. J», tés sans exemple. Un jeune iibci lin, velu eu
HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

femme, montaeldanjasurVautelavccdcsgestes demander aux saints de Dieu sa guérison ou


obscènes, que les assistants accompagnaient l'hosiiilalilé Un des cénobites,
jusqu'à la mort.
d'éclats de rire etde blasphèmes. Un comédien ayant pris de l'huile d'une lampe qui brûlait
parut tout nu dansl'ambon, et, aux applaudis- devant l'autel, toucha le malade et dit Au nom :

sements de son infâme auditoire, prêcha la dé- de .lésns-Christ, que Lucius blasphème, lève-toi
bauche sodomie '. On viola l'asile des
et la et retourne à ta maison. Le malade, guéri in-

femmes, dont la vie, selon


vierges, etcesnobles stantanément, se leva et partit '. Mais l'impiété
l'expression de Théodoret, retraçait celle des des envahisseurs ne fut ni guérie ni émue.
anges, dépouillées de leurs vêtements, furent Tout entiers à l'œuvre d'extermination, ils traî-
traînées dans les rues à travers les regards pro- naient les moines par les cheveux, les frap-
fanateurs et lesinsolencesde la populace. Plu- paient, les foulaient aux pieds. Les victimes
sieurs moururent de douleur et de honte; on n'essayaient pas de se défendre, ne levaient pas
tua les autres à coups de bâton '. Des soldats la main pour écarter le glaive elles courbaient ;

placés auprès des cadavres empêchaient les fi- la tête et mouraient en priant Dieu pour leurs

dèles de rendre les honneurs funèbres à leurs bourreaux '.


martyrs. H fut défendu de les plaindre. Les païens eux-mêmes s'indignèrent de ces
Un ordre de l'empereur bannissait d'Alexan- horreurs. L'un deux, Thémistius, ne prenant
drie et de la province tousceux qui seraient dé- conseil que de la pitié, osa parler en faveur des
signés par Lucius comme tenant à la foi de opprimés. Dans un discours d'apparat prononcé
Nicée. On fit main basse sur les chefs du clergé. à Antioche en présence de Valens, il lui repré-
Conduits devant le lieutenant de Valons et pres- senta qu'il ne fallait pas s'étonner de la diver-
sés d'embrasser l'Arianisme, ils dédaignèrent sité de sentiments parmi les Chrétiens, puis-

promesses et menaces, et se déclarèrent iné- qu'elle était plus grande chez les Hellènes', qui
branlablement orthodoxes. Digne émule des comptaient plus de trois cents opinions diffé-
fureurs de son maître, le proconsul les flt pas- rentes. La harangue du philosophe parut mo-
ser par les verges et par le chevalet; puis ils dérer un peu le tyran mais sa nature et son ;

furent entassés sur une vieille barque et dépor- fanatisme le poussèrent bientôt à de nouvelles
tés à Héiiopolis, ville entièrement idolâtre, où fureurs. Il ne s'était radouci que pour se dé-
l'accueil des habitants devait aggraver la situa- chaîner avec plus de rage. On put se croire aux
liondes martyrs. Desfemmesosèrent pleurer: la beaux jours de Domitien et de Galérius ; on re-
police impériale s'indigna de cette audace ; elle gretta Julien. Lesrescrits de l'empereur, mo-
saisit les malheureuses, les fit flageller en place dèles d'arbitraire et de tyrannie, étaient exécu-
publique par la main du bourreau; après quoi, tés par ses agents avec des raffinements de
on les envoya aux travaux forcés. Des solitaires violence etde cruauté qui charmaientle maître.
vénérés, des vieillards consacrés à Dieu furent Lui-même, il excitait leur zèle et s'emportait
égorgés sur les marches de l'autel ou pendus contre une velléité de clémence, au point de
à la porte de leurs églises. On n'épargna pas souffleter le préfet du prétoire en présence de

même les enfants. Les cadavres, jetés à la mer ses soldats, pour n'avoir pas exécuté rigoureuse-
et rejetés sur la plage, furent réclamés en vain ment des ordres impitoyables.
par les familles désolées, auxquelles on défen- Venu à Edesse, il apprend que les orthodoxes
dit de couvrir d'un peu de terre ces restes muti- chassésdeséglisess'assemblentdansleschamps.
lés et sanglants. Quiconque était convaincu Ordre aussitôt de faire marcher des troupes sur
de de sa tête ce crime nouveau '.
pitié payait la paisible Synaxe, de la cerner et de l'écraser.
Lucius, à la tête d'une troupe de soldats, alla Le préfet Modestus, qui est arien, mais qui est
poursuivre dans les déserts de Nitrie les Pam- homme, avertit secrètement les catholiques du
bon, les Héraclide, les Isidore, la nombreuse sinistre projet formé contre eux, et les conjure
famille de saint Antoine, dont les vertus et le de ne pas se réunir le lendemain. Mais le péril
travail étaient l'édification et la providence vi- exaltant le courage, les fidèles accourent de
sible de la contrée. Au moment où les sbires bonne heure au pieux et terrible rendez-vous:
de l'hérésie se jetaient sur la demeure des soli- ilsétaient plus nombreux que jamais. Modestus
taires, on apportait un pauvre perclus qui venait hésite : Valens réitère ses ordres, et les cohortes

• Théod., I. 4, c. 22 ; Soc, I. 4, c. 20. — ' Théod., ibid. — • Soc, 1. 4, c 24 j Sozom. 1. 6, c 20. — ' Soc, 1. 4, c. 17 9t I9i
» ytéod., 1, 4, ». 22; Greg. Naz., orat. 25, n. 12- Théod., lib. 4, c 22. — ' Soc, 1.
4, c. 32 ; Sozom., 1.
«, ç. 36.
CHAPITRE SIXIÈME. 63

armcos en guiMTo s'avancent pourlivrcrbataille poussé à la sédition le peuple de Nicomédie. On


à uni' aj?einl)!oe fans di'uMiso. Les colonnes tlé- recourut à la ruse. Les prêtres furent embar-
boiicliaienl d'une des rues de la ville, quand qués comme pour être menés en exil. Mais, à
tout à couiuinefonimo s'élance hors de sa mai- peine au large, les malclols, exécutant l'ordre
son, les vêtements en désordre, et cherche à reçu, mirentfeuau navire et se sauvèrentdans

traverser les longues files de soldats elle con- : lachaloupe'. Deux jours après, la vague jetait
duisait par la main un petit enfant qui la sui- sur la grève, au fond du hâvrc de Dacidize,

vait à jirand'peine. —Où vas-tu ? lui dit le pré- quatre-vingts cadavres noircis, mtililés, con-
fet. _ Où vont mes frères, répondit-elle.— Tu servantà peine la forme humaine. Cette agonie

ne sais donc pas qu'ils seront égorgés tout à n'avait paseu de témoins nul n'avait entendu :

rh'ure?- Je le sais, reprit la femme, et c'est les cris des victimes aucune voix ne s'éleva ;

pourquoi je me hâte, ne voulant pas arriver pour protester au nom de l'humanilé contre ce
trop tard. — Mais cet enfant, pourquoi l'entraî- lâcheetsauvage attentat. Mais, quelquesannées
ner avec toi? — C'est mon partagera fils, il la plus tard, Valens vaincu, fugitif, enfermé par
mort bonheur de sa mère '.
et le les Goths dans une masure et prêt à périr, lui

Le gouverneur terrifié, courut porter ces pa- aussi, dans les flammes, se souvint peut-être de

roles à l'empereur, le suppliant, les larmes aux cet honible bûcher dressé sur les flots aux qua-
yeu.v, d'abandonner une entreprise lâche et tre-vingts prêtres de Byzance. Si cette vision

cruelle où la honte serait le prix du sang. On traversa son agonie, elle dutla déses[iérerl Le

décida de laisser le peuple et de mander les prê- crime a beau s'asseoir sur un trône et porter la
tres. —
Etes-vous fous, leur dit-on, de vouloir pourpre, il n'en impose pas à Dieu. La Provi-
résister au prince? Entrez au plus tôt dans sa dence ne permet pas à l'homme delà trouver

communion. Les prêtres répondirent L'em- : en défaut si par moment elle semble fermer
:

pereur n'a pas reçu lesacerdoceavec la pourpre; les yeux et dormir, elle se réveille toujours à
nous n'entrerons pas dans sa communion. — propos. Un jour, une heure suffit à la venger,
Le gouverneur les fit enchaîner et transporter et il se trouve qu'à la fin le crime s'est dressé à
dans laThrace. Ils étaient au nombre de quatre- lui-même le piège où il doit tomber.
vingts'. Sur leur route, on allait au-devant A l'époque où nous sommes arrivés, c'est-à-
d'eux, on baisait leurs mains, on les félicitait dire en 376, Valens, délivré des conseils et des
d'avoir confessé la foi : leur passage à travers remontrances de son frère, éprouvait une recru-
les villes était une ovation. La police de Valons descence de fanatisme et de cruauté. Mais, dans
s'en renonçant à moitié chemin à l'exil
émut, et cette guerre acharnée qu'il faisait aux Athana-
trop doux de la Thrace, elle les fit conduire siens (c'est ainsi qu'il appelait les catholiques),
deux à deux, la chaîne au cou, les uns au fond il eût voulu surtout en finirpar une mesure ra-
de l'Arabie, les autres dans la Thébaïde. La dé- dicaleaveclessolitaires, dont le? maisons étaient
portation, c'était la mort'. un foyer d'éducation religieuse et de propa-
Du reste, Valens s'était surpassé lui-même en gande orthodoxe. Il ordonna donc de les enle-
infamie, en cruauté, dans une expédition ré- ver de leurs monastères à main armée, de les
cente. Quatre-vingts prêtres de Constanlinople enrôler bon gré mal gré dans les légions, et, en
étaient venusàNicomédie, oùilrésidail, expo- cas de résistance, de les immoler sans pitié '.

ser dans une humble suppli(|ue les avanies de Nous avons vu comment cet ordre s'exécutait
toute espèce que les Catholiques essuyaient en Egypte. En Syrie, la présence du maître,
chaque jour de la part des Ariens, et demander qui tenait sa cour à Antioche, donnait plus
à sa pitié ou à sa justice un appui quelconque d'insolence aux valets. C'était après la Pâque de
contre une tyrannie devenue intolérable. L'em- cette année 370. On envcyadcs tribuns avecdes
pereur les reçut, les écouta et dissimula sa co- troupes dans lesmoiitagnes peuplées d'ascètes.
lère. Mais il ordonna au préfet du [iréloirc de Commed'ordinaire, kssoldatslraînaientàleur
s'emparer d'eux et de les faire mourir. suilecesbaudesd'oisifs, de vagabonds, de famé-
L'exécution publique de quatre-vingts per- liques, parasites des grandes villes dont ils sont
sonnes, que leur caractère sacré et leur vertu lalèpre, qui flairent de loin ledésordre, toujours
rendaient vénérables, eût ému et peut-être prêts à jeter la boue àquiconque tombe, à van-

Soc, 1. 4, c. 13; Théod., 1. 4, c. 22; Sozora., 1. fi; Greg. Nai.,
• Théod., 1. 4, c. 16; Soc, 1. 4, c. M. - • Théod., ibid.- ' U.. oral. 25, n. 10, et oral. 43, n. 46; Tillem., t. 6, p. 555. — ' Fniil
k 4, e 16. Cios., 1, 17, c. 33; S. Hier, in chronic; S, Bai., ep. 200, olios 2DII,

64 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

ter tout ce qui dégrade la dignité humaine, recommandé aux juges. — N'est-ce pas indigne,
parccqu'ils croientainsi se venger et s'absoud re ajoutait un troisième, que des hommes libres,
de leur propre dégradation. Les monastères fu- d'une condition élevée, pouvant vivre comme
rent envahis et saccagés, les cellules abattues, fout le monde, choisissent un genre de vie si
les moissons incendiées ', les solitaires roués de humiliant? cela seul ferait renoncer à la foi.
coups, chargés de fers, traînés en prison. On en Tels étaient les propos tenus à toute heure,
massacra plusieurs d'autres, en grand nom- ; même par des chrétiens, dans les galeries de la
bre, ne durent leur salut qu'à la fuite. La plume ville, sur la place publique, dans les pharma-
se refuse, dit Théodoret, à retracer les excès de cies, partout où les désœuvrés d'alors avaient
toute espèce, les brutalités, les atrocités qui ac- l'hi'.bilude de s'assembler. Le malheur des ascè-
compagnèrent cette exécution '. tes bafoués, traqués, égorgés par les soldats de
Saint Basile avait succédé à saint Alhanase Valens et la canaille d'Antioche, n'excitaient
dans la confiance et l'admiration des catholi- qu'une brutale hilarité. Les vrais fidèles gémis-
ques de l'Orient; il en était l'oracle et le guide. saient et n'osaient parler, car un mot en faveur
Les regards se tournaient vers lui dans la tour- des proscrits entraînait les peines les plus sé-
mente, comme sur un pilote familier avec les vères.
tempêtes, habile à les manier. Valens d'ailleurs L'invasion n'avait pas atteint encore la re-
n'osait plus se mesurer avec cette grande per- traite reculée de Chrysostome. Tout entier à
sonnalité devant laquelle il s'était senti vaincu. il ne se doutait nullement
l'étude et à la prière,
Le saint pontife espéra donc que les pieux fugi. de ce qui se passait à deux pas de lui ni de son
tifs viendraient s'abriter sous sa houlelte,à Césa- propre péril, quand les tristes nouvelles appor-
rée, et qu'il aurait laconsolation, enles embras- tées par un de ses amis vinrent l'arracher tout
sant, de recueillir leurs sueurs pour s'en faire à coup au calme profond de sa vie. « Est-ce vrai?
un titre devant Dieu, un baume contre ses pro- s'écria-t-il est-ce possible? Quoi sous des em-
; 1

pres souffrances^. Trompé dans son attente, il pereurs chrétiens, dans une ville chrétienne, à
écrivitdeux lettresaux pi'oscritsdelafoi, moins la face du jour et des lois, comme si nous vi-
pour les consoler que pour les féliciter et re- vions au milieu des barbares d Et sa douleur 1

commander à leurs prières la paix des Eglises, indignée éclata en larmes. « Larmes vaines i

qu'il ne désespérait pas de voir bientôt rétablie, roplic[ua le pieux visiteur ; tes larmes n'étein-
quoique troublée alors plus que jamais *. dront pas l'incendie qui dévore tout; elles ne
Il y a dansl'humanité, à côlédespkis nobles rendront pas la vie à ceux qu'on a tués ou qu'on
instinctSjjene sais quoi delàche et demisérable égorge tous les jours. 11 faut du courage et non
qui attriste et dégoûte. Le despotisme le plus dos sanglots. Elève la voix, et qu'elle soit enten-
brutal trouve toujours des hommes disposés, due au loin ! »
ceux ci par poltronnerie, ceux-là par calcul et Jean se dévoua, et, sans se préoccuper ni des

par intérêt à l'approuver dans tous ses excès. Le rescrits de Valens ni de ses menaces, il prit la
coup qui frappe les autres leur semble sagesse plume et se mit à écrire d'un trait les trois
et justice, jusqu'au moment où la main qu'ils livres contre les ennemis de la vie monastique :
ont encouragée se tourne contre eux et les noble protestation d'une âme généreuse et con-
écrase à leur tour. Les choses en étaient là à vaincue, où, à défautde cette fermeté de parole
Antioche: Ariens et païens battaient des mains et de style qui fit de lui plus tard le premier des
aux fureurs de Valens contre les moines, et ne orateurs chrétiens, on .trouve au moins cette
songeaient pas au lendemain. De mauvais or- intrépidité de cœur qui n'a pas défailli une seule
thodoxess'associaientàcesliideuxsentiments*, fois dans sa vie.
croyantse venger, par delâches quolibets et des Dès le début, l'avocat des ascètes annonce
railleries cruelles, du reproche tacite que la qu'il écrit dans l'intérêt des persécuteurs, bien
vertu des solitaires adressait à leur vie. Ils se plusque danscelui des victimes. « Celles-ci, dit-
vantaient du mal qu'ils n'avaient pas fait : C'est il, à leurs souffrances gagnent le ciel; le succès

moi, disaitl'un, qui ai découvert la cellule d'un de ceux-là ne leur présage que l'enfer. Compa-
tel. — J'ai été le premier, disait l'autre, à met- rez saint Paul à Néron, Néron qui inventa de
tre la main sur lui. Je l'ai traîné à la prison et nouvelles impudicités, Paulà qui il reprochait
• Socr., 1. 4, c. U, 19, 27 ; Sozom.,1. 6, c. 17; S. Bas., ep. DOO,
les mêmes torts qu'on impute aux cénobites;
alla) 250 "
Théod., 1. 4, c. 20.— ' S. Bas., ep. 200.— 'W., ibid. fl
«- 'Cbry3.,t. 1, p. 17, conir» Us ennetuis d« la vi» œonïst., n. 2 car il avait arraché au vice et gagné à la vertu
.

CHAPITRE SIXIÈME. 65

une femme aimée du tyran, ce qui lui valut la tique. Il lui montre, réalisé surabondamment
prison et la mort. Quel mal en est-il advenu au dans le solitaire chrétien, tout ce que Platon,
siiiipliciéVQiiel bien à celui qui ordonna le su p- Socrale, les poètes et les jihilosophes du paga-
plice?Toul le bcnolice de celte mort n'a-i-il pas nisme ont dit de plus beau sur la vertu, sur le
été pour saint Paul, tout le mal pour Néron ? A bonheur et la dignité du sage; d'où il conclut
ne parler que de la vie présente, l'un par tout que la vie des ascètes, si redoutée, est la plus
l'univers est loué comme un ange de Dieu, vraie et la plus belle philosophie. Aux souvenirs
l'autre exécré comme un
infâme et un dé- qu'il invoque, aux allusions qti'il fait, aux sé-
mon On me dira, poursuit-il, que pour évi- ductions de son style, on voit ([u'i lest préoccupé
ter l'enfer, nul n"a besoin dL'(|uilter sa maison. de plaire aux lecteurs païens auxiiuels il s'a-
Et plût à Dieu iiu'ii enfùlainsi PlùlàDieuque
! dre>se, et que, pour arrivera son Lut de dissi-
les monastères cessassent d'être une nécessité per leurs préventions, il ne veut employer que
publique, et que les lois et la vertu prévalus- des autorités qu'ils aiment et des raisons qu'ils
sent si bien dans les villes que personne n'eût à comprennent. C'est pourquoi il se place à un
demandera lasolilude protection et abri! Mais, point de vue plus terrestre pour retracer les
puisque tout est sens dessus dessous, puisque charmes et la quiétude de cette existenceàpart
les villes, malgré les tribunaux et les lois, re- où l'(m ne craint rie/i, parce qu'on ne tient à
gorgent d'injusticeset de crimes, et que la vraie rien; où l'on jouit d'une indépendance que le
sagesse fructifie au désert, faut-il blâmer ceux trône ne donne pas, d'une joie plus vraie que
qui s'efforcent d'arracher quelques âmes à ce toutes les voluptés du monde existencesombrc :

grand naufrage pour les conduire au port? Blâ- et odieuse au premier aspect, qui, vue de plus

mez, nu contraire, ceux qui rendent les villes près, rappelle en quelque sorte les Champs-
inhabitables àla vertu Non que je veuille Elysées de la Fable, avec lenrs îles, leurs prai-
changer les villes en désert, ni transférer le ries, leurs myrtes, leur air embaumé et les

genre humain dans la solitude ou sur la mon- chœurs vêtus de blanc qui chantetit des
tagne: je voudrais plutôtvoir entre les hommes hymnes.
une paix si parfaite, que les hôtes de la solitude chez lui: pour
« Partout, dit-il, le solitaire est
éprouvassent le besoin de rentrer dans la ville, le bannir de sa patrie, il faudrait le bannir de
et que les habitants de la ville n'eussent plus à la terre. Les sources, les fleuves, les lacs four-
songer au désert. S'il n'en est pas ainsi, est-ce nissent à sa boisson, et pour sa nourriture il a
ma faute? Je ne veux pas du moins arracherau les plantes, les légumes, le pain qu'il trouve
monastère ceux qu'il abrite, de peur de les ar- partout. Il ne redoute pas la pauvreté ; il n'a
racher en même temps au calme et à la vertu» pas lesouci des richesses. Nulnelui porte envie.
Chrysostome termine le premier livre par N'ayant ni villas, ni contrats, ni argent, il n'a
ces mots, qu'il eût pu payer de sa vie « Si : ni procès ni querelles personne n'a d'intérêt à
:

faire le mil sans remords est le dernier terme lui nuire ; il n'est au pouvoir de personne de

de la perversité, dansquellecatégorie mettrons- le rendre malheureux. Sous le rapport de la


nous ces nouveaux législateurs, les auteurs de santé, il a mille avantages sur l'habitant des
cette loi insensée, qui traitent les maîtres de la villes ; car il respire l'air le plus pur, il boit
vertu comme on ne ferait pas de ceux du vice, une eau délicieuse, il vit au milieu des fleurs
qui attaquent avec plus d'ardeur les hommes et des parfums. L'homme de la cité, au con-
qui travaillent à empêcher le mal que ceux qui traire, vitpresque dansla boue; aussi est-ilplus
le font ?Car pour ceux-ci, non-seulement ils ne faible de tempérament et plus sujet aux mala-
les blâment pas, mais ilsles voient avec plaisir ; dies. La vie du sage chrétien, préférable à ce
ceux-là, ils les supporti-ntà peine, et, par leurs point de vue, l'est aussi sous un autre elle :

actes comme par leurs(liscours,ilsdisentàtous procure plus de plaisir. S'asseoir sur l'herbe
qu'ilf.iut s'atlacher exclusivement au crime, épaisse, au bord d'une claire fontaine, à l'ombre
ne retourner jamais à la vertu, et punir non- des arbres loulluS; loin du bruiletdetouleagi-
seulement ceux qui la pratiquent, mais ceux- talion, repaître son regard d'un ravissant spec-
là même qui osent en [larler ». tacle, se posséder soi-même dans le sentiment
Dans le second livre, l'intrépide écrivain s'a- d'une joie plus |)ure que la lumière du ciel, je
dresse à un père idolâtre, outré de douleur le demande, n'est-ce pas mille fois plus doux
parce que son (ils s'est jeté dans la vie monas- (|ue de rester enfermé tout le jour dans une

S. J. Cu. — TojiE I.
C3 fflSTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

maison? Non, riches, non, vos marbres splen- raient-ils meilleurs,quand l'éducation qui a
dides n'ont pas la fraîcheur de cet airqu'on res- pour but de les former à la vertu ne leur ap-
pire ici l'ombre de vos toits ne vaut pas celle
; prend que le contraire de l'Evangile, quand la
de ces arbres vos mosaïques ne seront jamais
; passion du théâtre et de l'hippodrome s'appelle
aussi belles que ce pavé des champs émaillé de urbanité, la vaine gloire grandeur, la fortune
fleurs. Vouspensez vous-mêmes, vous qui
le indépendance, l'injustice force, la profusion
voudriez avoir des arbres jusque dans vos ap- humanité, et que l'on traite la tempérance de
partements, et qui préférez une vaste prairie à rusticité, la modestie de faiblesse, la justicede
vos plafonds dorés, aux splendeurs merveil- niaiserie, et le pardon des injures d'absur-
leuses de vos murailles. N'est-ce pas pour cela dité?»
que vous quittez vous est
la ville aussitôt qu'il Il ne veut pas qu'on le prenne pour un en-
permis, et que, laissant là toutes ces beautés ar- nemi de toute instruction littéraire mais il ne
;

tificielles, vous en cherchez d'autres plus vraies veut pas non plus que cette instruction soit le
à la campagne ? Ainsi, poursuit le jeune tombeau de l'âme. C'est pourquoi il redoute
docteur, au fond de son désert, le solitaire pour les jeunes gens les écoles où l'on puise le
est le plus heureux des hommes. Nul roi ne vice avec la science ; où, pour obtenir ce qui est
l'égale en puissance car : il commande à toutes de moindre prix, on perd ce qui est plus pré-
ses passions, supérieur à toutes les fai-
il est cieux, la vigueur morale et l'esprit chrétien.
blesses, à toutes les exigences d'une nature gâ- « L'homme vicieux, dit-il, est d'autant plus à
tée par le séjour des cités. Les écueils, où le plaindre qu'il possède davantage l'art de bien
bonheur des autres fait si souvent naufrage, il parler. La vertu peut se passer d'éloquence ;

ne les craint pas. Il vole comme l'aigle au faîte mais l'éloquence sans la vertu, à quoi sert-elle?
des airs, et ne se prend jamais aux pièges des A bouleverser la société, à la mettre en ques-
passereaux. La mort elle-même, loin de l'ef- tion, à la déchirer. N'est-ce pas le manque d'une
frayer, lui sourit ; car elle vient ouvrir à ses dé- saine philosophie, c'est-à-dire d'instruction
sirs la porte d'une vie meilleure, dont l'espé- chrétienne, qui a tout gâté, tout perdu ? D'où
rance est le mobile de ses travaux et de toute viennent donc les séditions, la guerre civile, la
son existence ici-bas ». convoitise du bien des autres, les meurtres,
Le troisième livre est adressé aux pères chré- l'esclavage, et ces voluptés contre nature, et la
tiens, qui, mal disposés à l'égard de la vie mo- rigueur nécessaire des lois, et tous les fléaux
nastique, se plaignaient de voir étouffer dans la qui dégradent et désolent l'humanité, si ce n'est
retraite de légitimes espérances et les projets d'une fausse éducation? Cette croyance au
les plus chers aux familles. Jean y avec traite destin^ à l'influence des astres, au hasard, cette
étendue des avantages et de la nécessité d'une guerre faite à la Providence, ces propos insen-
éducation chrétienne. Il déplore que tant de pa- sés de l'homme contre son Dieu, n'est-ce pas
rents ne s'occupent de leurs enfants que pour de la même source que sort tout cela? o
développer dans ces jeunes âmes les germes des Delà, suivant Chrysostome, l'utilité des mo-
passions, l'amour de l'argentet l'orgueil, deux nastères comme école pour former la jeunesse
sources empoisonnéesqui versent sur le monde à la vertu sous une discipline sévère et sainte,
toute sorte de maux. A cette éducation frivole, et propager, avec la connaissance des lettres sa-
sensuelle, païenne par les études comme par crées, les enseignements de l'Evangile, l'esprit
les tendances, il attribue la corruption des de dévouement et de charité. Les familles chré-
mœurs de son temps, dont il fait un horrible tiennes l'avaient compris, et l'usage d'envoyer
tableau. Des vices infâmes, des crimes dont le leurs enfants passer cinq ans, dix ans dans ces
seul nom une insulte à la nature et à la pu-
est gymnases de la piété, était généralement éta-
deur, s'étalaient au grand jour, au milieu d'une bli. L'écrivain approuve cet usage. Selon lui,
jeunesse blasée par de précoces débauches, per- l'enfant est capable, dès l'âge de dix ans,d'un
vertie jusqu'à la moelle des os, qui avait perdu travail sérieux surlui-même. On ne peut donc
avec le sens de la vertu celui de la volupté. commencer de trop bonne heure à l'habituer
L'écrivain indigné s'étonne que le feu du ciel aux pratiques de la vertu, à faire pénétrer la
qui tomba sur la Pentapole n'ait pas dévoré vérité dans sa conscience. Les objections éle-
Antiocbe, qu'il appelle une autre Sodome. vées contre ce système d'éducation ne doivent
« Mais, pomsuil-il, comment les hommes se- pas empêcher les pèi'es defftiwUle de l'a'l^'P^Ç
CHAPITRE SIXIEME. 67

avec conllancc, ni de laisser leurs fils le pins même époque et sous la même impression, un
longtemps possible dans celte atmosphère pure pelitéerittravailléavecsoinel |)orlant ce tilre :

de la solitude où l'air est si vital, où leur tem- Comparaison d'un roi et d'un moine. 1 met en 1

pérament prendra plus de vigueur, d'où ils sor- présence l'un de l'autre un monaniue sous la
tiront prénnuiis contre la conla.gion du siècle, pourpre et un moine sous la bure. Celui-là,
pleins des trésors de la piélé, qu'ils verseront aux yeux du vulgaire, est le plus heureux des
autourd'eux. lis seront, dit-il, les flambeaux de honunes: ilades flatteurs, il a des gardes; dès
leurs frères, la joie de leurs parents, et ceux- qu'il paraît quelijue part, tous les yeux se tour-
ci n'auront plus à regretter une séparation nentverslui, entouré d'hommages. Celui-
il est

momentanée; car, heureux et fiers de tels fils, ci, au contraire, a l'air d'un misérable auquel

ils admireront en eux les fruits d'une divine personne nevoudrait ressembler. La pensée du
philosophie. vulgaire n'est pas celle de Chrysostume. Pour
Enthousiaste de cette vie de recueillement, lui, il n'y arien au-dessus du philosophe chré-
de fraternité, d'extase, loin des hommes, aux tien, c'est aiusi qu'il désigne le solitaire, et il

portes du Jean s'abandonne volontiers à


ciel, s'efforce, dansun parallèle prolongé, de j ustifier
l'admiration qu'elle lui inspire, et en décrit le sa prédilection évidente, a Le roi commande
bonheur avec complaisance. « C'est le port, dit- aux peuples, dit-il, au sénat, aux armées; l'autre
il, où les fureurs de la mer ne peuvent vous commande à ses passions frémissantes et sub-
atteindre, où vous vivez comme au ciel, au mi- juguées, empire plus sûr et plus beau. Si l'un
lieu des anges. Entre ces esprits célestes, point remporte des victoires sur les barbares, l'autre
d'inégalité: même paix, même joie, même met en déroute lesdémons, adversaires les plus
gloire. Ainsi, dans la solitude; nul n'y est hu- redoutables de l'homme. Si l'un combat pour
milié par la pauvreté, nul ne s'enorgueillit de des frontières, pour de l'argent, pour l'orgueil,
la richesse. Le tien et le mien en sont exclus. pour l'injustice, pour l'usurpation, l'autre ne
Tout est commun à tous, la table, la demeure, tire leglaivequepourDieu, pour la vertu, pour

le vêtement. Que dis-je? 11 n'y a entre tous arracher des villes ou des hameaux à l'erreur.
qu'une seule et même âme. Tons sont nobles Si l'un n'a pour entourage que des courtisans
de la même noblesse, esclaves de la même ser- ou des soldats dont il prend les mœurs corrom-
vitude, libres de la même liberté ; même ri- pues, l'autre vit dans la société de Paul, de
chesse pour tous, la vraie richesse même
; Moïse, d'isaïe, des Prophètes et des Apôtres, et,
gloirepourtous, la véritable gloire ; mêmes vo- plein de leurs pensées,il imite leur conduite.

luptés, mêmes désirs, même espoir; tout est ba- charge aux peuples par les impôts
Si l'un esta
lancé et pondéré admirablement dans leur qui ravagent comme un torrent le petit domaine
existence; tout y est ordre, accord parfait, har- du pauvre, s'il se met souvent au-dessus des lois
monie, affection réciproque, source intarissable pour exiger ce qu'il veut s'il accable de mille
;

de joie; ils ne font rien, ils ne souffrent rien maux également funeste à leurs in-
ses sujets,
qui ne soit propre à leur procurer du plaisir : térêts dans les voyages etdans le repos, dans la
la peine partagée entre tous est légère à cha- guerre et dans la paix, par les victoires et par
cun mais le bonheur de chacun contribue au
; les défaites, l'autre, autanlqu'il le peut, se rend
bonheur de tous d. utile à tout le monde ; et tandis que les commis
Tel est, en substance, cet ouvrage écrit d'en- de l'impôt, sans égard pour la veuve, sans pitié
traînement et à la hàle, sous la pression dedou. pour l'orphelin, traitent en pays ennemi leur
loureuses nouvelles, et comme un défi jeté au propre pays, réclament du laboureur désespéra
tyran bigot (pii eût voulu déshonorer les vic- ce que la terre ne produit pas, le philosophe
times en les fra|ipant, et tuer du même coup la chrétien est le protecteur dévoué des pauvres
liberté de la |)arole et celle de la prière, et jus- et des i)etits. Le roi ne peut donner que de l'or,
qu'à la liberté de la pitié. Néanmoins, on n'y le solitaire donne la grâce du Saint-Esprit. La
sent ni frayeur ni colère : cette |)lume n'a pas premier, s'il est bon, peut bannir la pauvreté
lin soubresaut. La pensée de Dieu enveloppe de ses Etats, le second délivre les âmes de le
l'écrivain d'un nuage qui le rend invisibleàses tyrannie de Satan. L'infortuné que possède l'es»
ennemis, inaccessible à leurs passions. La i)aix prit mauvais, ne s'adresse pas au roi pour être
du ciel est passée de son cœur dans son livre. guéri, mais il court à la demeure du moine; et
Chrysoslome alla plus loin il publia, à la : le monarque lui-même, sous le coup du mal-;
68 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHUYSOSTOME.

heur, vient implorer l'homme de Dieu, comme confins de l'empire, arracha Valens à sa guerre
le pauvre en temps de famine implore le riche. contre les moines. Les Golhs venaient de rem-
Le roi tombé de son trône ne trouve qu'aban- porter sur les Romainsunedeces victoiresdont
don, il a besoin de tous et tous s'éloignent; l'effet moral est plus funeste aux vaincus que le
son salut, car l'Evangile a
l'ascète porte avec lui désastre matériel. Ils marchaient sur Constan-
dit ie:royaitme de Dieu est au dedans de uous^. tinople. Alains et Huns grossissaient ce sauvage
Mais c'est la mort surtout qui met une grande torrent. L'Hémus était franchi, Andrinople as-
distance entre l'un et l'autre. Le solitaire qui siégée. Thrace, du Danube jusqu'à la
Toute la

méprise les richesses, les plaisirs, tout ce qui Propontide, n'était plus qu'un théâtre de mas-
attache l'homme à la vie, la quilte sans regret sacres et d'horreurs. Les chemins étaient cou-
et s'élance radieux au-devant de son juge pour verts de femmes, de filles, que les barbares
recevoir la couronne. La mort, au contraire, est traînaient enchaînées à la selle de leurs che-
redoutable au roi ; car, s'il a gouverné avec jus- vaux, ou qu'ils chassaient devant eux à coups
tlccetbontéjCequiest rare, il sera récompensé, de fouet comme des troupeaux. Ivres de sang et
niaissagloireserainférieureàcellederhumble de débauche, les hordes dévastatrices inon-
et fervent disciple de Jésus-Christ; s'il a été le daient le plat pays, et n'étaient plus qu'à trois
fléau de ses peuples, qui pourrait dire les sup- marches de la seconde Rome. La ville menacée
plices qui l'attendent ?.. . Donc, conclut le pieux s'indignaitcontre un chefsans cœur, qui faisait
éciivain, quand vous verrez un homme puis- assassiner des moines dans le désert, et laissait

sant, richement vêtu, resplendissant d'or, porté l'empire, démantelé, envahi, déshonoré, de-
sur un magnifique char, entouré d'une suite venir la proie des barbares.
imposante, ne vous hâtez pas de dire que cet Il partit enfin d'Antioche et
parut dans sa
homme est heureux; car son bonheur d'un jour capitale, d'où lesclameurs de la foule l'obli-
cesse avec la vie. Mais lorsque vous rencon- gèrent bientôt de sortir. Sur la route, un soli-
trerez le philosophe chrétien, à la démarche taire nommé Isaac s'avança vers lui, et saisis-
modeste, en qui tout respire l'humilité, la man- sant la bride de son cheval : « Empereur, lui
suétude, qui porte sur ses traits la paix de son dit-il, tu fis la guerre à Dieu, et Dieu t'aban-
âme, dites que celui-là est heureux et souhai- donne ; ni toi, ni ton armée, vous ne revien-
tez de lui ressembler ». drez. — Faux prophète, dit le César, je revien-
Le sentiment de la dignité humaine ne pou- drai et te punirai ». Il ne revint pas'. Les
vait que gagner à de pareils enseignements qui malédictions de Constantinople l'accompagnè-
contrastaient si fort avec le servilisme de l'épo- rent, etil était résolu, s'il y rentrait vairuiueur,

que, et cette adoration universelle de la richesse de la détruire de fond en comble pour se ven-
et du pouvoir, si abjecte dans les uns, si inso- ger de son insolence.
lente dans les autres. y avait aussi quelque
Il Cependant, à l'approche de l'empereur, les
courage à dire à ces grands, à ces puissants du Golhs se replièrent àla hâte, non sans subir plus
siècle, habitués aux prosternements de la mul- d'unéchec. Enivré de cessuccès partiels, Valens
titude, que la bure du moine valait plus à bien s'avança jusqu'à Andrinople, prit position dans
des égards que celte pourpre et ces titres étalés un camp retranché sous les murs de la ville, le

avec t-mt d'orgueil à percer à jour ces fausses


; quitta bientôt, et, de peur d'avoir à partager
grandeurs; à rabaisser au niveau de leur néant avec Gralien, qui accourait à la tête de forces
ces faux dieux rongés et souillés sous leur mm- imposantes, une victoire dont il se croyait sûr,
teaud"or;àéIcver jusqu'à eux, dans leur arro- il se hâta de marcher sur l'ennemi, qui l'atten-

gance, celte pauvreté odieuse et méprisée où ils dait à douze milles de là dans une attitude for-

alTeclaient de voir le signe d'une inférioiilé de midable. La bataille, engagée témérairement,


race et une dégradation native. Celte gloiifica- fut perdue '. Les légions, abandonnées de la
tion des insignes de la pauvreté relevait dans cavalerie, enveloppées, égorgées sans pouvoir
leur conscience, réhabilitait à leurs propres se défendre, restèrent en monceaux sanglants
yeux les classes inférieures. Avec moins de sur le champ du combat. Ce fut le Cannes de
truit, cela faisait plus pour elles que tant de l'empire jamais, depuis ce terrible jour, pareil
:

déclamations débitées depuis sur l'égalité. carnage ne s'était vu. L'empereur, atteint d'une
Cependant un biuit formidable, venu des flèche, fut porté sur les bras de ses serviteurs,
• Luc, w. ' Thégd,, Hist. eccl., 1. 4, c. 30. — ' ABIB, Umc.i ' S'i «• 12.
CHAPITRE SIXIÈME. C9

à travers des mares tie sang et des tas de cada- secousse qui devait jeter Rome à terre et sub-
vre!5,dans la inaisoiul'iiii paysan. MaislesGollis merger l'univers de barbires. En présence des
surviiiiiiil.se ruèrent sur la maison barricadée, dangers de reni|iire,riinpereurdurmait,jouis-
et, ne sou|ii,oiinaiil pas la riche proie (ju'elle saitde son indolence aimée au-dessus de tout,
leur gardait, y mirent feu. Valens péril dans
ils ets'emportaitcontre loutechose oulouthoinme
les llamnus. Un seul homme échapiia de là qui dérangeait son repos. 11 se délassait de sa
pour porter au inonde la nouvelle du grand paresse en débitant çà et là dosharanguesciu'un
désastre : c'était le 9 août 378. rhéteur composait pour lui et l'apprenait à dé-
Le monde, terrifié de li catastrophe d'Andri- clamer. Quoiqu'il régnât sur Athènes et sur
noplf. ne donna pas une larme à Valons. Les il ne savait pas un mot de grec. Grand
Aiitioche,
païens, bien qu'ils eussent retrouvé sous son parleur de justice, il la recommandait dans ses

règne la liberté de leur culte, ne lui pardonnè- édits, et n'en connut jamais d'autre que son ca-
rentjamaisle massacre des philosophes. Quant price. 11 affectait de protéger les paysans contre

aux orthodoxes, ils ne virent dans cette mort les soldats habitués à les piller, et contre les
que les représailles de Dieu. Cette tyrannie agents du dont il réprima les exactions;
fisc

avait été trop lourde et trop longue pour (|u'on mais comme s'il n'eût vu dans la justice à ren-
ne fût pas heureux de respirer et d'espérer. dre aux uns qu'une vexation à infliger aux au-
Seul, l'Arianisme avait droit d'être triste; le tres, il frappait à coups redoublés sur les riches.
coup de foudre qui tuait Valens, venait de le Il feignait d'amoindrir les impôts, et, tandis
tuer lui-même. qu'ilen supprimait quelques-uns avec éclat, il
Soldat sans cœur, empereur sans talent, ad- en créait subrepticement une foule d'autres ;
ministrateur sans probité, le frère de Valenti- les peuples se croyaient soulagés, et n'étaient
nien n'avait de grand que son ignorance et son que mystifiés. Avare et fastueux, il réparait les
fanatisme. 11 employa quinze ans de toute-puis- routes, creusait des ports, bâtissait des thermes
sance à peser sur la pensée humaine, à ensan- qui portaient les noms de ses filles, et il voulait
glanter les chaires et les autels, à proscrire des qu'en même temps ses coffres particuliers re-
philosophes, des moines et des évêques. Le Cé- gorgeassent d'or. Aussi, pour en avoir, il con-
sar qui livrait bataille aux anachorètes, qui pre- fisquait; pour confisquer, il tuait. Son premier
nait les églises d'assaut, tremblait de tous ses ministre des finances était le bourreau. 11 avait
ni' inbresdèsqu'ensa présence on venaitàpar- trouvé mieux que cela. Deux îiommes incom-
1er des barbares. Avait-il le pressentiment de parables, l'astrologue Héliodore et l'em-poison-
périr de leurs mains? Et pourtant, c'est lui qui neurPalladius, exploitaient, pour son compte,
ouvrit aax Goths les portes de l'empire et les des accusations d'une portée indéfinie, qui leur
établit dans la Thrace, leur assignant d'avance permettaient d'enlever, d'un seul coup de filet,
le champ de bataille où il devait tomber sous bien des têtes à la fois. Oa poursuivait les uns
leurs coups. Sous ce règne funeste, le nom des peur fait de sortilège, les autres comme com-
Huns fut prononcé pour la première fois le ; plices d'attentat à la majesté du trône. Lestera-
monde ne devait plus l'oublier'. Sinistre coïn- mes,diiAmmien, n'avaient pas le temps de pleu-
cidence avec l'apparition effrayante de cette
1 rer leurs maris. Dès qu'une dénonciation était
race nouvelle de barbares eut lieu le tremble- lancée, arrivaient des agents qui, sous prétexte
ment de que les annales du
terre le plus vaste d'apposer les scellés, glissaient !)armi les effets
globe aient enregistré. La mer, se repliant sur du prévenu quelque papier suspect, une ridi-
elle-même, s'éloigna brusquement de ses rives cule amulette, une recette de philtre autant de :

pour revenir sur elles avec une colère im- pièces de conviction devant les tribunaux où,
mense, les submerger et les briser. Des villes sans défense écoutée, on prononçait la confisca-
entières'disparurent sous la vague: on eût dit tion et la mort. Cet horrible artifice fut tant de
que le monde allait sombrer dans un autre dé- fois répété, causa la mort de tant d'innocents,
il

luge. Valens, qui était poltron et croyait aux que bien des familles en Orient purent le parti
présages, dut être ému de celui-là. L'antique delivreraux flammes leurs livres et leurs titres,
civilisation y vit un avertissement de sa fia pro- tant la terreur s'était emparée de toutes les
chaine, et la première osciilalioa de la grande âmes '
1 Quand Héliodore mourut, Valens, dé-
P»al. diic, Ainm. Marc, — solé, obligea les premiers personnages de l'em-
• 1. 12 : 1. 31. '
Amm, Mate, 1. 31 •

'
Ok»., 1. 7.
A mm. Maïc, 1. 2V, c, 2.
10 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

pire à escorter, pieds nus, mains jointes, le en Espagne ', son pays natal, et il y vivait dans
cercueil de ce misérable jusqu'au lieu de sa sé- une obscurité splendide, gouvernant en sage et
pulture. en chrétien sa fortune immense. A la mort de
La fourberie et la cruauté étaient les traits Valens, Gratien, resté maître du monde et trou-
saillauts de cette nature. Il ne prisait et ne ré- van t le fardeau trop lourd pour une tête de vingt
compensait dans ses lieutenants que la félonie. ans, tourna les yeux vers celui dont il avait tué

L'un d'eux invita à sa table un jeune roi allié le père, et, bourreau de l'un^ il voulut partager
de l'empire, et le fit assassiner à son côté avant l'empire avec l'autre.
la fin du repas. Ces infamies répétées, qui fai- Tliéodose, rappelé de l'exil, eut à gouverner
saient les délices de l'empereur, achevaient de Conslanlinople, l'Orient, la Mcsie, l'Epire, la
déshonorer la majesté du nom romain, si tant Grèce et les îles adjacentes. L'histoire, dit un
est qu'une ombre de majesté romaine existât écrivain, u'offre pas un second exemple dune
encore. La nature sévère à Valens n'avait dissi- élévation si pure et si honorable*. Sans doute,
mulé ses défauts sous aucun prestige. Ses traits la pénurie d'hommes, les périls publics, la si-

avaient la sécheresse et la dureté de son âme, tuation extrême, pesèrent sur les délibérations
ses jambes étaient arquées, son ventre proémi- de Gratien, et le poussèrent à cette résolution
nent, sa démarche lourde, son teint brun, un nécessaire mais courageuse, qui mettait son or-
de ses yeux couvert d'une taie '. A Antioche où gueil et son septre à la merci d'un homme qu'il
ilrésida longtemps, le peuple le détestait et le avait mortellement offensé. Il fallait cependant
méprisait et son nom, objet de toutes les im-
;
quelque chose de plus il fallait que le carac-
;

précations, était aussi le synonyme de toutes les tère de l'illustre disgracié commandât uneassez
injures. Son règne n'a laissé dans l'histoire haute estime pour lui livrer ainsi, avec le su-
qu'une large tache de sang et de feu '. prême pouvoir, l'instrument d'une vengeance
Jamais l'empire romain n'avait été plus près qui pouvait sembler légitime, dont peut-être il
de sa ruine. Il avait perdu dans les plaines d'An- épiait l'occasion. Théodose pouvait-il s'asseoir
drinople, avec ses meilleures troupes, sa con- sans arrière-pensée sur un trône croulant, à
fiance en lui-même et l'ascendant de son nom. côté du meurtrier de sa famille, et mettre sa
Les frontières du Tibre et de l'Euphrate étaient main dans les mains qui fumaient encore du
menacées par les Perses, les Ibères, les Armé- sang de son père? Pouvait-il oublier qu'avant
niens ; rillyrie et la Thrace ravagées par les cet oripeau qu'on lui jetait sur les épaules en
Goths, les Alains, les Huns, les Taïfales, bar- un jour de détresse, l'empereur l'avait décoré
bares entre les barbares ; le Rhin et le Danube d'une autre pourpre ? La pourpre de Théodose,
forcés par les hordes de la Germanie, les Francs, c'était le sang de son père versé par Gratien i] :

les AUamaris, les Suèves. L'univers s'écroule', avaitàl'honorercelle-là, et à la venger! Gratien


disait saint Jérôme. Et, en effet, c'était fini de crut à la magnanimité de son futur collègue il :

la capitale de l'Orient et de l'empire lui-même. eut raison. Le noble espagnol ne voulut pas
Mais l'heure de la Providence n'avait pas sonné. jouir de l'humiliation d'un maître amené à
Théodose fut proclamé empereur. ses pieds par l'imminence des événements. Au
Son père avait rendu naguère, en qualité de lieu de voir dans ce retour étonnant et forcé ce
général, les plus signalés services, et n'avait que tout le monde y voyait, une vengeance du
reçu pour récompense que la mort de la main Ciel, il n'y vit qu'un grand devoiràremplir, un

du bourreau. Il venait de pacifier et de sauver grand dévouement à la cause publique et à la


l'Afrique, aprèsavoirsoumiset pacifié laGrande- civilisation en péril : il accepta sans orgueil
Bretagne, quand, sur un ordre de Gratien, in- comme sans hésitation.
dignement trompé, il fut arrêté à Carthage au Du reste, il portait au rang suprême, avecle
milieu de son triomphe et décapité. Le comte sang impétueux de sa race, une intelligence
Théodose ne demanda ni grâce ni justice il im- : vaste et cultivée,un cœur intrépide et ferme,
plora le baptême et mourut. Son fils, encore l'héroïsme et les talents d'un grand capitaine,
jeune, mais illustré déjà par de hauts faits d'ar- les mœurs elle caractère d'un sage, l'âme d'un
mes et des victoires sur les Sarmates, se retira grand homme et la foi pure d'un chrétien. Il
' Amm. Marc, 1. 31, c. 14, — ' Amm. Marc, 1. 31 ; Zosim., 1. 4 avait trente-trois ans ; sa figure était noble, sa
et 5 ; Théod. vit. pal,, c. 8; Id., Hist. eccl., 1. 4 ; Vict. epit. ; taille imposante, son regard profond et doux
Oros., 1. 7 j Themist., oral. 8j Paul diac, 1. la. — ' S. Hier.,
;

1, 8 m Exech. prœfat. ' Amm. Marc, 1. 29, c, 6 ; Tliéod., 1. 6, o, 5.— • Gil)^?n, 9,29.
CHAPITRE SIXIÈME. 71

son profil rappelait celui de Trajansurlesnic- tion ardente, d'une foi profonde, agités parles
dailles. L'eiii|iireel!ec;itlu>licisiiiu lui criaiiut grandes pensées de la religion, et mal à i aise
d'une iiiÙMue voix : Sauvez-nous, et il les sauva. au milieu d'un ironde dont leur organisation
Du moins sa main puissante retarda la ctiule délicate su|)portait difficilement les rudes con-
de rempile, et 1 E.ulise sous ce rèyne protec- tacts. Pour eux, la solitude était pleine do Dieu;
teur, sedédommagea des épreuves et de l'op- ils l'y sentaient partout avec une impression
pression du rèyne précédent. A peine avait-il inelTable de rafraîchissement et de paix. Ils se
saisi les rênes de TEInt (pi'il força les Goths à sentaient là dans le sanctuaire du recueille-
demander la paix, les Huns et les Scjlhes à re- ment, de de l'adoration, où, suivant
l'extase,
passer le Danube. Le monde respira et se crut l'expression d'un prophète. Dieu se plaît à atti-
sauvé. Mais ne s'agissait plus de contenir, par
il rer l'âme humaine quand il veut lui parler cm
des digues désormais impuissantes, ce flot de co2i(r\o\x l'on trouverait peut-être, s'il en res-

barbares qui se changeait en déluge. Il n'y avait tait sur la terre, les traces de ce paradis qui fut
qu'à purifier ces cauxchargéesd'innnondices et la première demeure de l'homme ici-bas, alors

de sang, aies rendre limpides et vivifiantes, et que son Créateur s'entretenait familièrement
c'était l'œuvre réservée aux apôtres de l'Evan- avec lui.

gile. Théodose le comprit; et cettepensée ins- D'ailleurs, en ces temps de malheur et de


pira sa politique vis-à-vis des barbares, sa con- trouble, dernier jour d'un empire condamné
duite dans les rapports de l'Eglise avec l'Etat. par la Providence, le besoin de la solitude se

Se déclarant hautement pour l'orthodoxie, il faisait plus vivement sentir aux cœurs, lassés
rendit le célèbre édit du 28 février, où il établit et dégoûtés du spectacle d'agonie et de dé-
queceux-là seuls sontréputéschréliensqui sont composition qu'ils avaient sous les yi ux. Là
attachés à la foi île saint Pierre. seulement, on se possédait soi-même dans sa
Revenons à Clirysostome. Cette vie,utilement liberté et sa dignité ; il n'y avait que ce refuge
et saintement occupée, parut trop douceet pres- contre l'anarchie, l'oppression etle décourage-
que mondaine à cette âme enthousiaste, altérée ment. La Providence retrempait silencieuse-
de pénitence et d'immolations. Dans cette soli- ment dans le désert l'énergie humaine c'était ;

tude peuplée de sages, à laquelle la mort de le laboratoire caché où


en sous- elle refaisait
Valens avait rendu la paix et ses habitants, il ne œuvre l'humanité. Il est impossible, enétudiant
trouvait ni assez de silence ni assez d'isolement. cette époque de l'histoire, de n'être pas frappé
Bien des regards se tournaient vers lui; il était de ce fait tous les hommes qu'on voit appa-
:

moins oublié qu'il eût voulu l'être. Trop près raître au milieu des autres avec la puissance
des hommes, il brûlait d'être seul à seul avec des œuvres et de la parole, ceux qui ont le cou-
Dieu. Après quatre ans de séjour au milieu dos rage de lutter contre la tyrannie des rois et la
cénobites, il les laissa sous la règle du monas- corruption du peuple, qui contribuent à la ré-
tère, et s'enfonça plus avant et tout seul dans la novation sociale, élus du génie et de la sainteté
montagne'. Une grotte fut sa demeure. 11 y vé- pour éclairer, dominer, entraîner le siècle dans
cut de la vie de ces sublimes misanthropes qui, lesvoies de Dieu,ontvécuaudésert^8Toutce
sous le nom d'anachorètes, s'immolaient pour qui est grand, tout ce qui est fort, disait saint
les hommes qu'ils avaient fuis, et, ajoutant sans Ambroise, se retire sur la montagne avec Jé-
cesse sacrifice à sacrifice, souffrance à souf- sus ' ». C'est là qu'on apprenait le mépris des
france, eussent voulu combler l'enfer de leurs sens et l'oubli de soi, sans lesquels nulle puis-
expiations , l'éteindre de leurs larmes s'ils sance n'est vraie, nulleœuvre féconde. Le flotde
l'avaient pu, pour en épargner le malheur à boue qui submergeait tout, n'atteignait pas ces
leurs frères. hauteurs privilégiées , d'où s'épanchait sur
Il est vrai de le dire : sous ce beau ciel de la l'univers l'esprit qui devait le changer. La so-
Syrie, dans ce climat pur et doux, en présence litude était l'école des grands hommes et des
de cette nature privilégiée, où Dieu avait accu- fortes vertus, la pépinière de la Providence :
mulé toutes les magnificences delà Création, le elle abritait dans son ombre sacrée l'espé-
séjour de l'ascétisme n'avait rien d'effrayant : rance du genre humain.
au contraire, il devait attirer, captiver par un ' Lactabo ertm, et ducam in solitudinem, et loguar ad cor ejus*
charme puissant des hommes d'une iniagina- Osée, c. 2, V. M.) — ' Villem. Eloq. chrét., art. Chrjs. —
'
Omîtes
magni, omn» lubiimei montem atcmdunl. ($• Ambr. in Lue,, 1. *,
•PaU., p. 41i ••16.)
72 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

Chrysoslome passadeuxans dans cet exil vo- che; mon âme a soif de vous; pour vous sans
lontaire, loin de tout être vivant, au milieu de cesse ma chair se consume '
1 Mon cœur et ma
rochers inaccessibles, dans la partie la plus sau- chair ont tressailli de joie dans le Dieu vi-
vage de la forêt. Là, ne comptant pas plus son vant'! »
corps que s'il l'avait déjà dépouillé', il s'aban- Son temps, d'ailleurs, se partageait rigoureu-
donnait, comme un pur esprit, aux sublimes sement entre la prière, le travail des mains et
délices de l'étude et de l'adoration. Il avait re- la méditation des saints livres, les seuls qu'il
trouvé, sur son Oreb, le buisson de Moïse ; et, Il les apprit par cœur d'ua
eût portés au désert.
du sein des flammes, Dieu lui parlait. La vie de bout à l'autreLe texte sacré ne devint pas seu-
'.

l'esprit étant, à quelques égards, en raison in- lement le moule de sa pensée, mais sa pensée
verse de celle du corps, nulle part elle n'a plus même. Le feu du ciel, que tant de fois il avait
d'intensité que dans la solitude qui l'affranchit appelé sur sa tête *, l'embrasait et le consu-
de presque tous les liens terrestres, et concentre mait comme un pur il ne restait holocauste :

ses forces dans une seule pensée. C'est là qu'elle de l'homme qu'une flamme embaumée, un
remonte directement à sa source, sans que rien vivant cantique.
la détourne de son but, sans qu'aucun frotte- Dieu ramena sur la terre par la chaîne du
ment ralentisse son essor. Aucune affection devoir cette vie impatiente qui se précipitait
grossière, aucune brume venue des sens ne au ciel avant l'heure. Pour lui aussi, le Tha-
voile à l'âme son soleil ; elle a franchi la région bor précédait le Calvaire les saintes visions :

des nuages, l'infini seul est devant elle ; elle suit le préparaient au combat.
son attrait, elle désaltère sa foi, elle s'abreuve Un pieux solitaire, le même qui avait guidé
de Dieu; elle croit le voir, l'entendre, le tou- ses premiers pas dans la vie monastique, vit un
cher, converser avec lui ; elle le respire, elle jour, dans le ravissement de l'oraison, son
vit de Le Verbe de Dieu se fit sur Jean,
lui. jeune disciple qui priait à genoux, le regard
fils de Zacharie, au désert '. Il en fut ainsi du élevé au ciel. Deux hommes vêtus de blanc, le
fils d'Anthusa. visage rayonnant de lumière, s'approchèrent
Dérobé à tous les regards, ne voyant qu'un de lui, et, le prenant par la main, lui dirent :
seul homme, l'ami qui venait lui porter tous Jean, c'est Jésus-Christ qui nous envoie vers
morceau de pain dont il vivait, ne
les jours le toi. Et l'un d'eux, lui présentant un livre ou-

descendant de sa retraite que le jour du Sei- vert, ajoutait Je suis Jean l'Evangéliste, qui
:

gneur pour aller manger à la table des anges reposai ma tête sur le sein du Sauveur; prends
un pain plus substantiel, sa grotte était le sanc- le livre des divins oracles : je t'obtiendrai la
tuaire de ses méditations, l'autul de ses holo- grâce de comprendre et de l'expliquer. En
le
caustes, le nid d'aigle de son âme, d'oîi elle même temps l'autre lui mettait dans les mains
s'élançait vers l'éternel foyer de la lumière, es- les clefs symboliques, en disant C'est moi qui :

sayant de le fixer, et jouissant avec délices de eus le bonheur de reconnaître et de confesser,


son propre éblouissement. Etendre son corps pendant qu'il était sur la terre, la divinité de
fatigué surune natte ou sur la pierre nue, lui Jésus-Christ, Fils du Dieu vivant. Prends ces
semblait déroger à la noblesse de l'homme, le clefs qui ouvrent et ferment le ciel. Toi aussi,
seul être de la Création, dit un grand orateur, tu auras pouvoir de délier et de pardonner.
le

qui ait reçu le privilège de se tenir debout de- Et tous les deux lui montraient le sanctuaire
vant Dieu^ Il dormait sans se coucher, sa tête ouvert et paré pour le recevoir *.
sur ses mains, ses mains appuyées sur une corde C'est l'investiture prophétique du pontife
qui tombait de la voûte de la caverne *, et il et du docteur c'étaient les deux parrains de
:

n'accordait au sommeil que quelques instants, son sacerdoce qui présentaient Chrysoslome
heureux de devancer de son hymne celui de à l'autel. Et, en effet, le reflet de leur vie resta
l'aurore, et de pouvoir dire avec le Prophète :
sur la sienne il eut la foi de saint Pierre et
:

« Dès avant le jour, ô mon Dieu 1 je vous cher- la charité de saint Jean.

' Joan. Damasc, or. paneg.^ n. 6, 8. * Luc,— c. 3, v, 2, — • La- « Ps. 91 . - Ps. 62. - • PaU., ibid. — ' Chrya. à Stéléch. —
eordaire , Eloge du lieDheureux Fourier. —
' Pall.,
c, 5, p, 17
;
' Georg. Alex., loc, cit. p, 9.
Metâphr. in vit. S,
CHAPITRE SEPTIÈME. 73

CHAPITRE SEPTIÈME.

Clirysostouie quille le désert.— Situation de l'Eglise. — Relour de Mélèce — — — Concile d'\ntioche. —


Apollinaire. Viialis.

Kglises reiidiios aux Méléciens. — Kiis:.is;emt;iils — Clirysosloine diacre — Concile de Coiislanlinople. —


des chefs du parti.
Prélats qui le composent — Mort de .Meléce. — Se» — Avis de
fiincrailles. Grégoire. — Election de Flavicu. — Conti-
sai it

DuaiioD du schisme. — Chrysostuuie s'attache à comaïuuiOD de Flavien. — Stagyre. — Consolation ou


ta sur Provi- livres la
dence adressés i Slagyre.

Les forces physiques de Jean ne r(!'pondaient entre les Alpes Juliennes et Constantinople, des
pas à l'énerpie de son âme. L'iuimidilé de .«a flots de sang coulent tous les jours. La Scylhie,
grotte, l'excessive austérité de sa vie, une con- laTlirace, la Macédoine, la Dardanie, la Dacie,
tention d'esprit trop ardente et trop constante la Thesi^alie, l'Achaïe, l'Epire, la Dalmafie,
ruinèrent vite une santé naturellement déli- toutes les Pannonies sont ravagées. Les Golhs,
cate. 11 tomba malade, et fut contraint de les Sarmates, les Quades, les Alains, les Marco-
quitter lamontagne et de rentier à Antioche. mans, lesVandales et les Huns ravagent, pillent,
Cette maladie, dont ilne guérit jamais bien, déchirent ces malheureuses contrées. Que de
laissa sur son corps, en traces inetfaçables, les nobles femmes, de vierges consacrées à Dieu
stigmates de la pénitence '. ont été la proie de ces bêtes fauves Que d'évê- !

Certes, ces six années de retraite n'avaient ques réduits en esclavage, de prêtres égorgés,
pas été plus stériles pour l'Eglise que pour lui. de saintes reliques profanées, d'églises abat-
Outre son admirable traité sur le sacerdoce, tues! Les autels du Christ ont servi de man-
outre ses belles publications sur la vie monas- geoire aux chevaux. Partout le deuil, la désola-
tique et la componction, Jean avait complété tion, l'image de la mort sous toutes ses formes.
il revenait de
ses études sur les saints livres, et Le monde romain s'écroule, et nous portons
cette hante école du désert avec un talent mûri haut la têleM Mais au milieu de ces épreuves
par des travaux sérieux, et ces fortes vertus qui et de ces désastres, que de consolations Deux !

font les grands pontifes et les grands saints. princes unis de vues, animés d'un zèle égal
Mais pendant qu'au faîte de la montagne il pour le bien, réparaient les désastres du règne
oubliait la terre et les hommes, l'Eglise faisait, précédent, rendaient aux catholiques les églises
dans la personne de saint Basile, une perte im- ravies par les Ariens et s'inspiraient de l'Evan-
mense. Saint Ephrem et saint Eusèbe',ses gile pour faire de sages lois, noblement em-
amis, sainte Macrine, sa sœur, l'avaient suivi preintes de son esprit. De grands évêques, saint
de près au ciel. L'apparition de nouvelles héré- Optât, saint Pacien, saint Gaudens, saint Phi-
sies aggravaitla douleurdescœuiscatholiques. lastre, saint Grégoire de Nysse, saint Amphi-
Apollinaire, en effet, désolait par sa chute et ses loque glorifiaient la vérité par leurs écrits et par
erreurs Antioche et la Syrie; on commençait à leurs vertus. Saint Ascole baptisait Théodose,
parler des Massaliens; et, sous le nom de Pris- saint Paulin se consacrait à Dieu, saint Jérôme
cillianisme, une abominable infectant
secte commençait n publier ses grands travaux d'exé-
rEsjiagne et la Gaule frayait la route aux Vau- gèse; saint Martin, saint Victrice, saint Epi-
dois et aux Albigeois. L'Arianisme lui-même, phane remuaient le monde par leurs niiracle.'=;
quoique vaincu, n'était pas décourage il avait : thaumaturge et docteur, était
saint Ambroisc,
perdu Valens, mais gagné les Golhs, et se pro- l'Alhanase de l'Occident; saint Grégoire de Na-
mettait de refluer sur l'empire avec les bar- zianze, à force de courage et de talent, relevait
bares. Ceux-ci, comme un torrent qui a brisé l'Eglise de Constantinople sainte Paule, ; s'arra-
toutes ses digues, laissaient partout sur leur chantau monde, entrait dans cette voie héroï-
passage, la dévastation et d'immenses cala- que où elle devait porter si haut le drapeau de
mités. Depuis vingt ans, disait saint Jérôme, Jésus-Christ; sainteMélanieremplissaiirEgypte
Pil].,cial., c. 5, p. 17. — *S. Eiuib» de Samoaate. > s. Hier., ad Uelioil. ep. 3!>, t. 4, ait. part., p. 271.
.

74 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME;

et la Palestine des nobles profusions de sa cha- fert, n'était mort et fêêsuscitê qu'en appâtêhce.
rité ; sainte Fabiola ouvrait à Rome le premier Ces erreurs combattues par saint Athanase,
hôpital qu'ait vu la capitale du monde chré- désavouées tout d'abord par leurs partisans,
iion ; sainte Marcelle, sainte Marcelline, prodi- avaient fini par s'étendre et faisaient secte à
ges de pénitence et de charité, faisaient fleurir Antioche. Le mal s'accrut par l'adjonction de
au sein des plus grandes familles les plus hautes Vitalis, prêtrede la communion de Mélèce,
vertus de l'Evangile. La vie chrétienne prenait honoré entre tous pour la pureté de ses mœurs,
en Occident des développements admirables. mais vain et rancuneux, lequel, se croyant dé-
Pierre rentrait àAlexaudrie, Mélèce à Antioche, daigné de son collègue Flavien, n'imagina rien
Cyrille à Jérusalem, et par-dessus tout, le pape de mieux pour se venger que d'embrasser la
saint Damase, du haut de sa grande chaire, con- cause d'Apollinaire, quile fit immédiatement

fondait l'hérésie, et, pasteur des pasteurs, con- évêque d'Antioche. Les Vitaliens eurent leurs
seillait et dirigeait lesévoques de l'Occident et synaxes, leurs rites particuliers, surtout leurs
de l'Orient, qu'il appelait ses fils bien-aimés*. cantiques, ceux-ci composés avec un art perfide,
Antioche avait donc retrouvé Mélèce et l'a- , ne respirant que la confiance en Dieu, et sous
vait accueilli comme une famille accueille son la piété cachant le venin. On les chantait par-

père après une absence trop prolongée. La ville dans les maisons, dans les gynécées, les
tout,
entière s'était portée à sa rencontre on se je- : hommes au repos et au travail, les femmes en
tait à ses pieds, on baisait ses mains. Ceux qui tissant le lin et la soie'.

ne pouvaient findre la foule pour aller jusqu'à Cet état de choses émut profondément le
lui, s'estimaient heureux d'entendre sa voix, pieux Mélèce. A peine rendu à son siège, il
d'apercevoir son visage: illeursemblaitqu'une réunit sous sa présidence cent cinquante pré-
grâce divine s'exhalait de ses vêlements, et lats, désireux comme lui de trouver un remède
que de loin son aspect, comme l'ombre
même au mai. Mais le remède était trouvé. Rome
des apôtres, guérissait les malades ^ avait parlé : elle avait condamné l'hérésie et
Le vieux pontife, en revoyant sa ville bien- prononcé la déposition de l'hérésiarque. Le
aimée, la trouvait plus que jamais en proie à la concile n'eut qu'à souscrire l'exposition de foi
division. Outre le malheureux partage des ca- adressée par Damase aux évêques de l'Orient,
tholiques en deux communions, des erreurs, et la question fut irrévocablement terminée.
longtemps couvertes d'un nom respecté et dis- Aux yeux de tous, la chaire de Rome était le
crètement répandues, venaient de déchirer le centre de l'unité et l'oracle suprême de la foi.
voile et jetaient l'Orient dans une agitation Cependant, un officier de l'empereur, Sapor,
nouvelle.ApollinaireétaillacKUse de cet orage. vint à Antioche pour faire restituer les églises
Habile à manier la parole et la plume, il avait à ceux qui étaient de la communion du pape.
consacré ses talents et son savoir à la vérité. On PauRn assurait qu'il communiquait avec Da-

lecomptaitparmilesflanibeauxde l'orthodoxie. mase; Apollinaire, accouru au secours des


Ses traductions des saints livres en vers grecs, siens, en disait autant; Mélèce gardait le silence.

d'autres travaux oubliés aujourd'hui, célèbres Alors Flavien, prenant la parole, dit à Paulin
©lors, et en particulier une belle apologie du en présence de Sapor a Si tu communiques :

Christianisme persécuté sous Julien, l'avaient avec Damase, professe avec lui trois hypostases
placé très-haut dans l'estime du monde catho- dans une seule essence, et reçois les églises
lique. Mais plein de confiance en lui-même, selon la loi» Puis, se tournant vers Apollinaire :
.

dédaigneuxde la tradition et de l'autorité, vou- a Oses-tu, lui dit-il, trahir à ce point !a vérité?

lant défendre le dogme à sa guise, il enseignait Damase enseigne que uni à un


le Verbe s'est

que le Verbe éternel, en s'unissant à la nature homme parfait, et tu prétends qu'il n'a pris
de
humaine, avait pris le corps de l'homme sans l'homme que le corps Si tu es calomnié, 1

prendre son âme; du moins qu'il n'avait pris prouve-le, en souscrivant à la doctrine de Da-
qu'une âme purement sensitive, sans intelli- mase, et que les saints temples te soient livrés»

gence et sans raison. 11 ajoutait que le corps de Sapor, ayant tout pesé, remit les églises à
Jésus-Christ était consubstantielau Verbe, qu'il Méièce. Mais les Eusthatiens blessés s'empor-
l'avait apporté du ciel sur la terre, et qu'ainsi tèrent, et la contestation allait dégénérer en
il n'était pas né du sein de Marie, et n'avait souf- émeute quand les deux partis s'arrêtèrent à cet
• Tbéod., 1. 5, c. 10. — • Chrye., dise, sur S, Mel. • Tbéod., 1. 5, c. 3.
CHAPITRE SEPTIÈME. 7S

accord. On prit dans tout le clergé de la ville A côté de ces misérables, honte et fléau du
les six |>ri"tiTS lopiités les plus difinesderépis- sacerdoce, figuraient les hommes les plus émi-
copat, entre lesiiueisFlavien, cl on leur fit pro- nentspar la science et la vertu : saint Grégoire
nirllre parsenneiit que si l'un des deux évèques de Ny>sc, saint Pierre deSébaste, saint Amphi-
venait à mourir, nul nesenicttrailsurlcs rangs loqued'lconium, saint Pelage deLaodicée, saint
pour le remplacer, eti|ue tous reconnaîtraient Opiime d'Anlioche en Pisidie, saint Euloge
pour unique pasteur le dernier survivant'. Cette d'Edesse, saint Cyrille de Jérusalem, Gélase de
convention apaisa les esprits, et pour quel(iue Césarée en Palestine, son neveu, Viltus de
tempsdu moins amoindiitleseiïetsduscliisme. Carrhes, Denis de Diospolis, Abraham de Batne,
Telle était la situation religieuse d'Antiochc Bosphore de Colonie, Otréede Mélitène, Antio-
au moment où Clirysostonie y rentrait. Son chus de Samosate, successeur et neveu de saint
retour fut une joie inespérée pour Mélèce. Cet Eusèbe, saint Ascole de Tbessalonique et beau-
homme, jeune encore, mais déjà renommé, au- coup d'autres d'un rare mérite, parmi lesquels
quel il avait ouvert les portes du sanctuaire, plusieurs avaient confessé la foi et souffert pour
dont il avait dirigé les premier travaux et jirédit elle sous Constance et sous Julien *.

la destinée, lui revenait du désert, dans la plé- Théodose, à la veille d'être associé à l'empire
nitude de la force et du talent, pour être l'appui par Gratien, eut un songe, qu'il prit volontiers
de sa vieillesse et partager avec lui les combats pour une prophétie. Un pontife à cheveux
du Seigneur. Avec quelle effusion il l'embrassa blancs, l'évêijue d'Antioche, lui était apparu
et le bénit! Comme il se bâta de le faire avancer dans le sommeil, et lui avait mis sur les épaules
d'un pas de plus vers le sacerdoce! Jean, s'in- le manteau impérial, sur la tête le diadème.
linant avec un respect filial sous une autorité Les traits qui l'avaient frappé dans cette vision
qu'il aimait, fut ordonné diacre *, restèrent gravés dans samémoire et plus tard, ;

L'ordination de Chrysostome fut le testament lorsque Mélèce arrivé à Constantinople se pré-


de Mélèce car presque aussitôt, sur l'invitation
;
senta devant l'empereur, celui-ci le reconnut
de l'empereur, il partit pour Constantinople, dansla foule des prélats, sans l'avoir jamais vu
où l'attendait la mort. Théodose, en effet, venait autrement qu'en rêve, et courant droit à lui, le
de convoquer dans la métropole de son empire serra sur son cœur, lui baisa respectueusement
les évêques de son obéissance, c'est-à-dire de la main, les yeux, la poitrine, lui raconta sa
la Macédoine, de l'IUyrie, de l'Egypte et de vision, et l'entoura, jusqu'à la fin, des empres-
l'Orient. Cent cinquante environ s'y rendirent. sements et des hommages d'une filiale véné-
Saint Grégoire de Nazianze nous donne de la ration '.

plupart de ces prélats la plus triste idée, a Les Le concile, présidé par Mélèce, eut d'abord à
uns, dit-il, trafiquant de la foi, issus de quelque donner un évêque à Contantinople. Théodose,
scribe de l'impôt, ne rêvaient que calculs frau- grand admirateur de l'éloquence et des vertus
duleux; les autres avaient quitté la charrue ou de saint Grégoire de Nazianze, ne trouvait per-
la pioche, la rame ou le sabre pour se faire sonne qui fût plus digne que lui de cette haute
évêques... Plusieurs, naguère artisans et forge- position. Tout le monde fut de son avis. Gré-
rons, étaient noirs encore de charbon et de suie, goire résista, mais se laissa vaincre, etfut solen-
et, tels que des esclaves qui n'ont pas encore nellement installé sur la chairede Byzance. Des
payé à leurs maîtresle prix de leur liberté, pour discours célébrèrent cette installation comme
avoir su ameuter en leur faveur quel(|ue portion une fête ; mais les joies de la fête furent vite
de la populace, se montraient les plus inso- troublées par la mort de Mélèce. Le noble vieil-
lents... inconstants dans la doctrine comme les lard mourut au moment où sa grande expé-
flots de la mer, ils ne savaient que flatter les rience, son esprit si conciliant, la douce auto-
femmes et flairer les dîners, lions à l'égard des ritéde son âge et de ses vertus, étaient le plus
petits,chiens à l'égard des grands. L'un vantait nécessaires à cette orageuse assemblée. Sa perte
sa noblesse, l'autre sa faconde; celui-ci sa for- fut un deuil public '. Saint Grégoire de Nysse
tune, celui-là sa famille plusieurs n'ayantrien; pronon^-a son éloge funèbre dans l'église de
faisaient parade de leur méchaocelé » ». Sainte Sophie, en présence de l'empereur et de
ses collègues, et n'hésita pas à dire que déjà,
'Socr., 1. S.-'Pill., dm., e. 5.-«Gr. Nai., t. 2, p. 787;
5, c.
B. Grégoire de Nyâ$e dli en moins de mots lei
mêmci choses (in 'Socr., 1. 5, c. 8 i
So?.om., 1. 6, c 7 j Théod., I. S, c 8. >.
eanl. hom. 13^
' Tliéod., I, 5, c. 6 et 7. — Soc, 1. 5, c. 9 ; Sozom., 1. 7, c. 10.
.

76 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

face à face devant Bien, Mélèce demandait cilecéda à un malheureux sentiment d'opposi-
grâce pour ses frè-es et pour les ignorances du tion à l'Occident, et Flavien, qui avait suivi
peuple '.On lui fit des funérailles magnifiques, Mélèce à Conslantinople, fut nommé à sa place
au milieu d'un immense concours de peuple, évèque d'Antioche. Saint Grégoire quitta l'as-
du chant des psaumes à deux chœurs et en plu- semblée avec indignation se démit de son siège ,

sieurs langues, et d'une telle profusion de lumi- et gagna, pour ne plus en sortir, sa solitude

naire que la ville semblait en feu. Son corps chérie d'Arianze, Mais que dire de Flavien et
embaumé, couvert de lin et de soie, fut provi- comment expliquer sa conduite, surtout si la
soirement déposé dans l'église des Apôtres. On convention dont nous avons parlé, d'après So-
passait sur sou visage des linges dont les fidèles crate, existait réellement entre les deux com-
se partageaient les lambeaux comme autant de munions et qu'il y eût adhéré avec serment' ?
gages des célestes bénédictions. La translation Le concile pouvait-il le releverd'un engagement
de ses reliques à Antioche fut unelongue et tou- précis et sacré? Si l'esprit de parti n'avait trou-
chante ovation. Partout, sur la route, les popu- blé son jugement, il aurait suivi l'exemple que
lations catholiques allaient à leur rencontre et lui moment l'illustre ami de saint
donnait en ce
les escortaient processionnellement. La métro- Basile, et se fût effacé comme lui. Il n'y avait pas
pole de la Syrie les reçut avec des hymnes et autre chose à faire. Accepter l'épiscopat dans
des pleurs, comme un riche trésor et le plus de telles conditions, ce n'était pas s'immoler au
beau legs d'un père. Il fut enseveli auprès du bien public, mais prolonger indéfiniment des
martyr Babylas, dans l'église qu'il lui avait discordes déjà trop longues. L'opposition de
dédiée, où, cinq ans après, Chrysostome célébra l'Eglise romaine qu'il avait à braver et qui lui
l'anniversaire de cette translation * et la mé- refusa sa communion, devait, ce semble,
moire bénie de celui qu'il appelait son père. l'éclairer assez et le faire reculer. Un nuage,
Mais lamort du saint vieillard, qui devait être sans doute, obscurcit sa vue et mit en défaut sa
la fin du schisme, ne fit que l'uggraver. Saint bonne foi.

Grégoii'ede Nazianze proposa de laisser Mélèce Du reste, son ordination produisit l'effet qu'il

sans successeur, et de réunir les deux partis fallait en attendre : elle augmenta la mésintel-
sous la houlette de Paulin. « Tant que cet ligence entre l'Orient et l'Occident, et la divi-
homme divin est resté parmi nous, disait-il, sion entre les catholiques d'Antioche '. L'élu
nous avions à le défendre contre les Occiden- du concile, adopté parles évêques de Syrie, de
taux; et l'on était pardonnable de leur opposer Palestine, de Thrace, de Cappadoce, de Galatie,
quelque résistance. Maintenant que la tempête eut contre lui Chypre, l'Egypte, la Macédoine,
cesse, et que Dieu donne la paix à son Eglise, riUyrie, l'Arabie, l'Italie, Rome surtout et saint
assurons le trône épiscopal à celui qui le pos- Anibroise. A Antioche, le schisme ruinait la
sède. La mort apportera bientôt la solution des discipline, chaque partie ménageant les siens
Paulin arrivera au terme de sa vie;
difficultés. aux dépens des canons, dans la crainte qu'une
et nous, aidés du Saint-Esprit, avec l'assenti- sévérité trop grande nejetât les faibles dans le
ment du peuple et des évêques, nous placerons parti opposé '.
sur la chaire d' Antioche quelqu'un qui réta- la communion de Mé-
Chrysostome, attaché à
blira la concordeau milieu du troupeau divisé. lèce, embrassa celle de Flavien, qui, à ses yeux,
Cette mesure, d'ailleurs, nous rapprochera de ne faisait que continuer Mélèce. Sa profonde
l'Occident, qui nous est, je le vois, trop vénération pour la mémoire de l'iin, pour les
étranger ' » vertus de l'autre, l'empêchait-ellG de voir ce
Ce sage avis, loin de prévaloir, mit en fureur qu'avait de défectueux l'ordination de Flavien?
les jeunes évêques, que saint Grégoire com- en laissant celui-ci hors de sa com-
D'ailleurs,
pare ', dans celte circonstance, à un troupeau munion, Rome ne l'avait frappé d'aucune cen-
de geais croassant tousàlatois, ouà un essaim sure.
de guêpes sautant au visage de quiconque les Avant tout, Jean était l'homme de la charité;
approche. L'esprit des Pholius et des î.!ichel ' Admelf^ns que le fait de cette conventioD ne soit pas suffisam-
Cérulaire commençait à poindre. Enlrauié par mentetc*" . o'élait-il pas évideot qi:e succéder à ÛJclèce du vivant
de perpétuer et aigrir lu scnisme, en même temps
F'auliD. c'était
une minorité irréfléchie et passionnée, le con- qu'affliger l'Égliseromaine ?
" Théod., 1. 5, c. -3. Plusieurs personnes qui suivaient la commu-
• Gt. Nyss., dt il/«/.;Tmem.,Mem., t. 8, p. 575.
— 'Chrys.,disc. nion de Mélèce la quittèrent alors pour celle do Paulin (Soz., 1, 5,
•U[ S. Mcl. —
' Gr. Niiz,, t.
2, p. 758. — ' Gr. Naz., t. 2, p. 763. c. U). —
' Cljiy».,
Eom, Il ad Eph.
CHAPITRE SEPTIÈME. 77

aussi ne ce?sa-t-il de s'employer de toutes ses jour sa délivrance, et, n'oLtcnant rien, il tomba
forces pour aniortinlcs livalilés funestes, et dans le désespoir. L'infortuné, qui se croyait
opérir une rcconcilialion qui ne devait avoir perdu, accusait le Ciel d'injustice. La pensée
lieuque beaucoup plus tard, mais qui fut due d'en finir avec la vie l'obsédait sans cesse. En-
en i>arlie à son intervention persévérante. fin, n'en pouvant plus, il quitta le désert, et
Est-ce déjjoùl de cesdivisions, est-ce mauvais vint se réfugier à la ville. Mais ce mal mysté-
état de sa santé, qui se rétablissait lentement rieux et terrible le suivait partout.
et difficilement, il ne quittait pas sa demeure. Chrysostome, qui l'aimait, eût voulu courir à
Une fiiblcsse extrême et de grands maux de lui et le consoler; mais, empêché par ses pro-
tète le condanmaientàuneinaction non moins pressouffrances, il pour son malheureux
écrivit
fatigante que la maladie. Néanmoins son diaco- ami les trois livres dont nous parlons, où les
nat tut loin d'être perdu poi.r la charité. Il nous considérations les plus hautes se mêlent à la
en reste entre autres une œuvre immortelle, plus alfectueuse pitié. Il y développe admirable-
dans SCS trois livres de la Providence, écrits ment, par les exem-
paroles de l'Ecriture et les
pour l'ascète Stagyre. ples des grand enseignement du
saints, ce

Né de parents nobles et riches, Stagyre avait Christianisme, que tous les événements d'ici-
trouvé dans sa maison dans sa fortune trop
et bas, même ceux qui nous affligent le plus, sont
de facilités à satisfaire ses passions pour avoir disposés providentiellement dans notre intérêt
résisté à leur attrait. Son père, quoique chré- éternel, tantôt comme de précieux moyensd'ex-
tien, lui donnait le fâcheux exemple de toutes pier le péché, tantôt comme de salutairesépreu-
les dissipations. Cependant il eut à peine connu vesde la vertu, et qu'une foi éclairée ne peut y
le monde, qu'il s'en dégoûta. Jeune, il eut le voir que les marques de celte divine bonté qui
courage de s'airacher aux séductions qui Tcu- tire le bien du mal, et par les souffrances nous

Tironnaient, et, malgré la vive opposition de sa mène au bonheur.


famille, il se relira dans les montagnes d'An- « Nous devrions être près de toi, dans ton af-

tioclie et embrassa la vie monastique. Mais il fliction, bien-aimé Stagyre, pour t'aider de nos
portait dans la solitude, avecde généreuses pen- paroles et de nos services, et, autant qu'il est
sées, une nature faible, amollie par une édu- en nous, adoucir tes maux; mais, puisqu'une
cation trop mondaine. On le trouvait lâche à santé misérable etde violentes douleurs de tête
accomplir ses devoirs, plus occu|ié desarbres nous privent de cet avantage et nous forcent à
du verger que des saints livres, infatué de sa garder la maison, nous voulons au moins ne
naissance et de lui-même, se pliant difficile- rien négliger de ce qui peut contribuer à ta con-
ment aux austérités de la régie et à l'obéissance. solation et à la nôtre. Une lettre peut-être te
Puis, tout à coup, la tiéileur fit place à la plus fera plus de bien que nos paroles, et, dans le
affreuse tristesse. ChrysostomcquiTavaitcon nu casque nos efforts soient sans succès, nous au-
sur montagne et s'était lié avec lui, apprit
la ronsremplinotredevoiret évité toutreproche...
avec un profond chagrin, de la bouche d'un du nombre de ces hommes qui, plus
Si j'étais
ami commun, qu'un jour, pendant la prière des rapprochés de Dieu par leurs vertus, ont aussi
cénobites, le malheureux Stagyre, terrassé par plus de crédit près de lui, je ne cesserais de le
le démon, s'était roulé à terre, les yeux renver- prier, le supplier pour une tête si chère ;
de
sés, la bouche écumante, avec des convulsions mais mullitudede mes péchés m'enlève cette
la
et des tiurlements horribles, etque, la nuit sui- confiance, et il ne me reste pour te venir en
vante, on avait vu l'esprit mauvais sous les traits aide que mes discours. Sans doute, c'est au
d'un animal immonde, couvert de boue, se médecin de soulager, de guérir le malade cela ;

lancer furieux sur l'infortuné, dont les cris la- empêche- t-il des serviteurs dévoués de l'entou-
mentables consternaient le monastère. La pen- rer de paroles affectueuses et consolantes? Si
sée d'être possédé du démon, partagée autour donc je puis dire quc^iue chose qui calme ton
de pauvre ascète dans une indicible
lui, jeta le immense douleur, mes vœux seront satisfaits.
douleur. Il se tourna vers Dieu, multiplia les Si je ne sais trouver rien de semblable, celui-là,
prières et les jeûnes, redoubla de ferveur, cou- sans nul doute, me tiendra compte de ma bonne
rut auprès de divers solitaires renommés au volonté, qui, par la bouche de saint Paul, nous
loin par la sainteté et le don des miracles, vi- a ordonné de pleurer avec ceux qui pleurent
sita les luijibeaux des martyrs, implora nuit et et de compatir aux affligés.
78 HISTOIRE DE SAINT JEAN CIIRYSOSTOME.

« L'unique cause de ton chagrin paraît être créa les anges, les archanges, les substances in^
la fureur de cet affreux démon qui te tour- corporelles, sans autre motif de les créer que sa
mente: en y réfléchissant, on voit que c'est la bonté ; car, n'ayant pas besoin de leurs hom-
racine de tous tes maux ;
je l'ai conclu des mages, ne les eûtjamaiscrécss'il n'était infî-
il

plaintesmêmes que j'ai recueilliesde ta bouche niment bon. Après les purs esprits, et pour le
quand j'étais près de toi. Tu me disais qu'heu- même motif, il fit l'homme et le monde ; et
reux dans le monde, c'était après l'avoiraban- ayant rempli le monde de toute sorte de biens,
donné que le terrible mal t'avait tait sentir ses il en donna la royauté à celte petite et chélive
atteintes; que d'autres, au contraire, tombés créature, voulant qu'elle fûlsur la terre ce qu'il
sous ses coups au milieu des folies de la jeu- estlui-même dans le ciel. Il fil du paradis le pa-
nesse, mais promptement revenus à la santé, laisde l'homme, conduisit à ses pieds tous les
s'étaient mariés, avaient des enfants, el jouis- animaux pour recevoir de lui leur nom et re-
saient sans trouble de tous les biens d'ici-bas; connaitresa suprématie, l'institua médiateur de
que pour toi seul les prières des saints restaient l'une etde l'autre nature, et créa la femme pour
impuissantes; que lu peine au désir
résistais à compléter son bonheur. Il lui conféra, en outre,
de terminer tes jours par un suicide que le ;
la parole, la connaissance de Dieu, le privilège
bonheur de tes frères dans la solitude, où tu de s'entretenir avec une sa-
lui, l'immortalité,
souffrais tant, redoublait tes souffrances; que gesse supérieure, la grâce, le don de prédire
tu tremblais sans cesse que ton père, à qui les l'avenir, et tout cela sans le moindre mérite de
pieux stratagèmes d'une mère excellente déro- sa part.
baient la connaissance de ton élat, ne se porlât, « Comment l'homme a-t-il répondu à tantde
s'il venait à l'apprendre, à des excès envers les bontés? a préféré son ennemi à son bien-
11

solitaires qui t'avaient accueilli, et n'abusât faiteur, écouté le perfide qui voululle perdre, et
contre eux du crédit que lui donne sa fortune ;
désobéi à celui qui l'avait créé. Est-ce que Dieu
enfin, et c'estlecombledu malheur, tudéclarais a détruit sur-le-champ cet être ingrat qui débu-
n'avoir plus l'espoir de guérir... J'étais absent tait par un acte de rébellion? La justice l'eiit

quand le démon se jeta sur toi et te renversa à exigé; Dieu n'écouta que la miséricorde, et con-
terre, et je rends grâce à Dieu qu'il m'ait épar- tinua à comblerl'homme de ses bontés. En ef-
gné ce douloureux spectacle ; mais j'ai tout su fet, du paradis, la condamnation à
l'exclusion
par Théophile d'Ephèse, notre ami commun... mort, qui semblent n'annoncer que colère et
Ce récit, je l'avoue, m'a causé autant de peine vengeance, sont autant de traits de cette iné-
que l'ennemi t'a fait de mal '... » puisable bonté, qui, en châtiant le coupable, en
Après cet exorde dicté par son cœur, Jean re- le dépouillant de prérogatives imméritées, ne
lève une à une les plaintes de son ami contre la songeait qu'à le corriger el aie sauver.

Providence. Pourquoi la puissance du diable? Impuni, l'homme eût été tenté d'accuser le
a

Pourquoi les souffrances de l'hoinme? Pour- créateur de jalousie et de mensonge il eiit pris ;

quoi les justes sont-ils plus affligés que les mé- le séducteur, l'auteur de tous ses maux, pour

chants ? Pourquoi tant de crimes impunis, son bienfaiteur et son ami, et n'eût mis ni me-
quand tant de vertus sont méconnues et ba- sure ni terme à ses désordres. Condamnés au
fouées? Pourquoi lui-même,Stagyre,est-il plus travail et à l'affliction, nous péchons encore à ;

malheureux depuis qu'il est plus fervent? quel excès ne se fût pas portée notre audace,
Le premier livre réponse à ces objec-
est la si Dieu offensé nous eût laissés dans les délices

tions. Chrysostonie y démontre que la bonté di- et le repos?.... En nous laissant vivre, mais en

vine préside à la destinée de l'homme, et que nous châtiant, il n'a suivi que l'impulsion de
les afflictions des justes sont les preuves mêmes son amour et tout est disposé pour que le pé-
;

de cette bonté, qui seule a créé, seule gouverne ché ne soit puni que d'un châtiment paternel,
lemonde, et qui, même en nous châtiant, ne propre à nous préserver, si nous le voulons,
songe qu'à notre bonheur. d'un châtiment plus terrible.
«Au commencement, dit-il, avant toute créa- a Quant au démon, s'il lui permet de nous

tion. Dieu était: il était lui seul le principe et tenter, c'est aussi dans notre intérêt. L'espril
la source de son être, son éternelleet souveraine pervers, en ne pouvant nous contraindre,
effet,

iélicité. Et bien qu'il se sulTît à lui-même, il les efforts n'aboutissent qu'à donner à nos ver-
* Chrys., à Sttr/tjre, 1. |, tus le mérite d'une victoire. Quoi! parce (ju'U
CHAPITRE SEPTIÈME. 19

y a des lâches qui succombent, les cœurs géné- hommes à ceux qui nient la TÎe future, il
:

reux ne j)ourraienl montrer leur valeur ? Parce donne, dès la vie présente, un aperçu de sa jus-
que quelques-uns redoutent le combat, les au- tice mais pour que la nécissilé et la vérité de
;

tres devraient rester sans mérite et sans gloire ? la vie future soient plus senties, il laisse le mal
Si nousreproelions à Dieu de permettre les ten- se mêler au bien, en telle sorte que nous appe-
tations qui nous sont parfois funestes, repro- lions de nos vœux le jour de la justice, le jour

cbons-lui également de nous avoir donné des qui rendra à chacun selon ses a'uvres. L'impu-
yeux ime bouche, puis(iue les yeux peuvent
et nité du méchant sur la terre est le présage d'un
lancer des ngards criminels, et la bouche pro- châtiment éternel dans l'enfer. Les souO'ranccs
noncer des blasphèmes reprochons-lui la lu-
; du juste sont le gage d'une récompense infinie
mière, l'air, les parfums, les boissons, les ali- dans le ciel ».
ments, toute la création, puisqu'il n'est rien Cette doctrine si chrétienne est admirable-
dans la création dont nous n'abusions quelque- ment développée dans ce livre. Jean s'appuie
fois. Vous voyez à quelle absurdité on arrive sans cesse d'exemples empruntés aux saintes
en procédant ainsi. Ecritures, qui devaient frapper et toucher son
« Ce qui est certain, c'est que les tentations pieux ami. 11 finit par faire remarqueràStagyre
excitent notre vigilance, aguerrissent notre cou- qu'il est lui-même une preuve évidente des

rage, et, par la crainte du péril, nous font cher- avantages de la tentation et de l'affliction, puis-
cher Dieu avec plus d'ardeur. L'enfant effrayé que, tiède, négligent, plein de lui-même avant
par un objet hideux, se jette dans les bras de ses épreuves, devenu, après ses tribula-
il est

sa mère, s'attache à sa robe, imidore sa protec- tions, l'édification et lemodèle de tous les reli-
tion. Quand il n'a plus à craindre, ilest indocile gieux. « Ainsi, lui dit-il, loin de te décourager
et revéche, et plus d'une fois lamère, qui n'ob- etde te plaindre, tu dois bénir le Seigneur qui,
tient rien par ses supplications, simule la peur par l'humiliation et la souffrance, t'a ramené
et crie au fantôme, afln de contraindre le jeune dans les voies du salut. S'il a souffert que tu
mutin à revenir à elle. Dieu fait ainsi vis-à-vis sois traité de la sorte, c'est uniquement dans
de nous. ton intérêt, et ce que tu as pris pour un signe
a Les tentations, comme les afflictions, domp- d'abandon de sa part est une preuve de sa ten-
tent et rabaissent l'orgueil, bannissent la tié- dresse ».
deur et la paresse, nous donnent, avec une con- Dans le second livre, Chrysostome s'occupe
naissance plus vraie de nous-mêmes, plus de plus spécialement de l'état personnel de son
ferveur pour notre salut. Les plus grands amis ami, des sombres pensées qui l'obsèdent et te
de Dieu ont été aussi les plus éprouvés. poussent au suicide, et il cherche à lui faire
a On demande pourquoi les gens de bien comprendre que c'est moins à Satan qu'à lui-
souffrent, tandis que les méchants sont heu- même qu'il doit s'en prendre de son désespoir
reux question vaine
: et ridicule, quand on sait et de ses maux, a Ces noirs desseins, lui dit-il,

que la vie présente n'est que le prélude de la vie te sont inspirés non par le démon seul, mais
à venir, et que la récompense de la vertu se par ta tristesse plus que par le démon, et peut-
donne, non pas ici-bas, mais au ciel. On sera être excludvement par ta tristesse. Combien
traité dans l'éternité suivant qu'on aura mérité qui, sans être possédés du démon, et sous la
dans le temps. Pourquoi donc s'alarmer si les seule influence d'un grand chagrin, ont porté
bienset les maux sont inégalement ré[)artis sur atteinte à leurs jours ! Chasse de ton âme cette
la terre? Dieu exerce par plus d'afflictions ses funeste mélancolie, et l'ennemi cessera de te
plus fidèles serviteurs, parce qu'il réserve à suggérer ces pensées ; car il fait comme ces vo-
leurs vertus plus éprouvées une part plus belle. leurs qui profitent des ténèbres de la nuit pour
Que de fois, d'ailleurs, les gtnsde bienjouissent se glisser dans les maisons qu'ils veulent piller ;

ici-bas de la fortune, du repos, de l'estime pu- il commence par répandre la tristesse, en guise
blique, tandis que les méchants sont plongés de nuit, sur l'âme qu'il veut perdre, et après lui
dans l'adversité ! Cefaitdétruitengrandepartie avoir dérobé tous ses a[)puis, la voit quand il

l'objection, puisqu'il est faux de direque les seule etaudé|)Ourvu, il fond surelleetl'écrase.
amis de Dieu sont toujours les plus maltraités Celui qui, plein de confiance en Dieu, tient son
et ses ennemis les plus heureux. Admirez la âme ouverte au soleil de justice, celui-là fera
Sagesse suprême dans sa conduite vis-à-vis des trembler le démon au lieu dele craindre. Maisv,
8d BISTOIUE LE SAINT JEAN CIIR^SOSTOME.

dis-tu, je ne puis guérir de mon chagrin sans s'entrechoquent, sollicitent la pitié des pas-
être préalablement arrachéau démon. Erreur, sants, et n'ont pas même la force d'articuler un
mon clier Slagyrc Ce n'est pas le démon qui
I mol, d'étendre la main, tant ilssont écrasés sous
engendre la tristesse ; c'est elle qui attire le dé- lepoids de la souffrance Ne l'arrête pas là va ! :

mon et l'inspire tes funestes pensées. Quel mal jusqu'à l'hôtellerie des pauvres, à l'entrée de la
cet esprit pervers peut-il nous faire par lui- ville, et tu verras que ton malheur est en com-

même? Mais le chagrin tout seul pousse quel- paraison un port fort tranquille. Te parlerai-je
quefois aux plus grandes extrémités. Non, ils de tant d'hommes, de tant de femmes, dévorés
n'étaient possédés que de leur chagrin tant d'in- par la lèpre ou par le cancer, deux maladies
fortunés qui ont mis fin à leurs jours, soit par longueset incurables qui excluent ceux qu'elles
en se précipitant dans les flots, ou
le fer, soit ont atteints, des thermes, delà place publique,
detouteaulre manière. Que faire, ajoutes-tu, et de la ville entière ? Que te dirai-je de ces vic-
commentnepasêtretristedansl'étatoù je suis? times de l'injustice humaine, condamnées,
— Ce qu'il faut faire, mon ami, c'est de t'af- sans l'avoir mérité, aux travaux publics des
franchir desopiuionsdu vulgaire pour te laisser mines ? Tous ces infortunés souffrent de plus
conduire par les maximes du Ciel. Ta position atroces tourments que ceux qui sont possédés
ne te semble allreuseque parce que le vulgaire du démon. Tu ne le crois pas, et je ne saurais
le pense ainsi. Mais situ veux te débarrasser de m'en étonner car nous ne jugeons pas de la
;

ces faux préjugés et juger sainement la chose, même manière nos maux et ceux d'autrui; et
tu verras que tu n'as pas à te désoler ». les nôtres, quoique souvent plus légers, nous
Après la source du mal, Chrysostome en in- semblent plus graves et plus intolérables que
dique le remède, la confiance en Dieu, et il con- tous les autres ».
sacre au dévelo|ipementde celte pensée letroi- Le diacre était là dans son domaine, la cha-
sième livre. La démonstration,si nous pouvons rité il en connaissait la puissance, et il s'en
;

dire ainsi, est purement historique. Il n'em- sert avec une touchante habileté. Noble et heu-
ploie, pour faire comprendre sa pensée, que reuse idée que de composer, avec les larmes es-
des exemples empruntés aux saints livres. Mais suyées sur le frontdu pauvre, le baume le plus
ces exemples sont présentés avec un art si par- salutaire aux plaies intimes du riche de ratta- ;

fait, il mêle avec tant de bonheur aux traits de cher la guérison de l'un aux services rendus à
l'Ecriture ses propres observations souvent si l'autre ; d'enchaîner l'égoïsme à la charité !

profondes, et aux paroles sacrées les effusions Sainte et savante hygiène, nécessaire plus que
de son noble cœur, qu'il était impossible au jamais à une époque où tant de gens, souvent
pauvre Stagyre de ne pas éprouvera celte lec- les privilégiés du talent et de la fortune, sont
ture, comme Saùl aux chants de David, une en proie à ces tristesse sans cause, à ces lassi-
impression de lumière et de paix. Dans ces tudes sans travail, à ces nausées de bonheur
pages écrites pour un seul homme, quel trésor qu'on appelle mélancolie, à ces désespoirs re-
de consolations pour toutes les douleurs C'est
I
pus de plaisirs et d'hommages qui n'exhalent
le livre a es affligés. que la satiété : véritable possession parle doute
On
a justement remarqué ce passage où Jean et l'ennui, deux démons attachés pour mater
se montre aussi habile méiiecin que grand mo- son orgueil aux flancs d'une civilisation trop
raliste '
: Je t'en prie, dit-il à son ami, rends- éprise d'elle-même et vouée au culte des sens I
toi à l'hospice des étrangers et demande à être Chrysostome prévoit une objection et la ré-
conduit près des malades qu'il renferme, aûn fute d'avance. « Tu vas me dire, poursuit-il,
de voir la racine de tous les maux, de nouveaux que maux dont je parle n'atteignent que le
les

genres d'infirmités et toutes les causes de cha- corps, et que ta maladie s'attachant à ton âme
grin. Delà passe à la prison, et, après avoir exa- est bien plus cruelle. Eh bien par cela même 1

miné toutes les parties de cette demeure, rends- je la déclare plus légère ; car elle ne dévore pas
toiau vestibule du bain, où sur la paille et dans le corps comme les autres, et elle ne trouble
l'ordure gisent des malheureux, tout nus, en l'âme que pour peu de temps. Les maladies que
proie au froid, à la maladie, à la faim, qui, par je rappelais tout à l'heure ont leur point de dé-
leur seul aspect, par le tremblement de leur part dans le corps, d'où elles remontent à
corps, par le claquement de leurs dents qui l'âme, qu'elles tourmentent sans cesse par la
• Viiiein., Tdbl. de l'eloq. oU'ét. : Chri/ioslome, douleur et l'accablemeut.... L'excès de la tris-
CHAPITRE SEPTIÈME, 81

losse est plus pcrniciont que la possession du /)/?«' ; ou, passant des prières aux raisonne-
démon. Car, si le démon s'empare de quel- ments Qi('i/-at-il au ciel, et que puis-je vou-
:

qu'un, c'est par elle supprimant, on


; et, en la loirsur la terre ', si ce n'est vous, ô Seigneur ?
met le démon dans l'impuissance de nuire... Saint Paul se servait de ces deux moyens pour
Comment faire, vas-tu me demander, pour relever le courage de ses fières opprimés et per-
nralTraneliir de ma tristesse ? Et moi, je te de- sécutés. 5/ voî« »e connaissez pas les châti-
mande, à mon tour, comment tu peux n'en 7nents, disait-il, vous n'êtes pas enfants légiti-
être pas affranchi ? Si ta conscience était char- mes. Est-il dans le monde un fils que son père
gée d'un adultère, d'un homicide, d'un de ces ne corrige ' ? Mais Dieu est fidèle, et il ne souf-
crimes qui ferment le royaume des cieux, ton frira pas que vous soyez tentés au-dessus de
cha^Tin serait léf,ntime, et personne ne blâme- vos forces '. El encore Il est juste que Dieu af- :

rait les larmes. Mais si, par la grâce de Dieu, tu flige à leur tour tous ceux qui vous affligent, et
n'as rien à te reprocher, pourciuoi ce désespoir qu'il vous console avec nous, vous qui êtes dans
sans cause? Après tout, Uieu a mis le chagrin l'affliclion'^. Ainsi, par l'emploi de ces armes,

dans notre nature, non pour que nous nous en combattant la tristesse par de sages raisons,
consumions mal à propos et sans motifs, mais en t'appuyant sur les prières unies aux prières
pourquenousen tirions avantage. Ce n'est pas de les amis, tu éprouveras l'efllcacité des re-
du mal qui nous arrive que nous devrions mèdes (jue je le présente, et il se trouvera qu'à
nous afQiger, mais du mal que nous faisons. la fin, ton âme devenue plus forte affrontera les
Or, c'est le contraire qui a lieu nous commet- : vicissitudes de la vie, sansqu'aucune puisse te
tons sans la moindre douleur d'innombrables briserou l'ébranler '. »
fautes, et, à la moindre disgrâce, à la moindre Le livre de Jean fut-il pour Stagyre un heu-
injustice, abattus, découragés, nous voudrions reux exorcisme? Quelques mots de saint Nil,
au plus tôt être débarrassés de la vie... Veux- qui lui aussi avait connu l'infortuné solitaire,
tu voir dans tes souffrances la punition de tes donnent lieu de croire qu'il continua bien des
fautes? Alors cesse de te plaindre : réjouis-toi années encore à être pour ses amis un sujet
plutôt, car si tu expies tes péchés dans ce monde, d'atfliclion par ses maux, d'édification par sa
lu n'auras pas à les expier dans l'autre. Regret- patience et ses vertus '. Chrysoslome revenu à
tons, non d'avoir à souffrir, mais d'avoir offensé la santé put donc le visiter dans sa demeure, le

Dieu. Le péché, en effet, nous sépare de Dieu, presser sur son cœur, et lui prodiguer, avec
il l'arme contre nous la souffrance l'apaise et
: les consolations de la parole vivante, les témoi-

nous rapproche de lui. Mais non, ce n'est pas gnages précieux d'une tendre charité. Quant à
un châtiment que tu subis, et dans tes peines ce beau traité, dont le pauvre ascète fut l'occa-
tu ne dois voir que la matière de ton triomphe, sion, le diacre d'Antioche y déploie déjà les
la source des récompenses qui t'attendent au éminentes qualités qui distingueront bientôt le
ciel Chasse donc ces ténébreuses pensées ;
grand orateur et le saint pontife, la science des
oppose-leur une raison ferme et d'incessantes Ecritures, la connaissance du cœur humain, et
prières. C'était là le grand remède de David une ravissante onction. C'est à la fois un hymne
contre les maux qui l'accablaient. Tantôt il à la Providence et un commentaire historique
priait et s'écriait : Les tribulations de mon cœur et éloquent de celte parole du Sauveur Heu- :

se sont multipliées, sauvez-moi, Seigneur, de reux ceux qui pleurent parce qu'ils seront con-
mes angoisses ^
; iM^\.ôi il se raisonnait lui- solés* Ces mots du prophète le résument et
\

même, et se disait : Pourquoi es-tu triste, mon peuvent lui servir d'épigraphe L'esprit du :

âme, et pourquoi me troubles-tu ? Espère en Seigneur est sur moi pour guérir ceux qui
Dieu, car je le louerai encore^ ;
puis, mêlant ont le cœur brisé pour adoucir toutes les ,

aux raisonnements les prières, il ajoutait: larmes '.

Laissez-moi, mon Dieu, me reposer un peu


•Ps. 38. — 'Pn. 72.-'Arf Uœbr., 12, V. 8.
— ' 1 arfCoWnM., 10,
avant que je m'en aille, et bientôt je ne serai — — Chrys., à Sugyr. 1. &,
T. i:i.
' Ad ThrssnI.., II, n. 1, V. 6. '

'ft. 21. — 'P.. u — '


S, Nil., 1. 3, «p. 19. — ' Math., c. 5. — • Isaîa, o. 61, V. 1.

TOIE I.
83 HISTOIRE DE SAINT JEAN CURYSOSTOME.

CHAPITllE HUITIÈME.

Jean catéchiste. — — Evénements contemporains


Consolation à une jeune veuve. — Situation extrême deTempim.
et tragiques.
— Découragement général. — Cliaiilé, — Livre de Sénèque Marcia. — Conseils une jeune veuve.
source de consolations. à à •"•

Secondes noces. — Avilissement du mariage Romains. — Dignité de


ctiez femme. — Livre de
les Virginité. — Pèreg
la la

de qui ont
l'Eglise du môme
traité — But proposent. — Gloire delà
sujet. qu'ils se dans — Objections. — La virginité l'Eglise.

virçiniléne tend pas déconsidérer


à mariage. — ne lepas au progrès de population. — Loi
Elle nuit coutre la Julia le célibat.
— La propagation de humaine
l'espèce des mœurs. — Le péché d'Adam
liée à la dignité produit un changement a-t-il radical

dans les qui


lois transmission de
régissent la — Tableau de vierge chrélieunc. — Inlluence de l'enseignement de
la vie ? la

— Livre contre Julien


l'Eglise. Gentils. —et les de Babylas. — L'empereur Philippe. — Dèce. — TraasIatiOD des
Histoire saint

cendres de Babylas. —
saint — Temple d'Apollon à Daphné. — Synopse de
Julien. l'Ecriture Sainte.

Ainsi, quoique traversé et paralysé par la avec la charité, le talent de Chrysostome :

maladie, le diaconat de Jean ne laissait pas nous citerons sa Consolation à une jeune
d'êlre actif et fécond. veuve.
On a dit qu'il avait commencé de prêcher Le nom de la jeune veuve est inconnu. On
étant diacre : cette assertion est démentie par sait seulement que son mari, Thérasius, appelé
Jean lui-même '. Mais s'il n'aborda que plus par sa naissance et ses brillantes qualités aux
tard cette tribune sacerdotale qu'il devait tant postes les plus éminents, avait été enlevé, après
illustrer, il préludait déjà au grand ministère cinq ans de mariage, à la tendresse d'une femme
de la parole par les modestes fonctions de caté- dont il faisait le bonheur.

chiste. On peut croire, en effet, que c'est de lui- Jean voulut, en relevant le courage de l'affli-

même qu'il parle dans le passage suivant d'une gée, lui apprendre à sanctifier sa douleur, et
de ses homélies : c'est l'objet de ce livre, où se montre déjà
La colère de Dieu menaçant la ville ', une
« l'homme consommé dans l'art si difficile de la
foule de gens demandaient le baptême. Or, guérison des âmes.
révêque étant absent' elles prêtres n'y portant a Oui, votre malheur est grand : le trait lancé
pas une attention suffisante, on baptisait à la d'en haut vous a frappée dans la partie la plus
hâte, dans une seule nuit, des milliers de per- vitale de votre être. Tout le monde en con-
sonnes qui ne savaientrienetqu'on ne songeait vient... Mais puisque c'est un devoir de ne pas
pas à instruire. Un de mes amis, qui était jeune consumer sa vie entière dans le deuil et les
et dans le rang des diacres, se mit à réunir ces pleurs, et qu'il faut donner quelques soins à
nouveaux baptisés, par cent, par deux cents, des blessures qui, négligées, s'aigriraient de
pour leur apprendre les saints mystères. Nul plus en plus et deviendraient la source de plus
autre qu'eux n'assistait à ces explications tout à grands maux, ne trouvez pas mauvais qu'on
fait élémentaires. Certains esprits, cependant, cherclie à vous consoler, et, suspendant pour
blâiuèrent l'entreprise du diacre, et dans son quelques instants le cours de vos larmes, con-
zèle ne virent que l'intention de primer'. » fiez-vous à ceux qui viennent en aide à votre
Mais des travaux d'un autre genre attestaient, douleur. Pour moi, au moment de sa plus
• Cbrvi., dise, après son ordinal. — Baronius {ad ami. 382) a grande violence, quand la foudre venait de
Toulu établir que Jean avait prêché étant diacre, en vertu d'une dis-
pense particulière et d'un commandecuent exprès de son évéque, et
vous frapper, jeme suis tu. J'attendaisque votre
que prononcé, entre autres, son discours sur
c'est alors qu'il avait affliction, assouvie de pleurs, vous permît de
l'anathème. Outre que le raisonnement du savant cardinal conclut
Uès-peu dans cette circonstance, nous croyons que rien ne peut être porter vos regards au-dessus de ces ténèbres,
opposé à l'affirmation précise de notre Saint, lequel, dans son premier et d'écouter au moins quelques mots car on ;
sermon après son élévation au sacerdoce, déclare que c'est la pre-
mière fois qu'il parle au peuple, et que jusqu'à ce jour il était resté redouble la peine que l'on veut trop tôt com-
dans le rang des auditeurs (iôid, toc. cit.]. D'autres passages, bien
battre... Les impressions de la douleur sont
que moins eiplicites, aboutissent à la même conclusion. [Som. 16,
ad p. Antioch.) toujours plus profondes chez la femme mais :

P»r un iremblernenl de terre. — ' Uélèce était à Constanti- lorsque, condamnée au milieu de sajeunesseà
nople «veo F lavien pour le concile. — * Chtjra., Hom. 46, «ur les
ftCtflS. une viduité précoce, il lui faut passer tout d'un
CHAPITRE HUITIÈME. 89

coup (les plaisirs et des fêtes aux affaires et aux a-t-ilde plus absurde i^e de pleurer ceux qui
souci.*, le chagrin envahit son âme avec tant de vont au ciel, quand on sait (|ue le ciel vaut in-
force, que, sans un secours célosle, il y a péril finiment mieux que la terre Sansdoute, si ce
".'

pour de succomber à son découragement.


elle bienheureux Thérasiusavaitétéde ces hommes
Et ici je trouve une grande preuve de la bonté qui vivent honleusement et dans la disgrâce de
de Dieu envers vous; car si le poids de tant de Dieu, il faudrait déplorer sa vie autant que sa
maux ne vous a pas brisée, vous le devez, non mort; mais puisqu'il est, lui aussi, l'un des
aune assistance humaine, mais à celui dont la amis du Seigneur, que vos félicilntions s'adres-
puissance est infinie, la sagesse insondable, qui sent non-seulement aux vertus de sa vie, mais
est lePère des miséricordes et le Dieu de toute encore au bonheur de sa mort
consolation. C'est lui qtd nous a châtiés, dit le a Mais peut-être désirez-vous entendre sa
prophète, et c'est lui qui ricits guérira ; il nous voix, jouir de votre amour; peut-être regret-
a frappés, et il fermera nos blessures '. Tant tez-vous la splendeur, la gloire, la félicité qu'il

que Thérasius vivait près de vous, vous jouis- faisait rejaillir sur vous. La perle de tantd'avan-
siez de ses soins, de son affection vous partici- ; tagesvous afflige; un nuage épais enveloppe
piez à sa gloire; tout ce que l'homme peut votre âme de ténèbres. Cependant
ne tient il

donner de bonheur, vous le trouviez en lui. qu'à vous de conserver avec lui la ami- même
Mais Dieu, qui l'a rappelé, s'est mis à sa place ». tié. Une véritable affection ne mesure pas son

Après quelques mots sur le mérite du veu- empire à la portée des yeux à travers les dis-
:

vage saintement gardé, sur le respect religieux tances, elle rapproche et unit les cœurs, et ni
dont l'Eglise entoure les veuves, vraiment le temps ni l'absence ne brisent les nœuds

veuves, suivant l'expression de saint Paul; qu'elle a une fois formés. Et puisque votre plus
après avoir rappelé l'admiration des païenseux- grand désir est de revoir celui que vous avez
mèmes pour ces femmes chrétiennes qui, sé- perdu, gardez-lui une inviolable fidélité, faites

parées de leurs maris par la mort, n'en veulent reluire dans votre vie la pureté de la sienne, et,
plus d'autres que Dieu, le sage consolateur sans nul doute, vous le retrouverez, vous habi-
poursuit ainsi : terez avec lui, non pas cinq ans, non pas vingt,
Je conviens avec vous que, dans le monde non pas cent, non pas mille, mais des siècles
entier, on eut trouvé peu d'hommes compara- sans nombre car c'est la ressemblance des ver-
:

bles à Thérasius par la bonté, la probité, la tus, non l'alliance du sang, qui ouvre ces ré-

modestie, la loyauté, la prudence, la pureté gions du bonheur. Si une vie conforme à celle
des mœurs. S'il était mort tout à fait et tombé d'Abraham a conduit dans son sein le pauvre
dans le néant, vos larmes ne devraient pas ta- Lazare, vous n'avez qu'à vivre comme Théra-
rir;mais s'il est entré au port, où règne un sius, et vous serez admise au séjour heureux
calme parfait, s'il n'a fait que rejoindre sou qu'il habite, et vous le verrez un jour, non pas
roi, il y a plutôt à se réjouir qu'à pleurer. Cette avec cette beauté du corps qu'il avait sur la
mort, en effet, n'est pas la mort; c'est un chan- terre, mais avec une autre splendeur, avec une
gement de domicile; le passaged'unecondition beauté dont l'éclat fait pâlir les rayons du so-
inférieure à un meilleur état, de la terre au leil

ciel, des hommes aux anges et aux archanges, Si a quelqu'un vous eût promis pour votre
à Dieu lui-même, le roi glorieux des anges et mari l'empire du monde, à condition de rester
des archanges. Car ici-bas, au service de l'em- séparé de vous pendant vingt ans, au bout des»
pereur, il était exposé à bien des périls; il avait quels il vous serait rendu décoré de la pourpre
à se garder contre les pièges de l'envie, et le et du diadème et vous ferait partager avec lui
nombre de ses ennemis croissait en proportion le rang suprême, je vous le demande, n'auriez-
de sa considération et de son influence. Mainte- vous pas souscrit à la condition, porté ce veu-
nant il n'a plus rien à craindre de semblable. vage avec dignité, et regardé celte séparation
C'est pourquoi autant vous regrettez que Dieu comme un avantage inappréciable et digne de
ait appelé à lui un homme si bon, si aimable, tous vos vœux ? Montrez donc la même patience
autant vous devez vous réjouir qu'affranchi de quand il s'agit, non d'un empire terrestre, mais
ces dangers, hors de ce tumulte, il ait trouvé la du ciel, non d'un manteau de pourpre et d'or,
sécurité, la gloire, la paix la plus parfaite. Qu'y mais d'un vêlement de gloire etd'immorlalité...
• Om., t. e, y. 2. Que la longue attente ne vous épouvante pas;
9i ilISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

car il est à présumer qu'il viendra vous visiter, lui-ci est tombé sous les coups d'un usurpateur,
vous entretenir dans vos songes, et vous mon- celui-là sur lechamp de bataille; l'un victime
trer son noble visage. Ces apparitions vous de la perfidie de ses gardes, l'autre sous des
tiendront lieu de lettres, et vaudront mieuxque poignards payés par celui-là même dont il te-
des lettres. Dans celles-ci, en effet, il n'y a que nait la couronne et la pourpre '. Leurs épouses
des caractères froids; dans celles-là, vous re- sont mortes ou de chagrin ou parle poison, et,

connaîtrez ses traits, sa démarche, son doux parmi celles qui survivent, l'une tremble sans
sourire et sa voix si aimée ». cesse pour un fils qu'un soupçon de la cour
Puis, craignant que le regret d'une haute peut à chaque instant dévouer àla mort, l'autre
fortune nianquéo ne prît une part trop grande n'estrevenue de l'exil qu'à force d'intercéder *.
dans la douleur de jeune veuve, le sage con-
la Des deux impératrices régnantes, celle-ci com-
solateur lui rappelle, en quelques mots vive- mence maux, mais sa joie est
à respirer de ses
ment sentis, des événements contemporains et empoisonnée par que l'empereur,
la crainte
tragiques, propres à faire hésiter la plus intré- jeune et inexpérimenté, ne succombe aux pièges
pide ambition. qui l'entourent sans cesse celle-là, en proie à
;

Songez à tant de personnages célèbres qui, de mortelles frayeurs, passe sa vie plus triste-
parvenus au rang le plus élevé, ont Gni miséra- ment qu'un condamné à mort, parce que, du
blement leur vie. Théodore de Sicile, que sa jour où il a ceint le diadème, son mari ne vit
beauté, sa taille, son crédit, élevaient au-dessus plus qu'au milieu des combats et des périls
de tous ses rivaux, ne sut pas modérer l'orgueil Chose inouïe jusqu'à ce jour les barbares ont !

de sa fortune, conspira et périt de la main du envahi le sol de l'empire ils brûlent les cam-
:

bourreau. Sa veuve, qui ne vousétait inférieure pagnes, ils prennent les villes, et sont bien dé-
ui en éducation ni en naissance, dépouillée de cidés à ne plus rentrer chez eux. Et comme s'il
tous ses biens, privée de sa liberté, réduite à la s'agissait de fêtes, non de batailles, ils se mo-
condition de fille de chambre, est condamnée à quent de nos soldats, qui se laissent égorger,
vivre avec des servantes, dont elle ne se dis- disent-ils, plus facilement que des moutons
tingue que par la grandeur incomparable de sa Cette guerre atroce a fait une multitude de
chute qui arrache des pleurs à tous ceux qui la veuves. Vous du moins, noble femme, vous
voient. Artémise, la femme d'un homme qui avez pu recueillir les dernières paroles de votre
aspi rait à l'empire, précipitée du faîte des gran- mari, ses derniers conseils, preuves touchantes
deurs dans la misère, a perdu la vue par l'abon- de sa sollicitude pour vous; vous avez pu l'en-
dance de ses larmes, etse fait traîner de porte tourer des témoignages de votre tendresse,
en porte pour avoir le morceau de pain néces- l'embrasser, lui fermer les yeux, rendre à ses
saire à sa vie. Que de familles je pourrais nom- restes les honneurs funèbres et, dans votre dou-
;

mer, tombées de la plus haute fortune et anéan. leur, n'est-ce pas une consolation que de visiter
ties I... Mais ce ne sont pas les maux des autres quelquefoisson tombeau ?Lesautresnes'étaient
qui peuvent adoucir nos malheurs; et je n'ai séparées de leurs époux qu'avec l'espérance de
cité ces exemples que pour vous rappeler le les revoir, et voilà qu'à la place de ceux qu'elles
néant des choses humaines et la vérité de ces attendaient, elles ont reçu la nouvelle de leur
paroles du prophète La gloire de Vhomme
: mort, mais sans aucun détail sur leurs derniers
n'est pas plus que la fleur des champs '. Plus moments, sans avoir pu réclamer leurs corps
haut elle monte, plus terrible sera la chute. ensevelis et méconnaissables sousdes monceaux
Souverains ou sujets sous ce rapport, c'est tout de cadavres L'empex'eur lui-même, enfermé
un. Encore serait-il difficile de trouver dans la dans une chaumière avec quelques soldats, ne
demeure des particuliers les infortunes qui pouvant ni sortir ni se défendre, est devenu la
remplissent celles des rois, les morts violentes, proie des flammes allumées par les barbares.

lesviduités précoces, les orphelins désespérés, Sa suite, ses chevaux, les murs, tout a
le toit,

et toutes ces calamités, tous ces crimes qui font été consumé avec Non, les plus belles
lui

le sujet des tragédies. choses d'ici- bas n'ont pas plus de valeur qu'une
Sans fouiller dans lessiècîes passés, sur neuf
«
' Voir la uote / aux Pièces juslificalives.
'
On peut voir là, avec Tillemont, suivi par Montfaucon, la veuTS
empereurs qui ont régné de notre temps, deux de Jovien, dont le fils Verronien ressemblait trop, pour son malheur,
à un prétendant, et Severa, la première femme de Valentinieo, répa«
seulement n'ont pas péri de mort violente. Ce-
diée et exilée par lui. D'autres pensent que la seconde des impéra*
•Pb. 40. trices désignées ici est Albia Dominica, la veuve de Valeos.
CIIAPITIlE HUlTlÈilEJ 88

ou que les fragiles flours


dôcoralioii de llK-àlre, et ceux qui ont écliappé à ces horreurs, nous
du |)riiilciii|is ». ' les pleurons quand nous devrions les féli-
Le souvenir d'Andriiioplc terrifiait encore le citer '
».
monde. Les (dus sinistres récits volaient de ville Mais revenons au livre de Jean. Les sages con-
en ville de province en i)rovince on ne seu-
, : seils y sontentrcmèlés partout aux consolations.

t;eteuaitiiue de massacres, d'incendies, de cités A cetie àme affligée et souffrante, il indique le


pillées ou détruites, de populations passées au remède puissant déjà conseillé à Stagyre, la
C! de l'épée ou traînées en esclavage. La frayeur charité. Il voudrait que l'ambition de sa foi fût
grossissait des malheurs trop réels et des périls la grande diversion de son deuil. « Cherchez le
incontestables; il semblait aux imaginations royaume de Dieu, lui dit-il, et sur la terre rien
consternées qu'aucune digue ne pouvait phis ne pourra vous nuire, à moins que vous ne vous
arrêter ks barbares, que c'en était fait de l'em- nuisiez àvous-même. Si vous tenez à mettre en
pire et du monde, et qu'on louchait aux der- sûreté votre fortune et même à la grossir, je
niersjours de l'humanité. On estimait les morts vous en indiquerai le moyen ;
je vous désigne-
très-heureux de n'être pas téuioius de ces scènes rai un lieu où ne pcnclreronljamais les fourbes
lamentables, et l'on se consolait avec cette pen- occupés à tendre des pièges à la probité: ce
sée de la perte de ses proches et de ses amis. lieu, c'est le ciel ; confiez vos richesses à votre
Ce que saint Chrysostome écrivait aune jeune mari, et dans ses mains nul n'y touchera
Tcuve, saint Jérôme le disait plus vivement Voyez quels avantages vous obtiendrez ainsi :

encore. «Mon àme est saisie d'horreur en pen- d'abord, la vie éternelle, les biens que Dieu a
sant aux maux de notre époque '. Delhléem voit promis à ceux qui l'aiment, ces biens que l'œil
arriver chaque jour de nou\eaux fugitifs, na- n'a pas vus, ni l'oreille entendus, ni le cœur de
guère nubles et riches, aujourd'hui mendiants, l'homme soupçonnés Ensuite, vous retrou-
auxquels nous ne pouvons porter aucun se- verez, pour le posséder à jamais, l'homme ex-
cours. Nous gémi;Son3, nous pleurons, nous cellent dont vous pleurez la perte etvouslui
n'avons pas le courage de poursuivre nos tra- que ceux da
serez unie par des liens plus forts
vaux ' Consterné, je me tais, ne pouvant mariage. Carceux-cin'enchaînent que lescorps,
penser à autre chose jour qu'au mal- et nuit ceux-là plus doux et plus beaux unissent une
heur de tous*. Partout des en cendres et villes âme à une àme ».
des cadavres amoncelés. Les oiseaux, les qua- Nous voudrions qu'il nous fût permis de
drupèdes disparaissent, le sol se couvre de mettre en regard, sans trop sortir de notre su-
ronces. Des contrées qu'animaient des popula- de Chrysostome avec d'autres con-
jet, le livre

tions nombreuses sunt changées en désert' solaaons adressées par des hommes célèbres
Le monde touche à sa fin ' L'Orient sem- du paganisme à leurs parents ou à leurs amis,
blait à l'abri de ces maux, et voilà que depuis celles de Séncque, par exemple, à Polybe ou à
un an les loups, non de l'Arabie, mais du Sep- Marcia. Certes, on trouve dans celles-ci, avec
tentrion, se sont précipités du Caucase sur ces un magnifique langage, de grandes et belles
belles provinces. Que de monastères envahis ! pensées. Mais le philosophe romain, en s'impo-
Que de fleuves dont l'eau a été changée en sang l sant le rôle de consolateur, ne se dépouille pas
Antioche et toutes les villes qu'arrosent l'IIalis, de son amour-propre d'écrivain, et avant tout
le Cydnus, l'Oronte, l'Euphrale, sont assiégées. il est occupé de faire un beau livre. Jean, dans
Les barbares emmènent tous les jours de nom- quelques paroles simples et vraies, cherche à
breux troupeaux de captifs. La terreur paralyse ranimer l'espérance dans un cœur abattu s'ou- ;

la Palesline, la Phéuicie, l'Egyle. Qitœtd j'au- bliant lui-même, il ne veut qu'essuyer ou sanc-
rais cent langues, cent bouches, une voix de fer, tifier les larmes, et son livre est encore plus

je ne poui rais suffire à raconter tous ces maux... une bonne action qu'un livre. Sénèque s'élève
Heureux Népotien qui ne les voit pas, (lui n'a par moments à de hautes considérations mais, ;

pas entendu ces récits ! Nous, malheureux de comme si son œil ne pouvait soutenir de
l'éclat

soulFrir de telles calamités, ou de voir nos frères la vérité, il se trouble auesilôt, et se démentant
les bouiïrir 1 Et ce|iendaut nous voulons vivre, lui-même, après avoir célébré l'immortalité, il

célèbre le néant. 11 écrit d'abord ces belles li-


' Chrjj., t. 1, p. 343 et «uW. — S. Hier, ad Dehoii.,
"
fp. 35. ••
gnes: « Il ne s'agit point, Marcia, de courir au
•S. Hier, in Exech., l. 3, prolog. — 'S. Hier in Eiech., 1. 1, pro-
lo(. — '
S. Uier. in Sophon, — ' S. Hier, in Eiech., 1. 8, prolog.
' s, Hier, ad ndiod., ep. 35, alià) 3.
86 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.
t.

tombeau de ton fils. Là, tu ne trouveras que Revenons aux travaux du saint diacre. La
SCS cendres, qu'une dépouille grossière et gê- lettre que nous venons d'analyser fut suivie,
nante qui ne faisait pas plus partie de lui que bientôt après, d'une autre à la même adresse;
son vêlement. Sans rien perdre, sans rien lais- lettre non plus de consolation, mais de conseil

sera terre, il a pris son essor, il s'est dérobé tout et de direction, pour détourner la jeune veuve

entier, et après avoir quelque temps séjourné d'un second mariage. Jean y développe les
sur nos tètes pour se purifier, pour se laver de mêmes considérations que saint Jérôme dans
la souillure des vices inliérents à toute vie mor- ses admirables lettres à Salvine et à Furia ', et
telle, il s'est élancé au plus haut des cieux, où saint Augustin, dans son beau traité du Veu-
il plane au milieu des âmes heureuses* b. Et, vage, écnipour l'illustre veuve Julienne', mère
un moment après, il n'hésite pas à dire : « La de Démétriade.
mort nous rend au sommeil tranquille dont Cet éloignement du christianisme pour les
nous jouissions avant de naître. Si vous pleurez secondes noces, Rome païenne l'avait partagé
les morts, pleurez aussi ceux qui ne sont pas tant que Rome païenne eut des mœurs. La vé-
nés. La mort n'est ni un bien ni un mal; car, nération unanime delà cité récompensait alors
pour être un bien ou un mal, il faut être quel- la veuve fidèle qui se refusait à de nouveaux
que chose or, la mort n'est rien, et elle réduit
: liens, et répilbète Ahinivira, inscrite sur sa
tout à rien ' » La belle consolation à donner à
. tombe à côté de son nom, était la plusbelleépi-
une mère que de lui apprendre qu'il ne reste taphe d'une femme honorée. Maisdepuis long-
de son fils qu'une cendre froide Quelle du- 1 temps l'esprit de famille, le respect des tradi-
reté, d'ailleurs, dans ces paroles : a Si tu pleu- tions, les vertus domestiques avaient fait place
res parce que ton fils est mort, tu as dû pleurer à la plus hideuse corruption. Par la liberté et
toujours, parce que tu as toujours su qu'il de- l'extrême facilité du divorce, le mariage dé-
vait mourir M » Quel vide dans celles-ci: pouillé de dignité et de consistance n'était plus
« Quand les temps seront venus oii le monde qu'un marché à temps, résilié pour la moindre
s'éteindra pour renaître, les astres viendront cause, une espèce de prostitution. On se pre-
beurter les astres et tout se consumera dans
, nait pour se quitter, on se quittait pour se re-
un même brasier. Alors nous, âmes heureuses, prendre, et lesscandalesdecesunions de quatre
nous irons nous confondre dans les antiques jours se répétaient dix fois dans la vie. Cicéron
cléments* I » n'a-t-il pas fait gloire à sa fille des maris qu'elle
Qu'il y a loin de là à ce noble ettouchant lan- s'était successivement donnés'? Combien de
gage de Chrysostome parlant de l'immortalité femmes, et des plus nobles, qui eussent pu, au
cvec assurance, du ciel comme s'il en descen- dire de Sénèque, compter leurs années, non
dait, et montrant à l'âme affligée qui pleure un par le nombre des consuls, mais par celui de
fils ou un frère, celui qu'elle a perdu, vivant leurs maris* On faisait du divorce la condition
1

et heureux au séjour des élus, et dans le sein et parfois le but du niariage\ L'adultère était la
même de la félicité souveraine, occupé avec une plus décente espèce de fiançailles ' ! Nul homme
ttndre sollicitude de ses amis d'ici-bas, qu'il se ne se donnait une épouse qu'il ne l'eût enle-
plaît à proléger, à guider, qu'il aime tou- vée ; nulle femme un époux que pour piquer un
jours Le souffle de la tombe est passé dans
1
amant', et celles-là étaient des provinciales ar-
les pages du philosophe le souffle de l'immor-
; riérées qui ne savaient pas que l'adultère avec
talité fait jialpiter celles duchrétien. La charité, un «Combien, dit saint
seul s'appelait mariage.
d'ailleurs, est inséparable de l'espérance, et la Jérôme, qui n'avaient des maris que de nom,
foi, qui donne la plus vive intuition de l'ave- des maris loués pour couvrir leurs désordres,
nir, inspire la plus délicate compassion du pré- ou ne pas perdre, en restant célibataires aux
sent. Nul ne sait mieux consoler les douleurs yeux de la loi, un legs ou un héritage' » 1

delà terre queceluidontlapenscebabiteleciel. Le Christianisme, qui devait remonter ce


S'il gronde doucement l'épouse ou
mère qui la courant, refaire celte société, avait à s'occuper
s'aljaissesousiepoidsdesondeuil, ilcommence sérieusement du mariage, pour le relever de la
par pleurer avec elle, et s'il écrit pour la conso-
• —
s. Hier., ep. 85 et 47 j aliàs 9 et 10.
' S. Aug., de bono vidui.

ler, son livre est écrit tout entier avec ses pleurs '.
talis, op. t. 6, p. 369.
— ' Primnriis adotescentibus miplam. (Cicer.,

ep. l. 9, 11-)— ' Sea., de benef., 1. 3, c. 16.— ' Jd., ibid.; Ter-

Sen., ad Narc., a. 25.


' —
' Ibid., n. 19. — ' Ibid, — * Ibid., tuU., apolog. 6. —
• Sen., ibid., 1. 1, c. 9. —
' Id.,
de benef-, 1. 3,

B. 26. —
'S. Hier., ad Paul., ep. 22. c. 16.
' —
S. Hier., ibid., p. 192. 11 cite Sénèque.
CHAPITRE llLiriÈME. 87

boue, pour lui rendre son unité, sa force, sa gage qui est comme Heî-êTfct habituel de celte
sainteté. C'est pouniuoi non content d'avoir , âme si lumineuse et si pure. Le traité de saint
marqué d'un sceau sacré l'nnion des éiwux, de Augustin' cité tout à l'heure, et le \\\vc des
l'avoir déclarée indissoluble, il se plaisait à V^euves de saint Ambroise", si complets qu'ils
exaller la virt;inité et veuvage, à détourner le soient, ne lui sont pas supérieurs.
des secondes noces. Quand le sensualisme pe- Nous n'hésitons pas à rapporter à la même
sait d'un côté de tout le poids de ses désordres, époque, c'est-à-dire au diaconat de notre saint,
ilpesait de l'autre par la grandeur de ses ensei- son grand et bel ouvrage sur la Virginité'.
pnemenls, par la beauté de ses exemples, par Qu'il l'ail écrit à Antioche, c'est indubitable.
les aspirations elles conseils d'un spiritualisme Lui-même nous l'apprend dans une de ses ho-
sévère et ardent , mais sage et nécessaire. mélies sur la première épître aux Corinthiens:
Jamais, cependant, il n'oppose un excès à un homélies que, de l'aveu de tous, il a prêchées
autre. A l'égal desinuiioralités du paganisme, dans la métropole de la Syrie, avant d'être évê-
il réprouve les folies des Docètes , des Encra- que. « Je n'insiste pas sur ce sujet, dit-il à son
tites, des Manichéens, aussi bien que les or- auditoire à propos de la virginité parce ,

gueilltuxanatbémesdeMontanetdeTertuUien qu'ayant publié là-dessus un livre oii j'ai mis


contre les secondes noces. S'il les déconseille, la plus grande application un plus long dis- ,

il est loin de les condamner'. Mais quand il re- cours serait superflu' ». D'autre part, il est
commande aux veuves une inviolable fidélité à probable que ce travail a précédé sa promotion
leurs premiers liens, il entend honorer le ma- à la prêtrise, époque où ses loisirs étaient
riage en le couronnant comme d'une auréole moindres, où d'ailleurs il avait l'habitude de
de vertus il veut aussi relever la condition de
: ne rien publier que sous forme d'homéUe.
la femme, trop abaissée sous la loi païenne. Ce thème de la virginité, brillant et délicat,
Cbrysostome regarde, comme fausse et fu- a attiré et inspiré les plus beaux génies du
neste, la persuasion commune que la femme Christianisme, à l'époque dont nous parlons.
est trop faible pour porter à elle seule le fardeau Saint Ambroise, saint Grégoire de Nysse, saint
des affaires et le gouvernement de la maison. Cbrysostome, saint Augustin y ont consacré
« Que de femmes, dit-il, mieux que les hom- d'admirables traités ; saint Méthodius, son Ban-
mes, ont administré leurs biens, élevé leurs qiiet des vie7-ges ; S3iml Grégoire de Nazianze,

entants, conservé et accru leur fortune Non, ! l'un de ses plus élégants poèmes, saint Jérôme,
Dieu n'a pas voulu que tout dans la vie dépendît sa lettre célèbre à Eustochium , son premier
de l'homme, et que la femme inutile ne fût livre contre Jovinien, et en grande partie celui
qu'un objet de mépris. De l'un à l'autre sexe il contre Helvidius. Nous ne croyons pas nous
n'a mis aucune infériorité et cette intention ; avancer trop, en affirmant qu'entre ces œuvres
est manifeste dans ces mots du Créateur Don- : remarquables à plusieurs titres, celle de Cbry-
nons à l'homme un aide qui lui ressemble '. sostome occupe peut-être le premier rang.
Par là il a montré que les affaires d'ici-bas ont Le but des saints docteurs dans ces écrits est
autant besoin de la femme que de l'homme, et d'encourager, de propager le culte de la virgi-
il en a partagé la direction entre les deux à : nité, en même temps que de diriger, par de
l'homme le forum, à la femme la famille. Pien- sages conseils, les âmes qui l'ont embrassée.
versez cet ordre, il n'y a plus sur la terre que Quelle que soit la diversité de leurs arguments,
confusion '». En parlant ainsi, l'éloquent dia- unanimes dans la plupartdes assertions,
ils sont

cre songeait à sa mère, a Ce n'est pas la nature, dans celle-ci entre autres que la vertu qu'ils :

dit-il ailleurs, c'est l'éducation qui fait la fai- célèbrent, bien que connue des anciens dans
blesse de la femme* ». une certaine mesure et par eux entourée d'une
Du reste, le livre de Jean, inférieur en verve rehgieuse vénération, est cependant, toutconsi-
eten éclat aux œuvres de saint Jérôme sur le déré, une vertu chrétienne, née de l'embrasse-
même sujet, l'emporte par la modération, le ment du Verbe divin avec la nature humaine.
sens pratique, la connaissance du cœur hu- Saint Athanase y voit une preuve saisissante
main, par cette dignité et cette sérénité de lan- de la vérité du Christianisme ; car il n'y a, dit-
il, qu'une religion divine qui ait pu enseigner
'S. de bon. viduil., l. 6, p 376.- "Genêt., 2.
Aag , — ' Chrys.,
à une jeune Tcavs, t. 2, D. 4. —
* Chrys., Bom,
29, 8UI l'épitce aux 'S. Aug., ibtd.— ' S. Amb., t. 2, p, 185. — ' Chrys., JSoOT. 19,
Bébr,, 0. 3, •ui la 1" ti» Corinili, in fin.
.^8 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

et répandre une vertu si fort au-dessus de la vivre dans leurs fam illes, soit qu'elles vécussent
nature, et qu'on dirait l'apanage exclusif des en commun sous la même règle et le même
anges. Et qui donc, en voyant ces phénomènes toit, leur modestie, leur douceur, leur pureté,
su naturels de
I la virginité et de la cliarité éclore leur vie recueillie, austère, dévouée, toute à
de toutes parts au souffle de l'Evangile, comme Dieu et aux pauvres, justifiait cette parole de
des fleurs an souffle du printemps, n'admirerait saint Cyprien :« La virginité est ici-bas l'image

cette mystérieuse puissance capable de transfi- de la sainteté de Jésus-Christ'». L'Eglise s'oc-


gurer, d'angéliser la chair humaine, et ne re- cupait d'elles avec une sainte fierté de mère,
connaîtrait la main de Dieu ? D'autant plus que comme de la plus précieuse portion du troupeau
pendant trois siècles la virginité ne fut, suivant du Seigneur, et c'est pour elles que les Pères
l'expression de TertuUien, que le noviciat du écrivaient leurs beaux livres sur la virginité.
martyre. Combien déjeunes fliles payèrent de Saint Ambroise exprimait la pensée de tous
leur vie cet insigne honneur d'être les épouses quand il disait qu'une vierge est un don de
de Jésus-Christ Elles allaient au supplice, le
1 Dieu, la gloire et la joie de ses parents qu'elle ;

sourire sur les lèvres, comme d'heureuses fian- exerce au milieu de sa famille le sacerdoce de
cées à l'autel qui va ratifier leur bonheur. la chasteté; que, victime volontaire , chaque
Comparez à de telles femmes les vestales du jour immolée, elle apaise la colère du Ciel par
paganisme. Des unes aux autres, il y a la même son sacrifice enfin qu'elle est reine, soit;

distance que de la terre au ciel. comme épouse du plus grand des rois, soit
Un autre point sur lequel nous avons aussi parce que, domptant ses passions, elle exerce
l'unanimité des docteurs chrétiens, c'est le prix sur elle-même le plus grand empire*.
attaché par l'Eglise, de tout temps, à la virgi- Toutefois on pouvait adresser, et l'on adres-
nité. la fleur de la i;zV^m//e', disait saint Chry- sait dès lors à l'enseignement chrétien deux
soslome, est le vêtemenl de l'Eglise. Elle en fit, reproches ' le premier, de se rapprocher par
:

dès l'origine, la parure du sanctuaire, la condi- ses tendances , sans le vouloir , des doctrines
tion du sacerdoce, et ne confia qu'à elle l'apos- gnosliques et autres contre le mariage et d'a-

Un cœur vidé sans cesse par


tolat et la charité. vilir ainsi une institution divine sur laquelle
les canaux des sens dans les ivresses du plaisir repose la société; le second, de nuire à la
peut-il comprendre le prix des âmes, le cœur de propagation de l'espèce, et, contrairement aux
Jésus-Christetsessuhlimesangoisses? L'homme vues du Créateur, d'inspirer un sentiment
enchaîné à une famille, fùl-il le plus pieux des qui, s'il venait à prévaloir, dépeuplerait vite le
hommes, ira-t-il au-delà des mers chercher des monde. Les Pères défendent énergiquement
se
sauvages [jour les arracher à l'enfer, voudra-t-il sur ces deux chefs. Moi condamner le ma-
« ,

mourir pour des inconnus? L'Eglise imposa riage ! s'écriait saint Ambroise, je le condamne
donc la virginité aux ministres de ses autels, et si peu que je blâme hautement les hérétiques
voulut aussi en faire la décoration et la gloire qui le censurent, et que je ne cesse de proposer

de ces nobles femmes qu'une foi plus tendre, comme modèles d'une vertu parfaite les Sara,
une piété plus expansive portent à devenir les les Rébecca, tantde saintes femmes de l'Ancien
auxiliaires du sacerdoce par la prière et la bien- Testament. Qui condamne le mariage réprouve
faisance. A côté de la grande milice vouée
aux la société'».
combats et aux conquêtes de la vérité, elle com- «Blâmer le mariage, disait Chrysostome, c'est
posa de vierges une milice plus modeste, prin- tomber dans l'erreur de Marcion, de Manès, de
cipalement destinée à faire contre-poids par Yalentin Jésus-Christ ne parlait point par
ses saintes immolations aux entraînements du leurs bouches Ils n'ont été que les organes
monde, à être, sous une direction supérieure, du démon, père du mensonge, homicide des
l'instrument le plus souple, le plus délicat, âmes... Parce que je trouve la continence plus
de la charité. Ces lis de Jésus-
le plus actif sainte que le mariage, je ne condamne pas pour
Christ, comme dit saint Ambroise, dont le cela le mariage; au contraire, je l'honore, je le
céleste parfum est si salutaire à l'humanilé, loue. Pour ceux qui en usent Icgilimenient,
formaient autour du sacerdoce proprement dit, c'est le port de la vertu, une digue opposée aux
un sacerdoce secondaire L'évêque bénissait les
.

vierges en leur imposant les mains, et, soit ' s. Cyprien, de hab. virg. — ' S. Amb., 1. 1, de virginib,, c. T,
et p. 15t et 15ii. — * îtr-nte^quicu les a reproduits, Esprit de* lois^
«jue consacrées à Dieu elles conlinuasseot à L 'Zi, c. 21. — ' S. AuUr., ie uirginili., c. 7, n, 34, t, 2, p. 155.
CHAPITRE IlLITlÈiUE. 89

flofsdes passions. Mais il y a des gens qui n'ont tants d'ici-bas deviennent semblables aux habi-
pas besoin de ce secours pour être chastes, aux- tants des cieux : des êtres vêtus d'un corps
quels les jeûnes, les veilles, les pénitences suf- égalent les êtres incorporels et rivalisent avec
lisent pour dompter la nature : ceux-là je les les auges '
».

exhorte à ne pas se marier, sans toutefois leur « On accuse la virginité, poursuit Chryso-
interdire le mariage. Entre un conseil et une stome, de imire à la propagation de l'espèce
prohibition il y a la même distance qu'entre la humaine. Dites plutôt que ce sont les désordres
nécessité et la liberté. J'ouvre un a\'is, mais des mœurs, les conjonctions illicites, les profa-
vous pouvez ne pas le suivre. J'exprime ma pré- nalions du mariage... humaine s'af-
Si l'espèce
férence, je n'improuve pas ceux qui en ont une faiblit et se dégrade, accusez, non la virginité,
autre. Si je blâmais le mariage, si je le décla- mais le péché ' ».
rais mauvais, je prendrais le rôle de législateur, Chrysostome avait raison: épurer les sources
non celui de conseiller. A Dieu ne plaise qu'il de la vie, ce n'est pas les appauvrir, c'est les

en soit ainsi l Mais en admirant ceux (jui s'en- féconder. En cela, le pieux écrivain devançait
rôlent sous les drapeiiux de la virginité, je me de quelques siècles cette parole profonde de
garde bien d'accuser ceux qui ne l'ont pas Montesquieu que la continence publique est
:

adoptée. L'homme qui se contente d'une vertu naturellement jointe à la propagation de l'eS'
médiocre, sans aspirer plus haut, n'a pas droit pcce '; et celle-ci, d'un médecin philosophe :
àètre loué et admiré, autant que l'hommesupé- que la chasteté est une des causes principales
rieur qui s'élève à lu sainteté mais il a droit à
; de la fécondité des sexes, tandis que la stérilité
ne pas être blâmé. Puisqueje ne condamne pas accompagne nécessairement le libertinage *.
ceux qui se marient, en quoi prétcnderait-on Véritéde fait, que saint Ambroise avait signalée
que je prohibe le mariage? Je réprouve la for- quand il disait que de son temps, là où la ,

nication et l'adultère; et ceux qui s'en rendent pureté chrétienne était moins en honneur, la
coupables, je les punis, je les exclus de la com- population était moindre, et qu'au contraire,
munion de l'Eglise. Mais j'honore le mariage les villes où elle prenait plus d'essor comptaient
comme étant d'institution divine, et en cela aussi plus d'habitants '.

même je rends un hommage plus éclatant à la En thèse générale,


il est impossible de le

vertu que je préfère. Condamner mariage»


le méconnaître, toutcequi relève l'humanité dans
en effet, c'est dégrader la virginité. Ce qui n'est l'ordre moral Paméliore dans l'ordre physique.
bien que comparativement a une chose mau- En célébrant la virginité, le Christianisme fit

vaise, n'est pas absolument bien mais ce qui ; plus pour Paccroissement des générations en
l'est comparativemeut à une chose reconnue vigueur et en nombre, que la loi Julia ou
universellement comme bonne, l'est avec une autres, qui enjoignaient, sous des peines
incontestable supériorité. L'apologie du ma- sévères, le mariage et la paternité. Certes, elles
riage tourne à l'honneur de la virginité, comme s'attaquaient à un mal sérieux, à ce célibat fu-
la censure de l'un retombe sur l'autre. Le ma- neste, fruit du libertinage et de l'égoïsme, plaie
riage est bon, mais la virginité est meilleure; rongeante de la société qui, par le dégoût du
dans la proportion du ciel avec la terre,
elle l'est mariage et de la famille, produit l'affaiblisse-i
des anges avec les hommes. De même que ces ment et le dépérissement des peuples. Mais,
pures intelligences ne connaissent ni le poids plus vexatoires qu'efficaces, elles rendaient IC'

delà chair, ni la servitude des aliments, ni les mariage odieux, en l'imposant, en substituant'
orages des passions, ni les illusions des sens, et au culte de la famille, aux plus doux sentiments
que, semblables au soleil en plein midi quand du cœur humain, l'esprit de spéculation et la
aucun nuage ne voile son éclat, rien n'altère la pire espèce de mercantilisme, o Les Romains,;
transparence de leurs natures sans tache; ainsi disait Plutarque, cité par Montesquieu, se ma-
les vierges , affranchies du joug du mariage, rient pour être héritieis, non pour avoir des'
n'ont d'autres soins que de servir Dieu. Si, en- héritiers '». Or, le Christianisme, du raêmei
chaînées au corps, elles sont forcées de rester
sur la terre, elles ont du moins la consolation ' Chrys., de virgin., c. 9 et 10. — Cbrjs., de virg., IB. —
' c.
• Montesquieu. Espril des lois. 1. 23, — Dict.
c. 2. * ratur..
d'hist.
de recevoir sur la terre le Pioi du ciel, car elles Ire édit. (an 111), t. 11, p. 176. — S. Ambr., de virginit.,
' 7, c.

sont saintes d'esprit et de cœur. Voyez-vous ce n. 36. Ubi paucte virginex, ibi p'iuciores homines. — * Esprit deê
toit, 1. 23, c. 21, p. 40U Clut., OEuw. moral, do l'atDOUr des péie»
;

que c'est que la virginité? Par elle, les habi- envers les eofaQta.
.

90 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

tain qu'il l'eût fait sans le secours du mariage'»


coup, abolit l'impraticable et humiliante loi
Julia, et remit le mariage en honneur. Le cé-
Cette opinion, singulière et naïve, est par-

libat, qu'il célébrait, d'après saint Paul, était


tagée par quelques Pères. Saint Grégoire de

une vie de dévouement, d'austérités, d'immo- Nysse a dit « Si l'homme n'eût pas péché, s'il
:

lation, sanctifiée par la prière, par la charité,


ne fût pas déchu de son état presque angélique,
par la pratique des plus hautes vertus, une vie la propagation charnelle n'eût pas été néces-
d'ange au milieu des hommes, et par consé- saire à la perpétuité de la race humaine. Le
quent la vocation du nombre. Sans
très-petit péché a fait succéder la loi des brutes au mode
préjudice réel pour le développement des na- presque angélique par lequel la génération au-
tions,il réalisait dans l'humanité l'idéal le plus
rait eu lieu dans le paradis' ».

haut de la dignité des mœurs; et à mesure que Saint Jean Damascène est du même avis '.

la notion de cet idéal entrait plus avant dans Les Pères qui le suivent se sont fondés sur les
lésâmes, à mesure que de plus grands exemples paroles de la Genèse qn'Adam et Eve étaient :

lui donnaient une lumière plus vive, elle faisait 7111S et ne rougissaient pas, et sur celles-ci du

monter le niveau moral de la société. Plus que psalmiste Lhomme, élevé en honneur, n'a pas
:

la loi d'Auguste, elle écartait le célibat du vice, compris sa dignité; il s^est comparé à la brute,

poussait au mariage ceux qu'une vocation plus et lui estdevenu semblable. « Si ce n'est pas le
sainte n'enrôlait pas sous un autre drapeau, et péché, disent-ils, quia changé le mode de repro-
en écartant de celui-là l'immoralité, les profa- duction, pourquoi, avant le péché, n'est-il pas
nations, en lui donnant le frein de la chasteté, question du mariage? Pourquoi l'homme n'ap-
le rendait aussi plus fécond '. procha-t-il pas de sa femme dans le paradis ?
Chrysostome, dans le cours de ce livre, émet Pourquoi la femme n'a-t-elle pas connu les dou-
une opinion qui, sans lui être absolument per- leurs de l'enfantement avant la malédiction?»
sonnelle, compte peu de partisans dans les saints Partant du fait révélé de la perfection et de
docteurs. Selon lui, les lois qui régissent la l'immortalité de l'homme primitif, et suppo-
reproduction de la race humaine ont subi, par sant que son corps lui-même était dans un état
du péché, un changement radical, a Dans
l'effet voisin de celui des corps glorifiés, ils en ont
Adam et Eve vivaient comme
le paradis, dit-il, conclu que la transmission de la vie humaine,
dans un autre ciel, et ne cherchaient rien au- dans le plan primordial, devait être unie à la
delà du bonheurdes'entreteniravecDieu. Point gloire de la virginité. Une autre manière delà
de désirssensuels, point d'enfantement doulou- concevoir leursemblait incompatible avec cette
reux ; la virginité, leur parure, s'épanchait de pureté parfaite et cette quiétude céleste du
leur cœur, comme un beau fleuve d'une source paradis.
limpide... Mais après qu'ils eurent désobéi au Saint Augustin embrassa d'abord cette opi-
Créateur, et qu'ils furent condamnés à devenir nion ', mais il ne tarda point à l'abandonner;

cendre et poussière, ils perdirent le privilège et généralement il enseigna que la loi de la gé-
de la virginité avec celui du bonheur nération, pour le genre humain, était, dans
Vaincus, punis, dépouillésde ce vêtement royal, l'état d'innocence, ce qu'elle est aujourd'hui

de cet auguste diadème, ils furent dévoués aux depuis le péché, avec cette différence toutefois
souffrances, au trépas, et le mariage commença, que, dans l'état d'innocence, l'union des sexes
signe de servitude et de mortalité. Ce qui l'a se fût accomplie, par le seul commandement de
rendu nécessaire, c'est le péché, c'est la mort; la volonté, avec une parfaite tranquillité de
car, là où est la mort, là est le mariage Si corps et d'esprit, sans le cortège des mouve-
l'homme, persévérant dans l'obéissance, eût ments désordonnés qui la troublent présente-
dédaigné l'arbre de la volupté, le genre humain ment, sans que l'homme ressentît en sa chair
se serait multiphé par une autre voie. Quel l'aiguillon de la volupté, ni que la virginité de
moyen Dieu eût-il employé pour arriver à son sa femme en souffrît aucune atteinte, o La gé-
but? Je ne saurais l'expliquer mais il est cer- ; nération, dit-il, seseraitaccompheaveclamème

' Chrys., de virg. c. 14, 15 et 17 in fin. S. Chrysostome » exprimé


* VoîV. Champagny, Césars, t. 1. |). 387, et Duf6cu, Nature et vir- le même avis dans la di.x-huiùème homélie sur la Genèse.

ginité, p. 111, 470, -i;8, 481. 11 est à remarquer que l'éloge de la vir- S. Greg. Nyss., rfe opif. hom., c. 17 et 22, et de Provid., 1. 8,
ginité, chez les Pères, entraine toujours celui du mariage. ( Voir saint c. 8. - ' S. J. Dam., de orlhud. fid., 1. 2, c. 11, et 1. 4, c. 25. —
Chrys.. de virg. ; «ùDt Ambr., de virg. ; et saiiit Aug., de bono ' S. Aug., de retract., 1. 1, c. 13, n. 8, t. 1, p. 21, et 1. 2, c. 22,
nnjugali. p. 49.
CHAPITRE HUITIÈME. 91

facilite que l'accouebemcnt ; car la mère au- incorporelles. Conrire et poussière, nousdevons
rait enfaiilé sans tloiileur, et l'ciifant serait égaler les habitants des cieux ; mortels, nous
sorti du sein maternel sans aucun elTort, devons disputer la palme de rimmortalilé '
».

comme un fruit, i|uanil il est mC|', sedétache Toutefois, et le saint docteur développe celle
de l'arbre qui le portait '
». pensée avec un art admirable, lalulte est moins
Saint Cyrille d'Alexandrie • a pensé là-dessus fatiganteque le prétendu bonheur du monde,
comme saint Augustin^ cl leur opinion, suivie bonheur mêlé d'ennuis, de coiitradiclions,d'em-
par saint Thomas et par saint Bunaveiiture ', barias, de sollicitudes de toute espèce où l'on
est l'opiniongénérale des théologiens. Il est ne goûte pas un plaisir qui ne soit la source
de ne pas rocounaître avec eux que le
difficile d'une douleur. Comment s'arracher à celte ser-
sentiment contraire tend à avilir le mariage, vitude si ce n'est en se tournant vers Dieu ? Plus
en le présentant comme la conséquence et la on se dépouille de soi, plus on gagne en li-
punilion du péché. berté. La virginité allège le joug des passions
Quoi Chrysostome, éloigné par
qu'il ensuit, et le poids du corps, donne à l'esprit plus de
le caractèrede son esprit des vaines recherches fécondité, à la volonté plus de vigueur, élève
et des hypothèses curieuses, insiste peu sur l'âme au-dessus des nuages, au-dessus de l'at-

cetty question, et n'étnblit l'excellence de la mosphère terrestre, dans une région où l'air
virginité que par une série de hautes et belles esl plus pur, la respiration plus libre, où rien
considérations entremêlées aux avis pratiques ne s'interpose entre l'œil et la vérité, entre le
les plus sages. cœur et Dieu la virginité, c'est la lumière du
:

a Prenons garde, nous exposerions à


dit-il, visage de Dieu sur le front de l'homme '.
tomber dans l'abîme de l'impureté ceux que B La vierge, dit le saint docteur, ne doit au-

nous pousserions témérairement à la •virginité. cun de ses attraits aux aj ustements de la vanité.
Toute âme n'est pas faite pour prendre son vol Sa beauté, toute intérieure et immatérielle, ne
aussi haut... Je sais quels efi'orts, quels combats craint aucune altération et n'a besoin d'aucun
exige cette vertu. Une guerre pareille ne peut artifice. Si elle est unie à la beauté corporelle,
être soutenue qu'à l'aide d'un courage, d'une elle la rend beaucoup plus belle. Quant à la lai-
grande résolution, d'un gr;ind éloignementdes deur, elle la change en beauté par les parures
plaisirs. Il faut marcher sur le feu sans se brû- qu'elle emploie. Et, en effet, ce ne sont ni les
ler, passer au ti avers dis épées sans recevoir de pierreries, ni l'or, ni les vêtements somptueux
blessures car telle est la force de la concupis-
; aux couleurs éclatantes et variées, ni toutes ces
cence qu'elle est plus redoutable que le fer et le choses futiles et périssables qui embellissent les
feu, et Ton n'est disposé à tout braver pour la
si âmes; ce sont les jeûnes, les saintes veilles, la
vaincre, on est sûr de se perdre. Nul espoir de douceur, la modestie, la pauvreté, le courage,
résister si l'on n'a une patience extrême, une l'humilité, la patience, le mépris des biens d'ici-
vigilance incessante, une volonté aussi inatta- bas. L'œil de la vierge est si beau ,
qu'il charme,
quable que le diamant, si l'on n'entoure son au lieu des hommes, les anges et le maître des
âme de murs, de fossés, de boulevards, d'une anges : il est si limpide et si pénétrant, qu'il
garde attentive et puissante, et surtout si l'on voit, au lieu de la beauté qui tombe sous les
n'a pour soi la faveur du Ciel ; car, si le Sei- sens, la beauté incorporelle elle-même ; il a
gneur ne garde lui-même la ville, c'est en vain tant de sérénité et de suavité, que rien n'irrite
que l'on veille pour la garder '. Celle faveur, son regard, doux et bon même envers les inso-
nous ne l'obtiendrons qu'à condition d'unir à lents et les ennemis. La vierge est si modeste,
nos bons sentiments de généreux efforts, les qu'à son aspect toute pensée criminelle est dé-
jeûnes répétés, le respect des commandements, concertée, le vice a honte de lui-même et rou-
l'observation exacte de la loi. Surtout défendons- git. De même qu'une servante attachée au ser-
nous d'une confiance téméraire en nous-mê- vice d'une femme honnête contracte, même
mes La virginité est un combat contre la sans le vouloir, les habitudes vertueuses de sa
tyrannie de la nature, une imitation de la vie maîtresse ; ainsi, il n'est pas jusqu'au corps de
des anges, une lutte de sainteté avec les vertus la vierge qui ne se modèle sur une âme d'une
si haute sagesse. Le regard, le langage, le main-
• s. Aiig., de cii:il. Dei, 1. M, c. 26. ' —
A4>i. Jul., 1. 3. _ tien, la démarche, tout est en harmonie avec
• Sum. 1. i'. quan. as, »tt. »; S. Bon., i» 2 dislinel. 20. q. 1. —
•Ps. 128. CLr^s , de iuVyin,, c. 26 «t 27. — Cliryt., ibid., c. 65, 68, etc.
99 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

en retrace la beauté et, tel que le


l'intérieur et ;
ses veines pourries quelques gouttes au moins
parfum dont l'exquise émanation s'échappe du d'un sang virginal ; il fallait la pénétrer, la sa-

vase qui le contient et embaume l'air au loin, turer de spiritualisme. Le monde avait échoué
le parfum de la virginité se répand par tous les dans la boue, il y sombrait. Pour le renflouer, I
sens de la vierge, et fait apprécier la vertu ca- pour l'arracher à l'abîme, le spiritualisme le

chée au fond de son cœur. Sa modestie dirige plus intense étaitnécessaire. Pour que l'hommo
avec un frein d'or tous les mouvements de son redevînt homme, il fallait que quelques hom-
être : sa langue, pour qu'elle n'ait pas un mot mes se fissent anges.

à regretter; ses yeux, pour que rien n'en souille De là, les anachorètes, la foule des vierges et

la pureté ses ;
oreilles, pour qu'une mélodie des veuves consacrées à l'autel et aux pauvres,
lascive n'y entre jamais. Elle veille même sur le célibat ecclésiastique, et les écrits de Chryso-
ses pieds, et règle sa démarche qui ne sera ni stome et des autres Pères sur la virginité. C'était
affectée ni négligée, mais simple et naturelle. la réaction nécessaire de l'esprit chrétien contre

Loin recherches de la toilette, les


d'elle les le paganisme, l'élan de l'âme régénérée par
rires bruyants et légers à tout propos ; une gra- l'Evangile, heureuse d'échapper le plus possi-
vité imposante et douce respire sur son visage, ble à un ordre de choses qui la souillaient et la
plus disposé à pleurer qu'à rire. Et quand je dégradaient, et, dans le bonheur de sa liberté,

parle de larmes, ne vous imaginez rien de lu- prenant son vol jusqu'à la hauteur des anges.
gubre ; ces larmes, en effet, portent avec elles Le chrétien qui poursuit, comme le plus noble
plus de que les joies du monde '. Affran-
plaisir but de sou existence, son union à Dieu, se fût
chie des foules et du bruit, au milieu d'un dépouillé de ses sens, s'il l'avait pu, pour être
silence profond, dans une paix plus profonde plus complètement et plus tôt consommé en un
encore, la vierge a le bonheur de s'entretenir avec Jésus-Christ. La virginité était le moyen
avec Dieu et de le contempler sans cesse. Et qui et le commencement de cette transformation.

pourrait mesurer une volupté de cette nature I Elle amoindrissait la chair, elle la purifiait et
Quel discours pourrait exprimer la joie d'une semblait la spiritualiser.
âme impressionnée! Ceux-là seuls qui
ainsi Du reste, le livre de Jean fut accueilli avec
mettent en Dieu leurs délices, peuvent appré- faveur dans le monde rehgieux. On peut dire
cier une félicité pareille et savoir combien elle qu'il contribua à fonder sa réputation et à pré-
est au-dessus de toute comparaison ' ». 11 compte à bon
parer ses succès apostoliques.
En résumé, ce livre, où l'on respire la fleur la droit parmi lesœuvres les plus belles du saint
plus exquise du spiritualisme chrétien, et tout docteur. Lui-même, il le citait du haut de la
entier écrit de verve, malgré les détails de chaire, non sans complaisance, et engageait à
mœursqu'il renferme, malgré l'argumentation le lire '.

serrée de l'auteur, est presque autant un hymne Nous croyons pouvoir rapporter aussi au
à la virginité qu'un traité sur cette vertu. En diaconat de Chrysostome un autre écrit, assez
dehorsdu point de vue surnaturel où il fut écrit, long, mais inférieur à bien des égarus à ceux
rien n'avait alors plus d'à-propos : car il s'agis- déjà cités : je veux dire le livre sur saint Ba-
de poursuivre en ses derniers retranche-
sait bylas contre Julien et les Gentils ; livre dif-
ments le sensuahsme païen. Le culte delà vir- fus, négligé, où il n'a guère fait que jeter d'une
ginité était l'antipode du culte des dieux. Le main rapide les notes sur lesquelles il avait le
propager sur la terre, le préconiser avec succès, projet de travailler. On regrette qu'il ail parlé
c'était la manière la plus brillante et la plus de saint Babylas sur des bruits populaires plu-
sùreàlafois de combattre l'idolâtrie, un moyen tôt que d'après des documents authentiques.
plus direct et plus prompt d'en finir avec elle, Néanmoins, ce qui manque à ce travail n'em-
que la Cité de Dieu de saint Augustin et le Dis- pêche pas qu'il n'ait, au point de vue histori-
cours contre les Gentils de saint Chrysostome. que, un véritable intérêt, et qu'il ne renferme
L'effort d'une vertu commune ne sulfisait pas à des pages d'une admirable énergie et tout à
soulever l'humanité affaissée sur elle-même, à fait dignes du grand orateur.

guérir ce grand malade. Pour la sauver, il fal- Saint Babylas, successeur de Zébin et dou-
lait renouvelerempoisonné qu'elle respi-
l'air zième évêque d'Antioche, gouverna cette église
rait, verser danssespoumonsdel'oxygène, dans depuis l'an 237 environ jusqu'à l'an 250, sous
• ChrjB., de virgin., c. 63. 64. — ' Ibid,, c. 68, ' CUrys., hom. 19, sur la Ite &ux Corinlh,, in fin.
CHAPITRE HUITIÈME. 93

lescmpcreiirs Gordien ITT, Pliilippoct Trajan- por?onnes. Tl monta en esprit de la terre aux
IK'ce. a Gel lioiiimo ailniirable, dit notre Saint, cicux ; et comme s'il eût entendu le juge terri-

•;i toutefois nous pouvons l'appeler un homme, ble condamner et repousser cet affreux crimi-
illustra son cpiscopat par un acte de courage nel, il le séquestra du bercail... Mais, aussi sage
dit;nc d'Elie et do Jean-Iîaptiste ' ». que f'Tme, il fit voir par sa modération que sa
a Un empereur régnait à cette époque, pour- liberté n'était ni témérité ni violence, mais
suit Chrysostome, qui s'était souillé d'un crime l'accomplissement d'un devoir. Il ne dit que
alTrcux. Sans respect pour la foi jurée, sans ce qu'il fallait dire, et se borna à mesurer le re-
pitié pour la faiblesse et l'innocence, foulant mède à la grandeur du mal. Par là il apprenait
aux pieds l'honneur, la religion, la nature, il à tous, païens ou fidèles, que dans l'Eglise de
mit à mort un jeune enfant dépose dans ses Jésus-Christ, quand il s'agit de correction et de
mains, comme un gage de paix, par un prince punition, les plus grands ne sont pas au-dessus
allié de l'empire, qui croyait confier son fils à des plus petits. En même temps il donnait une
un ami et le livrait à une bètc féroce ' grande leçon aux rois et aux prêtres futurs,
... Quand je pense à ce scélérat, avec ses armes, abaissant l'orgueil des uns, relevant le courage
avec son épée nue, quand je vois à ses pieds la des autres, et déclarant que le prêtre préside
victime sans défense, ne pouvant ni fuir ni se aux choses d'ici-bas plus véritablement que ce-

venger, recevant le coup fatal, se débattant sur lui qui porte la pourpre, et qu'il doit se laisser
le pavé, l'inondant d'un ruisseau de sang, mes dépouiller de la vie plutôt que de renoncer au
entrailles se déchirent, ma pensée s'obscurcit, pouvoir qu'il tient de Dieu ' ».
un nuage s'étend sur mes yeux. Mais le monstre Selon notre Saint ^, la sagesse du pontife fut
autrement ému que s'il venait de frap-
n'est pas perdue pour le tyran. Furieux contre celui qu'il
per un mouton ou un veau. Et l'enfant gisait, eût dû bénir, il le fit jeter en prison et mettre
mort de sa blessure ; le meurtrier, fier de son à mort. Babylas avait demandé à être enterré
crime, en préparait un autre... 11 osa, l'impu- avec ses chaînes, et les voilà, dit Chrysostome,
dent, l'endurci, se présenter à l'église. Mais à côté de ses cendres pour exhorter tout ce qui
Babylas gouvernait le peuple de Jésus-Ghrist. est chef dans l'Eglise à soulTrir avec empresse-
Sans s'inquiéter du titre ni de la puissance du ment, avec bonheur, la prison, la mort, tous
coupable, il le chassa du saint lieu avec autant lesmaux, plutôt que de trahir ou de déshono-
de calme que le berger chasse du troupeau une rer la liberté sainte qui leur a été confiée '.
brebis galeuse pour ne pas infecter les autres. Un siècle s'était écoulé lorsqu'en 351 le césar
Il montrait ainsi, conformément à la parole du Gallus fit transférer les reliques du martyr à
Sauveur, que celui-là seul est esclave qui fait le Daphné. Il voulait sanctifier un lieu que pro-
péché, esclave même quand il porterait cent fanaient depuis longtemps les fêtes licencieuses
diadèmes et qu'il verrait le monde à ses pieds, et les orgies impures du paganisme. Là, à côté

tandis que le plus humble des sujets, s'il a sa du temple du Soleil, une église fut dédiée au
conscience pure, est plus roi que tous les rois'... vrai Dieu, et l'on y déposa le corps de saint Ba-
Un vieillard, un homme pauvrement vêtu, ar- bylas. Dès ce jour, l'oracle d'Apollon garda le
rêta sur le seuil de l'église un empereur, le chef silence. Julien, venu Antioche en 362, voulut
à
d'un grand empire, maître d'une grande ar-
le lui rendre la parole etn'épargna rien pour cela :
mée, comme il aurait fait d'un homme de rien. il multiplia les libations et les victimes, cou-
Traversant la foule des gardes, des tribuns, des vrit de sang les autels de Daphné, ajouta aux
courtisans, il fut droit à l'autocrate, lui mit la hécatombes de bœufs les sacrifices humains *.
main sur la poitrine et lui enjoignit de se reti- Le Dieu s'obstinaità se taire. A la fin, il retrouva
rer. L'œil divinement éclairé, le généreux pon- la voix pour demander l'éloignement des morts
tife ne vit dans cette pompe impériale qu'une qui le gênaient, et là-dessus r/iw<n'o?i couronné,
peinture, une ombre, un songe. Get éclat d'une dit Chrysostome ' , enjoignit aux chrétiens
majesté terrestre, loin de l'éblouir ou de le trou- d'emporter au plus tôt les cendres de leur mar-
bler, le faisait penser à cette majesté souveraine tyr. La châsse qui les renfermait fut placée sur
dont le trône est assis sur les Chérubins, à ce un char, que les fidèles se disputèrent l'hon-
grand tribunal qui ne fait aucune acception de
'Chry8.,de S. Dahyl.,n. 9. —
' iliij. Eusèbe dll au contraire qu«

• Chry»., de S. Btbitl., n. 6. — ' Ibii., n. D. — ' Chrya,, 1. de Philippe se eoumit à la pénitence imposée. (Eus., ibid.)—
'Chrys.,
* Chrys., ibU., n. 14.- ' U., ibii., o. »<>,
S. Ca4y/, n. 6. de 5. Uithyl., n. U.-
94 HISTOIRE DE SAIiNT JEAN CHRYSOSTOME.

neur de traîner eux-mêmes, et ramenée triom- pect pour son ancien maître, il tomne en ridi-
phalement à Antioche au milieu d'un immense cule les longues lamentations de Libanius sur
concours de peuple, chantant des psaumes et la chute des dieux. Quelle joie dédaigneuse,
répétant de temps à autre, en forme de refrain, quelle verve ironique quand il met en regard
ces paroles du prophète Que tous ceux qui : l'absurdité, l'immoralité du polythéisme avec
adorent les idoles soient confondus! Qu'ils la beauté et la sainteté de la morale chrétienne;
soient couverts de honte, ceux gui mettent quand il honteuse agonie de l'un
oppose à la

leur espérance dans les faux dieux t les progrès croissants et irrésistibles de l'autre !
Julien, blessé de cette démonstration, résolut « Vous aviez pour vous, dit-il, les lois, les em-
d'en punir les auteurs. Il fit arrêter et appli- pereurs, le peuple, tous les intérêts, toutes les
quer à la question un certain nombre de chré- passions, des habitudes prises depuis des siè-
tiens. Sur le chevalet, livrés au bourreau, ils cles, et vous deviez écraser sous le poids de vos
répétaient d'un \isage calme et riant les can- haines et de votre puissance une religion nais-
tiques de la veille Qu'ils soient confondus les
: sante qui avait tout contre elle. Un pêcheur de
adorateurs des idoles, ceux qui mettent leur poissons, un fabricant de tentes, des hommes
gloire dans les faux dieux! Quelques jours de rien, voilà les chefs dont elle osait se glori-
après, la foudre tomba surle temple d'Apollon. fier devant un monde ennemi. Et cependant

La statue du Dieu fut brisée en morceaux et la l'erreur des Gentils, si fortement protégée, ja-
toiture de l'édifice réduite en ceudres; le feu mais persécutée, s'éteint et s'écroule d'elle-
du ciel n'épargna que les quatre murs et les co- même comme un un mal an-
corps rongé par
lonnes qui les entouraient. L'autocrate furieux cien qui tombe en pourriture '. Vos dieux ne
essayade tromper l'opinion publiqueen lui per- se soutenaient que par la faveur des Césars.
suadant que ce fatal incendie était le fait de la Leurs prêtres, en effet, ceux à qui incombe la
négligence des prêtres des idoles, ou de la cri- garde des mystères, révèrent les Césars plus
minelle vengeance des chrétiens. Il n'y réussit que des maîtres, plus que des dieux. La seule
pas. On resta convaincu que la foudre seule crainte de l'empereur les retient aux pieds des
avait abattu le dieu et son sanctuaire. Aux idoles et en vérité, ces méchants démons ne
;

yeux des païens c'était un sinistre présage. doivent qu'aux emjiereurs la grâce d'être ho-
Julien, qui avait sur les bras son expédition norés. Mais qu'un prince monte sur le trône
dans vengeance jusqu'à son
la Perse, différa sa avec une religion différente, aussitôt tem-
les
retour, qui n'eut pas lieu, et se borna, pour ples sont délaissés. Entrez-y , vous verrez les
le moment, à fermer la grande église d'An- murs tapissés de toiles d'araignées, et la statue
tioche, après l'avoir dépouillée de ses orne- du dieu couverte d'une telle couche de pous-
ments les plus riches et de ses vases sacrés '. sière qu'on ne peut distinguer ni tenez, ni l'œil,
Quant aux reliques du saint martyr, ia ville ni aucun des traits du visage. De l'autel, il ne
ne voulut plus s'en séparer. Mélèce bâtit, pour reste plus que des débris, et l'herbe y pousse si
leur servir de demeure, une belle église, dont épaisse, qu'à moins de savoir qu'il y eût là un
il pressa la construction avec tant de zèle, autel, on dirait un tas de fumier '. Quelle diffé-
qu'il y mettait les mains lui-même comme un rence avec les chrétiens Ce qu'ils ont plus à
t

simple ouvrier. Plus tard son propre corps y redouter, c'est faveur des rois. La paix les
la
fut déposé à côté du corps de saint Babylas. énerve, la persécution les grandit. Vienne un
Ces faits sont devenus, sous la plume de empereur ennemi qui les accable de disgrâces,
Chrysostome,son traité contre Julien et lesGen- c'est alors qu'ils prospèrent, alors qu'éclate
tils, c'est-à-dire une démonstration de la vérité dans toute sa splendeur la divine vertu de leur
du Christianisme à l'adresse des philosophes foi. On cite des villes fidèles aux idoles. Mais
d'Antioche. Les efforts de Julien pour restaurer d'abord elles sont en petit nombre ; et puis,
lepolythéisme déchu leur avaient inspiré tant faut-il le dire, ce sont les danses, les festins, les
de confiance que rien n'égalait leur abattement orgies, les obscénités qui attirent encore quel-
depuis que leurs prévisions étaient démenties. ques adorateurs à ces autels déshonorés. Leurs
Jean se moque de leur désespoir, et, sans res- dévots sont des paresseux, des parasites qui vi-
vent des restes des sacrifices. Chez nous, ceux
' Chrys., de S. Babyl., a. 14, 15, 16, 22, etc. ; Sozom., 1. 5, c. 19
qui ne sont pauvres que par le fait de leur là-
et ?.0 ;Théçii., 1. 3, e, » et 10 ; Libaû., arat, 6 ; Aœm. Marc,
\. 22, a. 13. Clii7f., de S. Babyl. eontr. M-, a.3. -^' Chrys., d, 5,
CHAPITRE nUlTIÈMEJ Sa

cheté, sont invités à travailler. Nous ne nour- sèbe, dans sa Démonstration évangélique, tré-

rissons que les infirmes, les estropiés, les vieil- sor d'érudition en tout genre ;
par Malernus,
lards, nous ne connaissons ni vos fêles, ni vos dans son livre des Iîcliqi(msprofa7ies,écT\laycc
banquets, ni vos orgies; nulle trace de ces tur- tant de chaleur par saint Athanase, dans ses
;

pitudes parmi nous on ne nous apprend que


;
admirables discours contre les Gentils et sur
ce qui est grave, ce qui est chaste, ce qui est l'Incarnation du Verbe, où il montre dans la
juste, ce qui est digne, tout ce qui inspire la chute originelle le principe et le point de dé-
vertu, tout ce qui honore l'huuKuuté ' ». part de l'idolâtrie et de l'éloignementdeDieu.
Quelle énergie encore, quel éloquent mépris Un peu jilus tard, ce fut le sujet d'un des beaux

dans ce tableau de la restauration du poly- ouvrages de saint Augustin, la cité de Dieu,


théisme par l'empereur aposlat Les pieds stir 1 magnifi(iue apologie et la seule complète du
la terre, dit-il, il aboyait contre le ciel, à la Christianisme, où le grand docteurne se borne
manière des chiens enragés qui se jettent sur pas à réfuter les divers systèmes de mytholo-
ceux-là mcrties qui les ont nourris^. «Devins, gie, celui des poètes, celui des politiques, celui

sorciers, magicieus,aruspices, augures, tous les des philosophes, non plus qu'à combattre le
ateliers de sorcellerie élaient accourus de par- Néo-Platonisme avec son idolâtrie quintessen-
tout. voirie palais impérial regorgeant
Il fallait ciée et sa thcurgie mais où il présente dans
;

d'esclaves fugitifs, d'hommes infâmes. Tous toute sa beauté la citédeDieu, en commençant


ceuxquimouraientdefaim, qui avaient été con- par poursuivant la destinée de la
la création, et

damnés pour maléfices et empoisonnements, race humaine elle développement de la pensée


tous leséchappés des prisons et des mines, ceux divine, depuis l'origine des temps jusqu'à l'éter-
qui gagnaient leur vie à grand'peine dans de nelle félicité des élus dans le ciel.
bonleux métiers, élaient transformés en ponti- Certes, le livre de Jean, qui, tout inachevé
fes, en prophètes, et comblés d'honneurs. Quant qu'il est, impressionna vivement ses conci-
aux généraux, aux gouverneurs de provinces, toyens, est loin de cesgrandset savants travaux.
Julien les tenait à l'écart; il les méprisait. En Ausurplus, il semble avoir traité Julien comme
revanche, il traînait à sa suite par la ville et il méritait de l'être tant les objections du so-
:

dans les rues les plus débauchés et des


vils phiste roi et de sesamis trahissaient une incon-
courtisanes tirées des lieux de prostitution. Le cevable ignorance du Christianisme, de ses
cheval impérial et les prétoriens suivaient par dogmes, de sa nature, de son esprit La polé- 1

derrière à une grande que distance. Tout ce mique, d'ailleurs, n'avaitqu'un médiocre inté-
le vice a de plus hideux marchait à côté de rêt pour grande masse des sectateurs du pa-
la
l'empereur, avec des éclats de rire et des pa- ganisme. Ce n'était point une aversion pronon-
roles dignes d'une telle société. La postérilé cée de l'Evangile qui les retenait dans l'erreur,
croira difficilement qu'on ait porté à ce point mais plutôt leur indolence morale, le poids des
la turpitude et l'absurdité. Le plus obscurdes habitudes, l'absence de besoins religieux. Une
hommes, le plus vil, n'en viendrait pas là. Mais observation du saint docteur en est la preuve
les témoins oculaires vivent encore; ils sont au frappante ilassure que, de son temps, les écrits
:

milieudenous. Aucun ne m'accusera de vouloir des philosophes païens contre la religion de


faire accroire des mensonges. Jeunes et vieux, Jésus-Christ étaient en grande partie perdus, et
je les adjure de dire si j'ajoute quelquechose à qu'on n'en retrouvait les restes que chez lea
la vérité. Je puisomeltre, je n'ajoute pas. ..Qui chrétiens '.

pourrait dénombrer les opérations magiques En tout cas, Jean traite la philosophie avec
auxquelles ce misérable s'est livré, les enfants autant de dédain que le polythéisme. «A quoi
qu'il a immolés ? Car les sacrifices humains, a-t-elle servi ? dit-il. De quelle vérité, de quelle

abolis depuis l'avcnement de Jésus-Christ, il a vertu le genre humain lui est-il redevable ?
essayé de les rétablir ' ». Quelles misères a-t-elle soulagées? quels vices
Du reste, le thème de ce livre, qui n'est d'ail- a-t-elle guéris? L'homme de bien doit régler
leurs que l'ébauche d'un livre, avait été traité ses actions sur l'utilité générale ; il doit avoir

déjà avec autant de talent que de succès par pour but l'amélioration de ses semblables. Or,
Lactance dans ses Institutions divines; [larEu- les philosophes n'ont été que des rêveurs, des
égoïstes,des hommes pleins d'eux-mêmes, dont
•Chtyfc, ibid., n. 8. — 'Chryi., dt Bier. martyr. S, Babyl., n. 1.
*atjt.,4tS, Babyl. • de S, Babyl., a. 2. in fia.
aiv.Jiil., a. ». Clirys.,
se HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

les plus belles actions n'avaient pour mobile samment l'authenticité. C'est «ne analyse suc-
que lorgueil. Diogène était un jongleur. Zenon cincte, mais très-bien faite, d'un certain nom-
Platon regarde comme
légitimait l'inceste. bre de nos livres divins. Les autres avaient été
chose indiirérente de se nourrir de chair analysés de lamême manière mais un partie ;

humaine. D'autres ont enseigné et pratiqué des de ces précieux résumés, et en particulier ceux
amours infâmes' ». En général, la discussion du Nouveau Testament, n'ont pu être retrouvés.
savante, profonde, n'est pas le fait de Chry- Nous devons regretter cette perte. Les études
sostome elle manque complètement à ce livre,
: intimes d'un homme supérieur le font souvent
qui, par quelques pages du moins, ressemble mieux connaître que des livres élaborés avec
plutôt à un pamphlet qu'à un traité sérieux de soin pour le public. On
y voit les tendances de
controverse religieuse. son en coûte au génie lui-
talent, et ce qu'il
Ajoutons, pour être juste, que cet écrit, si même de recherches et d'efforts pour arriver à
imparfait, renferme des beautés de premier cette hauteur sereine où il semble s'être élevé
ordre, et que si, d'ailleurs, il pèche par défaut d'un seul bond. Du reste, la date de ce travail
d'exactitude et de précision, les faits qu'il rap- n'est pas certaine. Jean l'avait-il apporté du dé-
pelle étaient tellement présents à tous les esprits, sert? Est-ce un souvenir de la grotte où il passa
que Jean les commente en orateur pour le be- deux ans, loin de tous les hommes, à étudier,
soin de sa polémique, bien plus qu'il ne les à méditer, à apprendre par cœur le texte ins-
raconte en historien. Quant aux souvenirs de piré? Très-probablement, il l'a faità Aniioche,
saint Babylas, Antioche les aimait tant, que le pendant son diaconat, au moment où il se pré-
diacre devenu prêtre les célébra dans un beau parait d'une manière plus prochaine au grand
discours, qui est l'abrégé éloquentet substantiel ministère de la parole. Du moins on peut l'in-
de ce livre. duire de son intention à signaler les passages
Clorons-nous ce chapitre sans mentionner la qui lui semblent plus propres à combattre les
Synapse de l'Ecriture sainte ? Le P. Montfaucon ennemis de la foi. On dirait qu'avant d'entre-
l'a éditée le premier, d'après des manuscrits prendre ces vastes commentaires qui devaient
qu'il signale, et, selon nous, il en établit suffi- être son œuvre capitale, il a tenu à jalonner
lui-même avec soin la route qu'il voulait par-
• Chtys., de S. Babyl., a, 9 et 10. courir.

CHAPITRE NEUVIÈME.

L'évêque Flavien. —
Ordination de Jean. —
Flavien lui confie le ministère de la parole et une partie de son autorité. Origine —
de la ville d'Antioche. —
Sa situation. —
Son importance. —
Mœurs et caractère de ses babitauts. —
Histoire de Pélagie,
surnommée la Perle —
Eglise d'Antioche. —
Maison de saint Paul. —
Episcopat de saint Pierre. —
Premiers évêques d'An-
tioche. —
Ecole d'Antioche. —
Ses hommes illustres. —
Ses tendances. —
Son opposition à l'école d'Alexandrie. Paul de —
Samosate. —
Attachement de l'Eglise d'Antioche à l'Eglise Romaine. —
Richesses et juridiction de l'Eghse d'Antioche. Dé- —
cadence d'Antioche. —
Premier discours de Chrjsostome. —
L'église d'Or. —
La Palée. —
Concile de la Dédicace. Jours —
de prédication.

Tels furent, du moins en partie, les travaux le concile de Constantinople, inspirée à la ma-
de Jean pendant les cinq années de son dia- jorité de cette assemblée par un déplorable es-
conat. Ils le préparaient à ce grand ministère prit d'opposition à Rome et à l'Occident, était
redouté de sa modestie, dont il avait retracé en un malheur ; et, même
en supposant qu'il ne
de vives peintures les devoirs et les périls, mais fût pas lié par une convention antérieure, on
dont il ne pouvait plus décliner le fardeau. ne s'explique pas qu'un homme d'un caractère
Nous l'avons dit Mélèce descendu dans la
: aussi élevé, d'une piété si sincère que Flavien,
tombe, Flavien lui avait succédé. Son élection, ait consenti à s'asseoir sur la chaire d'Antioche,
combattue par saint Grégoire de Nazianze dans au moment où il ne le pouvait, ditTillemont,
CHAPITRE NEUVIÈME. 97

qu'avec scfinduie et en troublant la paix de plus fécond de cet épiscopat, ce fut la promo-
l'Eglise '. tion de Chrysostome au sacerdoce. Elle eut lieu
Certes, quelque chose pouvait racheter le
si dans les premiers mois de 380, année mémo-
TÏce cl les inconvénients d'une pareille situa- rable à plusieurs titres, mais signalée surtout
tion, c'était le mérite personnelde Fiavien. Nul par la conversion de saint Augustin.
dans le cler|;é d'Antiociie n'avait rendu plus de L'ordination de Jean fut une fête pour An-
services, nidonné plus de gages à l'orthodoxie. tioche, un deuil pour lui. Agé de quarante-deux
Simple laïque, il combattait pour elle avec un ans*, il se trouvait trop jeune "pour un minis-
courage redouté des Ariens. Devenu prêtre, il tère dont rien, à ses yeux, n'égalait la difficullé
fut, pendant de longues années de périls et et l'élévation ;une longue insistance
et il fallut
d'orages, en l'absence du pontife exilé, l'appui, et l'ordre exprès de Fiavien pour vaincre son
le guide, le salut de l'Kglise d'Antiocbe. Elle intraitable humilité. George d'Alexandrie et
s'était habitué à le vénérer et à l'aimer, et il rempercur Léon ont raconté qu'un ange était
lui semblait que lasuccession de Mélcce ne pou- venu du ciel enjoindreaupontifed'imposer les
vait échoir à un autre. Fiavien avait soixante mains au diacre Jean, et à celui-ci de se rendre
et dix ansjour de sa consécration mais
le ; au vœu du pontife. Ils ajoutent que, le jour de
l'épiscopat. loin d'écraser sa vieillesse, parut le l'ordination, au moment où Fiavien, revêtu de
rajeunir. La charité lui rendant les forces que ses habits pontificaux, bénissait le nouveau prê-
l'âge éteignait, on le vit, vingt-trois ans durant, tre prosterné à ses pieds, une colombe blanche,
suffire à tout par l'abondance de son zèle et la descendant delà voûte du temple, s'était repo-
sagesse de son administration. Orthodoxe in- sée sur la tête de Jean, en présence du peuple
flexible, il chassa du pays la secte impure des ravi. Mais ces faits, et d'aulresqui complètent ce
Massaliens : espèce d'illuminisme grossier qui récit, reposent sur des autorités trop peu sé-
condamnait le travail, interdisait toute autre rieuses, etnous ne les mentionnons ici que
occupation quela prière et la mendicité, et pré- pour constater la profonde impression que les
tendait conduire à une vertu assez consommée vertus et l'éloquence de notre Saint avaient
pour qu'on pût, en se livrant à tous les désor- laissée dans l'espritdes populations chrétiennes
dres, ne commettre aucun péché. Mais à la de l'Orient. 11 leur semblait impossible que la
rigide fermeté des principes, Fiavien joignait supériorité d'un tel homme n'eut pas un ca-
la mansuétude Sous ce rapport,
et la charité. ractère surnaturel.
personne plus que lui ne pouvait remplacer Ce qui est certain, dit Tillemont', et où l'on
Mélèce. Le peuple d'Antiocbe, léger et mobile, peut voir comme une série de prodiges, c'est
qui conservait, en dépit de sa nature frivole, un que pendantdouzeansqu'il resta attacliécomme
profond souvenir de son vieux pontife, et en- prêtre à l'églised'Antioche, il ne cessa de l'éclai-
tourait sa tombe comme les abeilles une ruche ', rer par sa doctrine, de l'édifier par ses vertus,
croyait le voir, l'entendre, lui obéir dans laper' de la consoler par sa charité, et, suivant l'ex-
sonnedesonsuccesseur. Onaimaitdanscelui-ci pression de Pallade, d'ij faire corder avec abon-
sa splendide vieillesse, sa figure imposante, son dance les eaux vives du Saint-Esprit.
langage sans éclat, mais plein d'à-propos et de Fiavien, dont l'âge alfaiblissait la voix, le
cliarme, l'humilité dans la grandeur, la charité chargea d'exercer à sa place le ministère de la
surtout. Né dans l'opulence, il s'était dépouillé parole. Nul doute qu'il ne lui ait confié aussi
de sa fortune en faveur des pauvres, et n'avait une grande partie de son autorité et c'est ce ;

conservéde ses biens qu'un petit logement pour qui explique pourquoi Jean, dans plusieurs dis-
sa sœur et lui, dans la maison paternelle con- cours, parle au peuple, non pas seulement avec
vertie en hospice. Là, étaient accueillis avec l'affectueuse bonté d'un père et d'un ami, mais
amour, servis avec soin, tous ceux qui avaient comme un homme investi du grand pouvoir
combattu et souffert pour la vérité. L'exemple d'exclure de l'autel, de chasser de l'Eglise ceux
du pasteur entraînant la cité, l'Eglise d'Antio- qu'il croit dignes de cette peine. Il fut donc à la
cbe, enrichie par la générosité des fidèles, fois la bouche et la main de l'évêque. Mais,
nourrissait trois mille pauvres, et ne laissait plus si)écialement chargé de le représenter à la
sans secours aucune misère. • Nous suivons l'opinion du P. Stilting, q\ii place eo 341 la nais-
Hâtons-nous de dire que le plus bel acte, le sance de Jean. Selon Montfaiicon et autres, il n'avait alors que 39aii«,
Il (e tciile d'cnUnt : /ttipnnl^Mf. Um- *iW te» «idio*
• TUI«o., 1. 10, p. »2«, - • QbTji,, in S, MtM,
98 HlbTOIRE DE SAINT JEAN CHUYSOSTOME.

tribune sainte, il s'acquitta, douze ans durant, cien, le plus vaste, berceau des autres, portait le
de cette grande tâche avec un éclat, un succès nom de Palée, et communiquait avec la ville
auxquels rien, dans ce genre, ne saurait être nouvelle au-delà de l'Oronte, ou dans uneîle du
comparé. fleuve, par cinq ponts de pierre magnifiques'.
surnommée la Grande pour la dis-
Aiitioche, Amuiien, qui était d'Antioehe, l'appelle avec
tinguer de ses homonymes, au nombre de dix raison la belle métropole de l'Orient ', et en
ou douze, était une vasteetmagnifiqueviliefon- parle avec orgueil comme d'une ville connue et
dée par Séieucus-Nicator, après la bataille d'Is- admirée de tout l'univers, sans rivale parles ri-
sus, trois siècles avant Jésus-Christ. Il lui donna chesses de son sol et par celles qu'y faisait af-
le nomde son père Antiochus, comme il avait fluer le commerce. Capitale du royaume de
donné le nom de sa femme, celui de sa mère et Syrie sous les successeurs d'Alexandre, elle
le sien aux \illes dont il dota et sema, pour avaitvu toutes les merveilles de l'Asie et de la
ainsi dire, cette belle contrée de l'univers'. Grèce affluer dans les palais de ses rois, et nul
Bâtie d'abord sur une des rives de l'Oronte, souverain ne pouvait étaler aux yeux éblouis de
Antioche passa vite sur l'autre, et, dans ses ra- Rome tantd'or,de pierreries, de chefs-d'œuvre'.

pides accroissements, couvrit la plaine et les Tombée à son tour sous le joug qui courbait
coteaux qui l'enceignent, sur lesquels elle éta- tous les peuples, elle devint le siège de l'admi-
gea et déploya par gradins ses nombreux et nistration romaine en Orient, et César la décora
somptueux monuments. On eût dit qu'elle vou- du titre de cité sainte et à jamais mémorable.
lait rivaliser, par ses magnificences architectu- Les empereurs aimaient à la consoler de sa dé-
rales, avec celles de la nature qui l'entourait, la chéance en la comblant de privilèges. Tibère
plus belle peut-être du monde. Un ciel pur, un avait fait creuserpour elle le port de Séleucie,
climat enchanté, où l'hiver dure à i)eine quel- auquel elle se reliait par l'Oronto, et qui n'était
ques jours, où l'été ressemble au printemps, un en définitive que le port d'Antioche.
sol fertile arrosé par quatre rivières* et tout Et, toutefois, cette contrée si riante était une

couvert de grenadiers, de pistachiers, de vignes oasis sur un volcan.Un tremblement de terre


suspendues aux arbres, d'oliviers grands et la renversa de fond en comble au moment où
larges comme des hêtres, de palmiers, de fl- Trajan y tenait sa cour. L'empereur, qui faillit
guiers, de pêchers, de citronniers; un paysage périr dans ce grand désastre, la releva de ses
superbe, où les toits dorés des villas étincelaient ruines et la rendit plus belle que jamais. Elle
3ntre les masses vertes des arbres, et dont les étaitdevenue déjà et continua d'être une rési-
perspectives infinies portaienll'œil de bosquet denceaimée des autocrates romains. Constance
en bosquet, de coteau en coteau, par une série en faisait ses délices il l'orna de statues, de ;

de plans admirablement dégradés jusqu'aux fontaines, de thermes, de palais, de magnifi-


sommets lointains et sourcilleux de l'Amanus, ques galeries, séjour royal des loisirs du peuple,
du Casiusetdu Liban le voisinage de la mer,
;
etfit exécuter au port de Séleucie, pour le ren-

celui de Daphné aux belles eaux, aux magnifi- dre plus sûr et d'un abord plus facile, des tra-
ques ombrages, tout cela faisait d'Antioche un vaux grandioses. On trancha la montagne, un
séjour délicieux, incomparable, qu'oneût voulu immense bassin fut taillé dans le roc. Antioche
ne quitter jamais. On eût dit un coin de l'an- atteignit alors le plushaut point de prospérité
tique Eden, oublié par la colère de Dieu, em- commerciale. Emerveillée de tant de faveurs
belli par le génie de l'homme. et de munificence, elle rêva le sort de Constan-

Vue à vol d'oiseau, la ville avait la forme d'une tinople et parla de changer son nom contre
ellipse arrondie, dont le grand diamètre était celui de Co?ïs/G/;«a.Cetteadulation ne prit pas.

d'une lieue et demie de long. Son enceinte, en- Au tempsde Chrysoslome,elleétait,selonlui,


core reconnaissable à quelques débris restésde- la tête, iamère, la plus grande ville de l'Orient ;
bout, n'avait pis moins de quatreou cinq lieues etcependant il ne porte qu'à deux cent mille le
de circuit, et renfermait quatre villes dans une. chiffre total de ses habitants, que généralement

Du moins, les quatre quartiers qui formaient on porte beaucoup plus haut *. Divers de reli-
la ville entière, étaient clos chacun de murs et
• Strab., 1. Liban, in Antioche.
16, c. 2 ;

• Amm., I. 24, c.
8J
de portes comme une ville à part. Le plus an- 1. 22, c. 'I. — Verr. orat. 6, n. 61, 67.
'Cicer , in ' Chry?., —
hom,
sur S. Ignace, n. 4. Il dit ailleurs qu'elle complait cent mille Chré-
'Séleucle, Apamée, Laodicée. — ' Strab., 1, 16, c, 2, d. 7, tiens (t. 7. p. SlOj, et dans d'autres encir^iits, que le8 ChrélieDS foj.
L'Oioute, L'Aue^lbus, le Labo'.js et lOEjOini.»?. maient la majeuic partie d« la population.
CHAPITRE NEUVIÈME. 99

gion, ccsbonimcsrétaicnl aussi d'origine. Les lerics publiques, remplissait l'école où Libanius
uns desccndanl des anciens Syriens, conser- débitait ses harangues académiiiues, se pressait
\aient i|iU'Kiucs restes de la langue syriaque, autour d'Apollinaire pour entendre ses explica-
parlée encore comme patois dans les cam- tions aventureuses du texte sacré, et ses dialo-
pagnes. Los autres, c'est-à-dire le plus grand gues, à la façon de Platon, sur les Evangiles et
nombre, étaient Hellènes, parlaient grec et gar- les écrits des Apôtres. Paul de Samosate abusa

daient, sous le ciel de l'Asie, l'esprit le caraclère , de cette disposition curieuse et frivole d'un peu-
et lesang de la Grèce. Par l'activité de son com- ple discoureur, pour jeter le scandale et le
merce, par la beauté de ses édifices, par le luxe trouble dans l'Eglise dont il était l'évêqueet le
et l'élégance de ses babiludcs, par ses écoles guide. Là aussi avait pris niiisfance la première
pbiloïopbiquLS et littéraires, parla jdyouse a' i- controverse entre les chrélii'ns : celle des ob-

malion des fêtes qui remplissaient snns cesse servances légales tranchée par le concile de
ses places et ses ruis, où la nuit illuminée de Jérusnlem. La foule qui applaudissait à l'église

mille feux avait lasplendeur du jour', elle était leshomélies de Chrysostome, allait applaudir
à la fois la Rome et l'Alhènes de lOrient al- , au théâtre la danseuse Pélagie, surnommée la
liant à la mollesse d'une cilé asiatique le culte Perle ; on l'entourait, on l'escortait comme une
des arts, l'amour dos sciences et surtout l'es- , reine quand elle parcourait la ville, assise sur
prit vif et frondeur, l'imagination ardente et son âne, à la façon de l'Orient, la tête étince-
mobile d'un penpleaussiimpalicntdeservitude lanfe de pierreries, les pieds nus, d'où retom-
qu'incapable de liberté, et qui se croit ample- baient des chaînes d'or, au milieu de jeunes
ment dédommagé par des sarcasmes et des épi- gens qu'enivrait son regard '.

grammes de l'oppression qui pèse sur lui. Un jour la célèbre actrice, suivie de son glo-
Adrien, blessé de ses railleries, en conçut rieux cortège, passait devant l'église de Saint-
contre elle tant de baine, qu'il voulut séparer Julien, au moment où plusieurs évoques assis
la Phénicie de la Syrie, afin qu'Anlioche ne fût sur la porte conversaient entre eux. Elle avait
plus appelée la métropole de tant de villes '. les épaules découvertes ; un riche collier bril-

Sévère, contre lequel elle avait pris parti pour lait à son cou ; l'air sur son passage restaitem-
Niger, la dépouilla de ses privilèges et la rédui- baumé des parfums qui s'exhalaient de ses vê-
sit au rang de bourgade sous la juridiction de tements. Les prélats baissèrent les yeux. Un
Laodicée. Sa puissance et ses titres lui furent seul,Nonnus, d'Héliopolis, osa la regarder et
bientôt rendus mais, surprise par les Perses au
; dire Est-ce donc que cette beauté ne vous a
:

moment où ses habitants, réunis au théâtre, pas plu ? Ses collègues gardaient le silence.

s'amusaient à applaudirun pantomime, elle fut Il baissa la tête et pleura. Puis, avec un pro-
pillée, saccagée, à moitié détruite. Valéricn la fond soupir: Cette beauté me plaît, s'écria t-il,

rétablit. Dioclétienla maltraitade nouveau etfit car Dieu l'a choisie pour être l'ornement de
mettre à mort ses principaux sénateurs. Galkis et son trône, et nous, peut-être, nous serons
Valenslacouvrirentde sang et decrimes. Julien, condamnés! Combien pensez-vous que
détesté de ses habitants, répondait à leurs sati- cette femme a employé d'heures à se laver, à
res par des pamphlets, et écrivit dans ses murs se parfumer pour plaire à ses adorateurs? Et
le célèbre Misopogon. C'était entre les sujets et nous, appelés à contemjilcT dans le ciel le royal
le prince une guerre de quolibets mais le ; et magnifique Epoux de notre âme, à partager
prince qui tenait la plume d'une main avait le son bonheur, nous ne faisons rien pour em-
glaive dans l'autre,et, malgréses prétentions à bellircette âme et larendre dignedelui'l
n'êtreque philosophe, il devint persécuteur. La nuit qui précéda le dimanche, Nonnus
Sa mort fut célébrée dans Antioche comme une eut un songe: Une colombe noire voltigeait
fête publique, avec des danses et des festins. Au dans l'église autour de l'autel; et lui, la saisis-
théâtre, la foule criait : Où sont vos oracles, sant de sa main, la jetait dans le bassin d'eau
insensé Maxime ? Le polythéisme n'avait repris du parvis, d'où elle sortait resplendissante
le diadème un instant que pour le déposer à de blancheur. Le malin venu, il se rendit à la
jamais dans la tombe sanglante de Julien. synaxe. Après la lecture de l'Evangile, l'évêque
Le peuple d'Antioche était avide de beau par- lui en remit le livre et le pria de parler au |ieu-
ler. 11 courait après les philosophes dans les ga- pie. Or, Pélagie, qui avait figuré jadis parmi le?
' Aam. Marc, 1. 1 1, a. I. — ' Spar'., i>i Adr., c. 13. ' yil, Pair., p. Sà7.- llid. [>. Î88,
.

ioo HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

catéchumènes, eut la fantaisie d'entrer ce jour- montagne son divin Sauveur avait prié et
oîi
làdans le temple des chrétiens. Elle écouta le souffert pour et là, sous le vêtement d'un
elle ;

saiat orateur et se sentitémiie. Bientôt ses yeux homme et sous le nom de Pelage, elle avait
se remplirent de larmes, la grâce avait brisé livré sa frêle existence aux plus sévères immo-
son cœur. Rentrant chez elle dans une indicible larmes de la jeune femme s'étaient
lations. Les
agilalion, elle rejeta avec dépit ses parures et mêlées au sang de Jésus, sur cette terre où il
écrivit au pontife, dont la voix venait de la re- avait posé sa tête dans l'agonie, où Pélagie posait
muer si profondément, une lettre pleine de re- la sienne dans la mort '

pentir et de larmes, où elle implorait la permis- Antioche s'arrachait par intervalles à ses plai-
sion deseprésenterchez lui. Nonnus consentit pour prêter un moment d'at-
sirs et à ses folies
à la recevoir en présence des autres évèques. tention aux prodiges de la grâce divine. Elle
Les pleurs de la pécheresse, ses humbles mais au désert, écouter Aphraate ou Zenon,
allait,
énergiques protestations, parurent à tous un contempler le Stylite sur sa colonne puis elle ;

gage suffisant de conversion. Elle fut instruite reprenait ses joies et ses fêtes, ou plutôt sa vie
et baptisée. Une sainte diaconesse d'Antioche, était une fête incessante. Son fleuve, son ciel,
Romaine, fut sa mère spirituelle, et le vieux son horizon, l'air qu'on yrespirait, la plaine où
pontife voulant célébrer par un festi n cette heu- elle était assise, jardin embaumé de l'Asie, et
reuse naissance, fit ajouter un peu d'huile et de jusqu'aux fables dont le génie des Grecs avait
vin à son repas' . placélàle théâtre, toutconcouraitàlatenirdans
Trois jours après, Pélagie apporta à Nonnus une perpétuelle ivresse des sens. Le vent de
tout ce qu'elle avait d'or, de pierreries, de vête- Daphné énervait les âmes. Ce lieu, consacré par
ments somptueux. Voilà, dit-elle, les richesses une religion qui déifiait le plaisir, était le ren-
que je tenais de Satan, fais-en ce qui te plaira; dez-vous général de la volupté, le Baies de la
je ne veux plus que celles de Jésus-Christ. Mais Syrie. Là était le templed'Apollon, etia fontaine
manda l'économe des pauvres et
le sage prélat de Castalie, et la grotte célèbre de la Matrone.
luicontîa l'opulente dépouille, l'adjurant, par Là tout était séduction et péril pour la vertu :

de terribles paroles, de n'en rien détourner pour les eaux, les fleurs, les
ombrages, lesstatues, les
l'église et de distribuer tout aux veuves et aux chants, les danses, lessouvenirs, la nature et la
orphelins. Le même jour, la généreuse conver- religion. Vainement le Christianisme avait op-
tie affranchit ses esclaves, donna à chacun d'eux posé le culte des martyrs à celui du plaisir:
unechaîned'or, les exhorta vivement à s'affran- Daphné entraînait les Chrétiens eux-mêmes,
chir eux-mêmes du siècle mauvais pour se re- non pour faire acte d'idolâtrie, mais pour voir
trouver tous avec elle un jour dans la vraie vie, les fêtes païennes, dont les folles joies finis-
et ayant échangé sa robe
blanche de néophyte saient par les gagner eux aussi. Les foules
contre un cilice, présent de Nonnus, elle dis- bruyantes et avinées qui revenaient de ses mys-
parut. tères ou de ses orgies, se croisaient avec les
Deux ou trois ans s'étaientécoulés, quand un graves marchands et les caravanes de l'Egypte,
diacre d'Héliopolis, voyageant en Terre-Sainte de l'Arabie, de l'Inde, qui apportaient à la mé-
et entendant parler de l'ascète Pelage, désira le tropole de l'Orient les produits variés des cli-
connaître. Il vint au Mont des Oliviers, oià rési- mats lointains, les épices, l'ivoire, la soie, les
dait l'austère reclus, et frappant à la petite fe- perles, la poudre d'or tandis que, dans la ville,
;

nêtre de sa cellule, il l'appela longtemps par les rues étaient encombrées par des légions d'es-
son nom. Nulle voix ne répondit à sa voix; il claves, qui, richement costumés et armés
poussa la fenêtre et vit étendu par terre, sur comme les anciens licteurs de Rome, mar-
une natte, un cadavre couvert d'un cilice. On chaient à pied devant leurs maîtres à cheval,
s'assemble, on brise la porte, on relève le corps pour crier leurs noms et écarter les passants.
du frère Pelage; mais quand on voulut l'em- A travers les bandes faméliques d'un peuple en
baumeraveclamyrrheonreconnutunefemme. guenilles, d'indolentes matrones, couvertes de
C'était Pélagie, dont le diacre de Nonnus, à une diamants, à demi couchées sur des chars somp»
autre époque, avait admiré la beauté. tueux, aux roues d'or, aux brillants attelages de
En quittant le théâtre de ses erreurs, l'intré- mules blanches, couraient du théâtre au bain,
pide pénitente s'était retirée à Jérusalem, sur la du bain à l'hippodrome, de l'l)ip()o4r9(pe
^
• Vil. Pair., p. 289. • vu. Pair., p. 290 ; Tillem., t. 12, p. 379.
CHAPITRE NEUVIÈME. 101

l'édisp. Le? philosophes à la gramle barbe, le On n'y comptait presque que des prophètes, des
bùloii à la iiiaïa. l'exainklc sait- sur les épaules, apôties et dos martyrs digne de la se-
: c'était

se |iroiiienaienl dans les longues et belles gale- conde des Eglises-mères, de celle (jue l'on peut
ries de la ville, à l'abri du soleil dans le jour, à appeler le second berceau du Christianisme,
la clarlédes illuniinations dansUi nuit, el dis- dont les membres ont été les i)remiersà porter
couraient avee les désœuvrés toujours nom- le nom de Chrct/e/is. Paul aimait à la visiter, et

breux pour les entendre. lei on i)ariail pour un y séjourna une année entière. On montraiten-
cheval, pour un cocher, pour une danseuse là ; core, au temps de Chrysostome, la maison
on dissertait à grand bruit sur un passage d'ilo- qu'avait habitée le grand Aiiôlre ', et la grotte
mère, sur un mot de saint Jean. L'un s'échauf- où quelquefois il fut obligé de se cacher. A part
fait pour Arius, l'autre pour Apollinaire; un l'Eglise de Rome, nulle autre ne pouvait se glo-
troisième essayait de ressusciter les rêveries de rifier de compter tant de saints parmi ses pon-

Saturnin. On
s'abordait en se disant à l'oreille tifes, ni d'avoirdonné tant de martyrs à la cause

leiiuolibetdujourcontrele princo régnant. Les de Dieu. Evodius, Héron, Théophile, Sérapion,


disputes lhoologi<jues se mêlaient à la discus- Asclépiade, Babylas, Philogone, Eusthate, et
sion des nouvelles, le nom de Manès à celui de par-dessus tous le grand Ignace, avaient per-
Platon, les hymnesdesdieuxauchantdes psau- pétué sur ce siège éminent la doctrine et l'âme
mes. On (juiltait les pliilosophes pour se grou- de saint Pierre. Pourquoi faut-il que le nom de
per autour du baladin au coin de la rue. Après Paul de Samosate se trouve mêlé à de si beaux
avoir suivi l'évêque aux tombeaux vénérés des noms?
martyrs dans les champs, on désertait la synaxe La campagne d'Antioche était toute couverte
inachevée, pour aller prendre place au grand d'oratoires consacrés à la mémoire des martyrs
cirque, et l'on y passait la nuit pour ne pas et dépositaires de leurs reliques. C'était, suivant
manquer, le matin, la course des chars. Tout une parole de Chrysostome, diadème de la
le
était spectacle pour ce peuple intelligent et fri- cité. Mais quels joyaux dans ce diadème que les
vole. Il rendu toutes les villes tributaires
avait noms de Lucien, de Barlaam, de Théodoret, de
de ses plaisirs. Tyr et Béryte lui fournissaient Nicéphore, de Julien, de Domnine avec ses deux
des comédiens, Laodicée des conducteurs de filles ;
de Bonose et Maximilien, les magnanimes
chars, Césarée des pantomimes. Héliopolis et soldats; de Romain, qui,
langue coupée, par-
la
Ascalon des chanteurs et des lutteurs, Castaballa lait encore de Jésus-Christ; de Pélagie, riiéro'i-

des danseurs de corde et des jongleurs. De que enfant, qui se précipita du faîte de sa maison
brillants étalages, déployés dans les rues et sur dans le sein de Dieu pour sauver son honneur
l'agora, offraient au regard ébloui toutes les avec safoi! Le désert, même au delàd'Antioche,
fantaisies du luxe, les produits et les splendeurs était d'une sublime fécondité. Pierre, Zenon,

de toutes les parties du monde connu. Rien n'é- Aphraale, Macédonius s'efforçaient de vivre sur
tait saisissant comme l'aspect de cette cité moi- la terre à la manière du ciel, et rivalisaient

tié grecque, moitié asiali(pie, commerçante, avec les plus grandes figures de la Thébaïde et
chrétienne, lettrée, voluptueuse, ivre de doc- du Sina'i.

trine et de plaisirs, s'endormant dans ses rêves Placée sur un grand confluent de doctrines,
joyeux au bruit des du marteau, bercée
fêtes et l'Eglise d'Antioche eut à préserver
son ensei-
par les oscillations menaçantes du sol sur le gnement du contact corrupteur des enseigne-
bord d'un abîme. ments qui l'environnaient. Toutes les écoles de
L'Eglise d'Antioche avait été l'une des pre- philosophie, toutes les sectes juda'iques étaient
mières et des plus brillantes créations de l'Evan- représentées dans la brillante capitale de l'O-
gile. Fondée par saint Paul et saint Barnabe, rient.Ebion et Cérinthe s'y glissèrent de bonne
elle eut pourpremierévêquc saint Pierre', qui heure entre le Judaïsme et l'Evangile. La gnose
la gouverna sept ans, juscju'au jour oià, par de Saturnin y établit son siège principal celle ;

l'ordre du Ciel, il transférait à Rome, avec sa de Marcion y poussa des racines profondes les ;

chaire pontificale, le centre immortel delaca- Manichéens et les Encratites y tinrent école.
Luc, qui a consacré quelques
tholicité. .Saint Mais la plus grande éjjreuvc de celte fille aînée
pages à l'Eglise d'Antioche, sa mère, nous la de saint Pierre lui vint de son propre pasteur,
montre prospèreet florissantedès sa naissance'. quand Paul de Samosate, niant la divinité de
• Bai., £7u/.,1. 3. c. 3« i
TUl., 1. 1, p. — •
Act. de» Ap., é. 11 et 12. Cbrys., Ilom, 9, >iu l'épU. aux Rom.
102 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

Jésus-Christ, effaçant les personnes divines, es- deMopsuesle,Jean d'Antioche etNestorius,sor-


saya de substituer un rationalisme impie à l'an- tis tous de la même école en sorte qu'on a put ;

tique de son troupeau. Parvenu à l'épiscopat


foi non sans raison, comme le vrai ber-
la signaler,

on ne sait comment, cet homme alliait avec le ceau de l'Apollinarisme, du Pélagianisme, du


titre d'évèque celui d'inspecteur des impôts, et, Nestorianisme,peut êlremêmedel'Arianisme.
cupide, sans probité, sans honneur, il s'était ra- L'esprit de Paul de Samosate lui survivait dans
massé en peu de temps, à force d'exactions et de l'école d'Antioche et n'en disparut jamais'.
concussions, une fortune considérable. Sa vie Mais les hérésies qui purent troubler, oppri-
était aussi scandaleuse que ses enseignements ; mer cette grande Eglise fondée par le chef des
inais sa haute position dans l'Eglise, ses grandes apôlres, ne purent lui ravir la pureté de sa foi.
richesses, son habileté à dissimuler ses erreurs Siège primitif de saint Pierre, elle avait avec
en les propageant, le rendaient dangereux. Il l'Eglise Romaine une parenté trop intime pour
connivait aux faiblesses des uns, il achetait l'ap- s'en séparer. Unhérésiarques'assit sur la chaire
probation des autres; bientôt il eut des parti- de ses pontifes, et loin de réussir à l'égarer, il
sans assez fanatiques pour remplacer, par des lui fournit l'occasion de réunir dans son sein
hymnes en son honneur, les hymnes chantées d'illustres conciles, où l'erreur fut confondue,
jusqu'alors à la gloire du Sauveur; et, pendant la vérité proclamée, où fut attestée par une dé-
plusieurs années, il tint dans une vive agitation cision célèbre la prééminence de Rome comme
la Syrie chrétienne et tout l'Orient '. centre de l'unité catholique et tête de l'épisco-
Mais la foi d'Antioche trouva d'autres périls pat. Les Ariens qui l'envahirent, malgré l'intri-
dans le sein même de l'école destinée à l'expli- gue malgré l'appui des Césars et
et la violence,

quer et à la défendre. Fondée après celle d'A- la proscription des évêques, malgré l'astuce et
lexandrie, l'école exégéliqued'Antioche compta la fureur des Léonce et des Eudoxe, n'y eu-
parmi ses maîtres ou ses disciples de grands rent pas plus de succès. Antioche se souvenait
saints et illustres docteurs : saint Tbéophile, de saint Ignace, le premier de ses pasteurs après
saint Sérapion, venus tous les deux du paga- saint Pierre, et gardait les sentiments de ce
nisme et tous les deux célèbres par leurs tra- grand homme, lorsque, écrivant à l'Eglise Ro-
vaux saint Asclépiade, élève de Clément d'A-
;
maine, qu'il appelle la prébidente de l'union
lexandrie sainlEusthate, saint Mélèce ,révêqife
;
d'amour, il termine sa lettre par ces mémora-
Flavien, Jean, le grand orateur; le martyr saint bles paroles Souvenez-vous de l'Eglise de Sy-
:

Lucien, qui publia une édition révisée de la rie dans vos prières, et quelle n'ait d'autre évo-
Bible des Septante; Malchion, qui démasqua que que Jésus-Christ et votre charité'. Ce fut là
Paul de Samosale saint Dorothée' qui professa
; sa boussole au milieu des tempêtes qui l'agitè-
les saintes lettres avec éclat Diodore de Tarse, ; rent. Elle traversa toutes les épreuves, sans
qui fut lemaîtreetl'amideChrysostome, mais cesser d'être digne de l'affection et des lettres de
aussi de Théodore de Mopsueste Théodoret, ; saint Athanase et de saint Basile '.

dont l'orthodoxie est moins incontestable que la Au temps de Chrysostome, après tous les
vertu; maisrivale de l'école d'Alexandrie, dont ravages de l'hérésie, malgré le scandale du
elle n'eut ni la célébrité ni la puissance, elle schisme et le relâchement des mœurs, elle
mit sa gloire à opposer une méthode à une comptait cent mille orthodoxes* et donnait au
autre, l'interprétation littérale du texte sacré à monde chrétien de grands exemples de charité.
l'interprétation allégorique chère aux docteurs Comme patriarcat, elle étendait sa juridiction
alexandrins. Plus sage au premier aspect, ce sur quinze provinces, entre les quelles Chypre,
système, trop réaliste, amoindrissait la portée lesdeux Phénicies, la Mésopotamie, l' Arménie-
des divins oracles, renfermait implicitement le Majeure et l'Arabie. Nulle Eglise peut-être n'é-
dédain de la tradition, véritable clef des écri- tait plus riche que celle d'Antioche: mais elle
tures, et glissait sur la pente du libre examen faisait de ses richesses un admirable usage, et
et du rationalisme. On le vit par Paul de Samo- sa charité était célèbre dans tout l'Orient'.
sale, par Lucien, regardé comme le précurseur Que reste-t-il de la ville de Séleucus et de
d'Arius',etplus tard, par Apollinaire, Théodore
qui resta exclu de l'église sous trois évcques, n'est pas le saint mar»
tyr de ce nom.
' Eus., HUl., 1.7, c. 29. — ' Eus., \. 7, c. 32.
' Mar. Mercat. dans la Patrol. de Migne, t. 48, p. 258. —
' Cote!.,

' D. Cellier (ive siècle, ch.


2, atl. 7),Rohrb. (I. 30, t. 7, p. U), éla- pou aposl., t. 2. — ' S. Ath ., t. 2, p. 1295; S. Bas., ep. 60. et 199,
blissentquc ce Lucien, ami d'Euscbe et disciple de Paul île Saœosate, - » Jbryj., t. 7, p. 810. — '
Cbrjs., t. 7, p. 808; . 10, p. 180
CIIAriTRE NEUVIÈME. 103

ClirysAstom(>? Sic^Tffée plnsit^nrs fois par les est arrivé, ce qni estun fait bien réel, ce que
Perses, pos^éiléi- p ir lis Maluiniélnns, coïKpiise vousvoyez de vospropres yeux est plus iiieroy;;-
par li'sOdi'^és, rcpri-^c pir les Turcs, rcii versée bl' ([u'un rêve. Et voilà une cité importante,
parletrcniblenienl(ieferreile-H7, iinidélruisit célèbre, un peuple nombreux et admirable, (jui
tantile villes, reliâtie avec splendeur iiarTIiéo- se presse autour de moi, avide de mes paroles,
dose le Jeune, en^u'loutie ou brûlée pre?(iue tout elalteiid dema faiblesse quehpiechosedegrand

entière en o-26, dans celte horrible catastrophe et de beau Or, quand mon discours devrait
!

où deux cent cincpiante mille personnes trou- couler comme un fleuve intarissable, quand des
vèrent la mort ', elle se relevait à peine de ses sources d'éloquence jailliraient de mes lèvres,
ruines, quand une nouvelle secousse ,
en 589, l'aspect de cette multitude accourue pour m'en-
n>n fit qu'un monceau de décombres sous les- teudre suffirait, en m'inlimidant, à arrêter la
quels soixante mille habitants restèrent ense- source et le fleuve. Mais, loin de trouver en moi
Telis * et, toutefois, les convulsions de la nature
;
abondance et ces torrents, je ne suis pas
cette

lui ont étémoins funestes que l'oppression mu- même une petite pluie puis-je donc ne pas être
;

sulmane. On reconnaît à peine son nom dans troublé ? Me voilà comme un homme frappé de
celui d'Antdkié que porte son ombre. Quelques terreur qui laisse tomber de ses doigts ce qu'il
pans de ses n urs d'enceinte sur les coteaux aux tenait, ce qu'il étreignait dans sa main. Jecrains
bords de l'Oronte, des débris d'aquéducs et des que mon esprit ne subisse le même sort, et que
catacombes vides dans la campagne, indiquent les pauvres pensées que j'ai recueillies avec
seuls la [)lace qu'elle occupa. Les ruines elles- beaucoup de peine ne s'évanouissent de ma
mêmes ont péri. mémoire ne laissent mon imagination au
et
C'est sur ce théâtre bruyant et mobile, à ce dépourvu. Je vous supplie donc tous, et vous
peuple élégant et frivole, partagé entre la foi du qui commandez, et vous qui obéissez, puisque
Christ et l'attrait des folies païennes, avide d'é- vous avez causé notre embarras par votre em-
loquence, de paradoxes, de controverses, des pressement, de nous inspirer la confiance parla
plaisirs de l'esprit et des sens, que Chry^o'fome ferveur de vos prières, et d'obtenir de celui qui
venait annoncer dans une langue mélodieuse donne la puissance de la parole au prédicateur
les plus austères enseignements. Une grande de son Evangile, qu'il veuille bien diriger ma
réputation le précédait à la tribune sacrée aussi ;
langue dans ce jour où j'ouvre la bouche pour
le premier jour qu'il y parut, on fit foule pour la première fois'. Il vous est facile, à vous qui
l'entendre. C'était le lendemain de son ordina- êtes en si grand nombre et qui avez tant de

tion. L'orateur, plus humble encore qu'élo- crédit auprès de Dieu, de rendre l'assurance à
quent, fut profondément ému. a Ce qui m'est un jeune homme déconcerté par la crainte ; et
arrivé, s'écria-t-il, est-il bien vrai ? N'est-ce pas il est juste que vous vous prêtiez à mes de-

un songe ? Fait-il jour ? Sommes-nous éveillés ? mandes, puisque c'est à cause de vous que je
Eh qui croira qu'en plein jour, tout le monde
! cours une telle chance. Oui, c'est votre bien-
étant éveillé et atlentif, un jeune homme' veillance, dont l'empire est si puissant sur mon
obscur et sans mérite ait été élevé à une dignité âme, qui m'a déterminé à parler en public,
si haute? Que de pareilles erreurs aient lieu pen- quand je n'ai aucune habitude de la parole à ;

dant la nuit, on peut l'admettre. Souvent des entrer dans cette lice de l'enseignement, quand
hommes mutilés, manquant de tout, se sont je me suis tenu jusqu' à ccjour parmi les audi-
figuré en dormant qu'ils étaient beaux, bien teurs, dans un loisir silencieux'. Nous avions
faits, assis à la table des princes; mais ce n'est besoin du secours d'en haut, même autrefois,
là que l'effet du sommeil et l'imposture d'un alors que nous menions dans la solitude une vie
songe, car le songe, de sa nature, crée des chi- libre de tout souci mais à présent qu'élevé au
,

mères et se repaît de choses merveilleuses et sacerdoce parla faveurde Dieu ou par l'affection
fausses. Tout change avec le jour, et la vérité des hommes (je ne conteste pas avec vous sur
prend alors la place de l'illusion. Mais ici, ce qui ce point, afin qu'on ne m'accuse pas de parler
avec dissimulation ou ironie), à présent, dis-je,
' Jmb de Milala. Anait. — —
L«beau, t. 8, p. 570. — Le Ircm" qu'élevé au sacerdoce, il nous faut courber la
bUoieot de terre eut lien au momeat oii une fcte avait attiré à An-
tioche un grand oombre d'éirarigera. tête sousun joug pesant et difficile à porter,
" Etag., grande église, détruite en 526, avait été re-
I. 6, c. 8 ;
la
nous avons besoin de beaucoup d'aides et de
Mtie ; elle a'écroula de aouveau ea 589.
'il mit flaa de 10 aiu. Chtyi., Sarm, cûm ets.ordinat., U 1, p. 436.— /d., iiid.,p.437.
loi HISTOIRE DE SAINT JEAN CHKYSOSTOME.

prières, afin de pouvoir rendre au Seigneur le Commencée par Constantin


aussi l'église d'or.
dépôt qu'il nous a confié, au jour oîi il deman- en 326, terminée par Constance en 341 la ,

dera compte à chacun des talents qu'il lui grande église, dédiée à saint Pierre, était ua
prêta '
». superbe vaisseau de formeoctogone, entouré de
Mais du fond même de son humilité des flots portiques et couronné d'une haute coupole,"
de i)oésie montent à ses lèvres, a Je voulais, dit- dans le style nouvellement inauguré au Saint-
il, offrir les prémices de mes discours à celui Sépulcre et à Bethléem. On y avait prodigué les
dont la bonté souveraine m'a donné la parole. marbres précieux, les riches mosaïques, Iqs
Mais hélas I le Sage m'impose silence en me di- peintures à fond d'or, toutes les splendeurs de
sant La louange n'est point belle dans la bou-
: l'art byzantin. Des lames de cuivre doré recou-

che du pécheur '.Et comme dans les couronnes vraient sa toiture, d'où lui venait son nom
il ne suffit pas que les fleurs soient pures, si la d'église d'or^.
main qui les tresse ne l'est aussi de même dans ;
La dédicace de cette basilique avait été l'occa-
les hymnes sacrés il ne suffit pas que les paroles sion et le prétexte de ce malheureux concile
soient saintes, si l'àme qui les chante ne l'est d'Antioche, où saint Athanase fut déposé et Gré-
encore. Or, mon âme est souillée: la confiance goire de Cappadoce élu à sa place. Ce fut là,

me manque... » Mais tout à coup il lève la tête : dans cette déplorable assemblée, dontle chef de
la grande voix des mondes chante à son oreille l'Arianisme, Eusèbe de Nicomédie, était l'âme,
la gloire de Dieu, a Louez leSeigneur, habitants que fut invoqué contre le grand évêque d'A-
des cieux, louez-le dans les hauteurs du firma- lexandrie ce prétendu canon qui, plus tard de-
ment. Anges, archanges, séraphins, puissances vailêtreappliquéaveclamême injustice àsaint
célestes, formez ensemble un seul chœur. Que Chrysostome, savoir que si un évêque déposé
:

toutes les créatures s'unissent à ce concert, les par un concile rentre dans son siège sans s'être
\isibles et les invisibles, les supérieures et les justifié devant un autre concile, on doit le

inférieures; qu'elles exaltent dans un hymne chasser de l'église sans l'entendre même dans
sans fin le roi suprême de l'univers. Louez-le, sa défense. Personne, dit Socrate, n'avait jamais
habitants de la terre ; louez-le, dragons, abîmes entendu parler de ce canon, que la secte fabri-
des eaux; feu, grêles, vents, tempêtes, louez le qua sans doute pour la circonstance ». Du reste,
Seigneur... Le monde est une lyre; mais il y a ajoute le même historien, Jules, évêque de
dans cette lyre une corde discordante et à retran- Rome, n'assistait pas à cette réunion, et n'y
cher, c'est le pécheur Que faire donc? Gar- avait envoyé personne à sa place, bien que, sui-
derai-je le silence? Personne ne me permeltra- vant une anciemie règle ecclésiastique il ne soit
t-il de célébrer mon Maître et mon Dieu? pas permis de rien ordonner dans F Eglise sans
Sera-ce en vain que j'aurai réclamé vos prières? e consentement de l' évêque de Rome ' ».
Non, ce n'est pas en vain. Elles ont brillé à mes Longtemps possédée par les Ariens, la grande
regards comme un astre dans les ténèbres. église fut attribuée aux catholiques et remise à
Grâce à elles, j'ai trouvé une manière de glori- Mélèce, après la mort de Valens, par les com-
fier le Seigneur c'est de louer mes frères et
: missaires de Gratien, Elle était devenue depuis
mes semblables"...» lors lesiége patriarcal d'Antioche. Chrysostome
Ce discours, qui respire d'un bout à l'autre, y prêchait quelquefois en présence de Flavien.
avec une humilité sincère, un sentiment pro- Mais c'est à la Palée qu'il se faisait plus sou-
fond dela grandeur et des devoirs du sacerdoce, vent entendre.
est aussi un hommage solennel à la charité de La Palée, ainsi nommée à cause de son anti-
Flavien mémoire vénérée de Mélèce. Il
et à la quité,ou peut-être pour sa situation dans la
fut accueilli par la faveur unanime des audi- vieille ville, était l'église apostolique, et comme
teurs. Cet accent de piété, dans une bouche élo- ditClirysoslome, l'église-mère.Lesfidèlesd'An-
quente, avait touché et ravi tout le monde. La tiochela préféraient àtouteslesautres. C'était là
puissance de l'orateurétait désormais assurée. qu'ils se réunissaient, en des temps moins heu-
Antioche possédait plusieurs églises, entre reux, quand les Ariens, maîtres de la grande
autres celle de Saint-Babylas, celle de Saint-Ju- église, faisaient peser sur leurs adversaires la
lien, la Palée, et la grande église qu'on appelait plus dure oppression. On croyait, d'ailleurs,
— que les apôtres eux-mêmes l'avaient fondée.
• Chrys., Serm. cum ess. ordinal., p. 443. ' £ccl, c. 15, t. 9.
— • Cbryb., i. 1, p. 438-139. Eus. in vit. Cortil., 1. 3, c. 49, ajïat gO. •» ' Soet., I> 2, c. 8,
CHAPITRE DIXIÈME. lOS

Du moins, il semble qu'elle ait remplacé la por- d'y étouffer. Socrate remarque qu'elle n'était

vre maison où ?ainll'i(.'rroul.siiiit Paiila\;iiciit pas orientée '.

îouvent réuni les premiers honmies (jui jwr- C'est là que Clirycostome avait son ambon, sa
nom Cliroliins. l'étruite et iflxilie tribune, son trépied là, que l'inspiration s'en-
lèreiil le île ;

plusieurs fois, elle fui Mballuf de nouveau sous liarant de son ànie, il la versait en Ilots de lu-
Dioclétien. Mais, la persécution finie, Vilalis, mière tt d'harmonie sur un peuple impression-
digne successeur des grands pontifes d'Antio- nable, enthousiaste, avide des nobles plaisirs de
che, s'empressa, selon l'expression de Baronius, l'oreille et de la i)ensée, autant que dcspectacles
de réunir les pierres éparses du sanctuaire', et et de fêles. 11 prêchaitle dimanche et le samedi;
de relever de ses ruines cet antique berceau de plus souvent, quand se rencontraient dans la

la foi, consacré par de si grands souvenirs. semaine des fêtes de martyrs à célébrer. On
L'œuvre qu'il avait commencée en 315, saint voit, |iar les Homélies sur la Ge?(è5e, qu'il par-

Philogone l'acheva en 319, à la époque même lait (luulquefois cinq jours de suite. Dans le Ca-

où Taulin de Tyr édifiait la maynifiiiue église rême, les prédications étaient habituellement
célébrée par Eusèbe de Césaiée. Sans pouvoir plus nombreuses, et aux environs de Pâques
rivaliser avec la basilique d'Or, la Palée était elles avaient lieu tous les jours. D'ordinaire les

cependant fort belle, et remarquable par son synaxes se tenaient le matin et finissaient avant
pavé de mosaïque et la hauteur de ses plafonds. midi cependant, dans quelques circonstances,
;

Depuis que Jean y prêchait, on la trou\ait on se réunissait encore le soir. Chrysostome


petite; et, quoique très-aérée, on se plaignait avait presque toujours un auditoire immense.
'
* BuoD., ad mn. 314, § 77 , Theod., 1. 1, c. 3. Socr., 1. 5, c. 22.

CHAPITRE DIXIÈME.

Carême de 386. — Explication des premiers chapitres de Genèse. — Création de l'homme. — Triple servitude de l'Immanité.
la
— Succès de Jean. — Applaudissements. — Prédication des Pèrts. — Piédication de Chrysostome- — — Oiialilés et défauts.

Sainte popularité. — d'Antioche pour Cbrysoslome. — Redites de


.\fl'ection — Longueur des exordes. — Variété
l'orateur. et
clarté. — Appréciations de MM. Villemain Albert. — Science des
et — Commenîaires de — Soin
Ecriiures. donne Jean. qu'il

ï discours. — Son genre de


ses — Promenades. — Consolations découragements. — Surnom de Bouche-d'or.
vie. et

Le carême de 386 suivit de près l'ordination L'orateur débute parquelquesmots pleins de


de Jean et inaugura sa carrière apostolique'. On charme sur le retour du carême. « Le prin-
lisait alors dans l'assemblée des fidèles les pre- temps, dit-il , est agréable aux nautoniers,
mières pages de la Genèse: l'orateur en fit le agréable aux laboureurs, mais il a pour eux

thème de ses discours. C'est le sujet traité par moins de charmes que n'en pour ceux qui a,

saint Bazile sous le nom à'Eexoëmeron; mais aspirent à la sagesse, cette époque de jeûne,
Chrysostome s'occupe plus des origines de qui est le printemps spirituel des âmes, la belle
l'homme quede celles de la nature, dontil parle saison des pensées. Le printemps plaît aux la-
à peine. Du reste, des homélies prononcées dans boureurs, parce qu'alors la terre se présente à
cette circonstance, huitseulement sont venues leurs yeux couronnée de fleurs et parée d'un
jusqu'à nous. Elles eurent à Antioche le plus riche il plaît aux nauto-
manteau de verdure;
grand succès. Le peuple se précipitait aux sy- niers, parce qu'il leurpermet desillnnnersans
naxes pour entendre cette merveilleuse parole péril la plaine liquide, où les dauphinsjouent
qui le charmait en l'instruisant et, peu maître ; librementsur les flots apaisés et souvent même
de ses impressions, il laissait éclater en viennent bondir autour des vaisseaux. Pour
bruyants transports son admiration indiscrète. nous, le printemps du jeûne est aimable, parce
qu'il calme les agitations, non de la mer, mais
'Le Carême cnmnnençait, i Antioche, le lurdi de laQuinqnagé-
de nos passions, et qu'il nous tresse une cou-
•ime, lequel, celle aouce, si l'en peut ses rapporter aux tables pai-
calei, était le 16 léiriu. ronne, non defleurs, mais de gràccsspiriluelles.
m HISTOIRE DE SAINT JEAN CllRYSOSTOME.

Tu me, dit le Sage, des dons de la


ornerai ta mais pour montrer par ces psiVoles quel prix il

grâce comme dune couronne^ Le retour de attache à cette créature nouvelle... Mais pour-
l'hirondelle ne chasse pas l'hiver, plus sûre- quoi, dira-t-on, si l'homme est d'une condition
ment que le retour du jeûne n'écarte de nos supérieure à celle du monde, est-il créé après le
âmes les tempêtes des affections tumultueuses. monde ? Précisément, parce que sa condition et
Plus de combats entre la chair et l'esprit: l'es- sa nature le mettent fort au-dessus du monde.
clave ne ne se soulève plus contre son maître. De même que l'empereur, quand il doit arriver
Donc, puisque nous jouissons de la paix et d'un dans une ville, est précédé de préfets, de géné-
calme partait, mettons en mer la nacelle de raux, de gardes, d'une foule de serviteurs, avec
l'instruction, et du port des écritures condui- la mission de préparer sa demeure et de tout

sons-la dans celui de vos attentions bienveillan- disposer pour lui faire une réception triom-
tes. Courage, bien-aimés! attaquons le sens phale; ainsi, à l'entrée de l'homme dans ce '

caché de nos Livres Saints, et philosophons sur monde dont il est roi Le soleil a précédé, le ciel
.

le ciel, sur la terre, sur la mer, sur la nature a couru en avant, la lumière est venue d'abord,
entière. La lecture du jour nous y invite. Mais toutes choses ont été créées et arrangées, etc'est
à quoi bon, direz-vous, parler de la Création? alors que l'homme a été solennellement intro- '

C'est pour nous, mes bien-aimés, d'une grande duit dans son royal et magnifique palais».
importance car si la grandeur et la beauté des
;
Le saint orateur montre ensuite que dans ces
choses créées fait connaître le Créateur, plus paroles Faisons r/iomme, Dieu s'adresse, non
,

nous étudierons cette grandeur et cette beauté, pas aux anges, mais à son propre fils et il sou- ;

plus nous avancerons dans la connaissance de tient que l'image de Dieu dans l'être humain

celui qui en est l'auteur. Oui, il importe de se est le pouvoir reçu par celui-ci de commander à
du créa-
faire des idées exactes de la créature et tous les animaux.
teur, del'ouvrageetdel'ouvrier. Si les ennemis Il revient sur cette idée dansle troisième dis-
de la vérité avaient eu là-dessus les notions cours, et, rappelant une homélie qui avait dû
qu'il faut avoir, ils n'auraient pas tout brouillé précéder mais que nous n'avons pas,
celle-ci,

et confondu comme ils l'ont fait » il que les animaux sur lesquels l'homme est
dit

Cette première et magnifique homélie, qu'il appelé à dominer, ce sont ses passions, et qu'il
faut chercher dans les œuvres du Saint et lire ressemble à Dieu surtout par la pratique de la
d'un bout à l'autre, est éloquemment terminée vertu, quand il imite sa clémence et sa bonté.
par une chaleureuse exhortation à l'aumône. A l'objection des païens, qui arguaient de
L'orateur a consacré la seconde à l'homme. mensonge l'écrivain sacré, sous prétexte que
Il en relève la dignité par les termes mêmes du l'homme n'a pas la puissance qu'il lui attribue
récit mosaïque. Bossuef, dans ses Elévations sur les animaux, Jean répond que l'homme
s'est visiblementinspirédeChrysostome. o Dieu conserve une partie de cette puissance, puisque
a dit: Faisons l'homme à notre image et res- son seul regard suffit souvent à subjuguer let
semblance. Or, je demande d'abord pourquoi que s'il ne l'a plus tout
bêtes les plus féroces, et
ce lang.ige? Pourquoi Dieu, qui, dans la créa- entière, c'est lepéché qui l'en a dépouillé.
tion du ciel, delà lumière, de tout le reste, s'est La quatrième homélie traite des suites du
servi de ce seul mot: autrement
F/a^, parle- t-il péché, au nombre desquelles il place ce qu'il
quand il s'agit de l'homme? Pourquoi dit-il: appelle trois genres de servitude l'esclavage :

Faisons, et tient-il conseil, etdélibère-t-ilavec proprement dit, la sujétion de la femme à


un autre lui-même"^ Quel est donc ce person- l'homme dans le mariage, celle des particuliers

nage qui, même


avant d'exister, et l'objet de au prince dans l'Etat. De même, dit-jl, qu'un
tant de déférenceetd'honneur?C'est Fhomme, père ami de ses enfants, quand il les voit né-
cet êtresi grand , si admirable, qui, dans la gliger leurs devoirs et dédaigner l'autorité pa-
pensée de Dieu, l'emporte sur toute créature ; ternelle, les confie à des précepteurs, àdes maî-
l'homme pour qui la terre, la mer, toutes les tres sévères ; ainsi, Dieu se voyant méprisé par
chosi s visibles ont été faites; dont Dieu a tant lanature humaine l'a livrée aux rois, comme à
aimé le salut que pour luiépargné son
il n'a pas des précepteurs et à des maîtres, pour la corri-
propre Fils. Au moment de le créer. Dieu con- ger ». Non certes que Jean blâme les institu-

sulte et délibère, non qu'il ait besoin de conseil, tions sociales; il en proclame la nécessité quand
•PrOT., cl. V. 9. il dit : « S'ils n'avaient descUtifs pour les goi^-
CHAPITRE DIXIÈME. i07

verner. 1rs homnips se mançreraient entre eux de nos propres fautes; en second lieu, que
comiuf lies |>ols^iOIl* ». Smii unique but est de l'homme, par la vertu, peut alléger son joug,
iiioulrer que, sans le péché, l'Iiuinanité n'eût s'élever à la liberté, et, dans la plus humble si-
étf qu'one t;r;uile f mille, nîi l'iiinoiir f iiternel tuation, devenir ré;;alon le su|iérieui' des rois;
et la V( rtu iiisseiit ninlu à jim.iis inutiles les enfin, que chute du père de l'humanité
si la

tribunaux, les sup|tlices, les gouvernements. nous a dépouillés de grands biens, Jésus-Christ,
11 en était là de son discours quand il s'aper- le nouvel Adam, nous en a assuré d'infiniment

çut que l'auditoire lui écliapiiuit tout à coup, Itlus considérables. « Que regrettez-vous? fait-il

tous les yeux s'étant machinalenieut tournés dire au Sauveur. Lj paradis! — Faites le bien,
vers les lampes qu'on aikunailen ce moment. et je vous ouvre le ciel ;
je vous promets que la
Ce fut là-propos d'une iniprovisaiion cliar- du i)remirr homme sera sans in-
lirévarication
niaute. o Quoi! s'éeric-l-il, nous vous expli- convénient pour vous. —
La domination sur les
quons les divines Ecritures, cl vousdéloumez animaux! Je vous soumets les démons eux-
de nous vos rejiards pour vous occuper des mêmes vous pourrez fouler aux pieds les ser-
:

lampes et de celui iiiii allume! Peut-on por- pents, les scorpions, et toutes les forces de l'en,
ter à ce point la distraction et l'indifférence? nemi. — Eve a mis les l'ennnes sous le joug de
Moi cacLé dans nos
aussi, je fais jaillir le feu rhomnic I Moi, si elles veulent, je les égale aux
saints livres, et resplendir dans notre langue la anges en dignité. —
Eve vous a condamnés à
lumière de la doctrine, lumière plus utile et perdrela vie présente! Moije vous appelle à une
plus belle que celle-là. Et, en effet, ce n'est pas vie durable, immortelle, pleine de tous les
une mèche trempée dans que nous allu-
l'huile biens ».
mons comme cet homme, ce sont des âmes im- Le carême de 386 fonda définitivement la ré-
bibées de piété que nous enflammons de l'ar- putation et la puissance deChrysostome, il fut
deur d'apprendre. Paul préchaitdans un cénacle. dés lors l'orateur et presque le pasteur d'An-
(Que personne ne s'imayine que je veux me tioche. On ne voulait entendre que lui. Long-
comparer à Paul, car je ne suis pas insensé; et temps avant l'heure des synaxes, l'église était
si je cite le grand Apôtre, c'e^t pourvous faire pleine; on se pressait, on se disputait les pre-
comprendre avec quelle attention vous devriez mières places autour de l'ambou. Il ne cache pas
écouter.) Paul donc parlait dans un cénacle le plaisir que lui cause cette affluence. « Rien,
et le soir connue à présent, à la clarté des lam-
, dit-il, non rien n'anime plus un orateur, n'est

pes. Or, pendant qu'il parlait, Eutychius tomba plus propre à lui fournir une grande abondance
d'une fenêtre et ni cette chute, ni la mort qui
; de pensées, que l'empressement de ses audi-
s'ensuivit, rien ne put troubler ni distraire l'au- teursà l'entendre... J'aime, s'écrie-t-ilautrefois,
ditoire absorbé par la parole qu'il entendait. Et j'aime ces flots vivants, plus beaux à contem-
vous, pour vous rendre inattentifs, il ne faut plerque les flots de la mer. Ceux-ci, l'insolence
pas un événement merveilleux ou étrange, il des vents les agite ; ceux-là, le désir d'enlendre.
suffit de la vue d'un homme qui remplit son Ceux-ci, plus ils s'amoncellent les uns sur les
officede tous les jours Y at-il une excuse pour
! autres, plus ils effraient le navigateur; ceux-là,
une pareille légèreté? Que personne cependant, dès qu'ilsai)paraissent,reniplissentde confiance
mes bien-aimés, ne s'offense de ces observa- l'honnne qui va parler. Les uns annoncent le
tions ; car ce n'est pas la colère, mais ma solli- courroux de la mer; les autres, les joies douces
citude pour vous qui les a dictées et ; il est écrit de l'âme. Les uns, en se heurtant aux rochers,
que les blessures faites par im amivaleut mieux rendent un son terrible les autres, brisés par ;

que les bai-ers d un ennemi \ Donc, écoutez, je la parole de la doctrine, ne font entendre qu'une
vous en prie, et sans faire plus d'attention à ce aimable harmonie. Ainsi le souffle du zéphir,
feu matériel, ouvrez votre âme à la lumière des en passant sur un champ d'épis, courbe et re-
saints livres! s lève kuis lêles, imilant sur la terre les vagues
Dansl'homélie suivante, l'orateur revient sur de l'Océan. Mais ici, j'ai une i)lus belle mois-
ce triple assujettissement de la nature humai- son, et ce n'est pas le souffle du vent, mais la
ne, ettaitvoirpremièrementqu'il n'a rien d'in- grâce de Dieu qui excite et enflamme vos
juste, car s'il est la conséquence de la f lute de âmes' ».
nos premiers parents, il est aussi le chùlimeiit Après douze ans d'incessantes prédications à
* Ch'ys. Uinn, 6 <ie ^trrnt.
m HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

Antioche, la parole de Chrysostome n'avait rien sonnelle et leur charité. Ils proportionnaient

perdu de son premier attrait. Quelques jours leur style à la portée de leurs auditeurs ' d.
exceptés, oùle cirque faisait oublier l'église, le méthode, ou plutôt cette com-
C'est avec cette

peuple accourait à ses discours avec le même plète absence deméthode, que procède Chry-
empressement. Absent, on le réclamait ; ma- sostome. Pointde plan, point décadré, point de
lade, on assiégeait sa maison pour le voir et ob- règles; aucun dessein arrêté, si ce n'est, d'une
tenir de lui quelques mots. On le suivait dans manière générale, la confirmation de la foi et
les champs, au tombeau des martyrs, et il fal- la correction des mœurs ; aucune espèce d'u-
lait que, debout sur la porte des oratoires con- nité. C'est l'abandon, l'imprévu, le désordre de

sacrés à leurs reliques, il parlât en plein air aux la conversation. Souvent il entre en matière

foules enthousiastes qui bravaient tout pour sans préambule; parfois il fait l'un sur l'autre
l'entendre. Souvent les applaudissements de deux ou trois exordes, inspirés parla première
l'auditoire interrompaient l'orateur, qui se fâ- circonstance venue, l'afflueuce qu'il a sous les
chait doucement. « Que me revient-il de vos yeux, les pauvres qu'il a rencontrés sur sa
acclamations, de vos louanges, de tout ce bruit, route, l'événement qui a ému la cité la veille ou
disait-il ? La vraie manière de me louer est de le matin. A part les panégyriques et quelques
mettre en pratique ce que je vous dis; je serai discours sur un sujet spécial, il explique le pas-
content, je m'estimerai heureux, non quand sage de l'Ecriture qu'on vient de lire du haut
vous aurez accueilli mes paroles par vos ap- de l'ambon. L'explication est simple, littérale,

plaudissements, mais lorsque, avec une sainte solide. Esclave du texte, il en fait valoir tous les
ardeur, vous conformerez votre conduite aux mots. Quelques phrases lui suffisent pour poser
conseils qu'on vous donne ici b. L'auditoire se le dogme, répondre aux questions, écarter les
vengeait de ses reproches par de nouveaux ap- difficultés. Il s'interrompt au milieu de son
plaudissements ; et le prédicateur avoue que commentaire pour une pensée qui le frappe,
ces marques de la faveur populaire qu'il blâme, pour une digression qui l'entraîne, quelquefois
qu'il voudrait supprimer, ne laissent pas que pour donner un avis, pour faire un reproche,
de lui faire plaisir. pour prendre à partie tels ou tels de ses audi-
La chaire chrétienne est entrée, depuis deux teurs. Puis, tout cela finit par une exhortation

ou trois siècles, dans une voie qu'il ne nous morale, peu liée d'ordinaire à ce qui précède,
appartient pas de juger, mais qui l'éloigné sin- mais toujours en rapport avec les besoins de
gulièrement des premiers maîtres de l'élo- l'auditoire, et dans laquelle il s'abandonne à sa

quence sacrée, c'est-à-dire des Pères de l'Eglise. verveetdéploie tous leslrésorsdesou éloquence.
« Les discours de ceux-ci, dit Fleury, sontsim- Du reste, pas plus de façons dans le style que
bles, sans art qui paraisse, sans divisions, sans dans la composition. Grand, large, d'une belle
raisonnements subtils, sans érudition curieuse, etfière simplicité, quelquefois naïf, quelquefois
quelques-uns sans mouvement, la plupart fort sublime, il tombe par moments dans la trivia-

courts. 11 est vrai, ces saints évêques ne préten- lité, et se traîne sous le poids des redites, des

daient point être des orateurs, ni faire des ha- images inutiles, des petits détails. Jamais, à
rangues; ils prétendaient parler familièrement coup sûr, de prétention ni de recherche on y :

comme des pères à leurs enfantset des maîtres trouve plutôt une négligence délibérée, et s'il
à leurs disciples. C'est pour cela que leurs dis- y a quelque art en tout cela, c'est dans la né-
cours se nomment homélies en grec, et en latin gligence elle-même. Pasteur, il s'entretient li-
sermons, c'est-à-dire entretiens familiers. Ils brement et saintement avec ses ouailles, ca-
cherchaient à instruireen expliquant l'Ecriture, resse, gronde, discute, plaisante, raconte, inter-
non par la critique et les recherches curieu? es, roge avec une familiarité paternelle et affec-
comme les grammairiens exi)liquaient Homère tueuse, souvent très-piquante mais de temps à ;

et Virgile dans leurs écoles, mais par hi tradi- autre le ton s'élève, la parole éclate, la convic-
tion des Pères, pour la conflrmutioii de la foi tion Jéborde, et l'auditoire subjugué bat des
et la correction des mœurs. Ils cherchaient à mains, pousse des cris, verse des larmes, pro-
émouvoir, non pas tant par la véhémence des clame à haute voix sa résolution de se convertir.
figures et lest-Efoitsde laftéclamatiou, que par On peut, à la rigueur, trouver dans Chry-
la grandeur des vérités qu'ils prêchaient, par * Fleury, Mœurs des chrgt., 3» (atti, 0. 31^ Voir aassi Féae(„
l'autorité de leurs charges, leur sainteté per- t. 21, p, 107, éd. de VsM.
CHAPITRE DIXIÈME. 109

sostome quclfjue chose de do la vi- la liberté et homélies est toujours mesurée à l'attention
gueur lie Dcmo.^llione, du nombre et de l'abon- qu'elles obtiennent. Il tient à être écouté sans

(lancedL'Cicéron.desfîraiids éclairs do Bossucf, fatigue, compris sans effort: de là, son usage de
de l'onction pénétrante de Masfiilon. Au fond, consacrer plusieurs sénncos au même sujet, afln
il n'a d'anaiogieavccpersonne, et ne ressemble d'cmbras?ermoinsdematièrednnssesdiscours;
qu'à lui-même. Si on pouvait le comparer à de là aussi, les redites, les termes populaires,
quelqu'un, ce serait plutôt à saint Basile ou à les images accumulées, les détails surabon-

saint Grégoire, qui parlent la même langue, dants, les digressions fréquentes, le soin d'écar-
s'adressent au même peuple, attaquent les ter les discussions subtiles, les exposés ou les

mêmes erreurs, et dont la prédication, comme arguments trop savants, tout ce qui le ferait

la sienne, n'est que l'explication de l'Ecriture valoir dans l'esprit des doctes, sans profit pour
en forme d'homélie. Mais si ces grands orateurs les masses. Il s'abaisse, se rapetisse, s'efface, et

sont plus soutenus, plus travaillés, plus pro- le plus grand emploi de son talent est de le ca-
fonds, s'ils sont lus avec jikis de profit ou de cher. Avant tout, il s'agit pour lui de retenir
charme, n'ont jamais eu son prestige ni
ils aux pieds de sa chaire cet auditoire qu'il veut
exercé sa puissance. Bossuet, qui l'appelle Dé- manier et travailler à son gré, et pour atteindre
nwstfièiie chrétien *, le déclare « l'un des plus ce but rien ne l'arrête, ni une expression vul-
illustres prédicateurs, et sans contredit le plus gaire, ni un tableau peu digne de sa gravité,
éloquent qui ait enseigné l'Eglise' ». Chry?o- ni une figure de mauvais goût, ni même un
stome a gouverné douze ans parla parole l'ar- sarcasme. Le luxe de sa parole, qui contraste
dente et capricieuse cité d'Antioche. Nulle po- si fort avec l'austérité de sa vie, tient au même

pularité plus constante et plus vraie que la motif. Que lui importent l'art et ses règles II 1

sienne. ne pose pas pour l'avenir il veut instruire, tou-


:

Sans doute, il la cultive avec soin ; car il


y cher, rendre meilleur ce peuple qu'il aime, et
voit un point d'appui nécessaire à ses travaux ses défauts y réussissent autant queses qualités.
apostoliques, un heureux indice des progrès de Ces défauts, au surpins, ne sont que des con-
l'Evangile dans les âmes. Mais jamais les ché- cessions volontaires à sa popularité mais cette ;

tivespréoccupalionsdel'amour-proprenetrou- popularité, s'il la recherche, s'il la soigne, ce

Ment ce grand cœur. 11 aime le peuple, il l'aime n'est pascomme un ambitieux, comme un tri-

sincèremcnttitscrieusementcommeunnmison bun, pours'en faireun instrumentou un mar-


ami, comme un père ses enfants ; il se plaît à le che-pied, mais comme un apôtre qui brûle de
lui din», et le dit d'une façon ravissante. Avec l'amour des âmes et voudrait avoir assez d'em-
lui, pense tout haut; point dedéfïanceni de
il pire sur sa chère Antioche pour l'arracher à ses
réserve; il lui rend compte de ses pensées, de préjugés, à ses grossières superstitions, aux
ses Joies et de ses peines, de ses craintes, de ses misères morales qui la dégradent, aux ténèbres
espérances, de toute sa vie. Est-il obligé de honteuses oîi elle se complaît, à toutes ces cou-
gronder, c'est à regret ; et avec quel empresse- tumes, fruits de l'ignorance, restes de l'idolâtrie
ment, par quel affectueux langage ne tempère- qui déshonorent encore la société nouvelle, aux
t-il pas l'amertume nécessaire doses reproches I folies du cirque, aux obscénités du théâtre, aux
S'il recommande aux pauvres la résignation, orgies des tavernes, pour lui inculquer cette
s'il les met en face de leurs vices ignobles, il douceur, cet amour du travail, cet esprit de
signale aussitôt le péril et l'écueil des richesses, dévouement, cette dignitéde mœurs, ces vertus
il tonne contre le faste et l'avarice des grands. qui font les vrais chrétiens. Ce genre de popu-
Qu'il expose les saintes sévérités de la loi, il larité,Chrysostome en avoue l'ambition mais ;

insistera sur l'abondance des divines miséri- il ne l'achètera ni par une lâcheté ni par une

cordes, sur les facilités du pardon, et nul ne sera faiblesse. Il lui sacrifiera la rhétorique, le goût
plus indulgent aux pécheurs que cet homme si quelquefois, jamais la dignité deson ministère,
rude à lui-même. Dans l'Eglise il a tout disposé jamais le respect de lui-même; et, touten expri-
avec une aimable prévenance, pour (lue ses au- mant à ce peuple son profond attachement, à
diteurs n'aient à souffrir ni de la chaleur ni cause mêmede son attachement, il ne cessera
d'une attente trop longue, et la durée de ses de reprocher ses erreurs, d'attaquer ses
lui
vices, de lui faire honte de ses penchants. Du
• Bca., 5« ATert. ouj protcsi., no 31, t. 2\,p.i02,'^'Jd.,Stm>
lat la pu. d* Dieu, U 12, p. 351, édit. de Ve». reste, ce n'était pas seulement sur l'altrail de aa^
110 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

parole que reposait la populori'é de Jean, mais doux que la lumière 1 Et ceiiendant si l'œil en
aussi et surtout sur l'estime de son caractère et soutient l'éclat trop longtemps, il en éprouve de
de ses vertus. Le peuple aimait rhomrne plus la souffrance. Tcnt il est vrai que partout l'excès
que l'orateur il aimait sa franchise, son cou-
: fatigue, tandis que l'usage modéré est aussi

rage, son noble désintéressement, celte austé- agréable qu'utile C'est pour cela que nous cher-
I

rité de mœurs unie à la plus parfaite indul- chons moins à vous dire beaucoup de choses à
grnce, son infatigable dévouement aux souf- la fois, qu'à bien graver nos instructions dans

frances, aux besoins, aux intérêtsde ses frères, votre mémoire; et, loin de vous verser d'un
cette grande charité qui l'avait dépouillé de seul trait la coupe de la doctrine, nous la fai-
tous ses biens en faveur des pauvres, et se sons durer plusieursjours,laissantreposer votre
manifestait tous les jours par de nouveaux bien- attention dans les intervalles, afln que les pre-
faits. Il le voyait à l'œuvre ; il pouvait suivre miers enseignements déposés dans votre esprit
pas à pas cette existence d'amour et d'immo- y soient gardés fidèlement, et que les nouveaux
lation, et il savaitquerorafcur parlant en chaire que nous avons à y mettre soient reçus avec une
de sa tendresse pour le peuple ne faisait qu'ex- âme libre et déjà fortifiée. La pluie qui tombe
primer le sentiment qui remplissait et inspirait avec force glisse sur la terre sans la fortifier ;

sa vie tout entière. Si donc il n'y eut pas de mais celle qui tombe doucement s'imbibe,
popularité plus soutenue c'est qu'il n'en
,
comme l'huile, dans ses entrailles, et les rem-
fut jamais de plus pure et tout en lui proteste
; plit d'une humidité féconde. Ainsi, je vous
contre cette qualification de démagogue et de distille peu à peu l'Ecriture, afin que, sem-

tribun qu'on a osé lui donner. blable à une pluiespirituells, elle arrive goutte
Quant à sa prédication, Chrysostome en ex- à goutte jusqu'au fond de vos cœurs ».
pliquevolonliers les procédés. S'il se répèle sou- Si d'ordinaire il fait de trop longs exordes, il

vent, c'est, dit-il, que «lorsqu'on veut extirper en donnera les raisons. « Je parle, dit-il, aune
de l'âme une passion qui s'y est enracinée, il multitude nombreuse, à des hommes qui ont
fautdu temps etde la peine, et, aulitu de parler une femme, des enfants, un ménage, qui ga-
un jour ou deux sur le même sujet, y revenir à gnent leur vie par un travail quotidien, qui sont
plusieurs reprises et pendant bien des jours, à tout occupés d'intérêts matériels, et ce qu'il y a
moins qu'on ne prêche par vanité et pour le de plus fâcheux, ce n'est pas qu'ils soient conti-
plaisir de ceux qui écoutent, non pour leur nuellement occupés, mais nous ne les recevons
profit. C'est à cause de cela que je vous ai entre- ici qu'une fois par semaine. Donc, pour leur

tenus plusieurs fois de suite sur les serments, rendre nos paroles plus faciles à comprendre,
et que je vais eu faire autant à propos de la nous cherchons par nos exordes à donner plus
haine; car, selon moi, la meilleure manière de clarté à l'enseignement. Celui qui n'a d'autre
d'instruire est d'insister sur les mêmes vérités, souci que l'étude des Ecritures, n'a besoin ni
jusqu'à ce que nos paroles aient produit quel- d'exorde ni de préparation il comprend sans;

que effet. L'orateur qui parle aujourd'hui de efforts tout ce qui se dit. Mais celui qui consacre
l'aumône, demain de la prière, après demain la plusgrande partie de son existence aux af-
de la modération, ne fera entrer aucune de ces faires du
siècle et ne paraît ici que rarement et
vertus dans l'âme de ses auditeurs; mais s'il quelques instants, a besoin de préambules et
aifend quelque fruit de ses discours, il doit ne d'explications qui lui préparent la voie, sinon
pas quitter le sujet (ju'il traile avant que ses ilse relire sans aucun profit. Un second motif
premières instructions aient pris racine chez non moins important, c'est que sur un si grand
eux. Ainsi, les niaîlrt s qui apprennent à lire nombre d'auditeurs, les uns viennent habituel-
aux enfants, ne les font passer aux syllabes lement, les autres font souvent défaut. Il est

que quand ils connaissent les lettres* ». donc nécessaire de donner des éloges àceux qui
S'il distribue en plusieurs discours les sujets viennent, de blâmer ceux qui ne viennent pas,
plus étendus, c'est qu'il ne veut pas charger afin d'encourager les uns à être pluszélés encore
d'un fardeau trop lourd l'aileution de son audi- et de pousser les autres à sortir de leur apathie.
toire, a La parole, l'ouïe, tous les sens, dit il, D'ailleurs, la matière à traiter est quelquefois
ont des règles et des bornes qu'on ne peut en- trop abondante pour être épuisée en un jour,
freindre ni franchir imi)uncmeut. Quoi de plus etsouventil faut trois ou quatre expositions sur
' Chr^., Som, sur David et Saiil, n. 1. le même sujet. Il est donc indispensable da
CHAPITRE DIXIÈME. fil

prendre le second jour ce qu'on a dit le pre- par l'agrément et la variété du discours, a Car,
niior, aliii tle niUailier un discours à l'autre disait- il quelquefois, il ne faut pas tindre cons-
et de mettre dans l'enseignement une suite tamm( nt l'attention des auditeurs, ce serait les
qui le rende plus clair ». fatiguer. On ne doit pas non plus Us anuiser
Aux yeux de Jean, la clarté est la première toujours, ce serait s'exposer à les amollir ; mais
qualité du discours. raconte qu'une f uime
On il faut employer une diction tantôt plus vive et
du peuple venue l'entendre, au début de son plus serrée, tantôt plus populaire et plus agréa-
miuisière, sortit du sermon en disant Voilà : ble ». Là précisément était la difficulté. Com-
de? parciles perdues, je n'ai pas compris. Ce ment répandre la variété et l'agrément sur une
mot rapporté au prédicateur '
fut un trait de explication de textes, presque toujours littérale
lumière; il ne songea plus qu'à proportion- et par conséquent Fèche et froide ? Ch rysoslome
ner son langage à ses auditeurs, et courageu- y excelle. Son auditoire ne connaît pas un mo-
sement il se dévoua aux reproches qu'on de- ment d'ennui. L'ironie, la peinture satirique,
vait lui faire et qu'on lui a faits d'être trop les tableaux gracieux, l'olij nrgation véhémente,
simple et trop populaire. la digression pleine d'intérêt, les détails de
Mais l'abaissement du talent atteste la gran- mœurs, répanchementoffectueux, l'événement
deur de l'âme. Nous devons ajouter que si du jour, le récit biblique se succèdent, s'entre-
simple et si populaire qu'il soit, sa diction mêlent, et d'un commentaire aride fontundis-
reste toujours pure et correcte. Bossuet, don- coursaltachant. Quelquefois l'orateur plaisante.
nant des conseils pour la prédication, veut Voici quelque chose, dit-il, qui vous fera rire,
qu'on joigne ensemble comme sujets d'étude je lésais; je le dirai cependant, et d'autant plus
saint Augustin et saint Chrysoslome. « L'un^ que vous en concevrez plus d'éloignenient pour
dit-il, élève l'esprit aux grandes et subtiles l'erreurdes Marcionites. Quand un de leurs ca-
considérations, et l'autre le ramène et le me- téchumènes vient à mourir, ils font cacher un
sure à la capacité du peuple. Le premier ferait homme vivant sous le lit du mort; puis ils s'ap-
peut-être, s'il était st ul, une manière de dire prochent de celui-ci, et lui demandent s'il veut

un peu trop .-ibstraite, et l'autre, trop simple être baptisé. Le mort se taisant, l'homme ca-
et trop populaire; non que ni l'un ni l'autre ché sous le lit répond d'une manière affirma-
ait ces vices, mais c'est que nous prenons, tive, et alors commencent des cérémonies qui

ordinairement, dans les auteurs ce qu'il y a ne sont, en vérité, qu'une scène de théâtre.
de plus éminent. Dans saint Augustin, on Quand on leur reproche celte absurdité, ils
trouvera toute la doctrine; dans saint Chryso- se défendent avec les mots de rA[iôlre où il
slome, l'exhortation, l'incrépation, la vigueur, est question du baptême pour les morts » .Mais '

la manière de exemples de l'Écri-


traiter les après avoir fait rire un instant ses auditeurs,
ture et d'en faire valoir tous les mots et toutes Jean les rappelle bien vite aux pensées sé-
les circonstances
'
Ses sermonssont les plus rieuse?. Un jour il avait cité ce mot de Socrate
beaux qui nous soient restés de l'antiquilé' ». à propos de sa femme qu'elle ne lui avait été
:

Instruire, améliorer le peujjle, le rendre donnée que ()our exercer sa palicnce et adou-
chrétien d'esprit et de cœur aussi bien que de cir son caractère. L'assemblée partit d'un éclat
nom, c'était la grande^ l'unique préoccupation de rire. « Vous riez, s'écria l'orateur, et moi
de Chrysoslome. Mais ce peuple, pour agir sur je gémis de voir que des Grecs
gémis; oui, je
lui, il fallait l'attirer, le captiver autour de la sont plus sages que nous, à qui il a été or-
chaire, le disputer jour par jour à ses goûts fri- donné d'imiter les anges, et même de rivali-
voles ou grossiers, à son inguériss ible passion ser avec Dieu, par la pratiiiuedela douceur'».
des fêtes, du théâlr.^, du cirque, elle saintora- L'auteur d'une thèse remarquable sur saint
teur y emploie tout son talent, toute sa charilé. Jean Chrysoslome, considéré comme orateur
Heureux quand =a parole tombe au milieu d'une populaire, a très-bien décrit ses procédés ora-
grandeaffliience, trisle quand elle n'(^st enten- toires dans l'explication du texte inspiré. «Chry-
due que d'un petit nombre, il s'applique non. soslome, dit-il, fut moraliste et orateur en même
seulement à éviter à son auditoire toute conten- temps qu'interprète. L'attention du public est
tion d'esprit, mais à l'intéresser et à le charmer fatiguée mais tout à coup se présente une de
:

• J/ifVap*. in ci/, s.; B»roD., oj ann. 386, g 57. —


' Boss., Écrit. ' Chrya.,
1., Uom. m, , sur — 1"
- .. la - aux Corlnth., n. 2. — ' Chry».,
|a<d. H>n. Flno. t. 2, p. 521. — ' B«M., U 30, p. 505, Bom. iir la Irc
26, sur la I maux Corintb., n
Qiiv fnpintli n. R.
8, _
m HISTOIRE DE SAINT JEAN CliUYSOSTOME.

ces longues et touchantes histoires de l'ancien mons, les homélies du prêtre d' Antioche n'ont
Testament, une parabole de l'Evangile^ simple, en rien la métliode puissante, le raisonnement
mais profonde et patliélique, celle de Lazare par profond et serré de Bourdaloue ; elles n'avan-
exemple. Le prédicateur fait ressortir avec un cent pasavec un ordre régulier, par des divisions
bonheur infini les moindres circonstances du subtî les exactement suivies, vers la démonstra-
récit. La narration si chère aux Orientaux, la tioncomplète d'une vérité de morale ou de foi.
narration vive, colorée, égayée de piquantes Non, l'imagination de l'orateur chrétien de
applications, se substitue tout à coup à la sé- Grèce et d'Asie veut rester plus hbre. Sa parole
cheresse du commentaire. .. C'est dans ces ana- a plus d'effusion ; il ne saurait l'assujétir à
lyses dramatiques qu'éclate surtout le génie cette lente dialectique; vivement
il croit trop
oratoire de Chrysostome. On trouve en lui, pour avoir besoin de preuves il aime avec trop;

comme dit Bossuet, la manière de traiter les d'ardeur son Dieu et son Eglise pour raisonner
exemples de P Ecriture et d'en faire valoir tous si patiemment. N'est- il pas d'ailleurs encore

les mots et toutes lés c'rcntistancesWl com- tout inspiré de l'enthousiasme des premiers
mente lesfaits son imagination en est vivement
; jours, et comme rayonnant de leur lumière, à
frappée; les personnagess'animentjilsagissent, peu de distance du berceau miraculeux de la
ils parlent; Chrysostome est l'interprète de foi, dans la ville où elle a pris son nom? N'est-

leurs sentiments, ou plutôt le plus souvent il ce pas d'Antioche qu'est parti, dans le premier
supplée à la sobriété du
par d'éloquentes récit siècle, l'éloquent martyr qui vint chercher les
mais confuses additions. Des plus simples dé- lions du cirque à Rome ei jouir de leurs mor-
tails il fait jaillir une lumière inattendue; du sures? Et ses restes rapportés du temps de
moindre mot il tire un enseignement. Le récit Chrysostome, dans sa ville natale, n'ont-ils pas,
primitif,simple et nu, disparaît sous les écla- traversantcomme en triomphe les foules chré-
tants ornements dont il le couvre. Mais toute di- tiennes d'Asie, ressuscité l'âge héroïque de
gression a son but. Job est oublié, Lazare est l'Eglise encore si récent, et ranimé toute la fer-
oublié, saint Jean-Baptiste est oublié, mais les veur de sa naïve? Enfin, près d'Antioche,...
foi
auditeurs ne le sont pas. C'est pour venir à eux l'idolâtrie vaincue ne garde-t-elle pas encore
qu'il a quitté ces patriarches et ces saints. Il dans le temple et les bocages de Daphné les
n'est plus temps antiques, au berceau
dans les dernières hontes de son antique corruption,
du monde, sur les rives du Jourdain, à la cour comme pour faire éclater par le contraste la
d'Hérode. On
auprès de soi; sa parole
le sent sainte pureté du culte nouveau?
vibrante, émue, ironique ou terrible, pénètre « Tout permet donc à Chrysostome plus d'ar-
avant dans le cœur. Il a cessé d'expliquer, il deur que de logique, plus d'images que d'argu-
prêche; ce n'est plus le commentateur qu'on ments; il émeut, il passionne, il attendrit des
entend, c'estmoraliste passionné, c'est
le âmesd'avanceconvaincues,etqui,danslestrem-
l'orateur, c'est l'Apôtre'». blementsdeterrede leurs villesd'Asie,croyaient
Dans son admirable tableau de l'éloquence entendre encore la voie prolongée des miracles
chrétienne au iv' siècle, M. Villemain apprécie du premier siècle. Devant cette foi vive, l'ora-
avec autant d'élévation que de justesse la ma- teur n'a point à démontrer le dogme, mais il
nière de notre Saint. «La prédication de Chry- célèbre et inspire la vertu. Pour cela, il est fa-
sostome, savante mais populaire, saisit
dit-il, milier, persuasif, en intelligence avec ses audi-
presque toujours ses auditeurs par des images teurs. Il leur parle de tout ce qui les occupe :

présentes et liées aux incidentsdeleurvie. At- tantôt il se loue de leur pieuse attention, de leurs
tentif atout ce qui peut émouvoir ou distraire larmes plus précieuses pour lui que leurs éloges;
Antioche, il est un conseiller public pour la tantôt il se plaint de leur froideur, de leurs fré-
Tille, en même temps cju'un guide et un conso- quentes absences et des distractions que leur
lateur pour chaque âme fidèle : de là s'est for- donne le théâtre. Il les suit de ses inquiétudes
mée une nature d'éloquence et de pouvoir dont hors de l'église; il pressent leurs fautes, dont
le génie même
de nos grands orateurs du ni ses paroles ni leur ancien repentir ne les pré-
ne peut doimer l'idée. Plus courtes
svii' siècle serveront; il soutientlcurcourageetles rappelle
et moins habilement composées que leurs ser- à lui, dussent-ils faillir encore. On ne peut se
figurer l'intéiêl puissant et pathétique de ce
' Floq., Elua. sut Bo=s., t. 2. — Paul Albert, Thèse gui saint
^«ao Cbrys., p, 176 et suit. dialogue entre une âme charitable etforte et tauf

j
CHAPITRE DIXIÈME. 113

lames Liblos, mobiles, que la passion, le préju- grande partie de ;a Bible. Et l'Eglise, le jour de
gé, l'haliilude disputaient à leur propre con vic- la fête de saint Jean Chrysostome, remercie le
liou et à la main de leur guide évangélique. C'est Seigneur de l'avoir glorifiée par les vertus et
à la fois l'action de la tribune populaire et du les enseignemeiUs de ce grand pontife.

confessionnal ; c'est le forum et le sanctuaire, Sans s'astreindre à écrire ses discours, Jean,
l'union de ce qu'il y a de plus élevé dans la quand la chose était possible, n'abordait la
parole oratoire, de plus pénétrant et de plus chaire qu'après de sérieuses méditations. Tou-
intime dans la direction secrète des consciences tefois, les circonstances l'obligeaient souvent à
et des cœurs '. parler sans préparation, et sa parole improvisée
Aux grandesqualitésqui font l'orateur, Chry- n'enavait que plusde chaleur et de mouvement.
fiostome joignait une science profonde de l'Ecri- un ancien, avec
Elle coulait de sa bouche, dit
ture. Jeune, il l'avait étudiée sous Méièce, puis plus d'abondance que les cataractes du Nil '.
sous Diodore et Cartérius. Plus tard, pendantsix Des notaires ou stétiographes recueillaient le
ans, au désert, il n'eut dans ses mains d'autre discours à mesure qu'il était prononcé puis on ;

livre que la Bible il ne s'occupa d'autre chose


; présentait ce travail à l'orateur, qui le revoyait
que du texte sacré. Lu et relu, appris par cœur etquelquefois le publiait. C'est ainsi que furent
mot pour mot, il fut jusqu'à la fin de ses jours éditées entre autresles belles homéliessursaint
l'objet constant de ses méditations. Disciple de Jean et sur saint Mathieu '.

l'école d'Antioche, Jean ne repoussait pas la lu- que nous l'avons remarqué, les ensei-
Ainsi
mière qui lui venait d'ailleurs, et n'était étran- gnements du saint prêtre tiraient de sa vie leur
ger à aucun des travaux célèbres des écoles de plus grande autorité. Dévoué sans réserve au
Césarée, d'Edesse, d'Alexandrie. Il avait étudié service de l'Eglise, non-seulement il n'en rece-
Eusèbe d'Emèse ', était pénétré d'admiration vait pas une obole, mais il avait distribué aux
poursaintAthanase, et connaissaitOrigène, au- pauvres son patrimoine, et ne s'était réservé
quel il fait de fréquents emprunts sans le nom- que le strict nécessaire à sa subsistance pour
mer. En un mot, il possédait à fond les saints n'être à charge à personne'. En tous cas, ce
livres, et se les était tellement appropriés et as- nécessaire était bien restreint ; car il avait tel-
similés, qu'ils étaient devenus le fond môme de lement plié son corps aux exigences desonâme,
son esprit et comme sa substance intellectuelle. qu'il semblait lui aussi se nourrir et vivre à la
« Nul orateur chrétien, dit encore l'éminent manière des esprits, a Que faut-il à un homme
écrivain cité tout à l'heure, ne fut plus pénétré pour sa nourriture de tous les jours? disait-i!.
de l'Ecriture sainte, plus coloré de ses feux, Un un colyle 'de vin lui sont plus que
pain et
plus empreint de son génie '». De là, le charme suffisants ».Pour lui, il fallait moins encore,
sacré, l'onction puissante de son langage. On ayant à peu prèssuppriméle vin.Ona dit qu'il
éprouvait, en l'entendant, comme les pèlerins rougissait d'avoir à manger'. Et cependant,
d'Emmaûsdanslaconversalion du divin Maître, malgré ce régime exténuant, malgré qu'il souf-
je ne sais quelle chaleur douce et sainte qui de- frît fréquemment de l'estomac et de la tète, il
venait lumière dans l'esprit et vertu dans le poursuivait sans interruption son apostolat.
cœur : c'est l'impression qu'il produit encore Comme orateur, comme prêtre, il suffisait à des
aujourd'hui quand on le lit. On sent la parole travaux qui eussent absorbé plusieurs vies.
de Dieu sous sa parole, et il est impossible de ne Il était très-maigre. C'était moins un homme
pas admirer avec le Bréviaire romain la piété qu'une voix, la voix de la charité. «Sa vie, dit
et lasplendeur de ses discours et de ses écrits, "Tillemont, n'était pas seulement très-pure et
surtout sa manière d'interpréter lessaintslivres très-sobre, mais encore sainte et parfaite en
et d'en exposer le setis *. Fénelon avait raison toutes choses, et un historien dit qu'il vivait
quand ildisaitquesurrexpIicationderEcriture d'une manière toute divine ce qui donnait un :

on ne peut mieux faire que d'imiter la solidité grand poids à ses discours, lui étant d'autant
de S. Chrysostome ». Ses œuvres, en effet, for- plus aisé de persuader la vertu qu'il la prati-
ment lecommentaire le plus sûr, le plus beau, quait excellemment' ».
le plus complet du Nouveau Testamenletd'une Sa piété avait la noble simplicité do son élo-

* ViUcm., TaM de l'éloT- chrér.. p. 1 79 *t «ui?. — 'S. Hier., (i« •


Suld., in verb. Joi\n. — ' Clirys , Hom. 7, sur U le aut Co-
— V.lieoi., lai-l
>4t. itiiutr. '
, tu., p. Z84. — '
Sreu. Rom., Z!Ju- rinth. — 'Pall., — Colyle, mesure de capacité cqiiiva'uui
dial. * à
«Mr. — 'Féo»l., 2J,p. 119 t.
0, 2« liUe. - Pall., im., c, 17. -
' Willem li, p. 38.
'
, t.

S. J. Cu. — Tome I.
lU HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

quence. Admirateur de la vie érémitique, qu'il En dépit des témoignages d'atîeclion qu'elle
avait quitléeà re^veX, il en avait l'esprit sans en donnait à son apôtre, Antioche était toujours la
afli> hor les dcliois. Etaler l'humilité lui sem- frivole Antioche, tout entière aux spectacles et

'>!ait 1 pii'e oigueil. « On ne le voyait aller ni aux plaisirs; elle accourait du cirque et du
\)\ca\? niJiJ,avec une seule tunique, ni avec
ni théâtre écouter une voixaimée et dès lorsque l'o-

les autres marques de dénùment et de pauvreté rateur se t:iisait, elle revenait au théâtre et au
que Jésus-Christ avait demandées quelque cirque, sans attendre la fin de la liturgie. C'est
temps à ses a|iôtres' » Mais il aimait et prati- .
pour l'Apôtre de l'Evangile une désolation qu'il
quaitd'autant plus l'ascélismeintérieuret réel, ne cache pas. «Quand l'homme parle, s'écrie-
qu'il en redoutait davantage l'ostentation et la t-il, l'homme qui n'est qu'un esclave comme

prétention. vous, vous venez l'entendre avec empresse-


Il s'absentait peu d'Antioche; car chaque ment.... Et au moment où Jésus-Christ daigne
absence inquiétait le peuple, qui avait mis en paraître dans les mystères sacrés, l'Eglise est
lui son affection et sa gloire, et lui-même souf- déserte IVousm'écoutezdonccommeon écoute
frait loin d'un auditoire aimé, dont la con- un joueur de lyre, sans emporter le moindre
fiance et la sympathie étaient un besoin de son fruit de mes discours » Son zèle le trompait
' !

cœur. Cependant la fatigue d'une prédication sans doute ; car, si léger qu'il fût, ce peuple fai-
incessante et sa pauvre santé le contraignaient saitsur lui-même des efforts qui n'étaient ni
à prendre parfois un peu de repos. Il allait sans mérite ni sansrésultat. Mais le plaisir, l'ha-
alors respirer l'air des champs, visiter ses mon- bitude, l'exemple l'entraînaient à l'oubli de ses
tagnes bien-aimées, toutes pleines des amis et promesses, àcontrislersansle vouloir, l'illus-
des souvenirs de sa jeunesse, dont les échos éloquent ami auquel il eût voulu ne don-
tre et
semblaient lui redire les hymnes, les prières, ner que des consolations. De là une lutte avec
les saintes joies de ses belles années, et il jouis- lui-même, dont le contre-coup, sensible dans
saitavec délices de cette paix profonde et divine les discours de Chrysostome, leur donne un

de la solitude, de son silence éloquent. A An- intérêt dramatique et touchant.


iioche, il sortait peu les tombeaux des martyrs,
; Ce nom de Chrysostome, Jean le reçut-il

dans la campagne, étaient le but ordinaire de alors des enfants d'Antioche épris de son élo-
ses promenades. Là, seul, loin de tout bruit et quence ? Baronius n'en doute point'. Le silence
de tout regard, il se repaissait de la pensée de de Pallade et de Socrate à cet égard ne suffit
ces morts illustres, du souvenir de leurs paroles pas à inflrmer cette opinion. Ce que dit le
et de leurs vertus, et son âme s'élevait avec P. Lebrun, que le surnom de Chrysostome ne
leurs âmes vers le séjour de Dieu. Aussi préfé- fut accolé au nom de Jean qu'au vn= siècle, n'est
rait-il l'été à l'hiver. « Comme les matelots, pas exact. Cassiodore, Facundus d'Hermiane,
disait-il, après les fatigues et les privations de Ephrem d'Antioche', dans le vi" siècle Théo- ;

la mer, sont heureux d'apercevoir la terre et le doret, le concile de Chalcédoine, dans lev*, le
port, les sommets lointains des montagnes, la désignent par l'épithète de Bouche-d'or''. Pro-
fumée qui s'élève dans les airs, les troupeaux clus S son disciple et l'un de ses successeurs,
qui paissent sur le rivage, ainsi je me félicite l'appelle Langue-d'or ; et le P. Stilting, d'une
en voyant approcher la belle saison, non-seule- critique généralement si éclairée et si sûre,
ment parce que c'est l'époque oîilezéphirades n'hésite pas à croire que legrand orateur re-
souffles si doux, mais parce qu'elle nous ramène çut, dès sa mort même ou à peu près *, un
les fêtes des martyrs, et que leurs tombeaux nom qui répondait si bien à l'idée qu'on avait
sont comme des ports, oii le peuple Qdèle vient de son éloquence. Maisce nom,qui pouvait le
se reposer de ses peines et puiser une sainte populariser, si ce n'est le peuple lui-même?
joie ». Non, ce n'est pas d'un écrivain obscur qu'il l'a
Un ministère ainsi rempli devait être fécond, reçu, mais de cette ville d'Antioche si fière de
et il le fut. Des païens, des Marcionif es embras- lui, qui ne l'entendait presque jamais sans faire
saient la vérité. Le nombre des Chrétiens aug- éclater par des applaudissements son ardente
mentait; mais Jean ne trouvait pas que l'esprit
chrétien augmentât dans la même proportion. • Chrys., ffom. 3. Sur la Nat. de Dieu, 6. —
' Baron., ai ann,

386, n. 57. —
' Cass., de inslit., c. 8
; Fac. Herm., 1. 4, c. 2; Phol.
'Tillem., 1 11 ; Chrys., Bom. 33, sur S. Matlh. — ' Chrya., Hem c. 229.— 'Théod., dial. 2;Conc., t. 4, p. 830; Tillem., t. li,p. 37,
tv cra pas. de rÂpttie : Je nt veux pas que vous ignoriez.,,, a, l. — ' Prod., de trad, div, misi. —• Stilt., t.
4, Sejil., f. 691.
CHAPITRE ONZIÈME. Un
adminlion. Cliry?ostome fut ainsi baptisé dans Mctaphrastc l'a émis 1p premier et qu'il a peu
une acclamntion populaire : c'est l'avis de Ba- de poids, est-ce une raison pourn'cn tenir au-
ronius et de plusieurs autres; et parce que cun compte?

CHAPIRE ONZIÈME.

Jean cnnlroversiste. — Les Anoméens. — L'Arianisme. — Semi-Ariens. — Doctrine d'Eunomius. — Sa dans — position la secte.
Sts aiiid^oi.ij.cj.— ALoaiéeus — Controverse de J.an avec .\uouieens. —
à Aulioclie. natures
les deux volontés ea Lieux et
Jésiis-Chrisl. — Vision de Dicn. — Charité de
intuitive — de prière publique —
.lean. Efficacité applandissc-
la Affliience et
iDcnt? aux discours de Chrysoslome. — Antiochc. — Chrétiens judaîsants. — Polémique de Jean contre
Juifs à — Ca- les Juifs.
ractère etportée de polémique. — Livre de
cette de Jésus-Chrisl contre
la divinité — Accomplissement les Juifs et les Gentils.

des piophéiits. — Etablissement du Christianisme. — Tenijlive imimissante de pour temple des — Glo-
Julien retâlir le Juifs.
rificalion de Croix. — Signe
la représentation de
et Croix partout. — Travaux de
la époque. — Panégyriques de Ji>an à cette

saint .Mélèce, de Philogoue


saint —Saint Lucien. — Fête de Noël.— Témoignage sur
et autres. présence —Schisme la réelle.
d'AQtiocbe. — Sermon sur l'anathème.

On a vou.u distinguer, étudier séparément lantes escarmouches, voilà sa polémique. Les


dans Clirysostome le controversiste, l'exégète, combats en règle, les discussions suivies lui dé-
l'orateur. Mais évidemment l'exégète et l'ora- plaisent. dédaigne trop ses adversaires pour
Il

teur absorbent le controversiste. Ce n'est pas les traiter sérieusement. Hérétiques ou philo-
qu'il manquât des qualités nécessaires à la con- sophes ne sont ta ses yeux que des ennemis
troverse. Cet heureux génie, souple et riche, vaincus il célèbre leur défaite; il rabat leur
:

possédait d'infinies ressources et prenait sans orgueil il ne descend guère à les réfuter. Que
;

effort tous Jes tons. Mais, apôtre du peuple, il est lui importent leurs raisonnements subtils et
tout à lui et il regarde comme un faux emploi compliqués? Contre leurs sophismes, il a les
de ses facultés tout ce qui n'a pas pour objet saints livres, et c'est assez. Prouver le dogme,
immédiat l'instruction et l'amélioraliondu peu- c'est l'affaibir : il affirme, et son afflrmation
ple. Ne cherchez pas son talent hors de cet or- tient lieu de démonstration. Quelquefois il se
bite les besoins intellectuels, l'intérêt moral
:
contente de lancer ime ironie, de pousser un
du peuple sont la limite de son essor. Prêtre cri de victoire, de faire à grands traits un 1a-
d'Antioche, évêque deConstautinople, de nom- bleaudesrapidesprogrèsde l'Evangile. L'exacti-
breux devoirs, de grandes sollicitudes pèsent tude chronologique l'inquiète peu. Si, de temps
sur sa pensée et l'empêchent de se déployer à autre, il croit devoir opposer des arguments
librement il agit et il parle, ou, s'il écrit par-
:
à des arguments, les siens sont toujours d'une
fois, sa plume a la rapidité de l'improvisation. simplicité élémentaire. Pourvu que l'auditoire
Sans doute, on rencontre dans ses Homélies comprenne, il est satisfait. Les dissidents qui
quelques attaques contre le polythéisme et la viennent l'écouter ne sont ni plus instruits ni
philosophie, et il a consacré un pelitnombrede plus exigeants que le gros des fidèles et il n'a ;

discoursà combattre les Anoméens et les Juifs ; qu'à leur tendre la main de la charité pour les
mais sa controverse a toujours lieu devant le ramener à la vérité.
peuple, et ne dépasse jamais la portée d'intelli- Telle est, si on peut l'appeler de ce nom, la
gence et d'attention qu'on peut demander au controverse de Chrysostome. Vous aurez à ad-
peu|>le.Vous n'y trouverez ni une critique bien mirer le pieux et savant exégète, le grand, le
siire,niune argumentation bien savante, ni la puissant orateur, qui plaît, qui émeut, qui en-
sévère précision du langage philosophitiue, ni traîne, auquel nul n'est comparable pour la
conception profonde, ni vues d'ensemble, ni le correction des mœurs et pour inspirer la cha-
\ol soutenu de la haute théologie. Il faut, à ce rité. Mais quand il s'agit d'exposer la doctrine
David de. la tribune, imw armure légi-re, et !a on d" réfuter l'erreur; quand il s'agit d'ouvrir
Irondti yiulùi que le glaive. De vives et i>iil- iir.iiii li.g'-jiceétonnéelesgraadesjjerspecUvea
116 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

et les profondeurs de l'enseignement chrétien, porter l'action divine.... De ce principe, com


il en arrière, et parfois bien loin d'Atlia-
reste biné avec un monothéisme rigoureux, découle
nase, de Basile, de Grégoire, d'Augustin et ; logiquement l'Arianisme tout entier.
c'est ici princii alement qu'on peut le trouver « Dieu, voulant donc créer l'univers, et ne le

trop simple et trop populaire '. pouvant par lui-même, a dû créer un être in-
a Ce docte Père, dit Bossuet, ne le cède à au- telligent et actif d'un ordre supérieur, qui ser-

cun des autres en bon sens et en éloquence ;


vit d'intermédiaire entre le monde et lui, et

mais de dire qu'on y trouve autant de principes qu'il chargeât du soin de produire les autres

etde profondeur, ou un corps de doctrine aussi créatures, soit qu'il lui communiquât sa puis-
suivi que dans saint Augustin, qui est l'aigle sance créatrice, soit que, s'étant réservé de pro-
des docteurs, avec le respect et l'admiration qui duire les substances, il ne lui donnât que le

est due à cette lumière de l'Eglise grecque, la pouvoir de former chaque créature en particu-
vérité ne le permet pas'». lier. Cet être, élevé au-dessus de la création,
La polémique de Jean porte surtout contre parce qu'il avait été avantelle, et qu'il a con-

les Anoméens et les Juifs. couru immédiatement à sa formation, est le


Les Anoméens n'étaient que des Ariens. Mais Logos, le Verbe ou la Sagesse, dont parlent en
ils avaient la prétention de conserver seuls la plusieurs endroits les Ecritures des Chrétiens
doctrine du maître, altérée, disaient-ils, par de et d'anciennes traditions religieuses et philoso-
malheureusesconcessions. Ils niaient non-seu- phiques. Ce Verbe, ou cette sagesse, qui a été
lement la consubstantialité, mais toute analo- l'instrument de Dieu dans la formation et le

gie entre le Père et le Fils dans la Trinité gouvernement du monde, l'est devenu plus
divine : d'où leur nom d'Anoméens, ou dis- tard de ses desseins pour la réhabilitation de
semblables. Issus du même tronc, les Ariens l'homme, et, sans l'intermédiaire d'une âme
purs semi-Ariens se haïssaient les uns les
et les humaine, il s'est uni à un corps dans le sein de
autres autant qu'ils détestaient les Catholiques. Marie, et a formé ainsi Jésus-Christ. Tel est
Acace de Césarée, évêque sans foi, homme sans l'ensemble de la doctrine arienne ; ea voici le
pudeur Aëlius, smaoïaméV Athée, chaudron-
; détail.
nier d'abord, puis charlatan vendant des pana- Le Logos, ayantétécréé avant tous les êtres,
«
cées sur les tréteaux, enfin évêque de Constan- existaitavant le temps qui mesure laduréedu
tinople malgré les souillures de sa vie et le sang reste de la création mais il n'est pascoéternel
;

qui teignait ses mains*; Eunomius, son secré- à Dieu. Comme la création est une œuvre libre-
taire, son ami, l'émule de ses bassesses, qui ment décrétée de Dieu, et que le Logos a été
renchérissait sur les vices et les impiétés de son produit pour la création, il est l'effet de la vo-
maître, et qu'une intrigue arienne avait placé lonté libre de Dieu. Il n'émane pas de Dieu, au
sur lesiégeépiscopal de Cyzique ' ; ces hommes, sensdesGnostiques ;carDieuestunêtre parfai-
etquelques autres de la même valeur, gouver- tement simple. 11 n'en est pas engendré, au

nèrent tour à tour le parti qui prit successive- sens des Catholiques ; car la substance divine
ment le nom de chacun d'eux, du dernier prin- estincommunicable,et toute génération impli-
cipalement, carondisaitégalement£M?iomeews que une altération et une division de la subs-
etAnoméens. tance qui engendre. II est extérieur à Dieu, créé
Le fondement de l'Arianisme, dit le savant de Dieu, dans un ordre particulier et distinct,
évêque de Grenoble, est incontestablement ce il est vrai, mais fait de rien comme les autres
principe philosophique mi-païen, mi-gnosti- créatures. Etranger à la substance divine, il
que, selon lequel Dieu n'a pu créer le monde di- n'est ni bon par lui-même, ni indéfectible par
rectement et sans intermédiaire, soit qu'il fût nature; mais Dieu, prévoyant qu'il serait bon,
indigne de Dieu d'agir immédiatement sur des l'a investi de la gloire qu'il possède. C'est en ce
êtresaussi intérieurs, aussi imparfaits, soitqu'il sens seulement qu'il est immuable. Comme sa
n'eussent pas eux-mêmes été capables de sup- nature, sa connaissance est imparfaite; noa-
seulement il ne voit et ne connaît pas parfaite-»
' Bos9. dans Floq., t. 2, p. 521. — Boss., Déf., de la ttad., 1. 9, ment le Père, mais il ne connaît pas même sa
ch. 14, t. 5, p. 501, éd. de Vers.

' S. Grégoire de Nysse l'accuse d'avoir


eu part à la mort du préfet propre essence.
Domilien à celle de Montius, que Gallu» fit tuer en 354 ; Soît.,
et
t 4, c. 7 ; Tillem., t. 6, p. 409.
a De ces assertions, qui, comme on le voit,
' S. Bat. ad».
Emom., U 1 ; Tillem., t. 6, p. 501-512. sont rigoureusement enchaînées l'une à l'autre
CHAPITRE ONZIÈME. in
et ait principe primitif que nous avons indiqué d'une part, les païens enseignaient que le Dieu
comme en ét.int le fondement, résultent les for- suprême avait recours, pour la formation et le
mules suivantes, si célèbres dans l'antiquité gouvernement du monde, à des êtres impar-
ecclésiastique Dieu n'a pas toujours été Père;
: « faits, inférieurs, que nous devons honorer

mais Dieu était seul et il n'était pas Père». — comme Dieu et, de l'autre, Arius ne se sépa-
;

« Le Fils n'était pas toujours il était (im temps) : raitd'eux qu'en substituant à cette multitude
où il n'était pas ; il n'était pas avant d'ètie fuilo. d'êtres intermédiaires un seul Dieu de second
— « Le Logos nes[ pas proprement la raison, le ordre, formateur du monde et chargé de le
verbe, la sagesse même de Dieu. Il
y a deux ver- gouverner'.
bes et deux sagesses divines, l'un qui est incréé, A l'appui de leur système, Arius et ses secta-
l'autre qui est créé; Pun qui est proprement le teursinvoquaientune tradition secrète, apanage
verbe et lasagessede Dieu, Pautrequi n'en a que de quelques hommes supérieurs, élus de Dieu
lenom. Il y a même un grand nombre de ver- et favorisés de ses lumières, dont ils se disaient
tus et de verbes de Dieu, et le Logos, le Fils, les seuls héritiers elles vrais disciples. Atta-
n'est qu'une de ces vertus, un de ces verbes». chant une grande importance aux arguments
— par la mêmeriison, le Verbe n'est
Eiitin, empruntésàla raison :« Il est évident, disaient-
pas proprement le Fils de Dieu c'est par grâce : ils, que celui qui engendre doit précéder celui

qu'il est appelé Fils ; il est simplement une qui est engendré, et, par conséquent, si le Fils
chose faite et créée'..., était coéternel au Père, il faudrait plutôt le nom-
Malgré ces affirmations, qui tendaient à
a mer le frère que le Fils de Dieu. Le Fils, ajou-
contester la vraie filiation de la nature divine taient ils, existe ou par la volonté du Père, ou
de Jésus-Christ, les Ariens n'en persistaient pas sans sa volonté. Dans la première supposition,
moins à l'appeler le Fils de Dieu, le Fils unique il pourrait n'être pas; dans la seconde, on im-

de Dieu,et,ce qui semble le plusétonnant, Dieu, pose au Père une contrainte, on le prive de sa
Dieu véritable. Dieu parfait. Non contents de le volonté.Deplus,sileFilsesten tout l'image du
regarder comme le créateur de toutes choses, Père, il doit avoir un fils, celui-ci encore un, et
ils lui attribuaient parfois les attributs de la na- cela dansune succession sans fin «.C'étaient là
ture divine, et entre autres l'immutabilité. Tout leurs arguments familiers, parlesquelsilscher-
en professant qu'il n'était qu'une créature, ils chaient à populariser leur doctrine. Des esprits
déclaraient néanmoins qu'il devait être adoré légers, peu instruits, se laissaient embarrasser
comme Dieu, et ainsi, soit conviction systéma- et séduire par ces raisonnements philo -ophi-
tique, soit qu'ils fussent dominés par la force qucs, dont ils n'appréciaient pas le peu de soli-
de la tradition et par la coutume universelle que des textes de l'Ecriture,
dité'; d'autant plus
de PEglise, ils reconnaissaient la divinité de mal interprétés, semblaient donner aux ensei-
Jésus-Christ, et proclamaient que le culte di- gnements de la secte une consécration divine :

vin lui était dû '


». tels étaient, entre autres, ce passage des Pro-
Le système d'Arins sur le Fils de Dieu l'en- verbes,où la Sagesse dit Z,e Seigneur rrCa fon-
:

traînait là un système analogue sur le Saint- dée au comynencement de ses voies-; ou encore
Esprit car le Saint-Esprit, envoyé par le Fils,
; ceux-ci de saint Paul, où il a|ipelle le Christ le
devaitétre inférieur au Fils, autant queleFils, premier-né de la création, où il dit que c'est à
créé par le Père, était inférieur au Père, et ainsi cause de son obéissance jusqu'à la mort, que
« les hypostases du Père, du Fils, du Saint- Dieu l'a élevé et lui a donné tm nom au-dessus
Esprit, étaient par nature divisées, différentes, de tousles noms, et plusieurs autres, où le
séparées, étrangères et incommunicables l'une Sauveur lui-même déclare que tout lui a été
à l'autre, et même infiniment dissemblables donné par son Père '.
en substance et en gloire' ». Poussés à bout par la puissante argumenta-
Etcependant les Ariens n'hésitaient pasà dire tion des docteurs catholiques,condamnés parle
qu'ilsadoraient le Père, le Fils et le Saint-Esprit. concile de Nicée, les Ariens, sous le nom d'Eu-
D'où cette conclusion très-légitime que l'Aria- : sébiens, de semi-Ariens, distinguaient, subti-
nisme n'était, au fond, qu'une forme nouvelle lisaient, palliaient, et, par des équivoques, des
du polythéisme, un polythéisme simplifié; car, Mœlh., Athan. t. 1, p. 300; Ginoulh., Hiat. du dogm., t. 2,
p. 2G9;
209; lîitler., philosoph. chrét.,
Ritter., Hist. de la philosoiih. 1. 5, c. 2, sect. 1. —
•OinoolluM, Hiit. du dogm., t. 2, p. 260 et euiï. id., — ibid., ' Gmoulh.,
moulh., iiirf., p. 265.
ibid., ' —
'Alhan.,
Alhan., or. 1,2, 3;3 Ginoulh., Hist. du
r-'Ml. —
^ AUiao., or. 1, D. 6
j GinooUi., ibid., p, 281. ;m,,
dosai., t. 2(>9i; Mœlh., Atlian.
2, p. 269 Athan. t. 1, p. aïo.
1. i, aie.
118 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

finesses, des hypocrisies de langage et de con- poraire que celle du monde. Entre lui et le Père
duite, s'efforçaient d'éluder les décisions du nulle égalité, nulle ressemblance, nulle analo-
grand concile et d'envelopper la doctrine de for- gie, si ce n'est l'analogie de la volonté '.

mules à double entente propres à les couvrir, II y a opposition, disait encore Eunomius,

aux yeux des simples, d'une apparence d'ortUo- entre l'incréé et le créé, l'infini et le fini, à ce
doxie. La souplesse de la langue grecque les point que le contraire de ce qui est essentiel à
servait admirablement. Ils déclaraient le Fils l'un est le propre de l'autre. Donc, si l'éternité

semblable (ojKhoùsioç) au Père, en substance et en appartient au Père, la contingence est le par-


gloire, et anathématisaieut ceux qui osaient tage du Fils si l'essence vraie appartient au
;

dire, du Verbe, autre chose que ce que l'Ecri- Père, elle n'est que prêtée au Fils ; si le Père est
ture en dit' et lorsque, à force d'astuce et de
; infini, le Fils a des limites: il est né, il a com-
mensonge, ils avaient entraîné quelque pauvre mencé, il doit finir. Dieu seuln'a point d'origine
évêque surpris à signer une profession de foi et n'aura pas de fin ; mais le Fils, quoique dans
où ue flgurait pas le tant redouté c(iooùsis5, ils le sein du Père au commencement des choses,
croyaient avoir remporté sur l'Eglise une vic- n'existe qu'à parler improprement, et en réalité
toire capitale. n'existe pas '. Dieu ne peut lui départir son esr
un mépris souverain pour ces timi-
Affectant sence, et lui ne peut participer à Dieu ; le pré-

dités et ces subterfuges, Eunomius entreprit tendre, ce serait nier la simplicité et l'indivisi-
d'arracher l'Arianisnie aux voies tortueuses où bilité de Dieu '. Il est donc de la catégorie des
il étouffait sous le masque, et de lui rendre une créatures, et, comme elles, il doit rentrer dans
nouvelle vie en lui donnant une autre base. le néant, ln^t^ument de la volonté divine pour
L'élément gnostique, employé par Arius, lui créer les autres choses, il a été désigné avant
semblait trop contraire auChristJanisme il l'é- ; ne renferme en lui aucune espèce de
elles, et
carta donc, et ne voulut pour point de départ matière cependant il n'est passimple, puisqu'il
;

que le plus sévère monothéisme. produit le multiple ; il n'est pas éternel, puis-
Dieu, disait-il, est sans propriétés commesans qu'il n'est pas simple, et que son existence, liée
dimensions -; il n'a point de forme'. Au-dessus à celle du monde, n'a de raison d'être que dans
des noms, puisqu'il est incréé, la multiplicité la volonté libre de Dieu °.
des mots s'anéantit dans l'unité de son essence, Et malgré cela, par une contradiction déjà
que nul verbe ne peut exprimer '. Donc, le nom signalée dans son maître, Eunomius, qui regar-
de Père ne lui est applicable qu'improprement, dait le Fils de Dieu comme une créature, récla-
et sert tout au plus à indiquer le rapport transi- mait pour lui l'adoration comme s'il était Dieu ;
toire entre ce qui est produit par la volonté di- parce que, instrument de Dieu pour créer, il
vine et Dieu lui-même ^ Quant au Fils, il est avait en effet créé tout ce qui était au-dessous
l'instrument de la création, le créateur même, de lui, et que l'homme lui devait l'existence
sans lequel, nul mdividu dans le monde n'eût aussi bien que le monde. Ainsi, un même culte
pu ni être ni connaître ; car Dieu est simple était attribué à la créature et à Dieu, etl'on avait
d'unesimpIicitéabsolue,etnc'peutavoirqu'une raison d'accuser Eunomius de polythéisme'.
énergie simple comme lui-même. D'ailleurs, Il aux docteurs orthodoxes
n'était pas difficile
l'énergie de chaque chose doit avoir son corres- de ruiner cet échafaudage, car il reposait sur
pondant, et la production d'ouvrages différents une seule idée, la simplicité de l'essence divine.
accuse des énergies différentes. Donc, la créa- Or, en quoi le système catholique de la Trinité
tion des choses multiples qui composent le est-il contraire à la simplicité de l'essence di-
monde ne peut être rapportée àDieu. Simple et vine ? Evidemment une substance simple ne se
un, il avait besoin d'un intermédiaire pour compose pas de plusieurs substances, mais elle
créer le monde, et cet intermédi.iire, cet instru- peut renfermer plusieurs principes pourvu que :

ment créateur, c'est le Fils ; le Fils qui dérive ces principes ne soient ni des substances ni des
de la volonté, non de l'essence du Père, qui est fraclionsde substance. Lesraisonnements d'Eu-
un produit contingent et libre, une création, nomius, très-concluants contreles semi-Ariens,
non une émanation. Son origine concorde avec étaient sans portée contre les orthodoxes qui
l'origi ne du monde son existence est aussi tem-
; » Eunom., apol. 24-28; Greg. Nyss., conf. Eunom. Ij Ritter.,
Phil. chrét., t. 2, p. 68. —
' Gr. Nyss.,
eont. Eunom. 10 et 12. —
• Soc, 1. 1, c. 8. — Gr. Nyss., conl. Eunom. 12.
' —
Eunom,, ' ' Eunom., apol. 9. — * Jbid. 27; Greg. Nyss.
cont. Eunom, 11. -•
«pol. a. — ' Gr. Njss., cont. Emom. 12. ' —
Gr. ^'yss., ibid. iiuUr., Hist. de la f hU. cbcét., t. 2, p. 67.
CHAPITRE ONZIEME. 119

attribuaient une seule et même essence au Pore et intelligibles, et, sans s'arrêter même à la
et au Fils. procession du Fils, d'aspirer directement à la
Mais, répliquait le liartii dogmatiseur, non- connaissance du premier Etre, non dans ses
seuleniont la coexistence de plusieurs personnes énergies, mais dans son essence '. Car cette
en Dieu, mais celle de plusieurs attributs, est connaissance immédiate et parfaite de Dieu n'est
une négation delà simpiieitc divine. La bonté, pas réservée exclusivement à la vie future : c'est

la justice, la sagesse ne sont que l'essence di- un problème que l'homme peut et doit résoudre
\ine considérée sous divers aspects, des noms dès la vie présente^ Cequ'Eunomius formu-
divei's donnés à la même ce sence selon ses rap- lait par cette incroyable assertion : « Dieu ne
l)orts avec les objets extérieurs. Dieu n'a ni pro- saitde sa propre substance rien de plus que
priétés ni forme '. A l'objection que, la sub- nous; nous en avons une connaissance aussi
lance divine étant infinie, nul no peut dire claire que lui cequenousensavons,illesait;
;

qu'elle ne renferme pas en effet des i)rincipes ce qu'il en sait, nous le trouvons immuable en
divers qui ne soient ni des substances ni des nous ' ».

parties de substance, et que, pour oser le dire, Cette prétention est si étrange, que des théo-
il faudrait connaître parfaitement l'essence de logiens catholiques ont cru ' qu'elle avait été
l'Etre absolu : il répondait que Dieu peut être faussement attribuée à l'hérésiarque par ses ad-
compris par la raison comme il se comprend versaires, entraînés au-delà d'une exacte appré-
lui-même, et que c'est se montrer indigne du ciation par l'ardeur de la polémique. Mais outre
nom de chrétien, que de professer l'impossibi- les témoignages formels de saint Epiphane, de
lité de connaître la nature divine et la manière saint Grégoire de Nysse, de saint Jérôme', outre
dont le Fils a été engendré'. En vain, disait-il, que Socrate cite les propres paroles d'Euno-
le Seigneur a été nommé la porte, si personne mius, ce qui nous reste des écrits de celui-ci
ne peut entrer ni arriver à l'intuition du Père ;
ne permet pas le doute sur ce point. Il est vrai
en vain il est appelé la voie, s'il n'ouvre pas à qu'on trouve chez lui ces deux propositions qui
qui le désire une issue vers Dieu en vain on a ; semblent se nier l'une l'autre Dieu peut être :

prétendu qu'il était /a /îi/?»'ère, s'il ne manifeste parfaitement connu par la raison pure ;
— Dieu
pas à l'intelligence et le Très-Haut et lui '. ne peut être connu par l'homme, il estinexpri-
Eunomiusallaitplusloin:ilregardaitcomme mable. —
Mais on l'a remarqué à bon droit,
insuffisante la révélation de Dieu par le monde Eunomius distinguaiten nous une double con-
et par le créateur du monde, et voulait que la naissance de Dieu : l'une qui vient de l'Etre lui-
raison du croyant s'élevât au-dessus de la créa- même, fournie par la raison pure ; l'autre, qui
tion, au-dessus même du Fils, pour connaître a pour intermédiaires les énergies, les œuvres.
en elle-même, immédiatement, l'essence di- 11 les sépare strictement l'une de l'autre. Reje-
vine. Sans doute, le Verbe créateur est l'inter- tant la méthode ordinaire qui consiste à s'éle-
médiaire de notre connaissance, puisqu'il nous ver, au moyen de l'analogie, de l'œuvre à l'ou-
acréés, qu'il a créé la lumière, l'a communiquée vrier, du monde créé à la puissance créatrice
à ses disciples, et qu'il est la lumière véritable et à l'essence divine dont la notion, malgré les
qui éclaire tout homme dans le monde; mais lumières de la foi, reste toujours imi)arfaite, il

par-delà cette lumière, si véritable qu'elle soit, ne laisse subsister, comme satisfaisante, que la
ily a la lumière inaccessible du Père que rien connaissance immédiate de Dieu, et il déclare
de créé ne nousapporte. Les choses temporaires que celle-ci, dans toute son étendue, est au pou-
nousrévèlenl non l'essence
la volonté, l'énergie, voir de la raison pure '.
de Dieu phénoménal, non l'éternel. Les
; le Eunomius, du reste, avait conquis sa haute
noms mêmes des choses, quoique plus anciens position dans la secte, par son zèle ultra-sectaire
que les choses, quoique exprimant l'idée ou l'es- et son importance vaniteuse, autant qua par son
sence des choses, ne peuvent dévoiler à nos talent et sa réputation de savoir. Sorti on ne
yeux la simplicité éternelle et absolue de Dieu, sait d'où, il s'était attaché, après une jeunesse
antérieure et supérieure à toute dénomination.
de la phil. chrét., p. 69 et 70 ; Gr. Nyss., acl«.
C'est donc le devoir de la raison pure, de

Eilter., Hist.
Eunom. 12; Eunom., apol. 20. — ' iUd., p. (iO et 61.
Rilter., —
monter plus haut que tous les êtres sensibles '
Socr., 1. 4, c. 7. — ' Vasquez, in pari. iHspvt. 37, c. 3.
1 ' S, —
Epiph. Hier. 76; Greg. Nyss., (oc. cit. 12; Hieron. c. II. m
*
Eanotn., apol. 11. —
'Gr. Nyss., con(. Eunom.W.— ' Ibid.lO; S. Math.; Nat. Alex., Hist. eccl. t. 4, p. 53. — • Riuer., Hist. do
BjtWt., Hiit. de la pUl. cbrél., t. 2, p. 59. la phil. chiét., p. 61; Cieg. Nyss. adM. it'unom. U.
120 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

humiliée et orageuse, à Aëtius, et avait appris créature du Fils, comme le Fils celle du Père,
de lui l'art de torturer la parole et de manier le et faisait rebaptiser tous ceuxqui venaient à lui,

sophisme. Peu versé dans les lettres saintes, peu qu'ils vinssent de l'Arianisme ou de l'ortho-
dans les profanes, il s'était occupé de spécula- doxie. 11 baptisait par une seule immersion,

tions philosoi)hiques et en possédait assez bien tantôt au nom de la mort du Christ, tantôt au
la langue mais, malgré ses grandes préten-
;
nom du Père incréé, du Fils qui a été créé, et

tions et ses airs de haute portée intellectuelle, de l'Esprit sanctifiant creépar le Fils crééK Par
il n'avait rien de large dans l'esprit, aucune vue une réminiscence inexplicable de Marcion et de
supérieure, aucune puissance réelle de syn- Manès, il ne plongeait dans l'eau baptismale que
un homme plein de lui-même,
thèse. C'était la tête et la poitrine des baptisés, regardant le
beau parleur, argumentateur infatigable, se fai- reste comme impuret infâme. Etait-ce la même
sant écouter avec plaisir quoiqu'ayant un dé- préoccupation qui lui faisait dire qu'en Jésus-
faut de langue, mais chargeant son discours de Christ le logos et la nature humaine étaient

plus de mots que de choses. Sa taille, son geste, unis, non par la substance, mais par leurs fa-
ses traits ajoutaientau prestige de sa parole. cultés? llexagéraitAriuset Apollinaire. Disciple
Quelques taches sur son visage, signalées par d'Aëtius, il affectait un insolent mépris pour les
les Catholiques comme des traces de lèpre, re- prophètes et les apôtres, etrefusait àleurs écrits
levaient sa beauté aux yeux de ses fanatiques toute autorité. A ses yeux, le culte des reliques
admirateurs. La secte le mettaiten avant comme était une impiété et ses partisans, qui eussent ;

son plus grand orateur, et estimait ses écrits à voulu l'adorer lui-même, fuyaient avec horreur
l'égaldes évangiles. Les deux ouvragesque nous comme un lieu souillé, toute église consacrée
avons de lui ', les fragments qui nous restent aux martyrs*. Comprenant bien que pour faire
des autres, font peu regretter ce qui s'est perdu, secte, il faut plus que des subtilités et des ab-

et nous le présentent comme un écrivain pe- stractions,Eunomius rejetait la foi et les œuvres,
sant, confus, aspirant àla profondeur et n'arri- et enseignait que la connaissance du Père et du
vant qu'à l'obscurité \ Il acheva plutôt qu'il ne Fils conduit àla vie éternelle sans la vertu, et à
vivifia l'Arianisme. quelque faute qu'on s'abandonne '. Saint Jé-
Sa réputation d'éloquence était telle dans le rôme lui attribue la maxime des Epicuriens :

parti, que les Ariens de Constantinople, l'ayant Mangeons et buvons, 7ious mourrons demain '.
appelé à Cbalcédoine, sur la côte d'Asie, en face Au dire de saint Grégoire de Nysse, il avait in-
de la ville impériale interdite à leurs réunions, troduit dans la célébration des mystères des
une foule de gens traversaient la mer pour aller choses que la pudeur ne permet pas deracon-
l'entendre. On exaltait en tous lieux et au-des- ter*. Sozomène,au contraire, assure qu'il s'ef-

sus de tout son esprit et le charme de sa parole. forçaitde faire passer lesnouveautésde ses en-
La secte se flatta, qu'ému de ses éloges. Théo- seignements sous les apparences d'une grande
dose lui-même de connaître un
serait curieux sévérité.
orateur si renommé, et qu'ainsi l'Arianisme Les illustres Cappadociens, Grégoire de Na-
pourrait se montrer de nouveau avec quelque zianze, Basile, son frère Grégoire de Nysse, con-
faveur dans cette ville des Césars où il avait sacrèrent à la réfutation d'Eunomius d'admi-
silongtempsrégné. L'impératrice Flacilla, qui rables travaux le premier, dans quelques-unes
:

joignait les plus hautes vertus à la foi la plus de ses grandes homélies, le second dans un
pure, déjoua ses espérances et détourna l'empe- traité spécial, suivent pas à pas le sophisme dans
reur d'une démarche qui l'eût mis en contra- le dédale de ses subtilités, et discutent un à un
diction avec lui-même Eunomius reçut l'ordre : tous ses arguments. Eunomius attendit, pour
de quitter Cbalcédoine, et il fut enjoint aux répliquer, la mort de saint Basile; mais il se
Ariens de n'avoir plus à se réunir ni à la ville trouva inopinémentdevant unautre adversaire
ni à la campagne. plus redoutable peut-être, quoique moins re-
Du novateur attaquait le
reste, l'audacieux nommé. Plusjeuneet moins éloquent que son
système d'Arius presque autant que la doctrine frèi'e, mais plus instruit, plus versé dansl'étude
catholique. Il disait que le Saint-Esprit est la de la philosophie, Grégoire résolut de le ven-
* L'Apologie et la Foi.Oa a perdu, entre autres,
connaissance de la • Théod., hares. 1. 4, c. 3; Sozom., c. 6, c. 26 et 27, et 1. 7, c. 17;
Bepl livres rie commentaires sur l'épilre aux Rjiuains. Tillem., t. 6, p. 615. — ' S. Hier., adv. Vigil., t. 4, ait. part.,
' Socr., I. !, c. 7 ; Suîom., I. 3, c. -7 ; S. Uic. adv. nigil., t. 4, p. 280. — ' Nat. Alexand., loc cit.; Greg. Nyss., 11. — *
S. Hier.
ait. p. Ï85; Tillem., t. 6, p. 510. in Esech., c. 13, t. 3, p. 775. - ' Gr. Nyss., conl. Eunotn. 1, «te.
CHAPITRE ONZIÈME. 121

gcr, et reprit combat avec l'hérésiarque.


le Grégoire de Nysse, il ne s'applique qu'à établir
Dans Eunomius, où il
ses ilouze livres contre l'incompréhensibilitédelu nature divine. C'é-
déploie autant de pénétration que de savoir, tait là, en effet, le pivol de la discussion avec
aillant d'éli vation et de grandeur de vues que Eunomius, et tout l'échafaudage croulait de-
son antagoniste en avait peu, il se place sur le vant cette seule observation qu'il est une foule
teiniin de celui-ci, parle sa langue, et, resti- de vérités, admises de tous (lue la raison de
,

tuant aux textis de ILcriture leurs sens, aux l'homme n'explique ne comprend.
ni
termes scientifiques leur valeur, il montre que Cette thèse de l'impuissance de l'esprit hu-
ses raisonnements ne sont que des pétitions main à comprendre Dieu, à déterminer par lui-
de principe, et met à néant tout cet échafau- même son essence, est l'objet des cinq premiers
dage d'idées fausses, d'assertions sans preuves, discours contre les Anoméens. Jean ladéveloppe
de formules creuses, de contradictionSj qu'Eu- avec moins de méthode et de portée philoso-
nomius appelait son système. phique qu'Hilaire de Poitiers dans ses admira-
Abattus sous ses coups, les Anoméens furent bles livressur la Trinité, avec moins de vigueur
achevés par de Théodose. Il leur fut
les lois et d'élévation que Grégoire de Nazianze dans
interdit d'avoir aucune église, de tenir aucune ses célèbres théologiques, avec moins de pro-
assemblée, d'ordonner aucun évoque, de dis- fondeur et de savoir que Grégoire de Nyssedans
cuter en public aucune question religieuse. ses discours contre Eunomius mais certaine- ;

Mais les réunions clandestines remplacèrent ment d'une manière plus accessible au com-
les réunions au grand jour; et les mesures mun des intelligences, plus propre à faire im-
légales, sous lesquelles la secte déclina rapide- pression sur l'auditoire qu'il a devant lui, uni-
ment, ne l'empêchèrent pas de compter encore que objet de son zèle. 11 n'écrit pas pour les
de nombreux adeptes dans certaines villes, à doctes, il parle pour les masses; il veut, non pas
Antioche, par exemple, le pays d'Aëtius, où léguer à l'avenir un monument de science et de
était un évêque Anoniéen. talent,mais détruire, dans l'esprit de ceux qui
La renommée de Chrysostome attirait à l'é- l'écoutent, des sophismes devenus populaires à
glise même les dissidents, charmés d'entendre, force d'être répétés, affermir la foi des uns,
eux aussi, le grand orateur, dont la charité re- ébranler l'orgueil des autres, faire aimer la vé-
haussait si fort l'éloquence. Il remarqua leur rité; etc'est pourquoi, loin de s'abandonner au
assiduité mais craignant à'éloigner la proie
: Tol de sa pensée en laissantà terre ses auditeurs
qui courait d'elle-même au filet, il évita d'a- étonnés ou distraits, il demeure au milieu
bord toute allusion blessante pour cette classe d'eux, converse avec eux, ne songe qu'à eux.
d'auditeurs. Le stratagème lui réussit au-delà « Un homme a osé dire, s'écrie-t-il -.Je con-
de son espérance. Les Anoméens se laissèrent nais Dieu comme il se connaît lui-même. Est-ce
aller peu à peu à l'attrait de sa parole, si bien la peine de réfuter ? Est-ce la peine de prouver ?
eux l'ascendant natu-
qu'il eut bientôt pris sur Reproduire une pareille assertion, n'est-ce pas
rel d'un grand talent uni à une grande vertu. en découvrir toute l'absurdité ? Ce n'est pas au-
Dès que Jean se crut assez avancé dans leur tre chose, en effet, qu'une folie évidente, une
estime pour aborder la controverse sans les extravagance inexcusable, un nouveau genre
choquer, il attaqua la doctrine d'Eunomius, d'impiété. Personne jamais n'eut une telle
non pour humilier ses partisans, mais pour les pensée, ne tint un pareil langage. Songe, mal-
éclairer, non pour frapper des ennemis, mais heureux, qui tu es et quel est celui que tu
pour relever des blessés. Les armes que j'em- scrutes avec tant de curiosité Homme, tu t'in-
!

ploie, disait-il, qucrissent les blessures au lieu gères dans les choses de Dieu. Ces deux noms
d^en faire. Il fut d'ailleurs provoqué à la lutte rapprochés démontrent la grandeur de ta folie.
par les Anoméens eux-mêmes. Nous avons neuf « Vois ce ciel si beau, si grand, couronné de
homélies prononcées à cette occasion, non de ces innombrables chœurs d'étoiles.ll dure de-
suite et sans interruption, mais assez rappro- puis cinq mille ans, et cette longue existence
chées pour que dernière entendue servît de
la ne l'a pas vieilli il conserve à jamais la fleur
;

préparation à celle qui suivait. L'orateur atta- de la jeunesse. Eh bien ! ce Dieu que tu sou-
que par sa base le système d'Eunomius. Au lieu mets aux bornes de tes raisonnements, il a fait
de le suivre pns à pas dans le dédale de ses subti- cela, comme qui bâtirait une cabane, en se
lités, comme l'avaient fait saint Basile et saint jouant Compte les nations qui habitent la
.

m HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

terre : les Syriens, les Ciliciens, les Cappado- gnorance dans leur prétention de connaître
ciens, les Bythiniens, la Tiirace, la Macédoine, Dieu que dans l'aveu de notre ignorance. Sup-
la Grèce, les Iles, l'Italie, les Bretons, les Sau- posons deux hommes qui se disputent sur la
romates, les Perses, les Indiens, et tant d'autres grandeur du ciel. L'un dit Le regard ne peut :

dont nous ne savons pas même les noms. Et en embrasser l'étendue; l'autre affirme qu'il
tous ces peuples, dit le Prophète, sont en pré- le mesure de sa main je vous le demande, ;

sence de Dieu comme une goutte deau. Dis-moi quel est celui des deux qui vous semble avoir
quelle portion tu es de celte goutte d'eau, toi la plus juste idée du ciel? Celui qui prétend
qui prétends comprendre Dieu !... qu'il en sait la mesure, ou celui qui déclare
a Nous sommes ici-bas comme des enfants. l'ignorer? Et pourquoi, quand il s'agit de
Un enfantvoit, entend, dit beaucoupde choses; Dieu, n'aurions-nous pas la même réserve ' ? »
il n'en comprend aucune parfaitement. Ainsi Cette polémique, entremêlée de conseils et
de moi :beaucoup de vérités dont
je connais de félicitations aux orthodoxes, de paroles de
j'ignore la raison. Je sais que Dieu est partout, charité à l'adresse des dissidents, avait le plus
tout entier comment? Je ne le sais pas. Je sais
: grand succès. Les premiers applaudissaient; les

qu'il sans commencement,


est inengendré, autres revenaient avec plus d'affluence à cha-
éternelcomment ? Je ne le sais pas. La raison
: cun de ses nouveaux discours. Ils faisaient con-
humaine ne peut comprendre comment une naître d'avance leurs objections , auxquelles
substance peut exister quand elle n'a reçu l'orateur avait soin de répondre ; et il faut
d'elle-même ni d'un autre. Je sais que
l'être ni avouer que si les arguments de Chrysostome
Dieu a engendré un Fils comment ? Je l'i- : manquent quelquefois d'élévation et de portée,
gnore. Je sais que l'Esprit-Saint procède de lui : ceux de ses adversaires sont d'une inconce-
comment ? Je l'ignore. Je prends des aliments : vable faiblesse et indignes d'une sérieuse réfu-
comment sont-ils changés en sang, en bile, en tation. « D'après les Ecritures » , disaient-ils,

humeurs? Je l'ignore. Quoi! ces choses que « Dieu est esprit'^, donc nous connaissons sa
nous voyons, que nous faisons tous les jours, «substance» . A quoi l'orateur daigne répliquer :

nous en ignorons la nature, et nous prétendons « Mais les mêmes Ecritures parlant de Dieu l'ap-
scruter l'essence divine!... « pellent un feu, une source d'eau vive. Il sera
A l'appui de ces arguments, où l'orateur se donc dans son essence et feu, et eau, et es-
montre avec plus d'éclat que le théologien, «prit? Ne nous amusons pas à de pareilles
Chrysostome apportait des textes de l'Ecriture, «niaiseries, et, au lieu de discuter plus long-
précis et décisifs : tantôt ces paroles de Jésus- « temps avec de tels hommes, prions pour eux ;

Christ Personne ne connaît le Fils si ce n'est


:
« demandons avec ardeur qu'ils soient guéris

le Père, et le Père si ce n'est le Fils et celui à « de leur folie ce sera plaire à Dieu, qidveut
:

qui le Fils veut le réoéler ' ; tantôt celles-ci de a que tous les hommes soient sauvés et arrivent

saint Paul Dieu habite une lumière inacces-


: a à la connaissance de la vérité ' »

sible ; et ailleurs:
' profondeur des richesses Les derniers discours contre les Anoméens
de la sagesse et de la puissance de Dieu ! que sont consacrés à la consubstantialité. Ecrit?

ses jugements sont impénétrables, et ses voies dans l'Evangile, enseignée par les Apôtres, pro-
au-dessus de toicte investigation^ ! Ces textes et fessée, de siècle en siècle et dès l'origine du

d'autres, il les discute, les commente, et en dé- Christianisme, par tous les docteurs et par tou-
duit une démonstration à laquelle ses adver- tes les églises catholiques, éclairée récemment
saires n'ont rien à répliquer ou n'opposent que de la plus vive lumière par les magnifiques tra-

de pauvres objections, qui sont pour l'orateur vaux des Aihanase, des Hilaire, des Basile, des

un nouveau triomphe. « On me dit, s'écrie t il, Grégoire de Nazianze, des Grégoire deNysse,
que j'adore ce que j'ignore. — Certes, après solennellementetirrévocablement définie dans
avoir démontré par les saints que l'es- livres le grand concile de Nicée et consacrée désor-

sence de Dieu ne peut être parfaitement connue mais par un mot impérissable qui la résume
de personne, je devrais ne pas relever une atta- admirablement, la doctrine de la génération
que pareille. Mais puisque ce n'est pas la haine éternelle, de la parfaite divinité du Verbe, la
qui me fait parler, mais le désir d'éclairer nos
adversaires, monlrons-leur qu'il y a plus d'i- ' Chrys., Hom. 5, contre les Anom. n. 5. Nous renvoyons le lec-
teur à ces biîUes homélies qu'une rapide analyse et nos courtes cita*
* Matth. U. — '1 Ad Timoth, 1. > • Ad Ram., 11. ticDB ue peuveat taiie connaitre. — ' Joan., i. — ' Ai Timoth,, 'i.
CHAPITRE ONZIÈME. 123

avaitcu à soutenir une longue et ardente


lialité,
claires? Qui ne condamnerait ceux qui cher-

lutte, moins ncore contre les enseignements


t
chent si le Fils est consubstantiel au Père? Et,

que contre les intrigues, les ilissimulutions, les en effet, ils sont en contradiction non-seule-
violences de l'Ananisme aidé par le despotisme ment avec l'Ecriture, mais avec l'opinion géné-
im|>érial,donlils'étaitfait,à{orcede mensonges, rale des hommes et la nature des choses. Que
d'adulations et de servilisme, un protecteur ut l'engendré soit de la même substance avec l'en-
un instrument cl, toutefois,
;
c'est la remarque gendrant, cela se voit non-seulement pour les
de l'éminent historien du dogme catliolique, la hommes, mais pour les animaux, pour les ar-
secte lit plus de bruit qu'elle n'eut de succès. Le bres même. N'est-il pas absurbe, quand cette
loi subsiste imnmable dans les hommes, les
peui)le, qui ne comprenait rien à ses artifices
de langage, demeurait fidèle même sous des plantes, les animaux, de vouloir la mécon-
évoques ariens, et ceux-ci, d'ailleurs, étaient naître et la renverseren Dieu seul ? » '

moins nombreux qu'on serait tenté de le Certes, ce raisonnement qui pouvait satis-

croire. Les principales sympathies de l'Aria- faire un auditoire peu instruit, n'est ni bien

nisme lui vinrent de cette foule de mauvais concluant ni bien digne, et saint Grégoire de
chrétiens que l'intérêt, la politique, l'exemple Nyssenes'enfût pas contenté. Mais la discussion
du chef de l'Etat avaient poussés à embrasser se relève et devient sérieuse, quand elle roule
l'Evangile sans conviction, sans préparation, et sur les textes de l'Ecriture que l'orateur oppose
qui, restés, au fond de l'âme, incrédules ou in- à ses adversaires, ou que ceux-ci lui objectent,
différents à tous les cultes, étaient plus dis]iosés « Parce que le Fils est fils, disent les Anoméens,

à accueillir un système de croyances qui, dé- vous le faites consubstantiel au Père donc, :

pouillant le Christianisme de ce qu'il a de plus nous aussi nous sommes consubstantielsàDieu,


surnaturel, le mettait davantage à leur portée. car lui-même nous le dit dans les Ecritures :

Ce fut la faveur des princes qui fit la fortune de Vous êtes tous des dieux et des fils du Très-
l'Arianisme aussi, dès que cet appui lui man-
; Ilaut^.— impudent orgueil! répondaitChry-
qua, il tomba d'une chute énorme. Ses derniers sostome, ô souveraine folie Quand nous par- !

excès avaient précipité sa ruine. Un regard de lions de la substance incompréhensible de Dieu,


Théodose le fit rentrer dans le néant du moins ; ils s'arrogeaient ce qui est le propre de son Fils,

il ne fut bientôt plus qu'une ombre pâle de lui- et prétendaient connaître Dieu comme il se
même. Les Eusébiens, les semi-Ariens s'ingé- connaît lui-même. Et maintenant qu'il est
niaient, à qui mieux mieux, à se donner une question de la gloire du Fils unique de Dieu, ils

apparence catholique; et, quant aux Ano- s'eiïorcent de s'abaisser jusqu'à leur bassesse.
méens, après avoir ravi à la doctrine d'Arius Nousaussi, disent-ils, nous sommes fils, et nous
son caractère philosophique, ils ne tardèrent pas ne sommes pas pour cela consubstantiels à
à la dépouiller de ses formes chrétiennes, pour Dieu. — Insensé 1 les Ecritures t'appellent fils,

en faire une espèce de rationalisme incohé- mais tu ne l'es pas il l'est. D'un côté, ce n'est:

rent et grossier. Leurs arguments, chargés de qu'un nom de l'autre, c'est la réalité. On t'ap-
;

paroles, étaient, au fond, ce qu'on peut ima- pelle fils, mais non pas comme lui. Fils unique;
giner de plus vulgaire et de plus faible. mais tu n'habites pas le sein du /'ère; mais tu
Contre des adversaires si déchus, Chrysos- n'est pas la splendeur de la gloire, ni la figure
tome a peu d'efforts à déployer. 11 ne leur fera de la substance, ni la forme de Dieu '.
pas l'honneurd'une réfutation approfondie qui Le grand champ de bataille des Anoméens
passerait trop au-dessus de leurs chétifs raison- était dans ces passages de l'Evangile qui sem-
nements et de l'intelligence de ses auditeurs. blent indiquer une subordination du Fils au
a Nous demandons, a la môme
dit-il, si le Fils Père son langage, par exemple, au moment
;

vertu, la même puissance, la même substance où il ressuscite Lazare, ses prières au Jardin des
que le Père, ou plutôt nous ne le demandons olives et ailleurs. Jean discute ces passages, les
pas, car, par la grâce de Jésus-Christ, nous le explique, en démontre le vrai sens, en signale
savons et le croyons fermement; mais nous en grand et profond cxégète.
la portée,
voulons le démontrer à ceux qui ont l'impu- Le Verbe fait chair, dit-il, voulait confondre
«

dence de le nier. En vérité, j'ai honte, je rou- d'avance deux sortes d'hérétiques ceux qui :

gis d'aborder un pareil discours! Qui ne rirait


Anom., n. 2. — — Ai
' Chry». nom. 7, cont. les ' Ps. 81. '

de nous voir occupés à prouver des choses si Uehr., c. 1 ; Clirys., Uoni, 7, coût, les Anom., n. 2.
(24 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

nient sa parfaite divinité, ceux qui mettent en qu'ils n'avaient pas, mais s'était laissé entraîner
doute son incarnation. De là vient qu'il parle par l'ardeur de la controverse, jusqu'à nier la
tantôt en Dieu et tantôt en homme. S'il n'eût vision intuitive de Dieu dans le ciel. Nous
jamais parlé qu'en Dieu, on n'eût vu que le croyons que Vasquez s'est doublement trompé.
Dieu, et l'économie de la rédemption était mé- D'abord, des témoins contemporains, éclairés
connue. Mais en entremêlant les langages et et irrécusables, saint Epiphane, saint Grégoire
les rôles, il réfute par anticipation Marcion, Mâ- de Nysse, saint Jérôme attestent que la doc-
nes, Valentin, une foule d'autres, et il devient trine ' attaquée par le saint docteur était bien
clair pour tous qu'il s'est fait pas homme, non celle des Anoméens. En second lieu, n'est-il pas

en apparence seulement, en prenant la forme évident que celui-là n'a pas nié la vision intui-
d'un homme, mais en s'unissant véritablement tive, qui écrivait à son ami Théodore : a Pierre,
et réellement à la nature humaine. C'est pour- sur la montagne, n'aperçoit qu'une image
quoi vous le voyez tour à tour prédire sa pas- confuse des biens futurs, et la joie qu'il éprouve
sion en Dieu et la redouter en homme c'est ; à cette vue lui fait tout oublier. Que sera-ce
pourquoi, après avoir dit : Mon Père et moi quand la réalité nous apparaîtra, quand le pa-
nous sommes un, il s'écrie : Que votre volonté, lais du roi s'ouvrira devant nous, et qu'il nous

Père, soit faite, et non pas la mienne, mon- sera donné de voir le roi lui-même, non dans
trant ainsi en lui-même deux volontés c'est ; un miroir ni en énigme, mais face à face;
pourquoi encore il n'a pas revêtu l'humanité non plus par la foi, mais par la vision? »
dans la fleur de la vie, mais il a préféré naître, Ce que l'orateur d'Antioche refuse à l'homme,
passer par l'enfance, s'abreuver du lait d'une à l'ange, au séraphin lui-même, ce n'est pas la
mère, grandir et vivre longtempscomme nous, vision intuitive, mais la vision compréhensible,
afin que cette longueur même de son séjour sur laconnaissance adéquate de Dieu. Les mots
la terre et les circonstances qui l'ont accompa- dont il se sert à chaque instant dans cette con-
gné, prouvent sans réplique qu'il est homme troverse, limitent et précisent parfaitement sa
aussi réellement qu'il est Dieu *. L'homme pensée. Rien, ce nous semble, n'est moins
prie Dieu commande. Faut-il punir, récom-
: équivoque que ceci.
penser, remettre les péchés, porter des lois, Quand vous entendez, dit Chrysostome,
vous le verrez, non pas invoquer son Père,mais l'Apôtre s'exprimer ainsi Personne n'a jamais
:

procéder avec autorité. S'agit-il de guérir le vu Dieu, comprenez qu'il n'est donné à per-
paralytique? Prends ton lit et marche. De déli- sonne de connaître Dieu dans sa substance
vrer une âme du péché? Aie confiance, mon d'une manière complète... Et de même quand
fils, tes péchés te sont remis. De chasser le dé- le Prophète, parlant des chérubins et des sé-

mon ? Esprit mauvais, sors de cet homme. De raphins, affirme qu'ils n'ont pu supporter la
réprimer la fureur de la mer? Tais-toi, et fais vue de Dieu, il entend dire uniquement la
silence. De rendre la santé au lépreux? Je le connaissance claire et absolue, la compréhen-
veux, sois purifié. D'arracher une victime à la sion de la substance de Dieu' ».
movXlJeune fille, lève-toi. Déjuger le monde? Du reste, sur les lèvres de Jean, ces discus-
Venez les bénis démon Père... Allez, maudits, sions n'avaient ni sécheresse ni amertume. La
an feu éternel. ..^o'^qz comme il fait tout avec charité dominait la controverse. Il concluait la
une autorité souveraine. Il guérit les malades, plupart de ses discours par des paroles comme
pardonne les pécheurs, ressuscite les morts, celles-ci : « Parlez à vos adversaires avec modé-
commande aux tempêtes, donne le ciel, con- ration et mansuétude. Leur erreur a son prin-
. .

damne à l'enfer, fait trembler d'un mot les dé- cipe dans l'orgueil ils sont malades d'une en-
:

mons eux-mêmes. N'est-ce pas d'un Dieu *? » flure de l'âme... Or, une plaie accompagnée
Un théologien catholique, le P. Vasquez ', a d'enflure ne supporte pas un contact trop rude,
prétendu qu'en combattant, dans ses adver- et lesmédecins emploient pour la laver une
saires, la prétention de connaître Dieu comme éponge douce. Faisons comme eux, ayons re-
il se connaît lui-même, Chrysostome non-seu- cours à l'éponge imbibée d'une eau salutaire, et
lement leur avait prêté une opinion absurbe ne touchons que d'une main délicate à ces bles-
' Chrys., Hom. 7, cont. les Anom., pamm. Des passages de ce sures faciles à irriter. Si les malades vous inju-
discours ont été cités dans le sixième concile général. — * Chrys.
Bnm. 10, cont. Us ADom. n. 3. — '
Vasq., Disput. 37, in 1 P. S. ' Epipb. hœr. 76; S. Greg. Nyss., ndv. JBunom. I2j S. Hier;, fa
Thom., c. 2. cap. U, S. Math, —
= Qlirys., Èom, cont. les Anom., passim.
.

CHAPITRE ONZIÈME. 125

rient, vous repoussent, ne vous décourafrez pas mes, que vous n'ayez le droit d'espérer pendant
pour leur colère même les rend jjIus di-
cela : les divins mystères?... Alors les anges se pros-
gnes de pitié... Et prions Dieu qui aime les ternciitdevautleSeigncur,Iesarchangcs mêlent
iionimcs, qui veut (|uc Unis se sauvent, que leurs prières aux vôtres : c'est pour eux le temps
tous arrivent à la connaissance de la vérité, favorable, l'oblation puissante. De même que
prions-le, supplions-le de les délivrer de l'er- pour obtenir des rois un acte de clémence, on
reur et des pièges du diable, et de les ramener les aborde une branche d'olivier à la main ;

à lalumière de la science ' ». ainsi les esprits célestes, au lieu de rameaux

En combattant l'hérétique, Clirysoslome songe symboliques, présentent le corps du Seigneur,


au fidèle. L'intérêt des âmes prime tout à ses et en son nom prient pour la nature humaine,
yeux. On le voit s'arrêter au milieu d'une argu- comme s'ils disaient Nous vous supplions. Sei-
:

mentation chaleureuse, pour signaler un abus, gneur, pour ceux que vous avez daigné aimer
rappeler un devoir. Il avait remarqué, par jusqu'à livrer votre vie pour eux; nous vous
exemple, qu'à peine le discours liai, les audi- supplions pour ceux en faveur de qui vous avez
teurs sortaient sans attendre que l'office divin ré|)andu votre sang, immolé votre corps ici

fût terminé. Nous prions chez nous, disaient- présent '


»

ils. — Vous vous trompez vous-mêmes, ré- De vifs applaudissements accueillaient ces pa-
pond Chez vous, sans doute,
le saint orateur. roles. Le lendemain l'église était comble, et
vous pouvez prier, mais non avec la même effi- l'orateur interrompit sa controverse avec les
cacité que dans l'église, d'où la prière s'élève à Anoméens, pour féliciter et remercier l'audi-
Dieu comme le cri unanime de tout le peuple. toire. Mais souvent il avait à prendre le ton sé-
Seul, tu ne seras pasaussi bien exaucé que dans vère pour obtenir unetenue convenable, même
l'assembléede quelque chose
tes frères. Il ya ici dans les moments les plus solennels de la litur-

de plus, savoir l'union des âmes, le lien delà


: gie, quand leSoyez debout et
diacre criait :

charité, et la prière des prêtres. Les prêtres pré- attentifs ! si compacte, que
Parfois la foule était
sident afin quelesprièrcspUisfaiblesdelamuI- les filous trouvaientle moyen d'yexercer impu-
litude,uniesà leurs invocations plus puissantes, nément leur industrie. Jean invite les fidèles à
montent ensemble au ciel. Que sert le discours se débarrasser de leur bourse,avant d'entrer au
sans la prière? La prière d'abord, le discours saint lieu '.

ensuite. Pour prouver ce que peut une prière La polémique conlrelesAnoméens marchait
faite en commun, je vous citerai un exemple de pair avec une autre, à laquelle Chrysostome
emprunté à l'histoire contemporaine. Il y a dix semble attacher plus d'importance et se livre
ans, vous ne l'avez pas oublié,onsaisitquelques avec plus d'ardeur. Centre animé et célèbre
hommes qui aspiraient à s'emparer du souve- d'un vaste commerce, Antiocbe avait attiré dans
rain pouvoir. L'un d'entre eux,personnageémi- ses murs, depuis des siècles, une foule de Juifs.
nent, convaincu de son crime, était traîné au Ils formaient une partie notable de sa popula-
supplice,une corde à la bouche'. La ville s'é- tion. C'estparmieuxque Paul etBarnabéavaient
meut, chacun quitte son travail, le peuple se recruté les premiers disciples de l'Evangile,
précipite à l'hippodrome, et l'on arraclie à la ceux qui eurent l'honneur de porter les pre-
vengeance del'empereur le coupablequi ne mé- miers le nom de Chrétiens: mais l'obstination
ritait pas le pardon. Ainsi vous procédez quand et le fanatisme d'un grand nombre étaient pour
ils'agit d'apaiser un roi de la terre, vous accou- l'Eglise un danger permanent, dont le pasteur
rez tous ensemble avec vos femmes et vos en- s'inquiétait avec raison. Et, eu effet, malgré les
fants et quand il s'agit du Roi des cieux, de
; diCférencesprofondesquiséparaientle Judaïsme
TOUS le rendre propice, d'arracher à son juste de l'Evangile, il y avait entre les deux de tels
courroux non pas un pécheur, ni deux, ni trois, rapports, une telle parenté, que des fidèles no-
m cent, mais tous les pécheurs de l'univers... vices et peu instruits en étaient troublés. Ils en-
TOUS ne prenez pas la peine de vous déranger, tendaient lire elchanter à l'égliselesproiihéties,
de vous réunir, pour que Dieu, touché de votre lespsaumes qu'on lisait, qu'on chantait à la sy-
concorde, vous fasse grâce, à eux et avons 1... nagogue; ils voyaient leurs prédicateurs citer,
El qu'y at-il d'utile à votre salut, mes bien-ai- célébrer avec vénération les livres, les person-
nages, les symboles vénérés des Juifs; ils sa-
* Cbryi. Bom. conl. les Anom. 2. n. 7,
' Usage du temps pour cm|iècber les coodannii de parler. • Chrys., nom, 3, o. 7. — 'Cbrys., tfosj. 4, cont.lesAnom.n.ô,
.

126 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.<

vaient d'ailleurs qnr, disciples du Christ et de reux, s'écrie-t-il, et très malheureux, eux qui
Moïse, les uns et les autres s'accordaient dans ont rejeté les dons célestes qu'ils avaient dans
l'adoration d'un seul Dieu, que la lumière de leurs mains. Pour eux, tout d'abord, le soleil

la foi était venue de Jérusalem apportée par des de la justice s'était levé, et ils ont repoussé ses
circoncis, et que plusieurs des fêtes chétiennes rayons ils se sont assis dans les ténèbres. Et
:

avaient pris le nom des fctes juives : c'était plus nous, dont les ténèbres étaient le partage, nous
qu'il n'en fallait pour produire dans ces esprits avons attiré la lumière à nous, nous avons se-
faibles une confusion malheureuse et les incli- coué la nuit de l'erreur, llsétaient le rameau de
ner à judaïser. On les voyait fréquenter les en- la racine sacrée, et ils ont été brisés ; nous, nous
fants d'Israël, prendre part àlcurs assemblées, ne tenions pas à celte racine,et nous avons porté
à leurs cérémonies, à leurs jeûnes, et mémo des fruits de piété. Ils ont lu les prophètes dès

faire aveceux Pàque, sous prétexte que le


la l'origine, et ils ont crucifié Celui qu'annon-
Seigneur avait ainsi, et s'était soumis à
fait cèrent les prophètesnous, qui ne savions pas
:

toutes les prescriptions de la loi. Ils allaient se un mot dos Saints Livres, nous l'avons adoré:
prosterner dans les synagogues, y chercher des Oui, ils sont malheureux d'avoir laissé prendre
oracles, yprêterdes serments, etilleursemblait par d'autres les biens qui leur étaient envoyés,
qu'un engagement juré sur Icslivrcs saints des et vraiment malheureux des hommes ;
les plus
Juifs était plus solennel et plus inviolable. Un car ils au
n'ont jamais su que tourner le dos
jour, Jean lui-même rencontra une pauvre salut, méprisant laloi quand il fallait l'observer,
chrétienne que, malgré ses protestations et ses s'obstinantà l'observer quand elle n'existeplus,
pleurs, un impitoyable créancier traînait à la aussi coupables par l'obéissance que par la
synagogue pour lui faire jurer ce qu'il voulait. transgression * ».
Le prêtre indigné vint à l'aide de la victime et Maistout à coup le ton change, la voix devient
la délivrade son oppresseur. Mais s'étanten(|uis acerbe, les accusations s'accumulent, etl'on di-
du motif de celte violence exercée par un chré- rait qu'il se plaît à traîner dans la boue les
tien sur une femme de sa religion, et de cette restes déchus d'une race si grande et si mal-
idée aussi absurde que coupable chez un ado- heureuse, a Leurs jeûnes, accompagnés de
rateurdc Jésus-Christ, de choisir comme le lieu danses ridicules, sont pis que des orgies; leurs
le plus saint l'antre desennemis de son Dieu, fêtes tumultueuses sont impures et abomina-
il apprit que ce honteux préjugé était uneopi- bles leur synagogue est un lieu de débauche,
;

nion générale à Antioche. un antre de voleurs et de bêtes fauves, l'au-


A cette révélation, une grande honte saisit berge des démons ils y emmènent des troupes;

l'âme de Chrysostome. Il n'avait pas mesuré de femmesperdues, d'hommes infâmes, ce que


jusqu'à cette profondeur l'ignorance dont il le théâtre a de plus vil. Aucun Jui f n'adore Dieu
étaitentouré mais s'affermissant par la charité
; Ils ne connaiss'mt pas le Père, ils ont crucifié

contre le découragement, il résolut d'attaquer le Fils, ils repoussent le Saint-Esprit. Ils sont
au plus tôt, dans leur source, ces déplorables riches,mais intrigants, querelleurs, supersti-
abus. De là, les huit discours contre les Juifs, tieux ils trafiquent de la crédulité publique au
;

prononcés à quelque distance les uns des autres, moyen d'amulettes et d'enchantements pour
et dont le premier dut l'être au mois d'aoûl386. guérir tous les maux; brocanteurs, vils mar-
Ce sont les philipiques de Chrysostome on y : chands, hommes sans conscience, ennemis de
trouve la dialectique et la véhémence de Dé- Dieu, quels crimes n'ont-ils pas commis ? Ils
mosthène avec quelque chose de la manière de ont misa mort leurs prophètes, immolé au dé-
Cicéron dans ses réquisitoires contre Verres. mon leurs fils et et leurs filles, foulé aux pieds
Le but immédiat de l'orateur est d'éloigner toutes les lois de la nature. On ne saitce qui
les Chrétiens desobservances judaïques. Aussi l'emporte chez euxde l'i mpiété ou de la cruauté.
coups redoublés sur les Juifs, et, en
frappe-t-il à Ils ont dépassé en luxure les animaux eux-
dépit du prestige qui les entoure et des mer- mêmes. Chacund'eux, dit le Prophète, apour-
veilles de leur histoire, il les flagelle de sar- suivi avecunepassioii furieuse la femme desnn
casmes,les poursuit d'invectives; le? analhèmes prochain. Adonnés au ventre, avides de biem
de leurs proiihètes n'eurent rien de plus ter- présents, ils ne sont supérieurs en rien aux
rible. Quelquefois cette immense infortune le porcs et aux boucs, tant ils sont lascifs et gouf;

touche, sa yoix s'attendrit, o Ils sout malheu- * Chrjri., Som. 1, contr. les Juifs, n. l;
CHAPITRE ONZIÈME. 127

mands! Us ne savent qu'une chose, être esclaves de la vertu ceux qui résistent à cet attrait.
de leur gloutonuLTie, s'eiiiM'er, se battre pour « Courage, serviteurde Jésus-Christ, athlète de

des ilanseurs, se blesser les uns les autres pour la piété, homme inébranlable, tu as préféré
dos cocluTs; leurs àuies sont la demeure des souffrir que de trahir
la foi au jour de Dieu ;

démons. Si ou voulait raconter leurs rapines, tu seras accueilli avec les martyrs. Et toi aussi,
leur avarice, leurs trahisons, leurs misérables tu t'es dévoué à la mort, plutôt que de te
industries, un jour n'y suffirait pas ». souiller par ces impiétés d'enchantements et
Ce langai,'e, si choquant pour nous, excitait à d'amulettes'... Mais, poursuit-il, pouvcz-vous
Anlioche les plus vifs applaudissements. « Et croire que le démon vous guérira? Écoutez ce
c'estavec de pareilles gens, s'écriait l'orateur in- que dit de lui Jésus-Christ : Il était homicide
digné, que vous voulez prier et jeûner eux qui 1 (lès le commencement. Quoil Dieu le traite

ont demandé la mort de votre Sauveur! eux qui d'homicide, et tu recours à lui comme à un
disaient: Crticificz-lc, crucifiez-lc! Qaesonsang médecin! Que toutcelaest absurde! Les démons
retombe sur nous et sur nos enfants ! Si vous savent tendre des pièges, faire du mal: ils ne
saviez que tels ou tels sont condamnés pour savent pas guérir. Ils ravagent l'âme, et tu crois
crime de haute trahison, voudri-iz-vous vous qu'ils s'intéressent au corps! ils travaillent à te
mettre en rapport avec eux? Oseriez-vous leur ravir le bonheur, et tu veux qu'ils s'attachent à
adresser la parole? Je ne le crois pas. N'est-il te soulager dans les maux' !... Garde-toi donc I

donc pas absurde de fuir avec tant de soin des mon ami, de te laisser entraîner parées impos-
hommes coupables envers un homme, et de tures. Reste ferme dans la crainte de Dieu... Si
faire alliance avec ceux qui ont outragé Dieu elle ne t'arrête pas, crains au moins les Juifs. De

lui-même? Vous adorez le Crucifié, et vous quel œil oses-tu les regarder? Qu'oses-tu leur
allez partager les fêtes de ceux qui l'ont attaché dire, toi qui fais profession du Christianisme
à la croix Ce n'est pas
! folie seulement, c'est la et cours implorer leur aide? Ne vois-tu pas que
plus extrême folie. tu deviens pour eux un objet de risée, et qu'au
oLa synagogue est vénérable, dites-vous, car fond de leur cœur, si ce n'est ouvertement, ils

on y garde les livres de la loi et des prophètes. se moquent de toi et te méprisent?


— Quoi ! des livres confèrent-ils à un lieu la «J'emprunte les paroles de Moïse, disait l'o-
sainteté?Pour moi, j'en déteste d'autant plus la rateur en terminant l'une de ces homélies, et
synagogue car ils ont des prophètes et ils n'y
: je prends à témoin contre vous aujourd'hui le
croient pas; ils ont des livres sacrés, et ils en ciel et la terre^. Si quelqu'un des nôtres, ab-
repoussent le témoignage. Supposez qu'un sent ou présent, fréfiuente la synagogue des
homme distingué, honorable, soit traîné dans Juifs, s'il participe à leurs jeux, à leurs sabbats,
un cabaret,dansun antre de voleurs, pour y être à leurs fêtes, qu'il sache que je suis innocent
accablé d'injures et de coups, voudriez-vous de sa perte. Au jour de Notre-Seigneur Jésus-
fré(iuenter ce cabaret, cet antre, parce que cet Christ, ces enseignements nous seront rappelés,
homme honorable y a été bafoué et insulté? à vous et à moi. Si vous avez obéi, ils seront
Vous le fuiriez, je pense, d'autant plus. Qu'im- pour vous un grand motif de confiance. Si vous
porte donc que les Saints Livres soient gardés avez désobéi, si vous avez protégé, en les ca-
à synagogue ? Au temps des persécutions,
la chant, ceux qui osent de pareilles choses, vous
les bourreaux tenaient dans leurs mains les n'y trouverez que de terribles accusateurs; car
corps des martyrs ils les frappaient, les dé-
; je n'ai point néfjligé de vous faire connaître les
chiraient à coups de lanières. Leurs mains ordres de Dieu *. A vous maintenant de cultiver
étaient-elles saintes pour avoir touché les le trésor qui vous a été confié, et de faire servir
corps saints'?.... d le fruit de ce discours au salut de vos frères' ».
Chose étrange, et qui prouve combien ces Le peuple qui suivait avec un intérêt soutenu
Chrétiens de fraîche date étaient encore igno- cettepolémique ardente, se rendit aux argu-
rants et superstitieux! ils allaient aux syna- ments, aux prières de l'orateur, et rompit ses
gogues pour s'y faire guérir de leurs maux au absurdes relations avec les ennemis les plus
moyen de procédés surnaturels. Chrysostome acharnés de sa foi. Les Juifs, confondus, n'en-
est obligé de combattre sérieusement ce pré-
jugé ridicule. Il loue, il exalte comme des héros ' Chrys., nom. 8, contr. les Juifs, n. 7.— ' W., Hom. 1 el g contr.

les Juifs. — * Deuter. 30. — ' Act. 10. — ' Clu;s . Hom, 1, r.opu,
' Chijt., liatt. 1, coalr, lea }\uit, a, 5, lea Juifs, n, 8.
128 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRXSOSTOME.

traînèrent personne, celle année du moins, et accomplies, pourquoi cette obstination impu-
furent contraints de faire leur pâque entre eux. dente et vaine? Où sont maintenant vos céré-
Chrysostome, dès le cinquième discours *, cé- monies augustes, et votre souverain pontife, et
lèbre ce triomphe avec un pieux orgueil. Mais la robe d'hyacinthe, et l'épbod, elle ralional?

il y avait un autre but plus élevé: ruiner les Ne me donnez pas pour vos patriarches, ces ca-
bases du Judaïsme; et ce but, il le poursuit avec baretiers, ces marchands, ces hommes pleins
autant d'ardeur que d'éloquence. Ici son accent d'iniquité I Y a-t-il un prêtre, dites-moi, quand
s'élève, sa logique est pressente accumule ; il il n'y a ni sacrifice, ni autel, ni culte, quand
les autorités et les arguments pour démontrer l'ancienne onction et les cérémonies saiates
à ces enfants dégénérés de Jacob que les oracles n'existent plus '
? »
sontaccomplis, que le Messie attendu est depuis Chrysostome rappelle la destruction du tem-
longtemps arrivé, que dès lors leur mission est ple, et les efforts impuissants tentés plusieurs
finie, leur histoire close, qu'ils n'ont plus de fois pour l'arracher à ses ruines ; mais il insiste
raison d'être, ni comme société religieuse, ni particulièrement sur les prophéties qui an-
comme peuple, et par conséquent plus de chef, noncent un nouveau culte répandu sur toute la
plus de sacerdoce, plus de patrie; tandis que terre, et établit, dans un magnifique langage,
l'univers tout entier se courbe avec empresse- que ce sacrifice pur dont parle Malachie, et qui
ment sousle sceptre adoréde celui qu'ils ont mis doit être offert en tous lieux, du lever du soleil
à mort. A
argumentation si simple, mais
cette jusqu'à son coucher, est l'hostie spirituelle des
si puissante, ses adversaires ne pouvaient rien Chrétiens, remplaçant à jamais les sacrifices
opposer car elle avait pour pivot leurs livres
: sanglants et l'oblation isolée d'un peuple, par
sacrés, ces textes immortels, où des hommes, l'offrande unanime et sainte de l'humanité.
objets de leur plus grande vénération, ont re- D'où il conclut que la destinée de la nation
tracé d'avance les destinées d'un peuple dont les juive est finie, et que le judaïsme n'est plus
fautes et les malheurs les touchaient si profon- qu'une lutte coupable contre la Providence qui
dément.Ces prophètes, disailChrysostome,vous a brisé anciennes barrières, et convié tous
les
ont prédit diverses épreuvesqui toutes devaient les hommes à la vérité et au salut.
être suivies de glorieuses restaurations, et les Il est vrai qu'à côlé de ce judaïsme si rude-
événementsontdonnéraison sur tous les points ment traité par l'orateur, un autre s'était formé
à la prophétie. Or, ces mêmes oracles, si vrais sous l'influence de la philosophie, s'efTorçaut de
dans leurs prévisions, vous ont annoncé une concilier Moïse et Platon, et de créer ainsi
dispersion suprême et sans retour, une pros- comme un nouveau terrain, où philosophes et
cription éternelle : ils en racontent les cir- peuples pussent se rencontrer dans pure ado-
la
constances, ils en fixent l'époque ; et l'orateur ration d'un seul Dieu Mais si . l'exégèse de Philon
rappelle les paroles célèbres de Daniel Après : ralliait à son drapeau un certain nombre d'es-
soixante et dix semaines, l'onction sainte sera masse des Juifsrestait la même,
prits cultivés, la
abolie ; on ne rendra plus de jugement dans attachée à ses vieilles observances, enfermée
Jérusalem : un peziple avec son chef détruira la dans l'Ancien Testament, et nourrissant d'espé-
ville et le sanctuaire; tout périra comme dans rances obstinées son fanatisme étroit et jaloux,
un déluge, et la désolation s' étendra jusqu'à la sa haine implacable du nom chrétien. C'est à
consommation des siècles. Il discute, il com- ceux-là, comme aux plus nombreux, que Chry-
mente ces paroles ', et s'écrie : « Si tout ce qui sostome s'adresse, et ses discours ont autant
est prophétisé ici n'est pas arrivé, vous n'êtes si d'actualité que de force.
pas aujourd'hui dégradés, dépouillés de tous les Il n'en avait pas clos la série, quand il publia
privilèges de vos pères, si votre ville n'a pas été son livre de la Divinité de Jésus-Christ contre
renversée, votre temple détruit, si vos mal- les Juifs et les Gentils. « Laplupartdes hommes,
heurs ne sont pas au-dessus des calamités les dit-il,ou paresse, ou préoccupation de leurs
plus tragiques, ô Juifs 1 moquez-vous de mes affaires, ou peut-être ignorance, aiment peu les
discours. Mais si les faits eux-mêmes parlent longs discours. Je veux donc leur en épargner
hautement, si les prédictions des pi ophètes sont l'ennui, tt, pour qu'ils se portent à cette lecture
avec plaisir, me réduire à peu de mots. Laissant
' Ca discours, un des plus beaux de Clujrsoslome, long «t
animé
fut de côlé toutes les parures du langage, je m'aj
; il y contracta un enrouement.
' Cbi)>s., dise, i c«Btr, l«i Jvib. \ Çtic;s., Umi 6> coatr. lu Juif?, n. s.
.

CHAPITRE ONZIEME. 139

dresserai aux esclaves, aux laboureurs, aux est le même qui avatt dit Qtie le ciel existe!:

matelots, aux servantes, et m'appliquerai à que la lumière soit ! et qui d'un mot a créé le
être aussi simple que court, afin tiu'on puisse ciel, la lumière et tout ce qui est ».

me compremiro sans elTort et tirer de ceci Celte démonstration avait quelque chose de
quelque fruit. C'est avec les partisans de l'ido- particulièrement saisissant pour des hommes
que j'engage d'abord le combat».
làtric encore voisinsdela naissance du Christianisme,
ClirysostomeentreprenddeprouverauxGen- et presque contemporains de cette transforma-
tils la divinité de Jésus-Christ. Or, les Gentils tion merveilleuse du monde. Chrysostome la
repoussent également et l'Evangile et les pro- reproduit plusieurs fois, et toujours avec une

phètes. Par où les convaincre? Par un fait grande magnificence oratoire. Mais à cause des
avoué de tout le monde, que nul ne puisse con- Juifs, il insiste sur les prophéties, et le fond de

tesler.Ce fait, c'est l'existence du Christianisme, son livre est un rapprochement soutenu entre
c Est-ce un homme qui aurait pu, en si peu de les oracles de l'Ancien Testament et les événe-

temps et malgré des oppositions de toute na- ments qui leur répondent dans le Nouveau.
ture, pénétrer le monde de sa pensée, l'élever à Saint Athanaseafaitquelque chose d'analogue
de si grandes choses, quand ce monde était en- dans son Traité de l'Incarnation; mais Atha-
gagé depuis tant de siècles, et si profondément, nase est plus nerveux, plus profond; il écrit
dans l'erreur et le mal ? Jésus-Christ a persuadé pour des lecteurs d'élite. Chrysostome est plus
aux nations de renoncer à la religion de leurs éloquent; il écrit ou il parle pour tout le
pères,à leurs lois, à leurs habitudes si anciennes monde. Il prend donc ce qu'il y a deplussail-
et si enracinées, pour adopter de nouvelles lant dans les prophètes, etle montre accompli
mœurs, les vertus les plus difficiles ; et il l'a fait avec tant d'exactitude, avec une vérités! frap-
pendant que de toutes parts on se déchaînait pante, dans la personne de Jésus-Christ, par
contrelui, après avoir subi un supplice infâme, sa naissance, par ses abaissements, par sa
une mort ignominieuse. Personne n'osera Je mort, par la diffusion de son Evangile, qu'il
nier : les Juifs ont crucifié Jésus-Christ, et ce- est impossible de ne pas voir, dans l'établisse-

pendant l'Evangile s'est répandu sur la terre; il ment du Christianisme, la réalisation de la


grandit chaque Jour il pénètre chez les Bar-
;
plus grande pensée de Dieu. Quoi de plus
bareSjjusque dans la Perse,qui donne à l'Eglise propre à manifester la divinité de Jésus-Christ
des essaims de martyrs. Et tout cela s'est ac- que les prophéties faites par lui-même et si
compli, non par les armées, non par les ba- visiblement accomplies sur Jérusalem?
tailles, non par la puissance de l'argent, mais « Voyez-vous tout cela ? s'écriait le Sauveur

au moyen de onze hommes, sans naissance, en montrant le temple du doigt, en vérité, je


sans lettres, sans nom, pauvres, méprisés, dé- vous le dis, il n'etirestera pas pierre sur pierre^
chaux, n'ayant qu'une tunique, ne parlant pas Nulle part ce temple n'avait de rival, ni pour
même la langue de leurs auditeurs, pêcheurs la beauté de l'édifice, ni pour la magnificence

de poisson, fabricants de tentes. Temples, au- du culte. Les Juifs s'y rendaient de tous les
tels, sacrifices impurs, ils ontbalayé tout cela, points de la terre pour y porter leurs offrandes
comme le vent balaie un peu de poussière ou et le décorer de toutes les richesses de l'univers.
de fumée, et, en dépit de toutes les haines, en Aucun monument n'avait la célébrité de celui-
dépit des rois et des peuples, ils ont entraîné là. Une parole du Christ l'a réduit en poudre.

l'univers à se prosterner devant le Crucifié. On Ce saint des saints, où le grand-prêtre seul en-
les a traités comme les ennemis communs du trait une fois l'an, avec la robe d'hyacinthe, la

geure humain, eux et leurs sectateurs on les a ; mitre sur la tête, dans la pompe la plus au-
incarcérés, exilés, bafoués, coupés par mor- guste aujourd'hui des prostituées, des infâmes
;

ceaux, livrés aux flammes, aux bêtes, aux plus le il en reste à peine assez
foulent aux pieds, et
affreux supplices ; et le monde, qui les repous- pour indiquer la place où il fut. Voyez-vous
sait, a partagé leur croyance. Le sang des cela? Ce que le Christ a élevé, nul ne peut le
Chrétiens coulait par torrents, et le Christia- détruire; ce qu'il a détruit, nul n'a pu le re-
nisme prenait tous les jours plus d'expansion et lever. Il a élevé l'Eglise, et elle brave la colèra
de puissance. Comment cela s'est-il fait? Par la des rois ; il a détruit le temple, et les rois sont
vertu de cette parole Je bâtirai mon Eglise.
: impuissants à le rebâtir ».
Qui pourrai t en douter ? Celui qui l'a prononcée • Malh., 2-1.

Tome I,
,

130 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

Ici, Clirysostome rappelle en quelques mots le monde aujourd'hui, et que Dieu seul a pu
ce qu'il avait raconté plus au long dans son cin- faire. Que venez-vous me Le Christ n'a
dire :

quième discours contre les Juifs, la restaura- pas ressuscité les morts? Direz-vous aussi que
tiondu temple, entreprise par Julien et mira- l'Eglise n'existe pas ? Qu'elle n'a pns subi lesplus
culeusement empêchée témoignage précieux : violents assauts, qu'elle n'est pas victorieuse?
à recueillir Le saint orateur parle
I en effet , moins absurde de nier la clarté duso-
II serait

d'un événement considérable arrivé de son leil. que les ruines du temple
Est-ce, d'ailleurs,
temps, dont le théâtre était à deux pas de lui; de Jérusalem ne sont pas sous les yeux de
il en parle comme saintGrégoire de Nazianze, l'univers? Si Jésus-Christ n'était pas Dieu, et
comme saint Ambroise, comme Ammien Mar- le Dieu tout-puissant, ses disciples auraient-ils
cellin, comme JuHen lui-même. L'officier de grandi sans cesse sous le coup de la proscrip-
l'empereur chargé de diriger les travaux était tion, et le peuple qui l'a condamné, qui l'a cru-
d'Antioche, et peut-être vivait-il encore, car il déchu au point de n'être plus sur
cifié, serait-il

y avait à peine vingt-quatre ans décela. Chry- la terre qu'un vagabond , sans autel, sans pa-
sostome, en citant ce fait, l'un des pivots de son trie? Lui qui lutta jadis, nonsans gloire, contre
argumentation, prend toute la ville à témoin de l'empireromain, lui, si riche, si fort, après avoir
ce qu'il avance, oïl espérait, cet insensé, s'écrie- vaincu tant d'ennemis, ne peut relever son
rendre vaine la prédiction de Jésus-Christ.
t-il, temple. Il construit çà et là des synagogues ;

Mais celui qui surprend les sages dans leurs mais ce temple qui donnait à l'Etat son auto-
propres artifices ' montra sur-le-champ que les rité, au culte son centre, au Judaïsme sa raison

décrets de Dieu ont une force que rien n'arrête. d'être, ce temple, il n'a jamais pu le rebâtir».
On avait mis la main à cette œuvre criminelle, Un autre fait, qui inspire à Chrysostome d'é-
on commençait à découvrir les fondements, on loquentes réflexions, c'est la glorification de la

avait fouillé bien avant dans la terre, et l'on Croix. Commentant ces paroles d'isaïe : Et son
s'apprêtait à bâtir, quand le feu, s'élançant des séptdcre sera glorieux ', il s'écrie : « Avec la
profondeurs du sol, tua la plupart des ouvriers, vie del'homme finitsa puissance ceux même ;

rejeta au loin les pierres, et fit renoncer à un qui commandaient des armées, qui d'un signe
projet téméraire. Lorsque Julien apprit cette de tête bouleversaient les villes elles peuples,
nouvelle, bien qu'il se fût porté avec ardeur à qui exerçaient le droit de vie et de mort sur
l'entreprise, il craignit, s'il la poursuivait, d'at- leurs semblables, ime foisdescendus dans la
tirer sur sa tête le feu du ciel, et,vaincu,ilcéda tombe, leurs lois sont abrogées , leurs images
aussi bien que la nation juive. Allez à Jérusa- effacées , leurs adulateurs méprisés , leur mé-
lem, et vous verrez encore les fondements mis moire ne tarde pas à s'éteindre, tout est fini
à nu, sans pouvoir en assigner d'autre cause. pour eux. Pour Jésus-Christ, c'est le contraire.
Nous sommes témoins de ce fait, arrivé sous Judas le trahit, Pierre le renie, les siens l'aban-
nos yeux il y a peu de temps. Et voyez-vous donnent aux mains de ses ennemis, il rend le
l'éclat de cette victoire ? Ceci s'est passé, non dernier soupir sur le gibet. Mais alors, afin que
sous des empereurs chrétiens, de peur qu'on vous sachiez bien que ce Crucifié n'est pas un
ne vît là une machination des nôtres mais ; homme, toutes seshumiliationssechangenten
lorsque nous étions nous-mêmes persécutés ,
gloire. ..Le lieu où il fut enseveli, si chétif qu'il
quand nos vies étaient en péril, que toute li- soit, est plus auguste que la demeure des rois,
berté nous était ravie, et que le paganisme, que les rois eux-mêmes... Quedis-je? Le sym-
triomphant, contraignait les fidèlesà se cacher: bole maudit d'une mort ignominieuse est de-
c'est alors que cet événement a eu lieu, de ma- venu un objet aimable et cher à tous les cœurs.
nière à ne laisser aucune excuse à l'obstina- Rien ne pare mieux la couronne impériale que
tion des Juifs ». la croix. Objet d'horreur pour tous, elle plaît
Un peu plus bas, Jean revient sur ce double maintenant à tous; tous en recherchent l'i-
fait, l'établissement du Christianisme et l'im- mage princes et sujets, hommes et femmes,
:

puissante tentativedeJulien,et se résume ainsi: vierges et épouses tous en retracent le signe


,

Je ne vous parle
de lépreux guéris, ni de
ni surleurfront. On voit la croix à la table sainte,
mortsressuscités.Jcn'alléguequedeschosespa- dans l'ordination des prêtres, dans la cène
leiilus,plus clairesqiie le jour, qui remplissent mystique, dans nos maisons, sur les places pu-
Job , 5. 'Jsiïe, c. U, T. 10.
,

CHAPITRE ONZIEME. 131

blujucs, sur les routes, sur les montagnes, au venirs pa'i'ens, dont la pente à la fois supersti-
bord de la mer, sur les navires qui braventles tieuse et sensuelle condamnait les apôtres du
flots, sur nos lils, sur nos vêlements, sur nos Christ à des efforts sans cesse renouvelés et trop
armes, sur nos vase? d'or et d'argent, sur les souvent impuissants. La vie entière de Chrysns-
bijoux, sur peintures murales, sur la cou-
les tomecst une lutte qui redouble, au lieu d'épui-
veilure des livre?, sur la pourpre, sur le dia- ser, son zèle, et grandit son talent. II quittait à
dème, partout; de plus d'éclat que
elle brille peine la tribune sacrée. Les besoins et l'affec-
le soleil Loin de rougir d'une chose na- tion de ce peuple bien-aimé étaient pour lui
guère infâme, nous y atiachons le plus grand une douce mais écrasante tyrannie il fallait :

prix nous l'aimons, nous l'invoquons. Que le


: pour n'y pas succomber, sa charité qui le mul-
Gentil se lève etme dise comment il a pu se tipliait, et la faciUté prodigieuse de son génie.
ïaire que l'instrument d'un lionteux supplice Sans compter les homélies que nous venons
soit l'objet le plus révéré de l'univers I Quidonc d'analyser, ni celles sur Osias et les Sera; hins,
voudrait garder chez soi les horribles outils du dont la date est un sujet de discussion entre les
bourreau gibets, ongles de fer, lanières ar-
: critiques', on peut rapporterau premier temps
mées de plomb? Qui voudrait prendre dans sa de son minisière, de 386 à 387, outre ses ad-
I
main la main de cet homme, s'approcher de mirables discours des statues, les panégyriques
lui, quand il fait son métier? On fuit jusqu'à de saint Mélèce, de saint Philogone, de saint
son regard. Telle dans les temps an-
fut la croix Lucien, de saint Babylas, des martyrs Juventia
ciens. D'où vient qu'aujourd'hui toutle monde et Maximin, les homélies sur la n:\tivite du
l'honore, tout le monde se prosterne devant le Seigneur, sur l'Epiphanie et le baptême de
bois sur lequel souffrit et mourut Jésus-Christ? Jésus-Christ, sur les calendes, sur l'analhème,
On s'estime heureux d'en posséder une par- sur la résurrection des morts, sur Lazare et le
celle ; et quand on
on l'enchâsse dans l'or,
l'a, Mauvais Riche, sur un tremblement de terre,
on la porte à son cou, on s'en fait une parure'». contre les quarto-décimants sur Anne, sur ,

Malheureusement, ce livre de Chrysostome, David et Saûl, sur le devoir d'aimer nos enne-
lel que nous l'avons, n'est pas complet. Serait- mis, sur celui de ne pas divulguer les fautes des
ce que les dernières pages ont été perdues, autres, sur l'aumône, sur le psaume quarante-
comme tant d'autres œuvres du Saint ? Ou lui- et-unième, sur divers passages de saint Paul,
même, voyant dans ce travail un double em- sur la parabole des talents, sur la préparation
ploi avecles homélies qu'il projetait et qu'il ne au baptême, et d'autres encore, entre lesquelles
tarda pas de faire contre lesJuifs,a-t-il renoncé plusieurs sont perdues.
à publier etàlefinir? Dans tous les cas, il a
le Les panégyriques de Chrysostome ne ressem-
vu le jour sans que l'auteur y ait mis la der- blent guère aux discours que les modernes ont
nitre main; ce qui n'empêche pas qu'il ne ren- appelés de ce nom. On n'y trouve pas davantage
ferme, outre de précieux détails sur ces temps ce que voulait Fénelon tm récit concis, pressé,
:

antiques, si intéressants à connaître, une belle vif, plein de mouvement, représentant au na-
ex| osition des prophéties concernant Jésus- ttircl celui qu'on veut louer, tel qu'il fut dans
t^hi ist et l'établissement du Christianisme. On Ions les âges, dans toutes les conditions et dam
croit généralement qu'il fut écrit en 387, vers les princij.ales conjonctures où il a passé*. Un
le mois d'août, avant les cinq derniers discours trait saillant de la vie d'un martyr ou d'un
contre les Juifs. grand pontife, une circonstance de sa mort, un
Du reste, les attaques répétées de Jean contre hommage à sa mémoire, avec quelques ré-
le Judiiïsme prouvaientqu'il y avait là pour les flexions éloquentes sur le culte des Saints et
Chrétiens un péril sérieux. Sans doute l'expan- leur médiation près de Dieu, et une exhorta-
sion triompliante, le règne du Christianisme, au tionmorale plus ou moins étendue en forme de
milieu d'un monde vieilli dans les corruptions péroraison voilà à peu près, pour le fond et la
:

de l'idolâtrie, était un fait aussi éclatant que forme, tous les panégyriques qui nous restent
merv'jilleux; cependant le spiritualismedélicat de Chrysostome. Ce sont des homélies sembla-
de l'Evangile pénélraitdifficilement les mœurs
* D'après le P. Montfaueon, iucune de cei homèllei n'e Hè pro-

et Ils âmes chez des peuples tout pleins de sou- noncée avant 388. Selon Tilkmont et le P. Stilling, la 2», la 3', It

Liwc «n «Qtiu cet


5t at la 6e auraient été prononcées fiés 186; il est difâcile de H
* aiigairib'.t diKoun et en particulier le» S 8, >k faire là-dessus une opinion bien oiutlvée.
V>, 11 «1 12. * Féncl., Dr»', sur Icloq , •• )-'0, î. H,
,

132 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

Mes aux autres, avec plus de grandeur et de tinua d'être l'avocat et le refuge des pauvres et
pompe dans la diction. L'orateur y déploie vo- des malheureux. Son pontificat, illustré par son
lontiers les richesses de sa belle imagination; courage apostolique et ses grandes charités, le
mais, plus qu'ailleurs, ilmanque de sobriété ek fut aussi par la reconstruction de la Palée, que
de mesure, et par moments le discours se son prédécesseur avait entreprise, et que Philo-
traînesousle poids des hyperboles et d'un luxe gone eut le bonheur de terminer dans de nou-
quiplaisaitàl'auditoireetqui fatigue le lecteur. velles et magnifiques proportions. Toutefois,
L'éloge de saint Mélèce fut prononcé devant Chrysostome ne lui consacre que la moindre
la châsse qui renfermait ses reliques au mois partie de son discours, et laissant à l'évêque
de mai 386, le jour anniversaire de sa mort, Flavien, qui devait parler après lui, le soin de
d'après les uns; au 12 février 387, jour anniver- louer par ses paroles, dit-il, celui qu'il imite
saire de sa translation à Antioche, d'après les par ses vertus, il entretient le peuple de la fêta,

autres. Mélèce avait initié le fils d'Anlhusa aux de Noël, nouvellement établie en Syrie, et qu'on
au sacerdoce il l'avait aimé
saintes lettres et : allait célébrer dans quelques jours. La foi de

comme un fils. Homme


de conciliation et de l'Eucharistie, qui brûlait dans son âme, éclaire
dévouement, aussi ferme dans l'orthodoxie de ses feux tout ce discours. « J'aime cette fête,

qu'admirable par la charité, ni la haine des s'écrie-t-il, et jevous en parle afin de vous
hérétiques, ni la répulsion des Eusthatiens faire participer à ses joies. Je vous en supplie
n'avaient pu aigrir cette belle âme, en qui res- tous, venez avec empressement, venez voir le
pirait la mansuétude de Jésus-Christ. Le con- Seigneur couché dans la crèche, enveloppé de
naître, c'était l'aimer. Il y avait cinq ans alors langes spectacle étonnant et qui inspire une
:

qu'Antioche l'avait mémoire était


perdu, et sa sainte horreur Quelle excuse alléguer, si lui
!

aussi vivante dans la mobile cité que s'il avait descendu du ciel pour nous, nous trouvions
disparu d'hier. Sa tombe continuait la popula- trop pénible de quitter nos maisons pour aller
rité de son nom. Aussi, pour son panégyrique, à lui! Des étrangers, des barbares, arrivent de
Chrysostome n'eut qu'à mêler ses sentiments à la Perse pour le voir dans l'étable, et toi, qui
ceux de son auditoire son discours n'est: es chrétien, tu redoutes de faire un pas pour
qu'une effusion de cœur entre amis qui bénis- jouir de ce spectacle heureux Approchons avec !

sent ensemble le nom vénéré d'un ami. foi, et nous le verrons ici. L'autel, en effet^

L'éloge de saint Philogone n'est ni plus com- tient lieu de la crèche. Là aussi sera déposé le
plet ni mieux étudié, et cependant son ponti- corps du Seigneur, non plus couvert de langes,
ficat, placé entre ceux de Vital et de saint Eus- mais tout vêtu du Saint-Esprit. Ceux qui sont
Ihate, de 318 à 323, a été mêlé à de grandes initiés aux mystères comprennent ce que je dis.
choses. Car, d'abord, on sortait à peine de la Aux Mages, il ne fut permis que de l'adorer toi, ;

persécution de Dioclétien, et celle de Licinius si ta conscience est pure, tu peux le prendre el

se déchaînait soudaine et terrible comme un l'emporter avec toi. Viens donc avec des ca-
ouragan. Philogone eut à réparer les désastres deaux plus saints que ceux des Mages. Hs of-
de l'une et fit tête à l'autre. De plus, l'Arianisme fraient l'or offre ta sagesse et ta vertu ; ils of-
:

naquit à celte époque , et se propagea rapide- fraient l'encens offre de pures prières, parfums
:

ment d'Alexandrie à Antioche, oîi il trouvait spirituels; ils offraient la myrrhe : offre l'hu-
dans son école, un terrain propice et une es- milité, et avecl'aumône un cœur soumis
pèce de paternité. Saint Philogone partagea, Que personne ne dise Je porte sur ma con- :

avec saint Alexandre, l'honneur de combattre science un poids énorme de péchés ; car nous
au premier rang pour la consubslantialité du avons cinq jours, et ils suffisent, si tu pries, si
Verbe. Engagé dans le monde et attaché au tu veilles, si lu es sobre, à alléger ton fardeau.
barreau, il s'était fait une telle réputation de Ne songeons pas à la brièveté du temps pense :

talent et d'intégrité, que la communauté chré- à la miséricorde infinie de ton Dieu * ».


tienne ayant perdu son pasteur, tous les re- Le panégyrique de saint Lucien eût pu jeter
gards se tournèrent vers lui, et, comme Am- quelque lumière sur un problème d'histoire
broise à Milan, une acclamation unanime le fit ecclésiastique non résolu, savoir : si l'illustre

évêqued'Antioche. 11 changeait de tribunal, dit martyr de ce nom est le même Lucien que saint
Chrysostome', sans changer de rôle, car il con- Alexandre d'Alexandrie a compté parmi le^pr^*
Chiri., Bmn. sur S. Pliilof. * Chrya., Bom. bui S. PkUog., a. 3.
CHAPITRE ONZIÈME. 133

curseurs de l'Arianisme, et qu'en effet, Eusèbe ciples si vous vous aimez les uns les autres '.
de Mcomédie, Maris de Clialcédoine, Astérius, Ce discours, où la charité exprime des senti-
Léoace, les grands coryphées de la secte, se ments dignes d'elle, est, comme style, inférieur
vantaient d'avoir pour maître. Mais Cliryso- à beaucoup d'autres. On s'est demandé s'il était
stome, qui célèbre en termes mngnifniues la vraimentdeChrysostome,ou si tout au moins
mort héroïque du martyr, ne dit pas un mot de il n'avait pas subi de gravesallérations. Aucune
sa vie. de cessupposilions n'estjustifiée. L'homéliesur
Passons sous silence lesautres discours, quel- l'anathème aété donnée au public sans être re-
que intérêt qu'ils aient, et donnons une men- vue par l'orateur, moins heureux peut-être ce
tion spéciale à l'homélie sur Vanathème. Nous jour-là que d'ordinaire: mais, à travers les né-
avons dit ailleurs par suite de quelles circon- gligencesetlesiucohérences de sadiction, l'âme
stances lescalholiquesd'Anlioches'étaientdi vi- de Jean s'y révèle toute entière. Sans doute, en
sés en deux partis, l'un sous la houlette de Mé- réprouvant l'anathème, arme dangereuse aux
lèce, l'autre sous celle de Paulin. Ce malheureux mains du simple fidèle, il n'entend pas contes-
schisme n'avait fait qu'emiàrer par l'élévation ter à l'Eglise un droit sans lequel elle ne serait
deFlavienàl'épiscopat. Les partisans de Paulin plus la gardienne assurée de la foi mais il veut ;

avaient pour eux l'inappréciableavantage d'être que le culte de la vérité, aimée pour elle-même,
en communion avec Rome; mais on reprochait soit pur d'orgueil, de haine, de violence, des
à leur chef, fort injustement d'ailleurs, d'avoir passions qui compromettent sa cause, et qu'on
les doctrines d'Apollinaire. Rien dans les en- s'applique à conserver avec autant de soin la
seignements ni dans laconduite de Paulin n'au- charité que la vérité, puisque c'est par la cha-
torisaitune pareille accusation. Il avait souscrit rite f/u'on entre dans la vérité et qifon y fait
au concile d'Alexandrie, présidé en SG'â par entrer les attires '.

saint Athanase concile qui établissait la vraie


; «Etends, s'écrie le saint orateur, étends le
doctrine de rincarnation, tout en ménageant que ce qui boite soitguérl
flietde la charité, afin
Apollinaire encore voilé dumanteaudel'ortho- etnon renversé. Montre, à force d'affection,
doxie. Mais l'hérésiarque jeta le masque, et la que tu veux rendre commun le bien qui t'est
condamnation qu'il avait éludée d'abordà force propre. Jette le doux hameçon de la miséri-
de mensonges, ne tarda pas à l'atteindre. L'ad- corde, et arrache à l'abîme celui que l'erreur
hésion de Paulin au concile était donc un acte avait submergé. Fais-lui comprendre que la
irréprochable, etsesadversairesmanquaient de prévention et l'ignorance le trompent, que ce
loyauté en l'accusant de conniver à l'hérésie. qu'ilprend pour bien est contraire à la tradition
Néanmoins, ils lançaient contreluilesplusdurs apostolique. S'il se rend à tes observations, il
aualhèmes. vivra, suivant la parole du Prophète, et toi tu
Jean, par son ordination, appartenait à la délivreras ton âme. S'il résiste, s'il s'obstine,
communion de Mélèce, mais par son cœur il discute avec lui ; mais avec patience et mansué-
était l'homme de tous. Il déplorait hautement tude. Garde-toi de le haïr, de persécuter; té-
le
un état de choses contraire à la charité, funeste moigne-lui de ton mieux une charité sincère.
à l'ortliodoxie dont les divisions ne profitaient Tu n'obtiendrais pas autre chose, que c'est déjà
qu'à l'Arianisme. Fils de Mélèce, ami de Fla- un gain immense de pratiquer la charité et de
vien, il devait le baptême à l'un, le sacerdoce à l'enseigner. Sanselle, ni la sciencedes mystères,
l'autre, ellenait à leur communion par des liens ni la foi, ni la prophétie, ni la pauvreté volon-
délicats et chers : mais il tenait encore plus à la taire ne servent de rien.... Toi qui offres le sa-
charité, et ne négligeait aucune occasion de la criCce du Fils de Dieu, ne sais-tu pas qu'il n'a
faire prévaloir contre un zèle aveugle et amer. pas brisé le roseau ébranlé ni éteint la mèche
Dans le discours qui nous occupe, après avoir fumante ?... Quant à nous, le devoir de notre
cité la touchante parabole du Samaritain, il ministère estde vous exhorter. L'imposition des
montre que lancer à ses frères l'anathème, ce mains, qui nous a faits prêtres, ne nous a pas
n'est pas seulement une grande témérité de la élevés au-dessus de vous, ne nous a donné au-
part de gens peu instruits des choses de Dieu, cun droitde domination sur vous; nous avons
mais une coupable opposition à l'esprit de l'E- reçu tous le même esprit, nous sommes tous les
vangile, qui est tout dans cctto parole du Sau- fils adoptifs du Père ceux à qui le père adonné
;

Vfcuf ; On rficonimilra fjue vous êtes mes dis- ' s. J««ii, c. 13. — ' Tillem., 1. 11, p. 361.

iu niSTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.^ ff.^

la puissance ne Vont que pour servir leurs d'une faute si grande; carjevousledisenprà^
frères. faisons donc que remplir notre
Nous ne sence de Dieu et de ses anges, et je les prend si
tâche de serviteur, en vous priant, en vous con- témoin qu'au jour du jugement cela vous per-
jurant de renoncer à une habitude mauvaise. dra Je vous en supphe donc, ne négligez
En effet, celui que tu frappes d'anathème est pasmesavis. Lesdogmes hérétiques, contraires
mort ou vivant. S'il vit, tu agis d'une manière à ceux qui nous furent enseignés, les dogmes
impie, en condamnant une âme qui peut chan- impies, il faut les analbématiser, les réfuter.
ger et se corriger. S'il est mort, l'homme n'a Quant aux hommes, il faut leur pardonner e*.
plus sur lui de pouvoir. N'y a-t-il donc aucun prier pour leur salut. Et plaise au ciel que
périlàvouloir prononcer sur ce qui est réservé tous, pleins de l'amour de Dieu et du prochain,
au juge des siècles, qui seul a la mesure de la fidèlesau précepte divin de la miséricorde, nous
science et de la foi ? Savons-nous comment puissions, au jour de la résurrection, en nous
l'homme que nouscondanmons s'accusera ou présentant au céleste Epoux, lui présenter en
sedéfendraau tribunal de Dieu ? Les jugements grand nombre ceux que nous aurons sauvi^
du Seigneur sont ivipénétrables^sesvoiesécliap- par la douceur et la charité » M
'
pent à toute investigation Abstenez-vous ' Chrys., t. 1, p. 69-1 et auiv.

']«., 40.

CHAPIRE DOUZIÈME.

Théodose. — Son — Sédition d'Antioche. — Sanglantesreprésailles du pouvoir. — Consternation du peuple. — Discours


portrait.
et conduite — Départ de Flavieu pouiConstjiiliaople. — Cummisaircs impéiiaux Antioche. — Inlervenlion
de Chrysostome. à
etremontrances des — Nouveaux discours de Cbrysostome. — Flavien devant Ttiéoduse. — Harangue du
solitaires. ponti/e.
Réponse de l'empereur. — Amnistie d'Autiocbe. — Retour de Flavieu
et Joie discouni de Ctirysoslome. — Piéteatioa àt
et
Libamus. — InQueace du sacerdoce chrélieo.

Il y avait neuf ans à peine qu'une inspira- Théodose se trouva donc, dès son arrivée au
tion sublime de Gratien avait été prendre dans pouvoir, en face d'une situation désespérée. Il

la disgrâce et d'un proscrit, un


l'exil le fils l'envisagea d'un œil ferme, et l'aborda d'un
homme suspect, pour en faire un empereur. grand cœur. Temporisateur de génie, Fabius
C'était une de ces heures suprêmes dans la des- sous les traits de Trajan, il mit l'héroïsme à
tinée des peuples, où la Providence, prête à éviter le combat, la sagesse à user le temps.
frapper un grand coup suspend sa main comme Reconstituant l'armée, relevant la discipline,
pour inviter l'homme à un grand et dernier il rendait aux légions leur confiance en elles-
effort pour la désarmer. L'empire blessé au mêmes par de petits engagements ménagés à
cœur par le désastre d'Andrinople,se débattant propos, dont l'heureuse issue prouvait à' tous
à peine contre la mort, glissait dans la tombe que la victoire et le labarum n'étaient pas à
sanglante de Valens. La ligne de l'Euphrate jamais brouillés. Son quartier général à Thes-
était forcée : les Alains, les Taïfales, les Huns salonique, l'œil ouvert sur les pas des barbares,
se promenaient impunémentà travers l'illyrie ses lieutenants sous sa main et prêts àlui por-
et laThrace les Goths venaientmarauder aux
; ter au besoin toutes leurs forces, abrité par uaa
portes de Constantinople, et leur insolence, triple ligne de forteresses de la Propontide à
qui n'avait plus de mesure, affectait une insul- l'Adriatique, il attendait dans un formidable
tante pitié pour les vaincus si longtemps vain- repos, avec une patience qui était du génie,
queurs. Nous sommes las, disaient-ils, d'é- que la débauche, les maladies, les désoidrea
gorger ces Romains comme des moutons'. De résultant d'une inaction prolongée chez les
Thessalonique à Byzance, d'Antioche à Alexan- hommes en qui la fièvre des champs de bataille
drie, la terreur et le deuil étaient partout. Le tenait lieu de discipline et d'unité, lui livras»
glas de l'empire sonnait. sent l'armée ennemie démoralisée, décompo-
' Chry!., a une j«UDe veuve, n, ti sée, incapable d'autre chose que de tombQ^
CHAPITRE DOUZIEME. 13S

80US ses coups ; ou que les Goths , découragés condamnation à mort: la clémence était mon-
et séduits, vinssent lui demander eux-mêmes tée au trône avec lui. On s'honorait de servir
une alliance ijui , les asservissant à l'empire, un maître qui n'avait d'autre sceptre que la
mettrait leurs meilleurs combaltantsala solde bouté. Un panégyriste, son contemporain, a
de l'empereur. Ce calcul du grand capitaine dit de lui que, si BriUus fi\t revenu sur la

sauva le mcnde qu'une téméraire vaillance


,
terfe, il eût abjuré devant Théodose la haine
eût perdu. Il est vrai que ces hordes de bar- des rois '. Théodose méritait l'estime du
bares à de(|ui vastes terres étaient livrées, monde, et il l'avait.

prenant pied dans l'empire ,


pouvaient lui Au surplus, ce n'était pas seulement un
créer, d'un instant à l'autre, desérieux embar- grand empereur, c'était une grande âme. La
ras. On donnait au vo!eur la garde de la mai- pourpre ne l'avait pas ébloui. Il ne voyait de
son. Mais en ce moment loutcédait, tout pliait son rang élevé quela grandeur de ses devoirs,

sous l'ascendant de Théodose ; sa gloire mas- convaincu que pour tout le reste le dernier des
quait les périls. Peut-être aussi pressentait-il hommes était son égal. Aux titres fastueux,
le prochain remaniement de l'humanité par décoration obligée de la dignité impériale, il

la Providence , et il préférait devenir l'instru- préférait ceux de bon père et de boa époux.
ment éclairé d'une révolution inévitable que Sa table frugale ne brillait que par l'élégance
de combattre en désespéré. Quoi qu'il en soit,
la et la gaîté. Dévoué à ses parents Adèle à ses ,

les barbares frémissants et soumis, n'osaient


, amis, protecteur attentif de tous les droits, ré-
remuer sous sa main, ou si de temps à autre munérateur généreux de tous les services, il
un bruit d'armes se faisait entendre quelque ne laissait aucun mérite sans récompense, au-
part, en un clin d'œil l'empereur était accouru, cun grief sans le redresser. Econome comme
et la victoire Le Ciel se déclarait ou-
avec lui. chef de famille, magnifique comme prince,
vertement pour cet homme
de cœur, et le rien n'égalait la simplicité de ses goûts, ni rien
monde rassuré s'abandonnait à sa sagesse. non plus la grandeur de ses libéralités. Il aimait
Ainsi, au dehors, le nom romain retrouvait le talent, surtout le talent utile, et savait l'en-
son prestige; au dedans, les dissensions étaient courager. Son palais était ouvert à toute heure
apaisées, l'ordre et la confiance commençaient à tous ses sujets. Il sortait seul,
sans gardes,
à renaître partout. Grand administrateur non sans escorte, visitait les ouvrages publics, en-
moins que grand soldat, Théodose relevait les trait familièrement chez les particuliers, s'en-
finances, rétablissait la justice, réparait les tretenait avec le premier venu, parlant à cha-
roules, consolait la religion. On n'avait pas à cun le langage de sa situation et de son âge.
lui reprocher encore cet horrible guet-apens Vainqueur de Maxime, il reçut à Rome les
de Thtssalonique, qui laissa sur sa gloire une honneurs du triomphe on portait devant lui:

large tache de sang. On admirait, on bénissait les emblèmes brillants des batailles gagnées,
un pouvoir aussi doux que fort. L'empereur des villes prises; mais tandis que tous les yeux
ne semblait régner que pour donner de plus cherchaient le triomphateur sur le char doré,
haut l'exemple du respect des lois et de la il marchait à pied, mêlé à la foule, prenant la
vertu. Il rappelait de l'exil les victimes des main de l'un, interrogeant l'autre écoutant ,

règnes passés, relevait parde nobles libéralités avec gaîté les chansons folâtres et satiriques
les familles déchues abolissait de fait la con-
, dont il était l'objet, vieux souvenir, et presque
flscation, et répudiait pour son compte et celui le seul, de la liberté romaine. Ses loisirs,
des siens la part honteuse que, sous le nom de quand il en avait, étaient consacrés à de lon-
codicille ou fidéi-commis, la fraude et lacapta- gues promenades à pied, et aux lectures histo-
tion faisaient à la cour dans les testaments des riques qu'il affectionnait. Les grandes figures
grands et des riches. On répandait de bouche de l'antiquité attiraient son regard mais il ne ;

en bouche un mot heureux sorti de la sienne parlait qu'avec horreur des Marins, des Sylla,
dans une circonstance solennelle, au moment de tous ces ennemis de la liberté, entre les
où les prisons s'ouvraient par son ordre Que : mains de qui la puissance n'avait servi qu'au
ne puis-je, avait-il dit, ressusciter aussi les malheur des hommes. Il n'estimait de la sienne
morts! El ce cri d'une âme généreuse, connu que la facilité de faire le bien. Ses vertus gran-
partout, lui faisait des amis partout. dirent en proportion de sa fortune, et, chose
Il comptait trois ans de règne et pas une • Pac»t., Panej/, vet. 12, 20.
,

136 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

rarel le trône le rendit meilleur. Son âme confiant, il accueillait arec tant de cordialité,
ouverte à tous les nobles sentiments, était tou- avait dans ses manières et son langage tant de
jours prêle à venger les injures par les bien- simplicité et d'abandon, se montrait en toute
faits. Il prit sous sa protection la mère et les circonstance si heureux de faire le bien, qu'il
enfants de Maxime, et pourvut magnifiquement était impossible de l'approcher et de le con-
à l'éducation des uns, à l'existence de l'autre. naître sans l'aimer. Tout en lui indiquait
Les Occidentaux opprimés et pillés par l'usur- l'homme supérieur et prédestiné à régner sur
pateur reçurent de Tbéodose, avec les biens les hommes. «Ce qui est étonnant, dit un his-
qu'on leur avait pris, des indemnités qu'ils torien, c'est qu'il s'est trouvé des païens qui,
n'attendaient pas. Homme de guerre, babile et plus frappés de ses vertus que soumis à ses
heureux, il aimait peu la guerre, et ne tira le ordres, ont fait de ce prince un objet d'idolâ-
glaive que pour la défense et l'honneur de la trie, et l'ont mis au rang des dieux dont il avait
patrie : dans leur ensemble, sont em-
ses lois, proscrit le culte ' ».
preintes de l'esprit chrétien dont il était péné- Zosime', ennemi déclaréde tous lesprinces
tré ; mais sa religion, quoique sincère et pro- chrétiens, nous représente Théodose comme un
fonde, ne domina pas assez les terribles em- empereur violent et faible, adonné au plaisir
portements d'un sang trop impétueux. Cepen- de la table et gouverné par ses eunuques. Mais
dant sa colère s'évaporait vite, et souvent les Zosime est seul de son avis, et l'on sent, d'ail-
rigueurs qu'elle inspira, contremandées à pro- leurs, que ses invectives ne sont que le cri du
pos, donnèrent lieu à de sages rescrits. Après polythéisme vaincu '. Des historiens plus cal-
lemassacre de Thessalonique, il s'humilia à mes ont reproché à l'illustre ami de saint Am-
la face du monde et se soumit comme le der- broise la multiplicité des emplois militaires
nier des Chrétiens aux dures conditions de la créés par lui au grand détriment du trésor,
pénitence publique. L'édit qui prescrivait un une confiance trop aveugle à ses ministres, et
délai de trente jours entre la sentence et l'exé- surtout l'introduction des barbares dans l'ar-
cution, fut un fruit de celte pénitence , qui mée romaine, oii ils portèrent l'indiscipline et
honore à la fois l'évêque et le souverain '. Les une perpétuelle agitation *. Il n'y a, il ne peut
colères des rois, disait Chrysostome , sont des y avoir qu'une manière de juger ces malheu-
colères de lion mais du moins la religion con-
: reux emportements, si courts mais si terribles,
main ce lion frémissant. Unjour
tenait sous sa pendant lesquels un mot tombé des lèvres du
que Théodose, commettant des juges pour in- maître, avidement recueilli par les flatteurs
former dans une affaire de conspiration, les qui se trouvent toujours là pour le malheur
exhortait à procéder avec équité : Notre devoir des princes avec leur éternel sophisme de leçon
s'écria l'un d'eux, c'est de songer à votre coti' à donner, de force à déployer, pouvait devenir
servation. — Songez plutôt à ma réputation, l'arrêt de mort d'un homme et le devint, en ,

répliqua le prince ; il s'agit moins de vivre effet, pour les sept mille infortunés de Thessa-

que de bien vivre '. lonique. Théodose pleura toute sa vie un ordre
Un grand prestige rehaussait aux yeux des arraché à la colère, rétracté dans la réflexion,
masses les mérites de Théodose il était le : exécuté malgré lui avec une horrible perfidie ;
plus bel homme de l'armée et peut-être de il n'en reste pas moins sur sa gloire comme

l'empire. Sa taille, sa démarche, sa voix, son une ombre funeste. Cependant l'histoire lui a
regard, sa magnifique tête imposaient le res- décerné et lui conserve le nom de Grand; et
pect. Son œil pénétrant et doux scrutait et fasci- en vérité, nous ne voyons pas qu'entre les per-
nait. Sur son noble visage respiraient la bra- sonnages célèbres qu'elle a honorés de ce nom,
voure et la loyauté. Sublime sur le champ de il y en ait beaucoup qui l'aient mérité plus que

bataille, il était dans la vie intime d'une bon- lui. La vraie gloire de Théodose est d'avoic
homie spirituelle et charmante. Sa modestie mis son génie et son pouvoir au service de la
égalait sa gloire. Chaste, intègre, désintéressé, plus noble des causes, la rénovation du monde
U unissait aux vertus guerrières les plus bril- par l'Evangile.
lantes, toutes les vertus privées. Bon , affable, Au mois de janvier 387, il y avait quatre
' Tillem., Emp., t. 271 j Gibbon, t. 6, p. 437.
5, p. ' Pacat., — ans révolus que l'empereur avait donné à son
Paneg. vct, 12, 20 ; Themiat., oral. 19 ; Aurel., Yiet. epit.; Soc,
1. 5, 0. 14 et 26 ; S. Ambr., de obil. Tlieoil., t. 2, p. 1197, et ep. •Lebeau, Hist, du Bas-Enip., 1. 25, t. 5, p. 490. — 'Zusim.l. i,
40 et 51 j Calaudian,, in cons. Eonor.; Zosim., l. 4, — ' Lebeau,
Hut. du Baa-Emp., t. 5, p. 8. — * Lebeau, ibid.^ p.t,
CHAPITRE DOUZIÈME. 437

flis Arcadius le litre d'Auguste. Soit tendresse, qui ne l'a pas encore quitté, tremble pour sa
soit polititiue, il voulait que le cinquième anni- vie. La porte s'ébr;inlc sous Teffort des assail-
versaire de celle espèce de consécration impé- lants; des cris de mort se font entendre.
riale fût célébré dans tout l'empire avec le plus Surpris et déconcertés par la soudaineté de
grand éclat; et, pour rendre plus magiiifuiues impériaux voient l'émeute,
l'orage, les ofiiciers

ces quinquennales d'Arcadius, il résolut d'a- enhardie par leur hésitation, gagner de quar-
vancer d'une année ses propres décennales, tier en quartier, ramassant sur sa route cette

heureux de confondre son nom dans une même populace oisive et turbulente qui vit au fond de
fête avec celui de son fils. L'usage était, en pa- toutes les grandes cités et sert d'appoint à toutes
reille occurrence, de faire à l'armée une grande les séditions. Ou couvre de boue les portraits en
distribution d'argent; car, en définitive, l'em- pied de l'empeieur peints sur la façade des mo-
l)ire reposait sur elle, et il ne fallait que la numents i)ublics; on abat sa statue équestre
révolte d'une légion pour ébranler le pouvoir érigée sur la grande place; on s'en prend aux
le plus fort. Ces largesses, nécessaires et fu- bronzes de ses enfants et de Flacilla sa femme,
nestes, qui devaient racheter sans cesse la sta- que ses vertus et ses bienfaits devaient protéger
bilité du trône et la paix du monde, épuisaient contre ces lâches insolences. On les arrache de
le trésor, et, pour en combler le vide, il fallait leurs piédestaux, et traînés dans la fange, mu-
exagérer les contributions et pressurer les con- tilés, souillés, ils sont jetés dans l'Oronte. Seul
Iribuablts. Les peuples payaient cher leur entre tous, un sénateur avait refusé de s'asso-
éphémère sécurité. Théodosii donc , afin de cier aux fureurs des autres on incendie sa mai-
:

pourvoir aux grandes fêtes qu'il projetait, son. Le mouvement commence à prendre des
peut-être aussi pour couvrir les grandes dé- proportions inattendues, sans que le gouver-
penses de la guerre contre les Goths, se décida neur ni le comte d'Orient se montrent nulle
à décréteruu nouvel impôt. part, quand tout à coup on voit la sédition s'af-
Les provinces murmuraient et payaient; faisser sur elle-même, soit que chez un peuple
dans quelques villes les murmures allèrent plus mobile que violent de tels paroxysmes ne
jusqu'à la sédition. Le peuple d'Alexandrie, puissent dépasser une certaine mesure,soitqu'à
turbulent et désœuvré, insulta les magistrats la lassitude se fussent joints chez les meneurs le
au théâtre. On parla de rompre avec Constan- pressentiment peur du lendemain. Dès
et la
tinople et de livrer l'Egypte à Maxime bou- : midi, cette lave mugissante, qui menaçait
tades d'enfants fureurs sans portée, que le
, d'engloutir tout, se réduisait à un peu d'écume
gouvernement était habitué à dédaigner. balayée sans effort par quelques archers.
Alexandrie jouait à l'émeute. Le silence de la stupeur régna bientôt dans
Dans la métropole de la Syrie, les mêmes la ville. Les audacieux du matin mesuraient
causes produisirent les mêmes effets. Le 2C fé- d'un œil consterné l'abîme ouvert sous leurs
vrier, le gouverneur, ayant convoqué le sénat, pas. Les courriers expédiés à l'empereur par-
donna leclurede l'édit arrivé la veille. 11 n'avait taient l'un sur l'autre, et les imaginations trou-
pas uni, que les sénateurs se lèvent, protestent, blées ne voyaient que gibets, échafauds, terri-
foulent aux pieds les insignes de leur dignité, bles et sanglantes représailles. On se racontait
puis se répandent dans la ville en criant que à l'oreille qu'un noir fanlôme, au visage si-
tout est perdu, que c'en est fait d'Antioche, que nistre, à la taillemonstrueuse, avait été vu la
l'empereur exige une somme qu'en vendant nuit précédente , courant à travers la cité, en
tous leurs biens, en se vendant eux-mêmes, faisant claquer un long fouet semblable à ceux
les citoyens ne pourront jamais ac([uitter. avec lesquels on excitait les bêtes féroces dans
Il en fallait moins pour remuer et soulever le cirque. Riches, pauvres, femmes, enfants se
une pareille ville, volcan de colères, toujours à sauvaient à la hâte dans les bois, dans les mon-
la veille d'une éruption. En un instant, les tagnes, où plusieurs trouvèrent la mort qu'ils
plaintes imprudentes des sénateurs ont mille fuyaient; car, des troupes de brigands étant
échoi dans les rues. Le peuple prend feu; et accourues sur leurs traces pour exploiter l'a-
tandis que les sages courent chez l'évêque larme publi(|ue,lesassassinatssemultiplièrent,
pour le prier d'intervenir près du monarque, et chaque jour l'Oronte roulait sous les murs
la foule, ajirès avoir saccadé les thermes, se d'Antioche les restes inutiles de quelques mal-
jette sur le palais du sénat, où le gouverneur, heureux fugitifs.
138 HISTOIRE DE SAINT JEAN CIIRYSOSTOME.

Cependant, honteuse de sa f libtesse du ma- dans les tortures; et l'aveu entraînait la peine
tin, r.ailorite cluTcdait à la racheter par les capitale. Les uns périrent par le glaive, d'autres
excès (lu soir, d'autaiil plus implacable qu'elle par le feu, plusieurs sous la dent des bêles fé-
a>ail été piuslàcbe. On entassait pêle-mêle dans roces. On fut sans pitié même pour les enfants.
les priions les citoyens les plus honorables et AnfiocLe une ville de plaisirs et de fêtes.
était
les hommes les plus tarés. Une nuit d'angoisse Mais, le malheur réveillant dans les âmes le
pesa sur les cœurs, suivie d'un jour plus si- sentiment religieux, on remplit les temples, on
nistre. Les magistrats impériaux, de bonne assiéga les autels. Les pensées se tournaient
heure à leur tribunal, dans le plus redoutable aussi vers Chrysoslome , invoqué dans cette
appareil, faisaient comparaître un à un, char- crise publique comme l'ange de la consolation.
ges de chaînes, tous ceux qu'on avait arrêtés, Il se taisait. Tout entier à sa douleur, il avait
pour les interroger, pour leur arracher, à force renoncé à la chaire pour courir, tantôt au pré-
de tortures, un aveu ou une ré\élalion. Le ter- toire plaider la cause des victimes, tantôt dans
riblechevakt. les hideuses tenailles, leslanières les familles mêler ses pleurs à leurs pleurs.
armées de plomb, tons ces sup[tlices préventifs L'Eglise, depuis sept jours, ne l'avait pas revu,
qui forçaient l'innocence elle-même a se dire décidé qu'il était, dans le découragement de
coupable, étaient mis en œuvre pour faire par- son âme, à garder le silence à jamais. A la fin
ler.Des archers gardaient la porte du prétoire, cependant, ne pouvant plus soutenir le poids
devant laquelle se pressaient en pleurant ceux qui l'oppresse, ni résister plus longtemps aux
des citoyens qui n'avaient pas fui ou n'étaient désirs d'un peuple affligé, il reparaît sur l'am-
pas encore arrêtés. Ils venaient, le désespoir bon. Ses yeux étaient baissés, son front plus
dans l'âme, demander grâce pour des parents, pâle que de coutume une foule immense :

pour des amis. Des femmes, enveloppées de remplissait le temple, recueillie et consternée,
leurs grands voiles, se traînaient aux pieds des attendant la parole du prêtre comme l'arrêt
soldats pour obtenir d'entrer. Repoussées, te- du Ciel.
nues à distance, elles entendaient les cris des «Que vous dirai-je? s'écria-t-il. De quoi
victimes entre les mains des bourreaux, et y puis-je vous entretenir? Ce sont des pleurs
répondaient par des cris déchirants. Cette jour- qu'il faut aujourd'hui, non des paroles; des
née fut Le soir venu, elles
terrible et longue. lamentations, non des discours; des vœux au
attendaient encore, agenouillées sur le seuil, ciel, non des harangues au peuple. Tant nous
pâles, muettes, les yeux levés au ciel, implo- avons été coupables! Tant nos malbeurs sont
rant comme une grâce suprême, et l'espérant grands et supérieurs à tout remède humain!
peut-être, que l'affaire fût déférée àl'empereur, Ainsi Job, après avoir tout perdu, était assis sur
quand tout à coup les portes s'ouvrent, et l'on un fumier; et ses amis accourus au bruit de
voit défiler un à un, à la lueur des torches, son infortune, d'aussi loin qu'ils le virent, dé-
entre deux haies de prétoriens, les plus nobles chirèrent leurs vêtements, se couvrirent la tête
habitants d'Antioche, les mains liées derrière de cendres et poussèrent des cris lamentables.
le dos, une corde à la bouche, le v.sage en Voilà ce qu'auraientdû faire toutes les villes d'a-
sang, et pouvant se traîner à peine à la suite lentour : accourir vers la nôtre, et partager nos
des bourreaux on les menait à la mort. Un
:
douleurs. Job alors était assis sur un fumier :

cri terrible se fait entendre. Les mères, les aujourd'hui notre ville est enveloppée d'un
fillestombent évanouies, se relèvent pour cou- vaste filet. Le démon alors avait exercé sa rage
rir au lieu des exécutions, voient rouler a terre sur les troupeaux, su r tous les biens du juste :
les têtes de leurs fils, de leur père de leur , aujourd'hui il s'est déchaîné contre notre ville
époux, s'évanouissentdenouvtau et voudraient toute entière. C'est Dieu qui dans l'une et l'au-
mourir. On les apporte sans connaissance chez mauvais,
tre circonstance a laissé faire l'esprit
elles; mais déjà leurs maisons sont scellées du alors pour donner plus d'éclat à la vertu du
sceau public et confisquées , et il faut que des juste parla grandeurdes épreuves, aujourd'hui
femmes naguère opuleutesetenviées mendient pour nous rendre plus sages par l'excès de l'af-
de porte en porte un asile, à la merci de la pitié fliction. Qu'il me soit donc permis de pleurer
que la peur étouffe. Cinq jours durant, ces in- sur nos maux je me suis tu sept jours, comme
:

terrogatoires et ces supplices furent continués. les dmis de Job, et ijaintenant je ne romps la
Innocents ou non, tous s'avouaient coupables silence ijue pour déplorer avec vous notre coin-
CHAPITRE DOUZIÈME. 139

mune infortune. Qui donc, mesbirri-aimés, a l'oubli a fait son malhrur, l'entretient d'espé-
porté envie à notre bonlieiir? D'où a pu venir rance, et, |)ar la gravité de la situation, lui fait

un ttl cliangement? liien n'égalait la splen- mieux sentir le néant des choses d'ici-bas, le
deur de notre cité rien : n'est plus misérable prix que de;- ànies faites à l'image de Dieu doi-
aujourd'hui. Ce peuple si bon, si doux, qui vent aitaclier à la destinée inmiortelle et à la
obéissait à la voix des chefs comme un cour- vertu. termine ce discours par quelques mots
Il

sier généreux et docile à la main de l'écuyer, remarquables au point de vue do la tradition


s'estemporté tout àcoup jusqu'à des excès au- catholique.
dessus de toute expression. Je gémis, je pleure, En tout, mes bien-aimés, réglons-nous par
moins sur le sort qui nous menace, que sur la la sagesse pauvreté, loin de nous nuire,
; et la

fureur de nos eniportenienls. Quand l'empe- nous procurera de grands biens Je vous
reur ne serait pas irrité contre nous, quand il le demande, qu'y avait-il de plus pauvre
ne songerait jias à nous châtier, dites, pour- qu'Elie? Maisill'cmportait sur tous les riches,
rions-nous supporter la honte de nous être par cela même qu'il était pauvre, et que la
rendus si criminels? La douleur m'empêche richesse de son âme lui avait fait embrasser
de poursuivre le cours de mes instructions; je par choix la pauvreté... Le roi d'Israël recou-
puis à peine ouvrir la bouche et proférer quel- rait à cet indigent, et celui qui possédait des
ques mots, tant l'alfliction, comme un frein, monceaux d'or écoutait respectueusement
enchaîne malangue et arrête mes paroles Quoi 1 l'homme qui n'avait pour toute fortune qu'un
de plus heureux que notre cité avant ceci ? manteau; tant ce manteau était plus éclatant
Quoi de plus triste à présent? De quelque côté que pourpre des rois, tant la cavernedu juste
la

que nous portions les yeux, ce n'est plus iiu'une que les palais des princes 1 Aussi
était plus belle

nuit profonde. Partout la tristesse, partout un le Prophète, montant au ciel, ne laissa-t-il à son

morne silence, une solitudepleined'horreur.... disciple que son manteau et son disciple le

lecalme lugubre qui suit les ravages de l'en- reçut comme un riche héritage c'était, en ef- :

nemi, quand le fer et la flamme ont tout dé- fet, un riche héritage, plus précieux que tous
truit. C'est bien aujourd'hui qu'il faut s'écrier les trésors ensemble. Elle, dès lors, exista dou-
avec le Prophète : Appelez les pleureuses, et blement : il était à la fois dans le ciel et sur la

qu'elles fassent entendre leurs lamentations ' / terre. Je sais que le bonheur du juste Elisée
Que tous les yeux, comme des fontaines, s'ou- vous semble digne d'envie, et que vous eussiez
vrent pour verser des larmes 1 Collines, prenez voulu être à sa place. Mais je puis vous le dé-
le deuil; montagnes, pleurez avec nous! Invi- montrer, nous tous qui participons aux saints
tons toutes les créatures à prendru part à nos mysièrcs, nous avons reçu de Jésus-Cliristinfl-
disgrâces. Une ville si grande, la capitale de niment plus. Elle a laissé son manteau àson di-
tout l'Orient, est à la veille d'être effacée de sciple ;le Fils de Dieu en montantauciel, nous a
,

dessus la terre. Celle qui comptait de si nom- laissé sa propre chair. Elic s'estdépouillé, Jésus-
breux enfants, les a tout à coup perdus, et per- Christa emporté avec lui cequ'il nous laissait.

sonne ne lui vient en aide. Nous avons outragé Ainsi, ne perdons pas courage ;cessonsde nous
celui qui n'a point d'.'gal ici-bas; car l'empe- lamenter de craindre le malheurdes temps.
et
reur est le chef et la tète de tous les hommes Celui qui aprèsêtre mort pournous sur la croix,
sur la terre. C'est pourquoi recourons à celui nous communique encore sa chair et son sang,
qui règne dans les cieux; implorons son assis- quenefira-t-ilpaspournoussauver?Espérons
lance. Si le secours d'en haut nous manque, il en lui, invoquons-le, Uvrons-nous à la prière et
n'y a pas de réparation possible de nos torts"». aux supplications, songeons sérieusement à
Jean continue ainsi, mêlant la compassion pratiquer désormais la vertu et ainsi nous ;

aux reproches, les larmes ;iux conseils, s't ffor- échapperons au péril présent, et nous mérite-
çnnt de consoler, de forlilier, de corriger ce ions les biens futurs' ».
peu[)le inconsistant et excessif, tombé des folies Le lendemain, àlauiêmeheure.aumilieudu
de l'émeute dans le délire de la ptur, é(>erdu, mêmeconcours, Jean vint annoncerle départ de
désespéré, et capable, dans son désespoir, de Flavien pour Coustantiuople. Lebruits'étaitré-
toute espècede lâcheté. L'orateur le rameneaux pandu que les courriers expédiés àl'empeieur
pensées sérieuses, lui rappelle les devoirsdout asaienlété retardés par divers accidents^ ctfor-
'Hltio.,9, 17. — 'Cbr}!,, Som. 2, tu p«up. d'Aat. Chrya,, Som. 2, au p«up. d'Ant.
uo HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

ces de quitter les chevaux de poste pour prendre toi aussi, d'entendre un jour cette parole : Ser-
des voilures publiques. On espérait les préve- viteur méchant, puisque je t'ai remis, sur ta
nir. C'est pourquoi le saint vieillard se mit en demande, ta dette entière, nedevais-tu pas re-
route sans délai, faisant, malgré ses quatre- mettre leurs dettes à tes frères' ? La gloire
vingts ans, les plus grandes diligences, afin que des monarques, ajoutera notre pontife, consiste
l'expression du repentir arrivât, s'il était pos- moinsàvaincre leurs ennemisqu'à vaincre leur
sible, avant la nouvelle du forfait. Nul plus que colère ; car les autres victoires, tu les dois en
lui n'était propre à ce rôle d'intercesseur; car, partie à tes capitaines et à tes soldats. Mais le
outre l'autorité de son ministère et de ses ver- triomphe sur toi-même n'appartient qu'à toi
tus, Théodose l'honorait d'une estime particu- seul, et personne ne partagera avec toi la gloire
lière. « Quand je regarde vers ce siège, dit de ta modération. Tu as subjugé les barbares,
Chrysostome en débutant, et que je le vois vide subjugue aussi l'orgueil du rang suprême, et
et privé du maître qui nous instruisait, je me que les fidèlesapprennent qu'il n'estpasde puis-
réjouis et je pleure. Je pleure de ne plus voir sance qui ne puifseèlre refrénée par la crainte
ici notre père ;
je me réjouis qu'il soit parti de Jésus-Christ. Glorifie ton maître en pardon-
pour nous sauver, pour arracher cette grande nant ceux qui sont avec toi ses serviteurs '.
ville à la colère de l'empereur. C'est votre Maisl'orateur veut surtout quelaconfiancedu
honneur, à vous, d'avoir mérité un tel père; peuple remonte à Dieu. « C'est lui, dit-il, qui se
c'est sa couronne, à lui, de se montrer si placera entre le prêtre et le monarque, pour
bon pour ses enfants, et de confirmer par les inspirer l'un, pour apaiser l'autre car, de toutes
;

œuvres cette parole de Jésus-Christ: Le bon les villes, la nôtre est la pluschère au Seigneur,
pasteur donnesa vie pour scsbrebis Il est parti, '
. soit à cause de nos ancêtres dans la foi, soit à

prêt à donner sa vie pour nous tous, quoique cause de nos vertus; et de même que Pierre, le
bien des choses s'opposassent à son départ son : premier des Apôtres, a prêché Jésus-Christ,
âge avancé, sa faiblesse, la rigueur de la saison, ainsi, Antioche, la première, a prononcé ce
la solennité qui approche, et son unique sœur mot: chrétien, qui est sa couronne et sagloire.
malade et près de mourir il a tout négligé, les
; Si Dieu ne demandait que la présence de dix
affections de la famille, la vieillesse, les infir- justes pour faire grâce à un peuple coupable ;
mités, les fatigues du voyage ; il a préféré à tout ici, oîi nous comptons, non pas dix, ni vingt, ni

votre salut , et il s'en va comme un jeune le double, mais un grand nombre d'âmes qui
homme, la grandeur de son âme lui donnantdes servent Dieu avec ferveur, comment ne pas es-
ailes*». pérer? J'entends dire avec un grand abatte-
Puis pour alléger le poids qui oppresse les ment Les menaces des rois ressemblent à celles
:

cœurs, il suit pas à pas le généreux pontife, des lions. Oui, mais Dieu peut changer les lions
pèse les chances favorables à la cité, les espé- en brebis. Supplions-le donc; adressons-lui une
rances qui lui restent encore, et raconte par ambassade, et il touchera le cœur du prince ; il
anticipation l'audience impériale et le discours nous délivrera de notre angoisse. Tandis que
de Flavien. a Le seul aspect de cet homme vé- notre père accomplit sa mission auprès du roi
nérable, touchera le maître du monde;
dit-il, terrestre, aidons-le de nos prières, invoquons
car la grâce du Saint-Esprit respire non-seule- des cieux, La communion de l'Eglise peut
le roi
ment dans les paroles, mais sur le visage des beaucoup' ».
Saints. 11 lui dira ce que Moïse disait à Dieu : Le peuple écoutait, applaudissait, oubliait ses
Ou pardonnez à ce peuple son crime, ou faites- peines, et s'en retournait soulagé et réconforté.
moi mourir '. Telles sont, en effet, les entrailles Le lendemain, il revenait avec le même em-

des Saints, que mourir avec leurs enfants leur pressement se ranger autour de la tribune con-
est plus doux que de vivre sans eux. Il lui par- solatrice. Le théâtre, l'hippodrome, les thermes
lera aussi de la Pâque qui approche, de ce temps étaient abandonnés. On ne se plaisait qu'à l'E-
où Jésus-Christ fit grâce à tout l'univers, et il glise. Jean étaitlà, dès le matin, démentant les
l'exhorteraàimiter son maître, en lui rappelant fausses nouvelles, combattant les vaines alar-
les paraboles des dix mille talents et des cent mes, ranimant le courage, apaisant les colères,
deniers. Je connais le courage de notre père; il faisant espérer le pardon, s'effoiçaut de rafler-
n'hésitera pas à dire au prince ; Prends garde,
'Malh. 18 iChrya., /Toin. 3, au peup. d'Ant.,1 * Chrys. ffom.
7,
'Jean., 10.— 'Chiy .j i/o/«. 3, au peup, d'Aut.— 'li.\i/d., 32, î.i. au pcup. d'Ant. —
• Clirys. Bam,
3, au feuj>. J'Ant. i.
CHATITRE DOUZIÈME. Hl

m i r contre la terreur de la mort toutes ces âmes vous être montrés si polirons? Quel langage
abattues, grondant ou excusant tour à tour, et leur adresser, comment
leur parler de fermeté
toujours nitMant aux grandes pensées du mora- dans malheur, quand nous sommes devenus
le

tendres elîusions du père et de l'ami,


liste les plus timides que dos lièvres? Mais que faire ?
a Ce Démoslliène chrétien, dit Bossuet ', pro- diles-vous nous sommes des hommes. Et pré-
;

nonça alors des homélies dignes, par leur élo- cisément, parceque vous êies des hommes, non
quence, de l'ancienne Grèce, dignes, par leur des brutes, vous devez être plus inaccessibles à
piété, des temps apostoliques ». de telles frayeurs. Les brutes n'ont pas de rai-
Cependant, malgré les diligences de Flavien, son le moindre bruit les épouvante mais toi,
: ;

les nouvelles de la sédition l'avaient devancé homme, qui es gratifié de la pensée et de la ré-
près de l'em pereur. Théodosc s'emportad'abord flexion, comment peux-tu tomber dans leur

aux plus sinistres projets mais, après avoir ; lâcheté ? Voyez le navigateur : la mer est fu-

parlé debrùler,de massacrer, de ne laisser sub- rieuse, les nuages se croisent, la foudre éclate,
sister ni un citoyen, ni un vestige d'Antioche, tout le monde s'agite dans le navire lui, im- ;

il se contenta d'ajouter aux magistrats locaux, passible, il reste au gouvernail, occupé de rem-
qui avaient commencé à instruire et à sévir, plir son devoir et de conjurer le péril. Imitez-le,

deux commissaires choisis parmi ses principaux et, prenant l'ancre sacrée de l'espérance en

officiers, avec l'ordre de fermer le cirque, les Dieu, demeurez calmes et dignes. Quiconque,
bains, le théâtre, d'ôler à la ville ses privi- dit le Seigneur, écoute mes paroles sans les

lèges et son titredemélropole, delaréduire à mettre en pratique, ressemble à un insensé qui


la condition d'un simple bourg soumis à Lao- bâtit sa maison sur le sable; et la pluie est des-
dicée,et de lui retrancher les distributions an- ce7Khte, et les fleuves se sont débordés, et les
nuelles de grains, établies à Antioche comme à vents ont soufflé, et ils ont fondu sur cette mai-
Constantinople et à Rome. Le choix des deux son, et elle est tombée, et la ruine en a été
commissaires était d'un heureux augure; car grande '.Eh bien ! nous, nous avons agi comme
ils n'eussent consenti, ni l'un ni l'autre, à n'être cet insenséque dis-je ? nous sommes tombés
;

que les aveugles instruments d'une atroce ven- plus misérablement que lui; avant la pluie,
geance, et l'un d'eux, Hellébicus, était lié d'a- avant la tempête, avant le péril, un mot a suffi
mitié avec saint Grégoire de Nazianze '. Toute- pour nous renverser et nous faire perdre tout
fois, leur arrivée redoubla les frayeurs. Les ce que nous avions de sagesse. Quel courage
bruits les plus sinistres se répandirent. Ce fut voulez-vous que j'aie maintenant ? Combien Je
un sauve-qui-peut général ; on voyait déjà la suis humilié! Combien je souffre Sans l'in- !

ville en proie au pillage, aux flammes, à toutes sistance de nos pères, je n'eusse point paru ici,
les fureurs d'une soldatesque ivre de débauche je n'eusse pas pris la parole ; tant je suis offus-
et de sang. Le gouverneur dut se rendre à l'é- qué de votre lâcheté, tant la tristesse et l'indi-

glise, et, quoique païen, y prendre la parole gnation remplissent mon âme Et peut-il en
!

pour rassurer la multitude éperdue. être autrement, quand je songe qu'après tant
Chrysostome, qu'une indisposition avait re- d'instructions, il a fallu qu'un païen vînt
tenu quelques jours chez lui, accourut le len- vous exhorter au courage ? Priez donc, afin
demain. J'ai loué, dit-il, la présence du pré-
<i qu'il me soit donné d'avoir un mot à vous dire,
fet, qui, voyant la ville agitée de nouveau et et que je puisse, secouant ma tristesse, réveil-

vous tous prêts à fuir, est venu vous a consolés, , ler un peu mes idées ; car la honte de votre pu-
vous a rendu l'espérance. Mais je rougis pour sillanimité m'a profondément abattu ' b.
vous qu'après tant de discours de cette tribune Mais déjà les commissaires impériaux s'é-
sacrée, vous ayez besoin d'une consolation taient mis à l'œuvre. La déchéance de la ville
étrangère. J'ai souhaité que la terre s'ouvrît était prononcée, d'innombrables arrestations
sous mes pas et m'engloutît, quand j'ai entendu opérées, un tribunal militaire établi, qui devait
le gouverneur calmer tour à tour et blâmer vos juger en trois jours, sans appel ni sursis, tous
frayeurs intempestives et déraisonnables. Ce Its inculpés; et le nombre de ceux-ci était tel,

n'est pas de lui que vous devez recevoir la le- que les prisons ne suffisant pas à les contenir,
çon ; c'est vous qui devez la donner aux infi- on les avait enfermés dans un vaste enclos
dèles. De quel œil oserez-vous les regarder après sans toit. La ville était consternée. Le troisième
' Bon., u M,f. lui. — 'Cf. Xj2., eiAil. i:3. Maih. 7. — ' Chrj"., Hùm. 16. au pjur- d'Ant. n. I.
lia HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

jour venu, avant l'aube, les commissaires se Le langage, le regard de cet homme qui sem-
rendaient à cheval au lieu ordinaire de leurs messager d'un monde mystérieux,
blait être le
séances, quand tout à coup ils se voient entou- firent impression sur les commissaires ils pro- ;

rés d'hommes inconnus, que leurs vêtements mirent d'en référer à l'empereur. La foule les
lufuibres et leurs pâles visages font ressembler porta plus qu'elle ne les suivit au prétoire, où
à de> spectres. C'étaient les solitaires des mon- déjà les prévenus, rangés autour du tribunal,
tagnes voisines qui volaient au secours d'An- attendaient leur arrêt de mort. Mais là un nou-
tioche. Aucun bruit du monde, aucu» écho de vel obstacle arrête les juges. Des évêques, des
ses fêtes ne montaient à eux au sommet de ces prêtres, Chrysoslome en tête ', obstruent la
rochers, au fond de ces grottes où ils n'enten- porte et déclarent qu'on n'entrera qu'en pas-
daient que le mugissement des torrents dans santsurleurs corps, à moins qu'on ne promette
les gorges de la montagne, et la grinde psal- la grâce des accusés ; et ils embrassaient les ge-
modie des vents à travers les pins et les cèdres. noux des impériaux, s'efforçant de
officiers
Mais au cri d'une villeen détresse ilr accourent, faire prévaloir la pitié dans leurs âmes, tantôt
et, se préci(iitant au-devant des mandataires de par d'humbles supplications, tantôt par de
la Cour, iisdemandent lagiàced'Anlioche, ou, nobles et sévères remontrances. Vaincus, ceux-
s'il faut à tout prix des victimes, à mourir à la ci firentun signe d'acquiescement, auquel ré-
place des inculpés. Envoyez-nous à l'empereur, poBdit aussitôt une clameur immense. Peuple,
disaient-ils, il est chrétien, il est piei^x, il écou- moines, prélats se jettent sur les commissaires
tera nos prières. Non, vous te souillerez pas pour les remercier, les bénir, leur baiser les
son épée. Vous ne couperez pas une tête, ou ce mains. Les gardes cèdent sous la pression de
sont les nôtres que vous ferez tomber '. Et en la foule : le tribunal est envahi. Une femme,
même temps ils menaçaientd'.irracher les con- la tête nue, les cheveux épars, s'était attachée
damnés aux mains des bourreaux '. à la bride du cheval d'Ilellébicus et venait d'en-
Plus impétueux que les autres, l'un de ces trer dans le prétoire avec lui. Le premier objet
hommes saisit par leurs manteaux les délégués qui frappe son regard, c'est son fils enchaîné,
impériaux et leur enjoint de mettre pied à entre deux soldats ; elle court à lui, l'arrache
terre. C'était un petit vieillard d'un aspect mi- aux gardes, le traîne vers le représentant de
sérable. Les officiers levaient la n ain sur lui, l'empereur, et avec des larmes, des prières à
mais àson nom crié dans la foule ils descendent déchirer l'âme la plus ferme, elle conjure Hel-
de cheval et se jettent à ses gi noux. Tout l'O- lébicus d'épargner l'unique soutien de sa vieil-
rient connaissait et vénérait ce pauvre ermite lesse, d'avoir pitié d'une mère au nom de sa
sans lettres, qui passait jourw et nuits à prier mère, et, s'il ne peut lui rendre son fils, de
sur la cime des hautes montagnes, et ne se l'immoler elle-même avec lui '. Tout le monde
nourrissait que de farine d'orge trempée dans pleurait. Il fut sursis à tout, elles commissaires
l'eau. Macédonius, c'était sou nom, repoussa s'apprêtèrent à partir immédiatement pour al-
les hommages des commissaires et leur dit : ler solliciter, eux-mêmes, la clémence impé-
a Allez,mes amis, allez porter cet avis à votre riale. Les solitaires voulaient les suivre; mais,
maître Tu es empereur, mais lu es homme et
: ; pour épargner à des vieillards exténués les fa-
au lieu de ne songer qu'à ta dignité, songe à ta tigues d'un long voyage, il fut convenu qu'ils
nature. Homme, tu commandes àdes hommes se contenteraient d'une requête qui serait mise
de la même nature que toi, et comme toi faits sous les yeux de Théodose et appuyée par les
à l'image de Dieu ; crains la colère du Créateur commissaires. La requête, rédigée incontinent,
si tu détruis cruellement son image. Tu es ir- était aussi ferme que respectueuse, et, tout en
rité qu'on ait abattu des statues de bronze : fiiisant appd à la pitié de l'homme, citait le
Dieu le sera-t-il moins qu'on abatte des statues monarque au tribunal de Dieu. Les pieux in-
vivantes ? Les bronzes, d'ailleurs, il est aisé de tercesseurs ajoutaient que, s'il fallait du sang
les pour un d'en avoir plusieurs.
relever, et pour expier l'émeute, ils étaient prêts à don-
Mais quand tu auras tue des honunes, couuuent ner le leur.
réparercette perte?Pourras-tu ressusciter ceux T ndis qi 'Hel'.ébicus restait à Antioche pour
qui ne sont plus, et f lire rentrer les âmes dans la CMluiei et la contenir, son collègue, Césarius,
les corps itrives de vie ' ? » yartil pour Cou^taniinople en toute hâte, s'ar-
* Cnrys., ibid., Bom. 17, au peup. d'Aot., n. 1. — 'Cbty»., ibiJ,,
p, 2.— 'Tii. i., I. 5, c. 19; Chry;., i/o./i. 17, «u peup. d'Aott Q. la > Ctii;i., ibii; tu p«Uf. d'Ant., n. 3,— < Cb7s., Bom. 17, a, 3,
CHAPITRE DOUZIÈME. 143

rèlanl à peine aux relais et ne descendant de quoi consiste sa dignité, et vous saurez alors,
voiture ni pour boire ni pourinant;er.D<;jà les qu'à moins d'être trahie par ses habitants, elle
doleniis avaient été transférés des prisons,- où ne prut la perdre. En effet, ce n'est pas son
ils étaient entassés, dans un vaste édifice avec titre de métropole, ni la grandeur de son en-

portiques et jardins, où, gardés à vue jiour la ceinte, ni la beauté de ses édifices, ni le grand
forme, ils purent recevoir tous les jours la vi- nombre de ses colonnes, ni ses vas t( s portiques

site de leurs parents et les adoucissements ré- et ses promenade s, mais la vertu et la piété

clamés par leur position. Avec sa mobilité or- des citoyens qui font la gloire, la dignité, la

dinaire, la ville passade l'extrême terreur à la force de la cité que ceci lui manque, les Cé-
;

joie la plus indécente. sars auraient beau la combler d'honneurs, elle


Pour les gens sensés, pour Chrysostome sur- n'en serait pas moins la plus méprisable des
tout, ce fut un surcroît de cbagrin. « Nosnial- villes. Voulez-vous savoir quelle est la dignité,

lieurs ne sont pas réparés, s'écria-t-il, la sen- la noblesse originelle de votre patrie? C'est à
tence de l'empereur est encore incertaine ceux ; Afitioclw que les disciples furent d'abord ap-
qui géraient les alfaires de la cité sont tous dans pelés Chrétiens^. Voilà un avantage que ne
les fers; et deshonimesqui habitent cette ville peut vous disputer aucune cité, même celle de
avec nous, courent au fleuve se baigner, se Romuius, et qui nous permet de lever la tête
livrer i\ l'orgie, folâtrer et danser avec des en face de l'univers. Voulez-vous que je vous
femmes ! Comment
pardonner? comment
les dise une autre de nos gloires? On était menacé
les excuser? Ou plutôt quel châtiment ne mé- d'unegrandefamine,et,s'oubliant eux-mêmes,
rite pas une telle conduite? La tête de la ville les habitants d'Antioche résolurent de secourir
est en prison, ses membres sont dans l'exil, selon leur pouvoirlessaintsdeJérusalem. Voilà
leur sort est encore en suspens, et toi, lu peux une seconde dignité, la charité dans la dé-
danser, l'amuser, te livrer à une folie gnîté I
— tresse En voici une troisième :Quelques
Mais nous ne pouvons pas nous passer de bains. Juifs, étant venusici,troublaientla prédication,
— Sottise 1 mauvaise plaisanterie I Dejjuis com- s'efforçant d'introduire les observances mosaï
bien d'années ou de mois êtes-vous privés de ques. Vos pères n'acquiescèrent pas à cette in
bains Depuis vingt joursà peine, et vous vous
! novation ; mais, s'élant réunis, ils députèren'
plaignez comme si c'était depuis un an Pen- ! Paul Barnabe à Jérusalem, afin que l'ensei-
et
siez-vous à vous baigner quand vous trembliez gnement apostolique restât pur de toute fai
pour vos jours, quand l'invasion militaire vous blesse judaïque. Voilà la suprématie, l'excel
menaçait, quand vous fuyiez au désert et dans lence de notre ville, ce qui la fait métropole,
lesmontagnes?Siquelqu'unvouseiitdit alors : non sur la terre, mais dans le ciel. Tous les
Renoncez au bain, et vous serez délivrés de autres honneurs sont caducs et périssables, ils

vos maux, auriez-vous hésité? Et maintenant finissentavecla vieet biendes fois avant elle;
qu'il faut rendre grâces au Seigneur pour nous vous le voyez aujourd'hui. Pour moi, une ville
être venu en aide, vous l'outragez, vous vous où n'habite pas la piété, est moins qu'un vil-
amusez, et, la crainte passée, vous tombez dans lage, qu'une caverne J'entends dire de
une torpeur plus grande Les bains seraient 1 toutes parts: Malheur à toi, Aulioche Et je I

ouverts, que le mallieur de tant de gens [ilacés ris de la puérilité de ceux qui parlent ainsi

en face de la mort devrait nous faire oublier C'est quand vous verrez des hommes qui men-
toute espèce de plaisir. 11 s'agit de la vie, et tent, qui jouent, qui se parjurent, qui blasphè-
vous songez aux bains, et vous vous occu[)ez ment, qui s'enivrent, c'est alors qu'il faudra
de fêtes Prenez garde, en méprisant les périls
! dire : Antioche, malheur à toi I Qu'es-tu de-
passés, de vous en attirer de plus grands venue? Ah mesbien-aimés, ne nous arrêtons
1

Je sais, quant à vous, que vous êtes étrangers pas aux opinions de la foule, mais comprenons
à ces folies, mais réjirimez donc, punissez, bien (juelle est la prééminence de la ville, et
cbàtiez ceux qui s'y livrent », '
ce qui la fait métropole. El si je tiens ce lan-

La dégradation d'Antioche, la perte de ses gage, ce n'est pas que je désespère de la voir
privilèges inspirent à Chrysostome de belles ré reiirendre ses titres et sa puissance car l'em- ;

flexions.a Vous vous plaignez, flit-il, que la ville pereur est pieux et humain. Mais je veux que
ait été dépouillée de sa dignité? Apprenez en si elle retrouve ses privilèges, vous n'ea soyez
18, au pcup. d'Ar.t., D. 4, 'Ac!. II.
iU HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

pas plus orgueilleux pour cela. Quand vous riers qui n'ont qu'à paraître pour dissiper les
voudrez la vanter, ne parlez ni des belles eaux ennemis, en un seul jour, ils sont descendus,
ni des grands cyprès de Daphné, ni de la popu- ils ont parlé, ils ont mis fln à nos maux et sont
lation qui remplit vos muis, ni de la richesse rentrés chez eux. Telle est la philosophie ap-
de vos marchés, ni de la facilité de circuler portée par Jésus-Christ au genrehumain !

sur les places et dans les rues bien avant dans Nous n'avons pas besoin de discours pour dé-
la nuit; attestez la douceur, la charité, les ver- montrer la vanité du paganisme, la pusillani-
tus, la ferveur de ses habitants, leurs veilles mité des philosophes eux-mêmes : les faits
pieuses : c'est ainsi que vous donnerez d'An- disent assez haut que tout, chez les païens, est
tioche une haute idée' o. fiction,comédie et parade* »,
Le saint orateur se plaît surtout à célébrer le Pendant que la mobile Antioche, trop tôt
dévouement des solitaires chrétiens: cette noble rassurée, s'abandonnait inconsidérément à la
preuve de courageuse affection qu'ils viennent confiance, à Constantinople Flavien sollicitait
de donner à leurs frères, et qu'il fait contraster une audience sans l'obtenir. Théodose s'obsti-

avec la lâcheté des philosophes. « Où sont main- nait à ne pas le voir, à défendre qu'on lui par-
tenant, s'écrie-t-il, ces porteurs de vieux man- lât de la ville coupable, quand Césarius, qui
teaux, qui font parade de leurs longues barbes, avait franchien six jours les trois cents lieues
qui tiennent un bâton dans la main droite, les de rOronte au Bosphore, entra chez l'empereur
philosophes des Gentils, méprisables cyniques, saps être annoncé ni attendu. Il raconta, en la
plus vils que les chiens qui mangent sous la réduisant à ses vraies proportions, l'échauf-
table de leurs maîtres, qui ne 'ont rien que fourée d 'Antioche, suivie d'un si prompt et si
pour assouvir leur ventre ? Ils ont tous déserté grand repentir, les sanglantes représailles des
la ville, ils ont tous fui, ils sont allés se cacher mngistrats, la terreur, le désespoir de la cité,
dans les cavernes. Seuls, ceux qui montrent la l'intervention, les remontrances des solitaires
vraie philosophie dans les œuvres ont paru cou- et des évêques, dont il présenta la requête ta-
rageusement sur la place publique, comme aux chée de leurs larmes qu'il avait senties sur sa
temps les plus calmes de la cité. Les habitants main, et, se mettantà genoux, il fit appel à la
de la ville se sont retirés au désert et sur les haute clémence du prince. Aux prières du
montagnes les habitants du désert sont
: maître des offices, le sénat de Constantinople,
accourus à la ville, et ont prouvé,
par leurs les députations de Laodicée' et d'autres villes,
actes, ce que jede vous dire ces der-
n'ai cessé joignirent leurs instances. Théodose hésitait
niers jours, qu'à l'homme vertueux rien ne encore. Ce fut alors que Flavien parut devant
peut nuire, tant la sagesse spirituelle est supé- lui '. Il avait les yeux baissés, et se tenait à dis-
rieure à tout, bonheur ou malheur 1 L'un ne tance sans dire mot; l'empereur s'avança vers
peut l'amollir, ni l'autre l'abattre ; mais, tou- l'évêque, d'une voix plus émue que sévère,
et,
jours égale à elle-même, elle montre partout la il énuméra témoignages d'intérêt prodi-
les
force qui lui est propre. Qui n'eût pas été décou- gués sous son règne à la ville séditieuse. Et
ragé par les difficultés de notre situation ?Les voilà, s'écria-t-il, leur reconnaissance : ils ont
chefs de la cité, les hommes qui exerçaient le outragé même les morts: Flavien, relevantsa
pouvoir, qui jouissaientd'une grande fortune, noble tête où respirait, avec la majesté de la
d'un grand crédit près de rempereur,ont aban- vieillesse et de la sainteté, une douleur sincère
donné leurs maisons, cherchant le salut dans la et profonde, parla ainsi :

fuite,oubliant amitié et parenté, affectant de Nous l'avouons, prince, nous ne pouvons


ne pas connaître ceux qu'ils connaissaient le le nier, tu témoignas toujours à notre patrie
plus et d'en être inconnus. Les solitaires, ces
pauvres gens qui n'ont pour tout avoir qu'un ' Chrys., t. 2, Bom. 17, an peup. d'Ant. o. 2.

vêtement usé, qui vivent dans une simplicité "La conduite de Laodicée en cette circonstonco a»ait d'antant plu»
de mérite, qu'il y avait entre elle et sa voisine une rivalité ancienne,
rustique au fond dos bois etsur lis montagnes, et portée si loin que les habitants
d'Antioche eussent préféré, disaient*
que de rien devoir àrinterven-
être exterminés jusqu'au dernier,
ces hommes de rien, doués
tels que des lions
ils,

t!on de ceux ds Laodicée. (Cbtys., JBom. 7, eur l'épttce aux Col«M.>


d'un grand et noble sentiment, se sont levés au n. 3.)
' Sozomène raconte
que Flavien, pour incliner à la clémence l'Ama
milieu de la terreur universelle, et en un ins- de Théodos.^, fit chanter, pendant le repas de l'empereur et par laa
tant ils ont tout sauvé. Et, comme des guer- Jeunes enfants de la musique impériale, des chansons lugubres, od
les habitants d'Antioche exprioaaient leur repentir et leur déstispoit,
• Chrys., Bom, 17, «u peup. d'Ant., n. i, (Sozom,, U 7, c. 23.) C'eat plui ridicule qua v(iiasmbla>>l«.
CHAPITRE DOUZIÈME. Wô
une grande affection et c'est pourquoi nous
;
seulement de la part de mes frères; je viens
éprouvons un chagrin extrême d'être devenus, aussi et surtout au nom de celui qui est le
par l'envie du démon, ingrats envers notre maître des anges et le nôtre, dire à ton âme
bienfaiteur, et d'avoir irrité contre nous celui miséricordieuse Si votis remettez aux hom)}ies
:

qui nous aimait tant. Détruis, brûle, massacre leurs offenses. Dieu voits remettra les vôtres.

Anliociie: quelque sort que tu nous fasses su- Souviens-toi de ce jour où chacun de nous
bir, nous ne serons pas assez punis. Prévenant rendra compte de ses actions, et songe que si
ton courroux, nous nous sommes infligé à tu fus offensé, tu peux, par une sentence de
nous-mêmes un supplice pire que mille morts. pardon, effacer toutes tes fautes, sans peine,
Car que piutil y avoir pour nous de plus amer sans effort.
que d'avoir exaspéré sans motifs un prince (jui « D'autres t'apporteront de l'or, de l'argent,
nous comblait de tant de bienfaits, qui nous des offrandes de ce genre; moi, je me suis
portait tant d'affection, et de sentir que toute la approché de ton trône avec nos saintes lois, que
terre connaît et condamne l'excès de notre je te présente au lieu de tous les dons, et je te
ingratitude? Si les barbares, fondant sur notre supplie d'imiter ton maître, qui, chaque jour,
ville, eussent renversé nos murs, incendié nos outragé par nous, ne cesse de nous combler de
maisons, emmené de nombreux captifs, ce bienfaits.
serait un moindre mal. Pourquoi ? Parce que, « Ne confonds pas nos espérances ; ne rends
toi vivant et plein de bonté pour nous, nous pas vaines nos promesses. Je veux que tu le

aurions l'espoir de voir cela finir, et de recou- saches : si tu consens à te laisser fléchir, à re-
vrer avec noti'e liberté une plus grande splen- noncer à vengeance, si tu rends à An-
ta juste
deur; au lieu qu'à présent, privé? de ta bien- tioche ton affection première, j'y reviendrai
veillance, ayant perdu tes bonnes grâces qui plein deconfiance. Mais si tu l'as bannie de ta
étaient notre plus sûr rempart, à qui désormais pensée, je n'y rentrerai pas,je ne reverrai plus
aurions-nous recours ? De quel côté porter nos son territoire, je la renierai à jamais, je devien-
regards, après avoir offensé un maître si doux, drai citoyen d'une autre cité. A Dieu ne plaise
un père si indulgent ? Si donc l'attentat de nos que j'accepte pour ma patrie une ville à la-
concitoyens est horrible, la peine qu'ils su- quelle, toi le plus clément, le meilleur des
bissent ne l'est pas moins : ils n'osent regarder hommes, tu n'as pas voulu faire grâce '
! »

personne, ni jouir de l'éclat du jour, tant la Ce discours, un peu long peut-être', fut
honte lient leurs paupières baissées et les con- écouté par l'empereur avec une religieuse at-
traint àfermer les yeux. Plus misérables que tention. Son émotion se trahissait malgré lui
des prisonniers, toute liberté leur est ravie : sur son visage. A la fin, il s'écria a Qu'y a-t il :

rien n'égale leur humiliation ; ils ne pensent d'étonnant que nous, hommes, nous pardon-
qu'à la grandeur de leur faute et de leur mal- nions à des hommes qui nous ont offensés,
heur, et n'en respirent pas, croyant voir la lorsque le Maître du monde, descendu sur la
terre entière s'élever contre le crime avec plus terre, fait esclave pour nous, et crucifié par
de force q\ie celui qu'ils ont offensé... » ceux qu'il avait comblés défaveurs, a prié son
Le vieillard continue, et, avec un admirable Père pour ses bourreaux, en disant Pardon- :

mélanged'habileté etd'onction, de pieuse adu- nez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font? » En
lation et de sainte autorité, il fait appel tour à même temps, il pressa Flavien de partir et d'ap-
tour à clémence de Théodoseetàsafoi, aux
la porter au plus vite la bonne nouvelle à ses en-
intérêts de son âme et àceux de sa renommée, fants, a Je sais qu'ils sont en proie à de cruelles
lui cite, avec de nobles paroles de Constantin,
• Le lecteur trouvera, à la suite de cette histoire, dans les œuvres
de plus nobles encore sorties de sa propre bou-
de notre Saint {Hom. 21, au peuple d'Ant. n. 3), le texte traduit de
che, et après un tableau navrantdes malheurs cette belle et touchante allocution. Nous avons voulu éviter uo
double emploi en ne l'insérant pas ici.
et du repentir d'.\ntioche, il termine ainsi :
' • Je conviens, dit l'abbé Auger, que ce discours est réellement
a Mes concitoyens ne t'ont pas peu honoré, un peu long mais il faut observer qu'il a été prononcé en présence
;

d'un grand nombre d'assistants, quoiqu'il ne fîit adressé qu'au seul


prince, en me choisissant pour leur interces- Tliéodose, et que les Grecs, en général, étaient plus patients que
seur car ils ont eu de toi celte excellente et
;
nous pour écouter de longues harangues. Nous voyons dans Démosthèna
etdans Eschine que les Athéniens avaient envoyé à Philippe, pour
Irès-belle idée, qu'entre tous ceuxqui relèvent conclure la paix, dix députés, parmi lesquels étaient ces deux ora-
teurs; que les dix députés firent chacun leur harangue ; que celle
de ton sceptre, tu distingues les prêtres de
do Demosihène et d'EschIne étaient fort longuet, -^ (Ang., Hom, de
Dieu, même les plus petits. Mais je ne viens pas S. Jean Chrys , t. I, p. 113.)

Tome I. 10
i\G HISTOIRE DE SAINT JEAN Cim\SOSTOME.

inquiétudes : hâte-toi, va les consoler. En re- fervents d'une reconnaissance profondément


voyant leur jiilote, ils oublieront tous leurs sentie.Le consolateur de ses frères affligés, fut
maux ». Et, comme le vieillard insistait, etde- l'organe éloquent de leur pieuse allégresse.
mandait au prince d'envoyer son fils lui-même C'était le jour de Pâques, 23 avril ; l'éclat sur-
pour mieux assurer la ville de son pardon: naturel du divin ressuscité resplendissait sur la
a Priez Dieu, répondit Tliéodose, que les obsta- ville, qui semblait, elle aussi, sortir du tom-
cles disparaissent, que la guerre cesse, et j'irai beau. Chrysostome prit la parole : son discours
moi-même vous consoler ». ' fut un chant de triomphe, o Béni soit Dieu,
Flavien se fit devancer par de rapides cour- qui nous permet de célébrer avec
s'écria-t-il,
riers, trop lents au gré de l'empereur, dont la vous celte solennité sainte dans la joie la plus
généreuse impatience comptait maintenant les grande, qui a rendu le chef à ses membres, le
jours, les heures, qui devaient prolonger en- pasteur à ses ouailles, le maître à ses disciples,
core l'angoisse d'Antioche. Hellébicus reçut le général à ses soldats, le pontife à ses prêtres 1

dans la nuit le rescrit impérial, et, dès le point Béui soit Dieu qui nous accorde au-delà de nos
du jour, réunit les détenus pour leur en faire
il demandes et de notre espoir!... Rendons-lui
la lecture. Théodose regrettait le sang versé, et grâces admirons sa puissance, sa bonté, sa sa-
;

'révoquait les ordres donnés pour la punition gesse, le soin qu'il a pris de notre cité. Le dé-
de la ville et des habitants Antioche rentrait , mon a voulu la perdre en l'entraînant au
dans tous ses titres et privilèges: la grâce était crime et Dieu, par nos malheurs mêmes, a
;

sans condition ni restriction. rendu plus illustres et la ville, et le pontife, et


En un clin-d'œil la bonne nouvelle se répand le prince • ». Puis, il rapporte tout au long la
dans la ville entière. On ouvre les bains pu- harangue de Flavien à Théodose, harangue qui
blics ; la grande place est purée de guirlandes était son ouvrage, et après avoir cité quelques

et de fleurs* ; les prisonniers rendus à la liberté, mots heureux de l'empereur « Que les Gentils :

et menés en triomphe par leurs familles, tra- soient confondus, s'écrie-t-il, ou plutôt qu'ils ne
versent on se félicite, on
les foules attendries; le soient pas, mais qu'ils soient instruits et

s'embrasse dans on bénit le ciel à


les rues, que, renonçant à leurs erreurs, ils se tournent
haute voix, on mêle dans la même effusion de du Christianisme et apprennent
vers la vertu
reconnaissance etde joie les noms de Théodose, du monarque aussi bien que du pontife la di-
de Flavien, de Césarius. Le soir, la splendeur vine sagesse de notre loi I... Pour vous, ajouta-

des illuminations égala la lumière des plus t-il en que vous avez fait aujour-
finissant, ce
beaux jours. L'ivresse des cœurs gagnait les d'hui, dans l'élan de la fête, pour célébrer la
hommes les plus sérieux. Hellébicus lui-même renaissance de la cité, en couronnant la place
s'associait aux banquets, aux jeux du peuple, et publique, en illuminant les rues, en dressant
le peuple de son côté votait des statues ' à Hel- devant vus portes des lits de gazon, faites-le tous
lébicus. lesjours d'un autre manière ; couronnez-vous,
Quand Flavien reparut au milieu de son non de fleurs, mais de vertus ; allumez dans
troupeau, les témoignages de la plusaffectueuse vos âmes le flambeau des bonnes œuvres, livrez-
gratitude accueillirent son retour. On le reçut, vous aux effusions d'une joie spirituelle, et ne
moins comme un pontife et un père, que cessons de rendre grâces au Seigneur, non-
comme un ange chargé de porter à la terre la seulement pour nous avoir délivrés de nos
plus belle grâce de Dieu. Dieu lui-même parut maux, mais pour avoir permis que nous les
acquitter la dette du peuple, en ménageant au ayons connus. La délivrance et l'affliction con-
pieux vieillard la consolation de revoir sa sœur tribuent également à la gloire de la cité* ».
dont il ne recueillit que plus tard le dernier « II y aurait, dit un critique moderne, un
soupir. Du reste, la religion, qui avait eu la rapprochement intéressant à faire entre cette
plus grande part dans la délivrance d'Antioche, homélie et le discours composé par Libanius
eut aussi le plus beau rôle dans la fête. Ces sur le même sujet'». On trouve, en effet,

mêmes autels, assiégés naguère de supplica- dans les œuvres de


une harangue qu'il
celui-ci
tions anxieuses, virent la foule ivre de joie leur est censé avoir faite en présence de Théodose
porter, plusieurs jours de suite, les hommages pour l'engager à la clémence, et une autre pour

'Chrys , Hom. 21, au peup. d'Ant. D. 4. — '


Jàid, — ' Lekeau, • Chrj-s., nom. 21, au peup. d'Ant., n. 1 * Cbry»., Bom, 21^
Hisl. du bas-i-'iitp., 1. 23^ § 43. au pei.p, (i'Acit., n. 1. ^ *Alb., Thèse, p. 49.
CIlAPirilE TKLIZIEME. 147

lui rendre grâces quand il eut pardonne. pritdu luondi', devait poser cesboriies dé.-iiécs
Zosime attribue à l'intervciilion du sophiste et nécessaires au pouvoir, et lui donner son
l'amnistie d'Antiochc. Maisl'iiistorien païen se vrai caractère. Knallendant, ce qu'il était pos-
trom|ie doublement. Libaiiiusne quitta pas
ici sible de faire, il le faisait. Debout entre les rois
la Syrie ', et son discours n'est qu'une décla- et les jieupli^s, il protégailles uns, apai.'ail les
malion faite après coup, ou, tout au plus, une autres, combattait avec le même dévouement
requête adressée de loin à l'empereur. En tout intrépide etmodcste la licence et le despotisme,
cas il n'eut sur les déterminations de celui-ci et, en enseignant, tout en inculquant dans
tout
aucune influence. « C'est un tissu d'anacbro- l'intérêt de tous le respect de l'autorité, il op-
nismes et de maladresses '». posait à l'orgueil du trône, aux enivrements du
Plus tard, sur lacbairedeConstanlinople, en pouvoir absolu, de sages remontrances et de
face du palais d'Arca^lius, Jean rappelait les saintes menaces souvent écoutées. Il faisait
souvenirs d'Antiocbe, et n'hésitait pas à dire : l'éducation du monde. Les vertus, le talentde
a Notre ville, autrefois, ayant offensé l'empe- ses pontifes, le grand caractère dont ils étaient
reur, il résolut de la détruire de fond en comble, revelus, les hautes maximes de l'Evangile, tou-
maisons, hommes, enfants. Telles sont les co- jours et cloqucmment rappelées etcommentécs
lères des rois. Ils accordent au pouvoir tout ce par eux, formaient le contre- poids salutiire, et
qu'ils veulent, tant un pouvoir sans bornes est seul possible alors, d'une sociétéentraînéeàla
chose funeste' 1 » Et le temps était éloigné en- servitude par le poids immense de son passé.
core où le Christianisme, devenu la loi et l'es- La seule barrière assurée contre les envahisse-
ments de la force, c'était leur courage il no
• Zorltn., 1. 4t — ' Albert, Thèse, p. 39. — ' Chrrs., hom. 7, aux
:

C«ltii. 3. fil point défaut à rhumunilc.

CHAPITRE TREIZIÈME.

EilfDsion ili! — Lulle ardente de


Chrislianisitie. chrétien contre vices misères du
l'esprit — Snpersfitions popu-
les et les siècle.
— Ignorance avilissemenl des grands. — Domaines immenses. — Luïe effréné. — Tenue des femmes de? joiuies
laires. et et
gens. — Eunuqnrs. — Etclaves. — Tlicrmes. — Gladiateurs. — Hippodrome. — Théltre. — Oisiveté du pcupi — Pécoura e.
gement du — Usure. —
travail libre. — Cbrjsargyre. — Coriales. — Désespoir des contribuables. — Misère généialc.
Imiiflts.
— Paupérisme antique. — par — Créations charitables. — Abaissement des caractères. — Sublimes
.\ssistance l'Etat. efforts
da Christianisme. — Admirable rile de ses docteurs.

Le clergé d'Antiocbe s'était acquis, par sa à la métropole de La Syrie, on le vit déployer,


noble conduite dans les épreuves de la ville, au point de vue de l'apostolat, la plus féconde
d'incontestables droits à la reconnaissance pu- activité. Ses nombreuses homélies sur la Ge-
eux-mêmes rendirent hom-
blique. Les païens nèse, sur les Evangiles de saint Jean et de saint
mage à son dévouement, et quelques-uns en Mathieu, sur les Epîtres de saint Paul aux Ro-
furent touchés jusqu'à se convertir au Chris- mains, aux Corinthiens, aux Ephésiens, une
tianisme. Jean célébra sans orgueil ce nouveau foule d'autres non moins remarquables, sont
triomphe de la foi ', auquel il avait une part de cette époque, et attestent autant d'éloquence
si grande, et qui lui apportait un surcroît no- que d'abnégation, de courage et de charité.
morale et d'influence. Aux yeux
table d'autorité Pour comprendre le mérite et la portée de ces
d'Antiocbe chrétienne, il fut désormais la per- travaux, il faut se reporter au siècle de l'ora-
sonnification du sacerdoce, le sacerdoce tout teur.
entier. Mais cette flatteuse popularité n'eut pour L'essor du Christianisme avait brisé toutes
ce noble cœur aucune ivresse, il n'aima que les entraves : il régnait sur le monde romain.
les devoirs et le zèle qu'elle lui imposait ; et, Les édits de Théo(losc,cn proscrivant les sacri-
pendant les neuf ans qu'il resta attaché encore fices, furent le coup de grâce du polythéisme.

'Qiiji., dlK, 1, (Ut aon. Sans doute l'illustre ami de saint Auibroise
148 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHMSOSTOME.

n'abusait pas de son pouvoir pour imposer ?es absurdes, de ridicules pratiques contrastaient
croyances à personne. Nul n'était inquiété p^ur dans la vie d'un grand nombre de chrétien,
avoir préféré la mythologie à l'Evangile. L.ûa- avec la pureté, la sainteté de l'esprit chrétien,
nius et Symniaque recevaient les faveurs du presque étoulTé dans les cœurs sous une couche
prince en restant fuièles aux dieux ; et non- épaisse de paganisme. Chrysoslome attristé,
seulement les païens occupaient des emplois à sans être découragé, dut croire bien des fois
la cour, au sénat, dans l'armée, mais leurs que sa parole impuissante charmaitplus qu'elle
écrivains jouissaient delà plus absolue liberté ne corrigeait ses frivoles auditeurs.
d'exposer leurs idées, de combattre, d'invecti- Malgré la diffusion de l'Evangile, malgré
ver et même de calomnier leurs adversaires. l'incontestable progrès de son spiritualisme
Cependant paganisme s'en allait desa belle
le divin, la superstition prenait encoreunegrande
mort cadavre avant de mourir, rien ne pou-
: place dans la vie et les pensées des hommes
vait ranimer cette défaillance suprême. En de ce temps. Romains ou Hellènes, riches ou
perdant, avec l'appui des Césars, le prestige du pauvres, beaucoupdans le sein mêmedu chris-
culte, il avait tout perdu ; et, une fois le joug tianisme, croyaientaux présages, auxsortiléges,
de l'habitude brisé, lésâmes venaient en foule à la divination, à l'astrologie, employaient les
au Christianisme. sorciers, les philtres, les amulettes, la magie.
Mais l'expansion soudaine de son empire Mêlant bizarrement le nom d'Alexandre le
n'était pas complet triomphe
pour celui-ci le Grand à leurs absurdes pratiques, ils portaient
de son esprit. Que d'hommes, en effet, il lui au cou ou au pied des médailles d'argent ou
fallait accueillir parmi les croyants, qui, nou- d'or à l'effigie du héros macédonien. L'Evan-
veaux venus du polythéisme, en gardaient les gile servait aussi à ces misérables usages. Avoir
préjugés, et apportaient à l'Eglise plus de mi- sur sa poitrine quelques feuillets du saint livre,
sères et d'embarras que de force et de gloire ! roulés dans un sachet ou un étui, était contre

Une autre cause concourait inévitablement et les accidents de la vie un préservatif infaillible,

incessamment à l'afTaiblissement des mœurs et l'on faisait même avec des mots du texte

chrétiennes. Ces mille relations de tous les sacré de merveilleux talismans.


jours, de tous les instants, par la parenté, par Un enfant venait-il a naître, on allumait au-
la politesse, par le commerce, par la récipro- tour de son berceau grand nombre de lampes,
cité des besoins et des services entre des hom- portant chacune le nom de quelque personne
mes qu'abrite la même cité, souvent le même connue par sa longévité; l'enfant devait s'appe-
toit, permettaient aux disciples du Christ ler comme la lampe qui mettaitplus de temps

d'exercer sur les Juifs et les païens une in- à s'éteindre c'était le présage d'une longue
:

fluence qu'à leur tour, Juifs et païens faisaient vie, qu'on rendait plus assuré en suspendant à
subir aux disciples du Christ. Ceux-là n'avaient son coup un lambeau d'un livre d'Evangiles, à
qu'à gagner, ceux-ci qu'à perdre à ce contact : ses petites mains des sonnettes ou des fils de

les mœurs et la foi, tout en souffrait. Comme laine écarlate. Les nourrices, recueillant dans
ces plantes opiniâtres, fléaux de nos champs, les bains publics la boue déposée au fond des

dont les racines pullulent sous la charrue qui cuves, en couvraient le front de leurs nourris-
les déchire, le paganisme et le Judaïsme abat- sons pour les préserver du rnmiiais œil, du
tus et arrachés traçaient encore et drageon- sort jeté par la jalousie. On employait de la
naient sans fin au milieu des divins labours de même manière et dans le même but de sales
l'Evangile. Cet inconvénient était surtout sen- mélanges de suie, de cendres et de sel et l'on ;

sible à Antioche, où le climat amollissant, le écrivait sur les bras des jeunes enfants, sur
goût du théâtre, l'habitude des fêtes, le carac- leurs poitrines, des noms de fleuves et de ri-
tère de la population ardente au plaisir, lâche vières *.

au travail, inclinée à la superstition, formaient C'était pitié de voir des personnnges consi-
autant d'obstacles à défier, à désespérer le plus dérables par la naissance, par la tortune, accré-
intrépide a|iostolat. La foule, qui venait à diter de leurs exem[iles cette stupide crédulité.
l'église applaudir l'orateur sacré, délaissait le De puériles terreur? assiégeaient les âmes. On
prêtre au milieu des saints mystères pour cuu- tenait pour infaillibles les indications des astro-
rirà l'hippodrome prodiguer d'autres applau- logues décorés du nom de mathématiciens, et
dissements à ses écuyers favoris. Des préjugea • Çliryi., passim
CHATITRE ÏREIZIÉME. 149

l'on se fût accusé d'une coupable imprudence que ; et le; choses n'avaient guère changé
si l'on fût l'iidepris iiiioi (jiiu ce soit, sans avoir depuis. Mélaiiiela jeune, qiiifitvendreses biens
préalublenienl consulté ces gens-là. Même pour au au moment de
profit des pauvres, possédait,
quitte le repas ou le bain, on interrogeait les cette grande résolution, huit mille esclaves et
tables astrologiipies. Partir du pied ^î^uiclie, d'immenses domaines enCampaiiie, en Sicile,
tourner en bas l'œil droit en sortant de sa mai- en Aquitaine, en Espagne. La famille Anicia
son, rencontrerau premier |)as un aveugle, un avait (les propriétés jiartout. La ville de Nico-
estropié, entendre un coq chanter, un âne polis appartenait à sainte Paule '. Le mot de
braire, quelqu'un éternuer, étaient de sinistres Pline était toujours vrailes grands domaines :

menaces pour tout le jour. Les païens allaient perdaient l'empire*. Un revenu de plusieurs
jusqu'à croire que l'âme d'un homme qui avait millions semblait peu de chose pour soutenir
péri de mort violente était changée en démon ;
leur rang,à des parvenus d'hier, eunuques ou
et de la leur antipathie contre le culte des mar- valets qui devaient tout à la bassesse,au crime,
tyrs, et l'atroce usage de plusieurs d'égorger de à l'usure, à la concussion, à la délation. Leurs
petits enfants pour avoir à leur service des dé- palais, leurs villas renfermaient, dans leur
mons plus dociles. Les doctrines de Manès, de vaste enceinte, des temples, des thermes, dts
Valenlin, de Marcion, avaient laissé leur em- hippodromes, des bois. De superbes aqueducs,
preinte dans les mœurs comme dansles esprits, sur leurs grands arceaux, amenaient de loin
et augmentaient le chaos moral. De malheu- des rivières dans les jardins de ces sybarites,
reux sectaires, fanatiques de cette idée que la maîtres du monde. Là se déployaient de hautes
chair mauvaise ne produit que le mal, prati- galeries, de riches colonnades les bois, les :

quaient, à titre de vertu, d'infâmes mutilations. métaux précieux, les marbres raresétaient pro-
Les calendes de janvier étaient l'époque so- digués d'admirables mosaïques, des fresques
;

lennelle des grands pronostics. Passer dans la splendides décoraient les plafonds et les murs :

joie la première nouvelle lune promettait une l'or et les pierreries étincelaienl aux lambris,
année heureuse et là-dessus on décorait de
; aux portes de cèdre incrustées d'ivoire les ;

fleurs, de guirlandes, de lampes, l'adora pom- belles colonnes, les beaux groupes étaient pas-
peusement illuminée. Des tables dressées de- sés des temples des dieux dans ces volup-
vant les portes des maisons rappelaient les tueuses demeures de l'orgueil et de l'égoïsme ;
lectislernia des anciens. Hommes, femmes, en- on y com ptait par cenlai nés les statues d'albâtre,
fants buvaient à pleines coupes le vin de Chypre d'argent, de bronzedoré. De somptueuxrideaux
et de Chio, et passaient la nuit à danser en de f oie aux broderies éclatantes, ou de pourpre
plein air, avec grands mélanges de quolibets et de Laconie au tissu transparent, tombaient des
de propos obscènes. Les vrais Chrétiens se te- hautes fenêtres garnies déjà de vitres coloriées;
naient à l'écart de ces orgies mais les foules
; et le toit de ces palais, digne de leur magnifi-
étaient toujours païennes les jours de fête. cence intérieure,
était formé de grandes lames
Quant au luxe d'alors, rien dans nos magni- de cuivre doré reposant sur une charpente de
ficences modernes ne saurait en donner l'idée. cyprès ou de bronze '.L'argent massif et ciselé
Au lieu de cette propreté élégante que le pro- était la matière des sièges, des lits, où d'indo-
grès des arts a rendue presque universelle, la lentes matrones restaient étendues jour et nuit
fortune concentrée dans un petit nombre de sur de moelleux tapis de la Perse et de l'Inde,
mains leur permettait d'étaler un faste excessif, au milieu des roses, dansunnuage deparfums;
d'autant plus insolent qu'il était plus stérile, et tandis que déjeunes esclaves agitaient sur leur
qu'employant surtout à ses satisfactions le tra- front l'éventail doré aux franges de soie, ou
vail des esclaves, ne donnant que peu à gagner versaient des essences sur leurs pieds nus char-
au travail libre, il ne faisait pas circuler un gés de bijoux '. Le soleil ne pénétrait jamais
denier de plus dans une société où quelques- dans leurs chambres d'été, dont les peintures
uns possédaient tout, où les autres n'avaient ne pouvaient être vues qu'au flambeau ' ; l'or
que deux carrières ouvertes pour vivre l'escla- :
leur servait aux plus vils usages *.
vage et la mendicité. Une poignée d'hommes C'était la manie de ces nobles improvisés de
avait accaparé le monde. Des villes, des fleuves,
des provinces leur appartenaient. Sous Néron, • s. Hier., prœf. m epist. ad Tit. — Plin., 18,7. — ' S. Aster.,
d» Latar. et Diml ; Chrys., pasiim.; S. Bu., Hom. in divil., t. 2,
liix propriétaires possédaient la moitié de l'Afri- — * Chrjri., passim. — * Aœm., 1. U et 1. 2g, — Chrys., pauim.
4bO HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

se poser comme les protecteurs des lettres et en public, n'était ni moins nombreux ni moins
des sciences : de là, le luxe des bibliothèques, ridicule : elles préféraient au carrosse élevé des
sépulcres fermés^ où, sur des tablettes de cèdre, hommes ce qu'on appelait la basterne, c'est-à-
dans de précieuses cassettes, reposaient, sans dire une litière fermée de rideaux, et portée

être lus, d'admirables manuscrits aux lettres par des mules blanches magnifiquement har-
d'or*. « Le peu de maisons, dit Ammien, où le nachées. Ltà, sur de riches coussins étincelait,
culte des choses sérieuses était en honneur, sont comme un bouquet de diamants, l'orgueilleuse
envahies par les plaisirs chers à la paresse. On matrone. Son visage étaitencadréde pierreries,
n'y entend que voix qui modulent, qu'instru- ses cheveux en étaient pleins; une murène d'or
ments qui résonnent. Les chanteurs ont chassé aux mouvants anneaux enlaçait son cou et
les philosophes, les comédiens ont remplacé jouait sur sa gorge ; des plaques d'or couvraient
les orateurs L'art s'ingénie à fabriquer des ses mains; sa tunique était de brocard d'or;
orgues hydrauliques, des lyres grandes comme sur ses souliers d'un noir brillant, terminés en
des chars, des flûtes et autres instruments de pointe longue et recourbée, la peinture figurait
musique gigantesques, pour accompagner sur des fleurs aux plus vives teintes; ses yeux, ses
la scène la pantomime des bouffons* j>. joues, ses lèvres étaient fardés de blanc, de
Généralement, la table avait plus d'attrait rose, de noir elle portait à ses oreilles la nour-
;

que les livres on engloutissait dans un seul


;
riture de cent familles '. Dans cet état, elle cou-
repas des sommes énormes '. D'innombrables rait la ville, de l'amphilliéâire à l'Eglise, de

services composaient ces dîners éternels, dont l'hippodrome au bain, suivie d'une foule d'eu-
un poisson monstre était toujours le plat capi- nuques ', dont elle recevait sans scrupule les
tal on le pesait, balances sur table, et des
: Jérôme raille avec
soins les plus intimes. Saint
notaires mandés prenaient acte de la mer- une éloquente amertume armée de semi- cette

veille '. Au centre de la salle à manger s'élevait hommes qui devance la basterne, où s'étale une
une grande amphore d'or, que deux hommes jeune veuve au visage vermeil, dans une toi-
remuaient à peine, vaste réservoir, d'où le lette qui déshabille ce qu'elle a l'air de vêtir';
Thasos écumant coulait dans les coupes ciselées et Jean s'indigne que l'on porte dans le saint
de cristal enchâssé dans l'or '. On n'admettait à lieu cette pompe efféminée et théâtrale Venez- :

l'honneur de servir que de jeunes et beaux vous ici , s'écrie-t-il ,


pour danser ou pour
esclaves, vêtus d'un large pantalon et d'une prier''!
riche tunique, serrée au cou par une agrafe Les jeunes gens rivalisaient avec les femmes.
d'or, aux reins par une ceinture dorée '. Couverts de parfums, de pierreries, de robes
S'ils'venaient à se montrer en ville, ces hauts brodées, avec des souliers peints et des man-
personnages ne marchaient qu'avec une nom- teaux transparents, la mollesse et l'insolence
breuse escorte de clients, de parasites, d'es- étaient leur seule distinction'. Une visite dans
claves, d'eunuques, de monstres, de nains et leurs terres,une partie de chasse, dit Ammien,
de fous. U crieur, en avant, proclamait d'une
' une promenade en gondole d'Averne à Gaëte,
voix sonor-. le nom e" les titres du seigneur, est pour ces hommes efféminés une expédition
qui s'avançait l'éventail en main, un parasol digne d'Alexandre et de César'. Et devant ces
sur la tête, tantôt à cheval, tantôt sur un grand risiblt'sgrandeurs tout devait se courber Un !

char doré aux roues d'argent. Un riche attelage riche passait-il dans la rue, vile de se ranger à
de mules blanches, caparaçonnées de pourpre son a|)i)roche. Entrait-il au bain, tout le monde
et d'or, promenait dans les rues l'efféminé était délaissé pour lui. Prétendait-on le saluer,
triomphateur, ridiculement occupé à faire va- il détournait la tête et n'offrait que la main ou
loir les franges de son manteau et le curieux le genou a» baiser de l'humble clients
travail de sa tunique, où la broderie avait entre- Le grand scandale du temps, c'était le pou-
mêlé, à de bizarres figures de fantastiques ani- voir des eunuques. Introduite à Rome avec le
maux, les paraboles de l'Evangile et les légendes luxe et les mœurs de l'Asie, cette horrible in-
des Saints*. vention de l'Orient se [iropagea dans l'empire
Le corlége desdames, ".urnd elles paraissairnt
' Chrys., Som. 89,sur S. Math., n. 4. — ' Clauifian. in Eutrop., 1,
105 j Clnys., puasUn.; S. xlitr., ep. cd Salvinam ; Id., ep, ad Fu-
' Amm., I. 14, c. 6. — '
Chrys., Bnm. 32, sur S. Jean, n. 3. — riavi. iby.; kp. :id Lfetam, i!nd. — * S. Hier., t. 4, 2. par., p.
559,
' Amm , 1. 11, c. 6. — * làiJ. — ' Air.m. Mii-c, 1. -H, c. 4. — 5!i5, C6; et 6fi8. — '
Chrys., Uom. 8, sur la Ite à Tira., n. 2. —
' Lhrjs., paSitM. — ' Md, — S. Aster,, de l<:iar, et Liât. ' Chrys., piiuiui. — '
Amin. Warc, 1. iS, c. 4.
CllAPlTUE TPiEIZlEME. ISl

avec une honteuse rapiilité ' Les lois essayèrent . vangile,lesenFCtgnemcntsdesPères surTuniié
en vain d'en anvUr le (iro^'rès. En iilein iv' et la (liguité des races liuniaiues, sur les fruits
siècle, sous les yeux île l'Eglise el nialgio ses et la poitée de la RcdemplJDn divine, avaient
réprobations, elle continua de faire d'innom- heureusement modifié la conditiondes esclaves.
braltks vielinies. L'Afrique seule en jetait plus L'Eglise, dont les doctrines devaient conduire à
de viugt mille par an surles niairiicsde chair l'aljolilion de l'esclavage, mais qui n'était pas
huniaiiu'. Instruments commodes de toutes les en mesure d'opérer de longtemps une si grande
infimies, les eunuquesétaient partout, dans le révolution, travaillait du moinsà alléger lesfeis
cortège des honnnes comme dans les chambres qu'ellene pouvait encore briser. Des hommes
des fennnes V Les maisons des grands en étaient auxquels elle rappelait sanscessequemaîtresou
pleines. Ils devinrent les confidents, puis les esclavesélaientau même titre elau mêniedegré
ministres, enfin les maîtres des princes. Claude lesdisciplesetlesserviteursde Jésus-Christ, leur
leur a\ait prostitué les titres et les honneurs'. commun Rédempteur et Seigneur; qu'objets
Diocletien leur confia le service ou plutôt le des mêmes grâces, héritiers des mêmes espé-
gouvernement de son palais. Constance leur rances, admis au même banquet sacré, ils ne
livra son âme et l'Etat *. Théodose lui-même ne différaient devant Dieu que par leurs vertus,
s'en atlrancliit qu'à demi '. Valens et plus tard qui pouvaient donner au dernier des sujets la
Arcadius furent les dociles exécuteurs de leurs supériorité sur le plus grand des monarques;
volontés '. On les fit sénateurs, palrices, con- ces hommes voyaient dans leur serviteur non
pu dire de tel empereur
suls, et l'histoire a plus un mais un frère, non plus une
esclave,
qu'il fut le premier favori de l'eunuque qui chose livrée par le droit à la merci du proprié-
gouvernait. L'Arianisme se plaça dès sa nais- taire, mais une âme immortelleet libre, faiteà
sance sous leur patronage, et leur dut ses plus l'image de Dieu, rachetée de son sang; appelée
grands succès. Soil haine instinctive de toute à partager sa gloire, en qui peut-être il avait
paternité, même de celle de Dieu, soit rancune déjà mis ses complaisances ; et ils se sentaient
contre l'Eglise, qui les écartait comme un op- l'obligation et le besoin de ménager leurs es-
probre de ses autels, ils se firent les persécu- claves, de les respecter, de les aimer, et, à
teurs du cathohcisme, et emi)loyèrent à l'op- l'exemple du Seigneur qui lava les pieds à ses
primer tout ce que l'intrigue et la bassesse leur disciples, de faire disparaître, à torce d'abnéga-
donnaient de puissance. A part de rares excep- tion, d'humilité etde charité, l'énorme distance
tions, ils semblaient avoir pris à tâche de jus- que la loi elles habitudes sociales avaient mise
tifier par leurs vices le mépris général dont ils entre le riche et les malheureux dévoués à le
étaient l'objet. Aussi insolents que rampants, servir. Des femmes de la plus haute naissance,
ennemis de la vérité autant que de la vertu, au Léa, Paula, Fabiola, aimaient à se confondre
point de faire dire à saint Grégoire de Nazianze avec les pauvres, et ne paraissaient dans la
qu'être eunuque ou impie c'était tout un ', ils foule de leurs serviteurs que leurs sœurs et
n'eurent pour moyen de gouvernement que même leurs servantes '. Sous rem[)ire de ces
l'astuce, la trahison, la vénalité, la rapine, idées, lesémancipations se multipliaient indé-
l'assassinat. Vendant tout, les honneurs, la jus- finiment chez les Chrétiens. Dès que l'Eglise
tice, la vie des grands citoyens, la patrie et le eut des revenus, elle en consacra la meilleure
prince, ils souillèrent et ensanglantèrent les part au rachat des captifs '
; et, même sous le
règnes malheureux aux(]uels ils furent mêlés. glaive de la persécution, on vit les S. Hermès,
Et cependant, des êtres abjects, qui n'avaient les S. Chromace se présenter au baptême,
de viril que leur impiété*, abattaient à leurs suivis l'un de quatorze cents, l'autre de douze
pieds les plus hautes têtes de l'empire, jetaient cent cinquante esclaves, qui furent tous allran-
la désolation dans l'Eglise et faisaient trembler chis en sortant de l'onde sacrée. Ceux qui
le monde. commencent à être enfants de Dieu, disait Chro-
Les maximes de fraternité prêchées par l'E- mace, 7ie doivent plus être esclaves des hom-
mes. Ces pensées gagnaient du terrain ; les
Gibb., c. 19. — ' Amm., I. U, c. S; S. Hier., t. 4, 2. par., familles vraiment chrétiennes se faisaient un
p. 587. — ' Suet. in Claud.,
c. 28; Juvén., talir. 14. '
S. Athan., —
Bill, arian. 37 ci 38, t. 1, p. 366 ; Anito., I. 18, c. r,, et l.21,c. 16; devoir d'affranchir leurs serviteurs, dès que,
Liban., orat. 10. —
' Zo«im., 1.
4, éd. Oion., p. 237.— 'Claud}aD.
In Eulrop. ; Tilleul., Vio d« S. Uon. — '
8, Gr«g. Naz., t. 1, ' s. Hier., t. 4, part. 2, p. 670, 678, 587 et 662. — '
Eiuob., in
p. «5».- '
W., t. l,p. 808» vit. Corutont., 1. 4, c. 27.
1S2 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

sufflsamment instruits et éprouvés, ils étaient sacrifié. Pour une pièce de cuivre , le plus vil
trouvés dignes de l'initiation. On les dotait en plébéien pénétrait dans ces splendides palais et
les affranchissant. De nobles matrones dépen- partageait avecle riche patricien une jouissance
saient leur fortune à acheter des esclaves pour estimée au-dessus de toutes. Piien n'égalait la
les préparer au ba plême et les émanci per, quand somptuosité de ces demeures popu!aires:Néron,
ils l'avaient reçu. C'est ainsi que les petites- Titus, Caracalla, Dioclétien, Constantin, Con-
lillesdes Scipion, desFabius, des Marcellus, des stance avaient employé des masses d'or à bâtir
Paul-Emile, rendaient à la liberté ceux qu'a- des thermes au peuple. De riches particuliers
vaient asservis leurs pères, et que la charité rivalisaient avec les Césars, et des villes d'une

restituait au monde les rapines de la conquête. médiocre importance avaient des bains d'une
Cependant le nombre des esclaves était en- incomparable splendeur, avec des fresques et
core très-grand. Saint Chrysostome nous dit des mosaïques de premier ordre, et une pro-
que certaines familles en possédaient jusqu'à fusion de vases, de colonnes, de statues, de
deux mille '. Selon saint Basile, il y en avait groupes en marbre, en bronze, en porphyre.
pour tous les genres d'offices, pour tous les be- L'eau tombait dans les bassins par de larges em-
soins du luxe, pour toutes les fantaisies de l'or- bouchuresd'argentoud'ormassifs. Les thermes
gueil'; et le zèle indigné des Pères nous trace d'Anlioche, d'Alexandrie, de Constantinople,
de de ces infortunés un tableau navrant.
l'état de Rome, comptaient jusqu'à trois mille sièges
On était loin sans doute de ces tristes temps où, de marbre blanc, et des nuées d'esclaves de
pour un vase cassé, pour le caprice d'un des- l'un et de l'autre sexe pour servir les baigneurs.

pote,on jetait un homme aux poissons. Mais il De riches bibliothèques, de longues galeries
que l'esclavage subsistât avec sa vieille
suffisait pour la promenade, des salles de conversation et
organisation pour qu'il gardât la plupart de ses de jeu complétaient ces merveilleux établisse-
misères. Pour un maître humain et doux, selon ments sans analogue de nos jours. Ouverts dès
l'Evangile, il y en avait dix impitoyables et la huitième heure , ils ne désemplissaient pas

durs comme des païens'. De jeunes dames ja- jusqu'au soir. Les grands, les riches, les séna-
louses de leurs servantes leur faisaient expier, teurs, en dépit de leur orgueil et de leur cor-
parles plus mauvais traitements, le crime d'être tège , s'y rencontraient avec le peuple dégue-
plus belles que leurs maîtresses, a II y a des nillé, qui sortait de là ébloui, enivré, mais
femmes si cruelles et barbares, dit Chryso- toujours sale, pour courir aux tavernes, au
stome, qu'elles frappent de verges leurs escla- cirque, au théâtre, aux lieux de débauche. Du
ves, et que le soir ne met pas fin au supplice... reste, il n'y avait plus entre prolétaires et
Elles dépouillent les jeunes filles, les attachent grands seigneurs d'autre rivalité que celle de la
nues aux litières, et, plaçant là leurs stupides dégradation. Chrysostome leur reproche à tous
maris, elles s'en servent comme de licteurs... le vice infâme maudit par saint Paul, déifié par

On vues se jeter furieuses sur leurs vic-


les a Héliogabale et Néron '. Le mal devait être bien
times et les traîner par les cheveux ' ». grand pour arracher au saint orateur des mots
Les bains, le théâtre, l'hippodrome, le jeu, à faire frémir et qu'il est impossible de tra-
remplissaient l'existence des pauvres et des ri- duire *. La souillure païenne était entrée dans
ches. Mais le bain, utile au peuple comme hy- l'humanité jusqu'à la moelle des os plus fa- :

giène, avait un effet moral désastreux. Les cile était à Dieu de créer un autre monde que

thermes étaient des écoles publiques d'impudi- de purifier celui-là.


cité. La politique des empereurs, en les multi- On sait l'invincible passion des Romains pour
pliant avec une magnificence perfide n'avait , les jeux de l'amphithéâtre. Voir des hommes
voulu qu'amoindrir le peupPe en le corrom- s'entre-égorger ou broyés sous la dent des bêtes,
pant, l'enchaîner à la servitude par le plaisir. ce fut longtemps la volupté suprême du peuple-
Dans ces vastes piscines alimentées à grands roi. Princes, consuls, patriciens, édiles, candi-
avaient noyé la liberté du monde, la
frais, ils dats aux honneurs mettaient l'habileté et la
dignité humaine. Le bain était devenu une de munificence à llatter à qui mieux mieux ces
ces habitudes impérieuses auxquelles tout est goûts sanguinaires, et c'était, en effet, le plus
sûr moyen de gagner la foule , le meilleur
'
Chrys., Eom. G3, o. 4, sur S. Malh. — ' S. Bas., Bem. in
ài>--t., § 2, et Clem. Alex., pœdag. 3, 4. — ' Amm., 1. Ï8, c, i.— * Laniprid., in Elag.; Suet., in iVcT. = Chrys.,l. 3, n. 7, oonlrt
. Clirf£.j Hom. 15, sur l'épit. au.x Eph. d. 3 et 4. Us euneuiis de la vio moo.
CHAPITRE TREIZIÈME. 153

titre à SCS suffrages. Aussi les combats des gla- Grâce à l'esprit de mansuétude qui leur était

diateurs se multiplièrent à l'iiifiiii ; la province propre, les disci|)los de l'Evangile montrèrent


les imita de la ville; Persée les introduisit en tout d'abord une profonde horreur pour ces
Maccdoi nt-, Hérode en J udée Alliènos les ad. ptu ; scènes impies et cruelles'. Pouvaient-ils ou-
après Coriutlie; l'usage en devint aus.'ii cou- blierque c'étaitlà, danscesampliilliéàtres, que
sant que général '. Aucune restriction légale leurs frères servaient de pâture aux lions, de
n'en put arrêter le funeste essor. Pline * et Cicé- jouet aux fureurs de la populace ? Même quand
ron les regardent comme la meilleure éduca- de vrais criminels descendaient dans l'arène,
tion du peuple, rien ne leur paraissant plus les chrétiens sedétournaient de ce spectacle de
propre à fortifier les âmes contre la crainte de sang ils auraient cru abjurer leur foi que d'y
;

la douleur et de la mort. Commode donna plus prendre part. Constantin, loué de ces fatales
de mille combats de gladiateurs. Gordien le complaisances aux goûts de la multitude, n'eut
Vieux, avant son élévation à l'empire, en don- pas plus tôt embrassé la loi du Christ, qu'il s'ef-
nait douze par au de cent cinquante à cinq força d'arrêter, par ses rescrits, les féroces
cents couples cbacun. Titus, si vanté pour sa usages encouragés naguère par ses exemples ;

clémence, fit durer cent jours les fêtes de son et, dès l'an 323, il porta ce célèbre décret qui
triomphe, c'est-à-dire que, cent jours durant, proscrit les jeux sanglants, même comme peine
des milliers d'hommess'égorgèreutdansrarcne des condamnés, y substituant pour ceux-ci le
pour le plus grand plaisir du peuple et la plus travail des mines, afin, disait-il, que le crime
grande gloire du prince *. Trajan, le plus sage fût expié sans répandre le sang '. Mais la puis-
des Césars, jeta dans ramphilhéàtre, en une sance du maître du monde échoua devant une
s eule occasion, dix mille captifs '. « Nous dé- habitude si '. Les plaintes de saint
invétérée
testons Caligula, Néron, dit Juste Lipse, pour Hilaire, de saint Ambroise, de saint Cyrille de
avoir mis à mort, par colère ou par peur, quel- Jérusalem, de saint Grégoire de Nazianze, attes-
ques centaines d'hommes et voilà qu'un édi- ; tent assez que ces funestes spectacles étaientfort
teur de jeux publics en faisait périr plus de courus de leur temps. Saint Grégoire s'indigne
mille en moins d'un jour. Etcela s'appelaitun contre les malheureux qui font métier de ces
spectacle, un divertissement ; et cela se faisait, combats, vendant leur sang pour assouvir leur
non par le caprice cruel d'un despote, mais gloutonnerie*. « Fuyez, s'écrie-t-il, ces détes-
avec la sanction de la loi, comme la chose la tables jeux, dont les cruels spectateurs n'expri-
plus légitime dumonde !... Il y eut tel mois où ment d'intérêt qu'en faveur des bêtes féroces,
vingt mille hommes périrent pour distraire, plus mécontents qu'elles quand la proie hu-
pour égayer d'autres hommes ° » Au moment ! maine s'échappe et fuit, heureux au contraire
même où le Christianisme allait régner sur le et battant des mains si l'homme est saisi, s'ils
monde. l'orateurEumène, compliinentantCon- entendentson derniergémissement, s'ilsvoient
stantin encore idolâtre, le remercie d'avoir res- ses dernières convulsions sous la dent qui le
suscité l'ancien usage de faire servir la mort déchire, et l'arène inondée de sang. Bienveil-
des vaincus à l'amusement des vainqueurs, lants au tigre, ils excitent sa fureur, jouissent
a Trop perfides, s'écrie-t-il, pour être employés quand elle s'assouvit, comme si eux-mêmes ils
dans l'armée, trop fiers pour rester esclaves, ces allaient se rassasier avec lui de la chair et du
prisonniers ont fatigué par leur multitude la sang de l'homme '. » Tout le monde ne con-
férocité des bêtes', d Plus tard, sous un prince naît-il pas ce passage des Confessions de saint
chrétien, Symmaque, préfetdeRome, tient en Augustin, où racontequ'Alypius fut entraîné
il

réserve, pour célébrer la questure de son fils, malgré lui à l'une de ces fêtes sauvages, avec la
une troupe choisie de vingt-neuf Saxons desti- ferme résolution de tenir ses yeux fermés et son
nés à combattre dans l'arène ils s'étranglent : âme absente? « un immense
Mais tout à coup
de leurs propres mains pour échapper à cette cri du peuple remua profondément. Il re-
le
honte, et le magistrat philosophe se désole d'a- garda, et fut frappé au cœur d'une blessure plus
voir à les remplacer par des ours '. grave que l'infortuné dont la chute soulevait

' 'Wtllon, Hist. de iMclav., t. 2, p. 132. — ' Plin., P»ncg. 33.— ' TertuU., apolog. 9, 38; S. Cypr., ep. 1 ad Donal.; Id., da
' Cic. Tu«c. '.!, 17, § 11. —
' Jusi. Lip»., Sa(urn.,c. H.- ' Dion.
68, Spect — '
Cod. Tbeod. 25, 12, de Gladial.; Socr., 1. 1, c. 11; So-
IS; Jiut. Lip»., ibid. —
' Jusi. Lips., Salurn., c. l'J. '
Ii'ini.,pn- — zom., I. 1, c. 8. ' —
Il y eut un combat de gladiateurs à Aaiiochs
neg. Contl., \2. —
'
Syœ., e},Ut. 2, 4, 7 et 10 ; Willon, Hiat. rie ta 3^8. (Liban., de vit. t.) —
' Gr. Nu. 6'orm.,
t. 2. p. 1097.—

i-Md., t. 3, p. ta. '


jd,, liid., p. loae.
i54 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

les clameurs de la foule car, aussitôt qu'il eut ; mais ceux des bêtes duraient toujours*. On en
vu ce sang, il en fut enivré lui aussi, et, loin de célébrait à Antioche en 386, l'année même ou
se détourner de ces sanglantes horreurs, il y Chry sostome fut ordonné prêtre '. Le saint ora-
fixa ses regards, il en savoura la volupté, il cria, teur s'élève avec véhémence contre ces odieux
il s'enflamma comme les autres et sortit de là spectacles, qui ne sont propres qu'à éteindre
avec une ardeur folle d'y retourner '. » dans le peuple tout sentiment d'humanité et ;

Ainsi, en face de la Croix, sous des empe- il s'en prend à la fausse sagesse des législateurs

reurs chrétiens, le meurtre de l'homme est païens, qui ont introduit, dit-il, cette peste mo-
toujours une jouissance pour l'homme. Théo- rale dans les sociétés qu'ils avaient mission de
dose, qui avait défendu qu'on forçât personne fonder '. Hélas ! sous le règne même de l'Evan-
à prendre la ciiargc de certains jeux, n'empê- gile, les législateurs chrétiens n'osentque fai-
chait pas qu'on ne la prît volontairement et ; blement combattre un mal enraciné qui défie
ses employés, à son insu, usèrent souvent de leur puissance. On en trouve des traces au
contrainte envers les pauvres curiales, afin temps de Justinien ». La soif du sang, hérédi-
qu'ils eussent à contenter, n'importe à quel taire et inextinguible dans le vieux monde, ne
prix, les féroces désirs du peuple ' les hommes : devait disparaître qu'avec lui.
et les bêles de combat continuaient à être re- Une autre passion populaire, moins odieuse,
cherchés. Symmaque, quiremercie l'empereur mais non moins ardente, c'était l'hippodrome.
d'avoir fait paraître dans l'arène, pour l'amu- Survivant à l'amphithéâtre, il absorbait la fa-
sement des Romains, ces barbares qui leui veur publique, longtemps partagée avec celui-
avaient fait tant de peur, se félicite d'avoir eu ci. Les Chrétiens s'y précipitaient avec la même
la police de ces jeux, d'en avoir donné même fureur que les païens. Il n'y avait, à certaines
pendant son consulat; et sa plus grande solli- époques, de conversation possible que sur le
citude est de réunir, pour les fêtes populaires, cirque : on eût dit que d'une lutte équestre
les animaux et les combattants les mieux choi- dépendait le sort de l'empire et du monde. Des
sis ', Sous Honorius, Prudence en est réduit à journées se passaient à discuter sur les mérites,
implorer comme une grâce ce que Constantin les défauts, les succès probables des concur-
avait élabU comme un droit, et il supplie en rents. On savait le nom de chaque coursier,
beaux vers le fils de Théodose d'achever l'œuvre son pays, son âge, sa généalogie, son histoire.
de son père, d'abolirlessacrifîceshumains*.ll Les auriges, distingués et groupés par les cou-
fallut qu'un martyr de l'humanité, le magna- leurs de leur costume, formaient autant de par-
nime Télémaque, tombât dans l'arène sous les tis ou factions. Les empereurs ne rougissaient
coups du peuple, pour acheter de son noble pas d'appartenir à telle ou telle de ces factions,
sang la fin de ces criminels holocaustes'. Même et se mêlaient à leurs cabales jusqu'à l'indé-
après les prohibitions qui suivirent la mort de cence et à la fureur. Caligula passait la moitié
cet homme généreux, les habitants de Constan- de sa vie mangeait souvent dans les écuries
et

linople osèrent demander à leur maître un des î)erts;Vitellius fit mourir des citoyens pour
athlète pourlutterdansle cirque avec les bêtes avoir mal parlé des bleus • et, plus tard, Théo- ;

féroces; et Salvien nous apprend que, de son doric interposait son autorité royale en faveur
temps, c'est-à-dire aux derniers jours de l'em- des verts contre un consul dévoué aux bleus*.
pire, quand les barbares sont aux portes de La querelle des bleus et des verts troubla plu-
Rome, quand le sol tremble sous leurs pas, le sieurs règnes et ensanglanta de grandes cités.
peuple accourt avec frénésie à l'amphilhéâtie Sous Anastase, les verts massacrèrent traîtreu-
voir des hommes mourir sous la dent des sement trois mille bleus dans une fête. Sous
tigres ' : l'ivresse du sang faisait tout oublier, Jusiin et Justinien, les crimes des bleus impu-
malheurs et périls. nis neconnaissentplusde bornes. Les barbares,
En Orient, il est vrai, les combats des gladia- saccageant Antioche et Constantinople,n'yeus-
teurs avaient cessé dès le règne d, Fhéodose '
;
sent pas fait plus de mal, ni inspiré plus de
terreur. La capitale de l'Orient, abandonnée
cinq jours à leurs fureurs, vit ses plus beaux
' s. Aug., Confess., 1. 6, c. 8. ' Wall., —
Hist. ! l'escl., t. 3,

p. 451. —
• Symm., ep.
10, 61 ; Wallon, ibii. noie 9.1. - ' Piuiienl., 'Chrys. Bom., 10, n. 7, sur l'épit. aux Coloss. —
" Wall., ihii.,

in Symm. 2. 1121. - ' Ttiéod., I. 5, c. 26. ' Salv.,, - Gubfin. D. p. 428.— 'Chrys., Bom. 12, n. 5, sur la Ire aux Corinth.— 'Wall.,
4, 2 ; Saint Augustin parle aussi des combats des bêles 'de Catech, ihid., p. 429 ; Procop., Hist. arc., p. 40; «dit. de 1623. — 'Suet., Wl
tuiib., c. 16, t. 6, p. Ï80). — ' Wall., Hist. de l'escl., t 3, p. 427. Caliy. 55 ; /d., iij VUell. U. — ' Gibb., c 40.

•À
CHAPITRE TRFIZIKME. 155

monuments engloutis dans les flammes, et allendre l'heure ; cinquante, cent mille specta*
faillit y La livrée d'un cocIut
périr elle-même '. ti'urs se précipitaient dui< l'enceinte, et res-
était le dnipi'au de la guerre civile et faisait taient là tout le jour, bravant le froid, le vent,
trembler 1 Elut. Les empereurs menacés ve- le soleil, l'œil lixésur les chars et leurs conduc-
naient au cirijue implorer la grâce du peuple teurs, l'âme alternativement agitée de crainte
et traiter avec lui Justinien y fonda sa \n\'\s- ;
et d'espoir. Les toits voisins étaient couverts de
sance sur trente mille cadavres. Même avant gens auxquels les vastes gradins n'avaient pu
cette époque de complète décadence, sous la donner Le cirque était le temple, le
place.
forte administration deTIu'odose, un cocher de forum, lesénal, la pairie déco peuple dégénéré.

l'hippodrome occasionna la sanglante sédition Rome tombe sous les coups des barbares, et les
de Thessalonique elles tenibles représailles fugitifs de la ville éternelle recueillis à Car-

qui la suivirent; et déjà l'illustre ami de saint thage y passent le temps à se disputer pour des
Basile pouvait dire des jeu\ équestres de son cochers et des histrions'. Trêves a été quatre
temps o Moins inhumains que ceux de l'am-
: fois saccagée, et les rares citoyens qu'a épar-

phithéâtre, ils sont aussi funestes aux âmes ils ; gnés le glaive, du milieu des cadavres et des
brouillent les amis, les parents , divisent les ruines, ne demandent aux empereurs que des
cités, enflamment les séditions, poussent aux jeux : ffOîi donc voulez-vous les célébrer?

luttes sanglantes,déshonorent les vieillards, s'écrie Salvien. Sur les cendres, sur les osse-

remplissent de fureur les jeunes gens, oppri- ments, dans sang de vos frères' ! » Carthage,
le

ment les lois, donnent du crédit aux magi- à son tour, va succomber, et voilà que ses
ciens; car chaque parti appelle à son aide ces lâches habitants s'amusent, comme aux plus
hommes qui, à leur tour, s'adressent à la ma- beaux jours, au théâtre et à l'hippodrome.
lice des démons, lesquels se plaisent aux colli- «Au dehors le fracas des armes, dit encore
sions et aux meurtres. Ainsi, ce s|iectaclej doux Salvien, au dedans le bruit des jeux; la voix
en apparence ,
produit la perte des âmes et la des mourants se confond avec la voix d'une
ruine des fortunes. Que de maisons opulentes populace ivre de plaisir, et c'est à peine si le
ont abattues ces jeux Que de riches ils ont ré- ! cri des victimes guerre peut se distinguer
de la
duits à la mendicité! que de cités heureuses des acclamations de la foule au cirque'».
sous le régime des lois ils ont troublées de , A côté du cirque s'élevait le théâtre, autre
fond en comble Que de fois la sédition, écla-
1 ennemi non moins funeste de l'Evangile. Le
tant au milieu des fêtes, a souillé du sang des paganisme chassé des autels régnait au théâtre,
grands la main du peuple, et, le meurtre appe- y tenait école de lubricité, et, par un incessant
lant le meurtre, le massacre punissant le mas- appel aux souvenirs mythologiques et aux pas
sacre, livré des villes malheureuses au fer et sions humaines, contre-balançait, ruinait les
au feu » '
I progrès de l'esprit chrétien. Les derniers cham
Ce n'est donc pas sans raison que les Pères pionsde l'idolâtrie plaident la cause du théâtre*
tonnaient contre le cirque. Outre les querelles avec le même zèle que celle des dieux : il leur
tumultueuseset sanguinaires qui le troublaient semble qu'elles n'en font qu'une; et c'est aussi
à chaque instant, outre les parisruineux dont la pensée des Pères '. Mais ce que les écrivains

il était l'occasion, il avait, aux yeux des pas- polythéistes admirent, exaltent le plus sur la
teurs, un autre inconvénient : celui d'arracher scène, ce n'est ni la tragédie ni la comédie,
les fidèlesaux assemblées religieuses, et de dé- alors assez négligées,mais la pantomime, objet
truire en quelques heures les fruits d'un long privilégié de la faveur publique. Ce genre de
apostolat. Les jours de fête à l'hippodrome, représentation qui consistait à figurer le drame
tout était oublié l'église, la synaxe les tra- : , parla danse, à exprimer par le geste, par le pas,

vaux, les devoirs, la famille, les intérêts. An- par l'attitude, au son de la flûte et des cymbales,
tioche, qui aimait tant Chrysostome et sa pa- tous les sentiments, toutes les passions de
une course
role, les sacrifiait, sans hésiter, à l'âme, par cela même qu'il mettait en spectacle
de chars. Dès la veille, les avenues du cirque lagrâce et l'élégance des formes, plaisait par-
étaient encombrées, on passait la nuit pour ticulièrement à des hommes sensuels qui

s. Aug., rf« Cm'. Dfi, I. 1, c. 32.

' Salv., rf« Gnhprn. D.,\.6,

' Procop., Hi»I. arc, c. 7; Gibb., c. 40. —


' Gr. Nai., cnrm.
ad p. 215 et 21t< ; édrl. de Pans. 1645.
' fil., /àitl., —
p. 210. ' Li- —
S9tnc.f t. 3, p. ]0^; voir auui ftaint Augustin, ««rco. 198, t. 5, ban., pro sallal., t. 2, p. 474. —
' Chryê., pasûm.; Salv., de Ou-
p. »U8. terti. D., I. 6, p. 208 ; Lad., Inilil , 1. 6, c. 20.
HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

adoraient la beauté et divinisaient le plaisir. sence de trois mille danseuses et d'autant de


Ou sait quelle fureur les pantomimes firent à choristes, figurants ou directeurs'. Le peuple
Rome, dès leur apparition, au temps d'Au- dégénéré n'estimait plus que les agents ou les
guste; combien ils furent goûtés, recherchés, complices de sa bassesse. 11 quittait tout pour le
adulés, imités. Les plus nobles matrones leur théâtre'. Les femmes, en Occident du moins',
demandaient des leçons; les pins hauts person- s'y mêlaient aux hommes, et savouraient, ap-
nages étaient à leurs pieds. Aucune rémunéra- plaudissaient, sans rougir, les farces les plus
tion ne semblait digne de leur génie des : obscènes. Les spectacles publics ne suffisant
hommes, infâmes devant la loi, effaçaient par plus, on appela, comme aux temps païens, les
leur opulence et leurs prodigalités les consuls bouffons, les mimes, les courtisanes, tout l'ap-
et les sénateurs'. Le Christianisme, dès qu'il pareil de la scène, dans le sanctuaire de la fa-
put élever la voix, tonna contre ces spectacles mille, aux festins solennels etaux noces '. Des
immoraux. Us détotinient des joies et des de- troupes d'histrions et de danseuses allaient au-
voirs de la famille ; ils sont un outrage public devant de la jeune mariée et la conduisaient ,

à la dignité de la femme; ils ruiaenl la pu- chez son époux avec des chants lascifs. Saint
deur : gestes, chants, paroles, tout y est lubri- Augustin nous apprend qu'aux fêtes des mar-
cité et obscénité. Le Chrétien ne peut y voir tyrs, l'église elle-même était envahie par une

que la pompe et le ctdte de Satan. S'il y parti- populace en délire, qui y passait la nuit à dan-
cipe, il viole ses vœux, il retourne aux idoles, ser, en chantant les choses les plus infâmes *.

il fait acte d'apostasie, il est sacrilège'^. Ainsi Les saintes colères des évêques se brisaient
parlent tous les Pères, depuis saint Cyprien jus- contre les habitudes d'un peuple corrompu de
qu'à saint Chysoslome, depuis saint Basile jus- longue main par une religion mauvaise et par
qu'à Salvien. Mais rien ne détournait les des gouvernements dont la plus grande force
masses de cette source de corruption la licence : était la dégradation et la bassesse des gouver-
des pantomimes allait croissant. Des femmes nés. Les spectacles étaient l'opium de la liberté :

nageaient nues dans les bassins du théâtre.


' les empereurs le versaient au peuple d'une
L'affreuse comédienne, qui fut plus tard l'im- main prodigue et traîtresse, et le peuple enivré
pératrice Théodora, obtint une vogue immense s'enivrait encore en bénissant ses empoison-
par les incroyables scènes de nudité et d'obscé- neurs Les sanglants désastres de l'invasion
'.

nité qu'elle étalait en plein théâtre '. Tout ce apaisèrent à peine cette fièvre fatale. Quand
qui n'était pas barbarie et cruauté, était dé- les théâtres furent tombés, comme tout le
bauche et souillure. oAhl du moins, s'écrie reste, sous les coups des barbares; quand,
Salvien, les barbares ne connaissent pas ces dans les villes en cendres, les spectacles pu-
horreurs'! » Rome, qui leur abandonnait le blics eurent cessé faute de spectateurs, la spé-
monde, gardait le sceptre de la luxure, et sous culation exploita les familles, et les histrions
ce rapport ne voulait point de rivale. «On ne passèrent de la scène aux salons'.
rencontre dans ses rues, ditAmmien, que des Cette incorrigible fureur d'amusements et de
femmes aux longs cheveux bouclés, dont toute jeux trouvait un perpétuel aliment dans l'oi-

l'existence consiste à balayer du pied les plan- siveté du peuple, détestable et inévitable résul-
ches de la scène, à pirouetter sans fin sur elles- tat de la dépréciation et du découragement qui
mêmes, à exprimer par leurs évolutions et frappait depuis longtemps le travail libre. Ce
leurs attitudes toutes les fictions du théâtre S. n'est pas que la population industrielle ne fût
La crainte d'une disette ayant fait chasser de encore assez nombreuse dans les grandes villes.
Rome tous les étrangers, on excepta de la me- Saint Basile abrège ses discours en faveur de
sure, brutalement appliquée aux maîtres des cette portion de son auditoire qui gagne péni-
quiconque
arts libéraux, était de la suite des blement sa vie par le travail*. Saint Chrysos-
mimes ou passait pour en être, et l'on souffrit, ' Aœm. Marc, 1. 14, c. 6.— Chrys., pass'im. —
' ' S. Ang., de
sans les inquiéter d'une seule question, la pré- Citiit. Dei, 1. 2, c. 4.
— 'Chrys. .possim. — S. Aug.,' t. 5, p. 1252.
' Une d'Honorius reconstitue les spectacles que la prise de Rome
loi

avait suspendus. Elle aunule toute libération de faveur accordée aui


' Sénèq., Nadir, guœst., 7, 33 ; Tacit., Ann., 1. 1, 77 ; Macrob. femmes de la cène, et charge du soin de les y ramener le tribun des
2,17 ; Ovid., Trist., 1. 2, v. 515. —
Chrys., passïm ; S. Aug.,rfe
' plaisirs Ut voluptatibns poputi.,. solil'is ornutus déesse non possit.
;

fid. et oper., § 33, t. 6, p. 317; S.Cyp. , epist. 61;Sal., 1.6, p. 206; (Cod. Thcod., 15, 17, de «emcij. 43 Wall., Hist. de l'esclov.,t.3,
;

Minut. Felic. Octav., p. 343. Lugd, Balav. ' Clirys., —


Bom, 7, p. J32.)
n. 6, sur S. Malh. — * Procop., Hist. secr., c. 9, édit. Isambert. — ' MiiUer, de Genio, etc., œvi Theod,, p. 141. — * g, Baail,
• SaW. d« Gub., p. 105. — '
Aoom. Marc, 1. 14, c 6. Sexaem., Bom. 3,§ ur.
CHAPITRE TREIZIÈME. i&l

(ome parle avec intérêt de ces infatigables oii- pensées, pour apôtres de son Evangile, si ce
vritTS qui, après les rudes labeurs du jour ,
n'est des pêcheurs, des corroyeurs, des arti-

passent encore la nuit à battre le fer sur l'en- sans? Le classe la plus rapprochée du cœur de
cUimo '; il se plaint qu'une ardeur immodérée Jésus-Christ, c'était donc la classe ouvrière.
pour le gain lui ravisse, le dimanche ,
une L'Eglise s'en occupe avec une pieuse sollici-

partie de ses auditeurs '


; et quelques-unes de tude, et de toutes ses forces elle plaide la cause
ses comparaisons sont prises dans les conditions du travail et du salairecontre la dureté et lira-

d'apprentissage souscrites par les |)ères d(! fa- probité des riches '. Sauf les prob'fsions désho-
mille au de leurs enfants'. On sait d'ail-
nom norantes, toutes les autres sont protégées par
leurs qu'artisans et marchands formaient dans elle. Dès l'époque des catacombes, elle avait
chaque ville autant de corporations que de fait des fossores, c'est-à-dire des fossoyeurs des
professions et de niéliers. Ces corporations, qui cimetières chrétiens, une corporation reli-
portaient le nom de collèges, étaient reconnues gieuse, presque un ordre Les ecclésiastique '.

par la loi, traitées comme personnes civiles, et veuves qu'elle entretient sont appliquées au
à l'instar des corps politiques, organisées en service des malades sans famille, et de nobles
décuries et centuries, avec des chefs ou maîtres matrones, d'augustes impératrices, renonçant
qui s'appelaient duumvirs ou quinquennales , aux distinctions de la naissance et de la for-
des questeurs ou curateurs pour la comptabi- tune, se vouent aux plus humbles fonctions de
lité et la gestion des affaires communes, des la vie domestique ^, deviennent dans les hôpi-

secrétaires, des décurions, des adjudants et taux les servantes des malheureux *. Partout

même des affranchis et des esclaves : et cha- dans les monastères, le travail des mains figure
cune avait un patron choisi parmi les plus au premier rang entre les règles fondamentales
grands personnages de l'empire pour la proté- de la vie parfaite '. Il a sa part de gloire et sa
ger de son nom et de son influence. Ce qui est couronnedans leséjour des Saints et d'obscurs ;

mieux, les membres des corporations pouvaient artisans, parvenus des plus viles professions au
parvenir aux magistratures de la cité et même trône de Jésus-Christ, patronnent du haut du
au rang de comtes, dont les princes leur assu- ciel leurs successeurs pauvres dans les métiers
raient les avantages, à moins qu'ils ne préféras- de la terre.
sent, aux honneurs et aux charges qui en On était loin sans doute de ces vieux préjugés
étaient la suite, les proQts de leur simple romains, qui regardaient tout métier comme
milice *. sordide, toute industrie comme vile, tout sa-
De son côté, le christianisme apportait à la laire comme un contrat de servitude, qui tour-
grande cause du travail libre l'irrésistible puis- naient en ridicule ces villes barbares où les
sance de ses doctrines. La réhabilitation du artisans prenaient part aux délibérations pu-
travail lui semblait, à bon droit, le préalable bliques *, et faisaient prononcer la peine de
, nécessaire de l'émancipation des esclaves, et il mort contre un sénateur déchu jusqu'à diriger
poursuivait ce double but avec un zèle éclairé une manufacture. Et cependant, malgré les en-
et soutenu, comme la déiluc'ion logique de ses couragements du prince et l'influence des idées
enseignements. En effet, le travail, selon lui , chrétiennes, malgré son organisation sage et
n'est pas le lot humiliant de quelques malheu- forte, le travail libre reste frappé de défaveur
reux, mais la loi de l'humanité, loi non pas et d'atonie.

d'expiation seulement, mais de progrès, la con- Une double concurrence ferme à ses produits
tinuation de l'œuvre de Dieu dans le monde , les plus larges issues : d'un côté, celle de l'es-

un préservatif contre les entraînements du pé- clavage, puissante encore bien qu'amoindrie;
ché, une source de joies pures et de vertus , de l'autre, celle des fabriques impériales, où
d'avantages temporels et de richesses spiri-
s. Ambr., de Tob., 21, 662 Chry». Bom. 63, in Malth.
tuelles'. Où donc le Fils de Dieu fait homme '

' Dans un ouvrage faussement


t. I, p. ;

attribue à saint JcrOtnc , mais qui


avait-il passé les plus nombreuses années desa lui estcontemporain, les fossoyeurs, qui, à l'exemple de Tûhie, eiise-
vlissaienl les morts, sont regardés comme un cinquième ordra
vie terrestre, si ce n'est dans un atelier ? Qui mineur, après celui des portiers, (S. Hier., t. 5, p. lOU), el recom-
avait-il choisi pour confidents de ses divines mandés aux évéques comme des frères.
' S. Hier., ad Pammach., t. 4, ait. pan., p. 087. Il parle de Paul»
• Chry». m éd., Uom. 2li, 0.4.— ' Jd., Uam. de Onpt. Christ., et d'Estochiiim et Md., p. 660. — 'Théod., I. 5, c. 19, à propof
;

%l'f tt de Ann., serm. 4.— * Id., vit. monast., I. 3, n. 17 ^ iJom. 58, de l'impératrice Flaccilla. —
' S. Hier, ad Itust., t. 4, ait. part.,
in Joan., d. 5. —
• Wal., Hisl. d* l'eKltv., p. 212, 249. — Cbrji. p. 775; s. Bas., reg.fus. tract.; S. Aug., de Op. monach., t. 6.
% SUg., L 1, s. 3. p. 797. —• Cicer., de Offic., ï.*i;pro Flacco, 7, $,
156 lUSTÛlilh: L'^: ^Al^il JEAi\ ClliiYSUSTuMK.

les hommes libres eux-mêmes sont enrôles et d'inutiles efforts.Après plusieurs essais mal-
retenus héréditairement'. Ajoutez à cela les heureux, on un taux légal d'un
s'était arrêté à

lourdes charges dont le fisc ne cesse de le gre- pour cent par mois. Mais cette énorme conces-
\er depuis Caligula et Vespasien ', et surtout sion ne suffit pas à la cupidité patricienne, et
cetodieux impôtdu chrysargijre, qui désespère l'on en vint à ne plus prêter qu'à vingt-quatre,
l'ouvrier en lui disputant une à une les miettes à quarante-huit, à soixante pour cent'. Sylla,

de pain, fruits de ses sueurs. Les bras se reti- Pompée, Antoine, Cassius, Brutus, Galon lui-

rent de ces labeurs ingrats qui ne les peuvent même, tous grands citoyens, mais grands usu-
nourrir. La production décline tout renché- ;
riers, ne livraient pas leur argent à un autre
rit. Des lois de maximum, des tarifs obliga- prix. Sons l'empire, Sénèqne criait philosophi-

toires sous peine de mort essaient d'arrêter le quement contre les calendaircs, la vente du
mal, et l'aggravent le découragement pousse
:
temps, les sanglantes centésimes ', et l'usure

à l'oisiveté qui produit la misère le paupé- ;


n'avait pas de plus impitoyable vautour '. La
risme fait de hideux progrès. Une populace de loiromaine, qui avait des soins protecteurs
lazzaroni encombre Antioche, Rome, Alexan- pour les panthères et les lions, qui défendait
drie, Byzance. Eu vain les orateurs chrétiens d'attenter à leur vie, permettait au créancier
flétrissent la paresse, rien ne peut ranimer celte de s'emparer de son débiteur, de le mettre en
fatale torpeur. Le travail sans sécurité, sans bé- pièces, de le laire pourrir au fond d'un cachot ;

néfices, dévoré par le fisc, tombe dans une dé- et, en effet, un cachot existait dans chaque

cadence toujours plus protonde. Les foules maison de patricien pour ces tristes victimes
aiment mieux recevoir le pain sans rien faire de l'usure, qu'elle avait le droit de tuer après
que de travailler pour mourir de faim et leur ; les avoir ruinées *. Vivement attaqué par le

vie se passe aux thermes, à l'amphithéâtre, à Christianisme, le chancre social défia les efforts
l'hippodrome, devant les tréteaux des saltim- du Ciel, comme il avait défié ceux de la terre,
banques et des funambules '. a Le grand mal et s'étendit avec le malheur et la décadence du
de notre temps, disait Chrysostome indigné, la temps. « L'usure, s'écrie saint Augustin, est
source de tous les maux, c'est la persuasion devenue un métier, une profession on la re- :

d'un grand nombre que le travail et les métiers garde comme une corporation nécessaire à la
sont un déshonneur. Ils n'ont pas honte de pé- cité elle ^a\& patente*
;
a De nos jours, dit r> , —
cher, d'offenser Dieu ils ne rougissent que de
: saint Chrysostome, on a imaginé un nouveau
gagner honnêtement leur vie, et on les voit se genre d'usure, réprouvé par les lois mêmes
traîner à la porte des autres, importuns à tout des païens, une exécrable usure, qui consiste
le monde, plus vicieux, plusméprisables de jour à prendre pour intérêt la moitié même du ca-
en jour ' ». pital, et cela quand le malheureux dont on
Du reste, l'exemple du vice descendait de l'exige est pauvre, qu'il est obligé de nourrir
haut. Les palais des grand** élaienl, la plupart, une femme et des enfants, et que de ses tra-
des maisons de jeu, où d'habiles fripons, sous vaux il arempli l'aire et le cellier de ces riches
les yeux du maître et de compte à demi avec sans cœur ° ». Les fidèles eux-mêmes, en dépit
'.
lui, exploitaient les clients et les visiteurs des prohibitions épiscopales, prêtent à douze
Cupides et prodigues, orgueilleux et vils, ces pour cent, et prennent l'intérêt de l'intérêt '.
hauts possesseurs de la richesse, s'inquiétaient Certes, l'Eglise faisait d'admirables efforts pour
peu des moyens de la maintenir ou de l'ac- arracher à la cupidité ses victimes, et prèsd'ella
croître. De là, les hardies invectives de la chaire les débiteurs désespérés étaient toujours sûrs
chrétienne contre les riches, c'est-à-dire contre de trouver un asile, une protection, un secours
des fortunes souillées, qui n'avaient d'autre efficace. Les évoques empruntaienteux-mêmes
source que la délation, l'usure, la concussion, pour libérer de pauvres malheureux poursui-
le pillage des provinces, d'autre emploi que le vis à outrance; puis, pressés à leur tour, ils
vice. L'usure étai t une vieille maladie de Rome '_ demandaient à leurs ouailles de leur venir en
La république avait fait, pour la combattre ,
' Centesiaœ, 100 pat mois; binœ cenlesimm, 21 p. 100 pat
1 p.
an ;
qunternœ cmlesimœ, 48 p. 100 par an ; quinte cmtesimœ, 60 p.
• Naudcl, Adm. de l'emper.. 3e part., c. 3, art. 6 ; Wall., hist. do 100 par an. Voir Cicéion, m Vnrem oral. 3, n. 70 et ep, ad Allie.,
;

l'etcl., t. 3, p. 253.— Suelon.. in CaUij-, n. 4U, el in Vesp., n. 23.


'
1. S. op, 2; Hor., satir.2 du 1. 1, v. 11. —
' Sen., rfe Benef.,l. 19,

-.- * Chrys. pi.ïsim.— •Chry6.,.ffûm. surces paroles : Saluas Prisca. c. 7. -


" Tacit., Ann., 1.
13, c. 42. —
' Tit.-Li»., 1. 2, c. 23 -,1.6,

— '
Amm. Marc, 1. 28, «, ».— ' Tacit., Anilul., 1. 6, ï. 16: Ytlue c. 36 '-S. Aug., m
ps. 54, § 14, t. 4, p. M9. -: ' Sbif»., S.. m
firii fxnebre mtlum. Malh., nom.. 61. —
' Cbrys., pass\m.
IHAPITUE TREIZIÈME. lt;9

aille pour les dé^njjer, e\n ansM, des mnitis romriiue posait en principe que le territoire de
inipiloyabb'S du créancier'. M ii'< l'usure se mo- l'empire était
la proiiriété de l'empereur. Donc,

quait de la cliuité et poursuivait ses affreux en dehors du prince, plus de propriétaires,


ra\ages. a J'ai vu, écrivait saint xXtnbroise, — mais des fermiers, des colons, autorisés à jouir
et saint Basile, de son coté, trace le même ta- du sol à condition d'une redevance, débiteurs
bleau, —
vu un spectacle lamentable, des
j'ai de l'Etat, traités au besoin comme la loi traitait
enfants conduits à la vente pour la dette de tous les débiteurs, c'est-à-dire emprisonnés,
leur père, héritiers de ses malheurs sans être 1 fligellés, torturés, vendus, et même parfois
de ses biens. Et cet horrible attentat ne fait pas mis à mort '. 11 est vrai que l'influence des idées
rougir le créancier! Il presse, il pousse, il con- chrétiennes avaitmodifié ce régime. Sous l'in-
somme la vente. Ils ont été nourris de mon ar- spiiation de l'épiscopat, de sages édits se préoc-
gent, dit-il ;
pour
qu'ils subissent la servitude cupent des souffrances du peuple, ordonnent
me payer leurs aliments, qu'ils soient vendus d'épargner les laboureurs, veillent à la juste
pour me faire rentrer dans mes avances' » 1 répartition des impùls, répriment la rapacité
Rien, du reste, n'égaliit la misère et le dé- des exacteurs, font à des villes, à des provinces
sespoir des campagnes'. « H est des hommes, la remise entière des contributions arriérées',

s'écrie notre saint orateur, qui travaillent toute etproclament hautement que les droits du do-
leurvie sans gagner de quoi assouvir leur faim; maine sont moins cheis au souverain que la
on leur impose des charges intolérables et per- protection de ses sujets'.
pétuelles, toutes sortes de corvées on se sert ; Mais quand la guerre, la politique, le faste,
de leurs corps en guise d'ânes, de mulets, de la prodigalité, avaient vidé les coffres de l'Elat,

pierre même on leur refuse un moment pour


; et qu'il fallait venir en aide au trésor, le prince,

respirer. Que la récolte abonde ou qu'elle man- en contradiction avec lui-même, après avoir
que, on les pressure également pas la moindre ;
professé la modération et la sagesse, multipliait
concession ; et. chose plus triste encore ! ces les surtaxes, imaginait de nouveaux tributs,
infortunés, après avoir travaillé tout l'hiver au pressait les rentrées, commandait les rigueurs,
milieu des pluies et des neiges, restent non pas livrait le contribuable à bout de ressources à
seulement les mains vides, mais accablés de la merci du collecteur, ouvrant ainsi la porte à
dettes, etlivrés aux exactions, aux rapines, aux tous les excès, à toutes les audaces de l'arbi-
mauvais traitements des procurateurs, plus re- traire, de l'injustice, de la concussion, de la

doutables que la misère et la faim. Qui pourrait violence, de l'exaction. Aucun impôt ne donna
dire ceque gagnent ces hommes sans entrailles lieu à plus d'abus et de plaintes que ce maudit
sur les malheureux travailleurs? Quand ceux- chrysarrjyre. Frappé sur unefoule d'industries
ci ont rempli caves et greniers du fruit de leurs aux abois, il en précipitait la ruine; et lors-
sueurs, ceux-là ne leur laissent pas un bois- que, de quatre en quatre ans, venait la fatale
seau et se contentent de leur jeter pour toute échéance, un spectacle de douleur et de déses-
rémunération quelque peu d'argent ! Le poir s'offrait partout dans les villes de com-
Prophète a raison de s'écrier : deux, étonnez- merce : les mères vendaient leurs fils, les pères

vous! Terre, frémis! A quelle horrible féro- prostituaient leurs filles, et l'impitoyable exac-

cité le genre humain en est-il venu ' d !


teur employait le fouet et la torture pour arra-
Le plus cruel usurier, le plus insatiable vam- cher au pauvre ouvrier son dernier écu. Pal-
pire, c'était l'Etat. Ce n'est pas que le système lade raconte l'histoire d'une jeune femme
d'impôts alors en vigueur différât beaucoup de fuyant d'asile en asile les terribles poursuites
celui qui fonctionne avec succès dans nos so- du fisc. Tombée aux mains d'un voleur, qui lui
ciétésmodernes. Mais une foule d'abus en dé- demande la cause de son désespoir « Mon :

naturaient l'application et ne justifiaient que mari, dit-elle, n'ayant pu payer à l'époque vou-
trop les plaintes amères qui remplissent les lue sa dette publique de trois cents deniers
écrits du temps. D'ailleurs, l'administration d'or, on l'a flagellé et mis en prison, et mes
trois enfants ont été vendus. Moi, fugitive,
'S. Aug., tpU. 268, t. 2, p. 901. — ' S. Ambr. de Tob., c. 8, j'erre de tous côtés, changeant chaque jour de
t. 900 S. B>«., 'U 'H<ùl. it
1, p. ;
jin'ipcT.. I. ?, p. 4:9 j édit. d*
Beb. Cramoisy. I6ay. — * S. Bas., Bom.
trmp. fam. et lîccr/., f. I, •
Ubi debilarum aliquim egestale obsiriclum nihil redderê jioss»
p. 350. —
' Cbrys-, Hom. 61, «ur S. Matili.. d. 3; voy. la lettre 247 dkebalur, ihter/ici debcre proitunciubat. {Amni. Marc, sur Valen-
i» laiDt Auguttio (t. 2, p. 874), où il plaide vivcmcot la oui* do tln, I. 27, c. 7.)— 'Eiiseb., I.4,c. 2; Autul. VieU, U
; <:«J. 'ït)^9i

f<j>:g. col«ai menacés d« payai iioa double tadevaDc*. pamm. — ' Cod. Théod., lU, U
5, 1. 2.
160 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

demeure et n'étant en sûreté nulle part. Les rions, toujours tenus aux charges du municipe
agents du trésor m'ont rencontrée plusieurs et responsables de l'impôt, se virent réduits à
fois etchaque fois flagellée et me voilà depuis
; pressurer leurs pauvres concitoyens ou à sub-
trois joursdans ce désert sans un morceau de venir de leurs propres deniers au déficit des
pain ». Le voleur, moins barbare que l'Etat, recettes publiques.Alors les fonctions decuriale
donna à la pauvre femme les trois cents de- devinrent onéreuses et détestées : on ne songea
niers d'or, et l'ayant reconduite chez elle, ra- qu'à échapper aux honneurs municipaux, à ne
cheta ses enfants et fit mettre son mari en li- pas figurer sur les registres de la cité. La loi dut
berté'. intervenir, et força les bourgeois à rester dans
De semblables horreurs avaient lieu tous les leur curie. Tout homme possédant vingt-cinq
jours et partout. Que le colon qui cultivait un arpents fut condamné à être curiale, avec dé-
champ, que l'industriel qui vivait péniblement fense d'aliéner le fonds de (erre sur lequel repo-
de son métier, ne payât pas sa quotité d'impôt, sait ce titre même de prétendre à au-
odieux, et
on vendait ses bœufs, sa charrue, ses outils, cune fonction ou dignité qui pût l'appeler hors
ses enfants; on le vendait lui-même. Pour de la curie on lui interdit la milice, on lui
:

échapper à la prison ou à la vente, le malheu- ferma la porte du sacerdoce ordonné clerc, on ;

reux s'enfuyait chez les barbares, se faisait l'arracha de l'autel; on l'emprisonna dans sa
bandit'. Les champs étaient abandonnés, des charge maudite, que, pour comble d'injustice,
terrains cultivés naguère se couvraient de bois, il était obligé de transmettre comme un patri-
les villes elles-mêmes se dépeuplaient, l'indus- moine à ses enfants. Il ne resta plus auxinfor-
trie et le commerce dépérissaient de jour en tunésdécurions que le désespoir.On lesvits'en-
jour on ne voyait que mendiants sur les places
: fuir des villes, se cacher dans les bois, envier le
pubUques, que brigands dans les campagnes. sort des esclaves, se vendre comme tels : rien
Si à plaindre que fûtle contribuable, il n'était n'égala le malheur de cette classe d'hommes, et
pas plus malheureux que le percepteur. Rome, c'était toute la bourgeoisie de l'empire '
1

en effet, tout en courbant le monde sous son L'invasion des barkares, les tremblements de
joug, avait laissé à chaque ville, à chaque twm- terre alors fréquents étaient de moins ter-
si

nicipe, son administration intérieure et la libre ribles fléauxque cette misère générale et déses-
disposition de ses deniers, moyennant l'acquit- pérée. Les esclaves, du moins, quelle que fût la
tement régulier des sommes exigées, à titre bassesse de leur sort, avaient du pain et des
d'impôt, par pouvoir central. Les bourgeois
le vêtements chez leurs maîtres. Mais l'indigence
aisés de la cité, sous le nom de curiales ou des prolétaires dépassait tout ce qu'on peut
décurions, formaient une cwne, c'est-à dire un imaginer. Saint Basile dépeint en paroles na-
conseil municipal, lequel choisissait dans son vrantes les angoisses d'un père obligé de choisir
sein un pouvoir exécutif composé de plusieurs entre ses enfants celui qu'il doit vendre pour
magistrats chargés, sous sa direction, de veiller faire vivre les autres. « 11 vient à vous tout en
aux intérêts et de gérer les affaires de la petite larmes, s'écrie-t-il, vous offrir pour un morceau
république. L'état ne connaissait que les décu- de pain une tète si chère. Et vous exploitez son
rions ils lui répondaient de la ville et surtout
: désespoir, vous lui marchandez son sang et sa
de l'impôt. Quand gouverneur de la province
le vie ' » L'Eglise, il est vrai, avait fait et ne ces-
1

avait fixé la quotité de chaque municipe, il en sait de faire des prodiges de charité; elle avait
signifiait le chiffre aux décurions et ceux-ci, à ; créé des hospices pour les malades, des asiles
leurs risques et périls, devaient faire le recou- pourles orphelins, des maisons de retraite pour
vrement de la somme exigée et la verser dans les vieillards et les incurables ; elle distribuait
les caissesde l'Etal. Dans une situation pros- tous les jours des masses d'aumônes. Mais ses
père, rien de plus simple, et le titre de décu- ressources, moins grandes queson zèle, étaient
rion fut longtemps honorable et recherché. peude chose devantcette extension progressive
Mais quand les fautes des princes, le malheur delà pauvreté Lesmendiantsencombraientles
!

des temps, une foule de circonstances déplo- rues, les parvis des églises, les péristyles des
rables eurent appauvri l'industrie et l'agricul- palais, et faisaient métier de la misère. Chants
ture, que l'argent devint rare, et que le contri-
buable ruiné ne put acquitter son rôle, les décu- ' Fauriel, Hist. de la Gaule méridionale, 1. 1, p. 372; De Broglie,
De régi, et de lemp., i. 2, p. 217. ' S, Bas. —Sont, de avarit. id
• Hlil. Uu»iic., c. 63 ; Yil.patr^, p. 573.— Thni., «p. 42 «t 45, iUud DatrKom horria, 332 èdit. de Puis, 1638.
: t. 1, p. ;
CHAPITRE Treizième. 461

obscènes, jonpleries , impertinences, insultes, pcrcur, qui se contenta d'ordonner qu'âne cer-
tout leur était bon pour ramasser autour d'eux taine quantité de vin seraitvendue au peuple
lesfoules oisivesetextorqueraux badaudsquel- au-dessous du cours. MaisConstantin supprima
ques sous. On les voyait, simulant le désespoir, les ventes à prix réduit et
n'admit que les dis-
s'enfoncer des clous dans la tète, dévorer des tributions gratuites. Etendant à la nouvelle
lambeaux de vieilles chaussures quclques-uas ;
Rome les privilèges de l'ancienne, il octroya à
mutilaient leurs propres enfants, leur crevaient sa chère Ryzance le pain, le vin , l'huile, la
les yeux, pour s'en faire des instruments de viande, le lard. Une annone spéciale fut établie
pitié et de lucre '. D'antre part, de saints pon- pour la fournir de toute sorte de denrées. Dès le
tifes, d'admirables solitaires, en étaient réduits règne de Constance, on y distribuait quatre-
à donner les vases sacrés, leurs livres, leurs vingt mille boisseaux deblé apportés d'Egypte'.
TÔtements, leur liberté même, afin de procurer Là, comme à Rome, les approvisionnements se
quelques faibles secoursaux membres de Jésus- faisaient par des corporations privilégiées de
Christ souffrants et abandonnés.SaintSéraiiion, marins, de boulangers, de marchands, dont les
surnommé le Sindonite, se vendit plusieurs charges étaient obligatoires et héréditaires.
fois lui-même au protit des pauvres, et à la Antioche, Alexandrie, Carthage, sollicicitèrent
fin il se donna à une vieille femme sans res- comme un honneur l'aumône de l'Etat'.
sources qui le brocanta pour un peu de piin'. Mais ces ventes à vil prix , ces distributions
Et toutefois, on était déjà loin des mon- gratuites, si onéreuses au Trésor, porta'rnt-elles
strueuses proportions du paupérisme sous l'ère du moins un réel soulagement aux souffrances
païenne, quand Rome seule, même après la du peuple? Envoûtant le sauver du désespoir,
distribution des terres par Jules César', comp- on le poussait à la paresse. Certes, si le gouver-
tait trois cent-vingt mille citoyens inscrits sur nement se proposait comme but suprême de sa
la liste Ces fiers Romains n'é-
des indigents 1 bienfaisance la soumission des masses à son
taient que d'orgueilleux mendiants, qui se despotisme, il avait parfaitement réussi. Ses
croyaient les maîtres du monde, et qui vivaient libéralités funestes avaient éteint dans les âmes
sans honte de l'aumône de l'Etat et des restes la dernière étincelled'activité libre. L'assistance
de festin que, sous le nom de sportules, de fas- publique n'était qu'une prime à l'oisiveté et à la

tueux patrons leur faisaient distribuer par des crapule. Tous les jours, à heure fixe, chaque
esclaves à la porte de leurs palais. La mendi- citoyen alimenté montait, muni d'un billet,

cité, sous diverses tv^rmes. existait chez eux à l'escalier assigné à son quartier, à sa division,
tous les degrés de la hiérarchie sociale, et les et recevait, ou gratis ou à très-bas prix, un pain
gueux en prétexte n'étaient ni moins effrontés de trente-six onces en forme de couronne, et
ni moins rampants que ceux en guenilles. qu'on appelait pain de l'escalier^. A Rome,
le

Il est vrai , le Christianisme avait profondé- comme grands édifices destinés à


ailleurs, les
ment modifié cet état de choses. S'épanchant l'aumône officielle étaient entourés de cabarets
de son sein comme un fleuve, la charité avait et de mauvais lieux. On passait de l'escalier du
noyé sous ses flots divins bien des laideurs du pain à l'antre de la débauche. Or, l'Etat, qui
paupérisme antique et une foule d'atrocités faisait manger ce peuple de mendiants, ne s'in-

caractéristiques des mœurs païennes. Mais quiétait pas d'autre chose, et pourvu que la

l'ancien système de l'assistance par l'Etat sub- multitude assouvie et abrutie obéît et se tût, il

sistait toujours, et perpétuait, aggravait la mi- 11 arriva que ces infâmes


fermait les yeux à tout.
sère qu'il prétendait soulager. On a tout dit maisons cachèrent des mystères d'horreur. A
sur secours publics chez les Romains '.C'é-
les peine les misérablesqu'yattirait le viceavaient-
taient d'abord des distributions de blé. Sévère ils mis le pied dans le cabaret, que, le plancher
ajouta de l'huile, Aurélien du lard. Ce dernier s'affaissant sous eux, ils se trouvaient prison-

substitua au blé, distribué tous les mois, le niers dans une espèce d'atelier souterrain, où,
pain distribué tous les jours; il parla de donner sans espoir de délivrance, perdus pour leur
aussi du vin. Pourquoi pas des poulets? dit un Socf., 1. 2, c. 13.— S'agit-il d'one dislribulion par an oh par jour î

préfet du prétoire. Et ce mol fit reculer l'em- Dana la première hypothèse, ConstantiDoplo était traitée plus parci-
monieusement que Rome;d.in3 la seconde, nous arrivons à un chifl'ts
• Oirjfi., pnjfim. — •Pall.,hlBt. Lioilïc., c. 23. — 'Sncl., in /ut (abuleux. l'eut-éire faudtait-il adopter un» ditlribution de 80 miXlt
Ccei., 41. — ' Na^idet, Mém. «ur Icjjec. publ. ; Wal., Hut. <l« l'es. boisseaux par mois.
claf., t. 3, p. 2i6 ; Meunier, da l'aMiil., o. 3 } De Uroglie, l'éj;!. <t
• F.u=cb., Hiet. eccl. 1. T, c. 21 j Wall., (oc. «(..t. 3, p. 259. ^^
l'emp., t. 2, p. leo. 'C«d. T""»d.,l. 2<, t. 3,

TOMB I. 11
i6î HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOMË,

famille, ils passaient la vie à tourner la meule. d'aristocratie, grandeur signifie bassesse. Pour
Un soldat de Tlu'odose, pris à ce piège, usa de trouver un caractère, uneâme, uneconscienc>;,
son poignard et s'cchappa. Le prince fil raser la sainte fierté du devoir et du droit, il faut se
ces affreux repaires'; mais il ne supprima ni tourner vers l'Eglise. Là palpitaient des cœurs
la misère ni la paresse, ces hauts pensionnaires généreux; làparlaientd'incorruptiblesoracles;
de l'Etat entretenus à grands frais. làdes hommes saintement courbés sous la pen-
Du reste, le gouvernement qui avait pris à sa sée de Dieu se dressaient de la hauteur de cette
charge la nourriture des pauvres, leur laissait pensée contre toute oppression humaine. L'E-
le souci de se loger. Bon nombre n'avaient glise était la seule force ici-bas que César n'avait

d'autre demeure que la rue, d'autre couche <iue pu ni absorber, ni briser, ni plier. Aussi ne
le pavé de marbre sous le portique des édifices voyait-il en elle qu'un rival détesté et contre

publics. Les palais de? riches, avec leurs im- lequel tout était bon, les usurpations ouvertes
menses jardins, occupaient presque tout le sol et les concessions perfides, la persécution et la
de Rome. A peine restait-il un peu de place corruption. Car ces pitoyables autocrates, qui
pour les chétives habitations des plébéiens, ap- ne savaient pas se garder contre les barbares,
pelées hisulœ, îles, le nom de maison, domus, eussent voulu étendre leur ignoble despotisme
étant exclusivement réservé à la demeure des sur âmes, sur les consciences, sur Dieu lui-
les

grands. Entassés dansces îles malsaines, les pro- même comme sur tout le reste. Et il est vrai
létaires s'en partageaient les différents étages et qu'il s'était créé des complicités dans le sanc-

les niauvaises chambres sans lumière et sans tuaire. A côté des grands docteurs, des grands
air'; et ces tristes taudis se louaientàdes prix saints, des grands pontifes, ou ne comptait déjà
fous, genre d'usure auquel l'indigence elle- que trop d'évêques mondains et vendus, de
même ne pouvait échapper. En vain les édils prêtres ambitieux et serviles. Il n'y a guère que
souverains avaient def.ndu d'élever plus haut le désert et son peuple d'ascètes qui restent

que soixante pieds ces fragiles bâtiments con- inaccessibles au souffle fatal qui énerve tout :

struits à la hâle avec de mauvais matériaux; de là, pourles âmes viriles et chrétiennes l'at-
l'espace manquant, les prohibitions tombèrent trait de la solitude. Ceux-là seuls restent dans

en désuétude, et l'on eut à déplorer chaque jour le monde que le devoir y enchaîne. Les autres
de nouveaux et terribles accidents. s'estiment heureux de fuir le plus loin possible
Plus heureuse en apparence, l'aristocratie ce spectacle de dissolution et de honte ils cher- ;

n'était que la première victime du despotisme chent au fond des Thébaïdes, au sommet des
impérial. SfJsmembresjouissaientd'iTiimi mités montagnes, un coin de terre qu'il n'ait pas
et de privilèges consider.ibles, lestilres les plus souillé,où ils puissent respirer, loin des
pompeux leur étaient prodi^iués, on les appe- hommes et de leurs bassesses, dans la prière et
lait, grand--, parfaits, peifcct/ssimes, ilhistres, le travail, la sainti^ liberté des enfants de Dieu.
très-illustres '. Mais la délation acharnée à leur Ainsi, d'une part, la rapide et merveilleuse
précaire existence pouvait, d'un instant à l'au- extension de la foi chréiienne, ses enseigne-
tre, les jeter du faîte des grandeurs dans la plus ments glorifiés par les plus beaux génies et
affreuse misère. Leur nom, leur fortune, leur triomphantdu philosophisme païen et del'hé-
famille, étaient à la merci d'un décret. Devant résie, l'élan des plus nobles vertus, les plus
un iiouvoir (|ui pose tn principe que tout lui admirables dévouements, les touchantes créa-
appartient., hommes et choses, ils p::S5ent leur tions de la charito, l'E'.angile pénétrantpeu à
vieà trembler, à dissimuler, à rainpei', et il n'y peu (leson esprit vieux droit romain, de sages
le

a que leur insolence \is à vis des faibles et des édits favorisant l'émancipation des esclaves,
petits(|ui égale leur bassesse vis-à-vis du maître. relevant la condition de la (émiiie, replaçant la
Etre admis le matin dans la chambre de César famille sur sa base véritable; l'indissolubilité
pour adorer l'astre à son lever, être invité le du mariage, l'adoudssement progressif des
soir à>a table, leur semble la plus haute faveur mœurs, un irrésistible comaiit d'idées fortes et
de la Providence, le comble de la gloire. Apla- généreuses, un travail vi>il)le et puissant de ré-
tissement et lâcheté sont devenus synonymes novation sociale, la solitude |peu|ilée de Saints,
le sacerdoce, malgré qu^ iques ombres, rayon-
' Socr.,1. 5, 18.— ' Vitruv.,2, 8 Juven., sifir. 3, t. 199,223;
c. ;
nant <le la gloire des lliiaire, des Ambroise,
Jast. Lips., de Moy. urb. iiwi , 3, 4, — ' Naudec, Cbaag. daua
l'emp., t. a, e. 3, art. 2. des Martin, des Basile, des Astère, desEpipliane,
CHAPITRÉ tueizièmë; t6à

des Chrysoslome cl d'mie foule d'antres moins météores. En vain les pïodigês succèdent aux
illustres sans (."tre moins grands, partout des prodiges, en vain de sublimes efforts sont dé-
splendeurs intellectuelles et morales d'un in- ployés de toutes parts, le monde reste plongé
comparable éelal; et, d'autre part, décadence dans ses hontes, couché dans sa bouc il n'a :

profonde, liorribiedis.olnlion. le travail décou- pas assez d'énergie pour être chrétien. La cen-
ragé, le commerce défaillant, ragriciiltnre rui- tralisation romaine si savante et si puissante,
née, la population amoindrie, la lion rgeoisic dé- en se substituant partout à racliviléindividuelle
sespérée, la noblesse déshonorée, les frontières et locale, a déshabitué chacun de sa responsa-
envahies, les villes saccag^v-s, une misère im- bilité personnelle, de toute espèce d'initiativeet
mense, et, au milieu des ruines et des flammes, de spontanéité. D'un bout de l'empire à l'autre,
des fêtes et des joies dégoûtantes, l'anarchie elle pèse comme un niveau de fer sur une po-
sous despotisme, le mépris de toute autorité
le pulation énervée, servile, impuissante, qui se
et lerelâchement de tous les liens dans la plus regarde ellc-mèmecommelachosed'un homme
complète servitude, le monde s'écroulant sous chargé de penser, de vouloir pour elle, et ne
le double poid- de sa jiourriture et des Césars: donne signe de vie que pour acclamer tour à
tel est le tableau d'une époque qui saisit autant tour, avec la même ivresse, tous les maîtres qui
par sa grandt-ur que par sa bassesse, où les plus lui font l'honneur de la gouverner. A Rome,
Tives clartés d'une aurore brillante et glorieuse à Byzance, à Alexandrie, à Antioche, c'est par-
se mêlent aux ombres lugubres d'un soir si- tout le même spectacle, la même lâche insou-
nistre. ciance, le même peuple.
Un de ses traits saillants c'est reffacement H n'y a plus là qu'un monde vieilli dans la
des caractères, la lâcheté 1 En dehors de la soli- mollesse et l'esclavage, usé, décrépit, gan-
tude et du sanctuaire, le sentiment de la di- grené, bon à parer les gradins d'un amphi-
gnité humaine n'exisie plus. Cetantiqne orgueil théâtre, à couronner des pantomimes, à pro-
du citoyen, qui y suppléait quelquefois, a fait clamer des empereurs, à manger entre deux
place à une prodigieuse aptitude à se proster- débauches le p^mderescalier. Comment trou-
ner, à ramper devant tous les pouvoirs qu'un ver dans cet affaissement général, dans cette
caprice de prétoriens, une intrigue d'eunuques lâcheté, dans cette abjection, le ressort, l'élan
fait surgir on ne sait d'oii, et jusqu'aux pieds nécessaires à l'intelligence sérieuse, à la pra-
de tous les favoris, de tous les valets de cette tique vraie de l'Evangile? La Providence n'a
fragile grandeur qui passe dutrôneàl'égoûlen qu'à balayer celte pourriture. Et en effet, ses
un jour. On ne qu'une chose s'aban-
sait plus : cataractes sont ouvertes ; le flot monte d'heure
donner corpsetàmeaudespotisme,encourager en heure ; Alaric est là !
ses usurpations, lui livrer au-delà de ses désirs, Une chose toutefois repose le regard attristé,
étonner par l'audace de la servilité l'audace de et console l'âme de ce spectacle de ruines et de
la tyrannie. Le monde est insatiable de servi- mort : c'est la lutte ardente, intrépide, infati-

tude. Mais cette lâche abdication de la respon- gable, sublime des docteurs de l'Eglise, contre
sabilité humaine, cette muette adoration de la cette bassesse, cette ignorance, cet égoïsme,
force et du succès, ne donnent ni plus d'assu- cette corruption des mœiu-s publiques et pri-

rance au pouvoir, ni plus de sécurité aux es- vées, lâches, viles, rapaces, honteuses, contre
claves. Jamais l'autorité ne fut plus absolue, ce mal si ancien, si profond, si incurable. Noé
ni le monde plus misérable. du monde moral, en prophétisant le déluge,
Et celte fange de vingt siècles, le Christia- ilsbâtissentrarche,ilsyappellent,ils y recueil-
nisme eût voulu, comme le Créateur autrefois, lent lesàmesd'élite, toutes celles que Dieu des-
tine à la rénovation du monde, les grands
la pétrir de ses mains divines, la pénétrer d'un
souffle de vie! Chaque jour, à sa voix, surgis- germes de vie vaisseau mystique doit
que le

sent de grandes vertus et de grandes âmes, sauver du cataclysme et auxquels se rattachent


d'admirables météores éclairent d'une vive lu- l'avenir de l'humaiiilé elles desseins de la Pro'

mière l'horizon moral, mais ce ne sont que des videacel


iCi illSiOlUii DE SAiiNT JEAN C1IR\SOSTOM£L

CHAPITRE QUATORZIÈME.

Principal objet de la prédication de Jean.— Appréciation d'un moderne. — de l'orateur pour arracher
critique peuple
ElTorts le
— Homélies sur Calendes. —
à l'ignorance et k la superstition. les de — Graves
Litire arbitre dans célébra-
l'Iiomnie. al)us la

tion des noces. — Enseignements répétés sur du mariage. — Conseils aui époux chrétiens. —
la sainteté et l'inJissohibilité

Devoirs des pères mères. — Éducation de l'enfance. — Livres païens. — Les jeunes gens doivent être mariés de bonne
et

heure. — Discours sur choix d'une épouse. — Mariage


le — Applaudissements de
d'Isaac. l'auditoire.

du chapitre précédent a été atteint,


Si le but teur d'Antioche en éprouve une tristesse qui le
le lecteur peut se faire une idée exacte de la suit partout, qu'il ne sait pas dissimuler, et
situation respective du Cliristianisme et du po- qui, s'allumant en passion au fond de son âme
lytliéisme à la fin du iv* siècle, sur ce champ aimante et généreuse, fait de lui l'avocat élo-
de bataille où se heurtaient alors, d'un choc quent et opiniâtre des pauvres et des petits.
suprême, l'ancien et le nouveau monde. Au Mais la pitié de leurs maux ne l'aveugle pas
plus fort de cette mêlée, entre les plus vail- sur leurs vices en brûlant d'alléger le fardeau
;

lants et les plus illustres, apparaît Chrysos- des uns, il veut aussi briser le joug des autres ;

tome, soldat, héros, martyr bien plus qu'écri- et s'il tonne contre l'avarice, le luxe, l'orgueil,
vain et docteur. Un ennemi surtout attire son s'élève-t-il moins souvent,avec moins de force,

attention, occupe son courage ; celui-là, il le contre la paresse, l'ivrognerie, la superstition,


poursuitavec une ardeur implacable, et contre l'amour effréné du cirque et de l'amphithéâtre,
lui toutes les armes lui sont bonnes : la raison, et toutes ces erreurs, toutes ces habitudes gros-
la passion, l'ironie, le sarcasme, l'invective, sières, honteuses, déplorables d'un peuple en-
l'anathème. Qu'il explique un texte sacré, qu'il fant pour lequel il n'hésite pas à descendre aux
célèbre un martyr, au fond presque tous .ses plus petits détails de l'enseignement, à la réfu-
discours sont des philippiques, et il n'en est tation terre à terre des plus absurdes préjugés,
pas de plus véhémentes. Mais le tyran objet de à se faire, lui grand orateur, humble et pa-
le

ses haines, l'adversaire auquel s'acharnent ses tient catéchiste? Mais, convaincu que l'igno-
coups, c'est le péché, quel que soit d'ailleurs le rance et les vices de ce peuple tiennent, en
masque ou le nom qu'il porte. Confondre ses grande partie, à sa misère, à l'abandon où il
sophismes, signaler ses bassesses, mettre à nu gémit, au coupable dédain des classes élevées,
ses laideurs, le livrer au mépris public, obte- s'il le plaint en le grondant, s'il évite d'irriter

nir d'un auditoire ému un cri de repentir, et, par des reproches trop amers des plaies déjà
en face desmisères et des ignominies du siècle, trop envenimées,si l'accent affectueux du père

poser en souveraine la parole de la Croix, c'est et de l'ami tempère à propos les incrépationsde
le but qu'il poursuit fièrement, sans regarder l'Apôtre, qui oserait Ini en faire un crime?
ni aux inimitiés qu'il soulève, ni aux blessures Celui dont il i st le ministre n'aima-t-il pas à
qu'il fait, avec la liberté et la force que don- s'entourer de pauvres et de petits ?
nent un noble caractèie et de hautes convic- Quant aux riches, c'est vrai, Jean les rudoie,

tions unies à un grand talent. et plus d'une fois peut être la véhémence de
On a dit qu'indulgent a l'excès et d'une par- ses sorties, en les écartant de sa chaire, le priva
tialité visible pour les classes inférieures, il d'un concours précieux. Lui si indulgent, dont
frappait sur les grands, sur les riches avec une la main, tendue à tous ceux qui tombent, dis-

violence de langage plus digne d'un tribun pense sans mesure les pardons célestes, il se
qued'unprêtre;et nous nouions pas qu'une pre- montre impitoyable aux riches, comme s'ils
mière lecture ne puisse vous laisser sous cette n'étaient tousque des pécheurs endurcis, d'in-
impression. Devenu de bonne heure, et parla corrigibles pliaiisiens défiant les colères du
nature même de ses devoiis, le confident et le Chiisl, et Ion dirait par moments qu'il n'a

témoin assidu des douleurs du peuple, l'ora- compris de l'Evangile que le terrible ansi»
CHAPITRE ÔUATORZIÈME. iCS

thème •
Vœ t'Omis d'vi'tlhus ! Ne l'oublions pas, courage, les haines qu'il soulève aujourd'hui
l'esclavage et le Césarisiiie étaient alors les l'écraseront dem.'iin mais il aura V( ngo la
;

deux ()ùlesiiu monde. Sous uu maître dont le Providence, glorifié l'Evangile, consolél'huma-
regard seul les faisait trembler, des milliers de niié, et s'il y a en tout cela imprudence, c'est
maîtres repolaieiit en l'exagérant, sa dure ty- lagénéreuse imprudence del'liéioisme qui se
rannie dans les cités, dans les campagnes, dans dans le devoir. Oui, peut-être,
jette fête baissée
la famille. Le vol, l'usure, la délation, les con- on dirait par moments la voix d'un tribun ;
cussions étaient la source de la plupart des mais le tribun transfiguré en apôtre n'a qu'une
forlimes, à ce point que Clirysostome ose se passion et qu'un but, la charité.
demander à baule voix s'il en est une d'hono- Pour ce qui est de la hardiesse du langage,
rable et de légilime autour de lui '. Et ces Chrysostome avoue qu'il préfère la correction
biens, fruits honteux du crime, étaient hon- des coupables à la noblesse des expressions ,
teusement dépensés en orgies, en débauches, 11 ne faut donc pas être surpris que la critique
en folies Scandales de parures et d'ameuble-
1 ait relevé, dans ses nombreuses homélies, « des
ments, ridicule étalage de nains, de fous, d'eu- détails étranges etd'unecrudiléénergique, des
nuques, de parasites, affreux traitements infli- invectives près desquelles pâlissent les plus vio»
gésaux esclaves, moins affreux que les services lentes diatribes deCicéron contre Antoine '
».
exigés d'eux*, vente aux enchères, sur la place Mais cette langue et ce temps ne sont pas les
publique, des fermiers et des débiteurs insol- nôtres. N'y a-t-il pas injustice à juger un ora-
vables ;
pantomimes obscènes, fureur du jeu, teur populaire du iv° siècle comme un prédi-
profanation du mariage, orgueil, égoïsme, mol- cateur du roi au xvii* ? Jean s'adresse, non pas
lesse, perfidie, vénalité,mépris des pauvres, à quelques esprits d'élite, mais aux masses ; et
idolâtrie de l'argent, insolence dans la bas- pour soutenir leur attention, pour exciter leur
sesse, sordidité dans le luxe, avarice dans la sensibilité, il que les ressorts or-
lui faut plus
prodigalité, perversité froide, lâcheté hideuse, dinaires. Pas déménagements, pas de voiles :
infamies sur infamies: c'était le spectacle tous ils ne sont pas de mise ici. D'ailleurs il impro-
les jours offert par la richesse et la puissance vise presque toujours: l'improvisation est une
aux regards désolésdes âmes honnêtes et chré- nécessité de sa position ; son talent est à la
tiennes. Qu'y a-t-il d'étonnant que celte déso- merci de son zèle, son zèle merci de la cir-
à la
lation éclate par la bouche de Chrysostome? constance; la tribune l'inspire, l'auditoire fait
Son silence nous eût bien plus étonnés. Dans l'orateur. Un homme
ne peut être jugé
tel
une société ainsi faite, où il n'y a que des op- qu'au pied de sa chaire, au milieu de la foule
presseurs et des opprimés, des spoliateurs et qui l'entoure, au moment où la parole jaillit
des victimes, des cœurs sans entrailles et des de son âme avec ce prestige, cette émotion,
malheureux sans pain, faut-il tant regretter cette autorité qu'y ajoutent le regard, le geste,
qu'une voix sévère et puissante proteste de l'accent, la personnalité de l'orateur et cet im-
temps à autre au nom de la Providence et de mense amour de Dieu et des hommes qui em-
l'Evangile, qu'elle imprime une solennelle flé- brase sa vie et déborde dans son discours. Le
trissure au vice impudent, à l'orgueil impie, lecteur peut le trouver diffus, monotone, iné-
qui affectent de se placer au-dessus des lois? gal il peut être blessé de l'âpre liberté de son
:

Et pourquoi ces iniquités choyées à la cour, langage; l'auditeur battait des mains, versait
applaudies dans le monde, n'auraient-elles pas des larmes, et, pour quelques heures au moins,
trouvé leur châtiment dans le temple, devant il sortait meilleur de sesdiscours.
l'autel du Christ? que la douleur de Jean, en Nous aimons à le redire, il n'y a aucune ana-
présence de ces indignités de ces scandales, et logie à établir entre l'éloquence méthodique
n'ait pas toujours une parfaite mesure de lan- de la chaire moderne et l'éloquence désordon-
gage, que son indignation et même sa charité née et si puissante de Chrysostome. Bourdaloue
8'exhalent quelquefois en paroles acerbes et et Bossuet encore plus avaient étudié l'orateur
dures, il se peut : c'est la noble douleur, la d'Antioche; ils le possèdent à fond, et le citent
sainte colère d'un intrépideami delà vérité et atout instant avec bonheur. Mais appliquer le
de la vertu. 11 subira les conséquences de son même critérium à la |)rédication de l'un et à
celle des autres, ce serait s'exposer aux plus
* Cbrys., ftur l'ê[>it. aux Eph., Som, 2, n, 4, -. * Salv,, dv Gu-
ktm. Dri, I. 4, c. 6 ; I. 8, c 3. • Chry»., «ur It l" «ux Coriulh., aom.37.-'Alb.,Thè»e,p.332.
m HISTOIRE DE SAINT 7ÊAN CHRYSOSTOME.

grossières méprisés. On ne peut rapprocher nos réflexions et tous nos discours. Suivez -le)
grands noms, que pour constater une dis- cherlecteur,dansquelques-unesdesesattaques
ces
Eemblance profonde entre les génies et les tra- contre les erreurs et les vices du temps ; vous

vaux qu'ils rappellent. « Bourdaloue, dit un y trouverez, à coup sûr, beaucoup plus de
critique moderne qui ne Hatte pas Chrysos- charme que de fatigue. Et d'abord, veuillez
lire l'homélie sur les Calendes, où il combat,
tome, est un dialecticien serré et pressant, bien
qu'un peu lourd. II déconcerte le pécheur, pré- avec une sublime patience, des croyances po-
vient et ruine toutes les objections, élabht sur pulaires aussi ridicules que tenaces '. Vous n'a-
le roc inébranlable de la logique les vérités du vez qu'à tourner quelques pages pour l'avoir
dogme, les principes de la morale. Massillon tout entière sous vos yeux nous devons nous ;

agit sur les âmes par la sensibilité ; il remue et borner ici à quelques extraits.
trouble son auditoire plus qu'il ne le pénètre « Nous avons à livrer bataille, dit-il, non aux

et ne le convainc. C'est aussi par la passion que Amalécites comme les anciens Hébreux, non
Chrysostome exerce tout son empire sur la vo- aux Barbares envahissant nos frontières, mais
lonté. Une bannit point le raisonnement, mais aux démons qui déploient aujourd'hui leur
ilsemble y avoir peu de confiance; il le dissi- puissance au milieu de la place publique. Car
mule, il le déguise sous la magnificence des les veilles diaboliques de ce jour, ces quolibets,
descriptions, l'éclat des images, l'abondance in- ces sarcasmes échangés entre vous, ces danses
tarissabledu langage. Sousle rapport de l'ordre, nocturnes comédie ridicule, jet-
et toute cette

de la méthode, ilestbieninférieuràMassillon ; une pire captivité que le plus


tent la ville dans
mais, par la science des mœurs, la véhémence, cruel ennemi. Etquand vous devriez tous vous
lasplendeur, la facilité du style, je ne sais si recueillir au dedans de vous-mêmes, pleurer
Bossuet lui-même l'emporte sur lui. Malheu- et rougir soit sur vos fautes personnelles, soit
reusement ces qualités tournent en défaut dès la cité ne pense qu'à se
sur celles de vos frères,
que la mesure manque. Le moraliste profond couronner de fleurs, et, comme
réjouir, à se
devient peintre de mœurs et bientôt peintre sa- une femme élégante et somptueuse, l'agora se
tirique La véhémence du langage dégénère pare avec prétention et se revêt d'or, d'étoffes
en invectives, en personnalités blessantes. Ce précieuses, de mille objets étalés aux yeux, cha-
style plein d'éclat etde facilité est souvent d'une cun dans son magasin s'appliquant à l'empor-
intempérance qui fatigue, d'une famiharité qui ter par la beauté de ce qu'il vend sur les rivaux
choque. Ce luxetoutorientalderécits, de com- de son industrie. Cette espèce de lutte, bien
paraisons, dedescriptions, dissimule trop bien que puérile, et accusant des âmes dont les pen-
l'austère rigueur de l'enseignement Mais sées ne sont ni grandes ni élevées, n'a pourtant
de ces longues et diffuses homélies (improvi- rien de très-funeste.... Ce qui a lieu dans les
sées généralement, ne l'oublions pas), il se tavernes depuis ce matin, m'afflige plus vive-
dégage un si pur parfum de franchise et de ment; car tout cela est plein d'impiété et d'in-
vertu, on y sent un souffle si puissant de cha- tempérance : d'impiété, puisque ceux dont je
rité, une si tendre et si active compassion pour parle observent les jours, croient aux augures,
l'homme y appa-
tout ce qui souffre, l'âme de e! sont persuadés que s'ils passent dans la joie

visiblement avec sa pureté, son courage


raît si et le plaisir le premier jour du mois, ils passe-
héroïque, ses élans passionnés vers Dieu, la ront de même toute l'année ; d'intempérance,
justice, la liberté, que l'on oublie les défauts puisque dès l'aurore hommes et femmes sont
de l'orateur qui furent avant tout ceux de son occupés à remplir et à vider sans cesse des fla-
siècle etde son pays, et qu'on l'admire et qu'on cons et des coupes devin. Ce sont là des choses
l'aime comme si l'on était à Antioche sous la indignes de votre profession de chrétiens, et
séduction de sa parole et le charme vainqueur vous devez non-seulement ne pas les faire, mais
de sa vertu '
». en détourner vos serviteurs, vos amis, vos voi-
Ici, du reste, des citations deviennent néces- sins Tenons pour certains que rien n'est
saires ; et, bien qu'elles ne puissent donner mauvais si ce n'est le péché ; que rien n'est
qu'une pâle idée de cette grande éloquence et bon, si ce n'est la vertu et le culte perpétuel de
surtout de cette grande âme, cependant elles Dieu. La joiedel'âme, ce n'est pas l'ivresse qui
feront mieux connaître Chrysostome que toutes
' s. Augusiin combat les mêmes erreurs et Usmêq^es abiu. (5«rm.
f Ail)., Thèse, p. 357. de kalenfi., t. 5, p. 901 et suiv.)
ClIAPlTUE QUATOnZlÈMË. 161

1.1 produit, mais la prière spirituelle; ce n'est l'Apôtre, cequi est dans te ciel, où Jésus-Christ
pas mais
le vin, la parole divine : car !e vin estasns à la droite de DieuK Tu n'as ()lus rien
n'engendre que les leni]u>tes, la parole divine de commun avec cette terre où le soleil se
créi' la séréiiilé et la paix ; l'un obscurcit l'in- montre pour disparaître; mais si tu vis sain-
telligence, l'autre dissipe les ténèbres; l'un tement, la nuit pour toi vaudra le jour.

crée des chafirins (]u'on n'avait pas, l'autre Dans un autre discours, Clirysoslome pour-
console de ceux iiu'oii a\ait. Non , rien ici-bas suit une autre erreur de ce genre, non moins
ne conimunicpie à l'âme tant d'allégresse que absurde, et plus odieuse.
ces principes de noire s.iinte pliiiosupliie : mé- « Je veux extirper de vos âmes, dit-il, une

priserUs choses pii'Sinles, aspirer aux lulures, funeste maladie. Bon nombre de gens portent
regarder cninie trèsfi agile tout ce qui est hu- la simplicité jusqu'à croire que les âmes de
main, richesses, puissance, honneurs, clien- ceux qui meurent de mort violente deviennent
tèle Sois plein de ces idées, et tu verras le
! des démons. Non certes, non, il n'en est pas
riche sans éprouver les atleintes de l'envie, tu ainsi. Ce n'est pas une fin tragique mais une ,

supporteras la pauvreté sans découragement, vie coupable, qui change une âme en démon,
tu vivras dans une fête perpétuelle. Pour le non par une altération de sa substance, mais
Chrétien, en de lèter, non les
etîet, il s'.igit par une dépravation de sa volonté qui la porte
nouvelles lunes mois nouveaux
, ni ni
les , à imiter le démon. C'est dans ce sens que Jésus-
même le jour du Seigneur, mais la \ie tout Christ disait aux Juifs Vous êles les fils du :

entière. Ecoutons saint Paulquand il dit C'est : diable* ; non que chez eux la nature humaine
pourquoi célébrons notre fête, ?ion avec le fût transmuée en celle du diable mais |iarce ,

vieux levain, tu avec le levain de la malice et qu'ils faisaient les œuvres de celui-ci et c'est ;

del iniquité, mais avec les azymes de la sincé- pourquoi le Sauveur ajoute Vous voulez ac- :

rité et de la vérité '. Si donc ta conscience est complir les désirs devotre père ; et saint Jean,
pure, tesjours seront tous des fêtes, muni que de son côté, s'écrie ; Bace de vipères, faites de
tu seras de la bonne espérance et paré de l'at- dignes fruits de pénitence, et ne dites pas :

tentedesbiensfulurs. au contraire, tu man-


Si, Abraham est notre père. L'Ecriture regarde
ques d "énergie et t'abandonnes au péché, tu comme parents, non pas seulement ceux que
vivrais au milieu des plus grandes joies, que lient entre eux les liens du sang, mais ceux-là
tu ne serais pas dans une meilleure situation aussi qui se ressemblent par unecerlaine con-
que ceux qui sont plongés dans le deuil. Et formité de vices et de vertus celui qui repro- :

que m'importe à moi la splendeur du jour, si duit dans sa vie les mœurs d'un autre, est ap-
ma conscience est enfoncée dans les téni jres pelé son fils ou son frère. Mais pourquoi donc
du vice? Si lu veux de la nouvelle lune tirer le diable a-t-il introduit parmi les hommes cette

quelque fruit, fais ceci Dèsque tu vois l'année : fausse croyance? Pour déshonorer et abolir le
flnir, rends grâcesau Seigneur qui a prolongé culte des martyrs. Car les martyrs sont les vic-
ton existence jusqu'à cet âge, excite ton cœur times d'une mort violente, et il a voulu ré-
à la comfionclion ; compte du temps
rends-toi pandre sur eux un affreux soupçon. Mais il n'a
"
que tu as vécu ; dis en toi-même Les jours : pas réussi, et les témoins de Jésus-Christ conli-
s'en vont, les années s'écoulent, ma course est nuentà jouir de leur gloire. Par là, toutefois,
à peu près finie. Partirai-je de ce monde les il a obtenu quehjue chose de [dus funeste il a :

mains vides de toute Le jugement de justice ? poussé des hommes pervers, ses adorateurs, à
Dieu est à nos iiorles, et le reste de notre vie massacrer déjeunes enfants, dans l'espoir que
tourne à la vieillesse !... Observerles jours est ce serait autant de démons attachés à leur ser-
une erreur du paganisme qu'un Chrétien ne vice'. Mensonge que tout cela, mensonge 1

peut |)artager. Tu es enrôlé dans la cité d'en Mais les démous eux-mêmes ne disent-ils pas:
haut, tu fais partie de la république des cieux, Je suis l'âme d'un tel moine ? C'est précisé- —
ta vie est mêlée à celle des anges, là où règne
non pas cette lumière ijui fait jjlice aux ténè- ' Ai Colosi., c. 3, 7. 1. — ' Luc, c. 3, v. 7.

bres, ni ce jour auquel succède la nuit, mais '


La cour d'aîsisea de la Haute-Marne a condamné k la peine de
mon Jean Vaulno pour avoir coupé la tête à un jeune enfant de onze
un jour sans fin, une lumière éternelle. Tour- mois, dan» le but de a'cn faire un talisman- Vauuin élan convaiDCU
que la lête d'un jeune enfant assassiné a la propriété de rendre invi-
nons de Ce côté tous nos rc^jurus. therchez, dit comptait s'en servir pour voler uT.oiin.-
•ible celui qui la porte, et il

• I. ad Corinifi., c. 5, ». 8. mcDl le» châteaux du »oi«io«ge. I^Messager du Midi, • f«>i)çr i857J.


.

ica HISTOIRE DE SAINT iEAN CHR\SOSTOME.

ment parce qu'ils le disent que je ne le crois œil, détester le plus inoffensif de tes semblables!

point, car ils se moquent de ceux qui les écou- Que c'est ridicule 1 Que c'est déplorable et fu-
tent. Saint Paul leur imposait silence, même neste 1 Signalerai-je une autre absurdité non
quand ils disaient la vérité... et Jésus-Christ moins énorme ? J'en ai honte, j'en rougis, mais
les gronda vivement pour avoir osé dire Nous : l'intérêt de votre salut m'oblige à parler. Si je
savons qui tu es' Gardons-nous de croire rencontre une vierge, dit-on, le jour sera sté-
à l'esprit mauvais y eût-il du vrai dans ses rile si je rencontre une courtisane, il m'appor-
;


;

paroles, fuyons-le, détestons-le. Ce n'est pas tera grand bénéfice... » Les auditeurs, àces
de lui, mais des divines Ecritures que nous mois, courbent la tête et cachent leurs fronts
pouvons apprendre les dogmes salutaires et dans leurs mains ; l'orateur indigné poursuit:
sûrs » — « Vous courbez la tête, vous vous frappez, le

On souffre de voir un tel homme condamné front, vous voudriez vous dérober à mon re-

à descendre à chaque instant des hauteurs de sa gard mais ce n'est pas à présent, quand je vous
;

pensée à des explications si élémentaires. Mais parle, qu'il faut rougir, c'estquand vous agissez
en vérité l'abnégation du génie est-elle moins d'ai)rès ces malheureuses croyances. Voyez

admirable que génie? Jean ne se pose pas


le comme le diable est habile; il nous porte à dé-
cette question. Disputer une âme au vice, la tester la femme chaste, à regarder avec plaisir,

rendre à la vérité et à Dieu, est à ses yeux la à aimer l'impudique. Car il a entendu cette
plus belle palme et la seule qu'il aime à pour- parole du Sauveur : Celui qui regarde une
suivre. A ce point de vue, rien n'est petit; et femme avec un désir criminel, a commis le

d'ailleurs, n'excelle-t-il pas à relever les détails crime dam son cœur ', et sachant que plusieurs
pratiques en les rattachant à ces grands prin- d'entre nous ont vaincu les passions mauvaises,
cipes de lamorale chrétienne, que personne n'a il les ramener au mal par une autre
cherche à
plus magnifiquement exposés que lui? On voit voie, en leur faisant attacher un présage heu-
qu'il puise aux sources les plus riches de la reux à la rencontre d'une femme perdue. Que
doctrine. voulez-vous qu'on dise de gens qui emploient
Citons encore , sur le même sujet : « Jésus- les charmes et les ligatures, qui portent, atta-

Christ,pour nous racheter, a versé son sang, et chées à leur cou ou à leurs pieds, des médailles
en retour il n'a exigé de nous ni cautions ni d'or d'Aiexandre le Macédonien? Dis-moi,
signatures il s'est contenté d'un seul mot, et
: Eont-ce là nos attentes, après le Calvaire, après
pourvu que tu dises du fond du cœur Je re- : la mort du Seigneur, de mettre l'espoir de
nonce à toi, à Satan, et à tes po7npes, Jésus- notre salut dans l'image d'un roi païen? Igno-
Christ te reçoit au nombre des siens Pronon- . res-tu les œuvres de la Croix? Elle a vaincu la
çons-le, ce mot, et gardons-en la vérité, comme mort, éteint le péché, rendu l'enfer inutile,
un dépôt dont nous aurons à rendre compte un brisé la puissance du diable, et lu n'as pas foi
jour. Or, les pompes de Satan, ce sont les théâ- en elle quand il s'agit de la santé de ton corps I

tres, le cirque, le péché, l'observance des jours, Elle a ressuscité le monde, et tu doutes de sa
les sortilèges, les augures. Et quels augures ! vertu 1 Quels châtiments tu mérites Tu recours !

Un homme sortant de sa maison en rencontre aux ligatures, aux enchantements, tu fais venir
un autre qui est boiteux, qui n'a qu'un œil, et chez toi de vieilles sorcières chancelantes sous
il en tire un présage : voilà la pompe de Satan ;
le poids du vin, et tu n'as pas honte, tu ne rou-
car ce n'est pas la rencontre d'un homme qui dans cette grande discipline du
gis pas, toi élevé
fait le jour mauvais, mais de vivre dans le mal. Christianisme, de descendre àde pareilles inep-
Quand tu sors de chez toi, prends garde à une ties ! Ce qui est pire encore, c'est que tu crois
seule chose : le péché. Lui seul peut te nuire, t'excuser, répondre à nos reproches, en disant
en dehors de lui le démon même ne peut rien que ces femmes sont chrétiennes, et ne pro-
sur toi. Comment vue d'un homme est un 1 la noncent d'autre nom que celui de Dieu. Eh
présage menaçant à tes yeux et tu n'aperçois , bien c'est pour cela même que je les déteste
I

pas le piège du tentateur qui te rem plit de haine davantage car elles font servir à outrager le
;

contre un de tes frères duquel tu n'as reçu au- Seigneur son propre nom, et en se disant chré-
cune offense Dieu nous ordonne d'aimer même
1 tiennes elles font les œuvres des païens. Les
nos ennemis, et tu vas regarder de mauvais démons aussi proféraient le nom du Très-Haut,
* Luc, c 4, V. 3). ' Malth., c. 5, T. 28,
CHAPITRE QUATORZIÈME. 169

et ils n'en étaient pas moins dcnions... Je vous du gynécée, avec des portes, des verroux, des
en supplie donc, rt'|iou5si'z ces Ironiporios... Et servantes commises à sa garde, lui défendant
de même que vous ne defccndriez pas sur la les promenades du soir et de se montrer à per-
place publique sans chaussures et sans vêle- sonne, même à ses parents; en un seul et toi,
ments, ainsi ne inetlt z pas le pied hors de chez jour, tu as détruit l'œuvre paternelle, et versé,
vous sans avoir prononcé ces mots Je renonce : par cette pompe déshonnêlo, la dépravation
à toi, Salan, et à ta pompe, et à ton culte, et je dans l'àmc de ta fiancée N'est-ce pas de là que
!

m'unis à voi/s, Jésus-Christ ! îion, mon frère, viendront plus tard la jalousie, l'adultère, tous
ne sors pas sans celte parole, qui sera ton bâton, les malheurs ? S'il y a tant d'unions stériles,
ton arnuire, ton boulevard; ne sors pas non tant de viduités précoces, tant d'orphelins, la
plus sans imprimer sur ton front le signe de la cause n'en est- elle pas là? Quand par ces chants
croix, cl, sois en sûr, il n'y aura dès lors ni lubriques tu as invité les démons à ton mariage,
homme ni démon qui puisi^e te nuire » '
1 quand tu as repu leur obscénité de paroles im-
Un grave abus déshonorait la célébration du pures,quand tu as introduit chez toi des mimes,
mariage. Pour rendre à cetlegrande institution des eftéminés, tout le théâtre, rempli ta mai-
sa puissance et sa sainteté, le Christianisme en son de courtisanes, et disposé la demeure pour
avait faitun sacrement; mais ici encore les que le chœur tout entier des puissances infer-
souvenirs palms troublaient l'action de l'Evan- nales y prenne ses ébats, que peux-tu désormais
gile. Non-seulement le bonheur des unionscon- attendre de bon? Et pourquoi, je t'en prie, ap-
jugalesétailsacrifié, comme toujours, aux vues peler des prêtres la veille, si le lendemain lu
grossières de la cupidité; mais la fête des noces, dois te livrer à de tels désordres? Tu veux te
même dans les familles chrétiennes, avait un montrer magniOque ? Appelle donc les pauvres.
caractère licencieux et, au dire deChrysostome, — Quoi ! tu rougis, je blesse ton orgueil? —
diabolique. Le soir, quand la nuit envelo[)pait Quelle absurdité I Tu ne crois pas faire une
la cité, la fiancée, couverte de bijoux, le visage chose honteuse en attirant le diable chez toi, et
fardé, montait sur un char qu'escortaient des tu regarderais comme un déshonneur d'ouvrir
femmes, de jeunes tilles, déjeunes hommes, ta porte à Jésus-Christ 1 Car Jésus-Christ vient
des pantomimes, des danseuses, des joueurs de avec les pauvres, comme le diable avec les
flûte. La troupe bruyante et avinée parcourait comédiens et les danseuses... Mais personne —
les rues, à la lueur des torches, en chantant des dans la ville n'agit ainsi. Commence, et lu —
hymnes à Vénus, au milieu des éclats de rire seras l'auteur de cette heureuse innovation, et
et des plaisanteries impudiques de la foule la postérité l'en rapportera l'honneur... Quand
accourue de toutes parts pour voir passer le même il n'y aurait contre ceux qui pratiquent
folâtre cortège. On arrivait ainsi à ia maison de ces infamies ni peine ni supplice dans l'avenir,
l'époux, qui, debout sur sa porte, une couronne n'est-ce pas déjà un grand supplice que d'être
sur la tète, recevait sa jeune épouse des mains l'objet des plus sales quolibets, de la part
desa mère, et, soulevant son voile, disjiaraissait d'hommes ivres et perdus, en présence de tout
avecelle, tandis qu'au dehors la fête continuait, un peuple qui les entend Les pauvres, du "?

toute la nuit et le lendemain, par des jeux, des moins, quand ils reçoivent de nous quelque
danses, des chants obscènes'. chose, nous bénissent, nous souhaitent toutes
a De quel droit, s'écrie Jean, exiges-tu la sortes de biens; vos conviés,une fois repus,
chasteté de ta femme, lorsque toi-même, dès le nouveaux époux les plus
jettent à la tête des
premier jour de votre union, tu lui donnes de dégoûtantes injures, etc'estentreeuxuneému-
telles leçonsd'impudeur, tu prends soin qu'on lation diabolique à qui dira les choses les plus
dise, qu'on fasse en sa présence des choses obscènes,el fera monter le rouge au front de la
qu'une esclave honnête ne voudrait pas enten- femme et du mari. Faut-il d'autres preuves que
dre ? Pendant si longtemps son père a pris tant tout ici, actes et paroles, est inspiré par l'enfer?
de précautions pourque jeune fille, sous l'œil Qui pourrait en douter encore? Personne, à
de sa mère, elle ne dît ni entendît un mot im- coup sûr car ce sont bien là les rémunérations
;

prudent; il l'a tenue dans sa chambre, au fond du diable: sales plaisanteries, ivresse, délire

de l'ùmc. Que gens qui s'imaginent


s'il est des
"Chryi., à ceni qui lo préparent aa bapt., cjtéch. 2, n. 5. — que l'admission des pauvres à leurs noces soit
'
Chryt., Bom. tue ce» paroles de laint Paul à caute de la Forni-
:

tlim, a. 3 et Ham. 12 lur 1* U% «ux (^9[|aU>., n. 9 et 7. un présage funeste, une menace de malheur,
à

ne HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

qu'ils sachent qu'il n'y a pas de plus sûr indice, voir à sa table, à sa toilette, à son service ? Que
de plus certain présage de chagrins et de cala- dis-tu, Paul? Tout cela sans doute, le mari le
mités, que de négliger les pauvres et les veuves doit à sa femme. —
Ce n'est pourtant pas de
pour nourrir des hommes infâmes et des cela que je parle, répond-il, mais de la chas-
femmes perdues. Souvent, en effet, on a vu dès teté, de la fidélité conjugale. Le corpsdel'époux

le premier jour la prostituée séduire et en- n'est plus à lui, mais à son épouse. Qu'il lui en
chaîner l'époux, éteindre son amour pour conserve donc la possession intacte, sans l'alté-
l'épouse, et jeter dans son cœur les semences rer, sans la souiller, comme un serviteur fidèle
de l'adultère. De pareilles conséquences, alors conserve à son niaîiie, sans en rien détourner,
même qu'elles seraient les seules, devraient les sommes qu'il en a reçues. Et l'Apôtre nous
être redoutées des chefs de famille, et faire explique sa pensée, quand il ajoute: Le corps de
exclure des noces de leurs enfants les danseuses la femme n'est pltis en sa puissance, mais en
et les comédiens car ; le mariage a été institué celle de son mari; et de même le corps du mari
pour favoriser, non la débauche et la prosti- n'est plus en sa puissance, mais en celle de sa
tution, mais la chasteté' ». femme '. Quand donc tu verras la courtisane
A propos de mariage, Chrysostome avait à s'approcher, t'entourer de ses pièges, te parler
combattre non-seulementlalicencepaïennequi d'amour, dis-lui : Mon corps n'est plus à moi, il

en accompagnait la célébration, mais surtout esta ma femme; et je n'ai pas le droit d'en dis-
les vieilles et fausses idées qui en altéraient poser, ni de livrer ce qui lui ajipartient à une
l'essence, et malheureusement avaient pour autre qu'elle... Car, enfin, si elle a quitté le toit

elles la double sanction des mœurs et des lois. paternel, et son père, et sa mère, si elle est ve-

11 avait à établir, à inculquer dans les âmes, nue à toi, ce n'est pas pour être accablée d'ou-
faire prévaloir le grand principe chrétien de trages, pour se voir préférer une vile servante,
l'unité, de l'indissolubilité du mariage: de là pour être querellée sans cesse par celui qui doit
ses fréquentes sorties contre l'adultère, qu'il être son protecteur, mais pourêtre la compagne
définit autrement que le droit romain. de ta vie, pour être traitée par toi comme une
« Je n'ignore pas, dit-il, que plusieurs ne femme libre et d'un rang égal au titn. Quoil
voient l'adultère que dans la faute commise s'il de sa dot, tu te rei)rocherais de ne
s'agissait
avec une femme mariée. Moi, je vous dis qu'il pas la gérer avec soin, de l'amoindrir le moins
y a adultère toutes les fois que vous, homme du monde ; et ce qui est plus précieux que
marié, vous péchez avec une femme : qu'elle toutes les dots, ton affection, ta fidélité, ton
soit courtisane, esclave, libre, peu importe; le corps qui lui appartient, tu serais le maître
crime mesure, non pur lacondition seule de
se de les profaner, de les souiller? N'est-ce pas
la personneséduite, mais par celle aussi du sé- absurde ? Si tu touches à la dot de ta femme,
ducteur. Ne m'objectez paslesloisciviles, qui son père t'en demandera compte ; si tu man-
traînent en justice et frappent d'une peine les ques de fidélité, c'est Dieu qui te punira. Dieu
femmes coupables d'adultère, tandis qu'elles qui a institué le mari.ige et t'a donné ton
laissent l'homme impuni quand sa licence n'a épouse 1... Ne négligeons pas notre salut: n'al-

que des esclaves pour victimes'. A de pareilles lons point par un crime détestable livrer notre
lois j'oppose la loi de Dieu, qui ne traite pas âme au démon. C'est de là, en effet, que vien-
autrement l'homme que la femme. En effet, nent tant de procès, la ruine de tant de fa-
après avoir dit: Que chaque femme vive avec milles par là que toute affection est détruite, la
;

son mari, l'Apôtre ajoute : et que le mari rende charité anéantie. Car, de même qu'il ne peutse
à sa femme ce qu'il lui doit '. Qu'entend -il
par faire qu'un homme chaste néglige et méprise sa
là? Que l'époux doit veiller sur les revenus de femme ; ainsi n'est il pas possiblequ'un homme
l'épouse ? Lui conserver sa dot intacte ? Pour- débauché aime la sienne, fût-elle la plus belle
des créatures. Car l'amour naît de la chasteté,
'Chrys., Bom. sur ces paii^ks : à cause de la Fornication. et de l'amour naissent toutes sortes de biens...
' Saint Jérôme opposait de même la loi de Jésus-Christ à celle des
«rinces, les apôtres aux jurisconsultes : a Aliœ siint leges Cœ arum, Pensequelle viemène celui qui suspecte la fidé-
aliœ Chrisli. Aliud Papinianus, aliud Puulus nosler prccrijiii. Apu l
lité de sa femme le boire, le manger lui dé-
:

lUos, viris impudiciliœ frena laxantur, et solo slupro algue adulte-


rio condemnato, passim per lupanaria et anciUas libido permittitur; plaisent ; il lui semble que tout est empoisonné
quasi culpam fuciat dignitas, non vohmtas. • Ep, 84, ad Océan,
mort. Fabiol., t. 4, part. 2, p. 658.
de sursatable;il ne voit que pièges dans sa mai-
M. ad Corintfi., 7, a. • I. ad Corintk., 7, 4.
CHAPITRE QUATORZIÈME. m
fon, et il la fuît comme on fuit la mort. Pour pourrais être heureux, sansdoiimage aucun;
lui, plus de sommeil, plus de nuit paisible, il et goûter, prèsd'une épouse honnête et digne,
redoute la rencoatrede ses meilleurs amis; les le plaisir avec la sécurité, avec l'honneur, avec
rayons mcine du soleil le fatigiu'nt,la lumière la paix d'une bonne conscience ? b '

blesse son regard ; et pour le rendre ainsi mal- Jean revient à plusieurs reprises sur ce sujet,
heureux, il n'est pas néeessaire qu'il ait vu le auquel il consacre une série de discours '. C'est
crime, il ne faut qu'unsou|;çon!Or,le supplice qu'en cffetla sainteté du mariage n'était passeu-
de la femme est le même, si elle aj)prend de qui lenient en butte aux mauvaises passions, inté-
que ce soit, fi elle se doute le moins du monde ressées de tuut temps à la combattre, mais aussi
queson mari l'abandonne pour une prosliluée... à l'influence des lois païennes, maintenues en
Songe à cela, évite le mal,évites-en même l'ap- grande partie par les empereurs chrétiens.
parence. Que si ta femme te suspecte à tort, Combien de fidèles, sans prétendre renier l'E-
calnie-la par tes paroles, amène-la à d'autres vangile, usaient du droit romain en matière de
pensées ; la haine qui
car ce n'est ni l'orgueil ni divorce ! «Mesenfants, s'écriait lesaintorateur,
la poussent, mais une trop grande tendresse, n'agissez pas ainsi. J'entends dire de vous des
Irop de sollicitude pour ce qui lui aiqiartient, choses affligeantes Ce n'est point à tous que !

pour cette affection qui est son droit et qu'elle ces paroles s'adressent: je sais à qui! Oii se mon-
estime au-dessus de tout. Garde-toi donc de la tre la blessure est appliqué leremède Pour- 1

blesser dans une chose si délicate, ne lui porte quoi violes-tu le mariage? Pourquoi outrages-
pas ce coup mortel. Si tu la dédaignes, elle, tu le lit conjugal ? Pourquoi infliges-tu cette
crainsdu moin? le Dieu vengeur qui menace le tache à ton non ' ?» Et toutes les fois qu'il —
crime d'un supplice éternel De ceux qui osent ! en a l'occasion, Chrysostome insiste pour éta-
le commettre, il a été dit: Leur ver ne mourra blir, à rencontre de toutes les objections, l'in-
point, leur feu ne s'éteindra jamais '
1 Si l'ave- di.-solubilitéabsolue du mariage, instituée à
nir ne peutt'effniyer, prends en considération l'origine du genre humain par Dieu lui-même,
le présent. Que d'hommes ont misérablement promulguée de nouveau sans exception par
péri victimesd'infàmes courtisanes!.. Redoute, Jésus- Christ, et restée à jamais le principal pi-
mon ami, redoute leurs enchantements! Car, vot du bonheur des familles et d'une société
une fois que la luxure aura éteint dans ton es- bien ordonnée. N'est-ce pas à cette occasion
prit la lumière céleste, qu'elle t'aura dépouillé qu'il dit celte belle parole : L'adultère n'estla
de la grâce de Dieu, une vile créature s'empa- femme de personne ' ?
rera audacieusement de toi ; et, appelant ses dé- Du reste, ces discours produisaient une salu-
mons en aide par les sortilèges et les amulettes, taire impression. «Il y a quelques jours, disait
elle t'enlacera desespiéges,ettelivrera comme le prédicateur satisfait, je vous parlai longue-
un objet de risée à la ville entière... Je passe ment du mariage, et vous enseignai que c'est
sous silence les pertes d'argent, les soupçons un véritable adultère de répudier son épouse,
continuels, cette tyrannie, ces insolences, ces ou d'épouser, son mari vivant, une femme ré-
affronts qu'il te faut dévorer. Toi, qui le plus pudiée ;
je vous citai la loi de Jésus-Christ si
souvent ne supportes pas un mot un peu vif de formelle sur ce point. J'ai vu alors plusieurs de
la femme, tu adores la prostituée qui te souf- •vous baisser la tête et se frapper le visage, et i
fletle Et tu n'as pas honte ? Et tu ne demandes
! cette vue, levant les yeux au ciel, j'ai dit Béni :

pas à la terre de t'engloutir ? El tu peux venir à soit le Seigneur! que je ne crie pas à des
Il fait

l'église élever tes mains vers le ciel? Quoi ! tu oreilles mortes, et que mes paroles touchent les
oses invoquer Dieu, de la bouche qui même cœurs de ceux qui m'écoutent Certes, il 1 —
tout à l'heure baisait la courtisane? Et tu ne serait mieux de s'abstenir du péché; mais c'est
crains pas que la foudre du ciel écrase cette tètô encore un bonheur que de condamner le mal
qui porte si loin l'impudence?... Les lèvres de dès qu'on le connaît, et de reformer avec soin
la femme impure distillent le miel, mais ce sa conscience ' ».
miel se change vite en une affreuse amertume ; A côté de ces graves enseignements, Chrysos-
ses baisers sont empoisonnés. Pourquoi donc tome a des conseils pleins de charme. L'orateur
rechercher une volupté criminelle qui n'en-
gendre que des maux irrémédiables, quand tu • Chiyi., t. 3, p. PS, 203. — ' li., ibiâ., p. 193, 203, 211, ot in
jts. 43, etc. — '
Chrys., sur lo ps. 13. — ' /d-, Uom, »ut ces par. :

• Mtrc, », «5, La femme eu Me, n. 3. — '


Id. Elog. d« Miiime, o. 1,
173 JlISTOmE DE SAINT JEAN CIIRYSOSTOME.

c?t descendu de l'ambon, le prêtre a quitté l'au- Orne ta maison avec décence et bon goût, et
lel pour venir s'asseoir au foyer de ses frères ; qu'on y respire, en entrant, au lieu de par-
t't là, comme l'ange chez Tobie, entouré d'une fums, la modération et la sagesse... Profite des
tendre vénération, il traite des intérêts les plus premiers temps de votre union, quand ta jeune
intimes de la famille, avec un abandon délicat épouse éprouve encore vis à-vis de toi une
et une grâce incomparable. Il faut lire en en- crainte pudique et respectueuse, pour lui tra-

tier cette ravissantehomélie dont nous ne pou- cer les règles qu'elle doit suivre, pour former
vons traduire ici que quelques passages. son âme et sa vie. Montre-toi aussi réservé

«Que le mari ne croie pas inconsidérément qu'elle, lui ta pensée en peu de


expliquant
et à la légère ce qu'on lui dit contre sa femnn^; mots, mais pleins de sens et de portée. Dis-lui
que ne scrute pas avec curiosité les al-
celle-ci avec la grâce la plus parfaite Chère petite fille, :

lées et venues de son mari, qui de son côté ne je t'ai choisie pour la compagne de ma vie, j'ai
doit donner matière à aucun soupçon. Dis-moi, associé mon existence à la tienne, dans les
crois-tu qu'en te livrant tout le jour à tes amis, choses les plus importantes et les plus néces-
et ne paraissant que le soir auprès de ta femme, saires d'ici-bas : l'éducation des enfants et le
tu pourras contenter son affection, écarter de gouvernement de la famille... Je pouvais épou-
son esprit les pensées qui la troublent? Si elle ser une femme plus riche, d'une naissance
se plaint, ne t'en fâche pas ; car ses plaintes plus illustre, je ne l'ai pas voulu j'ai aimé ta ;

prouvent sa tendresse, non son exigence: ce douceur, ta modestie, ta vertu... La fortune ne


sont les cris d'un amour ardent qui craint m'a pas attiré je savais qu'elle n'est pas un
;

qu'une autre nelui ravisse sonbonheur... Que bien, mais une chose méprisable, et qui échoit
l'un des époux, s'il est plus riche, ne reproche souvent aux voleurs, aux courtisanes, aux pro-
pas à l'autre sa pauvreté. L'amour de l'argent fanateurs des tombeaux. Aussi ai-je tout dédai-
perd tout. Que la femme ne dise pas à son mari : gné pour ne voir que les qualités de ton âme,
Homme timide et lâche, esprit paresseux et que j'estime au-dessus de tous les trésors car ;

somnolent, tel autre à côté de toi, malgré la une fille sage, de sentiments élevés, et pieuse,
bassesse de sa naissance et de sa position, à vaut le monde entier. Voilà pourquoi je me
force de périls bravés et de voyages entrepris, suis attaché à toi ; voilà pourquoi je t'aime et
est parvenu à ramasser de grandes richesses : te préfère à ma propre vie, car la vie présente
sa femme couverte d'or parcourt la ville dans n'est rien mais je t'adresse mes prières, mes
;

un beau char attelé de mules blanches, traînant recommandations, et je fais tout pour qu'il
après elle une troupe d'esclaves et d'eunuques; nous soit donné, après avoir passé la vie ac-
et toi, tu n'es qu'un poltron, et ta vie est com- tuelle dans un mutuel amour, d'être encore
plètement inutile 1 —
Non que la femme ne réunis et heureux à jamais dans la vie future.
tienne pas ce langage —
Mais, d'autre part, Tout ce qui est d'ici-bas est court et fragile :
que le mari vexé de ses reproches ne se livre mais si nous avons su nous rendre digues de
pas à l'emportement: qu'il l'exhorte, qu'il l'a- la bonté de Dieu, au Sortir de ce monde, nous
ménage sa faiblesse, qu'il se sou-
vertisse, qu'il serons éternellement avec Jésus-Christ, éter-
vienne qu'elle est douée d'une raison moins nellement l'un avec l'autre, au sein d'une féli-

forte, et que doucement il l'éclairé et l'apaise. cité parfaite. Ton affection me plaît par-dessus

Qu'il lui apprenne non-seulement par ses pa- tout, et rien ne me serait aussi pénible que
roles, mais par sa conduite, à mépriser la vaine d'avoir en quoi que ce soit une autre pensée
gloire, et la femme ne dira, ne désirera rien que la tienne. Quand il me faudrait tout perdre,
de semblable. Que, l'entourant d'un pieux res- devenir plus pauvre qu'lrus, encourir les plus
pect dès le premier soir qu'elle a mis le pied extrêmes périls, tout souffrir, rien ne me coû-
chez lui, il lui enseigne la tempérance, la mo- tera, rien ne m'effraie pourvu que je possède
des 'le, la douceur, à mener toujours une vie ton amour, et c'est toi encore que j'aimerai
Jionnête, à ne pas aimer l'argent, à pratiquer
'
dans nos enfants »

la philosophie chrétienne, à ne pas charger « Ne crains pas, mon ami, que ce langage

d'or ses oreilles, son visage, son cou, à ne pas donneà ta femme trop de prétention avoue-lui ;

une simplicité
thésauriser en secret, à préférer que tu l'aimes. Une courtisane abuse des senti-
élégante aux vêtements somptueux et dorés, au ments qu'on lui exprime pour devenir inso^
Juxe insolent. Loin de loi cet étalage théâtral I * Chr;B,, Bom, 20, sut Véjpit. aux Eph,
»

CHAPITRE QUATORZIÈME. m
lente ; une personne bien née n'en est que Et tu l'enchaîneras à toi par ce langage, bien
plus soumise.... plusque l'cfclaveachetédeniers comptant'..,
a Qu'aucun de vous, bien-aimcs, n'ambi- Avec les devoirs des époux, l'éducation deu
tionne lie se marier avec une femme plus riche enfants : autre thème sur lequel Chrysostome
que lui; mieux vaudrait la choisir plus pauvre. revient avec une insistance qui prouve tout le
Une femme riche vous apportera moins de prix qu'il y attache. On sent dans tout ce qu'il
jouissance (lar la fortune que d'ennui par ses en dit comme un retentissement des leçons et
exitcences, ses prctenlious, ses grandes dé- delà tendresse de sa mère et sans doute l'imagi! ;

penses, ses paroles liautaines et méprisantes. vénérée de cette noble femme était présente à
Elle dira peut-être : Je n'use rien qui soit à toi, son regard, l'écho de cette voix grave et douce
je m'habille à mes dépens et sur les revenus vibrait dans son cœur, quand il célèbre, dans
qui me viennent de ma famille. Quedis-lulà? un style si ému, le martyre et l'héroïsme de la
Ton corps ne t'appartient plus, et tu t'appro- mère des Machabées % la sage prévoyance, le
pries tes biens! Une fois mariés, l'homme et la pieux dévouement de celle de Samuel, cette
femme ne font plus qu'un ; et vous auriez non fournie qui fut, dit-il, père et mère à la fois^,
pas une fortune comnmne, mais deux fortunes et dont je ne peux m' ôler le souvenir ; tant
distinctes 10 fatal amour de l'argent Vous 1 j'admire la forme et la beauté de son âme f
n'êtes qu'un une même vie, et
même être, tant j'aime ces yeux qui mêlaient quelquefov'
vous parlez encore du tien et du mien ! Parole des larmes à la prière, ces lèvres, ce visage que
exécrable et criminelle, inventée par l'enfer I le fard ne toucha j/imais, et dont l'unique pa-

Dieu nous a rendu conmiunes des choses plus rure fut la reconnaissance envers Dieu * / Le
nécessaires que les richesses; il n'est pas per- souvenir d'Anthusa lui inspire aussi ces belles
mis de dire La lumière est à moi, le soleil est
; paroles o Ce n'est pas l'enfantement qui fait
:

à moi, l'eau est à moi, les biens les plus im- la mère, mais l'éducation car l'enfantement ;

portants nous sont communs; l'argent seul ne est l'œuvre de la nature, l'éducation est l'œu-
le serait pas entre deux époux! Périsse mille vre de la volonté ' ».
fois l'argent, ou plutôt non, mais périsse cet Devoir commun du père et de lansère, l'édu-
attachement à l'argent, qui ne sait pas en user cation appartient surtout à celle-ci ; à elle, sous
et qui l'estime au-dessus de tout I ce rapport, la plus grande part du mérite,
a Apprends ces choses-là à ta femme, mais comme la plus grande part du labeur et ;

avec une grande bonté. L'exhorlationà la vertu Chrysostome rappelle à tout instant, sous toutes
a par elle-mêmequelque chose detrop sévère, les formes, que le salutde la femme est attaché,
surtout si elle s'adresse à une jeune personne d'après saint Paul, à la bonne éducation de ses
délicate et timide. Quand donc tu t'entretien- enfants. Comparant la maternité au sacerdoce*,
dras avec elle de notre philosophie, mets-y il veut que chaque mère professe pour le fruit

beaucoup de grâce, et cherche principalement de son sein un respect pieux, à l'exemple de la


à arracher de son âme le tie7i et le mien. Si mère de Samuel, pour qui son jeune fils était
elle dit Ceci est à moi, réponds aussitôt :Que
: comme ces vases d'or consacrés au Seigneur,
réclames-tu comme étant à toi ? Je l'ignore car, ; auxquels on ne peut toucher à la légère '.
pour moi je n'ai rien en propre et ce n'est ; « Mères, s'écrie-t-il, imitez celle mère; hom-
jias telle ou telle chose, c'est tout qui t'appar- mes, rivalisez avec celte femme; ayons pour
tient. Passe-lui donc cette parole. Ne vois-tu nos enfants la même sollicitude, élevons-les
pas comme on fait avec les petits enfants? avec la même vigilance dans la pratique des
Quand l'un d'eux nous a pris un objet de la vertus et surtout de la chasteté. Les mœur?
main et veut en avoir encore un autre, nous voilà ce qui doitnouspréoccuperleplusquand
les lui abandonnons tous les deux, et nous il s'agit du jeune âge car de ce côté-là sont les
;

disons : Oui, cela est à toi, et cela aussi : fai- |)lus grands périls, c'est le côté le plus vulné-

sons de même pour la femme, car c'est une riible. Certes, quand nous voyons l'une de nos

âme d'enfant. Si elle dit : Ceci est à moi, dis- servantes aller et venir, une lanifie à la main,
lui : Oui, tout est à toi, et moi aussi, tout le nous lui recommandons d'éviter les lieux où
premier, je suis à toi. Et ce ne sera pas flatle- ' Cbry»., Bom. 20, sur l'épit. aui Epb. — ' Chrys., de Machab.,

rie, mais sagesse. Ainsi, tu pourras touràtour Bom. 1. — * /'A, tte Ann., scrm. 2. — ' /rf., de Aun-, ac:m. \, —
' M., de Machol., scrm. I, a. 3. > * Cbr^re-, sv AuO'j 'Us, i, -^
apaiser sa fougue et guérir son abatltmcnt..., ' JJ., sur AgD,j t«iai. 9.
m HISTOIRE DE SAl^T JEAN CHRYSOSTOME.

serait du foin, de la paille, toute autre chose ignorer les choses de Dieu? Aussi sommes-
semblable, le moindre souffle pouvant, à son nous les premiers à recueillir les fruits de cette
insu, incendier la maison . Ne soyons pas moins éducation, etnousavonsdesfllspréso.mptueux,
précautionneux pour nos fils; gardons-nous de intempérants, indociles, grossiers. Croyez-moi,
les conduire au milieu de filles coqucties, procéiions autrement, et, suivant l'avis de l'A-
effrontées,impudiques et s'il y a chez nous ;
pôtre, instruisons-les dans la science du Sei-
ou dans notre voisinage quelque créature de ce gneur. Donnons-leur l'exemple, et que, dès
genre, défendons-lui de se présenter à eux, de l'âge le plus tendre, ils lisent, ils étudient nos
leur adresser la parole, de peur qu'une mal- divines Ecritures. Hélas! à force de vous répé-
heureuse étincelle, tombantdans ces âmes sans ter cela, je vous parais radoter. N'importe, je
défiance, n'y cause un embrasement général et ne cesserai d'accomplir mon œuvre ' ».
une perte irréparable. Détournons-les non-seu- Et il continue en effet les recommandations
;

lement des spectacles, mais des chants effémi- suivent les recommandations. Plusieurs por-
nés et lascifs, propres à les énerver ; ne les tent sur le choixdu précepteur. «On dirait que
conduisons niaux théâtres ni dans les orgies, et nous faisons moins de cas de nos enfants, s'é-
gardons-les avec le même soin que de jeunes crie-t-il, que de nos esclaves que dis-je? ;

filles qui ne quittent pas leur chambre. Le de nos esclaves, —
de nos ânes et de nos che-
plus bel ornement de la jeunesse, c'est la cou- vaux. Car, qu'il s'agisse d'avoir pour ceux-ci
ronne de la chasteté ' » un palefrenier, nous le voulons aussi bon que
Du reste, tous les avis de Chrysostome sur possible, nous voulons un homme honnête, qui
cette matière importante et délicate se rédui- ne soit ni voleur ni ivrogne, et qui sache son
sent à un seul que l'éducation soit chrétienne.
: métier. Mais s'il faut donner un précepteur à
De là, ses recommandations répétéesd'éloigner nos fils, nous prenonsau hasard, et sans choix,
des mains de l'enfance les livres païens. le premier venu. Et cependant, il n'est pas de
a Je vous en prie, dit-il, n'habituez pas vos fonction dans le monde qui ait l'importance de
enfants aux fables des Grecs; mais apprenez- celle-là. Qu'y a-t-il, en effet, de comparable à
leur, dès l'âge le plus tendre, la crainte de cet artde former et de régler l'esprit et le cœur
Dieu ' ». d'un jeune homme? A celuiqui l'exerce, il faut
Et ailleurs : « Veux-tu que ton fils soit obéis- plus d'habileté et d'application qu'au statuaire
sant ? Elève-le dam la discipline et la correc- et au peintre. Mais nous n'y songeons pas, et la
tion du Seigneur. Garde-toi de regarder comme seule chose à la quelle nous tenions dans l'édu-
superflue pour lui l'étude des lettres divines, cation de nos enfants, c'estqu'ils apprennent à
car apprendra tout d'abord à hono-
c'est là qu'il bien parler ; encore n'y tenons-nous que dans
rer son père et sa mère. Une telle éducation est les vues grossières de fortune et d'argent * ».
aussi dans ton intérêt. Ne dis pas C'est bon : Chrysostome est d'avis que les jeunes gens
pour des moines ; est-ce que je veux de mon soient mariés de bonne heure, «quand ils sont
fils faire un moine ? Non, certes, il n'est pas né- purs encore de toute souillure, que ladébauche
moine fais-le chrétien. Ce
cessaire qu'il soit :
n'a pas flétri leur cœur, et qu'ils peuvent ap-
sont les gensdu monde qui ont le plus besoin porter à leur femme un corps sans tache. Alors
des enseignements sacrés, les enfants plus que l'amour est plus ardent, la confiance plus par-
personne. A cet âge ilyaungrandmanque de faite. L'épouse a plus d'attraits pour l'époux. Si
sens or, ce manque de sens s'accroît par l'u-
; le jeune homme fut chaste avant son mariage,
sage des livres païens où l'on apprend à admi- il le sera plus facilement après; s'il a vécu dans

rer ceux qu'on y appelle des héros, alors qu'ils la débauche, il y retombera. D'ailleurs, pour-
sont esclaves des passions et lâches devant la quoi placer la couronne sur latêtedu nouveau
mort, Achille; par exemple, qui se livre à son marié ', si ce n'est comme symbole de la vic-
ressentiment et meurt pour une concubine, ou toire remportée sur ses passions? Mais s'il a
tout autre qui s'abandonne au vin et à l'orgie. cédé aux entraînements du vice, s'il s'est livré
Ilfaulauxenfantsle contre-poison denoslivres. aux courtisanes, la couronne n'a plus de sens:
Quoi ! n'est-il pas absurde de les envoyer aux c'est un mensonge *. »
écoles de belles-lettres, tandis qu'on leur laisse * Chrys., Bom. 21. eut l'ép. aux Epb.; voir aussi Bom. 9, lur Ift

Ire aux Thessal. — ' Chrys., Bom.


60, sur S. Matth.
' Chry» , sur iinia., «erm. 1. — • Çbrys., Bom. 2 sur 1* II» ép. • Usage des Eglises grecques mainletiu jusqu'à présent.

iuxThc-Ml
.

CHAPITRE QUATORZIÈME. m
c'est ainsi, avpc cette familiarité paternelle, traire, de l'aimer, quels que soient ses défauts,
«l Sins que l'nl).iiHlHn de la p.irole allail)lît l'inquidicité exceptée, arme-toi de forces, sois
j miai- la gravite de l'enseiiîiieinent, que Cliry- prêt à sn()porter à jamais sa méchanceté. Cela
Sdstinne iiistrinsiit et dirigeait ce peuple d'An- impossible? Applique-toi donc
te par.iîtdinicile,

tii'che, groupé par li conliance et l'aMioiir à te choisirune épouse douce, complaisante,


autour de sa chaire. Ce n'est point un orateur, d'un cnrictère égal, certain que situ la prends
c'est un aiui qui répand son âme dans le sein méchante, tu seras réduit à cette alternative,
de S( s amis, c'est le bon pasteur au milieu du ou d'en subir la charge toute ta vie, ou, en la
troupeau iju'il aime, auquel il a voué sa vie. et renvoyant, de te rendre coupable d'adultère....-
diinl lebonhiureslson unique ambition ;m.iis « J'entends dire : Un tel qui n'avait rien est
l'ami, le pasieur, puise dans sa tendresse une devenu riche depuis son mariage, et grâce à sa
éloc|uerice a part, aimable, affectueuse, d'un femme il vitdans l'opulence et les délices. Que
abandon délicieux, qui charme et ravit ceux dis-tu la, brave homme? Tu veux béuéficier sur
qu'elle corrige. Sinous ne savions que le lec- ta femme! Et tu ne rougis pas Ettune vaspas I

teur a dans ses mains une traduction française de honte cacher sous terre pour avoir pensé
te
de toutes les œuvres du Saint, nous ne résiste- à de pareils lucres! Est-ce là le langage d'un
rions pas au plaisir de lui présenter ici, dans homme? Notre vie ayant deux parts bien
l'Loniélie stir le cliot'x (Tune épouse, un autre distinctes, les affaires publiques et les affaires
spécimen charmant de celte prédication origi- privées. Dieu a assigné àchaque sexe son rôle: à
nale, saisissante, inimitable, qui unit ce que la la femme les soinsde l'intérieur; àl'hcmmeles

parole oratoire a de plus élevé et de plus puis- intérêts publics, le forum, les tribunaux, le sé-
sant au laisser-aller d'une conversation pleine nat, l'armée. La femme ne peut manier la lance
de mouvement, d'imprévu, de grâce, où tout ni darder le javelot mais elle peut prendre la
;

plaît et captive, les récits, les allusions, les ta- quenouille, faire de la toile, et s'occuper avec
bleaux et jusqu'à la négligence elle-même. zèle de tout ce qui intéresse la maison. Elle ne
Qu'on nous permette du moins quelques ex- peut opiner dans le sénat; mais elle peut don-
traits : ner son avis sur les choses de la famille, et sou-
« Décidé à te marier, dit-il, tu cours chez les vent avec plus de sagesse que le mari. Elle ne
hommes de loi : tu veux savoir ce qui advien- peut convenablement administrer la cité; mais
dra si ta femme vient à mourir sans enfants, si ellepeut élever parfaitement ses enfants, corri-
elle n'en laisse qu'un, si elle en laisse deux ou ger ses servantes, maintenir autour d'elle tout
trois; ou encore comment elle jouira de ses dans le devoir, procurer à son mari une liberté
biens pendant la vie et après la mort de son douce, en lui épargnant les sollicitudes du mé-
père Tu poses avec sollicitude mille ques- nage, et une foule de détails auxquels l'homme
tionsde ce genre, t'assurant partons lesmoyens ne peut s'appliquer ni facilement ni convena-
que rien de ce qui fut à ta femme ne fasse re- blement. La Providence a voulu que l'être qui
tour à ses parents ; et quoiqu'il ne s'agisse en a l'aptitude des grandes choses eût moins celle
tout cela, si tes prévisions sont en défaut, que des petites, afin que l'aide de la femme lui fiit
d'une perte pécuniaire, tu ne négliges aucune nécessaire ; et, en effet, si l'homme excellait ea
espèce de précaution. N'est-il pas absurde d'at- tout, il se laisserait aller au dédain delà femme,
tacher tant de prix à l'argent, et de dédaigner et si la femme avait une part principale aux
le sort de notre âme, quand c'est elle surtout grandes affaires, elle en prendrait trop d'or-
qui doit être l'objet de tous nos soucis? Pour gueil. C'est pourquoi Dieu a partagé entre les
moi, je conseille à ceux qui veulent se marier deux sexes les devoirs et les attributions, non
de consulter d'abord saintPaul, de lireattenti- d'une manière égale, afin d'éviter des contesta-
vementce qu'il aécrit du muriage, etde ne pas tions de prééminence, mais de telle sorte que
aller en avant sans savoir de lui ce qu'où peut l'homme ayant la part la plus importante et la
faire on a le malheur d'être uni à une femme
si plus utile, et la femme
moindre et l'infé- la
méchante, sujette au vin, mal embouchée, dé- rieure, le mari fût plus honorable aux yeux de
pourvue de sens. S'il permet de la renvoyer sa femme, et la femme plus soumise à son mari
pour l'un de ces vices et d'en prendre une Donc, puisque nous savons cela, cherchons,
autre; courage, tu ne cours pas grand péril. avec la vertu, un caractère heureux, afin de
Mais s'il ne le pernielpas.siloidonne, au con- goûter les charmes d'une aimable cç^çor^e e(
iii HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

d'une affection inaltérable... C'est la paix, c'est très, dans la splendeur des palais, se montrent

le bonheur, non l'argent, qu'il faut chercher


lâches et méchantes. —
Et comment sauras-tu

dans le mariage. Il a été institué, non pour que celle-ci est douée de ces précieuses qualités
remplir la maison de disputes, non pour en- que tu cherches? Au moyen d'un signe,—
fanter les procès, mais pour nous faire jouir répliquet-il, certain et infaillible, celui que

d'un secours précieux, pour nous assurer un j'indiquais tout à l'heure car il annonce une ;

refuge dans les tempêtes, pour nous rendre âme qui aime et pratique l'hospitalité... Mais,

plus léger le fardeau des peines, pour que nous poursuit la Sainte Ecriture, il avait à peine fini

puissions être récréés par les doux entretiens de parler, que Rébecca sortait de la ville... Toi
de l'épouse La beauté corporelle, si elle aussi, quand tu voudras te marier, ne t'adresse

n'est jointe à la \ertu, peut captiver vingt, point aux hommes, encore moins à ces misé-
trente jours; mais bientôt le vice apparaît, et rables femmes qui exploitent les infortunes
l'attrait s'évanouit. Mais quand une femme pos- d'autrui et ne songent qu'à obtenir le prix de
sède la beauté de l'âme, elle embrase le cœur leur courtage; mais recours à Dieu, qui ne
de son mari d'une flamme d'autant plus vive dédaignera pas d'être l'entremetteur de ton
que le temps a mis ses mérites plus en lumière ; mariage ; tu connais sa promesse : Cherchez le

et une fois qu'un attachement de ce genre, royaume des deux, et tout le reste vous sera
ardent et sincère, existe, plus d'infidélité à re- donné par surcroît. Ne dis pas Comment puis- :

douter, La pensée même d'un plaisir illégitime je voir Dieu, m'entreteniraveclui,rinterroger?


ne vient pas à l'hommequi aime ainsi sa femme : C'est le langage d'une âme que n'éclaire pasla

il se complaît dans son amour, et sa vie irré- foi ; car Dieu peut taire en un instant et sans
prochable lui attire la faveur de Dieu, sous les paroles tout ce qu'il veut, et nous le voyons bien
auspices duquel les époux jouissent d'une féli- ici. Eliézer,en effet, n'entendit rien, n'aperçut
pure que constante. C'est ainsi qu'ils
cité aussi rien ; mais debout sur le bord de la fontaine, il

procédaient dans le choix de leurs épouses, ces pria et fut exaucé. Il n'avait pas cessé de parler,
hommesvénérablesdes temps antiques, qui de- disent les saints Livres, que s'avança, portant
mandaient à la compagne de leur vie, non sur ses épaules un vase d'eau, Rébecca, fille de
l'argent, mais la richesse de l'âme'». Bathuel, de Melcha, vierge parfaitement
fils

Pour être mieux compris, pour saisir plus belle et à tout homme inconnue. Mais pour- —
puissamment l'attention de son auditoire, l'ora- quoi célébrer la beauté de son corps? Afin —
teur cite un exemple le mariage du fils d'A-: que tu remarques davantage la beauté de son
braliam. Il met en scène le vieux patriarche, âme et sa chasteté ; car la chasteté est une chose
et, s'affranchissant des formes sévères du dis- admirable, surtout si elle est jointe à la beauté.

cours, il raconte avec une verve naïve et pi- C'est pourquoi l'écrivaiu sacré, ayant à nous
quante la mission donnéeàE'iézer, le voyagedu entretenir de Joseph et de sa vertu, parled'abord
fidèle serviteur, son arrivée dans la ville de Na- de sa beauté avant de parler de sa coninence;
chor, sa prièreàDieu. « Voyez-vous, s'écrie-t-il, caria beauté n'est pas toujours une cause de
la sagesse de cet homme? Il ne ditpas:
La jeune chute, pas pl-i* que la laideur une cause de
fille que jeverrai sur unchar ou dans une li- chasteté. Que de femmes célèbres par la beauté
tière, entourée d'eunuques et d'esclaves, res- l'ont été plus encore par la vertu Que d'autres !

plendissante de beauté, voilà, Seigneur, l'é- d'une figure hideuse ont souillé de toute sorte
pouse que vous destinez à mon maître. Mais d'impuretés une âme plus hideuse encore ' 1 »
quoi ? Celle à qui j'aurai dit: Donne-moi ta cru. Ici, l'orateur s'étend, avec complaisance, sur

che afin que je boive '. —


Excellent homme, que la modestie et les mérites de Rébecca, sur l'ac-
fais-tu ? Ce que tu veux pour Isaac, c'est donc cueil de grâce qu'elle fait à l'envoyé
plein
une femme d'assez basse condition, pour être d'Abraham, sur le prix que Dieu lui-même
employée à porter de l'eau et converser avec attache à l'hospitalité bien exercée, et il con-
loi ? — Oui, répond-il, car j'ai reçu la mission tinue :

de non pas une épouse riche ou


lui trouver, «Maintenant qu'Eliézer areçu la fiancée,
illustre, mais d'une belle âme. Bien souvent de voyons comment il dispose la fête des noces.
jeunes filles occupées aux plus humbles travaux Appelle-t-il les cymbales, les fliites, les danses
possèdent des vertus solides, tandis que d'au- et tout ce bruyantappareilîNon, certes, il prend
' Ciic^rs ,
Hom su; le choix d'uDc ép., n. 4 et 9.— ' Ceaès., 24, 13 ' Chrya., ibii., n. 6,
ClIAPlTRE QUATORZIÈME. ni

jeune ÛUe seule, et part sous l'escorte de


Idi quels charmes elle avait réussi à se faire aimer.
lani^e que Dieu, sur la demande d'Abraham, Et qui n'aimerait une telle femme, si modeste,
avait attaché à ses pas. Ainsi, la nouvelle épouse si sage, si hospitalière, si charitable, si douce,
marchait, sans être accompagnée ni de chants d'une âme dans un corps si sain' ?»
si virile

ni d'instruments de musique, la tète ornée de Aces mots, un tonnerre d'applaudis.;emcn(s


• divines bénédictions, couronne plus précieuse interrompit l'orateur. Dès que sa voix put do-
qu'aucun diadème; elle marchait vêtue, non miner les acclamations, il termina ainsi son
de robes dorées, mais de modestie, de piété, discours :

d'hospitali té, de toutes les vertus ; elle marchait, non pour le plaisir
«J'ai dit ces choses,
non dans un char fermé, mais sans aucun appa- d'être écouté ou applaudi, mais afin qu'elles
reil, assise sur un chameau. Car, autrefois, soient pour vous un objet d'émulation. Pères,
avec les grandes qualités de l'âme, les jeunes imitez la sagesse de ce patriarche dans le choix
filles possédaient la meilleure san^B du corps : qu'il fait pour son fils, et ne vous attachez ni à
leurs mères ne les avaient pas élevées, comme la fortune, ni au rang, ni à la beauté, mais

aujourd'hui, au milieu des bains, des parfums, seulement aux richesses de l'âme mères, appli- :

du vêtements douillets, et de ces mille


fard, des quez-vous à élever vos filles sur ce modèle. Que
délicatesses qui les énervent et les amollissent ;
les jeunes hommes qui doiventêtre leurs maris

mais leur éducation était sévère et dure. C'est les épousent avec la même décence, et qu'ils
pourquoi, sans recourir à aucun artifice, leur écartent de la célébration de leurs noces les
beauté resplendissait de son éclat naturel, et danses, les rires bruyants, les propos obscènes,
leur santé égalait leur beauté, affranchies les flûtes, les cymbales et tout cet appareil dia-
qu'elles étaient de toutes ces indispositions qui bolique; que la prière remplace la dissipation
sont le fruit de la mollesse. Les travaux mêmes et obtienne de la bonté de Dieu qu'il soit le mé-
auxquels elles se livraient étaient un excellent diateur de toute leur vie. Si nous procédons
moyen d'écarter les maladies, de les rendre ainsi, plus de divorce, plus de soupçons d'adul-
bien portantes et vigoureuses, et d'autant plus tère, plus de jalousie, plus de disputes, mais
agréables et aimables à leurs maris l'âme y : une paix profonde, une parfaite union et avec
gagnait autant que le corps. Donc, lorsque, elle toutes les vertus. De même, en effet, que
portée par son chameau Rébecca fut arrivée , le mari et la femme ne s'entendant pas, rien
au pays qui devait être sa demeure, elle leva les n'est bien, même dans la maison la plus pros-
yeux, aperçut Isaac et sauta à terre. Voyez-vous père ; ainsi , l'union et la paix régnant entre
sa vigueur, sa belle santé? Elle saute à bas de eux, rien ne leur sera pénible, même quand ils
son chameau : tant elle unit la force à la mo- auraient mille épreuves à traverser. Que les
destie ! El, s'adressantau serviteur qui l'accom- mariages soient ce que nous souhaitons, et il
pagnait :Quel est cet homme, dit-elle, çui vient n'y aura rien d'aisé comme de bien élever les

dans la campagne à notre rencontre? Cest — enfants. Car, une femme douée de cette sa-
mon maître, répondit le serviteur ; et alors elle gesse, de cette parfaite décence, dévouée à
prit son voile, et se couvrit\ Remarquez com- tous ses devoirs, captivera son mari, s'en fera
bien elle est prudente et pudique tout atteste 1 la un aide \>\àn d'ardeur pour l'œuvre com-
puretédesonàme.£'< Isaac la prit pour épouse, mune, et en même temps elle attirera le re-.
et l'affection qu'il eut pour elle fut si grande, gard et la faveur de Dieu sur sa famille, en
qu'elle tempéra la douleur que la mort de Sara^ sorteque tout y sera dans l'ordre, tout parfaii
sa mère lui avait causée^. Or, ce n'est point tement heureux; et chacun avec sa femme,
sans motif qu'il est dit que son mari l'aima, ses enfants, ses serviteurs, passera dans le
et que son amour le consola de son deuil, mais calme et la sécurité la vie d'ici-bas, en méri-
afin que vous appreniez par quels moyens, par tant la vie immortelle des cieuxM»
Cv.kt., 24, GS. - Ccaèi., 67. •Obiyi., Bom. vu U choix d'uo» if., a. 9,— 'Chryi., tiiit.i^'

Tome I.
{;ê HISTOIRE BE PAINT JEAN CHRYSOSTOME.

CHAPITRE QUINZIÈME

on de
Prédication Chryoslome plus morale qne dogmatique. —
Caractère militant de son éloquence, —
Grandeur de l'homme. ^
radalion par pécl-
péché. — Vicesallaqués par l'orateur. —
Oigies.— Avarice.— Portrait de c iavare. Usure. Iramo- — —
Sa déer,idalion
raliié'du tbeâtre. —
le

Luxe des femmes. — Toilette des jeunes gens. — Mendicité.— Dons à l'église Corruption générale. —
Douleur de Chrysostome. — Il croit à la fin prochaine du monde.

Les œu-vres de Chrysostome ne sont pas de yeux de Jean , toute science est vaine qui ne
celles qu'on analyse ou qu'on résume en quel- tend pas au bonheur de l'humanité; delà, son
ques mots; aucune vue philosophique ne les mépris hautement professé pour les superbes
coordonne, aucune synthèse n'y préside. Sage inutilités de la philosophie. «Quel profit, s'é-

commentateur, moraliste éminent, catéchiste crie-t-il, le monde a-t-il retiré de cette préten-

sublime, grand et puissant orateur, apôtre due sagesse ?Diogène n'est pas plus admirable
avant tout, n'attendez de lui ni les controverses que ces charlatans qui avalent des clous et man-
gent des souliers; car tout travail qui nepro-
'

savantes, ni les discussions approfondies, ni


les hautes spéculations, ni la gravité impo- duit aucun fruit, n'a droit à aucune louange.
sante et sévère de la parole théologique. Vous C'est le devoir de l'homme de bien de régler ,

ne le verrezguère planer avec Grégoire ou toutes ses actions sur l'utilité publique et de
Basile dans les régions transcendantes de l'on- travaillera l'amélioration de ses semblables' ».
tologie divine; il n'a ni le génie précis et vi- Ce but, Chrysostome, revenu du désert, ne le
goureux d'Athanase, ni le regard d'aigle d'Au- perd plus de vue c'est sa passion il y consacre
; ;

gustin son œil redoute les éblouissements du


: toute son existence; les livres, les études, les
mystère. Quand il expose le dogme, c'est moins méditations, tout lui devient indifférent hors
pour le venger de l'erreur qui l'insulte, moins ce peuple pressé autour de sa tribune et pal-
pour en montrer la divine économie, que pour pitant sous sa parole ; et plus il s'approche de lui
le faireaimer et goûter dans les vertus qui en par sa vie, plus il s'aperçoit de ses misères et
découlent généralement son éloquence est
;
, de ses besoins, plus il se dévoue à l'éclairer et
morale plus que dogmatique. à l'affranchir. C'est pourquoi son auditoire l'ab-
Deux choses avaient contribué à imprimer sorbe, le prend tout entier. Il ne lui vient pas
aux travaux de Jean cette direction d'abord le : à l'idée que ses discours puissent avoir un re-
caractère positif et pratique de son esprit, en- tentissement lointain, que la postérité puisse
suite une science profonde et compatissante de il ne voit que son auditoire,
l'écouter, elle aussi;
la société et des maux au milieu desquels il que ce peuple qui l'appelle son pasteur, dont il a
vivait. Jeune, il avait connu au désert les joies sondé les plaies, dont il veut briser les chaînes.
sublimes et les extases de la contemplation, et, Or, ce peuple incapable de suivre avec pro-
six ans durant il s'était abreuvé avec délices,
, fitun exposé purement dogmatique, ne permet-
par la prière et l'étude, aux sources les plus tait pas à Jean d'être philosophe ou théologien
pures de la vérité. Mais, soit impuissance de sa à son gré. Son génie l'eût-il emporté vers les
nature à se maintenir longtemps à ces hauteurs hautes régions de la pensée, que la charité
surhumaines où le vertige saisit si vite, soit ce l'eût ramené bien vite à terre et plié aux exi-
généreux besoin d'une âme que la foi consume gences de l'auditoire. Rester à la portée de ces
de ses ardeurs et qui ne peut se résoudre à gar- âmes qu'il aimait, qu'il voulait guider et sau-
der pour son seul usage les trésors dont elle ver; ne s'en séparer jamais, ni dans le choix
jouit, il s'arracha de bonne heure à la solitude des sujets, ni dans la manière de les traiter, ce
et vint se mêler aux hommes pour les instruire, fut la loi qu'il s'imposa et qu'il garda fldèlcr
les consoler et leur apporter, avec un sentiment ment. Homme d'action même à la tribune, il
plus parfait de l'Evangile, une plus grande part se porte comme dans un incendie, comme dans
des biens qu'il promet à ses sectateurs. Aux Chsj»., Ut. de S. Bab., c«at, Jul. n. i.
CHAPITRE QUINZIÈME. d79

tine bataille, 01*1 le péril est plus pressant; et rait énumérer les (fermes que revêt l'ennemi?
tout ce iiue le ciel lui donna décou- de talent, Avarice, orgueil, luxure, envie, colère et tant
rage, de fermeté, il l'emploie à comballre ces d'autres fléaux de l'âme ; superstitions, préju-
préjugés, ces superstitions, ces ignorances, ces gés et tant d'autres fléaux de l'esprit ; tous les
bassesses, ces vices dont il a sous les yeux le maux qui dégradent la nature humaine. Voilà
désolant spectacle. Que d'autres s'occupent les adversaires qui appellent les coups de l'o-
d'explorer de doclrine cachés dans
les trésors rateur chrétien '
».

chaque parole de Jésus-Christ lui, ce qu'il veut ; Dans ce grand combat de tous les jours, de
avant tout, c'est de pénétrer, de l'esprit de l'E- tous les instants, où l'ennemi cent fois terrassé

vangile, ces masses frivoles, désœuvrées, volup- se relève cent foispour défier son vainqueur,
tueuses accroupies dans une servitude indo-
,
Chrysostome déploya non-seulement le talent,
lente, et toutes pleines encore de souvenirs l'éloquence, le courage d'un grand orateur po-
païens; c'est de saisir ce pauvre peuple (ju'un pulaire, mais aussi et surtout les grandes vues
pouvoir ombrageux s'applique à tenir loin de d'un moraliste profond, l'âme d'un bienfaiteur
toute préoccupation sérieuse, dansune enfance de l'humanité, le dévouement sublime d'un
éternelle, de l'arracher à ce grabat ()Ourri où il apôtre, le désintéressement, la constance, la
gît dans l'abandon, comme le paralytique de la charité héroïque d'un saint. Qu'importent la
piscine, de lui rendre le mouvement et la vie, vivacité de quelques saillies, l'àpreté de cer-
de lui donner une autre pensée, un autre taines images, les audaces parfois étranges de
cœur, une autre existence. C'était là , sans sa parole? Qu'importe qu'un noble courroux
doute, la mission de tous les pontifes, de tous l'entraîne par moments au-delà de ce que nous
les apôtres de Jésus-Christ, à cette grande épo- appelons le bon goût, les convenances sociales,
que de rénovation sociale ce fut plus parti- ; ou que des amours-propres froissés, des vices
culièrement celle de Chrysostome ; et certes, bafoués se révoltent contre tel ou tel mot tombé
elle ouvrait à sa parole, à sentaient, une assez de ses lèvres? Lui, il est aux prises avec un
\aste carrière. Ne regrettons pas qu'il s'y soit ennemi opiniâtre, perfide, insolent, fatal à
enfermé. ceux qu'il aime, et il s'inquiète peu de le pour-
A ne prendre que le point de vue littéraire, suivre avec le glaive ou avec la boue ce qu'il ;

nous dirons avec un critique plusieurs fois veut, c'est de lui arracher ses victimes, et, s'il

cité a II fallait à cette éloquence un grand


: le peut, déshonorer en le brisant. Ses ap-
de le
théâtre et la liberté le Christianisme donna
; parentes violences ne sont que les élans de sa
l'un et l'autre à l'orateur. Mais comme la cité charité et qu'il gronde, qu'il menace, qu'il
;

politique n'existait plus, comme les orages des caresse, qu'il lance la foudre ou le sarcasme,
assemblées publiques étaient tombés devant la qu'il fasse rire ou pleurer, qu'il passe d'un
morne tranquillité du despotisme, comme le portrait satifique à une effusion de tendresse,
Christianisme ne connaît d'autres combats que de l'éclat et de la majesté des prophètes à l'a-
ceux de l'homme contre lui-même, d'autres bandon d'un entretien familier, d'un mot su-
tempêtes que celles des passions, Chrysostome blime à une image grossière, c'est toujours son
futl'orateur de ces luttes nouvelles dontchaque grand cœur qui parle, toujours la haine du
homme est le théâtre et l'acteur. Comme à Dé- mal, la passion du bien, l'ardent amour des
mosthène, aux Gracques, àCicéron, il lui fal- âmes, l'invincible désir d'éclairer, de conver-
lait des amis à défendre, des ennemis à atta- tir, de sauver. Ses défauts comme orateur lui
quer il en trouva. Ces ennemis, ce furent les
: sont imposés par son auditoire ; ils peuvent
vices, les erreurs, les préjugés. Us misères du clioinuT aujourd'hui les esprits délicats, ils
corps et celles de l'esprit ; tout ce qui, danscette charmaient autrefois le peuple qui l'entendait;
triste société, pouvait attrister le cœur ou ré- heureux défauts, tribut payé par la charité aux
volter la conscience. Il élait né, non pour la besoins des âmes, ils étaient, eux aussi, un
controverse, mais pour la guerre. Ardent et élément d'apostolat.
opiniâtre, il ne quittait point son adversaire Ecoutons-le parler. Après quelques mots à
dès qu'il l'avait saisi. Cet adversaire, en d'autres la façon de Bossuet sur le néant des richesses,
temps, eût été Philippe, Antoine, le Palriciat ;
sur la vraie grandeur de l'homme « Laisse-là. :

ce fut Satan, le péché, souvent le pécheur. s'écrie-t-il, l'ombre, la fumée, la paille, la toilo

Guerre acharnée, mais inttirniiiiable;quipoijr- • /.;b:r:. Tl.C-.e, p. 210.


180 HISTOIRE DE SAINT ^EAN CimYSOSTOilfiJ

d'araignéb , car ]e ne trouve pas de mot pour siqucs à la plupart des animaux, l'homme lc9
exprimer, comme il faudrait, la vileté des surpasse tous p.ir l'inteUigence qui le rapproche
clioses que tu estimes le plus. Viens, sois de Dieu, et lui donne avec l'auteur de son être
homme, et que celte dénomination de la na- une sorte de parenté : c'est là le litre firinci pal
ture ne soit pas un mensonge. Comprenez-vous de sa grandeur. Par là, en effet, il a fondé les
ce que j'ai dit ? —
Je suis homme, dit celui-ci. villes, sillonné les mers, cultivé la terre, in-
— Souvent on est homme de nom, on ne l'est venté les arts, dompté les bêtes féroces, et, ce
pas de sentiments car, quand je te vois vivre
; qui est préférable et plus beau, il a pu con-
en dehors des lois de la raison, pourquoi t'ap- naître celui qui l'a créé, s'élever à la vertu,
pellerai-je homme, et non bœuf? Quand je te savoir ce qui est bien, ce qui est mal. Seul
vois livré à la rapine, pourquoi t'appellerai-je entre tous les êtres que nous voyons, il prie
homme, et non loup ? Quand je te vois aban- Dieu ; en reçoit des révélations; il
seul aussi il

donné à pourquoi t'appellerai-je


la fornication, a appris une foule de choses secrètes, ineffables,
homme, et non pourceau? Quand je te vois les choses même du ciel. Pour lui, la terre et le
recourir à l'astuce, pourquoi t'appellerai-je firmament ;
pour lui, le soleil et les astres, les
homme, et non serpent? Quand je te vois plein phases de la lune et l'harmonie des saisons ;

de venin, pourquoi t'appellerai-je homme, et pour lui, les fruits, les arbres et mille espèces
non Quand je te vois faisant tant de sot-
aspic ? d'animaux, et la nuit et le jour. Pour lui ont
tises,pourquoi t'appellerai-je homme, et non été suscités les apôtres et les prophètes pour ;

pas âne? Quandjetevoiscorrupteurde femmes, lui lesanges sont descendus souvent ici-bas.
adultère, pourquoi t'appellerai-je homme, et Pour lui, le Fils unique de Dieu s'est fait hom-
non étalon ? Quand je te vois désobéissant et me, il a été crucifié, enseveli, il a opéré ces
stupide, pourquoi t'appellerai-je homme, et grands prodiges qui ont suivi sa résurrection.
non pierre? Tu as reçu de Dieu une nature Pour lui, la loi pour lui, le paradis pour lui,
; ;

noble, et tu ne sais que la dégrader 11 est des ! le déluge; car c'est aussi un grand honneur

hommes qui s'ingénient à faire participer les pour le genre humain que Dieu ait employé
animaux, autant que possible , à la dignité de pour le rendre meilleur et les châtiments et
l'homme : ils font parler les perroquets, ils ap- les bienfaits. Qu'il doive paraître un jour au
privoisent les lions. Quoi ! tu peux adoucir la tribunal de Dieu, c'est encore une preuve de la
férocité du lion , et tu deviens toi-même plus dignité de sa nature. Pour lui, le Seigneur re-
féroce qu'un loup 1 Ce qui est pis encore, ces viendra avec une multitude de biens. Certes, il
brutes n'ont chacune (ju'un vice : le serpent est a daigné nous en conférer beaucoup par le bap-
ruséj'aspic venimeux, le loup rapace; l'homme tême, par les sacrements, par cette autre initia-
méchant a souvent tous les vices à la fois. Com- tion mystique de l'Eucharistie, par les miracles
ment pourrai-je t appeler homme , toi qui as dont il a rempli la terre et cependant il nous
,

dépouillé les insigues de la royauté, le diadème en a promis beaucoup plus encore ; il nous a
et la pourpre ? Faisons l'homme ànotre ressem- promis le royaume des cieux, la vie éternelle,
blance, a dit le Seigneur ; souviens-toi, homme, de nous traiter comme ses héritiers, de nous
de cette parole et de qui tu es l'image, et ne faire régner avec lui ' 1... »
descends pas à la condition des brutes '....Com- Dans une autre circonstance, expliquant l'E-
ment deviendrai-je un homme, me diras-tu vangile de saint Mathieu après avoir rappelé,

— En subjuguant ces pensées charnelles, ab- le meurtre de Jean-Baptiste, l'orateur indigné


surdes, ent'arrachant à la fornication, à Tava- s'écrie « 11 y a encore aujourd'hui des festins
:

rice, cette tyrannie détestable. Viens ici, nous semblables à celui-là. On n'y égorge pas Jean,
fabriquons des hommes Loup ou serpent, mais les membres mêmes de Jésus-Christ, et
je ferai de toi un homme ;
je changerai non ta bien plus cruellement. Ce n'est pas une tête sur
nature, mes tes sentiments '
», un plat que demandent ceux qui dansent à ces
A côté de cette sortie, dont la rudesse qui fêles :ce sont les âmes des conviés. Quand ils
BOUS choque devait saisir puissamment l'audi- les ont enchaînés à eux, quand ils les ont
toire, une autre homélie, sur le même psaume, poussés à des amours coupables, quand ils in-
célèbre en termes magnifiques la dignité de la troduisent les courtisanes, ce n'est pas leurs
nature humaine, a Inférieur par les forces phy- têtes qu'ils leur enlèvent, t^ais legrsâines gu'ils

f Çjli;;i. tut l« fs. 48. •Jljrys,, ijjiUfi.i»,o.j,


CHAl'i:!\E QlllNZIÈMË. m
égorgent ; cat ils en font des débaucliés, des le ventre des autres, je n'ai rîen de commun
adultères, des infâmes. Et ne ^i^ns pas nie avec eux pas plus qu'avec des porcs et des loups.
dire qu'une fois pris de \in, apiiesaiili par Il s'agit de ceux qui jouissent de leurs richesses

l'ivresse, tu vois une courtisane mêler à la sans en faire part aux pauvres, de ceux qui
danse des propos obscènes, sans rien éjirouver dissipent follement l'héritage paternel. Non,
pour elle, sans être vaincu par la séilucliou et ceux-là non plus ne sont |)as innocents. Et
poussé à la débauche. Tu éprouves du moins comment pourrais-tu échapper auxaccusations,
ceci, qui est horrible c'est que les membres : être sans reprochi s, ([uand un parasite se gorge
de Jésus-Christ deviennent les membres d'une à la table, comme chien qui est là, et que
le

prostituée. La fille d'IIérodiade n'est itas là; Jésus-Christ le paraît indigne de s'y asseoir;
mais le diable qui dansa dans sa personne, quand ce misérable qui te fait rire est comblé
danse aussi dans la personne de ces misérables; de tes dons, et que celui qui le promet le
il prend les âmes des convives, il les prend et royaumedescieux n'en reçoit pasla moindre par-
les emporte avec lui. Mais supposons que vous celle; quand l'un n'a qu'à dire un bonmotpour
évitiez l'ivresse évitez-vous un autre péché
: s'en aller repu, et que l'autre, qui nous enseigne
bien plus grand ? Ces festins sont le fruit d'une des choses sans lesquelles nous ne différerions
foule de rapines. Regardez, non les viandes, en rien des animaux, ne mérite pas à tes yeux
non les gâteaux qui sont sur la table, mais d'oii le même bienfait Vous frémissez de ce que je
1

viennent toutes ces choses. Elles viennent de dis, frémissez donc de ce que vous faites ». '

l'avarice, du vol, de la violence. Non, dites- — Le vice le plus scandaleux alors, le plus incu-
vous telle n'est pas leur origine à Dieu ne
; ; rable, celui qui déflaitavec plus d'audace l'apos-
plaise I —
Soit je ne demande pas mieux. Mais
: tolat chrétien, c'était la cupidité, l'avarice,
si, de ce côté, ces grands repas sont irrépro- l'idolâtrie de l'argent, traînant à sa suite la
chables, le luxe que vous y déployez l'est-il rapine, l'usure, l'exaction, tous les crimes, tous
aussi ? Entendez en quels termes le Prophète les maux qui désolaient la société. C'est aussi,
condamne ce luxe, même quand la source entre tous les ennemis de l'Evangile, le plus
n'en est pas impure Malheur à vous gui buvez : odieux à Chrysoslome, celui qu'il poursuit à
des vins recherchés et qui vous parfumez des outrance, à qui il ne laisse ni trêve ni merci,
premiers parfums '/ Voyez- vous comme il s'é- contre qui tout lui est bon, l'anathème, le sar-
lève contre ces délices Ce qu'il attaque, ce
1 casme, l'injure. C'est ici qu'on peut le trouver
n'est point l'avarice, mais la sensualité. Quoil emporté même et vio-
parfois vulgaire, trivial,
tu manges outre mesure quand le Christ n'a lent. Mais ces images qui choquent, ces plai-
pas même le nécessaire I On te sert à profusion santeries qui étonnent sont aussi le cri de la
les pâtisseries, lui n'a pas même un morceau charité indignée ; ces trivialités, qui fustigent
de pain 1 Tu bois le vin de Thasos, et tu ne lui régoïsmeinsolentetcruel,ontun côté sublime;
as pas offert même un verre d'eau froide quand cescolèressontd'unprophète, non d'un tribun,
il Tu t'étends sur un lit moelleux,
avait soifl et celte ironie, parfois si amère, fait penser à
richement paré, et lui grelotte à l'air froid de la terrible ironie qui attend les pécheurs au
la nuit Admettons que ta fortune ne soit pas le
! tribunal de Dieu.
fruit du crime, tout cela n'en est pas moins a L'avarice, s'écrie le saint orateur, est une
inutile; etàJésus-Christlunfuseslenécessaire, idolâtrie; elle veut des sacrifices, elle égorge
à lui qui te donne de quoi vivre dans l'abon- lésâmes par la faim, par le désespoir ses autels ;

dance. Si, tuteur d'un enfant, administrant sont abominables.Approchezdeceux desidoles,


son patrimoine, tu le laissais dans la misère, vous les trouverez imprégnés du sang des che-
mille voix s'élèveraient pour t'accuser, les lois vreaux et des bœufs venez à l'autel de l'ava- ;

même te puniraient. Et tu as pris les biens du rice,vous sentirez une forte odeur de sang
Chnst, tu les prodigues en folles déj-.enses, et humain. On n'y brûle pas des ailes d'oiseaux,
tu crois n'avoir [las de compte ^vendre! Je parle il n'en sort ni vapeur ni fumée ce sont des ;

ainsi, non pour ceux a"V. introduisent des pros- êtres humains ()ui y périssent. Les uns, en effet,
tituées dans leu';'; fûtesà de telles gens je
: se précipitent dans des gouffres; d'autres 8«
n'ad resse p;»"^'ia parole, pas plusqu'à des chiens, pendent, d'aulresse coupent la gorge C'est

pi à ce'^x qui dépouillent les uns pour remplir peu encore il faut à l'autel de l'avarice, outfflf
:

' Cbryi., Bom, 48, xii 9, Mitb., n. S •( Çi

rr-
I
182 HlSTOiUE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

le corps, l'âme de l'iiomme ; il lui faut l'âme était triste ; il marchait sombre, pâle comme
du sacrificateur avec celle de la victime '....» un mort dans demanda la
les rues. On lui
a Avec raison, poursuit-il, le Sageaditqu'// cause de son chagrin au milieu de la joie com-
«'y a rien de plus déttstaùle que ravarc '. Un mune, et il ne put cacher au fond de son cœur
avare vendrait son âme, il est l'ennemi com- le motif de ce honteux désespoir : J'ai, dit-il,

mun de tous les hommes. 11 voit avec peine une glande quantité de mesures de froment,
que la i)as de l'or au lieu d'é-
terre ne produit dont je ne tais plus que faire. Je vous le de-
pis, que ne roulent pas de l'or au
les lleuves mande, cet lioniine était-il heureux? Ne méri-
lieu d'eau, que les montagnes ne sont pas tait-il pasdètre lapidé comme une bête féroce,

couvertes d'or au lieu de pierres. 11 s'afflige de comme l'ennemi commun de l'espèce hu-
l'abondancedes récoltes; la prospérité publique maine ?.... Esclave de l'argent, le bonheur
le rend malheureux. Prêt à tout pour gagner public t'attriste, la bonté divine t'indigne !

deux oboles, il se refuse à tout quand il n'a N'eùt-il pas mieux valu arracher la langue, bri- '

rienà gagner. Il hait tous les hommes, pauvres ser ton cœur, que de prononcer de telles pa-
et riches : les pauvres, de peur qu'ils ne roles '
? B

viennent l'importuner de leurs demandes ; les Pour mieux exprimer l'horreur que ce vice
riches, parce qu'il n'a pas les biens qui leur odieux lui inspire, l'orateur appelle à son se-
appartiennent en veut à tous, comme si
; il cours la peinture. « Tâchons, de nous
dit-il,

tous l'avaient volé jamais il n'est content, ;


représenter l'avare tel qu'il est. Otons à cette
jamais il ne dit C'est assez. Il est le plus mal-
: bête féroce ses chaînes, et voyons jusqu'où ira
heureux des mortels, comme celui qui ne con- sa fureur.... Figurez-vous donc un homme
naît pas celte cruelle passion est le plus for- noir; des flammes lui sortent des yeux; des dra-
tuné des sages ' ». gons en guise de bras pendent de ses épaules ;

« Quoi de plus misérable, dit ailleurs Chry- sa bouche au lieu de dents est garnie d'épées ;

sostome, que l'homme méchant et cupide lia I une source de venin coule de son gosier son ;

beau se vanter avecinsolence,atïecterlajoie,... ventre plus dévorant qu'une fournaise absorbe


il est toujours troublé, soit par les maux qui en un instant tout ce qu'on y jette; ses pieds
arrivent, soit parceuxqu'il appréhende. Jamais ont des ailes son visage tient du chien et du
;

de calme, jamais de sécurité son âme est plus : loup sa voix n'est pas une voix d'homme, mais
;

tourmentée que la mer la plus orageuse ; la une espèce de hurlement à faire peur; ses
nuil ne lui apporte pas plus de repos que le mains sont armées de torches brûlantes Il

jour.... Ce qu'il possède ne lui donne aucune égorge, ildévore tout ce qu'il ren-
déchire, il

jouissance, et le désir de ce (ju'il n'a pas le con- contre. Tel et pire encore est l'avare. Comme
sume et le dévore, llépie lesalTairesdesautres ; l'enfer, il engloutit tout c'est l'ennemi déclaré :

il s'enquiert avec curiosité delà fortune de cha- de riuimauilé. Il voudrait qu'il ne restât pas un
cun ; il pense comment il gagnera cehii-ci parla homme ici-bas, afin de posséder tout lui seul.
crainte, un autre par la tlatlerie, un autre par Sa passion ne s'arrête pas là après avoir détruit :

la violence ; il ne roule dans sa tèle que chi- le genre humain dans sa pensée, il voudrait
canes, ventes, achats, teslaments, intérêts, ca- détruire aussi substance de la terre et la
la

pitaux, et c'est lorsque tout lui vient en abon- changer en Supposez qu'il ne craigne ni
or...
dance qu'il est le plus inquiet *.... Notre ville loi ni tribunaux, et vous le verrez, l'épée à la

fut affligée, y a quelque temps, par une


il main, égorger tout ce qui se présente, amis,
grande sécheresse. Les habitants consternés parents, frères, son père lui-même. Ou plutôt
adressaient à Dieu les plus vives prières. Comme laissons les suppositions , demandez à cet
au temps de Moïse, le ciel était d'airain, et l'on homme si son esprit ne roule pas tous les jours
n'avait en perspective qu'une affreuse mort. de semblables idées, s'il ne forme pas sans cesse
Dieu se laissa toucher une abondante pluie : des souhaits de mort contre ses proches, contre
j

tomba du ciel. Toute la ville se livrait à l'allé- ceux dont il îient la vie. Qu'est-il besoin de l'in-
gresse, on se réjouissait comme si l'on fût terroger? Personne n'ignore que ceux qui sont
revenu des portes du tombeau. Mais, dans ce attaqués de ce mal horrible voient à regret se
bonheur universel, un seul homme, un riche, prolonger la vieillesse de leur père, et regardent
Chrys. aux Eph., — — l'avantage d'avoir des enfants, avanlaj[ç si doux
• Bom. 18, n. 3. ' EcclM. 10, 9. '
Cluft.,
pa S, Mail)., Bom. 80, d. 4. - • Cbryi,, m 1« pi. 112, n. 4. ! Cbrfs., Biu la li« tax Coilntb , Bom, 99, Q. •)
CHAPlTHt utlNZlÈME. 183

et si cher aux autres, comme une charge implacable. Point de désir du ciel, point de
odieuse. Aussi phisiours ont préféré ne pas en crainte de l'enfer, aucun respect de ses sem-
avoir; et, frustrant les vœux de la nature, ils blables, aucune sensibilité, aucune compas-
ont empêché les enfants de naître, s'ils ne les sion... némon au dedans, hèle féroce au de-
ont pas étoulTés après leur naissance'... » hors, quel rang lui donnerons-nous"?
Comme si ce tableau notait pas assez chargé, « Quelqu'un va me dire peut-être Tu parles :

Chrysostome le reprend en sous-œuvre dans un tous les jours de l'avarice. Et plût à IMeu que
autre discours. oRien, s'écrie-t-il, n'est slupide, je pusse eu parler aussi toutes les nuits! Plût
dénué de sens, fou, violent, comme le péché. à Dieu que je pusse vous suivre pour vous en
Partout où il il brouille tout, il ren-
se jette, parler encore sur la place publique, chez vous,
verse tout, il perd tout, hideux à voir, détes- à votre table Plût à Dieu que vos femmes, vos
!

table Mais pourquoi des tableaux du péché, enfants, vos serviteurs, vos amis, vos voisins,
quand en public le pécheur?
je puis traduire que le pavé même et les murailles de votre
Qui donc voulez-vous que je vous représente? maison pussent vous tenir le même langage !

L'avare, le ravisseur? Quoi de plus impudent Cette fatale maladie a envahi le monde entier:
que ses yeux, de plus effronté, de plus cynique? la terrible tyrannie de l'argent opprime toutes
Le chien lui-même ne l'est pas autant (jne lui. Personne ne regarde au
les âmes.... ciel, per-
Quoi de plus scélérat que ses mains? Quoi de sonne ne songe à l'avenir '
plus insolent que sa bouche qui dévore tout et a Jesais, poursuit l'orateur, quemesdiscours
n'est jamais rassasiée? Vous voyez ses yeux, son blessent certaines personnes et me font haïr
visage il a l'air d'un homme mais un homme
: ; d'elles;moi, je ne les hais point, je le^ plains,
n'a pas ce regard. Lui il ne voit pas les
, je pleure sur leur sort. Si elles veulent me
hommes comme des liomnies, le ciel comme frapper, je m'offre à leurs coups avec plaisir,
le ciel, il n'y contemple pas le Maître de tous; pourvu qu'elles veuillent se corriger ' ».
il lui semble dans le monde si
qu'il n'y a rien Mais, hélas ! on préférait se plaindre, et l'on
ce n'est l'argent. Les yeux des hommes, en ne se corrigeait pas. En dépit de l'Evangile, des
voyant la détresse du pauvre, en sont touchés; enseignements et des prodiges de la charité,
les siens, dès qu'ils voient le pauvre, deviennent l'usure exerçait en plein christianisme ses hi-
féroces.... Ils sont moins ceux d'un homme deux ravages. Certes, le mal datait de loin ;

que d'une bête fauve. Les yeux des hommes ne transmis par la Républic|ue à Tempiie, il avait
supportent pas de voir nu leur propre corps ; infecté le monde. Fatigués d'inutiles etVorts, la

lui, s'il n'a pas dépouillé les autres, emporté loi, vaincue, impuissante, s'était résignée, nous
dans sa demeure leurs biens, il n'est pas satis- l'avons déjà dit, à régulariser ce qu'il lui fallaK
fait. Les ours, les loups, une fois leur faim douze pour cent l'intérêl
tolérer, et avait fixé à
assouvie, lâchent la proie et s'en vont; l'avare qu'on ne devait pas dépasser et qu'on dépassait
jamais n'est rassasié. Dieu nous a donné des toujours. La plupart de ces illustres Romains,
mains non pour accabler nos frères, mais pour vantés comme de grands hommes, étaient sur-
lesaider:si elles ne devaient ser>ir qu'à nuire, tout de grandsusuriers. L'Evangile avait abattu
mieux vaudrait les arracher. Quoi! si tu voyais les dieux, sulijugué les empereurs, refait l'es-
un loup déchirer une brebis, ce spectacle te prit humain, couvert le monde de sublimes
ferait horreur et quand tu en fais autant à Ion
; vertus; mais l'usure lui résistait avec une inso-
semblable, tu crois n'être pas cruel Es-tu donc ! lente ténacité. Saint Dasile , saint .Vmbroise,
un homme? Nous ne voyons l'homme que là saint .Vugustin* nous font de ses excès et du
où nous trouvons la pitié et l'humanité. Ce qui malheur de ses victimes des peinturesépouvan-
est cruel,nous l'appelons inhumain.... Parcou- lables. Jean signale, parmi les chrétiens, des
rez en détail toutela personne de l'avare, vous misérables qui prennent i)Our intérêt la moitié
verrez comment sa dureté, d'un être humain du ca|>ilal *. Ce n'était pas la faute de l'Eglise si
a fait un animal carnassier Mais si vous péné- I de telles horreurs atlristaienlson regard et souiU
trez au fond de son âme, ce n'est plus avec les laicnt l'humanité. Elle n'avait cessé d'attaquer,
animaux, mais avec les démons qu'il faut le —
'
Chryi., lur U lt« lui Corinlh., Uom. 9, n. 4. ' Chtyn., nii
comparer. Comme eux, il est sans pitié, il S. JtaD, Bom. 76, n. 3.— 'Chryi., «ut la 1" lui CoriDth., Htm. 9,
'S. Ambr., d« roiirf, Illcl U; »1, '.'3 et Gr«K. Nïm.,
-'4
n'éprouve à l'égard des hommes qu'une haine n. *. 111. ;

or.K. cun'r luururioj ; S. Uj«., >ctm. S, dedicil. ri l>uupcil.,S. \ug.,

, Chrji., lui S. Matb., a. S» in pi. 51, § 1 1


i
inps. 134, §6. — Clirjri., lut S. Uttlb., Uqm, 6J,
18.1 HISTOIRE t)È SAINT JEAK CHRYSOSTÔMÈ.

de iioursuivre de toute l'autorité de ses ensei- Ne cherche pas à éluder la loi par tes Ônessesi
gnemenfs, avec tout le zèle de ses ministres, le il vaut mieux ne rien donner aux pauvres que

monstre odieux qui vit de la substance du de puiser à cette source pour leur donner. D'un
pauvre. L'ofTrande de l'usurier était repoussée argent fruit de travaux honnêtes, tu fais sou-
de l'autel', l'usure condamnée sous ses formes vent un argent criminel par des bénéfices illé-
les plus adoucies, tout profit du prêt en vertu gitimes , comme si tu forçais tes entrailles

du prêt absolument interdit. Laissons parler saines et pures à enfanter des scorpions....
Clirysostome tousles Pères, du reste, ontparlé
: a Quoi de plus absurde que de vouloir mois-

comme lui '. sonner sans terre, sans pluie, sans charrue ?
« Ne traflquons pas du malheur de nos frères, C'est pour cela que les partisans de cette culture
ne changeons pas en lucre la charité. Peut-être coupable ne recueillent que l'ivraie, qui doit
ne m'entendrez-vous qu'avec peine sur ce être livrée au feu. Et n'est-il pas mille moyens
sujet mais de quel avantage serait mon silence ?
;
légitimes d'augmenter votre avoir: leschamps,
Vous sauverait-il du supplice éternel? Au les troupeaux, les bœufs, le travail, la sage

contraire il aggraverait vos périls; et, vous et administration de vos revenus? Pourquoi te
moi, nous en serions également victimes.. Un . . fatiguer follement à cultiver des épines? — Tu
mal, un terrible mal et qui a besoin d'un puis- diras que les fruits de la terre sont sujets à

sant remède, a envahi l'Eglise. Des hommes trop d'accidents; à la grêle, aux brouillards,
auxquels ilestdéfendu d'accumuler les profits aux pluies torrentielles oui, etcependantà;

même légitimes de leurs travaux, à qui il est beaucoup moins de risques que l'usure. D'un
ordonné de faire part aux indigents de leur côté, quelque dommage que l'on éprouve, on
bien-être, cherchent à s'enrichir de la pauvreté ne perd que la récolte, le champ demeure de ;

de leurs frères ils ont inventé un vol déguisé,


; l'autre, on perd souvent le capital lui-même ;

une manièredecolorerl'avarice. Ne m'objectez et avant celte perte, que de sollicitudes pour


j)as les lois civiles. Le publicain s'y conforme, l'usurier! Il ne jouit pointde ce qu'il possède,
et n'en est pas moins condamné. Nous aussi n'est jamais contentdecequ'il a. Quand on lui
nous le serons, si nous ne cessons d'écraser le apporte ses intérêts, il s'applaudit moins des
pauvre, et, à l'occasion de sa détresse et de ses produits de son argent qu'il ne s'afflige de n'en
besoins, d'exercer une impudente usure. Ton avoir pas doublé la somme. Et en attendant que
argent, tu l'as pour alléger le fardeau du mal- cette productionde l'iniquité soitparfaite, il tire
heur, non pour l'aggraver et voilà qu'en ayant ; intérêt de l'intérêt, et contraint la funeste vi-
l'air de lui porter secours, tu ne lui apportes, père à lui donner des fruits avant terme. J'ap-
en réalité, qu'un surcroît de peine tu lui vends ; pelle l'usure vipère, parce qu'elle fait plus de
ta libéralité.... Ne me dis pas que celui à qui mal que le venimeux reptile. Vos contrats sont
tu prêtes ton argent, le reçoit avec plaisir et t'en injustes, vos conventions iniques. Je donne,
sait gré en est ainsi, c'est ta dureté qui en
! S'il dit l'usurier, non afin quetureçoives de moi,
est cause... Tu refuses de l'obliger gratuite- mais afin que tu me rendes plus que je ne
ment, et voilà comment il est réduit à te remer- donne. Or, Dieune veut pas quevous redeman-
cier de ta cruauté. Je puis donc croire que si tu diez même ce que vous avez donné Dormez ;

sauvais la vie à un de tes semblables, tu lui dit-il, à ceux dont vous n'espérez rien rece-
demanderais le salaire de ce service. A Dieu — voir '; et toi, ce que tu n'as pas donné, tu le
ne plaise diras- tu. I Quoi tu rougirais d'être — ! réclames comme une dette, et tu penses aug-
payé pour tirer un homme d'un grand péril, menter ainsi ta fortune Tu ne fais qu'allu- !

et tu te montres si exigeant quand il s'agit d'un mer l'inextinguible feu de ton supplice * ».
moindre service Ne sais-tu pas quel châtiment I Ces accusations éloquentes, ces vives sorties
Dieu réserve à l'usure, et combien elle était blessaient, écartaient quelques auditeurs. Mais
prohibée, même dansl'Ancien Testament? Mais le mal était grand, et l'apôtre, défié dans son
quelle est l'excuse de la plupart des usuriers ? zèle, se sentait poussé à frapper de plus rudes
— Avec les intérêts que je reçois, disent-ils, je coups. La charité qui lui commandait la véhé-
donne aux pauvres. Tu parles bien, brave — mence lui interdisait les ménagements. Sans
homme, mais Dieu rejette de pareilles charités. doute, et l'on ne saurait assez le redire, au sein

' CoDstit. apoit., i, 6. — s. Bai., ad Amphil., e. 14; S. Grtg.


mêmede cette décomposition sociale, pêle-mêle
Nu., oral. 15 ; S, Au(., «». 153 ; S, Hier- in c, 18 EteMtl, •
s. Luc, »,.»" . ' Chry»., iwt S. Matlh., Som. SB, n. 5 «t «,
CHAPITRE onxZlÈMË. If5

infect lie lanl de débris et d'éléments divers, vait tempérer celle soif fiévreuse et impie '.

d'admirablesverlusccloses au soleil de l'Evan- Jean réfute avec une douleur indignée les so-

gile alleslaient la sainteté du principe qu'il phismes mis en avant pour justifier des diver-
révèle à la terre et sa divine puissance sur les tissements coupables qui détournent des saintes
âmes. Mais ces beaux résultats de l'esprit chré- joies de la famille', outragent la femme et la
tien rendaient d'autant plus hideux, par le con- nature', où tout, d'ailleurs, est combiné avec
traste, le désordre et la corruption des masses. un art infernal pour enivrer les sens et perver-
On eût dit que ce vieux monde imprégné de tir les cœurs. Comme saint Augustin, comme
quarante ne consentait à subir
siècles d'erreurs saint Ambroise', à ces spectacles corrupteurs
la vérité qu'à condition de sauvegarder contre il en oppose d'autres : les chants sacrés, les

elle tous ses vices. C'était pour les pontifes de fêtes des martyrs, les scènes sublimes de nos
Jésus-Christ, pour les âmes saintement impa- mystères, les grandes beautés de la nature, la
tientes de voir son règne s'établir ici-bas, le vue si touchante des misères du pauvre sou-
sujet d'une vive douleur. Chrysostome ne cache lagées par la charité '.

pas la sienne à sa chère Antioche, si croyante et Citons encore :

si frivole, et toujours entraînée aux plaisirs disait-il en commençant une dr


«Je pense,
bruyants qui la détournent de Jésus-Christ. seshomélies à la Palée, je pense que beaucoup
L'amphithéâtre, le cirque, le théâtre, entrete- parmi ceux qui nous avaient abandonné l'autre
naient au milieu des chrétiens dégénérés la jour pour courir aux spectacles de l'iniquité,
corruption et presque la férocité des mœurs sont présents aujourd'hui. Je voudrais bien les
païennes. Le théâtre, surtout depuis que la pan- connaîtreaflndelesexcluredel'enceinte sacrée,
tomime l'avait envahi, étaitla plusaffreuse école non pour les laisser dehors à jamais, mais pour
d'immoralité. Des femmes nues se disputaient qu'ils y rentrent plus tard corrigés. Souvent
sur la scène le prix de l'obscénité ' , et ce prix fut les désordres d'un fils obligent son père à l'é-
une fois l'empire du monde '. C'était là, sans carter de sa table, de sa demeure, pourquelqua
aucun doute, un ancien legs du paganisme. temps du moins, et jusqu'à ce que, rendu meil-
Aussi, nous l'avons déjà dit, tandis que les Pères leur par cette correction, il puisse reprendre
interdisent aux disciples de l'Evangile la fré- honorablement sa place dans la famille. Ainsi
quentation du théâtre comme une apostasie et encore font les bergers quand
ils séparent des

un retour aux idoles ', des sophistes païens brebis saines les brebis galeuses, de peur qui^
exaltent la mimique comme un art supérieur la maladie de quelques-unes n'infecte toutes
qui se rattache au culte des dieux et qu'il faut les autres. C'est pourquoi j'eusse désiré con-
conserver pour le charme de l'esprit et le délas- naître les transgresseurs mais si mes yeux ;

sement des honnêtes gens, «qui sait même, ne peuvent les discerner, ma parole peut les
pour le bien de la morale, en donnant à ces atteindre, saisir leur conscience, et leur per-
juges des beautésqueladansemetànu, l'occa- suader de sortir volontairement d'un lieu
sion de s'élever au-dessus des passions ' » . Mal- oiiceux-là seuls doivent rester qui y portent
heureusement beaucoup dechrétiens pensaient un esprit digne des saints exercices auxquels
comme ces sophistes. Le public des théâtres ne nous nous livrons.... Mais, dira-t-on, quel
se composait guère que de chrétiens'. On sacri- si grand crime ont-ils commis pour leur inter-

fiait tout à ces plaisirs dépravés. Ni la voix des dire l'Eglise? Et moi je dis Quel crime plus :

pasteurs, ni le cri du devoir, ni les malheurs de grand que le leur, lorsque, souillés comme ils
l'invasion, ni la détresse générale, rien ne pou- le sont d'adultère, ilsosent se précipiter sans
pudeur, et comme des chiens enragés, vers
Chryt.,iiir S. Math., Hom. 6, i>. 8
cette table sainte 1 Si vous voulez savoir quel
; Bom. 7, n. 6.
*

' Théodora, courtisane et comédienne, surpassa toutes ses émules est ce genre d'adultère que je leur reproche,
M Impudicité, et devint 1» femmede l'empereur Justmien. (Procopii
anêcdoi.) écoutezdes paroles qui ne sont pas de moi, mais
' • Etenim illa damonia delectanlur
canticis laoilatls, delectan- de celui qui jugera la vie entière de l'homme:
a tor nogatorio spectaculo.et turpitudinibus ïariis theatrorum.insaniâ
a e:rci, crudelîtate amphith'^atri. certaminibus animosis eorum qui, Quiconque ,A'\\. Jésus-Christ, regarde unefemme
• pro peitilentibus homimbua lites et contentiones usque ad inlmi-
,
avec un mauvais désir a déjà commis l'adul-
• cilias Buscipiimt, promimo, pro histrione, propanlomimo, pro au-
• ngi. pro Tenaiore. Ista faciente», quasi thura ponunt daemoniis d«
J aordibut nia •. (S. Aug., serra. 198, I. 5, p. 908.) • s. Aug., l'n ps. 80, n. î; Chrys., paiiim ; Salv., I. 6, n. 7 et 12.
' Wallon., Hi.l.
dg l escl,, l. 3, p. 372, ' —
S, Aug., »e:in. 88, — Cbrys., paasim. — • Chrys., sur S. Math., pasiim, — *
S. Aiig.|
IrêCtt 7 in ioan-, d. e, — > Ckrys., sur S. Jean, Htm. 09.
180 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

ière dans so)î cœitrK Mais si une femme ren- cette hostie auguste qui commande un si pro-
contrée par hasard et mise sans prétention a fond respect! N'est-ce pas de là que viennent
souvent, par sa seule vue, allumé la passion le renversement de la vie, les profanations du

dans l'âme d'un homme qui la regarde indis- mariage, les dissensions domestiques? Quand
crètement, des hommes qui assistent aux spec- tu sors de ces lieux , affaibli, amolli, les sens
tacles,non par hasard, maisavecempressement émus, devenu l'ennemi de toute pudeur, et
et tant d'empressement qu'ils quittent l'église que tu rentres chez toi, ta femme, quelle qu'elle
pour y courir là, qui y passent des journées soit, te paraîtra sans agrément. Brûlant de celte
entières, les yeux attachés snr des femmes flamme allumée au théâtre, épris des charmes
méprisables, de quel front pourront-ils dire étrangers qui t'ont tourné latê te, tu dédaigneras
qu'ils les ont regardées sans un mauvais désir? la chaste et modeste compagne de ta vie, tu

Comment quand tout, dans ces assem-


le dire, l'accableras d'injures,non qu'elle mérite le
blées, provoque les mauvais désirs les voix : moindre reproche, mais parce que, n'osant
langoureuses, les chants obscènes, les paroles avouer le mal intime qui te ronge, la blessure
lascives, les couleurs empruntées pour relever reçue ailleurs, tu cherches toutes les occasions,
l'éclat des yeux et du visage, la forme et la tous les prétextes de quereller tout ce qui t'en-
recherche des vêtements, le prestige des poses toure. En proie à cette passion dévorante, le
et des altitudes, et mille manœuvres mises en cœur plein de cette voix, de ce regard, de ces
jeu pour séduire les spectateurs? Ajoutez la traits, de cette pose, de toutes ces images eni-
confusion et la mauvaise tenue de ceux-ci, le vrantes, tu ne trouveras rien dans ta maison
lieu même qui invite à la volupté, tout ce qu'on qui ne te déplaise. Que sera-ce de l'église , où tu
entend avant que ces femmes paraissent et après n'entends parler que de modestie et de vertu?
qu'elles ont paru ; ajoutez le son des instru- Tout ce qu'on dit là sonne à tes oreilles, non
ments de diverses espèces, le charme d'une comme un enseignement, mais comme une
musique qui amollit l'âme et la dispose à se accusation, te fatigue, te pousse au désespoir,
laisserprendre plus facilement aux pièges des et tu flniras par rompre avec cette grande dis-
courtisanes. Ici même, où l'on n'entend que cipline instituée pour le bonheur de tous'....
des psaumes, des prières, des oracles divins, ou «Quel est donc tout ce bruit? Quels sont ces
règne avec la crainte de Dieu une piété sincère, cris et ces attitudes sataniques? Là, un jeune
il arrive souvent au désir coupable de se glisser homme, les cheveux rejetés en arrière, effé-
comme un voleur subtil. Se peut-il qu'au théâ- miné sa virilité par les vêtements, la tenue, la
tre, des hommes qui ne voient, qui n'enten- démarche, et se donne les airs et l'apparence
dent rien de bon, qu'entourent toutes sortes de d'une jeune fille là, un vieillard les reins
; ,

turpitudes et de crimes, qui sont assiégés de ceints, la tête rasée , l'âme dépouillée de tout
tous côtés par les yeux et par les oreilles, triom- sentiment honnête ,
plus que le crâne de che-
phent des mauvais désirs? Et s'ils n'en triom- veux, se tient debout pour recevoir des soufflets,
phent pas,commentsont-ilsexemptsd'adullère? prêt à tout dire, à tout faire ; là des femmes,
Et s'ils n'en sont pas exempts, comment pour- le visage découvert, toute pudeur mise sous
raient-ils, sans avoir fait pénitence, franchir ce les pieds parlent au peuple et n'ont en vue
,

seuil sacré, participer à nos saintes réunions'? que de verser dans le cœur des autres leur
Là où le Saint-Esprit a versé ses parfums, nous propre corruption....; propos obscènes,
là, les

apporterions les pompes diaboliques, les fables les gestes ridicules, les costumes, les pas, la
de Satan, les chants de l'impudicité Tu ne ! mollesse des poses, les regards, la voix, la mu-
trembles pas, homme, de regarder des mêmes sique, le sujet mis en scène, tout respire l'im-
yeux ce lit impur où l'on reproduit sur la scène pudicité. De quel côté te tourneras-tu, sans
les plus abominables actions, et cette table rencontrer la main de l'ennemi qui présentée
sainte où s'accomplissent de si redoutables tes lèvres la coupe des voluptés criminelles?
mystères; d'écouter des mêmes oreilles les in- Car il n'est question là que de fornications, d'a-
famies qui sortent des lèvres de la prostituée, dultères, de femmes prostituées, de jeunes gens
et la voix du prophète et de l'apôtre t'initiant efféminés, de débauches contre nature, d'in-
aux secrets de nos livres ; de recevoir dans le famies indicibles, d'iniquités monstrueuses:
même cœur les mortels poisons du vice, et toutes choses qui devraieutfaii'ei «on rife, mm
• HilUi. 5, as. — ' Cbrys., sur David et Saiil, Som, 3.
CHAPITRE QUINZIÈME. <87

gêmiret pleurer. —
Quoi! me direz-vous, faut- plaisirs: o Les Romains, s'écria-t-il, n'ont donc
ilfermer les théâtres et, par ton ordre, ren- ni femmes ni enfants, pour avoir inventé de
verser tout ? — Certes , tout est renversé pareils divertissements *
! »
maintenant mais ceux qui désiionorent la
; Une autrefois, expliquantle second chapitre
couche de leurs frères, ceux qui rendent leurs de saint Mathieu, après avoir développé, avec
épouses maliieureuses, d'où viennent-ils, si ce le charme ordinaire de son langage, le mer-
n'est du tliéàtre ? S'il y a tant de femmes dédai- veilleux et touchant récit de l'arrivée des mages
gnées par leui-s maris, tant de maris infidèles, à Delhléem, Jean s'écrie : « Qui donc parmi
d'où cela vient-il, si ce n'est du théâtre?... vous, vous qui avez reçu tant de bienfaits de
Les émeutes, les séditions, les troubles funestes Jésus-Christ, a entrepris pour lui un si long
aux au théâtre. Ceux qu'il
cités ont leur foyer voyage? ... Et que parlé-je de voyage? Il y a
nourrit, ceux qui vendent leurs voix pour man- chez nous des femmes tellement délicates,
ger, qui n'ont d'autre tâche que décrier et de qu'elles ne traverseraient pas la rue pour aller
faire les choses les plus absurdes, voilà ceuxqui voir le Sauveur dans sa crèche, si elles n'étaient
provoquentparminoustouslesdésordres. C'est traînées par des mules. Que d'hommes ayant
au théâtre qu'une jeunesse désœuvrée contracte bien la force de se promener préfèrent les em-
des habitudes tumultueuses qui la rendent plus barras des affaires et les théâtres à nos saintes
difficile à conduire qu'une bête fauve là, que ; réunions I Des barbares, avant de voir Jésus-
de misérables charlatans exploitent la paresse Christ, firent un longchemin ; toi, même après
du peuple, s'enrichissent à ses dépens, et que l'avoir vu, tu ne les imites pas ; tu l'as vu, et
de viles courtisanes font négliger les femmes tu l'abandonnes pour courir à un mime !

honnêtes ; de là que découlent, avec l'impudi- Si quelqu'un promettait de t'introduire dans


le

cité, tous les maux qu'elle engendre. Ne le vois- le palais impérial et de te montrer l'empereur
tu pas? La passion du théâtre est la cause de sur son trône, je te le demande, préférerais-tu
tous nos maux: cette cause, je pense qu'il faut le théâtre à ce spectacle,en supposant même
la détruire. — Détruire le théâtre I répliques- que tu n'eusses aucun avantage à en espérer?
tu. — Et plût à Dieu que je le pusse ! Cepen- Eh bien voilà aux pieds de cette table sacrée,
!

dant je ne vais pas si loin : qu'il subsiste, une source jaillissante de feu spirituel et tu ;

pourvu que vous n'y alliez pas ce sera plus ; la dédaignes, et tu cours au théâtre voir des
beau que de le détruire. Imitez, sinon de plus femmes nager, tandisqueJésus-Christdemeure
nobles exemples, au moins les barbares, à qui abandonné près de la' source. Il est là, en effet,
la turpitude de ces spectacles est inconnue. parlant, non plus à la Samaritaine, mais à la
Quelle excuse apporter, nous, les citoyens des cité tout entière: que dis-je?maintenantaussi
cieux, les collègues des anges, affiliés au chœur ilne parle guère qu'à la Samaritaine. A peine
des chérubins, nous nous montrons en cela
si quelques-uns l'entourent encore leur corps ;
'

inférieurs à des barbares, quand d'ailleurs il seul est ici, les autres ne sont pas même pré-
nous est facile de nous procurer mille jouis- sentsde corps. Lui, cependant, ne s'en va pas: î

sances plus grandes que celles-là ? Si tu ne il demeure, nousdemendant à boire, non pas
cherches que le délassement de l'esprit, n'as-tu l'eau, mais la sainteté car aux saints il donne
;

pas la campagne, et le fleuve, et les lacs ? Con- les choses saintes, et ce n'est pas l'eau qu'il
temple la beauté des jardins, écoute le chant nous offre ici, mais son sang vivant, symbole
des cigales, visite les tombeaux des martyrs, de mort et principe de vie. Et toi, tu laisses la
où tu puiseras les biens de l'âme avec la santé fontaine de sang, le calice adorable, et tu vas
du corps. De tels spectacles ne laissent après à la fontaine diabolique, pour voir une prosti-
eux ni dommage ni repentir. Tu as ta femme tuée qui nage et perdre ton âme Car cette eau !

et tes enfants; quel plaisir est comparable à est un océan de débauche, non pour submerger
celui-là ? Tu as ta maison et tes amis : voilà les corps, mais pour le naufrage des âmes.
d'agréables choses et qui portent avec elles de Tandis que la courtisane nage toute nue, toi
grands avantages. Pour l'homme qui veut être qui la regardes, tu sombres dans l'abîme du
chaste, quoi de plus doux que ses enfants, de vice '.... Au sortir de là, les désirs sont en feu;
plus aimable que sa femme ? On attribue à un on se sent percé de mille blessures ; on res-
barbare un mot plein de sens. Entendant par-
'
Cl.r^:,, TUm. 57, sur S. Malh., n.6 et 7.— ' Chryi., •atS.Mltb.i
ler de ces impurs théâtres et de leurs funestes £om. 7, D. S, 6 et 7,
m HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSÔSTOMË.

semble aune mer agitée ce regard ces paroles, ; , pernicieux, immoral, détestable, nourri de
cette démarche, cette tenue, tous ces souvenirs rapines et de vices, sans entrailles comma
obsèdent l'esprit. Celui qui vient de visiter les sans goût, n'ayant d'autre objet que l'orgueil
prisonniers n'éprouve rien de semblable il : et la sensualité, propre seulement à perpétuer
jouit d'une paix profonde. Ce spectacle doulou- l'esclavage que lechristianisme venait abolir.
reux le pénètre d'une componction salutaire Aussi le poursuit-il à outrance, tantôt par
qui éteint dans son cœur la Qamme des mau- l'ironie, tantôt par l'anathème, toujours avec
vais désirs C'est pourquoi le Sage disait, une éloquente indignation.
lui qui avait connu toutes les joies d'ici-bas : Citons de nouveau. 11 vient de rappeler et de
Il vaut mieux aller dmis la maison du deuil commenter le récit évangélique de la résurrec-
que dans celle du rire '.... » tion du Sauveur et, à cette occasion, il a si-
;

Ces derniers mots révèlent pensée domi- la gnalé le pieux courage qui valut à quelques
nante de Chrysostome, celle qui remplit ses femmes dévouées l'insigne honneur d'être les
discourset sa vie la charité. Sans doute son zèle
:
premiers témoins du plus grand des prodiges.
estgrand contre le théâtre, cette vieille passion Tout à coup il s'interrompt, et s'écrie a Vous, :

d'un peuple tropsemblableàcesRomainsdégé- femmes couvertes qui venez de voir le


d'or,
nérés, qui ne désiraient que deux choses ici- voyage de ces bienheureuses serva ntes de Jésus-
bas du pain et des jeux au cirque. Mais plus
: Christ, renoncez enfin à cette passion des pa-
véhémentes encore sont ses attaques contre les rures, vendez ces vains ornements pour vous
vices des grands, contre leurs rapines, leurs parer de vos aumônes. Quelle utilité vous
scandales, leurs orgies, leur luxe efTréné et in- revient-il de ces pierres précieuses, de ces
sensé. Pour uneâme, en efTet, comme lasienne, étoffes brodées d'or? —
Mon âme se plaît à ces
embrasée de ce feu que le Dieu fait homme était magnificences. — Quoi
vous demande le
I je
venu porter ici-bas, quel spectacle triste àcon- bien que vous en retirez, et vous me répondez
templer que cette société qui se dissout hideu- par le dommagequ'ellesvouscausent; car rien
sement sous le souffle mêmequi devait la vivi- n'est pire que de s'y plaire et de s'y attacher!
fier, où quelques parvenus de la délation et de La plus fâcheuse servitude est celle dont on
l'usure, gorgés d'or, gontlés d'orgueil, accapa- s'applaudit. Une femme qui met sa joie à se
reurs de toutes les terreset maîtres de toutes les charger de chaînes d'or pourra-t-elle s'occu-
semblent ne posséder la richesse que
situations, per d'exercices spirituels, dédaigner, comme il
pour insulter l'Evangile et désespérer la pau- le faut, les choses d'ici-bas? Celui qui aime sa

vreté Sadouleur, difficile à maîtriser, s'exhale


I prison ne cherche pas à en sortir ainsi, l'es- :

dans presque tous ses discours. Quel noble et clave de ces vanités, loin de pratiquer les
saint courroux contre cet abus de la fortune, œuvres de la foi, ne pourra pas même entendra
contre cetodieuxsybaritisme, poussé jusqu'à la avec l'attention convenable nos saintes exhor-
folie chezquelques-unsjusqu'àlacruauté chez tations. Quelle utilité donc dans ces ajuste-
beaucoup Les arguments que le luxe produit
! ments, dans cette mollesse ? — Mon plaisir,
en sa faveur, tirés de l'impulsion qu'il donne dites-vous encore. — C'est m'afflrmer de nou-
au commerce, à l'industrie, aux beaux-arts, à veau le préjudice que vous en recevez. — Cela
l'activité de l'esprit humain, de l'aisance que, me fait admirer de ceux qui me voient. — Mais
par letravaillargementalimenté, il fait refluer n'est-ce pas la preuve d'un cœur corrompu que
sur la classe ouvrière arguments vrais dans : cet orgueilleux désir d'être remarquée ? Eh
une certaine mesure, et à condition qu'il ne bien ! puisque vous ne pouvez me citer les
sera pas ce qu'il est trop souvent, exagéré, rui- avantagesde votre luxe, je vais vous en exposer
( neux, égoïste, corrupteur, insolent, mais qu'al- les inconvénients. D'abord, vous y trouverea
liant la décence et la modestie avec l'utilité et plus de sollicitude que de plaisir J'ajouta
la charité,en même temps qu'il entourera d'é- dans l'abjection et vous ex«
qu'il tient l'esprit
clat certaines positions, il répandra le bien-être posede toutes parts aux traits de l'envie.... On
sur toutes les autres ces arguments ne vien-
; consume son temps en frivolités; on perd tout
nent pas et ne peuvent venir à la pensée de souci des choses d'en haut. Une femme de cq
Jean; car il n'a devant lui qu'un lux« ridicule, genre est pleine de vanité, d'orgueil, d'arrOt
gance, tout attachée à la terre ; elle a perdu
' Sttli 1 ;
fhryi jiif 8. Je»n, tfom. S", n. 5. ses ailes ; d'aigle elle est devenue cUi^n Qt pQ\ir;
CHAPITRE QUINZIÈME. 180

ceau'. Car, au lieu de porter vos regards, de la maison d'un artisan, ou plutôt dans une éta-
prendre votre essor vers le ciel, vous ne savez ble, dans une crèche. Oserez-vous vous présen-
plus, comme l'animal immonde, que regarder ter à lui, n'ayant rien de ce qui lui plaît, avec
en bas, fouiller dans la terre pour y trouver le une parure qui lui est odieuse? Quiconque
métal aimé et avilir votre âme. Mais, dès — approche de ce divin Sauveur doit être orné, ,

que je parais sur la place publique, tous les non de magnifiques vêtements, mais de vertus.
yeux se tournent vers moi. —
Et précisément, C'est l'attache là ces frivolités qui cause votre
c'est pour cela que vous devriez dépouiller cet négligence et celle de vos maris à faire l'au-
or, afin de n'être pas donnée en spectacle, de mône: quelle femme consentirait à détacher
ne pas armer la médisance. Car, ne vous faites une parcelle de cet or pour apaiser la faim d'un
pas illusion, nul de ceux qui vous regardent malheureux ? Et comment lesemployer au sou-
nevousadmirejonseritdevouscomme d'une lagement des autres, quand vous-même, plutôt
femme coquette, hautaine, toute charnelle. que de vous en priver, vous vous résignez à
Venez-vous à l'église, vous n'en sortirez qu'ac- vivre dans la plus grande gêne? Il en est qui
cablée de quolibets et de malédictions, non-seu- chérissent ces vains ornements, comme s'ils

lement de la part de ceux qui vous voient, mais avaient une âme, et non moins que leurs pro-
de la part du Prophète. Dès qu'il va vous aper- pres enfants. — Fi
donc crioz-vous. I Eh —
cevoir, le véhément Isaïe vous criera Voici ce : bien 1 témoignez par vos œuvres que cela n'est
que dit le Seigneur aux superbes filles de Siori : pas. Or, je vois précisément le contraire. Est-il
parce qu'elles ont marché la tête haute, avec une des femmes en proie à cette passion qui
des regards et des pas affectés, traînant leurs ait sacrifié ses parures pour arracher son fils à
longues robes, le Seigneur les dépouillera de la mort?Que dis-je ?en est-il une qui veuille
leurs vains ornements ; une vile poussière suc- acheter à ce prix le salut de son âme? Hélas!
cédera aux parfums, une corde grossière aux on en voitbeaucoupqui vendent leur âme pour
ceintures d'or*. Après Isaïe, Paul vous accuse ces vainsajustements'. .. On ne se rit pas de Dieu.
à son tour, quand il rappelle à Timothée que Ce luxe théâtral n'est fait que pour les comé-
vous ne devez vous parer ni avec des cheveux diennes et les danseuses
ne convient pas à
; il

frisés, ni avec des ornements d'or, ni avec des une femme honnête, dont la plus belle parure
perles, ni avec des vêtements somptueux. Cette doit être la modestie. Pourquoi imiter de mal-
recherche, ces vanités sont déplorables en tout heureuses créatures qui ne songent qu'à attirer
lieu, mais surtout lorsque vous entrez dans le les hommes dans leurs filets?.... L'Apôtre qui
temple de Dieu, à travers la foule des indigents ; rejette l'or et les perles, repousse plus encore
car si vous aviez dessein de les soulever contre l'art détestable de se peindre les joues et les

vous, pourriez-vous faire mieux que de prendre yeux, et d'affecter cette démarche si molle, ces
ce masque d'inhumanité ? Songez combien de sons de voix si langoureux, ces regards si las-,

ventres affamés, combien de corps nus vous cifs '.... »


voient passer avec cette pompe satanique ! Qu'il Plus vivement encore, le saint orateur pour-
seraitmieux de nourrir ceux qui manquent de suit de ses invectives les toilettes ridicules des
pain que de percer le bout de votre oreille et hommes, o Je crains, s'écrie-t-il, que peu à peu
d'y suspendre la nourriturede mille pauvres'!.. nos jeunes gens n'adoptent la chaussure des
Quand votre fortune serait le prix légitime de femmes, et cela sans rougir !... Les pères sont
vos travaux, vous seriez très-coupable de la témoins des folies de leurs fils, et au lieu d'en
prodiguer ; mais si elle est le fruit de l'injus- être indignés, ils voient tout cela d'un œil in-
tice, quel crime n'est-ce pas d'en user ainsi? différent. Voulez-vous quelque chose de plus
Aimez-vous les louanges? Dépouillez ce luxe grave? Ces vanités, on les déploie aumomen»
ridicule alors tout le monde vous admirera et
; même où une foule de gens sont écrasés parla
vousjouirez d'une volupté pure Etcomment misère. Faut-il produire ici le Christ affamé,
pourriez-vous, ainsi parée, embrasser et baiser nu. chargé de fers? Quels anathèmes ne méri-
les pieds de Jésus-Christ? Il déteste de pareils tez-vous pas, le laissant manquer de pain, quand
ajustements; c'est pourquoi il voulutnaîtredans vous ornez avec tant de soin un morceau da
cuir?... Quoi de plus absurde 1... C'est bjfg I9
• AvTi àeT9Û -/cvêc^zt zùva /vX /ol^ov,
' haie, c. 3, V, 4. » Çhry»,, sut S. Math., Bom. M, a. 3 et 1. - • C^-js., tiy \i
• Mw/îidiv H!vi(T(ire Tfojgif,
m HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOMË.

Dieu réserve la géhenne, le feu inextinguible, le mal. Dès l'aube, chacun reprend son oeuvre^
le supplice avec démons. Garde-toi donc,
les qui ses rapines, qui ses débauches, qui ses con-
décorant la maison du Seigneur, d'oublier ton cussions. Des choses inutiles ou défendues,
frère dans l'infortune ; car le temple vivantest grand souci ; de celles qui sont nécessaires,
plus précieux que le teuiplede pierres. Des rois point de cas. Les juges ne le sont que de nom;
inûdèles, des tyrans, des voleurs peuvent en réalité, ce sontdes voleurs et des assassins.
dépouiller ce dernier; mais ce qu'on faitavec Procès et testaments, tout cela n'est que fraude,
charité pourson frère nu, sans pain, sans asile, trahison, brigandage. La vie des hommes est
le démon lui-même ne saurait le ravir' ». toute là ; des choses spirituelles qui s'en oc-
Ainsi, toute contradiction à la charité, quel cupe '
? »

qu'en fût le motif ou pour le prétexte, était On dirait l'acte d'accusation de la société.
Jean une douleur. Mais qu'il devait souffrir, en Cette parole vengeresse n'épargne ni le pouvoir
voyant tant d'obstacles debout sur la roule de ni le sacerdoce, o Voyez l'étrange renverse-
l'Evangile et tous les désordres contre lesquels ment. Ceux à qui une vie pure pourrait don-
son âme et sa voix se brisaient tous les jours! ner plus de conflance, ont gagné le sommet
Lui qui a de si beaux accents pour célébrer les des montagnes; ils se sont éloignés de la ville
triomphes de la foi, tombe par moments dans comme d'un pays ennemi, ils se sont arrachés
de profondestristesses et pousse des cris d'épou- à leur propre corps comme s'il leur était étran-
vante Jérémie n'a pas de plus sombres lamen-
: ger. Au contraire, des hommes pervers, souil-
tations. lés de tous les vices, se sont jetés sur les égli-
Si quelqu'un, dit-il, embrassait du regard, ses : devenues vénales. De là,
les dignités sont

comme du plus haut gradin du théâtre, la scène des maux ialiais. Personne ne réprime les abus,
entière du monde, — quedis-je? ne considé- personne ne punit les coupables, mais on a mis
rons, s'il vous plaît, que la ville ; — si donc un un certain ordre dans le désordre.Quelqu'un
homme voyait d'un poste élevéce qui se passe a-î-il ne cherche pas à
péché, est-il accusé, il

au milieu de nous, quelles sottisei il découvri- établir son innocence, mais à trouver des com-
rait 1 quelles larmes il verserait ! Comme il plices de son crime. Et pourtant il y a un enfer I
éclaterait de rire 1 quelle haine s'allumerait Croyez-moi, si Dieu n'avait réservé ses ven-
dans son cœur Et que faisons-nous, en effet,
! geances à la vie future, vous verriez tous les
sinon deschosesdignesdelarmeSjde moquerie, jours au milieu de nous des châtiments plus
de colère, de haine? Celui-ci élève des chiens tragiques que toutes les calamités qui ont écrasé
pour allcrà lâchasse des bètes fauves, et il est la nation juive. Que personne ne se fâche, je ne
arrivé lui-même à l'état de bête fauve. Celui-là désigne personne. Si quelqu'un avait reçu le
nourrit des ânes et des taureaux pour charrier don de clairement dans la vie des autres,
lire
des pierres, et il ne s'inquiète pas que des hom- et qu'entré dans l'église il eût à se prononcer
mes meurent de faim. Il dépense un argent fou sur ceux qui la remplissent en ce moment avec
pour donner au marbre les traits de l'homme, vous, — quedis-je? en ce moment, — sur tous
et les vrais hommes il lesdédaigue. L'un couvre ceux qui, le jour de Pâques, reçoivent le bap-
de lames d'or les murailles de sa maison, et il tême, ii y trouverait des crimes plus grands
voit la nudité des pauvres sans en être touché. que ceux des juifs, des gens qui croient aux
L'autre imagine de nouveaux vêtements pour augures, aux charmes, aux sortilèges, qui em-
les ajouter à ses vêtements tandis qu'à ses , ploient les maléfices, des fornicateurs, des adul-
côtés son semblable n'a pas de quoi couvrir son tères, des médisants, des ivrognes. Je passe
corps nu. Au barreau on se mange les uns les sous silence les avares et ceux qui retiennent
autres. Celui-cidissipe son bien en courtisanes le bien des autres, de peur deblesser quelqu'un
et en parasites, celui-là en mimes et en dan- ici. Si l'homme dontje parle scrutait les cœurs
seurs; un troisième ne songe qu'à bâtir de de tous ceux qui approchent de nos autels dans
splendides édiflces un quatrième qu'à acheter
; lemonde entier, quelles horreurs ne verrait-il
des terres et des maisons. Tel s'occupe à sup- pas? Et pour ne parler que de ceux qui sont ^
puter les intérêts de son argent et les intérêts la tête,il les trouverait avides de gain, traû»

des intérêts note sur ses tablettes des pro-


; tel quant des charges publiques, jaloux, vaniteux,
jets de meurtre, et la nuit même il veille pour fourbes, mangeurs, esclaves de l'argent. L'iin-
' Clity»., lur s. Mïih., Uom. DO, n. ». ' Cbtys., sur S. Jean, Bom. B2, n. 3 et 4,
CHAPITRE QUIINZIÈME. 193

piété étant si grande, quels châtiments n'avons- amenait on ne sait d'où ; le Christianisme lui-
nous pas à rcilouler ?... Ne voyez-vous pas la même, qui venait porter à la terre la paix et
guerre multiplier ses ravaf,'es?N'enten'lt'z-vous une vie nouvelle frustrée de son but par la cri-
pas le cri des malheurs publics ? N'est-ce pas minelle apathie des siens, souillé des vices qu'i.
assez pour vous instruire? Dos cités, des na- reprochaitau paganisme, et attirant, lui aussi,
tions entières disparaissent du monde des mil- ; les colères du Ciel qu'il devait apaiser par l'o-

liers d'hommes libres sont esclaves chez les blationpurede toutes les vertus. cœur
Alors son
barbares. Si la crainte de l'enfer ne nous cor- se serrait et, comme si la dernière heure du
rige pas, que ces cruels fléaux du moins nous monde sonnait à son oreille, il s'écriait:

avertissent et nous corrii,^pnt.So[it-ce de pures «Le Seigneur est à nos portes. Nous tou-
menaces? Ne sont-ce pas des faits réels? D'au- chons à la consommation, le monde penche à
tres ont été gravement punis; nous le serons sa Qn. Tout l'annonce, et ces guerres, et ces

plus qu'eux, nous à qui leurs malheurs n'ont calamités, et ces tremblements de terre, et la
pas servi de leçon ' ». charité qui s'éteint. De même que, pourchacun
C'était un moment, en effet, une ter-
terrible de nous, il est des signes avant-coureurs du
rible crise de l'hunianilé. Les champs d'Andri- trépas, et que les toits, les murs d'une maison
nople fumaient encore; Valentinien II venait qui va s'écrouler menacent ruine, ainsi de l'u-
d'être assassiné ; la guerre civile ajoutait ses nivers. La catastrophe approche, et c'est pour-
horreurs à l'invasion étrangère; Eugène dis- quoi tant de maux s'abattent sur lui Si
putait la pourpre à Théodose sur des monceaux nous disons que l'an 400 doit être sa dernière
de cadavres ; les Huns se montraient aux fron- année, nous tromperons-nous '? »
tières; de nouveaux ennemis s'abaltant chaque Sans doute, il se trompait, mais avec un
jour sur l'empire, l'étreignaient d'un cercle de grand nombred'esprits recueillis et sérieux de
feu vagues déferlant sur des vagues, empor-
: cette époque agitée et toute pleine de sinistres
tant tout dans leur écume sanglante ; l'air était pressentiments. Connue eux, il sentait le sol

plein de choses sinistres; les villes s'écrou- trembler sous ses pas, il voyait le flot monter
laient; le monde branlait sur ses vieux fonde- en grondant, des cataractes de sang prêtes à
ments. Ainsi, les cris des barbares, l'incendie tout noyer, et, derrière les grands nuages qui
des cités, les ou menées
populatitjis égorgées enveloppaient l'horizon, la main de Dieu ex-
en esclavage comme des troupeaux de moutons, citée à la destruction par les crimes du genre
les oscillations du sol, le choc des armées, les humain. Dans pensée de ces hommes, l'em-
la

tempêtes d'hommes etd'éléments mêlaient leur pire et le faisaient qu'un. LeSamson


monde ne
bruit formidable et lugubre aux accents du romain entraînait l'univers dans sa chute ;
saint prêtre' et leur donnaient la solennité mais tombait sans honneur, il tombait dans
il

sombre des terribles Vœ du Prophète. Le sen- une orgie. Caraucun avertissementdu Ciel ne
timent des maux publics, plus profond dans profitait à ce peuple frivole et dégradé, auquel
une grande âme, assiégeait de funèbres images l'Evangile lui-même ne pouvait rendre un peu
la pensée de Chrysostome. Il voyait l'empire d'énergie, et qui, loin de conjurer le péril par
condamné s'affaisser dans la honte son agonie ; la noblesse de son attitude, n'était occupé que
insultée par des bandes d'hommes inconnus de spectacles et de plaisirs, et attendait la mort
dont la renommée disait des choses étranges : en chantant des obscénités*.
exécuteurs des hautes justices de Dieu qui les
'Chrys., Bam. 31, surS. Jean, n. 3; voir aussi Bom. 21, sutl'éplî,

— aui H.ar., a. 3. - '


SaIv., de Guiem, Vei, 1. 6 «l l. T, paiifffl.
' Chiys., Bon, 6, sur l'épi», sus Ephis., n. 4. ' Cbrys., f. 2,

Tome f.
m HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOMË.

Dieu réserve géhenne, le feu inextinguible,


la lemal. Dès l'aube, chacun reprend son œuvrej
le supplice les démons. Garde-toi donc,
avec qui ses rapines, qui ses débauches, qui ses con-
décorantia maison du Seigneur, d'oublier ton cussions. Des choses inutiles ou défendues,
frère dans l'infortune car le temple vivant est
; grand souci de celles qui sont nécessaires,
;

plus précieux que le templede pierres. Des rois point de cas. Les juges ne le sont que de nom;
infldèles, des tyrans, des voleurs peuvent en réalité, ce sont des voleurs et des assassins.
dépouiller ce dernier mais ce qu'on fait avec ; Procès et testaments, tout cela n'est que fraude,
charité pourson frère nu, sans pain, sans asile, trahison, brigandage. La vie des hommes est
le démon lui-même ne saurait le ravir' ». toute là ; des choses spirituelles qui s'en oc-
Ainsi, toute contradiction à la charité, quel cupe '
? »

qu'en fiit le motif ou le prétexte, était pour On dirait l'acte d'accusation de la société.'
Jean une douleur. Maisqu'ildevaitsouffrir, en Cette parole vengeresse n'épargne ni le pouvoir
voyant tant d'obstacles debout sur la route de ni le sacerdoce, o Voyez l'étrange renverse-
l'Evangile et tous les désordres contre lesquels ment. Ceux à qui une vie pure pourrait don-
son âme et sa voix se brisaient tous les jours! ner plus de confiance, ont gagné le sommet
Lui qui a de si beaux accents pour célébrer les des montagnes ils se sont éloignés de la ville
;

triomphes de la foi, tombe par moments dans comme d'un pays ennemi, ils se sont arrachés
de profondestristesseset pousse des cris d'épou- à leur propre corps comme s'il leur était étran-
vante Jérémie n'a pas de plus sombres lamen-
: ger. Au contraire, des hommes pervers, souil-
tations. lés de tous les vices, se sont jetés sur les égli-
Si quelqu'un, dit-il, embrassait du regard, ses : devenues vénales. De là,
les dignités sont

comme du plus haut gradin du théâtre, lascèue des maux Personne ne réprime les abus,
infltiis.

entière du monde, — quedis-je? ne considé- personne ne punit les coupables, mais on a mis
rons, s'il vous plaît, que la ville ; — si donc un un certain ordre dans le désordre. Quelqu'un
homme voyait d'un poste élevé ce qui se passe a-l-il péché, est-il accusé, il ne cherche pas à
au milieu de nous, quelles sultises il découvri- établir son innocence, mais à trouver des com-
rait! quelleslarmes il verserait! Comme il plices de son crime. Et pourtant il y a un enfer I
éclateraitde rire quelle haine s'allumerait
I Croyez-moi, si Dieu n'avait réservé ses ven-
dans son cœur! Et que faisons-nous, en effet, geances à la vie future, vous verriez tous les
sinon deschoses dignesdelarmes,de moquerie, jours au milieu de nous des châtiments plus
de colère, de haine? Celui-ci élève des chiens tragiques q ue toutes les calamités qui ont écrasé
pour allerà lâchasse des bêtes fauves, et il est la nation juive. Que personne ne se fâche, je ne
arrive lui-même à l'état de bête fauve. Celui-là désigne personne. Si quelqu'un avait reçu le
nourrit des ânes et des taureaux pour charrier don de lire clairement dans la vie des autres,
des pierres, et il ne s'inquiète pas que des hom- et qu'entré dans l'église il eût à se prononcer
mes meurent de faim. Il dépense un argent fou sur ceux qui la remplissenten ce moment avec
pour donner au marbre les traits de l'homme, vous, —
quedis-je? en ce moment, sur tous —
et les vrais hommes il les dédaigne.
L'un couvre ceux qui, le jour de Pâques, reçoivent le bap-
de lames d'or les murailles de sa maison, et il tême, il y trouverait des crimes plus grands
voit la nudité des pauvres sans en être touché. que ceux des juifs, des gens qui croient aux
L'autre imagine de nouveaux vêtements pour augures, aux charmes, aux sortilèges, qui em-
les ajouter à ses vêtements tandis qu'à ses , ploient les maléfices, des fornicateurs, des adul-
côtés son semblable n'a pas de quoi couvrir son tères, des médisants, des ivrognes. Je passe
corps nu. Au barreau on se mange les uns les sous silence les avares et ceux qui retiennent
autres. Celui-cidissipe son bien en courtisanes le bien des autres, de peur deblesser quelqu'un
et en parasites, celui-là en mimes et en dan- ici. Si l'homme dontje parle scrutait les cœurs

seurs ; un troisième ne songe qu'à bâtir de de tous ceux qui approchent de nos autels dans
si)lendides édifices un quatrième qu'à acheter
; le monde entier, quelles horreurs ne verrait-il
des terres et des maisons. Tel s'occupe à sup- pas? Et pour ne parler que de ceux qui sont k
puter les intérêts de son argent et les intérêts la tête, il les trouverait avides de gain, traû«
des intérêts tel note sur ses tablettes des pro-
; quant des charges publiques, jaloux, vaniteux,
jets de meurtre, et la nuit même il veille pour fourbes, mangeurs, esclaves de l'argent. L'im-
• ÇJity»., sut S. Math., flom. 50, n. 4. < Cbrys., eue S. Jeaa, Bam. 82, n. 3 «t 4.
CHAPITRE QUINZIÈME. 193

piété étant si srrande, quels châtiments n'avons- amenait on ne sait d'où ; le Christianisme lui-
nous pas à re<louler ?... No vi)y(Z-\ous pas la même, qui venait porter à la terre la paix et
guerre mnllipliersesrava^es?N'enten'ii'Z-vous une vie nouvelle frustrée de son but parla cri-
pas le cri des niallieurs publies ? N'est-ce pas minelle ap;ithie dessiens, souillé des vicesqu'i»
assez pour vous instruire? Des cités, des na- reprochait au paganisme, et attirant, lui aussi,
tions entières disparaissent du monde des mil- ; les colères du Ciel qu'il devait apaiser par l'o-
liers d'hommes libres sont esclaves chez les blation pure de toutes les vertus. Alors son cœur
barbares. Si la crainte de l'enfer ne nous cor- se serrait et, comme si la dernière heure du
rige pas, que ces cruels fléaux du moins nous monde sonnait à son oreille, il s'écriait :

avertissent et nous corrisrent.Sotit cède pures Le Seigneur est à nos portes. Nous tou-
«

menaces? Ne sont-ce pas des faits réels? D'au- chons à la consommation, le monde penche à
tres ont été gravement punis; nous le serons sa fin. Tout l'annonce, et ces guerres, et ces
plus qu'eux, nous à qui leurs malheurs n'ont calamités, et ces tremblements de terre, et la
pas servi de leçon ' ». charité qui s'éteint. De même que, pour chacun
C'était un terrible moment, en effet, une ter- de nous, il est des signes avant-coureurs du
rible crise de l'humanité. Les champs d'Andri- trépas, et que les toits, les murs d'une maison
nople fumaient encore; Valentinien II venait qui va s'écrouler menacent ruine, ainsi de l'u-
d'être assassiné; la guerre civile ajoutait ses nivers. La catastrophe approche, et c'est pour-
horreurs à l'invasion étrangère; Eugène dis- quoi tant de maux s'abattent sur lui Si
putait la pourpre àThéodose sur des monceaux nous disons que l'an 400 doit être sa dernière
de cadavres Huns se montraient aux fron-
; les année, nous tromperons-nous '? »
tières; de nouveaux ennemis s'abaltant chaque Sans doute, il se trompait, mais avec un
jour sur l'empire, l'étreignaient d'un cercle de grand nombre d'esprits recufilliset sérieux de
feu vagues déferlant sur des vagues, empor-
: cette époque agitée et toute pleine de sinistres
tant tout dans leur écume sanglante l'air était ;
pressentiments. Comme eux, il sentait le sol

plein de choses sinistres; les villes s'écrou- trembler sous ses pas, flot monter il voyait le
laient; le monde branlait sur ses vieux fonde- en grondant, des cataractes de sang prêtes à
ments. Ainsi, les cris des barbares, l'incendie tout noyer, et, derrière les grands nuages qui
des cités, les populatitns égorgées ou menées enveloppaient l'horizon, la main de Dieu ex-
en esclavage comme des trou peaux de moutons, citée à la destruction par les crimes du genre
du sol, le choc des armées, les
les oscillations humain. Dans pensée de ces hommes, l'em-
la

tempêtes d'hommes et d'éléments mêlaient leur pire et le faisaient qu'un. LeSamson


monde ne
bruit formidable et lugubre aux accents du romain entraînait l'univers dan» sa chute ;
saint prêtre' et leur donnaient la solennité mais il tombait sans honneur, il tombait dans
sombre des terribles Vœ du Prophète. Le sen- une orgie. Car aucun avertissement du Ciel ne
timent des maux publics, plus profond dans profitait à ce peuple frivole et dégradé, auquel
une grande âme, assiégeait de funèbres images l'Evangile lui-même ne pouvait rendre un peu
la pensée de Chrysostome. Il voyait l'empire d'énergie, et qui, loin de conjurer le péril par
condamné s'affaisser dans la honte ; son agonie la noblesse de son altitude, n'était occupé que
insultée par des bandes d'hommes inconnus de spectacles et de plaisirs, et attendait la mort
dont la renommée disait des choses étranges : en chantant des obscénités*.
exécuteurs des hautes justices de Dieu qui les
'Chrys.jffom. 31, sur S. Jean, n. 3; voir aussi ffom. 21, «url'iSpU,

• Chrys., B»m. - aux llO'jr., a. 3. - ' S^lv., de ««ieni. i'ei, 1. 6 «t ». ^i P"»"".


6, tut l'épU- *»» Eph4a., n. 4. ' Cbijs., t. 3,
». 304.

Tome I.
i9i HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYS0ST031E.

CHAPITRE SEIZIÈME.

Précepte chrétien de la charité. — Mission de — Esclavage. — Enseignement du Christianisme. —Unité des race»
Chrysostome.
humaines. — Fraternité de tous les hommes — Du véritable esclavsge de vraie
en Jésus-Clirist. — Doctrine de et la liberté.

Chrysoslome des Pères sur rorigine


et l'esclavage. — L'esclavage égal de son maitre dans
lie — Le maître compagnon l'Eglise.

d'esclavage de son serviteur. — pour adoucir


Elîort sort des esclaves, — pour en diminuer
le nombre, — pour en supprimer le

l'usage. — Chrysoslome docteur de charité. — Mot d'un ancien hagiograpbe. — Rùle de


la charité dans monde. — Exorde la le

d'un discours de Chrysostome. — Excellence de l'aumoue. — Donner au pauvre, prêter Dieu. — Aumône plus c'est
au à utile

riche qu'au pauvre. — Jésus-Christ dans personne du pauvre. — Célèbre prosopopée. — Applaudissement de
la — l'auditoire.

Pauvreté richesse. — Doctrine de Chrysostome


et des Pères sur — Bourdaloue. — Paroles hardies de Chrysostome,
et la charité.

et explication de ces paroles. — Le riche l'économe de Providence. — Droit de propriété. — Affreuse misère au iv
est la siècle.
— Source impure d'un grand nombre de fortunes cette époque. — Lutte des Pères de l'EgUse en faveur de l'humanité. —
à

Succès de Chrysoslome. — Progrès de chrétien. l'esprit

Le lecteur en a déjà fait la remarque tous : en cherchant avec attention, on en découvre


lestextes,touslessujets, toutes les circonstances une ou deux étincelles dans leurs livres. Dans
ramènent Chrysostome à son thème de prédi- tous les cas, il "y a, de la bienfaisance antique
lection, la charité. C'est la gravitation de son à la charité chrétienne, la distance de la terre
âme. On ferait un livre remarquable en au ciel. Il a fallu que le Fils de Dieu se fît
recueillant ensemble ce qu'il a dit de mieux homme, qu'il mourût sur le gibet, pour que
sur beau
ce sujet, et ce livre serait le plus l'homme comprît enfin ce que vaut l'homme
commentaire de ces divines paroles du Sau- et commençât à l'aimer. La charité est venue du
yeur Je vous laisse un comniandement nnu-
: ciel par le Calvaire aussi ne fut-elle pas mieux
;

veau : Aimez-vous les uns les autres comme je accueillie que la croix. Elle trouva les cœurs
vous ai aimés ^. fermés, les volontés rebelles : son nom même
Oui, c'était une
nouvelle que cette loiloi était un scandale. On la couvrit de risée ; et si,

d'amour. Nul doute, cependant, qu'en créant après bien des efforts et des luttes, elle s'établit
l'homme à son image, Dieu ne lui eiit mis au sur la terre, ce fut, non par un élan, non par

cœur la compassion, la bienfaisance, une heu- une conquête de la nature humaine, mais par
reuse disposition à s'intéresser, à venir en une transformation qui tenait du miracle, ou,
aide à ses semblables. Le précepte de l'aumône pour parler plus exactement, qui était une
estune loi sociale aussi ancienne que l'huma- série de miracles.
nité. Mais tant de siècles d'erreur et de paga- Vous voyez dans Chrysoslome l'un des in-
nisme étaient passés là-dessus, ils avaient tant struments privilégiés de cette œuvre divine. Nul
piétiné, ravagé ce noble visage de l'homme, entre les docteurs du Christianisme n'a reçu
qu'à peine gardait-il quelques traits mutilés et aussi visiblement la mission et la puissance de
souillés de la ressemblance divine. L'égoïsme populariser la charité, de la faire entrer dans
et la haine régnaient sur le monde. On traitait les esprits et dans les mœurs, d'abattre devant
la pitié de faiblesse ; le pauvre n'inspirait que elle les haineuses résistances de l'orgueil et de
l'horreur; l'homme tuait l'homme par forme l'égoïsme, ses éternels adversaires. Nul, du
d'amu?ement; une moitié de l'univers était moins, n'a poursuivi ce résultat avec plus d'ar-
esclave de l'autre le cœur humain avait con-
; deur, de talent, d'intrépidité. Sous ce rapport,
tracté quelque chose d'impitoyable et de fa- il a droit, de notre part, à une étude spéciale.

rouche: il se délectait à l'odeur du sang. Il est On l'a dit avec raison : 11 y a dans les doc-
vrai que les mots d'humanité et de charité se trines chrétiennes un souffle de liberté '. Ce
trouvent dans les langues des anciens mais ; n'est pas assez dire ; le principe même du chris-
les vertus e\|irimées par ces mots n'existent tianisme est incompatible avec le principe de
guère dans leurs mœurs, et c'est beaucoup si, l'esclavage. Comment concilier, en effet, lafoj
• Jcau., f. 13, V. 34, ' 'Wa!!. Ilist, de l'«£clav., introd., p. tXïl,
CHAPITRE SEIZIÈME,' 405

en Jésns-Clirist, DiPii-lîomine, avec l'étrange hommes, mais comtne étant les serviteurs do
prétention clt> posséiltT comme iMU! tliose. de Jésus-Christ, faisant de lion cœur la volonté do
traiter comme une
brute lliomme (lue Jésus- Dieu De leur côlé, les maîtres étaient
'.... »

Christ a racheté de son sang, qu'il a maiNjué avertis de témoigner de même de l'affection à
du sceau des élus, qu'il apiielle a partager le leurs scrvili urs et de leur épargner les mena-
ciel avec lui ? Le seul nom d'esclave est un ces « Car, sachez, leur disait-on, que vous
:

blasphème contre la croix. Quels jil Un audacieux aussi, vous avez un maître au ciel, et que de-
contempteurs de Jésus -Christ que ces mar- vant lui il n'y a point acception de personnes'».
chands de chair humaine, continuant, sous Ainsi, ne pouvant briser les chaînes, l'Evan-
la loi d'amour et de lihvrté parfaite cet in- ' , gile les allégeait. 11 faisait plus, il recomman-
fâme conunerce qui consiste à vendre l'ànie de dait et parfois o|)érait la libération des esclaves.
l'homme et le sang de Dieu Saint Paul a ré- 1 Saint Paul avait donné l'exemple, quand, après
sumé l'Evangile quand il a dit: « Plus de Juif avoir accueilli et engendré à la fois le fugitif

ni de Crée, plus d'homme ni de femme, plus Onésime, il le rendait à son maître, non plus,
d'esclave ni de libre vous êtes tous une même ; disait-il, comme un mais comme un
esclave,
chose en Jésus Christ
' » Ne sont-elles pas aussi . frère bien-aimé '. Emules de l'Apôtre une ,

une déduction rigoureuse du dogme de la foule de maltreschrétiensaffranchissaientleurs


rédemplionj ces autres paroles du grand Apô- serviteurs et consacraient à les doter une partie
tre a Nous avons été baptisés dans le même
: de leurs biens. Ainsi, entre autres, avaient fait
esprit, pour n'être tous qu'un même corps'». saint Hermès sous Trajan, saint Chromace sous
Et celles-ci encore a OiJ est l'esprit du Sei-
: Dioctétien; ainsi, les illustres martyrs Cantius
gneur, là est la liberté ' ». Proclamer ces etCantinianusdela famille Anicia, et plus tard,

principes ou abolir l'esclavage, c'était tout un. sainte Mélanie, sainte Paule et beaucoup d'au-
Les féroces théories des anciens, fondées sur tres. Des femmes d'une haute fortune l'em-
le mépris de l'homme, devaient à jamais dis- ployaient sans réserve à acheter sur le» marchés
paraître, le jour où le sceau d'une auguste d'esclaves tout ce qu'on y trouvait de jeunes
fraternité avec le Fils de Dieu rayonnait sur le garçons ou de jeunes filles pour les instruire,
front de chaque homme. lespréparer au baptême et les émanciper, en
Toutefois, avant que de pareilles idées pus- les dotant, dès qu'ils étaient instruits et baptisés.
sent régner dans les lois, il fallait qu'elles fus- Telles furent, dit admirablement un savant
sent entrées dans les mœurs. Renverser brus- historien, les dogmes de l'Eglise naissante et sa

quement l'ordre social établi, n'était ni au règle de conduite. Elle pose le principe de l'é-

pouvoir ni dans l'esprit du christianisme. Ses galité,de la liberté, sur les bases mêmes de la
efforts furent dirigés vers un seul but : persua- foi elle l'environne de toutes les influences
;

der aux hommes que Jésus-Christ avait effacé qui peuvent le féconder, et attend qu'avec leur

dans son sang toutes les distinctions d'origine concours, la foi elle-même en développe la bien-
et de condition, que régénérés tous en lui, ils faisante action âmes. Mais son attente
dans les

étaient tous ses frères, les membres mêmes de n'est point passive. le Christ, avant sa Comme
son corps ' , et qu'étant tous en tous ', s'il pou- résurrection, descendait vers les limbes pour
vait avoirune préférence, ce serait plutôt pour consoler les âmes saintes et captives qu'il allait
les pauvres, pour les ouvriers, pour les escla- introduire avec lui dans le ciel, l'Eglise des-
ves car il avait voulu naître dans la demeure
;
cendit vers l'esclavage pour soulager ses mi-
du pauvre, travailler dans l'atelier de l'artisan, sères jusqu'à l'heure de la délivrance. Elle
mourir sur le gibet de resclavc. Aux serviteurs, rele\ ai tli'sesiiérances et soutenailles courages;
l'Eglise disait Obéissez à vos maîtres selon
: « elle effnçait la trace des flétrissures, elle ôtait
la chair, avec crainte et respect, dans la sim- leur amertume aux humiliations. Dans cette
plicité de votre cœur, comme à Jésus-Christ tête demi-rasée du laboureur enchaîné au tra-
même. Ne les servez pas seulement sous leur vail', elle voyait le Christ et la trouvait assez
regard comme si vous ne pensiez à plaire qu'aux belle ainsi marquée du sceau divin' ».
Cependant, bien que le signe de l'esclavage
' Bp. s. Jae., c. — A' — fût placé comme un signe d'honneur sur l'é-
1, ». 25. ' Gai., c. 3, v. £8. > t. ad
Corinih., c. 12, ». 13. _ •
II. ad Corinih., c. 3, ». 17. • — J. ad
Corinll,., c. 6, ». IS ; c. IJ, ». 27 ; ad Efh., c. 5, », 30. -, • Ad '
Ad Eph., c. 6, ». 5. — '
Id; «. 6, v. 9.
— 'Ad Phitim., ». 18,
Caltu., 0. S, », 11. — '
8. Cypilao,, epist. 77, — ' Wolloa, Hltt. it l'esd., t, 3, p. H.
496 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

tendard des rois', bien quelesidées chrétiennes mêmes et venir en aide à notre prochain. Si tu
eussent déjà fait du chemin et qu'on en trouvât ne me crois pas, écoute saint Paul Mes mains, :

l'influence dans la philosophie etdans la juris- dit-il,m'ont servi moi et ceux qui sont avec
prudence de l'empire, le jour de l'afiranchisse- »?oî'. Ainsi, le docteur de l'univers, cet homme
ment venu. L'esclavage, sapé dans
n'était pas digne des cieux, ne rougissait pas de servir
son principe, modiûé dans ses formes, subsis- d'autres hommes et toi, tu te crois déshonoré
;

tait toujours, et même dans quelques maisons si tu ne traînes à ta suite un troupeau d'esclaves,

opulentes le nombre des esclaves était encore ignorant que c'est là. ce qui te déshonore; car
très-grand Leur condition, sans doute, n'était
*. Dieu nous a donné des pieds et des mains pour
plus la même que sous le paganisme. Mais quel- nous affranchir des services étrangers. Ce n'est
ques réformes qu'elle eût subies, l'institution donc pas le besoin qui a introduit dans le
mauvaise continuait à produire de mauvais monde la race des esclaves sans cela, en créant :

fruits. A côté d'un maître doux, humain, plein Adam, Dieu n'eût pas manqué de lui créer un
de bonté pour ses serviteurs, d'autres traitaient serviteur. L'esclavage est la peine du péché, le
leurs esclaves comme des bêtes de somme. Des châlimentdela désobéissance; donc Jésus-Christ
femmes hautaines ou jalouses se portaient vis- par sa venue a détruit aussi l'esclavage. Que
à-vis de leurs servantes aux plus horribles signifient ces essaims d'esclaves ? On les voit,
excès. Plusieurs se montraient en public, envi- ces riches, telsque des vendeurs de brebis ou
ronnées de jeunes et beaux esclaves ' ou tout des trafiquants de chair humaine, se pro-
au moins d'une foule d'eunuques '. On eût cru mener dans les thermes et sur les places. Mais
déroger dans l'apparat d'un festin, on ne
si, je ne veux pas m'en tenir au droit strict. Donne-
produisait pas autour de soi un essaim de ser- loi un ou deux serviteurs quand tu en :

Titeurs richement parés '. Sortir sans traîner à réunis davantage, ce n'est plus que pour ton
sa suite un interminable cortège, c'était mau- plaisir. Si un sentiment d'humanité t'animait,
vais ton. On avait des esclaves pour tous les tu apprendrais à tes esclaves des métiers avec
genres d'offices". Les palais, les villas en four- lesquels ils pussent se suffire à eux-mêmes, et
millaient. Saint Jérôme se moque des solitaires, lu les renverrais libres. Mais tu les frappes de
des vierges consacrées à Dieu, qui, cherchant verges, tu les jettes dans les fers, et tu parles de
lesdouceurs d'une vie mondaine sous le man- pliilantropie I Je sais bien que je déplais à mes
teau de la piété, remplissaient leur prétendue auditeurs; mais que taire? Je remplis ma mis-
solitude d'un peuple de valets '. sion, et ne cesserai de la remplir. Qu'est-ce
Mille fois, dans ses homélies, Chrysostome donc que cette façon orgueilleuse de paraître en
relève ces abus, et en prend occasion d'exposer public? Marches-lu au milieu de bêtes fauves,
nettement la doctrine chrétienne sur l'escla- qu'il failleleurdonnerlachasseàton approche?
vage. D'abord, le nombre des esclaves l'in- Sois sans crainte ils ne te mordront pas, ces
:

digne. Pourquoi tant de serviteurs, s'écrie-


« hommes (jui passent à tes côtés Celui-là est
t-il. De même que pour les vêlements et la au-dessous de tout esclave qui étale un tel
table, on doit, en fait de serviteurs, se régler faste, ne verra pas la vraie liberté. Si tu veux
il

sur le besoin. Or, où est ici le besoin? Je ne le chasser quelqu'un devant toi, chasse non ceux
"vois pas. Un seul serviteur suffit parfaitement que lu rencontres sur tes pas, mais ton orgueil :

à un maître, et même deux ou trois maîtres chasse-le, non par ton esclave, mais par toi-
peuvent se contenter d'un seul serviteur. Si même.... Descends de ton cheval, marche à
cela te paraît dur, songe à ceux qui n'en ont pieds avec modestie ; alors l'humilité te servira
pas, et qui n'en sont que plus agréablement de char, et celui-là te portera aux cieux, car il

et plus promptement servis; car Dieu nous a a des chevaux ailés ° ».


faits tels que nous pouvons nous suffire à nous- Evidemment, l'objet des vœux de Chryso-
stome, c'est l'abolition radicale de l'esclavage.
' 'Wallon., HIsU de U.
Chry»., sur le pa. 48,
l'escl., t. 3, p. — ' Ce qu'il a sous les yeux n'est qu'un état provi-
Bur S. Jean, Boni. 28, sur 1 epU. aux Coloss., Som. 1, sur S. Math.,
Bom. 6:i. —
'S. Hier., ep. 85, nd Sah.,t, 4, aller, pari. p. 667, etc.
soire que le Christianisme accepte comme tel,
.— * LhryB. surets par. : Saluez Pri^c ; S. Hier., ep. 47, t. 4. aller, avec l'obligation et la certitude d'y mettre un
part., d. 559; et ep. 57, ibïd.. p. 595; l^laud. l'i Etilrop. 1, \. 11)5.
— *' hrys., sur le ps. 48, et sur l'ép. au^ Coloss., Boni. 1 ; Miiller, terme. Dans l'attente de ce jour désiré de l'é-
Disiert. hiiloric ,1,5 — Bom. ' S. Basil.,
§ 53. in divit., li, t. 2, p.
mancipation générale , l'Eglise poussera de
— 'S. Hier., 93, ad Bust. monach., t,i; aller par*,, p. 775
1, cji.
f
ej), 89 i
Md,, p. 732, etc. ' Act, 20, 21, — ' Chrys., sur la 1" aux Corinth , Bom. 4ù.
.

CHAPITRE SEIZIÈME. 197

toutes ses forces aux émancipations particu- changer, non la crainte et les coups, mais la
lières, et tous ses ministres, comme suriin mot douceur et les bienfaits. Cette jeune fille est ta
d'ordre, attaiiuerontà la fois et l'instiliilion de sœur, si elle chrélienne. — est Mais elle se con-
l'esclavage en elle-même, et les abus, les périls, duit mal. — Mirie-la, ôle-lui les occasions de

les maux de toutes espèces qu'elle entraîne. pécher. — Mais vole. — Garde-la, surveille-
elle

De la, les vives sorties de Jean contre la multi- la.— exagération Je serais gardienne de 1 la

plicité des serviteurs et contre la dureté des mon esclave — pourquoi ne ! serais- folie, le

maîtres ; car si généralement la situation de tu pas ? N'a-t-elle pas la même âme que loi ?
l'esclave était moins intulérable qu'aux temps N'a-t-elle pas reçu de Dieu les mêmes grâces ?
païens, si même dans certaines maisons il était N'est-elle pas admise à la même table ? N'a-t-elle

traité plutôt comme un domestique dévoué et pas la même noblesse d'origine ? — Mais elle
cher à la famille que connue un esclave; dans est médisante, querelleuse, bavarde, ivrogne.
d'autres, et trop nombreuses encore, on retrou- — Que de femmes libres le sont aussi ! Dieu
vait, comme en plein paganisme, la brutalité ordonne à leurs maris de les supporter avec
du commandement, l'oubli de toute pitié, tous leurs vices et leurs fautes ;
pourvu que ta

les caprices du despotisme, les coups pour la femme ne soit pas adultère, a-t-il dit, résigne-
moindre faute, la torture et le fouet appliqués toi. Serait-elle ivrogne, médisante, bavarde,
à chaque instants, et souvent pour le bon plai- jalouse, orgueilleuse, prodigue, c'est la com-
sir d'une femme ridicule ou jalouse. A la pen- pagne de ta vie.... Voilà la vraie sagesse. El
sée de ces humiliations infligées à la nature maintenant, des femmes en viennent à ce degré
humaine sous les yeux et par la main des dis- de cruauté et de folie, qu'elles découvrent la
ciples de Jésus-Christ, l'âme de Chrysostome tête de leurs servantes et les traînent par les

se révolte et s'indigne, son accent s'empreint cheveux ». Il y eut, à ces mois, un frémisse-
d'une indicible amertume ou dirait qu'il veut ; ment dans l'auditoire. Toutes les femmes cour-
rendre affront pour affront, outrage pour ou- baient la tête. « Pourquoi rougissez-vous ?
trage à ces impies contempteurs de l'huma- s'écria l'orateur. Ceci ne s'adresse qu'à quel-
nité, et flageller à son tour les maîtresses ques-unes, à celles qui se portent à de telles
cruelles qui osent flageller leurs servantes. horreurs ». Et il continua avec plus de force.
'

a Quoi donc! s'écrie-t-il, la pensée de l'enfer Ailleurs, commentant les paroles de l'Apôtre :

ne pendant ce temps-là?
te vient pas à l'esprit Laissons les menaces, et sachant que votre
Tu mets à nu cette jeune enfant, tu la livres Maître et le leur est au Ciel, Chrysostome
dans cet état aux regards de ton mari, et tu ne s'écrie : Oh 1 quelle grande chose, et qu'elle
crains pas qu'il te condamne? Au contraire, tu est effrayante ! Cela veut dire qu'il nous appli-
en menaçant d'enchaîner la
te plais à l'irriter quera mesure dont nous aurons usé pour
la
pauvre malheureuse, en l'accablant de mille les autres. N'entendez-vous pas: Méchant ser-
injures, en l'appelant sorcière ', fugitive, pro- viteur, je t'avais remis toute la dette,.... — et
stituée, car la colère ne te permet pas de res- ailleurs : Il n'y a point d'acception de per-
pecter ta propre bouche, et tu ne songes qu'à sonnes devant lui ? Ne croyez pas que ce
te venger, même en te déshonorant puis, ; qu'on fait contre les esclaves sera pardonné
comme un tyran, tu présides au supplice en- comme fait contre esclaves. Les lois du monde
tourée de tous tes esclaves, et ton stupide mari, connaissent la différence des deux races, la loi
debout il tes côtés, remplit les fondions de lic- de Dieu l'ignore car Dieu , bienfaiteur de ;

ttur. De telles scènes devraient-elles se passer tous, ouvre le ciel à tous ' »
dans maison des chrétiens ?
la Mais, dis-tu, — Hélas ces hautes censures ne faisaient pas
!

c'est une mauvaise race, insolente, effrontée, plus que les avis paternels. En vain le saint
incorrigible. —
Je le sais néanmoins on peut ; orateur disait-il aux maîtres : « Si vous voulez
la réformer et la corriger par des moyens plus nous écouter, nous vous dirons de vos esclaves
efficaces et moins honteux. En disant de sales ce que nous avons dit de vos fils Apprenez- :

mots, toi, fenmie libre, tu flétris moins ta ser- leur à être pieux, et tout le reste suivra. Mais
vante que toi même. —
Mais rénliques-tu, ces aujourd'hui, qu'on aille au théâtre ou au bain,
gens-là sont intolérables dès qu'on est indul- on traîne après soi tous ses serviteurs ;
pour
gent. —
Je le sais aussi emploie donc pour les
:
• Chrys., sur ré[>, loi Eph., Bom. 15. — ' Chrya., sur Tép. aux
• 9t}icùi'!x, Theualienne, •jrooojrme de lorciire, magicienne. Et>li. Ilom., 22.
i9d HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

l'église, il n'en est pas de même. On ne fait illustres noms des martyrs ? Mais, somme toute,
rien pour qu'ils viennent écouter la parole. Et ce que Jean dit ici et ailleurs de la corrup-
comment l'esclave écouterait-il, quand toi, le tion générale des esclaves n'était que trop vrai.
maître, tu as ton esprit ailleurs '
? » Mais les Un siècle plus tard, Salvien nous les peint sous
maîtres n'aimaient pas à pousser les esclaves les mêmes traits, menteurs, dissimulés, gour-
bien avant dans la religion ; car elle avait sans mands, voleurs, impuiliques et comme l'o- '
;

cesseàla bouche la fralerniié d'origine de tous rateur d'Aotioche, il voit la principale cause de
les hommes et leur commun affranchissement ces désordres dans la dureté, l'irréligion, l'ava-
en Jésus-Christ. C'étaient là des dogmes mal- rice, la vie scandaleuse des maîtres, et même,
sonnants à l'oreille des riches, et plutôt que d'y en fait d'impudicité, dans leurs influences
appliquer celle des esclaves, ils les laissaient directes et le plus infâme abus du pouvoir *.

aux champs sans oratoires, à la ville sans ins- D'autre part, les vices des classes servîtes pas-
tructions, au risque de trouver chez eux tous sent, à leur tour, aux classes libres, et l'escla-

les vices de l'esclavage : le mensonge, le vol, vage devient pour les familles un hideux foyer
la paresse, l'insolence, l'insubordination. Les de corruption. 11 pervertit l'enfance confiée
maîtres s'en prenaient à la race ; Chrysostome trop imprudemment à ses mains', fournit à la

s'en prend aux maîtres, et n'hésite pas à signa- luxure un quotidien et facile aliment *, trouble
ler publiquement leur influence corruptrice. par la jalousie, la paix des mariages, pousse à
« C'est une chose généralement admise, dit-il, l'orgueil, à la barbarie, au mépris de l'huma-
que la race des esclaves est effrontée, peu ma- nité ; et ainsi, la dépravation des maîtres en-
niable, peu propre à recevoirlesenseignements gendre celle des esclaves, la dépravation des

de la vertu, non par un vice de nature, à Dieu esclaves augmente celle des maîtres, et le sens
ne plaise mais par la négligence et par la con-
! chrétien, le sens moral lui-même s'affaiblissent
duite des maîtres. Comme les maîtres ne leur également chez les uns et les autres.
demandent que des services, et qu'à part l'in- Voilà ce que Jean signale et déplore mille
térêt personnel qu'ils peuvent quelquefois y fois. Rien n'était plus évident que l'immoraUté

avoir, ne s'inquiètent pas quêteurs esclaves


ils et l'iniquité de l'esclavage, et cependant riea

se livrent à la débauche, au vol, à l'ivrognerie, n'était moins facile à extirper. Ce crime, uni-

il arrive que ces infortunés, sur lesquels per- versellement réprouvé aujourd'hui, qui expro-
sonne ne veille, s'enfoncent dans l'abîme du prie l'homme de sa famille, de son nom, de
vice. Si, en effet, malgré l'active surveillance son cœur qui le réduit à l'état d'animal do-
;

d'un père, d'une mère, d'un précepteur, mal- mestique, de chose que l'on vend, que l'on
gré l'heureuse influence de nos égaux et du troque, que l'on profane à plaisir; qui arrache
sentiment même de la liberté, nous évitons la fille à sa mère, la femme à son mari, le père
difficilement la contagion des méchants, que à ses enfants, et trafique, à la face du ciel, de?
sera-ce de ceux qui, privés de tous ces secours, larmes, des déchirements, des plus saintes
vivent dans la plus mauvaise compagnie, per- choses de l'âme humaine, ce crime, plus af-
sonne ne s'occupant de leurs relations ? Aussi freux que l'homicide, blasphème impie contre
est-il malaisé aux esclaves d'être bons; car ils le Créateur, contre la Providence, contre Jésus-
ne reçoivent d'instruction ni chez nous ni ail- Christ, ne réveillait pas un remords dans la
leurs, et n'ont pointde rapport avec les hommes conscience de l'humanité. L'Eglise dut revenir
libres et bien élevés qui attachent du prix à la tous les jours, pendant des siècles, surles idées
considération publique ' ». élémentaires à cet égard, sur des idées
les plus
Il y avait, sans doute, des exceptions, et le qui nous semblent innées, instinctives, et qui
saint orateur parle de maisons, en grand nom- n'entraient que lentement et péniblementdans
bre, où l'exemple d'esclaves vertueux avait les âmes, qui ne sont entrées dans la circulation

exercé sur les maîtres une salutaire influence '. du monde moral que par le travail le plus
Les noms
des Blandine, des Potamiène, des opiniâtre des docteurs du christianisme. Or,
Félicité,d'une foule d'autres, n'étaient-ils pas entre ces docteurs, nul après saint Paul, dit
inscrits aux fastes des Saints, parmi les plus Mœlher, n'a recueilli dans la question de l'es-

' Salv., de Guhern. Dei, IV, 3, 5, p. 67, etc. —


'Salv,, ihii., vn,
* Cbrya., sur rép. aux Eph., Hom. 22. — ' Chrys., sur l'ép. à 3, et IV, 6.— ' S. H;er., ep. 98, t. 4, ait. p., p. 7!1S, et ep. 17, ib.,
Tit., Bom, i. — ' Chry»., sur l'ép. eux Thessal., Bom. 5, n. b. p. 5'jj. — '
cbrjs., sur ces par. ; 8 cause de la fornic.
CHAPITRE SEIZIÈME. 199

clavage nue plus riche moisson de mérites que oiseaux du ciel et les animaux de la terre', n'a
Chrysoslome '. pas voulu qu'il dominât sur les hommes. Adam
Disons-le d'abord : danscelont,' plaidoyer en et Eve sont également libres ; nul esclave n'est
faveur d'une vérité méconnue et du i'iiiinianité deslinê àltur service, pas jdus qu'à celui d'Abel,
outragée, pas un mot n'échappe au grand de Seth, de Nuë'. Chacun se sert soi même :
avocat des pauvres et dos opprimés, qui puisse entre eux point de subordination, tous jouis-
augmenter dans le cœur de l'esclave l'amer- sent d'une égale liberté. Mais le péché du pre-
tume de ou l'impatience de son
sa situation mier homme, transmis à ses descendants, a
joug. Avec le même zèle qu'il prêche aux maî- frai)pé de déchéance la nature humaine, et
tres la modestie et la charité, il recoinmande nous a réduits à l'incapacité de nous gouverner
aux serviteurs l'obéissance, cette soumission nous-mêmes. De là, trois espèces de servitude :

spontanée et digne qui lait que l'esclave ver- la première est celle de la femme dans le ma-
tueux est plus libre dans les chaînes que le riage la seconde , celle de l'esclave sous le
;

maître orgueilleux au milieu des plaisirs et des joug du maître la troisième, celle des sujels
;

vices', ail serait digne de re|)roclies, dit-il, dans l'Etal. Mais la femme a trouvé dans l'a-
celui qui, sous prétexte de continence, détour- mour un refuge contre le despotisme'.... la
nerait les femmes de leurs maris, ou enlèverait domination du souverain est la pins redoutable
les serviteurs à leurs maîlres.... Que les escla- de toutes, car elle entraîne l'emploi du glaive,
ves obéissent donc, sans résister, sans tromper, du bourreau, des supplices, de la peine de
et que, montrant en tout kur bonne foi, ils mort. Mais notre perversité la rendait néces-
honorent par leur conduite la doctrine du Dieu saire. 11 faut aux maladies des remèdes, et aux
sauveur.... Si cette doctrine, en effet, ne ré- crimes des châliments '».
prime ni notre langue ni notre main, comment Quant à la seconde espèce de servitude, il
voulez-vous que les païens l'admirent? Mais, n'en est pas question dans les saints livres,
au contraire, s'ils vous voient, pleins de la avant que le patriarche Noë n'eût flétri du titre
philosophie du Christ, pratiquer la tempérance d'esclave son coupable QIs. Cham manque de
plus que leurs philosophes, obéir de bonne respect à son père, et, frappé de malédiction,
volonté, avec une modestie parfaite, ils ren- il cesse d'être l'égal de ses frères pour devenir

dront hommage à la puissance de la prédica- leur serviteur. Son crime le dégrade de sa di-
tion car ce n'est pas sur leur énoncé qu'ils
; gnité, le dépouille de sa liberté , et c'est ainsi
jugent nos dogmes, mais sur les résultats et que l'esclavage est entré dans le monde il est :

par notre vie 'b. la conséquence et la peine du péché. L'homme,


Mais en rappelant à la classe asservie ses en péchant, a abdiqué sa noblesse originelle, il
devoirs, Jean n'en poursuit pas avec moins s'est infligé à lui-même un cruel affront; puis
d'ardeur l'abolition de la servitude. Ses idées, sont venues les guerres et les batailles, et l'on
à cet égard, tiennent une grande place dans a fait des prisonniers. La guerre est une autre
ses écrits et forment à elles seules un corps de source de l'esclavage; mais Jean, comme saint
doctrine : essayons de les résumer. Augustin, la rattache à la source commune du
L'unité et la dignité des races humaines sont péché ^ Si l'on demande pourquoi la race de
écrites aux premières pages de la Genèse. Adam Cham a porté la faute de son père et le genre
est le père de tous les hommes ; et parce que humain celle d'Adam, pourquoi tant d'esclaves
Dieu l'a créé à son image et placé au-dessus de qui ne méritèrent jamais l'anathème paternel,
toute la création, tout ce qui est issu de lui par- il répond que l'esclavage dérive de la culpa-
ticipe de cette
ressemblance divine et de cette bilité qui s'étend à tous les hommes, et non
royauté. Nous avons tous la même nature, la de tel ou tel fait en particulier, et que le péché
même raison nous éclaire, la même loi morale est une servitude (jui les engendre toutes'.
nous gouverne, nous aspirons au même ciel; Mais cette ex|>lication était plus propre à ras-
aucun de nous n'a été fait pour être l'esclave surer qu'à inquiéter les possesseurs d'esclaves.
de l'autre Dieu qui dit à l'homme Tu do-
».
, :

mineras sur les poissons de la mer, sur les 'Genès, 1. 26.— ' Chtys., Ilom. 22, sur Icp. aui Eph • Chry».,

sur Gen,, Hom. 4; il dil ailleurs que, malgré la î^ujélion à l'homme,


la
femme ei^t ud roi dans sa maison. Choisissez bien le roi, ajoute-
'Moalh., De re»cl., c. 5. —
'Chryj., «ur Lazar., serm. vi; S. Am-
la
t-il, et tout ira bien. [Hom. 'J.2, pur i'cp. atix Kph.) — * Chrys.,
bfoli., epu(. 37, 1. 1;S. Aag., de Cinil. Dri, iix, 15. •
Cliryi., — hum. 1, sur la Ge'i. —
Au^ r/e Cinit. J)ci, 1,
*
, 19, c. 15 Chrys,,
mu Vt^ à Til., Uom. 1. — '
Ciiryi., »ur le pi, 48, lur l'épure aux £ph., Hom. 22. — * Cbrys., sur la
;

Gen., Betm. &.


200 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

Car, disaient-ils, d'une part l'esclavage est la


si qui s'abandonne à ses folles passions',.. Ne me
punition du péché, et si de l'autre le péché des dis pas, poursuit l'orateur, que ton père a été

pères passe aux enfants, ne sommes-nous pas consul.Que m'importe? C'est d'oprèslanoblesse
dans l'ordre de la justice divine en continuant du caractère que je donne à l'esclave le nom
sur les fils la servitude qui frai^pa les pères? Et de patricien, au patricien celui d'esclave
n'est-ce pas la Providence elle-même qui nous si ce n'est le pécheur?
Qu'est-ce qui est esclave,
livre des races coupables cl maudites à châtier? L'esclavage dupéché tient à l'intérieur de
Non, s'écrie le saint docteur; car Dieu, qui tire l'homme, d'où toute servitude est venue;
le biendu mal, a voulu que le péché trouvât un l'autre est extérieur et accidentel'.... Onésime
châlimcnl dans l'esclavage, mais il n'est pas était un esclave méprisé , fugitif : il recourt à
plus l'auteur de l'un que de l'autre. « Et si vous saint Paul, reçoit le baptême avec le pardon de
me demandez, poursuit-il, conunent la servi- ses fautes, et voilà que l'Apôtre s'écrie AC' :

dans le
tude s'est établie monde, — car je sais cueille, comme moi-même, Onésime, qui te fut

qu'un bon nombre ici questionnent volontiers inutile autrefois, qtd maintenant nous est utile
et désirent être éclairés là-dessus, — je dirai à tous deux. —
Je V ai engendré dansmes liens *.
que c'est l'avarice, la jalousie, l'insatiable cu- Voyez-vous par quelle vie on mérite la dignité
pidité qui l'ont engendrée '» Mais la grande ré-
. d'homme libre?.... Qu'est-ce qu'un esclave?
ponse : c'est la rédemption par Jésus-Christ. Si Un simple nom. Que de maîtres ivres gisent
l'homme, en effet, a été condamné à l'esclavage sur leur lit, pendant que des esclaves tempé-
pour son péché, le Fils de Dieu fait homme rants sont debout et pleins de vigueur Lequel !

pour détruire le ])cché a détruit aussi cette con- des deux appellerai-je esclave celui qui est :

séquence du péché. Par lui, et au prix de son ivre ou celui qui ne l'est pas? L'un est lié à l'in-
sang, tous les hommes ont été rachetés; et dé- térieur, l'autre ne l'est qu'à l'extérieur. Je dis
sormais, libres ou esclaves, toussent sesobligés, cela et ne cesserai de le dire, afin que vous ap-
ses serviteurs, ses affranchis, ses cohéritiers, preniez à juger des choses sur leur véritable
ses frères, les frères du Fils de Dieu; ils revien- valeur, non par la fausse opinion du vulgaire,
nent tous à la primitive égalité, a Adam et et que vous sachiez, avec précision, ce que c'est
Cham, dit Chrysostome, ont introduit par leurs qu'esclavage, pauvreté, bassesse, bonheur'....»
transgressions, l'un la mort et les maux qui la Ailleurs, commentant ces paroles de saint
précèdent, l'autre l'esclavage. Mais, venu après Paul : Celui qui, étant esclave, est appelé au
eux, le Christ, notre Seigneur , a réduit tout service du Seigneur, devient affranchi du Sei-
cela à ne plus exister que de nom. La mort a gneur ; et, de même, celui qui est appelé, étant

perdu ses terreurs : elle n'est plus la mort, elle libre, devient esclave de Jésus-Christ^, Jean
est un sommeil.... De même que l'esclavage.... s'écrie : a Oui, dans les choses du Christ, vous
La preuve que Jésus-Christ eu a brisé le joug, êtes tous les deux égaux. Ton maître et toi vous
qu'il ne lui permet plus d'être autre chose êtes, au même titre, serviteurs du même Dieu.
qu'un nom, et que ce nom même il l'a aboli, Comment donc, restant esclave, es-tu devenu
c'est le mot de saint Paul Que ceux qui ont : affranchi? Parce que le Sauveur qui t'a délivré
des 77mîtres fidèles ne les méprisent pas, car ils du péché, t'a délivré aussi de la servitude exté-
sont leurs frères^. Ainsi, du moment qu'on rieure, bien que tu en portes encore le joug;
n'est plus soumis au péché, on n'est plus es- car il ne permet pas que le serviteur soit esclave,
clave, on entre dans la fraternité commune '... même quand il ne cesse pas d'être serviteur....
L'Eglise ne met pas de différence entre le Vous avez élé achetés d'un grand prix, ne vous
maître et le serviteur elle ne les distingue : rendez pas esclaves des ho^nmes! Tel est le
l'un de l'autre qu'à leurs bonnes ou mauvaises Christianisme au sein de l'esclavage, il fait
:

actions''... Ces noms esclave , libre, ne sont


: jouir de la liberté"».
que des noms sans réalité. Ce qui fait la servi- N'est-il pas évident que s'exprimer ainsi c'est
tude, c'est le vice ; ce qui fait la liberté, c'est la établir qu'au poi nt de vue le plus élevé et le plus
vertu '. Celui-là seul est libre qui a la liberté vrai, qui est précisément le point de vue chré-
dans son âme, comme celui-là seul est esclave tien, toute inégalité radicale de la nature hu-
*
Eom. sur la Ue aux Corinih. , Eom. 19, — '
Chrys., sur Lazar.,
• Chrys., Eom. 22, sur l'ép. aux Eph.— ' I ai Timoth., c. 6, t. 2. serm. 6. — * Ad Philem., vers, 10 et 11. — * Chrys., sur Lazar..
— 'Cbrys., sur t'ép. à Philém., Hojn. 1.— *Cbry3.^ Hom. pron. dans serm. 6. — ' I ad Corinih. c. 7, Y. 22. - Chrys., sur la irt au»
l'éjl. de S. Anast., n, 4.— ' CUi^s,, sut la l' i TiiBOtli. , JJom. 18. Conuih., Hom. 19,
CHAPITRE SEIZIÈME. SOI

maine disparaît ? Ce n'est point assez : ces défi- venirs et de ces enseignements aux conclusions
nitionsalislrailes en font nailredo plus i)ositi vos, pratiques, Jean censure sévcreni -nt, nous l'a-
et Ciirysoslome est emmené, parle développe- vons déjà vu, l'orgueil des maîtres qui gardent
ment logique de ses pensées, à inculquer dans à leur service une foule d'esclaves, et les presse
ses discours que le maître et l'usclave se doi- d'instruire ces malheureux dans les arts pour
vent des services réciproques, une mutuelle leur donner la liberté dès qu'ils auront le
soumission, même dans leurs rapports exté- moyen de gagner leur vie*.
rieurs. N'est-ce pas abolir l'esclavage? Laissons Pouvait-il s'avancer davantage? a Après de
parler le saint docteur. tels discours, dit encore Mœlher\ il ne lui res-

8 Qu'il y ait, dit-il, un échange mutuel de tait plus qu'àordonner l'affranchissement. Une
servitude et de soumission, et il n'y aura plus telle initiative eût dépassé les limites de ses
d'esclavage que l'un ne prenne
;
[las rang parmi pouvoirs ».

les libres, et l'autre parmiles esclaves; il vaut Sans doute, Chrysostome, dans cette ques-
mieux que maîtres et esclaves se servent les tion, ne fait que reproduire l'enseignement
unsles autres. Une telle servitude est préférable unanime des Pères ; sa voix est l'écho de leurs
à une autre liberté je vais vous le faire com-: voix, auxquelles, il faut le reconnaître, la phi-
prendre. Snp[)OSonsun propriétaire de centes- losophie mêla plusieurs fois la sienne. La gloire
clavcs dontaucun ne le serve, puis cent amis se propre du saint docteur, c'est d'avoir prêté à
servant mutuellement où sera la vie la plus ;
cet enseignement la puissance de sa parole,
agréable, le contentement, le bonheur ? Ici, d'avoir contribué, plus que personne peut-être,
point décolère ni d'emportement; là, l'inquié- à le propager, à l'établir profondément et soli-
tude d'un côté c'est par force, de
et la crainte; dement dans les âmes. Mais alléger, briser le
l'autre par affection et reconnaissance que se joug des esclaves, était-ce tout pour la charité ?
fait le service. Tel est l'ordre du Seigneur, et Elle avait sous les yeux trop et de trop grandes
c'est pour cela qu'il a lavé les pieds à ses disci- misères pour n'en être pas émue. Pouvait-elle
ples. Si l'on veut y faire attention, la servitude, oublier qu'elle est le précepte du Seigneur, le
telle qu'elle existe,nous présente des choses premier devoir de la loi nouvelle, le signe ca-
analogues L'esclave est obligé de servir son ractéristique des disciples de Jésus-Christ ?
maître, mais en revanche celui-ci contracte des Cette parole du Maître
// y aura toujours des
:

obligations à l'égard de son esclave il doit le : pauvres au milieu devons, loin de décourager,
nourrir, l'habiller, le chausser ; s'il lui refuse stimulait ses ardeurs, et, convaincue qu'il n'y
ces services, il n'y a plus de loi qui force l'es- avait pas à changer les conditions de l'huma-
clave à être esclave : il est hbre' ». nité ici-bas, elle s'appliquait d'autant plus à les
Ainsi, pour Clirysostome, la position relative modifier, à les rendre moins dures pour les
des maîtres et des esclavesdoit être une alliance uns, moins corruptrices pour les autres, à créer
de famille entre des amis et des frères sous le aux pauvres dans le cœur des riches un refuge
même toit. montre réalisée
Cette alliance, il la contre le désespoir. Qui pouvait briser les fers
admirablement dans la maison de Philémon, des esclaves, si ce n'est elle ? Qui pouvait tarir
devenue, sous l'inspiration de saint Paul, une l'une des sources les plus fécondes de l'escla-
communauté pieuse d'où toute inégalité a dis- vage, si ce n'est elle? En dehors d'elle, y a-t-il

paru, où règne sans restriction cette parole de un remède sérieux contre l'indigence? Quoi
l'Apôtre : En Jésus-Christ il n'y a plus ni Hère qu'on dise, quoi qu'on fasse, la charité est le
ni esclave*. Il dit ailleurs que si Abraham, cet contre-poids nécessaire de régoïsme,un appoint
homme d'une piété
si pure, eut des esclaves, il précieuxde l'équilibre du monde c'est la force ;

ne jamais comme tels% et qu'en tout


les traita cachée qui ressoude la chaîne à chaque instant
cas, saint Luc, parlant de cette primitive Eglise brisée entre le riche et le pauvre, le fort et la
de Jérusalem, où tout était commun entre les faible c'est l'huile mystérieuse qui empêche
;

ne mentionne pas les esclaves, soit qu'il


fidèles, les frottements trop rudes entre les engrenages

n'y en eût point parmi les chrétiens, soit qu'on sociaux. (;eque l'attraction est aux astres, l'af-
les eût rendus à la liberté *. Passant de ces sou- finiléauxéléments, lacharitél'estauxhommes.
Elle ne menace pas la propriété, n'absorbe pas
' Clirys., «op rép. aux Eph., Bom. 19. — ' Chrys., sur Tép. à
Pbilém., ^om., 1. .• ' Cbrys., sur rép. aux Epb., Bom, 22,— Cbrys., sur U X" aux C«tintb., Bom. 40. — Mœlb,, Hist, d«
* auji.0tiu IM Ad., Bom., 11. l'etclav., e. S.
20Î HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

rindividualilé, n'éteint pas l'aclivité ; elle n'est vres. Ce que sont aux riches leurs champs et
ni la spoliation, ni la contiainle, ni la dégrada- leurs autres propriétés, le corps du pauvre l'est
tion, n.ais l'amour; elle
ne nivelle pas les têtes, pour lui : c'est son revenu, il n'eu tire pas
elle rapproche les cœurs. Elle n'a qu'une loi d'ailleurs. C'est pourquoi, si l'été procure quel-
foimulce en deux mots Aime ton prochain
: que allégement à l'indigence, l'hiver lui fait, à
cuiiime toi-même pour l'amour de Dieu. tous les points de vue, une rude guerre ; il l'as-
Lhrysostonie est -vraiment le docteur de la siège de deux côtés : il l'attaque au dedans par
charité. Nous ne dirons pas, avec un ancien la faim qui dévore au dehors par
les entrailles,
hagicgraphe, que faute d'un homme comme le froid rend comme
qui gèle la chair et la
lui dans le monde, il eût fallu que le Fils de morte. Alors il fautaux pauvresune nourriture
Dieu rachetât le monde une seconde fois' mais ; plus substantielle, un vêtement plus chaud, un
nous affirmerons sans crainte d'être démenti, toit, im lit, des chaussures, et tout le reste ; et
qu'après saint Paul et saint Jean, le précepte cependant, chosedéplorable, ils n'ont pasmême
divin de la charité n'a pas eu de plus éloquent la ressource du travail : la saison s'y oppose.
interprète que Chrysostonie. Cet exorde d'un Donc, puisque c'est alors qu'ils ont plus de be-
de ses discours pourrait être regardé comme le soins, qu'ils manquent de plus de choses néces-
programme même de son ministère. saires ,etque personne ne leur donne d'ouvrage,
« Je viens remplir près de vous aujourd'hui personne ne leur fait rien gagner, allons, ten-
une mission juste, honorable je ne l'ai reçue : dons-leur la main de la commisération, met-
d'aucun autre que des pauvres de celte ville. tons-nous à la place des entrepreneurs, et
Ce ne sont ni des décrets, ni la délibéraliu-i prenons pour collègue dans cet emploi Paul,
d'un sénat qui m'envoient; mais le plus triste, le vrai tuteur et protecteur des pauvres' ».
le pluscruel spectacle. Traversant toutà l'heure Les pauvres ! L'aumône 1 Jean n'a que ces
pour venir ici, la place publique et le carrefour, deux mots à la bouche. On dirait que ces deux
j'aiTU couchés par terre une foule de malheu- mots sont pour lui tout l'Evangile. « Nul mora-
reux, les uns sans mains, les autres sans yeux, liste, dit M. Villemain, nul orateur de la chaire
les auti-es couverts de plaies et d'ulcères incu- moderne n'a jamais égalé la vivacité persuasive
rables, et montrant à tous précisément cette et l'inépuisable abondance que Chrysostome
pourriture qu'il faudrait le plus cacher. J'ai portait dans celtecxhoi talion. Jamais on n'a su
donc pensé qu'il y aurait inhumanité extrême mieux recommander à l'homme les misères de
à ne pas vous parler de ces misères, quand l'homme ni émouvoir le cœur, pour exciter à
d'ailleurs, outre ce qui a été dit, la saison où la bienfaisance et à la vertu'». Toutefois, ce
nous sommes m'y pousse plus vivement. Sans n'estpas un simi)lesentimeutdepitiénaturelle,
doute, il convient toujours de recommander un élan plus ou nioinsgénéreux débouté qu'il
l'aumône, puisque nous avons toujours besoin cherche à produire dans l'âme du riche; il
de la miséricorde du Seigneur qui nous a veut y établir, y développer cette grande con-
créé ; mais il la faut surtout à cette époque de viction que la charité est le devoir fondamental
l'année, quand le froid est si rigoureux. En été, du chrétien, la condition indispensable de son
le beau temps
ajiporte aux pauvres un grand salut, en sorte que i'juimônelui est demandée
soulagement; ils peuvent sortir presque nus, bien plus dans son intérêt que dans celui du
les rayons du soleil leur tenant Heu de vête- pauvre, et qu'en dédaigner l'heureuse obliga-
ment, dormir sur le pavé et passer les nuits en tion, c'eslune dureté impie envers Jésus-Christ,
plein air; ils n'ont besoin ni de chaussures, ni c'est s'exclure soi-même du bienfait divin de la
de vin, ni d'une nourriture aussi abondante ;
Rédemption.
ils ont assez de l'eau des fontaines quelques ; Le lecteur réclame ici la parole de Chrysos-
herbages communs et des légumes secs leur tome il a raison. Quant à nous, l'embarras
;

suffisent, la nature elle-même dressant pour n'est pas de citer, mais d'avoir trop à citer,
eux une table facile. Un autre avantage non même en nous bornant aux passages les plus
moins grand, la possibilité de travailler, existe frappants. Nous voudrions du moins que nos
alors pour eux. Ceux qui bâtissent des maisons, citations fussent assez bien choisies et groupées
ceux qui fouillent la terre, ceux qui naviguent pour représenter, dans sa portée et sa force,
sur mer ont besoin surtout des bras des pau-
' Chrys., serai, sur i'aum. — ' ViUem., Tabl. de Télo^. cbrét.,
'Jcinn.jepMc. EuehùU. «tt. Chryê,
CHAPITRK SEIZIÈME. 203

l'enseignement du grand docleur sur le sujet mains... Que gagncrais-lu à le livrer à d'au-
capit il lie la charité. tres? Douze pour cent, si tu restes dans les
Dabord il célèbre, il exalte rexccllcnce de limites de la loi. Moi, au contraire, je vais au-
l'auiiiône. Les images aftluent sur ses lèvres; devant de ton avarice, je veux assouvir ta cupi-
sa verve oslintarissable; ce n'est plus seule- dité, je veux que mes largesses dépassent tes

meul un oniteur, c'est un poète et un grand dé ùrs. Au lieu de douze pour cent, je te donne
P'jëte. « L'aumône, dit-il, rend les hommes cent pour un '. El veux-tu savoirle jour où ledé-
simblablcs à Dieu. Rien n'égale sa puissance. biteurdivins'acquitteravis-à-visdeloi, écoute:
C'est la plus grande des vertus. A ceux qui l'ai- Lorsque le Fils de l'homme sera assù sur son
ment, elle donne la place la plus rapprochée à trône de gloire, ihnetlra les brebis à so. droite,

coté du roi, et certes avec raison, car la virgi- les boucs à sa gauche, et il dira à ceux qui se-
nité, le jeûne, la pénitencene servenlqu'à celui ront à droite Venez les bénis de mon Père.,
:

qui les pratique; mais l'aumône se répand sur j'avais faimvous m'avez donné à manger ;
et

tous les membres de Jésus-Christ... Elle est la j'avais soif et vous m'avez donné à boire ; j'étais
Hièrc de la charité, de la charité, qui est le plus nu et vous m' avez t'ê^i/... Chose admirable Le 1

bel ornement des Chrétiens, le signe auquel on juge terrible ne parlera ni des autres vertus, ni
reconnaît Its vrais disciples de l'Evangile; elle des autres crimes ; il ne mentionnera ni la vir-
est le grand remède de nos péchés, l'échelle ginité des uns, ni l'impudicité des autres, ni la
dressée entre la terre elle ciel. le lien qui réu- vie évangélique de ceux-ci, ni les parjures de
nit ensemble les diverses parties du corps du ceux-là; il pèserasurloutlacharitéomiseouac-
Seigneur'... C'est une grande chose et d'un complie, parce que toute vertu est moins grande
très-grand prix qu'un homme appliqué à faire que la charité, et tout crime moindre que la
l'aumône. Cette grâce vaut plus que celle de dureté de cœur et l'inhumanité... Que vos pro-
nssusciter les morts. Nourrir Jésus-Christ messes sont belles, ô mon Dieu Que votre !

quand il a faim, n'est-ce pas plus parfait que royaume magnifique Mais qu'elle est re-
est 1

de tirer unde la tombe au nom de Jé-


homme doutable cette géhenne dont vous nous mena-
sus-Christ? Dans le premier cas, tu donnes à cez !.. Donc, prêtons auSeigneurnotreaumône:
D'eu dans le second, tu reçois de lui. Or, la
; prêtons pour avoir en lui un débiteur au lieu
recompense est promise, non pas à ceux qui d'un juge'... Tu n'as qu'une obole? Donne-la,
reçoivent, mais à ceux qui donnent*... Donne tu achèteras le ciel. Ce n'est pas que le ciel se
aux pauvres, dit-il ailleurs, et voilà ton juge vende pour si peu, mais c'est que notre Maître
apaisé. La pénitence sans l'aumône est morte, est clément et qu'il aime les hommes'. Tu n'as
ou du moins elle n'a point il'ailes, elle ne peut pas une obole? Donne un verre d'eau, donne un
voler en haut '... Faire l'aumône, c'est exercer morceau de pain donne aux pauvres, et quand
;

le meilleur des commerces on achète à bas : tu te tairais devant Dieu, des milliers débou-
prix pour revendre très-cher; car qu'y a-t-il ches parleront pour toi, ton aumône étant là,
de meilleur marché qu'un peu de pain, quel- debout à couvrant de son patro-
tes côtés et te
ques vêlements communs? En les donnant à nage, car l'aumône est la rançon de l'âme *...
ton semblable, tu les vends à Dieu*... Celui qui L'aumône est le plus beau, le plus utile des
prête veut un gage, une hypothèque, une cau- arts ; sans effort et par un seul acte, elle nous
tion. Mais où serait l'hypothèque du pauvre ? il bâtit au nous le voulons, une demeure
ciel, si
ne possède rien. Son gage? le pauvre est nu. splendide et permanente'. Elle est un sacrifice
Sa caution ? il est sans crédit. Or, Dieu voyant pur et l'un des plus parfaits que l'homme puisse
le pauvre en péril à cause de son indigence, le offrir à Dieu le pauvre en est l'autel, le riche
:

riche à cause de sa dureté, se place entre les en est le pontife'. Faire l'aumône vaut mieux
deux : au pauvre il s'ofTre comme garant, au que d'être roi et de porter le diadème''... Plus
riche comme gage. Tu ne veux pas prêter à secourable à celui qui l'exerce que l'amitié la
cet homme, dit-il, à cause de sa misère, eh plus dévouée, l'aumône lui procure une joie
bien! prête-moi à cause de mon opulence •... • Chrys., dt Panil., Hom. 7. — ' Chrys., ibid.
Ne crains rien , ton argent est entre mes '
OiyÏT! EJ'jjvo; è oùpoiih;, ù'kV hi fài.jOpu'KOS 4 Ji5ItiT»15.
Chrys., Hom. J, sur la penit., o. 2.
' AÛTjOav 'pu/vji izti-j t'>.t'/\!ioi3Ù-jfi. Chrys., ibid.
Chryi., tuf Tép. à Tit., Hom. 6.
* —
' Chrys., >ar I> 2» >ux '
Chrys., sur la Ire aux Hebr., Bom. 32 et Hom. 52, sur S. Math
CoriDlh., Bom. 16. —
* Cbrys., sur la péoit., Hom. 7. ' Ibid. — — • Chrys , sur U 2e aux Corinth., Hom. 20, l. 10, p. 58. ' Chrys., —

nid. Bom. 52, sur S, Math.
204 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSÛSTUME.

douce et sainte. Sa puissance est telle, même il montre le Sauveur lui-même tendant la

quand il s'agit des pcclieurs, qu'elle brise leurs main dans la personne des pauvres 1

liens, écarte d'eux les ténèbres, éteint le feu a Ni Jésus-Chiist, s'écrie-t-il, ni ce qui est de
sous leurs pas, tue le ver qui devait les ronger ;
Jésus-Christ, ne nous détourne des choses du
les portes du ciel s'ouvrent devant elle. Quand siècle mais comme des serpents, des vipères,
;

une reine entre dans sou palais, nul garde des pourceaux, nous nous vautrons dans la
ne lui demande qui elle est ni d'où elle boue. Eu quoi sommes-nous meilleurs que ces
vient,mais tous les fronts s'inclinent sur son bêtes, nous, qui ayant sous les yeux tant et de si
passage ainsi l'aumône, car elle est véritable-
: grands exemples, restons toujours courbés vers
ment reine. Colombe aux yeux calmes et doux, la terre sans avoirun regard pour le ciel? Dieu
plus belle qu'aucun oiseau du ciel, elle regarde un morceau
a livré son Fils, et tu ne donnes pas
toujours en haut; son vol |)laîl aux anges; une de pain à ce Fils qui a été livré, immolé pour
gloire pure l'environne. Vierge modeste, can- toi Le Père l'a frappé sans ménagement à
1

dide, dont tous les traits respirent la mansué- cause de toi, bien qu'il fût vraiment son Fils,
tude, qui a des ailes d'or, elle est toujours près et toi tu le laisses mourir de faim, quand,
du trône de Dieu, et quand nous comparais- d'ailleurs, ceque tu lui donnerais vient de lui,
sons pour être jugés, elle nous couvre de ses et que tu le donnerais dans ton intérêt Ya-t-il !

ailes et nous arrache au supplice... Il n'y a rien une iniquité plus criante ?I1 a été crucifié pour
toi, il est mort pour toi, il souffre la faim à
qui caractérise le chrétien autant que l'aumône,
rien que les infidèles admirent en nous autant cause de toi, tu ne lui donnerais que ce qui
que la charité'. est à lui et pour en tirer profit toi-même, et tu

Le saint orateur ne se borne pas à célébrer refuses de le donner! Ne sont-ils pas plus durs
l'excellence de l'aumône :il en établit le devoir que la pierre, ceux qui, poussés par tant de
qu'il rattache à la fois au précepte de la charité, motifs à être bons, persévèrent dans cette dia-
qui résume tous les préceptes, à l'intérêt per- bolique inhumanité? Ce n'est pas assez pour
sonnel du riche, qui n'a pas de jilus sûr moyen Jésus-Christ d'avoir expiré sur le gibet: il veut

d'expier ses fautes etdeflécliir Dieu, à l'amour être pauvre, nu, vagabond; il veut être prison-
que le chrétien doit à Jésus-Christ, qui s'est nier et malade, afin de te gagner au moins par
fait pauvre, qui se plaît toujours dans les pau- là. Si tu n'as point de retour pour ma tendresse,
vres, qui se regarde comme secouru ou délaissé dit-il, prends pitié de ma pauvreté ! Si tu es

dans la personne des pauvres, enfin à la loi inseï sible à ma pauvreté, ne le sois pas à mes
providentielle et constitutive de la société. En maladies, à ma prison. Si les maux que je
vain, répèle-t-il avec tous les Pères, vous obser- souffre ne peuvent amollir ton cœur, considère

verez les commandements et vous pratiquerez le peu que je sollicite et ne refuse pas. Je ne te

les plushautes vertus sans la charité tout est


: demande aucune libéralité somptueuse, mais
vide. En vain vous implorerez le ciel avec fer- du pain, un abri, la consolation de quelques
veur, ajoutant les supplications aux supplica- paroles. Si tu es encore impitoyable, deviens
tions : la prière ne monte au ciel qu'en plus humain en songeant au royaume des cieux,
compagnie de l'aumône les pauvres, dit-il : aux récompenses que j'ai promises. Si tout cela
fréquemment, ont moins besoin du riche que ne te fait rien, laisse-toi toucher en me voyant
le riche n'a besoin d'eux ils sont les médecins
: nu, en te rappelant ma nudité sur la croix.
des âmes. Par eux, la fortune devient un ins- J'étais nu, je le suis encore; j'étais prisonnier,

trument de saîlitelé, l'or ouvre les portes du je le suis encore. Que l'un ou l'autre de ces

ciel, nous thésaurisons en paraissant nous ap- états fasse impression sur ton âme. Pour toi,

pauvrir. Ils sont d'excellents médiateurs entre j'ai souffert la faim, et je la souffre encore. J'ai

Jésus-Christ et nous. Que de fois, avec quelle eu soifau Calvaire, et j'ai soif dans la personne
verve, Chrysostome développe ces idées et com- des pauvres, afin que mes maux passés et mes
mente ces paroles de l'Evangile Faites-vous : maux actuels t'attirent à moi et te rendent mi-
des amis avec les richesses du monde ; ou celles- séricordieux dans l'intérêt de ton salut. Quoi-
ci de saint Paul : N'oubliez pas la charité, car que tu me sois redevable de mille bienfaits, ce
c'est par de telles hosties qu'on mérite Dieu 1 une dette que je réclame, c'est une
n'est pas
Qu'il est éloquent, qu'il est admirable, quand couronne que je t'offre je te promets le ciel
:

' Chryi., sur Tép. aux Hébr,, ffom. 32. pour une modique aumône. Je ne te dis pas :
CHAPITRE SEIZIf.ME. 20S

délivre-moi de la pauvreté, livre-moi tes ri- ment coupable et un vol '. Gardons-nous de
cliesfcs, liieiiqueje sois pauvre à cause de toi ;
donner à cet enseignement une portée qu'il n'a
je ne te demande qu'un peu de pain, un vête- pas, qu'il ne peut avoir. La charité édifie, elle
ment, un secours dans ma détresse. Captif, je ne détruit point. Sans doute, dans la pensée de
ne te demande pas de rompre mes fers, mais Jean et de tous les docteurs du Christianisme,
de faire une visite à celui qui fut enchaîné pour le genre humain est une famille dont Dieu est
toi je me contente de cette grâce pour laquelle
: le père commun et la terre le commun patri-
je t'assure le ciel. J'ai brisé tes chaînes, les plus moine. D'une part, y a entre les hommes, il

lourdes des chaînes ; en échange, il me suffit comme entre les membres d'une famille, réci-
que tu viennes me voir en prison. Je pourrais procité de besoins etde services, de sorte qu'au-
sans tout cela te couronner, mais je veux être cun ne peut s'affranchir de l'aide des autres, et
ton débiteur, alin qu'en recevant la couronne, que le sort des autres ne peut être étranger à
tu aies la satisfaction de l'avoir méritée. C'est aucun. D'autre part, si le Père de tous a voulu
pour cela que, pouvant me nourrir moi-même, que l'héritage de tous fût inégalement réparti
je mendie ma nourriture. Me voilà, débouta ta entre quelques-uns, c'est pour donner aux plus
porte, tendant la main et te priant de m'assister favorisés les moyens de s'associer ' à sa provi-
parce que je t'aime. J'aime la table comme dence et de porter ses bienfaits où le besoin s'en
c'est l'usage entre amis je mets ma gloire à
;
fait sentir. Ainsi la division de l'humanité en
recevoir de toi mon pain, je dirai devant toute races, le partage de la terre en propriétés, ont
la terre, j'annoncerai à tous les hommes que pour correctif et pour condition la charité, la
c'est toi qui as soulagé ma faim. Nous rougis- charité qui, en présence de toutes ces distinc-
sons, nous, de vivre aux dépens d'un autre ;
tions d'origine, de toutes ces inégalités de for-
nous cachons un pareil bienfait, si nous l'a- tune, doit ramener sans cesseà l'unité. L'Evan-
vons reçu. Jésus-Christ, au contraire, nous gile vint remettre en lumière cetteloi mécon-
aime de telle sorte, qu'alors même que nous nue; il vint l'inscrire dans la conscience
tenons secrète notre aumône, il la publie par- humaine avec le sang de Jésus-Christ et non- ;

tout avec de grandes louanges et ne rougit pas seulement il la plaça en tête de son code divin,
de dire qu'il était nu et que nous l'avons vêtu, mais il voulut que tout dans ses enseignements
qu'il avait faim et que nous lui avons donné à et dans ses symboles, la rappelât puissamment
manger '
». aux fidèles. Mo)i Père, disait le Dieu fait homme
L'auditoire, à ces mots, éclate en transports, avant de quitter le séjour des hommes.ye vous
en applaudissements prolongés. Jean parvient demande qu'ils soient un comme nous sommes
avec peine à rétablir le silence. «A quoi me un '. L'unité non-seulement d'origine, mais
servent, dit-il, ces cris et tout ce bruit? Je ne d'esprit et de cœur, l'unité par la charité, l'u-
vous demande qu'une chose, l'exemple des nité en Jésus-Christ qui est charité *, voilà la
bonnes œuvres, votre docilité prouvée par des fin. L'assujétissement detousaubiendechacun
faits. Voilà ma louange et votre avantage. Voilà par l'aumône, qui est une forme importante
qui vaut mieux pour moi que le plus beau dia- de la charité, voilàle moyen. La charité, com-
dème. Ce diadème, vous et moi, efforçons- munion des âmes, est aussi la communion
nous de le recevoir de la main des pauvres'». sociale ; tous versent dans ce grand trésor et
Certes, il est difficile de mettre plus d'élo- tous y puisent, le riche comme le pauvre, le
quence au service de la charité; mais Chrysos- pauvre comme le riche; tous en vivent, et
tome va plus loin. L'aumône, à ses yeux, n'est celui que son égo'isme exclut de cette grande
pas seulement un précepte de l'Evangile c'est : communion, est également l'ennemi de Dieu,
une loi sociale. Avec saint Ambroise, avec saint de lui-même et de la société.
Basile, avec saint Cyprien, avec saint Jérôme, Mais la charité qui impose des devoirs à tous
avec tous les Pères, il enseigne que le riche est
plutôt le dispensateur que le maître de sa for- ' de oper et tletmoS., p. 237. etc. S. Basil. Bom,
s. Cyprian., ;

in divil., t.337, etc., et Hom. inavar. ibid., p. 328 (édit. da


1, p.
lune, et que la consacrer exclusivement à son Paris, 1638); S. Aug., in ps. 147, d. 12, t. -l, p. 1658; S. Greg. Naz.,
usage personnel, sans soucis de ses semblables or. 11, t. 1, p. 285; S. Aster., Bom. de Larar. ; S. Hier., ep. 54,
et ep. 49, t. 4, aller, part., p. 585-566 ; S. Greg. Nyssen., de pau-
dans l'indigence, c'est de sa part un détourne- per. et bcneficent. orat. 1 Chrys., Conc. 1 et 2. inLazar., t. 1, p.
;

725, 730, 733, éd. B. B. —


' S. Baiii., Bom. m Avar., 1.
1, p. 328.
- • Joan., c. 17, V. 11, y. 22. - • "Wall., Htat. d« I'wUy., «. »,
* C|j|rt.,«ta 1'^. aaz Rom., Som. IS. — • Chrjn., ibid. p. ses.
206 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

ne crée des droits à personne. Le salutdu riche en génération, à celui qui l'a légitimement ac-
est dans le bon emploi de la richesse, celui du quis, mais à certaines clauses de vasselage, à
pauvre dans le bon emploi de la pauvreté et ; certaines charges en faveur des membres souf-
comme l'un doit sanctifier la fortune par l'au- frants de la société en sorte que l'aumône est
;

mône, l'autre doit sanctifier l'indigence par la la taxe de la suzeraineté divine, et qu'en négli-
résignation. Apprendreauxmalheureuxdénués ger le devoir, ce n'est pas seulement une du-
des biens d'ici-bas à aimer leur dénûment ', mais une félonie à l'égard
reté de frère à frère,
paraît aussi capital à Chrysostome q ue d'appren- de Dieu, un attentat contrôla Providence dont
dre aux privilégiés de la terre le détachement les vues sont méconnues, un attentat contre la
témoin désolé et souvent in-
et la charité. Mais, propriété elle-même, dont la condition morale
digné des misères et des scandales du siècle, il et le titre primordial sont faussés ; mais un at-
élève la entendre de sévères avertis-
voix et fait tentat que personne, ni individu, ni commu-
sements. Ce qu'il n'obtient pas delà pitié, il le nauté, ni état, ni genre humain, n'a le droit de
réclame de la conscience car, et il ne cesse de; poursuivre, parce qu'il ressortit au seul tribu-
le rappeler, la richesse dans les mains du riche nal de Dieu. C'est la pensée que Bourdaloue
n'est qu'un dépôt, un fidéicommis reçu à la exprimait en ces termes : a Ces richesses que
charge d'en rendre compte et d'en user chré- vous possédez ne sont pas proprement à vous; ...
tiennement '. Non, certes, que la propriété ne vous n'en n'êtes, par rapporta Dieu, quelesdé-
soit pas à ses yeux un droit certain, irrévoca- positaires et les dispensateurs;... vous devez
ble, perpétuel, ou qu'il y ait dans sou esprit lui en rendre compte un jour;... en vertu de
une objection quelconque contre une loi fon- l'obligation indispensable de l'aumône, vous en
damentale de tout ordre social. A coup sûr, il êtes redevables aux pauvres "... » Et ailleurs :

ne tient pas la propriété pour illégitime, lui qui a Dieu est le souverain maître de vos biens, il

ordonne à l'esclave la plus parfaite soumission en est le seigneur, il en est même absolument
àson maître ', lui qui interdira l'entrée du saint le vrai propriétaire, et, par comparaison de vous

lieu à l'impératrice Eudoxie pour avoir usurpé à lui, vous n'en êtes, à le bien prendre, que les
la vigne d'une veuve opulente. Il veut seule- économes et les dispensateurs : c'est ce que la
ment établir dans l'esprit du riche cette con- raison et la foi vous démontrent. Or, puisque
viction, que sa fortune, si honorable qu'en soit vos biens sontà Dieu par droit de souveraineté,
la source, si assurée qu'en soit la possession, si vous lui en devez le tribut, l'hommage ;... et
incontestable qu'en soit le droit, n'en est pas puisqu'il en a la propriété, il doit en avoir les
moins grevée d'une servitude en faveur du pau- fruits. Que fait Dieu ? Il affecte ce tribut et ces

vre, servitude qui est la clause tacite apposée fruits à la subsistance des pauvres ; c'est-à-dire
par Providence elle-même au titre primor-
la qu'au lieu d'exiger ce tribut par lui-même et
dial de la propriété en sorte que le mépris de
; pour lui-même, ce qui ne convient pas à sa
cette clause, sans rendre la propriété moins lé- grandeur, il l'exige par les mains des pauvres...
gitime, sans lui rien ôter de son inviolabilité, Tellement que l'aumône qui, par rapport au
la charge d'un crime devant Dieu, et fait qu'au pauvre, est un devoir de charité et de miséri-
tribunal du grand monarque des âmes, le pos- corde, est, par rapport à Dieu, un devoir de
sesseur sans entrailles est traité comme le vo- dépendance et de sujétion... Un riche qui re-
leur. Cette servitude générale de la propriété, fuse au pauvre l'aumône, est un sujet rebelle
c'est l'aumône. Maissi elle crée un devoir au qui refuse le tribut à son souverain, un vassal
riche, elle ne donne aucun droit au pauvre, et orgueilleux qui, par un esprit d'indépendance,
le suprême propriétaire, le Maître du ciel, s'est ne veut pas reconnaître son seigneur ' ».
réservé à lui seul d'en exiger la fidèle exécution. Mais laissons parler Chrysostome :
Ilsemble qu'on traduirait la pensée de Chrysos- a Oui, s'écrie-t-il, ne pas faire l'aumône, c'est

tome en disant que la propriété est une espèce un vol. Ce que je dis vous semble étonnant.
d'usufruit transmissible et irrévocable, un fief Que votre étonnement cesse : je vais produire

mouvant de Dieu, qui le garantit, de génération un témoignage tiré dis divines Ecritures, où
vous verrez que, non-seulement prendre le
' Chrys., aux Philipp., Bom. — Chrys., dise. et 2
bien d'autrui, mais ne pas communiquer aux
su"- l'èp. 2. * 1

*ar Lazar. — * Chrys., sur la lr« aux Corinlh., Hom. 19 ; sur l'cpit.
aux Eph., Bom. 22; sur lépit. à Tit., Hom. 4. Il va jusqu'à recom-
mander à l'esclave de no point rechercher le bienfait de l'afftsiBcliil- ' Bourdil., serm. pour le jeudi de h 2e semaine de carême, 2« paît,

tsueul. • Bourdal., serra, pour le 1" vendredi du carême, V» part,


rnvriTr.F seizième. 207

aiilros votre propre bien, c'est rapine, fraude, « Lazare et le Riche, dit ailleurs Chryso-
spoliation. Quel est ce tonioignaj,'e ? Le Sei- stome, meurent en même temps. Mais la mort
gneur, accusant les juifs par la bouche du du riche est vraiment la mort, celle du pauvre
Proptiète, dit : Ln terre a donné ses produits, est le passage d'un état de souffrance à un état
etvous n'avez pas apporté vos dîmes ; mais la de bonheur, des agitations de la mer au cal-
dépouille du pauvre est dans votre demeure '. me du port, des périls de la bataille aux joies
Parce que, dit-il, vous n'avez pas fait les du triomphe. Tous les deux sont entrés dans
offrandes ordinaires, vous avez volé ce qui est ce séjour où il n'y a plus que la vérité. La
aux pauvres. Et, en parlant ainsi, il déclare aux pièce est finie, les masques sont tombés. 'Voyez
riclies qu'ils possèdent le bien des pauvres, le théâtre à midi, il est tout couvert de ten-
quelle que de leur for-
soit d'ailleurs l'origine tures ; les acteurs paraissent, le masque sur
tune, qu'ils la tiennent par succession de leur le visage, et représentent une vieille fable, un
famille ou qu'ils l'aient acquise de toute autre événement quelconque. L'un joue le philo-
manière. L'Ecriture dit encore : A'^e vole pas sophe sans être philosophe l'autre porte le ;

la viedu pauvre*. Qui vole, vole autrui il y : diadème et parle en roi sans être roi ; celui-ci
a vol quand on retient le bien d'autrui. En fait le médecin, et il ne saurait pas traiter un
conséquence, sachons bien que chaque fois morceau de bois, mais il a le costume de mé-
que nous aurons refusé de faire l'aumône, nous decin ; celui-là remplit le rôle d'esclave quoi-
seronspunis comme des voleurs. Nos richesses, qu'il soit homme libre, ou pose en docteur
en effet, d'où qu'elles viennent, sont à notre quoiqu'il connaisse à peine les lettres. Aucun
maître qui est Dieu... Or, Dieu t'a permis de ne paraît sous ses traits véritables, ils ont tous
posséder plus, non pour le dépenser en festins, un visage emprunté... Tant que la pièce dure,
en orgies, en débauches, en vêtements somp- et que les spectateurs joyeux garnissent les
tueux,... mais pour le distribuer aux indigents. gradins, les masques restent ; mais le soir ve-
De même qu'un percepteur desdeniers royaux, nu, quand le que tout le
spectacle est fini et
qui, au lieu d'en faire l'emploi prescrit, les monde s'en va, chacun jette son masque ce ;
applique à ses propres plaisirs, est puni et mis roi de tout à l'heure n'est plus qu'un forgeron,
à mort ainsi le riche est une espèce de rece-
;
cet homme libre n'est plus qu'un esclave :

veur des sommes destinées aux pauvres. Et l'illusion a fait place à la vérité. Ainsi de la
puisqu'il lui est ordonné de distribuer ses ri- vie humaine et de de
la fin la vie. Les choses
chesses à ses frères dans le malheur, s'il dé- présentes sont une pièce de théâtre ; la richesse
pense pour lui au-delà du nécessaire, il sera et la pauvreté, le prince et le sujet, sont les
puni très-sévèrement ; car ce qu'il possède acteurs d'une comédie. Quand le jour sera
n'est pas à lui, mais à ses frères. Donc, admi- écoulé, et que viendra nuit, ou
celte terrible
nistrons nos biens avec économie, comme s'ils plutôt ce ce jour qui sera la nuit pour les pé-
n'étaient pas nos propres biens, afin qu'ils le cheurs, le jour pour les justes, quand la repré-
deviennent. Comment cela? En les partageant sentation sera terminée, quand les masques
avec les pauvres, au lieu de les dépenser en seront jetés, chacun sera appelé avec ses œu-
superfluités et pour notre usage exclusivement vres au grand examen, non pas chacun avec
personnel. Quelle que soit ton opulence, si tu ses richessses, non pas chacun avec ses titres,
absorbes pour toi plus qu'il ne faut, tu rendras non pas chacun avec ses dignités, non pas
compte des sommes qui te furent confiées. chacun avec sa puissance, mais chacun avec
Ainsi fait-on dans la maison des grands. Beau-
ses œuvres, prince et empereur, homme et
coup se déchargent sur leurs serviteurs de femme, et Dieu s'enquerra, non du faste, non
l'administration de leurs revenus, et ceux-ci,
de la pauvreté, non de l'élévation, mais de
loin d'abuser de la confiance dont ils sont l'ob- l'honnêteté de notre vie et de nos bonnes œu-
jet, gardent fidèlement ce qui leur a été livré
vres. Esclave, montre-moi des œuvres meil-
et le distribuent suivant les ordresdu maître. leures que ton maître; femme, montre-moi
Fais cela, toi aussi, car tu as reçu plus que
des œjivres plus courageuses que ton mari.
les autres, non pour consumer tout seul ce
Plus de masques, ou sait maintenant qui est
que lu as reçu, mais pour en être, vis-à-vis
le riche et qui est le pauvre ; et de même
des autres, un sage dispensateur ' ».
qu'au sortir du théâtre, quelqu'un qui verrait
•Malich. 3. T. 9 et 10 Isaîc, 3,
; ». 14. — 'Ecd. 4, t, 1.
' Cbiyi., term. 2, sur Luar. passer les acteurs s'écrierait : Tiens, n'est-ce
â08 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

pas lui qui était le philosophe? C'est un forge- pensateur de ses bontés ? Et puisque nous pas-
ron. —N'est-ce pas lui qui était le roi7C'estim sons si vite sur la terre, et que nous n'empor-

hommederien. N'est-ce pas lui qui étaitle ri- tons de ce monde, en le quittant, qu'une
che? C'est un misérable. De même au dernier absolue nudité, qu'est-ce en vérité que la pro-
jour.. .Qu'importe à l'homme d'avoir cequi ap- priété la mieux assurée, sinon un rapide usu-
partient aux autres, s'il n'a pas ce qui lui appar- fruit? Dieu, qui la donne comme un précieux
tient? Qu'importe qu'il possède des trésors, s'il moyen de nous associer à sa miséricorde, en
ne possède pas la vertu ? Pourquoi prends -tu le punira l'emploi égoïste comme une opposition
bien d'autrui, quand tu laisses perdre ton propre à ses desseins et un coupable détournement.
bien? J'ai une campagne fertile, dis-tu; qu'est- Il est vrai que les termes employés par l'ora-

ce quecela?Tonâme est d'une affreuse stérilité. teur sont quelquefois très-vifs, et certainement
J'ai de nombreux esclaves, mais tu n'as pas une outrent sa pensée.
vertu j'ai de somptueux vêtements, mais tu
;
« Dis-moi, s'écrie- t-il, quelle est la source de
n'as pas la moindre piété. Ce qui est à autrui, ta richesse? De qui la tiens-tu ?... — Démon
tu l'as ce qui est à toi, tu ne l'as point. Si
;
aïeul, de mon père. — Remonte de la série

quelqu'un te confiait un dépôt, pourrais-je te tes ancêtres, et montre-moi que cette possession
croire riche? Nullement ; car tu ne possède- est légitime ; tu ne le pourras jamais. Inévita-
rais dans ton dépôt que lebien d'un autre. Or, blement, le principe et la racine de ses biens,
les richesses sont un dépôt, et plût à Dieu c'est l'injustice. Pourquoi? Parce que Dieu

qu'elles fussent seulement un dépôt, et non dans l'origine n'a pas créé celui-ci riche et
une source de damnation pour toi ' ». celui-là pauvre ; il n'a pas prodigué des trésors
Au fond, et sous l'abondante diversité des à l'un, tandis qu'il les refusait à l'autre, mais
développements oratoires, c'est toujours (a il leur adonné à tous la même terre, qui est
même pensée. La terre appartient à Dieu, il en commune à tous. Pourquoi donc possèdes-tu
est lesuprême propriétaire. S'il agrée le par- tant d'arpents, quand ton voisin n'a pas même
tage que les hommes s'en font entre eux, et une motte ? — C'est mon père, dis-tu, qui me
s'il a reconnu sur le Sinaï le droit de propriété, les a légués. — Et lui, de qui les avait-il reçus?
quand il a dit : Tu ne déroberas points il n'est — De ses ancêtres. —
Il faut toujours remonter

pas moins yeux le possesseur lé-


vrai qu'à ses au principe. Jacob fut riche, mais sa richesse
gitime d'une portion quelconque de la terre était la juste rémunération de ses travaux. Ce-
n'est qu'un dépositaire, un usufruitier. La con- pendant je ne veux pas scruter cela trop sévè-
dition de ce dépôt, la charge de cet usufruit, rement. J'admets que ta fortune est légitime et
c'est le soulagement des pauvres. Le souverain pure de toute justice. Après tout, si ton père
Maîtredetousetdetout affecte au soulagement a ravi le bien des autres, la faute n'en est pas
des pauvres une partie des biens du riche et, ; à toi. Tu possèdes le fruit du vol, mais tu n'as
sans créer un droit à ceux-là, il impose une pas volé. Accordons même que ton père n'ait
dette à celui-ci. Exercer la charité, c'est acquit- pas mérité le reproche de ravisseur et qu'il n'ait
ter cette dette ; s'affranchir des devoirs de la eu qu'à recueillir l'or qui s'épanchait du sein
charité, c'est se conduire en débiteur de mau- de la terre, s'eiisuit-il que les richesses sont
vaise en dépositaire infldèle non que le
foi, ; quelque chose de bon? Nullement. Mais, —
pauvre ait à revendiquer une obole dans la diras-tu, elles ne sont non plus rien de mau-
fortune du riche, ni que l'aumône soit jamais vais. —
Sans doute, pourvu qu'elles n'aient pas
autre chose que l'aumône, c'est-à-dire l'offran- pour origine la rapine et l'avarice, et que,
de spontanéedela piété, mais parce que le riche d'ailleurs, on y fasse participer les indigents.
doit à Dieu ce qu'il donne au pauvre, et qu'en Sans la charité, elles sont mauvaises et funes-
repoussant le pauvre il lèse les droits de Dieu. tes. — Celui qui ne fait pas le mal, répliques-
Sous une forme ou une autre, Jean ne dit pas tu, n'est pas mauvais, quoiqu'il ne fasse pas le
autre chose. Ya-t-il tant de mal à rappeler au bien. — A merveille. Mais n'est-ce pas un mal
riche qu'il a reçu du Ciel la noblemission d'être de garder exclusivement pour soi les biens du
le bienfaiteur de ses frères, de représenter, de Seigneur, de jouir seul des biens communs ?
suppléer la Providence ici-bas ? Est-ce lui faire La terre et tout ce qu'elle contient est au Sei'
injure que de l'appeler économe de Dieu, dis- gneitr '. Si donc les biens que nous possédons
• Chr;'8., seia., C, sut Lazar. • Ps. 23, V. I,
1

CHAPITRE SEIZIÈME. ÎOO

ajipirf'pnnpnf h HVn, 1.^ Miîfn-' cnm'nnn de utilité, ans'i stupMe q\^p. rnînpiix et immoral;
tiiu-, il- ii|i|>iili('i.Mi'nl ans i à nos fi'rns, qui prodigii lien' l'oranx harnais de leurs chevaux,
Sont Mutant (pie non* les servjtfnr- de ce Miii- aux toits de leurs maisons, aux plus vils usa-
tre... C'est paice que qneli|ue<-nns es-aienlde ges, et n'avaient pour leurs fermiers, pour
s'approprier ce qni esta tons, que les «inerelles leurs (léliitcurs, pour les |).iuvres, qu'une im-
et les guerres éclatent, comme si la nature pitoyable dureté. Saint Jéiôme et saint Am-
s'in lignait (le ce qne riiomine, au moyen de broise s'expriment à cet égard comme saint
celte froi<lc parole le tien, le mien, mette la
: Basile, saint Aslère et saint Chrysostome. Est-il
division où Dieu avait mis lunité. VoiKà le donc étonnant qu'à la vue de tant de hontes et
principe des discordes; voilà la source de mille d'injustices, ces grands cœurs si généreux, si
ennuis. Là où rien de semblable n'existe, il profondément chrétiens, laissent échapper un
n'y a que la paix. Ainsi, la communauté, plus cridedouleur, fassent entendre une protesta-
que la propriété, fut notre lot, elle est selon la tion, un anathème contre les cruels excès de
nature' d. l'orgueil, de l'égoisme, de la rapacité? S'a rra-
M lis ce lancrage, faut-il le prendre au pied de chant aux réalités (|iii blessent leur regaril, ils

la lettre? P..s plus que celui de saint Ambroise aiment à se réfugier dans l'iiléal, à aspirer
quand il dit : «La terre a été donnée en com- comme un parfum de lEilen où tout
lointain
mun à tous les hommes. Pourquoi quelques- fut innocence et bonheur; à se retracer en
uns ont-ils la prêt ntion de se l'ap|iroprier ex- touchantes images les beaux jours de l'Egli-a
clusivement? » Non, ni le grand évêque de naissante, alors que les fidèles n'avaient tous
Milan, ni le grand orateur d'Antioche ne con- qu'un cœur et qu'une âme à opposer aux tristes
testent aux riches la légitime possession de choses dont ils sont les témoins, le consolant
leurs biens ils ne condamnent pas le principe
: tableau de la paix, de l'union, des joies pures
de la propriété. De tels hommes ne peuvent qui régnent dans les monastères, là où nul
être pris pour des utopistes. Ils ne prêchent n'est pauvre parce que nul n'est riche et que le
d'autre doctrine que celle de l'Eiilise, et l'Eglise tieti et {nmien en sont exclus. Le rêve de celte
avait déjà frappé de ses anathèmes et les Apo- égalité sainte à établir partout ici-bas traverse
tactiles et le moine Eusthate, qui faisaient du un instant ces nobles cœurs, et il leur semble
renoncement aux richesses un devoir slrict, que la charité ,
qui peut tout sur eux, peut
qui étaient tout espoir de salut à quiconque aussi changer la face du monde , ramenersur
possédait quelque chose ici-bas. Jamais le dé- la terre le paradis, et, en rendant tous les
cevant mirage de la popularité ne fascina hommes bons, les rendre tous heureux. Mais
l'âme de Je.in jamais l'intrépide avocat d'S
;
de ces pieuses aspirations à des théories insen-
pauvres ne leur sitcrifia im vAa de l'Evangile. sées, il y a rinlîni. Vienne un novateur faire
La charité était un ti ésor dans son cœur, elle un devoir de la pauvreté, mettre en question
ne fut jamais une arme dans sa main. Mais il la propriété, ces intrépides apôtres du dépouil-
avait sous les yeux, et le monde offrait alois lement seront les plus énergiques défenseurs
un douloureux spectacle. L'usure, le pillage de l'ordre social, les plus ardents ennemis de
des provinces, l'infâme délation avaient créé la ces funestes et crimiurlles témérités.
plupart des fortunes, et leur emploi élaitaussi Qui donc s'est élevé avec plus de force que
scandaleux que leur origine malsaine. L'agri- Chrysostome contre l'usurpation du bien des
culture, le commerce, le travail libre étiient autres, de quelque nom, de ()uelque prétexte
désespérés ; les paysans, les colons, les ouvriers qu'elle voulût se couvrir? « Rien, dit-il, n'est
mouraient de faim la mendicité avait pris de
; plus honteux que le vol', les lois divines le
lugubres et effrayantes proportions; l'invasion condamnentaulantque Icsiois humaines*; on
ajoutait ses sanglants ravages à ceux do la fa- ne le répare pas avec des aumônes'; les of-
mine et de la misère; et, en présence de la frandes qui viennent de celte source impure
détresse universelle, quelques individus, pos- sont indignes d'être agréées à l'autel ' ». Ail-
sesseurs tarés et insolents de presque tout le leurs, il s'écrie oVous vousscandalisezde voir
:

«olde l'empire, dépensaient des sommes im- sur la terre des riches et di s pauvres, et vous
menses en orgies, en débauches, en courtisa- en prenez occasion d'accuser Dieu d'injustice.
nes; déployaieut un luxe sans graudeur, sans — '/rf.,
*c;iiryB.,»uf S.Jcao, /7om.52, n. 3. surS.Matth., /?om. 51
'Clitj*., tur U !'• à TiOiOita , Uom. 13. B. 6. — ' W., iijid., Bom. 52, n. 1. — ' li., i>-id., Hom. ftO, n. 3.

S. J. Cn. — ToMi I. 14
.310 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTÔME.

J(> an contraire, que l'inégalité des condi-


dis. plus doux. Plus apte à comprendre l'Evangile,
tionsparmi nnns est une preuve de plus de sa il a plus de facilités pour pratiquer la vertu et
Providence. Qu il n'y ait pas de pauvres, et faire son salut. Préférable à l'opulence, la pau-
vous n'aurez ni matelots, ni pilotes, ni labou- vreté sert à mater le corps, à corriger l'âme;

reurs, ni forgerons, ni boulangers. Qui voudra elle engendre la sécurité et la liberté; elle est
exercer un art mécanique quelconque? Tout la mère de la sagesse. Elle, Elisée, Jean-Bap-
sera confusion et désordre. La pauvreté est une tiste, tous les apôtres l'ont pratiquée, Jésus-
grande institutrice des hommes: elle les pousse Christ l'a ennoblie et consacrée, et, loin d'hu-
et les coiitr.iint au travail et à la pratique des milier le chrétien, elle est pour lui un titre de
nous étions tous riches, nous nous en-
arts. Si gloire. Elle mérite d'être acceptée avec recon-
dormirions lousdansla paresse :réconomiedu naissance et même d'être désirée.
nionle serait troublée, la société ne pourrait L'auditoire ne se méprenait pas sur la portée
sub-ister ' ». de ces enseignements. Les riches, tout en se
Que de fois le sai'^t orateur se plaît à redire plaignant de l'insistance de l'orateur, n'adres-
qu'il condamne, non la possession, mais l'abus saient aucun reproche à sa doctrine et ne se
de la fortune; et qu'au surplus Abraham et Job défendiiient que par de vulgaires et misérables
ont prouvé par leur vie que l'opulence et la excuses. Leur objection favorite, c'était l'in-
saintelé étaient loin d'être ennemies l'une de digne conduite des pauvres et il faut convenir ;

l'antre. «On m'accuse, disait il, de tomber tou- que chez un grand nombre de ceux-ci les mi-
jours sur les riches; mais eux, ne sont-ils pas sères morales l'emportaient de beaucoup sur
toujours sur les pauvres? Non, jen'attiiquepas les misères physiques. Celte pauvreté épousée
les riches, mais ceux qui usent mal de leurs par Jésus-Christ, ils la déshonoraient par la
richesses. Je ne cesse de le répéter je blâme, : paresse, la fourberie, la gourmandise, le vaga-
non le riche, mais le spoli.iteur. Or, autre bondage, le mépris de Dieu et des lois, les
chose le riche, autre chose le spoliateur; autre vices les plus crapuleux. On les voyait, couchés
chose l'opulence, autre chose l'avarice. Distin- à la porte des églises, sur les places, dans les
guez donc ce qui ne saurait être confondu. Es- galeries publiques, feindre des souflrances
tu riche? Je n'y mets [las obstacle. Es-tu spo- qu'ils ne sentaient pas, étaler des plaies qu'ils
liateur ? Je t'en f.iis un crime. Ceqne tu possèdes s'étaient faites volontairement, se livrer à de
t'appartient-il ?Tant mieux, tu as le droit d'en honteuses jongleries et parfois même mutiler,
jouir. Mais t'es tu appiopriéle bien d'autrui? aveugler leurs propres enfants pour exciter et
Je ne |)uis garder le silence. Tu veux me lapi- exploiter la pitié. Ces désordres affligeaient le
der ? Je suis prêta donner mon sang, pourvu saint prêtre. Il les attaque avec force, mais il

que je t'empêche d'être coupable. Que m'im- ne veut pas que la bassesse des uns serve de
portent les haines et les attaques? Une seule prétexte à la dureté des autres, et il s'élève élo-
chose me préoccupe: le progrès de mes audi- quemment contre celte hypocrisie de l'égoïsme
teurs. Si tues l'ennemi du pauvre. Je t'accuse; qui se fait de la vertu elle-même une arme
mais comprends bien que la dureté du riche contre la charité. Comme ceux de son divin
est plus funeste à lui-même qu'au pauvre ' ». Maître, ses brassent ouverts à toutes les infor-
Du reste, la voix éloquente qui rappelait aux tunes.
riches leurs devoirs, n'excitait dans le cœur « Le pauvre, s'écrie-t-il, n'a pas à vous rendre
des pauvres d'autres sentiments que la résigna- comjite de sa vie, mais vous avez à pourvoir à
tion, un humble et pieux abandon aux desseins son indigence, à lui venir en aide dans sa né-
de la Providence. Dans les discours du protec- cessité. Il n'a qu'un titre à faire valoir, son in-
teur bien-aimé qui plaidait leur cause avec un digence même et sa nécessité ; ne lui demandez
dévouement si pur, ils apprennent, non à ja- pas autre chose. Serait-il le plus pervers des
louser, non à maudire les heureux du siècle, hommes, que, manger, nous de-
s'il n'a rien à
mais à supporter, à bénir, à sanctifier la pau- vons apaiser safaim. Ainsi l'a ordonné Jésus-
vreé. Le pauvre, répetait-il sans cesse, est plus Christ quand il a dit Soyez semblables d :

heureux que le riche. Il a moins de soucis, il votre Père céleste qui fait lever son soleil sur
court moins de périls, il dort d'un sommeil les bons et sur les méchants, et qui f^iit pieu-

' Chrys., eerm. 5, bui Ami,, n. 3. — ' ChijB., Som, sur la pris»
voir sur les justes et sur les injustes*. L'homme
8'Eutrops, n. 3. •Ma!lh.,.5, T. 45,

CHAPITRE SEIZIÈME. an
cirrîlnli'i' retl>' port do Vii'roi'nnp. Or, le pnrt mêmes par la jirtice divine ; car l'Evangile a
et^l oiivi'i l a Ions les iiaiifi ?;- l><>ii> «n iinui-
: dit: I ON'i SI ri'z j>ii;(-s < onmie vous aurez jugé '.

vais, tous, dans le priil. y IioiimiiI as[lt'. Toi Celle objection de l'immoralité, de l'indignité
donc, si lu vois un lioninie qui a subi le nau- des p uvres, el.iil souvent reproduite, et nous
fr.igeilela pauvielé, ne roclii-rtlic- passa vie, ne ne pouvons que le constater d(' nouveau :pour
le juge pas; mais occupe-loi de >oulagir sa mi- plusieurs d'ejilreeux, l'indigence n'était qu'un
sère. Pourtiudi te doiuier tant dr piii^e? Dieu hideux mélier. Cliiysostome ne dissimule pas
t'a épar^'iie ci tte solliciUide, il l'a déi liargé de ce que de tels di'sordres
lui inspirent de dé-

celte surveillance. Que de paroles on dirait, goût, mais il s'( n prend aux riches de la dé-
que de on élèverait, si Dieu a\ait
difficultés grailalion des pauvres. Il s'écrie :

prescrit d'ixaminer d'abord ixacleiiienl la vie a Ce misérable, dis-lu, simule le froid et la


et les actions de chat-un, et après cela seule- n aladie. — El tu ne crains pas
la foudre que
ment d'exercer la diaiilé! Nous siunmes af- prononces ce mot?
t'éciase à l'instant oii tu
fr.^n^ his de cttte eniiuèle. Ponniui-i donc se L imlignalion m'emporte. Pardonnez-moi...
donner un souci snpirflu? Autre elii>se est un Toi, qui lionnes à ton ventre font ce qu'il veut,
juge, autre cbnseun homme qui fil l'aumône. toi gros et gras, qui prolonges jusque dans la
L'aumône ne que parce (lue les
s'appelle ainsi, nuit tes orgies, étendu sur de moelleux tapis,
indiiiiuseux-mèmesi n sont l'olijil. De là, cette penses-tu que Dieu laissera impuni cet indigne
exhortation de saint Paul A'e nous lassons pas : abus de ses dons ? Le vin ne nous est pas donné
de faire du bien à toiia, prhicf/ia/ement à nos pour nous enivrer, ni les aliments pour assou-
frères dans la foi^. Si nous reclif-ichionsavec vir notre gloutonnerie. Ce pauvre, celinfortuné,
tant de sévérité quels sont ceux qui doivent dont la condition n'est pas meilleure que celle
cire exclus de nos secours, ceux-là mêmes qui d'un mort, lu lui demandes un compte sévère
les méritent nous tomberaient difficilement de sa conduite, et tu ne crams pas pour toi ce
sous la main; au contraire, en n'excluant per- formidab e liibunal de Jésus-Christ. Car, si ce
sonne, nous verrons venir à nous des hommes pauvre use de feinte, il y est contraint, par
dignes, dont la vertu compense l'indijînilédes l'horreur de sa situation, par ta dureté qui la
autres. Ainsi arriva-t-il au bienheureux Abra- rend nécessaire, parla barbarie que rien ne peut
ham, qui, ne s'enquérant pas trop sé\èrement fléchir. Quel homme, en efiet, sans y être forcé
de ceux qui lui demandaient l'hospitalilé, eut par le besoin, se dégraderait ainsi pour un peu
le bonheur de recevoir des an;;es chez lui. Imi- de pain ? Sa dissimulation accuse ton inhuma-
tons-le, imitons Job son petit-fils. Ma /lorte, nité. C'est peut-être parce qu'il a vu ses prières,
disait ce généreux émule de la magnanimité de ses supplications, ses larmes, ses cris impuis-
son aïeul, est toujmirs ouverte au voyageur '. sants, et qu'il a erré tout le jour, de porte en
Et il ne l'ouvrait pas à l'un pour la ftimer à porte, sans obtenir les quelques aliments dont
l'autre: il ne repoussait personne. Conformons- il a besoin pour ne pas mourir, qu'il a imaginé

nous à ces exemples; ne poussons pas nos in- ces expédients qui sont une humiliation, un
vestigations au-delà de ce qu'il faut. Pour que déshonneur pour foi plus encore que pour lui.
le pauvre ait droit à l'aumône, c'est assez de sa Plaignons-le d'en être réduit à une telle néces-
pauvreté. Si quelqu'un vient à nous avec celle sité ; mais nous qui l'y avons réduit, nous som-
recommandation, ne demandons pas autre mes dignes de mille supplices. Si nous étions
chose. Nous assistons l'homme, nous ne récom- plus accessibles à la pitié, descendrait-il à de
pensons pas ses actions; nous sommes touchés, pareilles bassesscs?Que parlé-je de froid et de
non de ses vertus, mais de ses malheurs, et nudité? Chose cent fois plus horrible! des pères
nous cherchons à attirer sur nous, quoique ont été poussés à celte extrémité de crever les
fort indignes ausn, les infinies miséricordes de yeux à leurs enfants, afin de nous toucher au
Dieu. Car, si nous voulons discuter les mérites moins jiar l'aspect d'une si profonde infortune.
et la vie de ceux pour lesquels nous ne sommes, A tant d'autres maux, ils ont ajouté celui-là,
.iprès tout, (jue des compagnons de servi- le plus lamentable de tous, pour nous arracher
tude. Dieu agira de même a notre égard et ; un morceau de pai n, regardantcomme un moin-
tandis que nous leur ferons rendre compte de dre mal la privation de la lumière, de ce rayon
leur conduite, nous serons repoussés nous- du ciel dont tous les hommes jouissent, que la
'Ad Golal., t. e, V. ft «I 10. — ' Job, <, 31, v. 33. Cli.-'t., <4i>c. i, lur Littt.
212 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

lulfe perpétuelle avec la faim, avec la plus af- ciel. Il a, d'ailleurs, pour se présenter à toi nn
freuse des morts. Parce que vous ne savez pas grand titre : sa pauvreté, le m.mque du néces-
a'ioir pillé (le rirnl'grice, et que ces maux font saire.Quoi tu ne regrettes pas ton argent pour
I

vos délices, ils cherchent à satisfaire vos insa- payer de misérables Lialeleurs couverts de suie,
tiables désirs, et ainsi ils allument pour vous, qui n'ont à la bouche que des impertinences;
comme pour eux, une flamme plus terrible que tu n'hésites pas à encourager leur déplorable
la tjélienne. Que ces choses arrivent par votre industrie; et, quand un pauvreté demande le
faute, en voici une preuve que personne ne pain dont il a besoin, tu l'accables d'outrages,
contredira. D'autres indi^^enls, plus vains, plus tu lui reproches son oisiveté, sans penser que,
orgueilleux, préfèrent tout endurer plutôt que toi aussi, tu es que pourtant Dieu ne te
oisif, et

la faim, et, convaincus par expérience que leurs refuse pas ses bientails. Ne me dis pas que tu
supplicaiions sont inutiles, se livrent à la pire t'occupes : montre-moi que tu l'occupes à quel-
espèce de jonglerie : on les voit ronger le cuir que chose d'utile. Soigner ta fortune, faire va-
des vieilles chaussures, s'enfoncer des clous loir ton argent, exercer ton négoce, ce n'est pas
dans la tête, se plonger nus dans l'eau glacée, là ce que Dieu le demande; il veut l'aumône,
et se livn r à mille autres pratiques plus absur- la prière, défense des opprimés, autant de
la

des et plus atroces, pour attirer sur eux les re- choses dans l'oubli desquelles nous passons
gards, tt tu ris, tu applaudis à ces farces igno- toute notre vie. Cependant il ne nous dit pas :

bles, et la dégradation de la nature humaine Puisque tu vis dans l'oisiveté, je n'allumerai


estun spectacle, un jeu pour toi! Que ferait de pas pour toi le soleil ;
puisque tu ne fais rien de
plus un cruel démon ? Pour encourager ces in- ce qui est indispensable, j'éteindrai la lune, je
famies, tu donnes volontiers de l'argent. Le rendrai la terre stiTile, je tarirai les sources,
pauvre qui t'aborde avec modestie, qui t'im- j'empêcherai la pluie. Non, il (irodigue ses tré-
plore au nom de Dieu, tu ne daignes pas lui ré- sors même aux paresseux, même aux méchants.
pondre, tu ne le regardes pas, tu le repousses Souvent, à l'aspect du pauvre, tu temetsàdire:
avec des paroles injurieuses. Un tel homme, — Je suffoque de voir cet homme jeune, vigou-
dis-tu, n'est pas digne de vivre est-il permis à ; reux, qui veutqu'on le nourrisse sans travailler,
de p.ireilles cré .tures de respirer l'air, de voir c'est peut-être un esclave fugitif. Ce sont là des
le soleil? —
El ta main fermée à la pitié s'ouvre reproches qu'il faut l'adresser à toi-même. Que
pour récompenser la bassesse! On te dirait le dis-je? Permets à celui que tu condamnessi les-
rémunérateur et Vagonothète de ces jeux sata- tement de te [)arler avec liberté, et il te dira Je :

niques, où le lidiiule ledisputeà la honte. En suffoque, moi aussi, de te voir, plein de santé,
vérité, c'est d(! toi et de tous ceux qui encoura- passer tes jours dans la paresse, dans le dédain
gent ces turpitudes, qui ne savent rien donner des ordres de Dieu, et, déserteur d'un Maître
s'ils ne voient taire le mal, qu'il faudrait dire : si parfait, vagabonder dans le vice, te vautrer

iMeritenl-ils de vivre, de jouir de la clarté des dans la crapule, ne l'occuper qu'à tendre des
cieiix, des hommes qui outragent à la lois et la pièges à tes frères, à les voler, à ruiner leur
nature Créateur? Quand Dieu dit Fais
et le : bonheur! Tu m'accuses de mon inaction; moi,
rauniôue,etje te don ne mon royaume, tu restes je l'accuse de tes œuvres perverses, de tes men-
sourd quand le diable te présente une lête
; songes, de tes paijures, de tes trahisons, de les
percée de clous, tu deviensà l'instanlgénéreux. rajiines. — En parlant ainsi, poursuit l'orateur,
Une farce de l'ennemi de ton âme te touche je n'entends pas favoriser la paresse;car elle est
beaucoup plus que les les bontés promesses et l'école de tous que tout le
les vices. Je désire
de ton Dieu... Et, ai)rès cela, demande-moi monde maisjp désire aussi que vous
travaille;
pourquoi il y a un enfer; demande plutôt ne soyez ni durs ni inhumains... Si vous ne
pourquoi il n'y a qu'un enfer ' ! » voulez pas aider le malheureux, du moins ne
Chrysostome reprend ailleurs la même ob- l'insultez pas, n'écrasez pas une âme déjà si

jection, et la repousse avec plus d'énergie en- humiliée; vous ne savez pas être secou-
si

core, a Ce pauvre, dit-il, est homme comme rables, du moins ne soyez pas cruels ». '

toi : il a une âme comme la tienne, et tous les Ce fuigage de Chryso^toule, si ferme, si pres-
deux vous avez h-, même Maître, vous participez sant, quelquefois si liardi, toujours si vrai, si
aux mêmes mystères, vousêtesappelésauriième évangélique, faisait d autant plus d'impression
• Cbrys., lur la 1" aux Cotinth , HQm> î', n. 5 «t 6. • Clirvs., sur S. Matth., Bam. 85, n. 9 «t 4.
CHAPlTIiE DIX SEPTIÈME. 213

qu'il était appuyé d'une \io plus sainte. Le cri CommeledivinSauveurautrefois, le sacerdoce
du mauvais riche iniploiant, «lu sein des avec une
catlioli(iue jiouvait dire h'j^ilime as-
flatnniesveiigcresses, l'assistance ilu pauvre La- surance: Lesnveur/les voient, les bnitciix mnr-
zare couronné dans le ciel, relentissait avecla chetU, les lépreux sont guéris, les sourds en •

voix du saint docteur au fiaui des consciencis tendent, les morts ressuscitent, l' Evangile est

et troublait leur fausse sccurité. Une salutaire annoncé aux pauvres '. Seul debout dan^^ l'af-
terreui- faisait de réL,'i>ïsrne lui-inèine un ins- fai,;sementg(''néral, il pmii'geait les petits, con-
trument de misericonte. Le pcupliMlAntioclie, tenait les forts, enseignait les devoirs, procla-
aux mœurs frivoles mais douces, s'abandonnait mait les droits, versait sur la terre désolée des
de plus en plus aux inspirations d'une sainte trésors de consolation, d'espérance et d'amour.
pitié. On entendait bien çà et là (luiltjues mur- Seul, dans le silence de toutes les voix, il [lar-

murescontre l'infatigable apôtre de l'aumône ;


lait, aux hommes opprimés
découragés, de et

mais, en dépit de ces murmures, la pensée dignité humaine; et par-dessus les débris
chictii nue faisait son chemin, le règne de la amoncelés et sanglants de la société nncieime,
charité s'étendait. Du reste, ce que la parole de au-delà de l'immense tempête qui enveloppait
Jean obtenait dans la méiropcde de la Syrie, l'horizon, il voyait l'étoile divine, qui se cache
d'autres voix, moiiiseloqueutes mais non moins aux Pharisiens etaux llérode, resplendird'un
puissantes, l'eblenaieiit .illeurs. Le monde se éclat sans lâche sur le berceau d'une nouvelle
sentait mourir et renaître. Partout les ruines humanité : les yeux fixés sur elle, il traçait au
et la dissolutionmais partout aussi, au souffle
;
-
monde la route de l'avenir et du progrès.
de l'Evangile, au contact de la Croix, d'admi- •Math.,0. lJ,y.5.

rables phénomènes de résurrection et de vie.

CHAPITRE DIX-SEPTIÈME.

Doctrine de Chrysnsinme. — Témoignées stir l'Eucharistie, — sur la prière pour les morts. — Dngme du péché nriiiret. —
L'orllm.loxie de Jrjn défeii.lui' |iar ^.nnl An^iisliii, — p^i Bossuel. — Esplicallcin de divers passants — Ma?- ni. s ei Mani-
cheeus. — U.-it:uie de la grlce. — Clirysoslouie vi'in;é du reproclie de Pélagiauisme. — Hiière pour les catéchumènes. —
Témoignages sur la confession. — Jean easeigoé
a-l-il que la félicité des élus serait différée jusqu'à la Go des temps? •
Justification de sou eoseignemeut. — Miiigation de la peine des damnés.

Les nombreux extraits qui remplissent les séparer l'un de l'autre. D'ailleurs, commentant
chapitres précédents peuvent donner, nous ai- habituellement les saints livres, et suivant pas
mons à le croire, une idée assez juste du carac- à pas le texte sacré, Jean se trouve sans cesse
tère et de la poitée des travaux apostoliques de en présence des grands enseignements catho-
Chrysoslome. llàlons-nous de dire qu'en pré- liques ; il les ex|)0se avec précision ; il en dé-
sentant sa prédication comme toute morale, montre par l'Ecriture la vérité, l'harmonie, la
nous sommes loin d'en nier la valeur dogma- beauté; il les venge des attaques de hérésie; 1

tique. Quelle eût été la force de sa parole, sans et ce n'est qu'après les avoir fortement incul-
l'appui essentiel et la divineauloritédu dogme? quésà ses auditeurs qu'il arrive aux conclusions
Ce combat de tous les jours coidre les igno- [iratiqiies. A ses yeux, les vices sont des blas-
rances, les superstitions, les vices qui l'entou- phèmes, les vertus des actes de foi. Or, de
rent, combat où il déploie autant de courage même qu'il résume les devoir- dans la charité,
que de talent, eût été trop inégal, si aux armes il se plaît à résumer les dogmes dans l'Eucha-
de la raison et de l'éloquence il n'avait ajouté ristie, et l'adorable mystère prend une large
lesarmes surnaturelles des vérités évangé- place dans ses discours. On comprend, en effet,
Le dogme est à la morale ce que le fon-
liques. quel attrait s|)écial devait avoirpour le docteur
dement est à l'édifice, ce que la sanction est à de la charilé ce perpétuel et immense miracle
la loi. L'aiîôtre de Jésus-Christ ne saurait les del'amour, qui failde Dieu Im-métugrahment
214 HISTOIRE DE SAINT JEAN CIIRYSOSTOME.

de sa créature, celle réalisation ineffable et à mur fatal qui séparait le ciel de la terre il Ta ;

jamais présente d'un dévouementinfini qiiiré- associé, toi son ennemi, au destin des anges ;
\t'ille cil. ique jour dans le cœur de l'homme, pour toi, il s'est livré à la mort, et tu viens, le
qui incorpore chaque jour à chaque homme cœur plein de haine pour tes frères, l'asseoir au
l'esprit d'abnégation et de sacrifice. Ici encore banquet de la paix I La charité est la racine, la

des citations sont indispensables. source, la mère de tous les biens... Puisque
« Voici le moment, s'écrie le saint orateur, nous participons tous au même corps, soyons
d'approcher de cet autel redoutable... Arrière tous ensemble unseulcorps; que du moinsle
les Judas, les méchants, ceux dont l'âme est lien de la charité unisse entre elles nos âmes;
pleine de venin, ceux qui ont sur les lèvres c'est alors que nous pourrons aborder avec con-
une chose, et une autre dans le cœur 1 Jésus- fiance cette table sainte, et recevoir de Jésus-
Christ est qui institua ce banquet y
ici, et lui Christ vainqueur le gage de la paix • ».

préside encore. Non, ce n'est point un homme Ce n'est pas assez pour
B le Fils de Dieu, dit
qui fait que les choses offertes deviennent le ailleurs Chrysostome, de s'être fuit homme,
corps sang de Jésus-Christ, mais Jésus-
et le d'avoir été outragé et crucifié, il veut s'unir à
Christ lui-même qui, pour nous, fut attaché à nous, faire de nous son propre corps, non par
lacroix. Le prêtre le représente à l'autel et pro- la foi seulement, mais en réalité*... Ne faut-il

nonce les s;iintes paroles, mais l'efficacité et la pas qu'elle soit plus pure que rayons du so- les

grâce viennent de Dieu. Ceci est mon corps, leil, la main qui coupe cette chair sacrée, la
dit-il, et ce mot transforme ce qui est offert. bouche que remplit un feu spirituel, la lrmgu<;
De même que cette parole : Crohsez et multi- teinte d'un sang adorable? Pense à l'honneur
pliez et remplissez la terre^, proférée une seule que tu reçois, pense à celte table auguste.
fois, entretient à jamais la fécondité de la na- Celui que les anges neregardent qu'avec frayeur
ture humaine; ainsi cette autre: Ceci est mon devient notre aliment, il s'incorpore à nous, et
corps, sortie une seule fois de la bouche de nous devenons une même chair avec lui. Qui
Jésus-Christ, dujouroiiill'a prononcée jusqu'à raconterales puissances du Seigneur ? Quidira
nous et ju'-qu à son dernier avènement, opère toutes ses louanges' ? Quel est donc le pasteur
dans les églises, sur chaque autel, un sacrifice qui nourrit ses brebis de son propre cor|is?
paifait. Donc point d'hypocrites ici, ni de vo- Que parlé-je de pasteurs? il y a des mères qui
leurs, ni d'avares, ni de jaloux, ni d'hommes n'allaitent pas elles-mêmes leurs enfants. Ainsi
souillés ou haineux qu'ils ne viennent pas au-
;
ne fait pas Jésus-Christ, mais il nous unit à lui
devant de leur condamnation. Judas sortaitde en toute manière *.... Nous donc, comme de
la cène mystique quand il livra son Maître, et petits nourrissons qui s'attachent au sein de
c'est ainsi que le démon se jette sur ceux qui leur mère, attachons-nous avec ardeur àcette
participent indignement aux saints mystères. table sacrée, à la mamelle 'de cette coupe spi-
Je dis cela, non pour vous effrayer, mais pour rituelle, et que notre unique douleur soit d "être
vous rendre plus prudents. Un alimentcorporel, privé du céleste aliment. Ce ne sont pas les
introduit dans un estomac malade, aggrave la œuvres de l'homme que vous voyez ici. Celui
maladie de même cette noui riture spirituelle,
; qui opéra le prodige de la cène le renouvelle
reçue par une âme indigne, attire sur elle un tous les jours. A nous le simple rôle de mi-
plus terrible châtiment. Ecartez, je vous en nistres ; Jésus-Christ seul sanctifie et trans-
supplie, les pensées mauv.iises; purifiez votre forme. Notre autel n'a rien de moins que la
cœur. Nous sommes li s temples de Dieu, ren- table du Suiveur autrefois. Ici est le cénacle
dons chaste notre âme. Un jour suffit pour où lesdisciplesentouraientle maître. Ilsen sor-
cela, et voici comment Si tu en veux à un en-
: tirent pour aller à la montagne des Oliviers ;

nemi, renonce à ta haine, mets fin à cette ini- n'en sortons, nous, que pour aller visiter les
mitié, et reçois à la tahle sainte le remède qui pauvres'
donne le pardon. Tu assistes ici à un sacrifice « Apprenons quel est le miracle des saints
augusteetvénérable. Jésus-Christ lui-mêmegît
'Chrys., ffom, et 2 sur Judai.
immolé sur l'autel. Pense à la cause de son im- 1

Kat où T^ niarsi /j.ô^ov, à>)à zai awrcj tw Tcpùy/isetl,


molation. Oh ! de quels mystères es-tu privé, • Ps. 1115.'

Judas ' Kat 'J'tà TrKVTû>v ijy-âs iayTw ffU^ir^eVat.


! Jésus-Christ a souffert pour détruire le
» Kal Tïj OriX/j toû noTrtpiou toû nvevjjtarixov.
' G.oès., 28.
moiaiii
1, ' Cirj-!., i\xi S. Matth., jffom. 12.

/
CHAPITRE DIX-SEPTIÈME. Slâ

mystères, et pourquoi ils ont été jnsliliiés. pants... » Mais le rem.trqn.ible di'cours au-
Ai'USS'i77vi2esii)tseul corp'i avec Jésus Clirist, quel ces mots sont empruntés, mérite d'être
dit l'Apôlre ;nous sommes les membres de Jé- lu d'un bout à l'aulre. Arrêtez un instant
sus- Christ formée de sa chuir et île S'-s f>s. Qi u' les votre attention sur le passage que nous al-
initiés |)réleiil l'oreille : ce n'est pas seiileinent lons tiaiiuiie ici, et pesez-en tous les mois.
par la dilection , mais en réalilé que le Verbe Pour quel repos, quelle haute et douce
la foi

incarné s'unit à nous, et cila se fiil par l'ali- satisfactionde s'appuyer sur de pareils témoi-
ment nous a donné. Il brûle pour nous
qu'il gnages, d'être l'écho vivant des plus grands siè-
d'un amour, (|u"il a voulu se mêlera notre
tel cles et des plus grands cœurs du Christianisme !

sub-tance, au point de ne f.iirrMleluietde nous Où est le corps, dit l'Evangile, seront les ai-
qu'une seule chose. Four lui jirouver leur atta- gles Ce corps, c'est celui du Sauveur frappé
'.

chement, lesservileursde Jobs'éeriaientautre- de mort à cause de nous; car, s'il n'axait subi
fois Qui nous donnera de nous rassasier de su
: la mort, nous n'aurions pas retrouvé la vie.
chair ^? Ce qu'ils souhaitaient de la part de Quant à nous, il nous appelle des aigles, pour
leur maître, Jésus Christ l'a fiit pour nous, et nous apprendre que celui qui apiiroclie de ce
non seulement nous est donné de le voir,
il divin corps doit avoir une àme sublime, et, au
maisdeletouctier, de le manger, de le broyer lieu de ramper sur la terre, voler toujours
sous nos dents, de nous l'incorporer tout en lier, très- haut, les yeux fixés sur le .soleil de justice.
et son amour rassasie nos désirs. Donc, sortons C'estici la table desaigles, non des geais. Ceux-
de cette table comme des lions dont la bouche là iront au-devant de Jésus-Clirisl descendant
lance des flammes, et soyons redoutables aux du ciel, qui le reçoivent dignement aujour-
démons. Pensons à celui qui vit en nous, qui d'hui : ceux qui le reçoivent indignement se-
est notre tète, à l'amour qu'il nous a téinoij;né. ront livrés aux derniers supplices'... Ne soyons
Que de parents, peut-il nousdire, qui confnnt pas homicides de nous-mêmes. abordons ces N
leurs enfants à des mains etrani;ères Moi, j'ai ! augustes mystères qu'avec un respect profond
Toulu vousnourrir moi-mêmeetde ma propre eluneconscieiice pure. Au niomenl où ils s'ac-
substance, devenir moi-même votre aliment; complissent sur l'autel, disons-nous intérieu-
j'ai voulu, pour vous ennoblir, vous élever rement Le voilà ce corps, grâce auquel je ne
:

tous jusqu'à moi, vous donner à tous le même suis plus cendre et poussière, je ne suis pius
gage d'espérance J'ai commencé |iar être esclave, mais libre. Par lui, j'esjière le ciel et
Totre frère et j'ai pris votre chair et votre sang, les biens du ciel, la vie immortelle, lesortdes

etmaintenant je vous livre ma chair et mon anges, la société intime avec Jésus-Clirist. C'est
sang pour n'avoir (|u'une même vie avec vous? ce corps transpercé de clous, déchiié de verges,
Et le voilà, bien-aimés, ce sang qui fait res- que la mort n'a pu détruire. Le soleil le vit at-
plendir en nous l'image divine, qui commu- taché au gibet et délonrnasesreganls. Au der-
nique à noire àme une beauté incroyable et nier soujiir de sa bouche, le voiie du temple
qui ne vieillit pas, ce sang qui nous lave, qui fut déchiré, les rochers se fendirent, la terre
nous sanctifie, qui nous embrase' a 1 trembla. C'est ce corps qui fut ouvert sur la
Dans son beau commentaire sur la première croix par un coup de lance, d'où jaillirent deux
épitre de saint Paul aux Corinthiens. Jean s'ex- sources de salut pour le monde, l'une de sang

prime plus explicitement encore, si c'est pos- et l'autre d'eau. Voulez-vous savoir d'ailleurs
sible. sa puissance? Interrogez l'hémoiroisse qui fut
Expliquant ces paroles de l'Apôtre Le calice : guérie pouravoir touchénonce corps, mais la
de bénédiction que nous bénissons, n'est-il pas seule frange du vêlement de ce corps. Interro-
la communion du sang de Jésus-Christ ', il s'é- gez la mer qui le vit marcher sur ses flots. Iq-
trie a Ce r|ui est dans le calice, c'est cela
: terrogez le démon, dites-lui : Qui l'a porté ce
même qui coula du eôlé du divin Sauveur sur coup dont tu ne peux te relever ''Qui t'a vaincu?
la croix *, et de cela nous sommes parlici- Qui l'a enchaîné? Et il vous répondra C'est :

ce cor[is crucifié.,.. Interrogez la mort, dites-


Job, c. 31, T. 31. Expretalona de tendresse conformes au génie
Qui a brisé ton dard? Qui t'a rendue risi-
*
lui :
et aux tangiiei de% Orientaux. Voir Drarb Nous de la bible de ,

Vmce; Job, c. 31, t. 31, t.9, p. 312. — Cbrys., l'n /oiin. ble à déjeunes enfants, à de jeunes filles, toi
Bom 4», D. 2 et 3. — ' Ad Corinlli., I, c. 10, r. 16.
;

ju^qu"alo^s également redoutée des tyrans et


• toOto t4 h r.u-rif''''> i', i/cïi
'(>T< im rb dni ifli it\t<jf.9i
/icvsav, [Uom, 24, lur la Irt aux Coiinib., c, 1.) Mattb., 24, 28. — ' Cbryi., ibii. n. 3.
210 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

des justes? A ce corps crucifié elle attribuera, ses œuvres qui ont trait à l'Eucharistie, on a
elle aussi, sa défaite.... C'estce corps victorieux composé un petit livre sous ce litre Marteau t

du trépas, sorti du tombeau plein de gloire et des calvinistes '. C'est du moins une excellente

lançant des rayoïisjiipqu'au plus liaut des cifux, réponse à ceux qui accusent l'Eglise Romaine
que Jésus- Clirislnousa donné à tenir dans nos d'avdir innové sur un point qui est le centre
mains et à manger C'est encore ce corps même du Catholicisme. D'autant plus que le
que les Mages ont adoré dans la crèche. Des sainl orateur n'élaitdanssonenseignementque
infidèles, des barbares ont tout quitté, patrie et le fidèle écho des grands pontifes qui, depuis
maison, ils ontfaitune longue route pourvenir le prince des Apôtres, avaient gouverné l'anti-

se prosterner devant lui dans le respect et la que Eglise d'Antioche, et en particulier du ma-
crainte. Ne restons pas au-dessous des barbares, gnanime martyr qui repoussait avec indigna-
nousqui sommes les citoyens des cieux... Celui tion, comme hérétiiues et impies, ceux qui,

qu'ils ont vu dans la crèche, tu le vois sur niant le don de Dieu, ne professent pas que
l'autel tu vois non une femme qui le tient
;
V Eucharûtie soit la chair de notre Sauveur
dans ses bras, mais le prêtre debout et l'esprit Jésus-Christ, la mênw qu'il a livrée sur la

qui se répand avec abondance sur l'oblation ;


croix, et que le Père a ressuscitée dans sa

et non-seu'ement tu le vois, mais tu connais la bonté*. Chrysostome, d'ailleurs, s'appuie sur


Tertu et réconomie du mystère, puisque tu es le texte de l'Evangile autant que sur la tradi-

initié. Excitons doncen nous une crainte salu- tion ; et, dit le célèbre auteur de la Perpétuité
taire.... de peur qu'une témérité coupable de la foi, a il a établi la grandeur et la vérité
n'attire sur nos tètes le feu du ciel. Si je parle dece mystère sur des fondementsinébranlables,
ainsi, ce n'est pas pour vous éloigner, mais et par des raisonnements si solides et si con-
pour vous rendre plus respectueux. Car, si ap- vaincants, qu'il peut être nommé le docteur
procher sans préparation est un péril, se priver de l'Eucharistie, comme saint Augustin celui
de ces rejias mystiques, c'est se condamner à de la grâce ces deux Pères ayant été particu-
:

la faim, à la mort. Celle table est la force de lièrement destinés de Dieu pouréclaircir, con-
l'âme, le lien des esprits, le gage de l'espé- firmer et illustrer la foi de l'Eglise, touchant
rance, le salut, la luiriière, la vie. Si nous sor- deux de ses dogmes les plus grands et les plus

tons du monde avoc celle divine hostie dans le divins' ».


cœur, nous arriverons avec confiance au vesti- Remarquons, toutefois, que s'il est d'autres
bule du ciel, munis que nous serons et tout points de la doctrine catholique qu'il dé veloppe
couverts d'une armure d'or. Et pourquoi par- avec moins d'étendue ou moins d'éloquence, il
ler d'avenir? Ici même, la terre devient le ciel, n'en est aucun sur lequel il ne soit clair et
grâcu à ce mystère... Ouvre donc les portes du formel. Quoi de plus explicite, par exemple,
ciel, et regarde ce qu'il y a de plus auguste
: que ces quelques mots sur la communion des
là-haut, je te le montrerai présent ici-bas. De saints eildi prière pour les morts? «Au lieu de
même, en que dans une demeure royale,
effet, pleurer ceux que vous avez perdus, secourez-
c'est la personne du monarque qui attire ks les par les p.rières, par les aumônes, par les
regards, bien plus que les murs et les toits saintes oblations. On n'a point imaginé au ha-
dorés; ainsi, dans le palais du ciel, la personne sard les devoirs que nous rendons aux morts.
du roi des rois. Et tu le vois sur la teri e Tu 1 Non, ce n'est pas en vain que nous nous sou-
vois, non pas un ange ni un archange, mais le venons d'eux dans les divins mystères; ce n'est
souverain maître de tous. Tu le vois, tu le pas en vain que nous approchons, en priant
touches, tu le manges, et tu ne rentres chez pour eux, de la table sacrée où repose l'agneau
toiqu'après l'avoir reçu dans ton cœur' » ! qui porta le péché du monde. Nous avons la
Quel magnifique langage La foi catholique 1 confiance qu'ils reçoivent de là quelque soula-
ne parla jamais avec plus d'assurance. On dirait gemenl. Non ce n'est pas sans motif que celui
que pour l'œil de Jean le voile du mystère qui est debout àl'aulel, au momentoù s'accom-
n'existe plus. 11 voit Jésus-Christ sur l'autel, plissent les redoutables mystères, élève la voix
comme saint Pierre le vit sur le Thabor, et la
' Imprimé dans le 6« U ^o dss œuvres do eaint Jean Cbiyioitome;
splendeur du visage divin se reflète de son idit. de Lyon, 1087.
âme dans sou discours. Avec les passages de ' S. Ignatii, martyr., ep. ad Smyrnaos, n. 7.
• Arnaud., OEuvres compl., t. 12, p. 21. Nous parlerons «illeurs
Chiy»., 6ar la l" au» Corinth., Bom. 24, n. 4 et 5. â« la lettre à Céfarlue.
CHAriTUE DIX-SEPTIEME; 217

et dit Pour tous ceux qui se sont endormis en


:
s'affaisser dans lentes les croyances qui favori-
Jésus-Christ, et pour ceux aussi qui célèbrent sent leur lâcheté. L'infatigable apôlre avait à
leur tnémoire ; fi cela n'avait pas d'olijet, à (|Uoi protester contre ces enseignements et ces dé-
bon ce l.iiijj;a{;i'? Nos céiénioiiios ne sont pas faillances, à rendre quelque énergie à ces
des fictions de tiieàtre, lEspiit-Siint lui nicine hommes abattus, à réveiller dans leur cœur la

y a tout Donc, portons aide aux morts,


rt'iîlé. foi en Dieu, lacouscicnce de leur responsabilité
faisons nuMuoire d'eux. Si le sacrilice do Job et de leur dignité, des droits et du devoir du
pmitlail ses enfants, (loulez-\ousque noire sa- libre arbitre. Attentif au mal qui a envahi son
crifice, ofi'erl pour les morts, ne leur soit profi- peuple, tout entier à en conjurer le péril, il

table? Ktnpressons-nous de leur être utiles parle moins souvent, avec moins d'insistance,
par nos prières, par lesacrificeaugiiste qui est drs vérités qu'il est moins urgent de rappeler
la |>ropitialiou universelle du monde, où leur et d'expliquer. Les a-t-il altérées ou affaiblies?

nom est prononcé avec ceux dt s martyrs, des Y a-t-il dans ses œuvres un mot dont l'hérésie
confesseurs delà foi, des pontifes. C:ir, quelque puisse se faire une arme? Nous allons l'exami-
différence de splendeur qu'il y ait desunsaux ner.
autres, nous ne formons tous ensemble qu'un Pour prouver que le grand docteur n'avait
seul et même corps; et par consécpient nous pas d'autre pensée que la leur dans la question
pouvons obtenir a ceux ijui ont quitté cette vie du péchéoiigiiiel, les Pélagiens citaient le pas-
avant nous. la rémi>sion complète de leurs sage suivant d'une homélie attribuée à Chry-
fautes au mojen de nos supplications, de nos soslome et traduite par eux en latin « Voyez- :

oblalions en leur faveur et des suints nommés vous quels sont ks bienfaits du baptême?
avec eux. Pourquoi vous lamenter sans fin, Quelques-uns ont iirétendu que la grâce céleste
quand il vous est donné de rendre tant de ser- consiste uniquement dans la rémission des pé-
vices encore à celui Ce que vous pleurez' ?.... chés. Pour nous, nous avons compté jusqu'à
sont les Apôtres, ajoute Cliiysostome, qui ont dix prérogatives qui relèvent éminemment
prescrit de faire mémoire des morts pendant ceux qui sont baptisés. El pour cela que
c'est
le sacrifice divin. Ils savaient, ces pieux légis- nous baptisons aussi les enfants, qui ne sont pas
lateurs,quiien revient, àceuxqui nesontplus souillés par le péché, afin qu'ils reçoivent la
parmi nous, de grands avantages... Dieu veut sainteté, la justice, l'adoption, l'hérédité, la
que nous nous aidions les uns les autres. N'est- fraternité de Jésus-Christ, et qu'ils deviennent
ce pas pour cela que nous prions pour la paix, les membres de Jésus-Christ' ».
pour la prospérité du ^monde, pour tous les Dans son livre contre Julien d'Eclane, saint
hommes ? Or, sur la masse des hommes, il ya Augustin a réjiondu à cette objection et magni-
des voleurs, des profanateurs de tombeaux, des fitpiement vengé la mémoire et la doctrine de
misérables souillésde mille crimes. Cependant Chrysostome. Il eût pu contester l'authenticité,
nous prions pour eux: peut-être quelques-uns plus que douteuse', de la pièce alléguée par
se convertiront; nous prions pour des êtres ses adversaires il se borne à montrer que la
;

qui, toutvivantsiiu'ils sont, ne diffèrent pas des traduction est fautive, et que le texte grec
morts prions donc pour les morts ' ? »
; porte, non que les enfants ne sont pas souillés
Sur la grâce et sur la déchéance, Chryso- par le péché, mais qii'//s n'ont pas de péchés'^
stome est moins explicite. Il parlait dans un c'est-à-dire, comme l'indique la suite du dis-
pays que Marcion, Valenlin, Manès avaient in- cours, de péchés propres et personnels. Lais-
fecléde leurs erreurs'. Anliochecomptait dans sons parler l'évêque d'IIippone:
son sein beaucoup de M ircionites, et tout ré- a Oses-tu, dit-il au docteur jiélagien, oses-tu

cemment encore il avait fallu sévir contre les opposer ces paroles du saint évêiiue Jean au té-
Massaliens. Le sentiment des malheurs publics moignage de ses nombreux et illustres collè-
aggravait l'induence des mauvaises doctrines gues, et le séparer de leur société, où règne
sur les âmes faibles, faciles à troubler, cl tou- une si parfaite concorde, comme s'il était leur
jours disposées à s'abdiquer elles-mêmes, à adversaire? A Dieu ne plaise qu'on pense ou

Cbr;!., Bom. 41 lur la !'• lux CoriDth., d. 4 et 3.


, Chryi.,—
Bom. 3, mr l'ép. aux Fbilipp., o. 4. • s. Aog. conir. Jid., I. 1, n. 21, t. 10, op. p. 510.
* Les pratiques les plusinfâmes des Manichéens avalent des imita- ' Voir aux Pifceajusll/icalivei.
le'irs parmi les chrétiens d'Antioche. Qi '/vp i'/fiph-i /ai irrtÇîw/çv
insxinroiii ri fiùii (Chryi., in cap. 5, tf. ad Gai., t. 10,p.717). J/ovT*(S. Aug., ibii., p. 510.)
.

218 HISTOIRE DE SÀlNT JEAN CHRYSOSTOME.

qu'on dise pareille chose lYun si grand bommc I encore la doctrine, il s'exprimait avec plus de
A Dieu ne plaise que Jean de Constantinople ait sécurité.
sur le baptême des enfants, sur leur libération a Veux-tu savoir, en comment il parle effet,

de la dette paternelle par Jésus-Christ, une opi- sur ce sujet dans un autre endroit et d'une
nion contraire à celle de tant et de si grands manière fort claire? Oui, je l'ajoute au nombre
évéques Innocent de Rome, Cyiirien de Car-
: des saints que je nommais tout à l'heure; oui,
tbage, Basile de Cappadoce, Grégoire de Na- je le comfite parmi mes témoins, ou plutôt je
Ambroise de Milan 1
zian/e,Hilaire des Gaules, prends pour juge celui dont lu te fais un pa-
Ily a d'autres points sur lesquels les plus sa- tron. Vas-tu dire qu'il fut Manichéen, lui aussi?
vants et les plus dévoués défenseurs de l'en- Entredonc, bienlieureuxJcan, entre et prends
seignement catholique peuvent, sans s'écarter place au milieu de tes frères, dont aucun mo-
de la foi, n'être pas d'accord entre eux, en sorte tif, aucune épreuve ne t'a séparé. Il nous faut
que l'un parle sur telleou telle matière mieux aussi et surtout ton avis, puisqu'il plaît à ce
et avec plus de vérité qu'un autre. Mais le jeune homme de prétendre qu'il a trouvé dans
dogme dont il s'agit ici touche aux fondements tes écrits de quoi réfuter et mettre à néant la
mêmes de la doctrine. Quiconque entreprend doctrine de tant d'illustres évoques, tes col-
d'affaiblir la force de ces paroles de l'Ecriture : lègues. Si ce qu'il assure était vpai, je le dis,

Tousmeurenl en Adam, tous revivront en. Jésus- sans blesser le mémoire, jamais
respect dû à ta
Christ, ébranle par cela même tout l'édifice ta seule opinion ne prévaudrait sur celle de

chrétien. D'une manière absolue, Jésus-Christ tant et de si grands docteurs, dans une chose
est le sauveur des petits enfants ; d'une ma- où la foi chrétien ne et l'église catholique n'ont
nière absolue, les petits enfants périront, s'ils pas varié. Maisà Dieu ne plaise que toi, d'une
ne sont pas rachetés par lui. Voilà ce que Jean autorité siéminente dans l'Eglise, tu aies pensé
a pensé, ce qu'il a cru, ce qu'il a appris et en- autrement qu'elle! Parle donc, confonds ce
seigné. Et toi, tu tortures ses paroles pour y jeune homme qui veut me trouver en faute, et
trouver tes erreurs Il a dit que les petits en-
! veuille bien me pardonner si je te mets en
fants n'avaient pas de péchés qui leur soient cause, car une fois qu'il aura connu ta vraie
propres, et c'est pour cela qu'avec raison nous pensée, c'est à toi qu'il s'attaquera' ».
les appelons innocents, selon celte parole de Augustin continue en citant plusieurs pas-
l'Apôtre Que n'étant pas encore nés, ils n'ont
: sages de Chrysostome, où la doctrine sur la
fait ni bien ni mal, non selon ce qu'il dit dans déchéance est parfaitement exprimée, celui-ci
un autre endroit: Que par le péché d'un seul entre autres d'une lettre à Olympiade :« Après
tons les hommes so7il devenus pécheurs. Jean, qu'Adam eut commis ce grand péché, qui en-
comparant lesenfantsaux personnes plusâgées, traîna la damnation commune de tout le genre
auxquellesleurs propres péchés sontrernisdans humain, il fut puni parles atfliclions qu'il eut
le baptême, dit qu'ils n'ont pas de péchés, et à souffrir» Et le docteur de la gi âceargumente
.

non, comme tu lui fais dire, qu'ils ne sont pas avec force de ces paroles pour en faire ressortir,
souillés par le péché du premier homme mais ; avec la pensée de Jean, la vérité catholique.
c'est au traducteur plutôt qu'à toi que ce re- Puis, opposant aux Pélagiens le discours même
proche s'adresse » qu'ils alléguaient, il ajoute : «Dis maintenant,
Ici, saint Augustin cite le texte grec mal Julien, pourquoi hésites tu à le dire, dis qu'il
rendu dans la traduction latine, et il continue: fulM.nichéen aussi, puisqu'il croit à l'abaisse-
« Tu vois bien que ce qu'il dit, ce n'est pas (|ue ment, à la condamnation de la nature hu-
les enfants ?7e so;/f point souillés par le péché maine dont toi et les liens vous défendez l'in-
ou par les péchés, mais qu'//s n'ont point de nocence. Ou plutôt, change d'avis, et coin prends
péchés, c'est-à-dire de péchés propres, en quoi dans quel sens il a pu dire queles petits enfants
nous sommes tous d'accord. Mais, diras-tu: n'ont pas de iiéchés, non qu'ils ne soient pas
Pourquoi lui-même n'a-t-il pas ajouté ce mot, liés par le péclié de nos premiers parents, mais
péchés propres? Parce que, ce nous semble, parce qu'ils n'onlconimis()ersonnellement au-
parlant dans l'Eglise catholique, il ne croyait cun péché. Et cela, tu l'aurais pu trouver dans
pas qu'on pût donner à ses paroles un autre l'homélie même que tu objectes, si tu l'avais
sens; parce que nul alors n'avait remué ces lue tout entière. Qu'y a-t-il de plus clair, en
questions, et que vous-mêmes n'attaquant pas •
s. Au£., I. 1, cont. Jul., n. 22, 23, t. 10, p. 510, 511.
CHAPITUE DIX-SEPTIÈME. 219

effet, que ces mots qu'elle renferme : Jésus- etil ajoute qu'on vil toujours dans
l'église de
Christ est venu oit înoiide, et 7i'ius a trouves Constantinople la tradition du péclié originel
l'es p'irune cédule fraternelle écrite de lu main venue de Sisinuius, d'Atticus, el enfin très-
d'Adam. L'orii/inede la dette remonte à celui- expressément de saint Chrysostome; et voilà
ci, mais nous l'avons accrue pir >u)s propres pounjuoi, ajoule-l-il, le pape saint Ccicstin
péc/iés. —
Tu le vois, Julien, cet liomnie, qui n'hésite pas à le proposer comme étant ime
cotinaît el qui enseigne la foi callioli )ue, dis- source de cette tradition, loin qu'on le soup-
lin>;iie avec soin la dtlle de la cédiili; paler- çonnât d'y être contraireou de l'avoir obscurcie,
Delle. qui devient notre dette héréililaire, de a Je trouve encore, poursuit le grand évèque

ces autres délies qui se sont accrues par nos de Meaux, dans la lettre du pape saint Zozime
péchés. Comprends tu maintenant ce (jue le à tous les évèques contre les Pélagiens, une
La|i(ème remet au\ petits enf.mts (lui n'ont pas expresse et honorable mention du même Père.
contracte de dette personnelle, mais qui sont On ne l'eût pas été chercher pour le nommer
lies par la dette paternelle? Le grec porte tex- en cette occasion, si son témoignage contre
tuellement '
: Notre délie paternelle. Or. pour- l'erreur n'eût pas été célèbre.
Son autorité était
quoi ce mot notre? Pourquoi ne pas se con-
: si grande en Orient, qu'elle y eût partagé les
tenter de dire la dette paternelle? N'est ce
: esprits. On voit cependan que rien ne résiste ».
l '

pas pour marquer qu'avant d'être aggravée par Et maintenant n'est-il pas téméraire et ridi-
nos pèches, la dette primitive nous obhgeait cule de chercher dans Chrysostome un précur-
par la cédule de notre père'? » seur des Pélagiens? Non, il n'a pas erré sur un
Le docteur de la grâce exliait des livres de dogme aussi fondamental que celui de la dé-
Chiysostomed'autreï^ témoignages qui lui sem- chéance, le grand docteur qui s'exprime ainsi:
blent plus clairs que le jour ' pour établir l'or- a Un bon médecin ex|)Iore la racine des mala-
thodoxie de son illustre collègue, et concluten dies, il remonte toujours à la source du mal :

ces termes Peux tu douter, après cela, que


: a ainsi fait saint Paul. Après avoir dit que nous
le s.iint cvèqueJean ne soit aussi éloigné de tes avons été justifiés,... il s'enquierl de l'origine
sentiments qu'il estatluché a la foi de l'Eglise? de la mort, du principe de son empire. Com-
Dans pour expliquer celte pa-
tout ce qu'il dit ment donc la mort est-elle entrée dans le
role de l'Apôlre
Le péché est entré dans le : monde? Comment y a-t-elle régné? Par le
monde par un seul homme, peut-on trouver péché d'un seul homme. Que veut-il dire par
un mot qui favorise ta doctrine? N'enseigne-t- cette parole en qui tous ont péché ' ? Le
:

il pas que le péché d'Adam n'a pas été seule- premier homme tombé ceux-là mêmes qui ,

ment funeste par l'exemple donné, mais parce p.'avaient pas touché à l'arbre interdit sont
qu'il a infecte la nature humaine, et que nous devenus mortels par son péché.... Ce n'est pas
en sommes tous souillés par le fait même de le péché qui consiste dans la trangression de
notre naissance* ?.. Elc'esl a un homme comme la loi, c'est le péché de la désobéissance d'Adam

Celui-là, à un si grand défenseurde la foichré- qui a tout perdu. Où en est la preuve? Dans la
tienne et du dogme catholique, que tu oses im- mort de tous les hommes qui ont vécu avant la
puter les erreurs de ton maître ' I » loi. C'ir la mort a régné depuis Adam jusqu'à

A ce beau plaidoyer
n y a pas de réplique il Moïse, même à l'é'jard de ceux qui n'ont pas
possible. Quiauraitle droitd'ètre plus exigeant péché^. Comment at-elle régné ? Elle a régné
que saint Augustin en matière d'enseigne- , sur les hommes
qui n'ont pas péché par
ment? Bossuel aussi s'est fait l'avocat de Jean. une transgression semblable à celle d'Adam,
Après avoir cité un passage de Nestorius, où il qui est la figure du fntur *. C'est pour cela
est dit que quiconque no p'is rrçu le baptême qu'Adam est le type de Jésus-Christ. Comment
demeure lié par la cédule d .Adam, il tait re- letype? Parce que, de même qu'Adam est de-
marquer avec raison que ces paroles viennent venu par sa désobéissance la cause de la mort
comme une phrase héréditaire de Chrysostome, pour tous ses descendants qui n'ont pas mangé
dans la chaire duquel Nestorius les prêchait; du fruit défendu, Jésus-Christ a été pour ceux


s. Aog., 1. l, cont. lut., n. 26, p. 512. qui ne menaient pas une vie juste la cause de
la justice dont il nous a gratifiés par sa croix ;
fri ïyfiT-^c, «»,</. (S. Aug. /oc. cil. p. 513.)
S. Au»., i*., p. 113. — •
S. Aog., i*., p. 114. — '
S. Aug. ib., Boisuet, Défeo. de la Tradit., eic, 1. 8, e, 10. —* Ai Itom ,

p. }1S. c. 5, T. 12. — Ad flom., c. 5, t. 11, — * Ad Bom., t. 5, t. 1<,


220 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

aussi l'Apôtre ne parle-t-il jamais que d'un seul jection des Juifs. Se peut-il, disaient ceux-ci,
homme. Cuiimie le péché est entré dans te que le dévouement d'un seul soit le salut de
monde par un seul homme. Si nous som- — tons? 11 leur répond avec suint Paul: Si le pé-
mes lotis morts par un seul homme. — Comme ché d'un seul nous a tous perdus, pourquoi le
la mort a régné /:ar un seul. Si le crime — mérite d'un seul ne pourrait-il nous sauver
d'un seul a provoqué la condamnation de tous. tous? Les Juifs répliquaient: La mort d'Adam
— Et encore Comme la désobéissance d\in
: a causé, la mort de tous les hommes, nous l'ac-
seul 710US a rendus tous pécheurs. 11 ri'pète — cordons; mais prétendre que |)ar lapiévarica-
ce mot seul, afin qu'au Juif qui vous dira : tion d'Adam tous les hommes sont devenus
Comment l'univers peut-il être sauvé par la pécheurs, n'est-ce pas absurde? Sur quoi,
mort du seul Jésus-Christ? vous disiez à voire l'éloquent exénète fait observer qu'en violant
tour : Comment la désobéissance du seul Adam les ordres de Dieu, le premier homme n'a pas
a-t-elle perdu toutlegenre humain? El cepen- entraîné ses descendants à violer à leur tour la
dant il n'y a pas de pariléà établir entre le péché loi de Dieu,à devenir eux mêmespécheursdans
et la grâce, entre la mort et la vie, entre Satan le sens ordinaire du mol, par un acte peccami-
et Dieu Si vous voyez tant de puissance
1 neux, volontaire et t)ersonnel. Mais il n'est pas
dans le péché d'un seul homme, la grâce, et la moins certain que, puisque tout le genre hu-
grâce de Dieu, non du Père seul, maisduFils, main est frappé depuis Adam, c'est qu'il porte
nesera-t-elle pas plus abondante? Ceci estjjlus la peine du péché d'Adam, c'est qu'il est dis-

conforme à la raison. On trouve peu d'équiléà gracié et condamné pour le pi ché d'Ad.im. La
voir un homme puni pour un autre; mais croire grâcede Jésus-Christ doit donc detruired'abord
qu'un homme peut être sauvé à cause d'un cet antique péché, ce péché d'origine, avant
autre, c'est plus convenable et plus rationnel. de détruire les autres. Qu'on rapproche le pas-
Si un seul homme a perdu tous les hommes, à sage allégué de ce qui le précède et le suit dans
plus juste titre un seul les a sauvés tous. Et il le même discours, et l'on restera convaincu
n'en est pas du don de Dieu comme du criiyie que non-seulement Chrysostome n'est pas con-
de l'homme; car nous avons été condamnés par traire au dogme de la chute, mais qu'il l'en-
la Sagesse divine pour un seul péché, au lieu seigne et l'ex pose de la manière la plus formelle,
que nous sommes justifiés par la grâce après la plus catholique '.

plusieurs péchés '. Que veut dire saint Paul? On reproche d'autres paroles. En effet,
lui
Que le péché a pu produire la mort et la dam- expliquant, dans la trente-neuvième homélie
nation, et que la grâce a détruit non- seulement sur première épître aux Corinthiens, ce mot
la

ce péché (primilil), mais tous ceux qui ont été de l'Apôtre De même que tous meurent en
:

commis après celui-là'....» Adam, ainsi tous revivront en Jésus-Christ *,


II est vrai qu'après avoir parlé clairement de Jean s'écrie : « Je vous le demande : Est-ce que
lafouillureoriginelle,Chry?oslomeparaits'em- tous les hommes sont moris en Adam de la
barrasser en d'autres endroits. On a cité, par mort du péché? Noé ne fut-il pas juste? Et
exemple, ces mots de dixième homélie sur
sa Abraham, et Job, et tant d'autres? Mais, quoi 1
l'cpître aux Romains : « le premier homme
Que tous les hommes revivront-ils en Jésus Christ?
ait péché, qu'il soit mort, et que par suite ses Où sont donc ceux qui vont à la géhenne? S'il

descendants soient tous mortels, il n'y a là rien est question du corps, je comprends. S'il s'agit

d'absurde. Mais que la désobéissance d'un delà justice et du péché, c'est autre chose'».
homme rende les autres pécheurs, cela est-il Pour saisir la vraie signification de ce pas-
raisonnable?... Il me semble que ce mot pé- sage, il faut se rappeler que le saint orateur
cheurs, dans la bouche de l'Apôtre, ne signifie était en présence des Manichéens et des Massa-
autre chose que des hommes soumis à la jus- liens. Selon ces derniers, l'homme a deux
tice divine, condamnés à mort' », âmes : Tune commune, l'autre céleste; dès
Isolées du contexte, ces paroles ont, en effet, qu'il pèche, il perd l'âme céleste, et le démon
quelque chose de choquant; lues à leur place, s'unit à lui substantiellement '; le baptême ne
elles sont parfaitement orthoiloxes. Jean for- peut rompre cette fatale union, ni lui rendre
mule ici, non sa propre pensée, mais une ob-
' Chrys., Hom. 10, sur I'ép. aux Rom. — ' 1 ad CorinM., c. 15,

* Ad JJom., V. 15. —
" Chrys., Bom. 10, sur lep. aux Hom., n. 1. T. Î2. — ' Chrys., Hom. 3a, sur la l'« «ux Connlh,, n. 3.
— *
Chry5., Eom. 10, sur î'ép, au- Rom., n. 3» ' OÙff£»Ô'wî.
CHAPITRE DIX-SEPTIÈME. 2-21

la vie une fois qu'iU'aperdiiepn perdant l'âme ois, les plus éclatants ! Du reste, les porolcs

céleste. It'anlre part, les Miniiliéeiis niaient à suivantes de Bo-^suet ré|iondenl à toutes les dif-

la fo's le libre arbitre de l'Ii-mine et le retour ficultés : « Si l'on demande à (|uoi servait à
des morts à la vie, et prélcmlaient (lu'.iucun Chrysoslome de distiiij;uer le péché actuel de
péclié ne vient de notre propre cboix. or, lisons l'originel ; cela lui seivait à montrer qu'il y
en entier l'homélie dont nous n'avons cité i|ue avait un libre arbitre, et par conséquent un
trois lignes, nous y verrons que le butde l'ora- péché de propre délerminition, de propre vo-
teur est d'établir contre les disci|)les le Manès lonté, de [)ropre choix ce que niaient les
;

le dofrme de la future résurrection, au moyen Gru)stiques et les Manichéens, qui attribuaient


des passages célèbres de saint Paul, passages le péché à une nature mauvaise les uns, qui :

dont ils ne contestaient pas l'autorité, mais étaient les Gnostiques, en disant qu'il y avait
qu'ils expliquaient dans un sens purement mo- des hommes de différente nature, dont quel-
ral. C'est contre celte interprétation arbitraire ques-uns étaient essentiellement mauvais; et
et inadmissible que CInysostnme argumente, les autres, qui étaient les Tiîuiicbéens, en attri-
el prouve(jueiel uigage del'A|iôlre doilétre
il buant le pcclié àce principe mauvais qu'ils re-
entendu de la résurnction des corps ou (ju'il connaissaientindépendanldeDieu même, sans
n'a pas de sens. 11 veut, comme il rindi(|ue que ni les uns ni les autres voulussent avouer

plus bas ', pousser à l'absurde ses adversaires. un libre arbitre,ni par conséquent aucun pé-
Pensant aux Massaliens, il demande si tous les ché qui vînt d'un (iropre choix. Il lui était donc
hommes sont morts en Adam
dans lesenscjue important de montrer aux uns et aux autres,
le veulent ces liéréliques, c'est-à-dire s'ils ont non-seulement (ju'il y avait des péchés de
tous perdu leur âme céleste, et si, par consé- propre choix, mais encore que le piché venait
quent, voués au mal par leur nature mauvaise, de là naturellement, puisque même le péché
ils sont tombés dans le péché sans pouvoir s'en d'Adam, qui passait en nous avec la naissance,
défendre. S'il en était ainsi, dit-il, pourquoi était dans la source et dans Adam même un

Noé, Job ettanld'aulres sont-ils appelés justes? péché de propre volonté, qui, dans cette préci-
Si, privés de l'âme céleste, unis substantielle- sion et ce sens, ne venait point jusqu'à nous.
ment au démon, ils ont mené forcément une C'est donc ce qui lui fait dire en un certain
vie souillée, l'Eciiture ment. Si, au contraire, sens qu'on n'a point péché en Adam. De cette
ils ont pratiqué la justice, ils n'étaient pas manière singulière de pécherqui consiste dans
morts, au sens des Massaliens ; et alors, sup- l'acte même
et dans le propre choix, cela est
posez que l'Apôtre ne parle que d'ime résurrec- vrai en excluant toute tache de péché généra-
:

tion morale, comment peuvent-ils ressusciter? lement, on a vu tout le contraire dans saint
D'autre part, si la résurrection consiste seule- Chrysostome.
ment à reprendre l'âme céleste perdue par le « Et afin de tout expliquer par un seul prin-

péché, pourquoi saint Paul dit-il que tous les cipe, il faut entendre qu'y ayant deux choses
hommes seront ressuscites? Tous les hommes dans le péché, l'acte qui passe et la tache qui
reprendraient donc un jour leur âme céleste, demeure, par laquelle aussi celui qui cesse de
et il n'y aurait plus de géhenne. Tel est le rai- faire l'acte, demeure coupable et criminel,
sonnement de Chrysostome, pou rétablir, contre l'intention de saint Chrysostome est d'exclure
les sophismes de l'hérésie, le vrai sens des pa- des enfants ce qu'il y a d'actuel dans
d'Adam
roles de rA[)ôtre sur la résurrection des morts ;
son péché, c'est-à-dire la manducation actuelle
et l'on voit qu'il n'est pas question ici de la du défendu, et non pas ce qu'il y a d'ha-
fruit
chuteoriginelle'. bituel et de permanent, c'est-à-dire la tache
Ainsi, en se plaçant au pointde vue du grand même du péché, qui fait qu'après avoir cessé
docteur, toute ombre s'évanouit, el il demeure de le commetlre, on ne laisse pas d'en demeu-
certain,non-seulemenlque son enseignement, rer toujours coui)able. Pour ce qui cstdoncde
irréprochable de tout point, ne renferme rien l'acte du pèche d'Atiam, il n'a garde de passer
dont on puisse abuser contre la vérité, mais à ses enfants ou d'y demeurer, piiisqu'ilnede-
qu'il présente, au contraire, sur tous les meure pas en .\dam même, et c'est tout ce que
dogmes de la foi, les témoignages les pluspré- veut dire saint Chrysostome; mais, qnantàce
qu'il y a d'habituel etde permanent dans le pc-
* Cbryi., B<m. 39, lar It Irt lux Coriolb., a. 4. — P«r*o<, Dt
htmin., e. 4, objeci. I, iiii. 3. ch«, ce saint docteur l'exclut si peu, qu'au «00-
. .

Î2-2 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

traire il le présuppose comme le fondement Lisez le contexte, et la difficulté disparaît.


des peines et de la mort infligées à l'huma- Evidemment le que
saint docteur a voulu dire
nité '
». la grâce ne sauve l'homme qu'avec le concours
Sur le dogme divin de la grâce, Chrysostome libre de l'homme. Sa pensée est celle-ci Il est :

n'a pas pas plus erré que sur celui de la chute. indispensable que vous vouliez vous-même
Toujours en présence des adversaires du libre votre salut, pour que Dieu vous mette en pos-
arbitre, Valentiniens, Marcionites, fatalistes et session de votre salut, car il n'entend pas con-
autres, il aimeà rappeler que, maîtresde nous- traindre votre libre arbitre ni passer par-dessus
mêmes, nous agissons librement dans le bien votre volonté. Votre salut est son œuvre, mais
comme mal; et généralement il fait
dans le il est la vôtre aussi. Le Créateur y a par sa
plus d'attention aux endroits des Saints Livres grâce la part la plus grande, mais il exige que
qui traitent de la liberté morale de l'homme, la créature y ait la sienne par une vraie coopé-
qu'à ceux où il est parlé de notre impuissance ration.
à nous relonrner vers Dieu, à gagner le ciel Je.in s'en expliqueclairement ailleurs: «Tout
par nos propres forces, sans un auxiliaire di- vient de celui qui appelle rien, en
ici, dit-il, :

vin. Mais, quelle que soit son application à quelque sorte de celui qui est appelé, si ce n'est
mettre en lumière la doctrine du libre arbitre, qu'ilobéit... De nous-mêmes nous n'avons rien
il ne laisse pas de proclamer fréquemment et fait de beau, mais par la volonté de Dieu nous

dans les fermes les plus clairs, les plus éner- avons trouvé le salut, et nous avons été appe-
giques, l'absolue nécessité de la grâce pour lés parce qu'il lui a plu, non parce que nous

commencer aussi bien que pour finir l'oeuvre étions dignes... Obtenir le salut parla foi n'est

du salut. A tout instant vous trouverez dans ses pas une chose de l'homme, car ce n'est pas
homélies des paroles comme celles-ci « Il nous : vous qui, les premiers, vous êtes approchés,
est impossible de faire parfaitement aucun mais vous avez été appelés... C'est pourquoi
bien, si nous ne recevons d'en-haut le secours saint Paul écrivait aux Ephésiens Vous avez ;

de la grâce'... Une grâce spirituelle nous est été sauvés par la grâce an moyen de la foi. Et
indispensable pour nous élever aux choses cé- cela ne vient pas de vous la foi ne vient pas ;

lestes '... Non seulement dans les difficultés et tout entière de vous. Vous n'avez pas prévenu
les périls, mais dans ce qui est le plus aisé, la en croyant, mais appelés vous avez obéi '».
grâce coopère avec nous et partout nous porte Voici quelque chose de plus formel peut-
son aide *. La volonté n'agit pas sans elle '.... être. Dans son commentaire sur la deuxième

Nus bonnes actions ne sont pas de nous, elles épître aux Corinthiens, Chrysostome nous fait
proviennent de la grâce*, qui nous est néces- connaître l'une des prières dont se composait
saire pour arriver à la foi par laquelle nous alors le service divin. Après avoir dit que le

croyons ' et même pour prier Dieu, nous


; diacre debout, tourné vers le peuple, pronon-
avons besoin qu'il nous l'enseigne et nous çait ces mots : Prions pour les catéchimiènes,
l'inspire, tant l'homme est faible, tant de lui- il rapporte textuellement l'oraison par latiuelle
même il n'est rien ' I l'E.ulise répondait à l'appel du diacre. Nous la

Sans doute, Chrysostome ne parle pas tou- transcrivons ici: a Qite le Dieu bon et très-mi'
jours avec la même précision. Voici, entre séricordieux exauce leurs demandes, qu'il leur
autres, un passage qui semble le mettre en ouvre les oreilles du cœur, et qu'ils eniendent ce
contradiction avec lui-même o II nous faut : que l'œil n'a pas vu, ce que l'oreille n'a pas
d'abord choisir le bien, et alors Dieu nous ap- entendu, ce qui 7i'est pas monté au cœur de

porte ce qui est à lui. 11 ne prévient pas nos l'homme ; qu'il fasse pénétrer dans letir âme
volontés afin de ne pas ruiner notre libre ar- la parole de vérité, qu'il y sème sa crainte et
bitre... Elire et vouloir, c'est notre affaire : co'ifîi'me sa foi ; qu'il leur récèle l' Evangdede
Celle de Dieu est d'achever et de conduire au la justice ; qu'il
leur doîine un e prit tout di-
but • » vin, de chas es pe sées, une vie pure, et de s'oc-
cuper de lui sans cesse, de méditer sa lui nuit et

Bossuet, Défens. de la Tradit. et de» SS. Pères, 1. 9, c. 7. —
• Chiys., Bom. 2b, sur la Gènes., n 7, el hom, 5 , sur la Oenès., jour ' B
5. — '
Id., Bom. 2, sur S. Matlh , n. 5. — ' 7 '., sur lép aux
saint exégète fait les n flexions
Pom., Bum. 14, u. 7. ' lil.. — Bom. 87, sur S. Matlh.. n. 4. — Sur quoi, le
• là., sur la l'e auv Corinih., Hom 12, n. 2. — ' Id. >ur le ps. 1
15,

D. :;. —' Jd., sur i'ey. aux hum., i/'ei». il, a. 7. — * id., 2Jum. 12, Chrys., sur la Ire aux Cunnth., J3om, 1, D. 1. — ' Id., J30m, 2,

|ur rép. âus H.Vr, ta: la 2c aux CjriDtU.


CHAPITRE DIX-SEPTIÈME. 223

siiîvanlps : « Ce ne serait pas assez que Dieu ner confiance, saint Paul nousrappelle que Dieu
seniàl seulement, si n liesemence étail île fait tout ; cai Dieu veut que nous vivions selon
sa volonté. il agit en nous
Voulant cela de nous,
celles qu'on jille sur le> cticmins ou sur îles
rochers où elle ne preml pas: ce n'est pas aussi et nous porte à agir avec lui '... Vousvoyezque
cela que nous di-mandons |ionr les calécliu- rA|iôtre ne vous enlèse nullement votre libre
niènes; mais qu'il fas-e en eux ili'S sillons par arliitre ».

lesquels Celte semence céleste entre bien avanl; Nous pourrions multiplier ces témoignages*.
en sorte (]ue, renouvelés dans le fond de l'âme, Ceux-ci nous paraissent suffire pour indiqnerla
non-seulemenl ils la reçoivent, mais encoie vraie pensée de Chrysostome et justifier son
qu'ils la retiennent avec soin voilà ce que : enseignement. Les tlieologiens qui l'ont accusé
nous demandons.... Ou voit dans cette prière d'inexactitude, avaient-ils plus de clairvoyance
deux voiles sur rEvan^Mle.l'un si nous fermons en matière de foi que le docteur de la grâce,
les yeux, l'autre si on ne nous le montre pas... qui adonné tant d'éloges à la doctrine de son
Car, alors [iièmeque nous serions disposés à le illustre cidlègue, ou plus de sollicitude pour le

recevoir, il nous sera inutile si Dieu ne nous dépôt sacré de la Tradition que le pape saint Cé-
le découvre et quand Dieu nous le découvrir
;
lestin, qui recommande à toute l'Eglise la
rait, il ne nous apporterait aucun fruit si nous science et l'autorité de l'évéque Jean, desainte
le rejetons; nous demandons donc l'un et mémoire ' ?
l'autre ' ». Du exprime suffisamment sa haine
reste, il

Ailleurs, Jean cite ces paroles de l'Apôtre : du Pélagianisme, dans ces quelques mots qui
C'est Dieu qui opère en nous le vouloir et le terminent sa quatrième lettre à Olympiade :
faire, et il ntroduitdansle discours un inter- Ce que j'apprends du moine Pelage me causa
locuteur qui fait à saint Paul cette objection : une giande douleur. Quelles couronnes méri-
t Si c'estDieu qui produit en nous notre vo- tent donc ceux quisont restés vaillamment de-
lonté, pouiquoi nous exhoi ter? Pdurquoi nous bout sur le champ de bataille, quand des hom-

dire que nous avons obéi ? Pourquoi nous par- mes qui avaient vécu dans la piété sont ainsi
ler de crainte et Aetremblement Tlowi, en ef- entraînés ' ? »

fet, vient de Dieu ». La réponse (;ue l'orateur Il estun autre point sur lequel le
toutefois
met dans la bouche de l'écrivain inspiré est di- langage de Chrysostome a besoin d'être expli-
gne de remarque. « Ce n'est point dans cette qué.
vue que j'ai prononcé ces paroles: Dieu opère Evidemment, le libre arbitre et la pénitence
en notis le vouloir et le faire, mais afin de cal- sont les deux grands pivots de sa prédication.
mer voire anxiété. Si tu veux. Dieu opérera ton D'une part, une foule d'esprits plus ou moins
vouloir que celte crainte ne te tourmente pas.
: atteints par lesdoctrines gnostiques,ou imbus
C'estlui qui donne la bonne volonté et l'action. des vieux préjugés de la fortune et du destin,
Lorsque nous aurons voulu, il augmentera en- se croyaient fatalement esclaves du péché et
core celte bonne volonté. Ainsi, par exemple, s'arrangeaient de celle servitude. Jean s'appli-
je veux faire quelque bien, c'est lui qui opère que à leurdémontrer qu'ils sont libres, maîtres
ce bien, et parce bien il opère aussi la volonté. d'eux-mêmes, et que Satan n'a sur eux d'autre
— La piélé de saint Paul, poursuit Clirysostome, puissance que celle qu'ils veulent bien lui don-
l'a porté à nous parler ainsi, comme il fait ail- ner. Raisonnements et exemples, l'orateur em-
leurs quand il dit que nos boimes œuvres sont ploie tout pour les convaincre; et ce point, sur
des dons de Dieu : par quoi il n'entend pas nier lequel repose l'œuvre entière de son a|)Ostolat,
notre libre arbitre,maissous l'action de la grâce lai semble tellement important, qu'il y revient
il admet la libre possession de nous-mêmes. presqueà chaque discours sans se lasser jamais,
Ainsi encore, quand il dit ici que Dieu opère sans craindre de lasser les autres. Mais en rap-
en nous le vouloir, il ne nous prive pas pour pelant au chrétien la dignité de sa nature, en le
celade notre liberté, mais il nous montre qu'en forçant a s'estimer lui-même, il laisse danslcj
faisant le bien nous acquérons une volonté plus 'Cbrys., Bom. 2, «ur l'ép. aux Pbilipp. n. 2. — ' Voir VSom, 40,

ferme pour le faire encore '... Pour nous don- ur S. JoanD, {alias \^) a. t.
C'onct/., t. 3, col. 305;
' nous examinerons ailleurs le r«procb(
fait à Chrysostome d'avoir élé le
précurseur de Nes(oriuB.
*ChrTi., 0. • tridiictioD d« Boiiaet dans la Dércnio de
; la Tradi- • Chrya., ep 4, ad Otym., iti fin. \ nul doute qu'il ne s'agisse Ici dfl
Uen dti SS. Pir«i, 1. 10, c, 1), Çbrjl., Som, », ig' ^ i'if. aux rhérésiarquc de ce uoni. Celte lettre est écrite en *07, peu aTaul \\
fiiiii|.|>. a. l.
8?l HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

pénombre la grâce dont il a proclamé la néces- a Comment veux-tu obtenir grâce pour tes
sité. D'autre part, bon nombre de ses auditeurs crimes, si tu t'obstines à ne pas les confesser?
sans être fatalistes, alléguaient lesfautes mêmes Sansdoute il a besoin de pitié et de miséricorde,
où ils étaient tombés pour se dispenser d'en celui qui est coupable. Mais toi, qui ne conviens
sortir; ils avaient trop offensé Dieu, pensaient- pas encore de tes torts, comment prétends- tu
ils,pour en espérerle pardon. Les doctrines de avoir droit au pardon, quand tu n'as aucune
Montan, de Novatien, n'étaient pas étrangères à honte d'avoir péché ? Persuadons-nous nous-
cette malheureuse disposition. La lâcheté s'é- mêmes que nous avons offensé Dieu disons-le ;

tayaitsur le rigorisme et préférait s'abandonner non- seulement de bouche, mais dans la con-
au courant que d'essayer de le remonter. A de science ne nous bornons pas à nous avouer
;

tels hommes, Jean prêche la pénitence, son ef- pécheurs, mais passons en revue nos fautes,
ficacité, ses consolantes merveilles, les trésors énumérons-les une à une. Je ne t'ordonne pas
d'espérance qu'elle ouvre au pécheur. Mais d'en faire publiquement l'étalage, ni det'accu-
parce qu'il veut aplanir les voies de retour, ôter ser devant tes semblables, mais d'obéir au pro-
au découragement lont prétexte, il célèbre les phète qui dit : Révèle au Seigneur ta voie '.

facilités de la réconciliation et cette infinie mi- Alui fais l'aveu de tes péchés, confesse-les à ton
séricorde qui se contente d'un regret, d'une juge, de manière à ce qu'il ait compassion de toi.
larme, d'un élan du cœur, et il laisse dans un Si tu les as toujours présents à ton esprit, tu ne
demi-silence la confession sacramentelle. De là haïras pas ton prochain, tu ne garderas pas
des paroles dont le protestantisme s'est fait une souvenir de l'injure qu'il t'a faite. Il ne suffit
arme. Nous ne devons pas les cacher au kctuur. pas de reconnaître que tu es coupable: ce qui
a Je vous exhorte, dit-il, avec insistance, avec te rendra plus humble, c'est de l'examiner avec
prières, de vous confesser souvent à Dieu. Je ne soin et en particulier sur chacune de tes ac-

le livre point en spectacle à tes compagnons de tions ' ».


servitude, je ne te force point à révéler tes pé- Qu'induire de ces paroles? A l'homme qui
chés aux hommes. Dévoile ta conscience au Sei- veut s'affranchir du joug du péché, Chryso-
gneur, montre-lui tes blessures, implore de lui stome recommande de rentrer en lui-même,
les remèdes. Découvre-toi à celui qui guérit, d'interroger sérieusement sa conscience, de se
non à celui qui reproche; tu te tairais, qu'il mettre sous les yeux ses erreurs, d'en faire
sait tout. Parle-lui donc dans ton intérêt, afin l'huuible aveu devant son juge et son maître
qu'ayant déposé ici tes aveux, tu t'en ailles pu- avec des prières et des larmes. C'est le premier
rifié, pardonné et affranchi de cette intolérable symptôme du repentir, la première condition
divulgation publique '... du pardon. Mais pour rendre plus facile le re-
Rien n'est funeste au péché comme de l'ac-
ff tour, le charitable pasteur écarte la confession
cuser, de le condamneravec un repeLitirmcIé publique propre à épouvanter bien des âmes.
de larmes. As-tu condanmé tes fautes, tu en as S'il se tait sur la confession sacramentelle, s'en-
déposé le fardeau. Qui enseigne cela ? Dieu lui- suitil qu'il la repousse aussi, ou qu'elle ne fût
même Dis tes péchés le premier pma- être jus-
: point exigée? Rien dans les passages allégués
tifié. Pourquoi donc rougir, pourquoi avoir n'autorisecette conclusion. On pourrait même,
honte de confesser tes fautes? Est-ce que tu les à la rigueur, y signaler dans tel ou tel mot, une
dis à l'homme pour qu'il t'en fasse des repro- allusion à la confession secrète. En tous cas,
ches? Est-ce que tu lesavoues à ton compagnon Chrysostome s'en explique ailleurs de la ma-
deservitiide pourqu'ilaille lesdivulgui r?C'est nière la plus expresse- par exemple, quand il
à celui qui est le maître, qui prend poin de toi, dit Découvre ta blessure au prêtre ' ou en-
: ;

à l'ami des hommes, au médecin, que tu mon- core quand, à propos de l'aveu du bon larron
tres tes blessures... Je nete contrains pas, dit le sur la croix il s'écrie : « Il n'a pas osé dire :

Seigneur, à paraître en publie', sur un théâtre, Sonvenez-vous de mui, Seigneur, dam votre
à t'entourer de nombreux témoins. Dis à moi ?w/'7?/»ie,avantd'avoir déposé par la confession
seul, en particulier, ton péché, pour que je le fardeau de ses fautes. Vois-tu quelle chose
guérisse la plaie qui te ronge et que je te dé- c'estque la confession ? Il s'est confessé et il a
livre de la souffiance*... obtenu le ciel; il s'est confessé et il a eu lacon-
' CUtys., Bom, 5, sui la NaU «o comp. da Dieu. — '
Clu'j^ii.,
' Ps, 36, V. 5. — • Chrys., Hom. 31, aux Hébr., n. 3. — ' TÇ
fiom if sur I.azar , n* 4, ïtpûSùiny Ts ïïnoi. (Bom. 3 aa peuple d'AutiotUe.)
. ,

CHAPITRE DIX-SEPTIÈME. 22S

fiance, lui qui avait vécu dansle brifiandage, de non par force. Aussi est-il besoin
d'une grande
deniamler royaume de Dieu I» Mais quoi de
le '
habileté pour persuaderauxmaladesde sesou-
plus connu et de plus formel que ce passiige du mettre aux remèdes des prêtres, et surtoulpour
livre du Sacerdoce, sur le pouvoir spirituel du qu'ils leur sachent gré des soins qu'ils en re-
prêtre et la direction des consciences? «A des çoivent. En effet, si
le malade qu'on lie résiste,

hommes qui habitent la terre a été confiée la et en a le droit, il aggrave son m.al s'il re-
il ;

dispensationdes choses du ciel. Ils ont reçu un pousse la divine parole qui a le tranchant du
pouvoir que Dieu n'a accordé ni aux anges ni fer, une nouvelle blessure est la conséquence

aux archanges. En ed'et, ce n'est point à ceux-ci du moprisde cette parole... 11 ne faut pas régler
qu'il a été dit Toul ce que vous déliez sur la
: imprudemment la peine sur la grandeur du
terre sera délié dans le ciel. Les princes de la délit, mais étudier avec soin les dispositions
terre ont le droit de délier, mais le corps seule- des pécheurs, de crainte qu'en voulant réparer
ment. Les prêtres seuls peuvent lier et délier ce qui est déchiré, vous ne fassiez une rupture
même l'àme, et leur pouvoir atteint les cieux: pire, et qu'en vous hâtant de relever ce qui est
ainsi, tout ce que les prêtres font ici-bas, Dieu tombé, vous ne le précipitiez plus bas. Ceux
l'approuve là-haut, et le maître confirme la sen- qui sont faibles, lâches, plus engagés dans les
tence portée par ses serviteurs. N'est-ce pasune plaisirs du monde, ceux qui s'enorgueillissent
puissance sans bornes qu'il leur a donnée dans de leur naissance, de leur autorité, ramenés
les cieux mêmes? Les péchés, a-t-il dit, seront peu à peu et par la douceur, pourront, en
remis à qui vous les aurez remis, ils seront reie- partie du moins, sortir des liensdu péché. Leur
nus à qui vous les aurez retenus. Le Père a appliquer brusquement la correction, ce serait
donné au Fils tout jugement ; et je vois le Fils faireéchouer leurs bonnes résolutions. Il est
transmettre ce droit tout entier aux prêtres. On donc indispensable qu'un pasteur possède une
dirait que, déjà transportés dans la vie future, grande prudence et des milliers d'yeux pour
ils sont afîranchis des passions humaines, et bien apprécier sous tous les rapports l'état de
qu'à ce titre, ils ont été revêtus d'une autorité l'âme coupable... Il ne doit rien laisser passer
suprême... Les prêtres de l'ancienne loi guéris- sans examen ; mais, après avoir tout pesé, il

saient les corps de la ou plutôt ils consta-


lèpre, doit appliquer avec le plus grand soin les re-
taient seulement la guérison maintenant
; mèdes qu'il croit les plus efficaces, afin de ne
au lieu de la lèpre du corps, c'est de la lèpre pas employer en vain sa sollicitude ' ».
de l'àme que nos prêtres ont reçu le pouvoir, « On le voit, dit un illustre écrivain, on ne
non de vérifier, mais d'opérer l'entière guéri- pourrait se montrer plus pénétré de la néces-
son ' » sité etde l'importance de la confession auricu-
Or, on l'a dit bien des fois et rien n'est plus laire, ni parleravec plus de clarté et de préci-
incontestable, lepouvoirdonné par Jésus-Christ sion de cet aveu qu'on doit faire à l'homme.
à ses représentants dedélier, de guérir les âmes, C'est ainsi que saint Chrysostome lui-même a
de remettre les péchés, serait une pure chi- interprété les quelques mots par lesquels l'hé-
mère, sans l'obligation pour les fidèles d'ouvrir résie a prétendu lui faire dire qu'il n'admet
leur conscience au juge, d'exposer leurs maux d'autre confession que celle que l'on fait à
aumédecin. Ainsi, évidemment, l'entend Chry- Dieu - ».
sostome de là ses admirables conseils aux
: Examinons l'enseignement du saint docteur
hommes chargés des devoirs délicats et diffi- sur un point où quelques théologiens ont cru
ciles de faire descendre le pardon, la grâce et le trouver en défaut. A-t-il prétendu, comme
la vie cœurs troublés ou brisés par le
sur les ilsle disent, que les âmes des justes, quelle que
mal. L'observation du traitement propre à soit d'ailleurs leurs sainteté, n'entreronten pos-
guérir dépend, non de celui qui prescrit le re- session de la béatitude éternelle qu'à la fin des
mède, maisdu malade lui-même. Nousn'avons temps, après la résurrection générale? Dans
point, de par les lois, le droit de contraindre la trente-neuvième homélie sur la première
les pécheurs, et nous l'aurions, qu'il ne fau- épître aux Corinthiens, l'orateur cite ces pa-
drait pas l'exercer; car Dieu ne couronne que roles de l'Apôtre Si nous n'espérons en Jésus-
:

ceux qui renoncent au vice volontairement et Christ q}ie pour celte vie, nous sommes les plus

' Chryi., Bom. 1, jur la croix et le larron. — '


Cbrya., 6ur le • Voir aux Pièces justificfriives.
Saceril., I, 3, c. 4 el 5. * P. Vcniura. La raison i^bilc^io^hique, etc., t. -i, p. 261.

S. J. Ca. — Tome I. IS
226 HISTOIRE DE SAINT JEAN CIIRYSOSTOME.

misérables des hommes ', et il s'écrie : « Paul, alors l'économie de la divine incarnation ? Le
que dis-tu ? Si les corps ne ressuscitent pas, péché n'est pas aboli, l'anathème n'est pas
s'ensuit-ilque nous n'avons d'espérance que effacé, la foi chrétienne n'a pas d'objet, ses
pour présente, lorsque, d'ailleurs, nous
la vie apôtres sont de faux témoins, ses disciples de
sommes assurés que notre âme survit etqu'elle misérables victimes '. — A l'immortalité de
est inmiortelle ? Bien que notre âme survive, l'âme : car la nature humaine n'est pas toute
qu'elle soit mille fois immortelle, elle ne sera, dans l'âme, pas plus qu'elle n'est toute dans le
sans la chair, ni mise en possession des biens corps ; elle est composée de l'un et de l'autre ;
ineffables du ciel, ni punie... Si le corps ne ou, en d'autres termes, l'homme n'est ni un
ressuscite point, l'âme être cou-demeure, sans simpleanimal, ni un pur esprit il est homme. :

ronnée, en dehors de la félicité céleste. S'il en Avant de créer l'âme humaine. Dieu lui avait
est ainsi, nous n'avons rien à espérer. Les ré- préparé un corps; il l'avait si bien assorti à
munérations de la vertu ne sont pas au-delà de l'âme, que leur union ei\t été inviolable et éter-
la vie actuelle. Qu'ya-t-il de plus malheureux nelle, si le péché, venant entre deux n'eût ,

que nous *?» troublé cette céleste harmo7iie*; c'esi-k-iVneqae,


Au premier coup d'œil et pris isolément, ces dans l'homme, le corps est tellement fait pour
quelques mots semblent contredire l'enseigne- l'âme et l'âme tellement faite pour le corps, que
ment catholique défini par le concile général l'immortalité de l'âme entraîne comme consé-
de Florence et par le pape Benoît Xll, à propos quence la du corps. C'est la
résurrection future
d'une controverse célèbre lisez ce qui suit et ;
même pensée qu'exprime saint Thomas, quand
vous serez détrompé. Sans doute, Vigilance, au il dit que l'âme n'est pas seulement au corps ce

V' siècle, et plus tard Pbotius, ont enseigné que l'agent qui opère est à l'instrument dontil
que le bonheur promis aux Saints ne leur serait se sert, mais elle se rapporte à lui
unie et lui est

accordé qu'après le jugement dernier, en sorte comme la forme à en sorte que


la matière,

que jusqu'alors leurs âmes demeurent dans une l'acte humain appartient non pas seulement à

espèce de sommeil paisible ou plutôt de pro- l'âme, mais à l'être composé qui est l'homme ;
fonde léthargie; Luther et Calvin ont adhéré à et puisque la récompense de l'oeuvre est dueà
cette opinion, que des hérétiquesmodernes ont celui qui l'opère, il faut que l'homme lui-même,
exagérée, en renouvelant une vieille erreur ', c'est-à-dire l'être composé d'âme et de corps,
jusqu'à dire que l'âme périt avec le corps pour reçoive la récompense de ses actions*. Si donc
ressusciter avec lui *. l'homme n'est pas heureux dans cette vie, s'il
La pensée de Chrysostome est à cent lieues n'y trouve pas la rémunération de ses vertus,
de ce monde-là. Expliquant un célèbre et admi- si cependant la justice et la bonté de Dieu doi-

rable passage de saint Paul sur la résurrection vent quelque chose à la créature dont elle exige
des morts, il s'y arrête volontiers, et insiste l'obéissance et le dévouement, il est nécessaire
d'autant plus sur les arguments de l'Apôtre, d'admettre la résurrection. L'âme n'a d'autres
que ce dogme fondamental comptait encore à droits à la félicité que ceux de l'homme si :

Antioche, dans la personne des Valentiniens et l'homme ne peut espérer la résurrection, l'âme
des Manichéens, de nombreux et acharnés ad- ne peut compter sur l'immortalité.
versaires.Son but est de faire bien comprendre Voilà dans quel sens Chrysostome a pu dire
à son auditoire que la résurrection des morts que tout dépend de la résurrection, et le pas-
se rattache par une relation nécessaire, d'une sage allégué ne signifie pas autre chose. La foi
part, à la résurrection de Jésus-Chiist, et, de de la résurrection ad ;ise et posée comme une
l'autre, à l'immortalité de l'âme. —A la résur- condition essentielle du dogme de l'immortalité
rection de Jésus-Christ : car, si les morts ne de l'âme, il se plaît à reconnaître et à proclamer
ressuscitent pas, pourquoi Jésus-Christ serait-il que les âmes justes, au sortir même de cette
ressuscité ? Pourquoi même se serait-il fait vie, et sans attendre d'être réunies un jour à
homme, aurait-il pris notre chair ? Que devient leurs corps, entrent en possession d'un bonheur
ineffable dans le sein de Dieu. C'est ainsi que
' I ad Corinth., c 15, ï. 19. — • Chrys., Hom. 39, sur la Ire
aux Corinth., n. 3. — ' Cette erreur fut combattue par Origène ;
Gènes, ad litter., 1. 12), et les paroles de S. Chrysostome Insérées
voir Eusèbe, Hist. eccl., 1. 6, c. 37, dans le texte. Le vrai sens de ces divers passages est facile à établir.
' A l'appui de celte prétention, on
a cité Tertullien [de anima cap, * Chrys., Hom. 39, sur la 1er aux Corintn. —
' Llo^suet, Serm,

uttim. erurfi)frs..V(l;cio;i., 1.4), Origène (iil Levil., Bom.7),S. Am- sur la résnrr., et médit. 41e. — • Summ., S, Thomas, 3» part,,
bioise (de Ça»»., 1. 2, c. -2), S, Augusûn [Enarrat, in pi. 36, et it suppl. quast, 73, an. 1.
CHAPITRE DIX SEPTIÈME. 227

dansle panégyrique de saint Philogone, il nous des réprouvés, non en les exemptant pour tou-
peint avec toute la richesse de sa parole les jours du supplice , non en mettant un terme à
merveilles de la cité céle?te. o Là, ilit-il, avec leurs souffrances, mais eu leur infligeant des
des myriades d':inges et d'archanges, sont les peines beaucoup moins grandes (|u'ils ne l'ont
apôtres, les prophètes, les martyrs, les justes, mérité par leurs fautes Chrysostome ne va-t-il '.

tous ceux qui ont plu à Dieu par leurs vertus, pas plus loin? Ecoutons M.Emery «Ce saint :

et au milieu de celte foule heureuse, le Roi des et sublime orateur, dit-il dans une dissertation

rois. Ici, vu; là, tous le voient,


personne ne l'a célèbre ', est un des Pères de l'Eglise qui ont
autant du moins qu'il permis de le voir, et est prouvé plus fortement et inculqué plus fré-
non-seulement ils le voient, mais sa gloire se quemment que les supplices des hommes con-
répand sur eu.v et embellit de sa splendeur damnés seront éternels ': et, par conséquent,
toute l'assemblée. Ici, nos solennités finissent il est un des Pères les plus éloignés de flatter

d'ordinaire à midi; là, le bonheur ne se mesure l'erreur d'Origène. Cependant il a enseigné que
ni par jours, ni par mois, ni par anné* s ; il n'a les aumônes , les prières des fidèles, les sacri-

ni bornes ni fin, ne vieillit pas, il ne s'altère


il ficesqu'ona coutume d'offrir dans l'Eglise pour
pas, il est immortel. Là, plus de trouble, plus les morts , apportaient quelque soulagement à
d'agitation, un ordre [larfait, un concert plus ces mêmes damnés ».
doux que la musique la plus suave tandis que ;
Voici en effet, comment
, il s'exprime dans

l'âme, comme dans un sanctuaire, au milieu sa troisième homélie sur l'épître aux Philip-
des mystères sacrés, célèbre les secrets ineffa- piens « Ne pleurons pas tous les morts, mais
:

bles de Dieu, et rend gloire au maître de l'une seulement ceux qui sont morts dans leurs pé-
dans celte vie heu-
et l'autre création. C'est là, chés car ils sont dignes de gémissements de
, ,

reuse et sans vieillesse, que Philogone est en- lamentations, de larmes. Quel espoir peut-il
tré '
? d leur rester lorsque, i^artis d'ici avec leurs fan tes,
Dans une autre circonstance, écrivant à une ils vont dans un lieu où il n'est pas possible <lo
jeune veuve, pour la consoler, Jean s'exprime s'en dépouiller? Tant qu'ils ont vécu sur la
ainsi « Si votre mari eût prolongé son séjour
: terre, permis d'espérer qu'ils se conver-
il était
près de vous sur la terre, il n't ût vu que plus tiraient, qu'ils deviendraient meilleurs; mais
tard le ciel et les chosesduciel'». Et ailleurs, s'ils sont dans l'enfer, où il n'y a plus aucun

célébrant les triomphes des saints martyrs, il avantage à se repentir, comment ne pas dé-
s'écrie : « Quand les athlètes de la foi arrivent plorer leur sort? Pleurons donc ceux qui meu-
dansle séjour de Dieu, les anges, les vertus cé- rent ainsi mais pleurons-les sans indécence
, ,

lestesaccourent à leur rencontre, contemplent sans nous arracher les cheveux, sans nous dé-
leurs blessures^ et comme des vainqueurs qui chirer le visage en versant au fond de notre
,

reviennentde la balaillechargésdepalmeselde âme des larmes amères... Pleurons les infidèles,


trophées, ils avec bonheur,
les accueillent pleurons ceux qui ont quitté cette vie sans avoir
les embrassent, mènent, en leur faisant es-
les reçu le baptême et qui ne diffèrent en rien des
corte, au Roi des cieux, devant ce trône qui infidèles. Ceux-là sont vraiment dignes de re-
rayonne de tant de gloire et qu'entourent les grets et de pleurs. Les portes du séjour royal
chérubins et les séraphins. Parvenus là, les leur sont fermées : ils sont dehorsavec lesmul-
ma rty rs adorent Celui qui est as? is sur le trône.. hcureux voués au supplice, avec les démons...
Plus ils lui ont témoigné d'amour, plus il les Pleurons les riches qui sont morts sans s'être
reçoit avec magnificence '»... ménagé, au moyen de leurs richesses, quel-
Chrysostome a-t-il nié la vision intuitive? ques ressources pour l'autre vie pleuronsceux ;

Nous avons démontré le contraire dans un cha- quiavaientdans ce monde la facilité d'expier
pitre précédent '. A-t-il cru à la mitigalion de la leurs fautes et qui ne l'ont pas voulu voilà :

peinedesdamnés?Sansdouteilaex[iriméquel- ceux que nous devons pleurer et en public et


quefoisce pieux sentiment, que saint Augustin en particulier; non lias un jour ou deux, mais
n'a voulu ni rejeterni adopter', savoir quela ;

miséricorde de Dieu s'exerce à l'égard même ' Chry»., Bom. 37, sur la Genè»., n. 3, t. ! ; cf. S. Thom.,
Ire part, quast. 21, art. 4 ; S. François de Sales, Traité de l'amouc
de Liieu, I. 9, c. 1.
'Chryi., dise, lur S. Phil. —
' Cbrjra., s ttoe
jeuae veuve. • Éfïiery, Dissertation sur la mitigation de la peine des damnés. §?,
Voir aux Ptic^s jiisti/îcaliiim. • Ciiry»., //û'H. 9, 8'.:r la Ire aux Corintli. ; //û .t. IJ, kuji ^uuit«t'.,
' Ci.«p. 10. - ' S. Aug., de Civil. Dei, I. 21, c. 21. et alib. jm^siin.
228 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

toute la\ie... Pleurons-lesdonc, aidons-les sui- aura une fin àla damnation de ceux dont il aété
vant nos forces, procurons-leur qnelqite secours, dit : Ils iront au supplice éternel ; car par là on
qui sera petit, il est vrai, mais qui néanmoins serait fondé à prétendre qu'il y a un terme
leur sera profitable. Ce secours, c'est de prier et aussi à la félicité de ceux dont il est dit : Les
de faire prierpoureux, c'est de distribuer pour justes possèdero7it la vie éternelle. Mais qu'ils
eux aux pauvres de fréquentes et abondantes pensent, si cela leur plaît, que les peines des
aumônes'». damnés sont, de temps à autre, mitigées jus-
Un peu plus bas, Chrysostome ajoute « Je : qu'à un certain point; de cette sorte, en effet,
ne parle ici que de ceux qui sont morts dans la on peut comprendre que la colère de Dieu,
foi. Quant aux catéchumènes ', on ne les juge c'est-à-dire la damnation, demeure sur eux,en
pas dignes de cette consolation ; tout secours telle façon que Dieu, dans sa colère même,

leur est refusé, un seul excepté. Et quel est-il? c'est-à-dire, sa colère ne cessant point, n'arrête
Il est permis de faire l'aumône à leur intention, pas cependant le cours de ses miséricordes, non
et cela leur procure du soulagement ' ». en donnant une fin à ce qui doit être éternel,
Si ces parolessont vraiment du saint docteur, mais en accordant quelque soulagement ou
et jusqu'à présent il n'y a pas lieu d'en douter, quelque interruption dans les tourments ' ».
on doit reconnaître qu'il a cru à la mitigalion On sait, du reste, que les Grecs en général
despeines. Mais saint Augustin, qui écarte cette ont partagé la pensée de Chrysostomesurla mi-
opinion comme trop hardie*, est loin de la con- ligation des peines, et que, parmi les Latins,
damner. Parlant de ceux qui, par une pitié peu elle a été soutenue autrefois par de célèbres doc-
éclairée, refusaient de croire que les peines des teurs. Le Père Pétau parle fort sagement quand
damnés pussent être éternelles, et s'autorisaient il dit « L'Eglise n'a rien encore déterminé de
:

deces mots du Psalmiste Dieu oubliera-t-il : certain sur lesoulagementdeceuxquisontcon-


d'avoir pilié, ou sa colère suspendra-t-elle le damnés à la peine éternelle, du moins à l'égard
cours de ses miséricordes? grand évéque le des hommes en sorte qu'il y aurait de la témé-
;

d'Hippone s'exprime ainsi: «S'ils pensent que rité à rejeter comme absurde l'opinion favora-
ce témoignage regarde tous les damnés ce n'est , ble à ce soulagement, qu'ont professée de très-
pas pour eux une nécessité d'admettre qu'il y saints Pères de l'Eglise, quoiqu'elle soit con-
traire, dans le temps où nous vivons, au senti-
* Chrys., Eom. 3, sur l'ép, aux Philipp., n. 4.
ment commun des catholiques ' ».
* Voir aux Pièces Justificatives.
' l.hry£.,Boni. 3, sur l'ép. aux Philipp., n. 4. — ' S. Aug., ' s. Aiig , Encliiriii., a. 29, c. 112, t. 6, p. 238. — '
Pétau, Théo-
Enarral. in ps. 105, t. 4, p. 1192, loy, dùgmat. de angetis, 1. 3, c. 8, p. 83,

CHAPITRE DIX-IIL^ITIÈME.

Enthousiasme, principal caractère de l'éloquence de Chrysostome. Chaînes de saint Paul. — — Aspiration au martyre. — Ardent
amour de Jean pnur le grand Apôtre. —
Pourquoi il voudrjit faiie le voyage de Rome. — Promulgation merveilleux éta-
et
blissement de l'Evangile. —
Tendresse réciproque de Chrysostome et de ses couipalrlotes. — Chrysostome était la joie et la
vie d'Anlioche. — Tristesse universelle — Allégresse que causait son retour. — On met son zèle à
quand il était absent.
l'épreuve. — 11 guide, véritable chef du peuple. — Oppositions mêlées
est l'oracle, le le unanimité de faveur popu- à cette la
— Belles paroles de (Chrysostome à ses adversaires. — L'urateur plaint du peu de
laire. de ses discours. — Décou-
se fruit
ragé par moments, reprend son œuvre avec plus d'ardeur. — Aimable
il entre prédicateur —familiarité le et l'auditoire.
Vives contre
sorties grands les — Accusé de parler trop souvent pour pauvres Jean répond
et les riches. accu- les , à cette
sation. — On reproche ses richesses. — Désintéressement de Chrysostome. — Zèle intrépide. —
à l'Eglise Fidélité inflexible
au devoir. — Amour prix des âmes. — Tendre indulgence pour
et pécheurs. — La pénitence miséricorde divine. ^
les et la
Ne jamais désespérer. — Schisme d'Antioche. — Chrysostome à — Son dévouement àtravaille l'éteindre. l'Eglise.

Les quatre chapitres qui précèdent, consa- saillant peut-être de son éloquence : l'enthou-
crés à la prédication de Chrysostome, ont pour- siasme. Ce qui captivait plus puissamment son
tant laxiiè dans l'ombre le caractère le plus auditoire et le ramenait toujours empressé et
CÎIAPlTni: DIX-HUITIÈME. 229

ravi au pied de cettecliairc donirenseignement aux sources suprêmes de la vérité et des béati-

ne puuvail ètie Irès-varié, c'était moins la splen- tudes éternelles, il adore, il aime, il chante, il

deur et la beauté de la parole, que je ue sais s'abandonne avec délices à l'extase de sa pensée
quoi d'iuiprévu et de saisissant qui s'y mêlait qui se traduit en effusions splendides d'élo-
prestpie toujours. Sansdoule, toutes les homé- quence et (le lyiisme l'hynme des séraphins
:

liesde Jean n'oUVent pas, à beaucoup près, cette n'a pas de jdus beaux accents. Sa parole tombe

élévation soutenue de style, cette vigueur de comme une pluie de feu sur l'auditoire émer-
logique, cette profondeur de vues, ce pathé- veillé, ébloui, extasié devant l'apparition ra-
tique vrai qu'on admire dans plusieurs; mais dieuse d'un monde supérieur.
jusque dans les plus faibles, vous rencontrez Entre les sujets que Jean traitait avec plus
des pajjes brûlantes où palpite encore le souffle de bonheur, quelques-uns avaient plus spécia-
de l'inspiration qui soulevait la grande âme de lementle privilège d'allumerces vives flammes
l'orateur et qui s'empare de la vôtre. Même à de sa pensée. Le nom de saint Paul, par exem-
travers les siècles, même aujourd'hui, dans ce ple, produisait sur lui l'effet d'une commotion
milieu sans sonorité pour les choses de la foi, électrique. A peine avait-il effleuré ses lèvres,
cette parolemorte et couchée dans un livre que l'ange de l'enthousiasme le saisissant de ,

comme dans un tombeau, l'ombre de la pa- sa main de feu, l'enlevait à la suite de l'Apôtre,
role de Chrysostome vous remue profondé- dans un ravissement ineffable jusqu'au troi- ,

ment. Que serait-ce si vous l'entendiez lui- sième ciel. Un jour, expliquant l'épîlre aux
même, si la voix , le geste, l'accent, le regard Ephésiens, il en était à ces paroles Moi, pri- :

ajoutaient à la parole vivante leur prestige sou- sonnier dans le Seigneur^ et voilà que tout à
verain, si l'action qui complète et peint la coup, comme s'il eût perdu le sentiment de son
pensée et qui devait être si puissante chez un existence terrestre, comme s'il conversait, non
telhomme, exprimait à vos yeux tous les mou- point avec des hommes sur la terre, mais avec
vements d'une âme si tendre, si généreuse, si les martyrs glorifiés dans le sein de Dieu, et
noblement passionnée?Ou comprend ces accla- que l'auréole de leur front resplendît déjà sur
mations, ces applaudissements répétés, ces san- le sien, il s'écrie « Rien n'est beau comme les
:

glots qui éclatent tout à coup, ces protestations chaînes portées pour Jésus-Christ, les chaînes
solennelles de repentir, ces appels au prédica- qui ont étreint des mains si saintes. Élre en-
teur dont l'émotion et l'éloquence redoublent chaîné pour Jésus-Christ, c'est plus glorieux
avec le trouble et l'émotion de l'auditoire. que dètre apôtre, que d'être docteur, que d'être
Chrysostome avait reçu du Ciel, outre les évangéliste. Qui aime Jésus-Christ me com-
dons éminents d'une nature privilégiée, la prend. Oui, il sait le prix des chaînes, celui qui
grâce d'une foi ardente et profonde, de celte brûle, qui est fou de l'amour du Seigneur, et
foi qui soulève les montagnes et change les il aimerait mieux être enchaîné pour Jésus-
mystères en évidence, et elle était dans son Christ que d'habiter les cieux. Plus resplendis-
cœur une source intarissable d'enthousiasme. santes que l'or, plus qu'aucun diadème, étaient
On l'écoute discuter un texte, résoudre une les mains de Paul ce bandeau couvert de pier-
:

objection, et tout à coup un cri d'amour s'é- reries qui ceint la tête des rois, ne leur donne
chappe de sa poitrine, des torrents de poésie pas tant de majesté que cette chaîne de fer
débordent de son cœur, le discours empreint subie i)Our Jésus-Christ. La prison de l'Apôtre
d'un éclat surnaturel coulede ses lèvres comme l'emportait en magnificence sur la demeure
une lave enflammée. L'inspiration, de son aile impériale, que dis-je? sur le ciel lui-même,
puissante, emporte l'orateur haletant, éperdu, car elle possédait en ce moment le prisonnier
au-delà de tous leshorizons terrestres, au-delà de Jésus-Christ. Et, vous aimez Jésus-Christ,
si

des limites de la pensée humaine, dans ce sanc- vous comprenez cette dignité, vous comprenez
tuaire élevé où Dieu habite une lumière inac- cette vertu, vous comprenez cette grâce accor-
cessible comme si déjà tous les voiles étaient
; et dée à la nature humaine de porter des chaînes
tombés, comme si le temps et l'espace n'exis- pour Jésus-Christ. C'est peut-être plus glorieux
taient plus pour lui, comme si son œil libre et que d'être assis à sa droite, plus auguste que
fler pouvait fixer le soleil de justice et plonger d'avoir un des douze trônes qui entourent le
à plaisir dans les profondeurs de l'essence infi- sien. Et que dirai-je des choses humaines? Je
nie, comme si son âme transfigurée s'abreuvait rougirais de comparer à l'éclat de ces chaînes
230 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

les plus richesparures d'or. Quand on n'aurait lesapprocher de mes yeux, de les couvrir de
d'ailleurs aucune lémunéralion à attendre, mains jugées dignes d'être enchaî-
baisers, ces
n'est ce pas une récompense suffisante et très- nées pour le Seigneur. Vous vous étonnez
^rande de souffrir beaucoup pour celui qu'on qu'une vipère attacliéeàla main de saint Paul
aime? Ils me comprennent sans effort, ceux ne lui fît aucun mal? La bête venimeuse res-
dont le cœur est plein d'une affection profonde, pectait les chaînes qui enveloppaient cette
sinon pour Dieu, nu moins pour la créature. main; la mer aussi les révérait.... Le pouvoir
Ne leur est-il pas plus doux de s'immoler pour de ressusciter les morts me serait-il donné, je

l'objet aimé que d'en recevoir les hommages? l'estimerais moins que celui de porter ces fers.
Mais il faut appartenir au chœur des apôtres Et maintenant, si j'étais affranchi des sollici-
|iour avoir l'intelligence de cela. Entendez ce tudes du saint ministère, si j'avais une santé
que raconte saint Luc Us sortaient du sanhé-
:
plus valide, rien ne m'empêcherait d'entre-
drin pleins de joie, jiarce qu'Us avaient été prendre un long voyage pour voir les chaînes
pigés dignes de souffrir un affront pour le nom de saint Paul, pour visiter la prison où il fut
de Jésus-Christ^. Que d'autres nous regardent captif. Bien qu'en plusieurs endroits il y ait des
comme ridicules, quand nous disons que c'est monumentsde ses grandes actions, je ne trouve
une gloire d'être outragé, une joie d'être cou- rien de aimable que les stigmates de ses
si

vert d'opprobre; ceux qui soupirent après souffrances; et, dans les Saintes Ecritures, il

Jésus-Christ regardent cela comme très-heu- me plaît moins quand il opère des miracles que
reux. Si l'on me donnait à opter entre le ciel quand il est maltraité, battu de verges, empri-
tout entier et la chaîne de saint Paul, je pré- sonné.... Voulez-vous savoir ce que c'est que
férerais cette chaîne. J'aimerais mieux être en de porter des fers pour Jésus-Christ? Ecoutez
prison avec saint Paul, que d'être au ciel avec le Sauveur lui-même Vous êtes heureux, dit-
:

le<: anges. Si j'avais à me déterminer entre il; eten quoi, Seigneur, sommes-nous heu-
l'honneur de vivre au milieu des trônes et des reux? Serait-ce de rappeler les morts à la vie?
puissances célestes, et celui d'être enchaîné Non. Serait ce de rendre la vue aux aveugles?
a\ec saint Paul, je demanderais càôtre enchaîné, Non. En quoi donc sommes-nous heureux?
et j'aurais raison. Nul bonheur, en neeffet, Q?iandles hommes vous persécutent, qu'ils vous
vaut une telle captivité. Je voudrais être dans chargent d'outrages, qu'ils vous calomnient à
cts lieux où l'on garde ces fers qui ont pressé cause de moi.... Ainsi, c'est une grâce que de
les mains de l'Apôtre; je voudrais voir ces souffrir pour Jésus-Christ, une grâce plus haute
chaînes que les démons redoutent, que les que d'arrêter le soleil et la lune, de remuer le
anges révèrent. Rien n'est doux comme de monde. Je la préfère au pouvoir de vaincre et
souffrir pour Jésus-Christ. Ce que j'envie, ce de chasser les démons.Ceux-ci sont moins vexés
que j'admire dans saint Paul, c'est moins son quand ils sont contraints de nous obéir, qu'en
ravissement au paradis que son cachot, moins nous voyant enchaînés pour Jésus-Christ. Ce
les mystères qui lui furent révélés, que ses qui fait le bonheur d'être enchaîné pour Jésus-
ch;iîneset ses souffrances. Et lui-même il pen- Christ, c'est moins l'espérance de régner un
sait ainsi, car il ne dit pas Je vous prie, moi,
: jour avec lui que la pensée de souffrir pour lui.
à (lui Dieu a fait entendre des paroles que Je proclame les chaînes heureuses, non parce
l'homme ne saiwait redire, mais moi qui suis qu'elles ouvrent le ciel, mais parce qu'elles sont
dans les chaînes pour le Seigneur... Oui, j'aime portées pour le maître du ciel. Quel plaisir,
mieux souffrir pour Jésus-Christ que d'être quel honneur, quelle gloire de se dire qu'on est
glorifié par Jésus-Christ. Souffrir pour Jésus- prisonnier pour Jésus-Christ! Ce sont là des
Clnist, c'est un honneur immense, c'est une choses dont je voudrais sans cesse parler. Je
gloire qui surpasse tout...O heureuses chaînes ! voudrais tenir cette chaîne, y être attaché, et,

Heureuses mains que ces chaînes ont décorées I privé en réalité de cet avantage, je veux que
Les mains de saint Paul, quand elles guéris- du moins, parlapensée, par le désir, mou âme
saient en le touchant le perclus de Lystres, en soit enlacée Pardonnez-moi cette digres-
'....

étaient moins dignes de vénération que serrées sion ; les souffrances de Paul sont mes délices,
et meurtr es de fers. Si j'avais vécu au temps le banquet de mon cœur. Permettez que je m'y
de l'Apôtre, j'aurais aimé de les embrasser, de arrête un peu plus. J'ai saisi la chaîne, personne
'
Act,, c. 5, ï. 41. * Chrys., Hom, 8, sur rép. aux Epbés.
CIlAriTIlE DIX HUITIÈME. 231

re me l'arraohora ; car cette chiîne, c'est l'a- Quelles sources jaillissent de son sein Non, !

inoiirdeJésus-Clui:;!, et je Icdisavec l'Apôtre: ce n'est ni pour ses trésors, ni pour son


Ai les anges ni les priricipniités, ni les choses faste, ni pour ses monuments que je l'admire,

préstnti s ni les chipies fiifures, la hauteur


tii maispourcesdeuxcolonnesde l'Eglise qu'elle
tii l'i profondeur, rien ne pourra noits séparer possède I

de l'amour de Jénts-Christ '


». « Et maintenant, qui me donnera d'embras-
Qiit'lli' fui, quel cœur! Comme il est altéré ser les restes sacrés de Paul, de m'attacher à son
de mariyre !L ivresse de l.icruix fut-elle jamais sépulcre, de voir la i)oussière de ce corps qui
plus sublime? L'amour divin eul-il jamais de compléta l'œuvre du Christ, qui portait sesstig-
plus belles flammes? Mon Dieu, suscitez à votre mates,qui répandait partout sa doctrine?Oui,
Ettliseiiui'lquesfousde cette grumlo folie, et le la poussièredece corps parqui le Christ a parlé,
inonde sera sauvé Cette im ige du saint Paul
1 d'où jaillissait une lumière plus vive que
chargé de chaînes, se félicitant au fond d'un l'éclair, une voix plus terrible que la foudre,
cachot du bonheur de soulTrir pourson maître, quia fait entendre cette belle parole : Je désire
a|>|>arail souvent à la pensée émue de Chryso- d'être anathème pour mes frères^ qui prêchait
stomecommeun brillanlmiray;e qu'il poursuit aux rois sans éprouver aucune crainte, de qui
de ses ardentes aspirations, comme un idéal nous avons appris Paul el le Msîlre de Paul. Le
dont son œil ne se peut détacher et qu'il brûle tonnerre est moins redoutable pour nous que
lie réaliser dans sa vie. Avait-il la révélation sa\oixne le fut pour lesdémons. Ils ne tenaient
intime des grandes épreuves que le Ciel lui te- pas devant lui ils avaient peur de ses vête-
;

nait en réserve ? Près entait-il que lui aussi, ments etencore plus de sa parole. C'est elle qui
proscrit, immolé, il tomberait comme l'Apôtre les a enchaînés, qui a purifié l'univers, qui a
au champ d'honneur pour la cause de Jésus- chassé le vice, ramené la vérité ce que sont ;

Chrisl?Toules les fois que le souvenir héroïque les chérubins au trône de Dieu, elle l'était à
du grand docteur de l'univers se lève, tel qu'un Jésus-Christ elle le portait avec lui elle a
; ;

aslre, devant son regard, son âme est tout à pénétré partout..,. Oh ! que je voudrais voir la
coup inondée de lumière, chaque fibre de son poussière de cette bouche par laquelle Jésus-
cœur résonne comme la harpe du Prophète : Christ a dit tant de grandes et mystérieuses
ce sont des crisd'admiration, des élausde poésie choses, plus grandes que par sa propre bouche,
et J'amour que la langue des hommes ne con- par laquelle l'Esprit a fait entendre de si ma-
naît pas. gnifîquesoracles!..Quen'apasopéré cette bou-
«J'aime Rome, s'écrie-t-il, et je pourrais che si belle Elle a brisé le joug du péché, elle
I

célébrer sa grandeur, son antiquité, sa puis- aimposésilenceaux tyrans et aux [diilosophes,


sance, sa beauté, ses richesses, ses hauts faits elle a enseigné aux barbares la vraie sagesse,
d'armes ; mais tout cela me touche peu. Je la elle a rendu le monde à Dieu et rétabli la paix
proclame heureuse, parce que Paul, quand il entre la terre el le ciel!... Et non-seulement je
vivait, a écrit aux Romains, qu'il les a aimés et voudrais voir la poussière de cr'te bouche,
visités et qu'il est mort au milieu d'eux. Voilà mais aussi celle de ce cœur qu'on pourrait ap-
ce qui faitsagloire, bien plus que tout le reste. peler le cœur de tout l'univers, la source d'in-
C'est un grand corps qui a deux yeux d'un in- nombrables biens, le principe et l'élément de
comparable éclat, ladouble relique de Pierre et notre vie, d'où l'esprit qui les anime se répan-
de I\:ul. La voûte céleste a moins de splendeur dait sur tous les membres de Jésus-Christ....
quand le soleil la remplit de ses feux, que la Cœur fait hostie, cœur plus élevé que le ciel,
ville des Rumains avec ces deux flambeaux qui plus vaste que la terre, plus lumineux que le
éclairent tout l'univers. C'est de là que seront jour, plus brûlant que le feu, plus fort que le
enlevés au ciel ces deux hommes. Représentez- diamant, d'où s'épanchaient des fleuves. ..Cœur
vous en frémissant lespeclacle que verra Rome, qui a aimé Jésus-Christ comme personne ne
Paul se levant du cercueil avec Pierre pour aller l'a aimé ;
qui vivait, non de sa vie, mais de la
dans lesairsau-devantdu Seigneur! Qu'elle est vie de Jésus-Christ; qui pouvait dire: Je vis
belle la rose qu'elle offre au Christ Qu'elles I moi, non plus moi, Jésus-Christ vil en moi !
sont magnifiques les couronnes dont elle se Oui, le cœur de Paul était le cœur de Jésus-
pare De quelles chaînes d'or elle est ceinte
! I Christ, l'autel de l'Espril-Saiat, le livre de la
' Cbrr»., Etm, 8, toi l'ép. luz Eph{«. • Ad Rom. 9, 3.
.

232 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

grâce !,.. Je voudrais voir la poussière de ces à coup à la hauteur du dithyrambe, et vous
mains qu'ont étreintes les chaînes, qui ont croyez entendre avec Job le grand concert des
écrit lesadmirables lettres que nous avons.... astres du matin, quand, tous ensemble et pour
la poussière de ces yeux, aveuglés d'abord, ou- la première fois, ils saluent leur divin Auteur.
verts ensuite pour le salut du genre humain, S'il peint les chastes et délicats attraits d'une

qui ont contemplé le Seigneur dans sa chair et amitié chrétienne, ce sont les effusions ravis-
pénétré de leur regard les choses invisibles.... santes d'une céleste tendresse, et, sous la gra-
la poussière de ces pieds qui ont parcouru l'u- vité de la parole sainte, vous sentez palpiter le
nivers sans fatigue, et que les entraves n'ont le plus aimant des cœurs. Si c'est
plus noble et
pu retenir dans la prison ébranlée sous leurs de l'amour divin qu'il retrace le caractère et
pas I... Je voudrais voir ce sépulcre oi^i gisent les ardeurs sublimes, on se demande comment
les armes delajustice, lesarmesdelalumière, de tels accents ont pu sortir de la poitrine d'un
ces membres aujourd'hui vivants, autrefois homme, une vague de ce tor-
et si ce n'est pas

morts, revêtus de Jésus-Christ, marqués de ses rent des voluptés divines, où s'abreuvent les
stigmates, remplis de son esprit, pénétrés de sa élus, qui s'est épanchée du ciel sur la terre:
vie!.... Je voudrais voir ce lion spirituel dont les anges ne chantent pas autrement devant le

le corps est le rempart le plus assuré, l'impre- trône du Très-Haut.


nable boulevard de Rome!.... Imitons-le, mes Habituellement Chrysostome se plaît à re-
frères, car Paul fut homme aussi et de la même paître sa pensée des souvenirs héroïques du
nature que nous. Mais parce qu'il a montré Christianisme naissant, alors que chaque fa-
pour Jésus un grand amour, il a franchi l'en- mille était un cénacle et chaque Adèle un mar-
ceinte des cieux et il a place parmi les anges. tyr. Personne n'a raconté plus souvent et d'une
C'est pourquoi, si nous voulons faire un effort manière plus saisissante la révolution opérée
et allumer en nous la même flamme, nous dans le monde par la prédication évangélique.
pourrons rivaliser avec ce grand Saint et, en ; A sa voix, ces grandes scènes revivent devant
effet, si la chose était impossible, il n'eût pas vous avec leurs prodiges et leurs émotions ;
dit : Soijez '
mes imitateurs comme je le suis vous vous croyez devant le tribunal du procon-
du Christ ' » sul, vous entendez le confesseur de la foi il ;

Dans une grande âme comme celle de Jean, semble que ses fières réponses s'échappent de
oîi les plus riches trésors de l'imagination et de votre bouche, que l'hymne de son sang jaillit
la sensibilité sont au service d'une foi intré- de vos veines et vous aussi, vous éprouvez
;

pide et d'unehaute vertu, toutes les convictions l'enthousiasme des nobles morts. N'est-ce pas
sont des flammes, ces flammes dont parle Jé- le cœur d'un martyr qui bat dans la poitrine de
ri'mie, dans un cœur
qui, tombées du ciel l'orateur ?
d'homme, en font un brûlant foyer de lumière « Quand l'enseignement humain eut été pro-

ot d'amour. Illuminent, embrasent tout son mulgué par les apôtres, pendant qu'ils parcou-
être, et, ne pouvant être enfermées au dedans raient toute la terre, semant les paroles de la
de lui-même, donnent à ses actions un carac- vérité, arrachant les racines de l'erreur, détrui-
tère héroïque, à ses paroles une chaleur, un sant les vieilles lois du paganisme, donnant la
mouvement, un éclat incomparables. Par mo- chasse à toute iniquité, purifiant le sol, ordon-
ments, sans doute, Chrysostome se traîne sous nant aux hommes de s'éloigner des idoles, de
le poidsdes redites et des longueurs mais, au ; leurs temples, de leurs cérémonies, de leurs
moindre souffle qui réveille l'étincelle sacrée, fêtes, etde s'attacher à la connaissance d'un
le s'allume, se précipite, vous en-
discours seul Dieu, maître de tout, et à l'espérance des
traîne l'âme de l'orateur est passée dans votre
; biens futurs, parlant à tousdu Père, du Fils et
âme et vous enlève à des hauteurs surhu- du Saint-Esprit, prêchant la résurrection et le
maines; son éloquence, animée et transfigu- royaume des cieux, une guerre terrible s'al-
rée par les feux de l'inspiration, a le lyrisme luma, la plus violente de toutes les guerres.
de David, la solennité d'Isaïe, la splendeur du Tout fut en proie au trouble, au tumulte, aux
Thabor. Qu'il célèbre les merveilles de la Créa- dissensions ; lesvilles, les peuples, les familles,
tion, les bienfaits de la Providence, la modeste la terre habitée ou déserte. C'est que les an-
homélie qui marchait terre à terre s'élève tout ciennes coutumes étaient bouleversées ; les

*l ad Corinth. 4. — ' Chrys., Pom. 3^, sur l'en, iu-; Rom, préjugés, si longtemps dominateurs, étaient
CHAPITRE DIX-IIUITIÈME. 233

détrônés; des dogmes nouveaux, inouïs jus- admire sa sagesse. Paul, dis-je, entretient —
qu'alors, entraient dans le monde, et contre continuellement les Chrétiens de la vie à venir,
eux les rois sévissaient, les magistrats se dé- il place devant leurs yeux les récompenses, il

chaînaient, les particuliers s'inditçnaient, la leur montre les couronnes, il les encourage et
place publique s'emportait, les tribunaux se les console par l'espérance des biens éternels.
passionnaient, les glaives étaient tirés, les Que leur dit-il? « C'est notre conviction que les
armes toutes prêtes, et les lois déployaient souffrances du temps sont sa)is proportion avec
toute leur rigueur : de là, des cLàlimeuls, des la gloire future qui sera révélée en nous*. Que
supplices, des menaces, et tout ce que les me parlez-vous de blessures, de bourreaux, de
hommes regardent comme effrayant. La mer supplices, de faim, de proscription, do pauvreté,
furieuse, enfantant d'horribles naufrages, est de chaînes? Employez contre moi tout ce que
moins agitée que le monde en ce moment. vous voudrez, les choses qui semblent le plus
Pour la religion, le père déshéritait son fils, la formidables aux hommes; tout cela n'est rien
bru renonçait à sa belle-mère, les frères se di- au prix de ces récompienses, de ces couronnes,
Tisaient, les maîtres maltraitaient leurs servi- de ces divines rémunérations l'un finit avec :

teurs, la nature étaiten discorde avec elle- la vie, l'autre n'a pas de fin. Les misères sont
même, la guerre, non-seulement civile mais de courte durée, elles passent ; les félicités ne
domestique, régnait dans toutes les maisons. vieillissent jamais, elles sont immortelles '... »
Le Yerbe, en qu'un glaive, pénétrait
effet, tel Avec ces pensées, la prison, les tortures, les
partout, et, retranchant ce qui était malade de outrages, les '"ndamnations, les maux les plus
ce qui était sain, excitait la division et les luttes, affreux cessent d'être des maux... On les désire,
et soulevait de toutes parts contre les fidèles des on s'y complaît, on y met sa gloire comme

haines et des colères. Les uns étaient jetés en Paul lui-même quand il s'écrie Je me réjouis :

prison, les autres traînés devant les juges et sur dans mes souffrances, et je complète dans ma
la route qui menait à la mort. A ceux-ci, on chair ce qui magique à souffrir au Christ'...
confisquait leurs biens, ceux-là étaient chassés Une fille jeune, faible, du corps le plus délicat,
de leur pays, et souvent même condamnés à était étendue sur le chevalet, cruellement dé-
perdre la vie ; malheurs pleuvaient de
et les chirée, toute couverte de son propre sang, et,
tous côtés plus serrés que la neige. Au dedans comm.e une fiancée qui hommages, reçoit des
combats, au dehors périls, et par les étrangers, ellesouriaitauxsouffrances àcause du royaume
et par les amis, et par ceux mêmes que les des cieux dent couronnes lui apparaissaient
les

liens du sang avaient rapprochés. A cette vue, au milieu même du


combat. Quel spectacle
le bienheureux Paul, le précepteur de l'uni- c'était de voir un tyran entouré de soldats, de
vers, le docteur des dogmes célestes, sentant glaives étincelants, d'armes de toute espèce,
que les tribulations étaient sous les yeux et sous vaincu par une jeune enfant' » I

les mains des fidèles, tandis que les prospérités Mais ces sublimes élans, ces ardentes extases
n'existaient pour eux qu'en espérance et en n'empêchaient pas Chrysostome de veiller avec
promesse ici, le royaume des cieux, la résur-
: une sollicitude constante et tendre sur ce peu-
rection, des biens à obtenir qui dépassent toute ple d'Antioche dont il était le guide, le pasteur,
pensée et toute parole ; là, les fournaises, les l'oracle, que dis-je? l'orgueil, l'âme et la vie.
réchauds, lesépées,lessnpplices,tousles genres Le cœur du peuple battait dans le cœur du prê-
de mort, non en perspective, mais actuellement tre, et le prêtrene semblait exister que pour le
et réellement; considérant d'ailleurs que ceux peuple c'était de l'un à l'autre une confiance
:

qui devaient lutter contre de tels ennemis ve- affectueuse, une amitié vive, dont aucune pa-
naient de quitter à peine les autels des idoles, role ne peut dire l'abandon délicat et l'aimable
une vie d'enivrement
les plaisirs, les délices, intimité. Chrysostome,succombn:i ta la fatigue,
pour embrasser la foi, et qu'ils n'étaient point était-il obligé de s'imposer quelques jours de

habitués aux sublimes méditations de la vie silence, de prendre un peu de repos à la cam-
éternelle, mais encore enchaînés aux choses pagne, on eût dit, à voirlacitétrisieet morne,
présentes, et que vraisemblablement plusieurs qu'un grand malheur l'avait frappée. Reve-
d'entre eux faibliraientetsuccomberaientsous nait-il, faible, languissant, reprendre posses-
des attaques sans cesse renouvelées Vois ce : — ' Ad nom., 8. — • Chry»., ffom. «ur la gloire d«rn U trib., t. î,
qu'il fait, ce confident des secrets célestes, et r. 1 1-'. — ' .'-'' Co'ott.. c. 1, V. 24. — • Chrys., i6ij., o. »,
S34 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOiME.

sîon de sa tribune, c'étaient des transports de à moi, je n'ai pu vous oublier un instant; en
joie, des acclamations de bonJieiir, toute la quittant la ville j'ai gardé votre souvenir. Ceux
ville était en fête. Mais aussi, de la part de l'o- qui sont épris de la beauté physique, portent
rateur bien-aimé, quelles saintes et délicieuses dans leur pensée, partout où ils vont, le visage
effusions de tendresse I qu'ilsaiment;ainsi, nous, touchés de la beauté
o Je ne me qu'un jour, disait-il
suis absenté de vos âmes, nous eu portons toujours l'image
après un rapide voyage, et me semble que je il dans notre cœur; et comme les peintres par le
suis resté tout un an loin de vous, tant j'étais mélange des couleurs reproduisent la forme
triste et ennuyé Par la peine que vous avez
1
des objets, de même, nous, en nous représen-
vous-mêmes éprouvée, vous pouvezjuger de la tant votre zèle pour nos synaxes, votre empres-
mienne. Lorsqu'un petit enfant est arracbédu sement pour la prédication, votre bienveillance
sein de sa mère, ou qu'on le porte, il se tourne pour le prédicateur, et tout le bien qui vous dis-
et se retourne pour la chercher ainsi, moi, ar- ;
tingue, nous faisions avec des vertus, en guise
raché du milieu de vous, comme du sein ma- de couleurs, le portrait de vos âmes le con- ;

ternel, toutes mes pensées me ramenaient vers templer adoucissait pour nous l'ennui de l'ab-
cette sainte assemblée ' ». Une autre fois, après sence. Assis ou debout, en repos ou en mouve-

une indis|iosition qui l'avait retenu chez lui ment, dedans ou dehors, ces pensées nous
plusieurs jours : « J'éprouve aujourd'hui, s'é- suivaient toujours; nos songes mêmes nous
cria-t-il. en me retrouvant avec vous, le même entretenaient de votre affection, et la nuit
sentiment que si je revenais d'un long voyage. aussi bien que le jour nous nous nourrissions
Quand deux amis ne peuvent se voir, qu'im- avec délices de ces souvenirs, nous rappelant
porte qu'ils vivent dans la même cité? Sans cette parole de Salomon Je : dors, et mon cœur
avoir quitté ma
maison, j'étais aussi privé que ue?//e'... Sans doute, le délabrement de mes
si une grande distance m'eût séparé de vous, forceseùtexigé un pluslong séjour aux champs,
car je ne pouvais vous entretenir. Mais pardon- dont l'air m'était salutaire mais la violence de ;

nez-moi mon silence, c'était l'effet de la mala- votre affection ne l'a point permis; elle se ré-
die, non de la paresse. Félicitez moi de ma ciiail, et me réclamait si fort, que j'ai dû partir

guérison ; moi, bien-aimés, je me réjouis de avant l'époque fixée, et venir chercher ici dans
vous avoir recouvrés. Dans mes souffrances, ce cette réunion la santé, le plaisir, tous les biens.

que je supportais avec jdus de peine, c'était de J'ai cédé à vos instances, j'ai préféré rentrer
ne pouvoir prendre part à cette chère assem- sans être guéri que d'attendre ma guérison en
blée; et maintenant que me voilà rétabli, je contrariant votre charité; carde là-bas j'enten-
préfère à la santé le plaisir de jouir librement dais vos reproches, des lettres me les appor-
de votre affection. La de la fièvre n'est p:is
soif taient tous les jours... reproches d'amis qui
plus vive que le désir de revoir nos amis (|uaud prouvent combien vous savez aimer.G'est pour-
nous en sommes privés. Cumme le fiévreux sou- quoi je me suis levé, j'ai accouru vers vous'».
pire après l'eau fraîche, l'ami absent soupire Quel hom rue quel prêtre! Faut-il s'étonner
I

après ses amis. Mais puisqu'il m'est donné de qu'un peuple d'une libre délicate, d'une orga-
reparaître ici, rassasious-nuus, s'il se peut, les nisation poétique, bon et affectueux quoique
uns des autres, nous n'en éprouverons aucune mobile, éjirouvât pour lui une vraie passion?
satiété' ». Dans une autre circonstance, brisé On eût voulu l'entendre toujours. Enroué, ma-
par l'excèsdestravaux,!! étail allé respirer l'air lade, n'en pouvant plus, il se traînait a l'am-

pur des montagne s et se retremper dans la so- bon, et par quelques mots du moins apaisait la
litude et la liberté. Mais des letlres et d. s mes- soif des âmes. Au moindre événement qui émût

sages réitérés vinrent l'airaelier bien vite aux la cite, elle se p écipilait vers lui comme vers

douceurs d un délassement nécessaire. Il dut son consolateur et sa providence visible eile ne ;

revenir, a jieiiie eonvali'sccnt, re remin; un p< lisait que par lui. Survenait-il un tremble-

jong qu'il aimajl, mais dont il élan parlois ment de lern , el l^éiaienta.o; s très-fréquents

écra-é. u Est-ce Idcn vrai, dit ii en n montant a Aulioclie, il la ilq leChrysostoiiie rassurât
snrramlion, est-ce bi u vroi(|Ue \ous \ouséles la fui. le eponvidit e, Un jour.au milieu de sa

&iii\eiius de mol durant iimn absence? U'ant teneur, elle : iinplurii vainemcnl; mila !e, il

éiuii retenu à ;a campagne etconlraïutilegar-


• Chrys,, Horri. ^ur ces paroles : Je lui réjsistai en face... y n, 1» —
*Cbryà,, sur la paiab. ues ul. n. 1.
' CaDt. 5, 2. — Çlirys., 3om. delà péoit. , n. 1.
CIIAriTRE DIX IILITIÈME. 235

H<.T le lit. On court le ch» relier à une prande vres. Alors seulement je me croirai récompensé
distance, on !o siipi lie de parler, el lui, faible, de mes peines; mais jusqu'à jirésent vous me
anéanti par le mai, se ranime, les rem. rcie forcez à désespérer. Je n'ai cessé, soit en public,
d'être venus, les suit dans uneé^'lise cliampè- soit en particulier quand vous venez me voir,
tre, et, dût il
y perdre la vie, s'efforce de calmer de vous délouinr d'une m il heureuse habitude.
par de bonnes et saintes paroles les frayeurs Mes avertissemenis , mes prières demeurent
dont il est témoin, sans fruit... Cela m'afflige et me désole. Si
€ Je vous vois, dit-il, fout couverts de sueur ;
vous refusez de vous corriger, je vous interdi-
mais comme la prétlicjition m'a guéri, léchant rai l'entrée du saint lieu et la participation des
des psaumes vous a délassés. Ni la maladie ne mystères immortels, comme aux fornicateurs
relient ma langue captive, ni la fatigue ne vous etaux meurtriers ». '

empêche de m'écouter, ou plutôt, dès que la Toutefois, cesacdamations obstinées, cetuna-


parole s'est fait entendre, toute lassitude a dis- nime élan de sympathies populaires, n'em|iê-
paru... Qiant à moi, en dépit de la souffrance chaient pas certaines oppositions de se faire
et de tous les obstacles, je n'ai cessé de penser jour. Des murmures se glissaient entre les
à votre affection, et voulu me trouver au
j'ai louanges, montaient aussi à l'oreille de Chry-
et
milieu de vous aujourd'hui dans cette belle so- sostome. Une si haute vertu pouvait-elle exister
lennité. Jns(iu'à présent j'étais forcé de garder sans contradicteurs? X la splendeur du talent
le lit, mais Dieu a pris ma faim en pitié, car j'é- et de la popularité se joignaient, pour lui faire
tais affamé de vous parler autant que vous de des jaloux et des ennemis, l'intrépidité de son
m'entendre. Une mère malade aime mieuxsen- zèle et les saintes audaces de sa parole; d'ail-
tir sa mamelle tiraillée par son enfant que de le leurs, l'envie et la haine naissent inévitable-
voir desséché par la faim. Que mon corps soit ment sous les pas de toute supériorité, et s'y at-
donc tiraillé, je le veux, car avec plaisir on don- tachent comme ces insulteurs à gage attachés
nerait son sang pour des hommes qu'anime au char des triomphateurs sur la route du Ca-
une piété si parfaite, un si grand désir d'ins- pitole.La Providence, qui soumettait à cette
truction ' ». épreuve la grande âme de Jean, ne voulait que
une autre fois, de
« Je crains bien, disait-il rehausser d'un plus vif éclat les dons illustres
ne pouvoir répondre suffisamment à vos désirs. dont elle l'avait couronnée. Ecoutez-le parler :

Telle une tendre mère se désole, lorsqu'ayant « Ici, du moins, dans la maison du Seigneur,
un petit enfant à allaiter, elle ne peut lui offrir recevez-moi avec charité, et quand je dis Paix :

abondamment la source du lait. Cependant elle à vous, répondez Et à ton esprit ; répondez,
:

lui donne sa mamelle bien que tarie ; et lui, la non de bouche mais de coeur car, mon frère, ;

prend, la tire, la réciiauffe toute glacée entre si dans cetteenceintetume dis: Paix, et qu'ail-
ses lèvres, et y puise plus de nourriture qu'elle leurs tu m'attaques, tu me poursuives de tes
n'en contient. La mère souffre cruellement outrages, qu'est-ce que cette paix? Pour moi, tu
tandis que son sein est ainsi tiraillé mais elle ; as beau me haïr, je te bénis du fond de mon
ne repousse pas son cher nourrisson, car elle âme, avec une affection sincère, et je ne puis
est mère, et tout souffrir lui semble plus doux dire aucun mal de toi, car j'ai des entrailles de
que d'affliger ce qu'elle a mis au monde' ». père. Si par moments je te blâme, c'est ma sol-
Mais si Jean subissait volontiers cet affectueux licitude pour ton salut qui m'inspire mesrepro-
despotisme d'une popularité pure et sainte, il ches et toi, tu me mords en secret
;
Ce qui I

n'en accueillait qu'avec peine les témoignages m'afflige, ce n'est pasd'être insulté ou repoussé,
bruyants, a Je ne veux, disait-il sans cesse, ni c'est qu'en me refusant la paix tu provoques
de vosapplaudissementsni de ce tumulte. Tout contre toi-même la justice de Dieu... Mais vous
mon désirest, qu'après avoir écouté en silence aurez beau redoubler d'injures à mon égard,
ce que je dis, vous le mettiez en pratique. Voilà jene cesserai jamais de vous souhaiter la paix,
les louanges que j'ambitionne Vous n'êtes jamais je ne secouerai sur vous la poussière de
pomt au théâtre ni devant des acteurs c'est ici ; mes pieds, non que je veuille désobéir au Sei-
une école spirituelle, et tout ce que vous avez à gneur, mais parce que je vous aime d'un ar-
faire est de prouver votre docilité par vos œu- dent amour. Il est vrai, je n'ai rien fait pour
vous de bien difficile je ne viens pas de Igin,
* Cbryi., Bom., après le tremblement de terre, D. 1. — ' Cbrjs.
;

Som. i, lur cei ptrolei : /'ai vu le Seigneur, d. I. ' Chry»., in Ualth., Bom. 17, in fin.
236 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

je n'ai ni la pauvreté ni levêlement d'un apô- les plus opposées au but de nos réunions *

tre, je ne vais pas pieds nus, avec une seule Oserai-je le dire? L'église est devenue un
tunique. Je suis le premier à m'accuser mais ; théâtre. Les femmes y viennent parées avec
ma faute n'est pas l'excuse des vôtres Ac- plus d'inconvenance et d'impudeur que des
cueillez-moi, comme l'ordonne saint Paul, avec courtisanes. Elles y traînent à leur suite les
bienveillance et charité. Du moins, aimez-vous débauchés. Si quelqu'un veut corrompre une
les uns les autres, et corrigez-vous. Ce sera femme, nul lieu, je crois, ne lui paraît plus

pour moi une suffisante consolation de vous convenable pour cela que l'église. Si l'on veut
voir pratiquer le bien et devenir meilleurs et ; vendre ou acheter, on trouve l'église plus
je vous montrerai une plus vive charité, si je propre au négoce que le marché. On y médit,
vous aime davantage à mesure que vous on y entend médire plus qu'ailleurs; et si vous
m'aimez moins ». ' êtes curieux de nouvelles, vous en apprendrez

Mais ce n'étaient point ces rares contradic- plus ici qu'au tribunal ou chez le pharmacien.
tions, à peine visiblesdans l'unanimité de la Est-ce tolérable? Pouvons-nous le supporter?

faveur populaire, qui contristaient l'àme géné- Tous les joursjemefatigue, jemedéchire pour
reuse de Chrysostome. Ce peuple, si fier de son que vous emportiez d'ici un enseignement
pasteur, si prompt à l'applaudir, l'affligeaitsur- utile. Vous sortez avec plus de dommage que

tout par sa malheureuse mobilité. Mêlant l'ima- de profit^... Les choses en sont venues à ce
gination à la foi, il aimait les solennités reli- point que tout est perdu, tout est corrompu.
gieuses et remplissait l'église certains jours; L'église ne diffère pas d'une étable de bœufs,

mais assez souvent il la laissait vide. On eût dit d'ânes ou de chameaux; je cherche une bre-
qu'à ses yeux l'éloquence du grand orateur per- bis, je n'en vois pas une seule; car tous re-
dait la moitié de son attrait, quand elle n'était gimbent à l'instar de chevaux et d'ânes sau-

pas rehaussée du prestige des pompes sacrées. vages, et remplissent le saint lieu d'ordures :

Parfois l'hippodrome faisait déserter l'autel. Le c'estlenom qu'ilfautdonneràleur entretien'».


vent de la frivolité, emportant au loin ces âmes «Je voudrais, disait-il une autre fois, repren-
légères, effaçait en un clin d'oeil les traces d'un dre la suite de mes travaux; je n'en ai pas le
travail ardent et prolongé. L'homme de Dieu, courage. Un nuage de tristesse s'est abattu sur
qui semblait tenir dans ses mains le cœur de ma pensée, quedis-je? non-seulement de tris-
la multitude, tombe alors dans le décourage- tesse, mais d'indignation. Je ne sais que faire,
ment. Comme Jésus à Gethsémani, il fait, pour j'hésite.Quand je songe, en effet, qu'au premier
réveiller ses disciples, d'impuissants efforts. souffle du démon vous avez oublié mes ensei-

Triste comme son âme, sa parole déplore ses gnements de chaque jour pour vous précipiter
espérances déçues. tous à ces jeux sataniques, puis-je avoir la moin-
o Est-ce en vain, que je cours,
s'écrie-t-il, dre ardeur à recommencer un ministère qui
que je travaille? N'ai-je semé que sur la oblientsi peu de fruit?... J'ai honte, croyez-le,
pierre, parmi les ronces? Je crains que mes je rougis de travailler en vain, de ré|)andre sur
efforts n'aboutissent à rien... Dieu sans doute des pierres la semence évangélique... Qui ne
me tiendra comjite de ma bonne volonté : j'en déiilorerait votre conduite et ne me trouverait
ai la fuime assurance... Mais, quand je vous malheureux?... N'est-ce donc que pour char-
vois ainsi ne pas faire un pas dans la vertu, je mer vos oreilles ou capter vos louanges que je
gémis, je me désole comme le laboui-eur dont parais à cette tribune? Si de mes paroles vous
les fatigues et les sueurs sont perdues ^ ». ne tirez aucun bénéfice, il vaut mieux que je
« Autrefois, s'écriait-il encore, les maisons garde le silence; car je ne voudrais pas être
étaient (les églises ;aujoui(i'hui l'église est une pour vous la cause d'une plus sévère con-
maison. Alors on ne dis.iit rien de monilaiu dau) nation' ».
dans les maisons; niaiiilenant on ne dit rien Etaus^itôt, craignant d'avoir frappé trop fort,

de spirituel d.ms l'éfilise. Vous y |)orlez les il ajoute avec une bonté délicate : « Je sens que
affalas et les discussions de la place |);i!jli|ue, j'ai u>é de repioche-^ tiop vifs. Pardoiuiez-le-
et même quand Uieu paile, loin de faire ^iltnce moi. La douleur d'ordinaire ne garde pas de
pour l'écouter, nous vous entretenez des thoses
'Chry-., Bom. :<-', sur S Mallh., n. 7. — ' Chrys., ffom.,36,

sur la Ire aux i.oiinth., n. 7. — ' Clirys., Nom. SB, sur S. MaUU.

'CtarjB., Jiom. 32, surS.Maub. — 'Cbr;s., eur S. Jean, Eom. 13. D. 4. — ' Chiys., Mom.
6, sur la Genès., n. 1.
CIIAPITUE DIX-HUITIÈME. 237

mesure. Mais ce n'est pas d'une poitrine en- mène toujours, malgré de fréquentes inQdéli-
nemie que sortent mes paroles elles viennent ;
tés, à leur éloquent .uni. Ces assemblées, qu'il
d'un cœur plein de sollicitiule et de tendresse préside et qu'il tharnic, si nombreuses qu'elles
pour vous Je me relâche donc de ma sévérité.
:
soient d'ordinaire, nesont que des réunions de
Il me suffit d'avoir arrêté le projîrès du mal; je famille où, comme un père au milieu de ses
veux animer encore votre charité d'une douce enfants, il discute avec un délicieux abandon
espérance et vous préserver du découragement les intérêts éternels, souvent aussi les intérêts

où je suis B. ' temporels de ses audileurs. Quelle verve pi-


Ce découragement, ilestvrai, va parfoisjus- quante et quelle aimable comidaisance Quels !

qu'cà la défaillance. A la vue de cette incorri- coups de tonnerre et quel accent de bonté 1
gible mobilité, de ces protestations de repentir Grand et sublime, il est parfoisd'une ravissante
si souvent renouvelées et toujours démenties, naïveté. Comme il connaît ce peuple; et, tout
de de ces préjugés, de ces misères de
ces vices, en le grondant, quelle paternelle pitié pour ses
l'âme et du corps qui défient son éloquence et entraînements, quels délicats ménagements
sa charité, Chrysostome, abattu, désolé, déses- pour sa faiblesse ! 11 veut que toutes les précau-
père de son ministère la pensée de la retraite ;
tions soient prises [lour qu'il se trouve bien à
que Pierre
lui vient à l'esprit. Mais aussitôt, tel l'église pendant la prière publique. Mais lors-
fugitif, une voix puisFante lui fait honte de sa que, dédaigneux de ces attentions multipliées
faiblesse et le ramène au combat. aNon,s'écrie- du pasteur, ils allèguent, pour motiver leur
t-il,je ne puis abandonner mon œuvre, j'y suis absence, la saison brûlante et le poids du jour,
attaché jusqu'à la fin de mes jours'.... Si vous que pourtant ils savent braver au cirque et sur
persévérez dans le mal, après mes avis répétés, la place publique, il se moque de leur mol-
je ne cesserai pas pour cela de les répéter en- lesse.

core. La source jaillit et le fleuve coule, bien Ne voyez-vous pas, leur dit-il, les athlètes
que personne n'y vienne puiser ou boire ainsi : des jeux olympiques debout, en plein midi, au
le prédicateur; ildoitparler, même quand nul milieu de l'arène, comme dans une fournaise,
n'écoute Jérémie, voyant que les Juils se recevant sur leurs membres nus, tel que des
moquaient de ses menaces et des maux qu'il statues d'airain, les plus vifs rayons du soleil,
leur prédisait, en proie fous les jours à leurs et luttant contre la poussière et la chaleur, afin
railleries, eut la pensée d'abandonner sa mis- d'attacher une feuille de laurier à leur tête as-
6ion de prophète ; la faiblesse humaine attei- saillie par tant de souffrances? Pour vous, ce
gnant un moment son cœur, et ne pouvant n'est pas une couronne de laurier, mais la cou-
plus supporter ces outrages et ces sarcasmes, il ronne de justice qui doit récompenser votre
disait : Je ne parlerai plus, je n'annoncerai attention, et nous nous gardons bien de vous
plus le nom du Seigneur... Mais aussitôt il retenir jusqu'au milieu du jour mais, dès le ;

ajoute : Un feu dévorant s'est allumé dans mes matin, nous vous renvoyons par ménagement
os, et voilà que tout mon corps est dissous.. ' / pour votre faiblesse, tandis que l'air est encore
— • Or, si lui, raillé, insulté chaque jour, subit frais et que la réverbération de la lumière ne
un tel châtiment pour avoir voulu se taire, se- l'a pas échauffé. Ici, d'ailleurs, le soleil nedarde

rions-nous dignes de pardon, nous qui n'avons pas ses feux sur vos têtes nues; nous vous re-
éprouvé encore rien de pareil, si, pour la né- cevons sous un plafond admirable, et, outre
gligence de quelques-uns, nous allions perdre l'avantage de cet abri, nous avons tout disposé
tout courage et renoncer à l'enseignement de dans cette enceinte pour (pie vous y soyez com-
la doctrine, surtout (juand nous avons sous les modément, et qu'une plus longue assistance à
yeux tant de fidèles attentifs'? » nos discours ne vous cause aucune fatigue '. Ne
La voix de l'indulgence parleaussi haut dans soyez donc pas plus lâches que vos petits en-
le cœurdeChrysostome que celle du devoir, et fants qui vont à l'école : ils n'oseraient rentrer
cetteafTectueuse indulgence ne l'abandonne ja- à la maison avant midi. Sevrés depuis peu,
mais. Elle double l'attrait de son talent, et c'est ayant à peine cinq ans, ils supportent, dans un
elle, peut-être plus que son éloquence, qui corpsjeune et délicat, la chaleur, la soif et tous
touche, captive ces natures mobiles, et les ra- les ennuis, et travaillent courageusementjus-
— qu'au milieu du jour assis sur les bancs de la
* Cbryt., Bom. 6, >ur la Genès. n. 2. Chrys., >ar S. Mallh.,
Som. 32, n. 7. — ' Jéiém., 20, 8.— ' Chr;!., <(« Laxaro, du. i. n. 1. Voir aussi Uom, 18, sur S. Jean, a, t.
» .

238 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

classe. Imitons au moins ces enfants, nous, patronage, quand je serai accusé devant le
hommes, arrivés à la plénitude de la vie car, ; grand juge, quand il me demandera comptede
si nous n'avons pas la force d'écouter des exlior- ma mission, et qu'il me reprochera den'avoir
tations à la vertu, comment espérer que nous que faiblementdéfendu la sainteté deses lois*?»
saurons souffrir mourir pour elle'?
et On me reproche, dans une autre
disait-il

Au fond, et malgré ses plaintes réitérées, circonstance, de parler trop souvent en faveur
Clirysustome était sûr de ce peuple ; il le gou- des pauvres. —
Ne fahgue pas tes auditeurs, ne
vernait son gré par la parole et par l'amour ;
à sois pas indiscret. Permets à chacun de suivre
car il l'aimait et ilenétaitaimé, et c'était entre l'inspiration de son cœur. Tu nous humilies ,
l'un et l'autre,comme entre deux amis, un tu nous fais rougir. —
Je n'accepte pas cette
continuel échange de confiance, de dévoue- observation. Paul hésitait-il à se rendre impor-
ment, de tendresse. Sérieuse et profonde autant tun en faveur des malheureux, à demander
que sainte, l'affection de Jean pour son trou- l'aumône? Sije vous disais Donnez-moi, por-:

peau ne ressemblait en rien à ces menteuses tez chez moi, ce serait chose honteuse; et en-
adulations des ambitieux et des tribuns qui core, que sais-je ? car qui sert l'autel doit vivre
enivrent la multitude pour l'asservir. C'est du de l'autel. Mais, enfin, vous seriez admis à ob-
fond même de ses entrailles que sortaient des jecter que je plaide mon propre intérêt. Or ,
paroles comme celles-ci « Je vous porte tous : vous le savez, c'est pour les indigents, ou plu-
dans mon cœur, vous occupez toute ma pen- tôt pour vous-mêmes que je supplie, et voilà

sée. Le peuple est immense, mais la charité est pourquoi je m'exprime en toute liberté. Qu'y a-
immense aussi, et vous n'êtes pasà l'étroit dans t-il donc de si honteux à dire Donnez au Sei- :

mon âme. Je n'ai d'autre vie que vous et le gneur qui a faim, vêtissez-le, car il est nu ?
souci de votre salut ^ ». Les actes réi)ondaient Lui-même, le maître de l'univers, lui dont
aux déclarations. L'existence de Chrysostome toute créature a besoin, qui n'a besoin d'au-
n'était, en effet, qu'une longue immolationau cune, n'a-t-il pas dit J'avais faim, vous ne
:

bonheur du peuple. L'éclairer, le consoler, le m'avez pas donné à manger ? Et s'il a tenu ce
rendre meilleur, le pénétrer du sentiment de langage, pourquoi rougirais-je de le tenir ? A
sa valeur en Jésus-Christ, le mettre en posses- Dieu ne plaise Non, je ne rougirai pas, mais
!

sion de tous les biens de la vertu, c'est à quoi je crierai Donnez aux pauvres, et je crierai
:

tendaient tous ses efforts : il y usait sa vie. Le plus fort que les pauvres eux-mêmes. Si quel-
peuple, de son côté, s'abandonnait sans réserve qu'un pouvait prouver qu'en faisant ainsi nous
à Chrysostome, heureux de trouver en lui, non- voulons attirerànous,etsous le prétexte de cha-
seulement un protecteur et un guide, mais un rité, nous enrichir, nous mériterionsle mépris

chef, le chef le plus désintéressé, le plus dévoué, des hommes et les foudres du Ciel, nous serions
le plus intrépide. Cette étroite union, cette es- indignes de vivre. Mais, par la grâce de Dieu,
pèce de solidarité entre le pasteur et le trou- il ne s'agit nullement de nous; c'est à nos frais,

peau, cette dictature spirituelle, si aimée et si sans aucune charge pour personne, que nous
obéie, ne laissait pas que de porter ombrage à annonçons l'Evangile non que je travaille de
:

quelques esprits rétifs et jaloux, à quelques mes mains comme l'Apôtre, mais parce que
riches blessés des véhémentes objurgations de mes propres revenus me suffisent. Aussi, je le
l'orateur lui, il y puisait un sentiment plus
;
dis avec toute assurance, je ne cesserai de le

profond de ses devoirs, un plusardentcourage redire : Donnez aux pauvres, etje serai l'inexo-
à tout braver pour les rem|)lir. De là, des pa- rable accusateur de ceux q ui ne donnent pas ' »
roles qui semblent audacieuses et provoca- L'engagement qu'il prenait par ces derniers
trices, qui n'étaient que le cri d'une conscience mots, l'intrépide orateur le tient largement.
émue « Que tel riche, tel grand se fâche et
: Après un tremblement de terre qui avait ra-
prenne de hauts airs vis-à-vis de moi cela : mené la piété dans la ville à la suite de la ter-
m'inquiète à peu près comme une fable, une reur, il félicite le peuple de son retour à Dieu,
ombre, un songe. Est-ce qu'au tribunal de mais il ajoute «Où sont maintenant les chefs,
:

Dieu ces princes de la cité museront de quelque les grands, tous ceshautsprotecteursde la cité?

secours ? Est-ce qu'ils me couvriront de leur C'est vous qui en êtes les tours, le rempart, la

* Chrys., Bom. 2, sur k chaDg. de nom, D, 1. — * Chrys,, 8om. d, ' Cbrys., i/em. 17, sur S. Mattb., , 7. — > Chrys., Bom. 43,
au peuple d'Aatîgclie, SOI la lie aux CoriDtta,, u. 1 ei 2,

I
CHAPITRE DIX-HUITIÈME. 239

solidité.Eux, par leur méchanceté, ils l'ont ce à dire? Parce que l'Eglise fait l'aumône,

mise à deux doigts de sa perte vous, par vos ; tes péchés sont- ils rachetés? Parce qu'elle
vertus, vous l'avez sauvée. Qu'on demande donne, es-tu dispensé de donner ? Alors, parce
pourquoi la ville a tremblé sur ses fondements, qu'elle prie, tu n'as jamais à prier? Parce que
la réponse est dans l'esprit de tous c'est : d'autres jeûnent, tu vivras dans l'orgie? Ne
l'œuvre de l'avarice, de l'injustice, de l'orgueil, sais-tu pas que
Seigneur a porté la loi de
si le

de la mauvaise foi. De qui? des riches. Qu'on l'aumône, plulôten favcurdu richequ'en
c'est
demande, au contraire, commentelle a éciiappé faveur du pauvre? Le prêtre t'est-il suspect?
au péril, on répondra Par les prières, par les : Pratique par toi-même la charité, tu n'en auras
veilles pieuses, parles chants sacrés. De qui? que plus de mérite... Au temps des apôtres,
des pauvres. Ce qui a failli perdre Antioche quand on vivait de la vie des anges, quand tout
vient d'eux ; ce qui l'a délivré vient de vous '
! » était commun entre les fidèles, on murmurait
Ces vives sorties, si blessantes pour ceux qui déjà contre les dispensateurs de l'aumône. Mais
en étaient l'objet, si étranges sur les lèvres croyez-vous avoir juslilié votre égo'isme en
d'un apôtre de lacharité,étaient pourtant trop disant que l'Eglise est riche? Si l'Eglise a de
justifiées par l'incroyable attitude d'un grand grandes ressources, elle a aussi de grandes
nombre de maisons opulentes de cette époque. charges. Comptez les pauvres inscrits sur ses
Là, un faste insolent, de per|iétuelles orgies, listes, comptez les infirmes qu'elle secourt.

des nuées d'esclaves pour servir les caprices Examinez, scrutez, nous sommes prêts à vous
d'un parvenu, les pratiques les plus infâmes rendre compte. Mais quand vous aurez acquis
de l'usure avec les prodigalités les plus dégoû- la preuve que les dé[>enses ne sont pas au-
tantes, desmasses d'or enfouies par l'avarice à dessous des recettes, et que plus d'une fois elles
côté d'ouvriers sans travail, de colons déses- leur sont supérieures, je vous demanderai, à
pérés, d'une foule de malheureux que leurs mon tour, ce que vous répondrez à Jésus-
créanciers faisaient vendre sur la place publi- Christ le jour où vous paraîtrez à son tribunal
que, ou qui vendaient eux-mêmes leurs pro- et qu'ilvous dira J'élais 7m, j'avais faim, et
:

pres enfants pour payer l'impôt. Cette vue a vous ne m'avez pas nourri, vous ne m' avez pas
déchiré l'âme de Chrysostome, et lui arrache vêtu ? Quelle sera votre défense ? Citerez-vous
des cris terribles d'indign.ition : cesontlescris telou tel qui n'a pas fait mieux que vous?
de l'humanité opprimée, du sang rédempteur Nommerez-vous des prêtres coupables ? Que —
foulé aux pieds de l'orgueil, du sybaritisme, t'importe? dit Seigneur. Je t'accuse de tes
le

de l'injustice. Dans cette métro[)ole brillante péchés. Il s'agit de prouver, non que d'autres
de la Syrie, oîi l'on comptait tant de fortunes sont aussi coupables que toi, mais que tu n'es
colossales, aux portes de ces spieudides demeu- pas coupable toi-même. — Du reste, si l'Eglise
res où de Gères matrones, étendues sur des possède quelques biens, c'est vous qui l'y con-
lits d'ivoire, passaient leur vie à s'adorer elles- traignez. Donnez, suivant les lois apostoliques,
mêmes, dans encombrées de somp-
ces rues et votre charité sera notre revenu, et nous au-
tueuses de chevaux aux freins d'or,
litières, rons dans votre cœur un trésor inépuisable.
de chars aux roues d'argent, étincelants de Mais parce que vous ne songez qu'a thésauriser
pierre ries, unemisèreimmenseétalait au grand etque vous enterrez votre argent, l'Eglise est
jour les plus hideuses dégradations. Et l'ajiôtre chargée de dépenses auxijuelles il faut bien
du Christ aurait pu étouffer dans son cœur sa qu'elle pourvoie. A qui incombe le soin de
colère sainte t II aurait pu sourire aux oppres- tant de veuves, de tant de vierges, de tant
seurs en consolant les opprimés I de malheureux sans asile, et des captifs, et
Du reste, ces faux Chrétiens sur lesquels il des maladt's, et des cstro|)iés, et d'une foule
tenait suspendu le glaive de sa parole, se ven- de nécessiteux? Faut-il re|)0usser ces misè-
geaientdes accusations de l'Eglise en l'accusant res? Faut-il fermer le port à tous ces naufra-
à leur tour. N'est-elle pas riche, di=aient-ils? gés? Etiiuidonc répomiraà ces cris de dou-
Que fait-elle de ses trésors? Et ils lui ren- leur? Qui essuiera toutes ces larmes? Ne dites
voyaient en foule les malheureux qu'ils refu- plus au hasard ce qui vous passe par la tête.
saient de secourir. Jean répond, avec réloi|ueiice Sachez-le de nouveau, nous sommes prêts à
des faits, à ces perfide^ insinu,ilions : a Qu'eit- vous rendre compte ». '

* Cbryi., Som. afièi la uemUeoKDt de lerra. ' Ctu;E., ùom. 21, lur la l<r «lu Cwutli., in /Sni
2iO HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

Même dans les plus vifs emportements de Je perdrai plutôt la vie, que de donner à un in-
l'orateur, on ne sent jamais que le frémisse- digne le sang du Seigneur' ».

ment de la charité. Sa vie était si pure, son L'œil sur son devoir, Chrysostome eût tout
désintéressement si parfait, il montrait dans bravé la crainte n'approcha jamais de son
;

toute sa conduite des intentions si droites, une cœur. Mais pour lui, le premier des devoirs
âme si grande et tant de dévouement, et, aua- était le salutdes âmes. Il en savait le prix, il en
\ers les foudres contrôle pécheur supei'be, tant avait la sainte passion, et il lui semblait que le

d'indulgence et de compassion pour lafaiblesse naufrage d'une seule devait l'accuser et le per-
et le repentir, qu'on eût dit moins un prêtre dre lui-mêmeau tribunal de Dieu.La tendrecha-
qu'un prophète. Antioche courait au fils d'An- rilé qui l'animait pourles pauvres, m'éprouvait
Ihusa, comme Jérusalem au fils de Zacbarie sur plus vive encore pour les pécheurs, ces indi-
les bords du Jourdain. Les murmurateurs, ceux gents de l'âme, aveugles, malades, d'autant
qui détestaient un zèle prompt à flageller leurs plus à plaindre qu'ils sentent moins leurs mi-
vices, s'inclinaient respectueusement devant sères. Aux mécomptes fréquents que lui ména-
une vertu surhumaine. Chacun comprenait il ne fal-
geait l'inconsistancade son auditoire,
que, douce ou menaçante, sévère ou paternelle, lait moins que cet immense amour des
rien
sa voix était celle du devoir ; les uns la redou- âmes pour préserver ses travaux d'un découra-
taientcomme le remords, les autres l'aimaient gement trop justifié.
comme l'espérance, tons l'écoutaient comme oAquoi bon prendre tant de peine, me dira-
l'écho de la voix de Dieu. Pour ses coopérateurs t-on ? Que gagnes-tu à tes discours ? — J'y
eux-mêmes, elle avait l'autorilédelaloi. «Loin gagne, quelqu'un m'entend, que je remplis
si

de cette table sainte, leur disait-il, tout homme ma tâche. Le semeur sème, des grains tombent
inhumain, tout homme cruel et sans miséri- sur les pierres, d'autres le long du chemin,
corde, tout homme impur Je m'adresse à vous
1 d'autres au milieu des épines, d'autres dans la
qui communiez, et à vous aussi, ministres de bonne terre. Trois parts de la semence ont
la communion car il est nécessaire de vous
;
péri, une seule est sauvée c'est assez au culti- :

rappeler que cette distribution des dons sacrés vateur pour ne pas abandonner sa culture. Or,
doitêtre faite avec une grande attention. Vous ici la divine semence est jetée dans une multi-

n'encourriez pas un léger châtiment, si, con- tude si grande, qu'il est impossible qu'elle ne
vaincus qu'un homme est plongé dans le vice, donne pas quelques épis. Si tous ne m'écou-
vous l'admettiez au banquetdivin Qu'il soit tent pas, la moitié m'écoulera; si ce n'est pas
général, qu'il soit préfet, qu'il porte le diadème, la moitié, ce sera le tiers ; si ce n'est pas le tiers,
s'il est indigne, arrête-le ; ton pouvoir est au- ce sera le dixième; et quand ce ne serait pas le
dessus du sien. Si on avait confié à ta garde dixième, pourvu qu'un seul m'écoute, dois-je
une source d'eau pure pour abreuver le trou- me taire? Ce n'est pas une petite chose qu'une
peau, souffrirais-tu qu'une brebis couverte de brebis sauvée, fût-elle seule. Le bon pasteur
boue vînt la troubler en y plongeant sa tête n'en laissa-t-il pas quatre-vingt-dix pourcourir
souillée? Or, ici tu as à veiller, non sur une à une seule qui se perdait ? Je ne fais pas
source d'eau, mais sur la source du sang de l'homme mépris de tous les êtres vivants, c'est
Jésus-Christ et de l'esprit sanctificateur ; et tu le plus cher à Dieu. N'y eût-il qu'un homme
laisseraisapprocher des hommes que le péché devant moi, et fût-il esclave, jeme garderaisde
rend plus sales que la boue! Tu ne mériterais le dédaigner. Je cherche, non le rang, mais

aucune grâce. Dieu vous a conféré le sacerdoce lavei'tu ; non l'autorité ou la servitude, mais
pour faire ce discernement; c'est là votre di- l'âme. Qu'importe qu'il soit seul? Ce n'est pas
gnité, votre sécurité, votre couronne, non de moins l'homme pour qui le ciel a été déployé,
vous promener dans le temple avec une tuni- pour qui le soleil brille, pour qui la lune par-
que éclatante de blancheur. Chassez donc tout . . court sesphases, pour qui lessources jaillissent,
ce qui est indigne, et ne craignez rien, ou plu- pour qui l'air et l'océan enveloppent la terre,
tôt, mon frère, crainsDieuetnon pas l'homme. pour qui les prophètes ont clé suscités et la loi
Si tu crains l'homme, il se moquera de toi ; si promulguée.Qu'est-il besoin de tout énumérer?
tu crains Dieu, les hommes mêmes te respecte- C'est pour lui que le Fils unique de Dieu s'est
ront. Si tu n'oses arrêter toi-même le pécheur, fait homme mon Maître a été immolé, il a
:

conduis-le-moi; je saurai contenir son audace. » Chrys., Bom. 82, in MaUh., t. 7, p. 789.
CHAPITRE DIX-HUITiÈME. at
i

versé son sang pour l'homme, et l'homme se- pièges ; et si parfois il fait briller devant la
raitpeu de chose à mes yeux ' 1 » conscience coupable le glaive de la justice éter-
Cette haute estime des âmes, Chrysostome nelle, plus souvent il déploie devant l'àmc
veut la communiquer à tous ceux qui l'onlou- découragé'' les trésors delà miséricorde infinie.
rent ; il veut que, pénétré du zèle qui l'anime Prédicateur du libre arbitre, il l'est aussi de

lui-même,chacunsoitunapôlrepoursesfrcres. la pénitence, c'est-à-dire du pardon. Personne


« Entre eux et nous, quand ils sont absents, n'a commenté avec plus d'éloquence et d'onc-
dit-il, votre cliarité doit servir de pont ; faites tion ces paroles du Rédempteur Le fils de :

en sorte que nos enseignements arrivent à leurs l'homme est verni, non pour perdre les âmes,
oreilles par votre bouche*... Lorsqu'une synaxe mais pour les sauver \ Après avoir mille fois
doit avoir lieu, dirige-toi vers la maison de ton rappelé à des hommes énervés par de funestes
frère, attends-le à sa porte, saisis-le au moment doctrines que leur destinée ne dépend ni des
où il sort quelque pressé qu'il soit, ne permets
; astres, ni de la fortune, ni du démon, mais
pas qu'il entame aucune affaire avant que tu d'eux-mêmes, il combat avec non moins d'ar-
l'aies amené à l'église et qu'à toninsligafionil deur, ce sophisme (Je la lâcheté qui se fait de
ne soit resté jusqu'à la fin de l'assemblée. S'il la sainteté de la loi un molilde s'en affranchir,
résiste, s'il allègue des prétextes, ne le crois et, se prétendant trop coupable pour désarmer
pas, ne cède pas, persuade-lui bien qu'il trai- la justice de Dieu, se dispense de tout effort
tera de ses intérêts avec plus de facilité et de pour sortir du vice. Il défend aux uns de croire
succès, après avoir pris part à la prière com- au fatalisme, aux autres de renoncer à l'espé-
mune et reçu labénédiction des Pères ; décide-le rance à tous il redit sans cesse qu'ils n'ont
;

à venir avec toi à la table sacrée, et tu recevras qu'à vouloir pour briser le joug de Satan et
une double récompense '...Je vous l'ai souvent être sauvés, que du fond de l'abîme un géné-
demandé, je le demande encore, amenez nous reux repentir peut les faire remonter d'un
vos frères, exhortez, conseillez, non par la pa- bond jusqu'au ciel, qu'il suffit d'une larme du
role seulement, mais par l'exemple. L'ensei- cœur pour rendre à l'àme souillée sa beauté
gnement par les œuvres est préférable à celui première, à l'esclave du péché la liberté et les
des discours. Quand vous garderiez le silence, droits des enfants de Dieu, que toute péche-
si votre maintien,volre regard, votre démarche, resse est admise à devenir une Madeleine, tout
votre modestie attestent à ceux qui n'ont pas publicain un saint Matthieu, tout renégat un
fait partie de notre réunion le fruit que vous saint Pierre, que le Seigneur, qui déteste Thy-
en avez tiré, cela équivaut à des exhortations pocrisie, accueille la pénitence, que ses bras
et des conseils. Nous devons sortir de cette en- sont ouverts à tous les prodigues, et qu'il serait
ceinte comme d'un sanctuaire, comme si nous plus facile d'épuiser l'océan que sa longani-
descendions du ciel, modestes, recueillis, nous mité. Aux touchantes paroles, aux exemples de
entretenant de choses siintes, réglés dans nos l'Ecriture, Chrysostome ajoute des faits con-
actions et nos paroles. Que la femme qui voit temporains propres à impressionner vivement
son mari, que le fils qui voit son père, que le son auditoire. « N'avcz-vous pas entendu par-
père qui voit son flls, que l'esclave qui voit son de cette courtisane qui l'emportait
ler, dit-il,
maître, que lami qui voit son ami, que l'en- sur toutes les femmes perdues, et qui, plus
nemi qui voit son ennemi revenant de notre tard, a surpassé en piété les plus saintes? Je
assemblée, que tous, à cette vue, aient la preuve parle, non de celle de l'Evangile, mais de celle
des biens qu'on emporte d'ici ; et ils l'auront, qui élait si fameuse vers le temps de ma nais-
s'ils remarquent que vous êtes devenus plus sance, issue de la ville la plus corrompue de la
doux, [.lus patients, plus religieux'». Phénicie, elle occupait le premier rang au
A la haine implacabledu péché, Chrysostome théâtre, et sa réputation s'étendait jusqu'en
alliait une grande indulgence pour le pécheur. Cilicie eten Cappadoce. De combien de riches
Sévère, terrible à l'orgueil endurci, il est plein elle adévoré la fortune Combien de jeunes !

de pour la faiblesse humaine que sédui-


pitié gens elle a séduits Ou l'accusait d- maléfices,
I

sent tant de mirages, qu'entourent tant de comme si sa seule beauté, sans les l'hiltrcs et
' Chryi., «HT le Iremlilement de tene et Lazare, n. 2. — "Chrys., les enchantements, ne suffisait pas à son désir
Bom lur fin'eripl. d'un autel, n. 2. —
' Chrys.,
nom 4, sur la
de faire des victimes Elle prit dans ses rets le
cbangemeoi de oonn, Uom. 1, d. a. — *Chty»., flom. lur ces par.:
1

S^il a faim, n, 4. • Luc, c. 9, V. 56,

Tome I.
58
m HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

frère même de l'impératiice. On ne résistait un vivant rayon. Cet homme , à qui l'horreur
pas à sa puissance. Mais, tout à coup, je ne sais du péché inspirait de si éloquentes colères, dont
comment, ou plutôt je le sais, par un change- leseul regard commandait le respect, accueillait
ment de sa volonté, ayant obtenu la grâce de avec la même bouté paternelle, la même com-
Dieu, elle s'arracha aux charmes diaboliques passion affectueuse, les pécheurs et les pauvres.
qui la captivaient, et prit sa course vers le ciel. 11 avait, comme saint Ambioise,
le don de s'in-

Elle, dont rien n'égalait l'impudeur sur la sinuer dans âmes, d'y exciter les larmes du
les

scène, est devenue un modèle de chasteté, et, regret, d'y enflammer l'amour de la vertu, et
vêtue d'un cilice, a passé le reste de ses jours nul ne le quittait sans le bénir, sans se sentir
dans la pénitence. En vain le préfet, poussé par meilleur et comme retrempé revivifié par sa ,

quelques personnes, voulait la contraindre à conversation.


reparaître sur le théâtre, les soldats envoyés Nous avons raconté l'origine et les dévelop-
pour l'y entraînerd(, force ne purent l'enlever de pements du schisme fatal qui divisait l'Eglise
l'asile des vierges qui l'avaient accueillie. d'Antioche en deux communions ennemies,
Admise aux saints mystères, purifiée par la quoique orthodoxes l'une et l'autre. Vicaire et
grâce, elle s'éleva à une haute vertu, ne revit ami de Flavien, Chrysostome appartenait à sa
jamais ses adorateurs, et s'enferma elle-même communion. Mais il ne pouvait comprendre, il
dans une espèce de prison, où elle passa plu- déplorait hautement une pareille dissension
sieurs années. Ainsi, les premiers seront les entre des hommes qu'animait la même foi, qui
Ayons
derniers, et les derniers les premiers. poursuivaient le même but, dont la lulte faisait
donc confiance, rien n'empêche que nous ne la risée de leurs communs adversaires, héréti-
devenions, nousaussi, grands et admirables ' ». ques et idolâtres. C'était là, pour une âme
Les paroles suivantes de Chrysostome sont comme la sienne, un sujet de tristesse d'autant

restées célèbres : « Vous êtes pécheurs ? Ne vous plus grand, que, funeste à la discipline, mor-
désespérez pas : voilà le baume queje ne cesse telle à la charité, cette malheureuse querelle
d'appliquer à vos maux car je sais quelle arme
;
avait son principal aliment dans les ambitions
c'est contre le démon de ne pas désespérer. rivales d'une partie du clergé. L'insuccès de
Oui, quels que soient vos péchés, gardez-vous ses efforts pour opérer un rapprochement lui
du désespoir. Je le répéterai mille fois : Si vous arrache des plaintes touchantes oii respirent,
péchez tous les jours, faites pénitence tous les avec le plus ardent amour de l'unité, le désin-
jours.... Vous allez me dire : J'ai passé toute téressement, la noblesse, l'humilité de ce cœur
ma dans le mal, serai-je sauvé parla péni-
vie si profondément sacerdotal.
tence? Oui tu le seras. Pourquoi ? Parce que « Rien ne divise 1 Eglise comme l'amour de

le Seigneur a pour les hommes une grande la domination rien n'irrite Dieu comme la di-
;

bonté. Est-ce que mon espoir est fondé sur ta vision de l'Eglise. Aurions-nous pratiqué les
pénitence ? Est ce que ta pénitence peut effacer œuvres les plus parfaites, si nous déchirons l'u-
tant de crimes? S'il n'y avait qu'elle, tu aurais nité nous serons punis comme si nous avions
sujet de trembler. Mais à ta pénitence est jointe déchiré le corps du Seigneur... Je parle, non-
lacIémencedeDieu, cette clémence qui n'a pas seulementà ceux qui sont constitués en dignité,
de mesure, qu'aucune parole ne peut expli- mais à ceux qui sont placés sous leur direction.
quer. La malice, quelle qu'elle soit, est la Un saint homme a dit un motqni semble très-
malice d'un homme, elle est bornée la clé- ; hardi, savoir quele martyre même n'efface pas
:

mence qui pardonne est celle de Dieu, elle n'a un tel péché. Car enfin, pourquoi souffres-tu le
pas de bornes, elle est infinie. Représente-toi martyre ? N'est-ce pas pour la gloire de Jésus-
une étincelle tombant dans l'Océan : peut-elle Christ ? Tu livres ta vie pour Jésus-Christ
ysubfister, y être visible ?La malice del'homme et tu ravages l'Eglise pour laquelle Jésus-
est à la bonté de Dieu ce que l'étincelle est à Christ est mort Les attaques de nos en-
1

l'océan, moins encore, car l'océan a des rives, nemis nous font moins de mal que nos propres
la bonté de Dieu n'en a pas'». divisions les unes ajoutent à la gloire de l'E-
:

Cette divine miséricorde dont il célèbre les vangile, les autres l'exposent aux moqueries du
prodiges, Chrysostome en portait dans son cœur monde. —
S ils ont les mêmes dogmes, s'ils

Hom. —
croient les mêmes mystères, disent les païens,
' Chrys., 67, eur uint Math., n. 3, • Cbryi., Bon. 8,
fur U réait.,11, 1. pourquoi un pis'our envahit-il l'église de l'au-
CHAPITRE DIX-HUITIÈME. 2i3

tre? Tout est donc vaine gloire dans le Oliris- prime ce que je sens. Je voudrais que tous ceux
tianisine ; on y trouve p.irlont l'auiliilion, la qui ont conlrr moi de la rancune, et qui, i)ar
fraude, rastuce. Olrz ;inx Cinétiens leur nom- ressentiment, se font torlà eux-mêmes et pas-
bre, qui est la cause de la coi rii|)lion, et ils ne sent dans l'autre camp, je voudrais qu'ils me
sont plus rien. — douleur 1 i^^noniinie! frappent au visage et, qu'après m'avoir mis à
Maisvoici quiest plus houleux. Qurlqu'un, par nu, ils me (iécliireut là coups de fouet... Qu'im-

une faute grave, a t-il mérité d'clre puni, aus- porte qu'un homme de rien subisse quelques
sitôt grande rumeur. — Prenez g irde, il va vous outrages Sous le poids de l'humiliation, ja
?

quitter et passeravos rivaux. — Etqu'il y passe, prierai Dieu pour vous, et il vous ferait grâce.
qu'il se donne à eux. Fùl-ilsans leproclies, dès Non que j'aie confiance en moi, mais parce
qu'il médite la détection, qu'il l'exécute; sans que je suis persuadé que Dieu accueille favora-
doute, je le regrette, je le déplore, j'en souffre blementceluitjui, étant offensé, prie pour ceux
comme si l'on m'arrachait un île mes membres; qui l'ont off usé. Si mes prières étaient trop
mais cette douleur ne va pas jusqu'à m'inspi- fiibles, je m'adresserais à d'autres Saints, et ils
rer,pour la fuir, des choses indignes. Nous ne fléchiraient leSeigneur.Maisquand c'estàDieu
dominons pas sur votre foi, mes bien-aimés; lui-même que remonte votre affront, à qui au-
nous ne commandons pas en maîtres. Chargés rons-nous recours?... Dedeux choses l'une :ou
de la mission de vous instruire, nous ne pe- c'est le ministère des autres, ou c'est le nôtre
sons pas sur vous avec l'autorité des magi-trats. qui est entaché d'illégalité. Si vous pensez que
Nous donnons des conseils, nous ne cnntrai- de notre côté, nous sommes prêts à
le tort est

gnons personne, et ch icun reste libre de faire céder pouvoir a qui vous voudrez, pourvu
le

ou de ne pas faire ce qu'on lui dit. Nous ne se- que l'unité de l'Eglise soit assurée. Si nous
rions coupables qu'en taisant ce qu'il nous est avons été légitimeiuent institués, persuadez de
ordonné d'enseigner. Or, je ne veux pas qu'au quitter leurs sièges à ceux qui les ont occu-
jour du jugement vous m'accusiez de vous avoir pés contrairement à la loi. Je parle ainsi, non
laissé dans l'ignorance de vos devoirs. Je dis pour imposer un commandement, mais pour
donc, et je répète, que faire schisme dans l'E- vous prémunir parde bons avis. Chacun de vous
glise, c'estun aussi grand péché que d'embras- a l'âge de raison, et sera jugé sur ses oeuvres.
ser l'hérésie... Apprenez ceta, vous toutes qui Ne pensez pas qu'il vous suffise de rejeter sur
êtes présentes, et rapportez-le à celles qui ne nous le fardeau, pour être déchargés vous-
sont pas ici, car le mal vient en grande partie mêmes de toute responsabilité ce serait vous :

des femmes. Si quelqu'un de ces déserteurs tromper cruellement. Sans doute nous avons à
croit sevenger en agissant ainsi, il se trompe rendre compte pour vos âmes, mais tout au-
beaucoup. Si tu veux assouvir ta vengeance, tant que nous aurons négligé d'avertir, de sup-
voici un moyen moins dommageable pour toi : plier, de protester. Cedevoiraccompli, souffrez
donne-moi des soufflets, crache-moi au visage que je le dise, moi aussi Je suis innocent de :

devant tout le monde, accable-moi de coups. votre perte. Dieu me délivrera. Dites ce que
Quoi tu frémis à ces mots, et tu déchires le
1 vous voudrez, dites le vrai motif pour lequel
Seigneur sans frémir ! Tu mets en pièces le vous rompez avec nous, et je vous répondrai.
corps de ton maître, et tu n'es pas saisi d'hor- Mais vous ne le direz pas. Vous donc qui êtes
reur L'Egliseest notre maison paternelle nous
1 ; fidèles, je vous en conjure, insistez, faites tous

n'y sommes qu'un corps et qu'une âme. Si c'est vos efforts pour ramener ceux qui se sont éloi-
à moi que tu en veux, que ta colère s'arrête à gnés, afin que, réunis et unanimes, nous ren-
moi. Pourquoi t'en prendre à Jésus-Christ?... dions grâces à Dieu '
».

Je ne parie ni à la légère ni par ironie ;


j'ex- '
Chrfi., Som, 11, lut l'jp. aax Efb., n. 4, 5 (t 0^
Hii HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

CHAPITRE DIX-NEUVIÈME.

Clirysostome exégèle. — Récapilnlation ses travaux depuis


(îe d'Antioche. — Commentaire sur
l'amnistie Genèse,— snrsitet la

Jean, — — sur
sur saint Maltiieu, aui Romains. — Explication de ces paroles de l'Apôtre
l'épitre Toule puissance vient de
:

Dieu, — de
et Toutes
celles-ci : créatures gémissent
les attendent. — Commentaire sur
et deux aux les épitres Coriulhier.s,

sur l'épitreaux Galates, — sur aux Ephésiens. — Images dans


l'épilrc — Commeiilaire sur
les églises. aux Philippiens, l'épitre

sur les épitres àTimolhée, Philémon. — Commeutaiie sur


à Titus, à psaumes,. — sur
les premiers chapitres d'Isak. —
les

Discours sur divers — Pèlerinages au tombeau des martyrs. — Panégyrique de


sujets. Barlaam, — de saint Pélagie, — sainte

de sainte Domnine. — Homélies sur Pénitence. — Conclusion.


la

Dix ans s'étaient écoulés depuis la sédition et l'arrêtaient par moments; mais, à part les quel-
l'amnistie d'Antioclie. Flavien, plus qu'octogé- ques jours accordés à regret à un repos néces-
naire, se survivait à lui-même; mais, ses forces saire, il occupait toute Tannée la tribune sainte

trahissant son zèle, il avait besoin de compter qu'entourait presque toujours la même at-
sur Chrysostome et c'est bien celui-ci, en effet,
;
fluence. On peut juger de ses travaux apostoli-
qui gouvernait par sa parole et par ses vertus ques par ce qui nous reste de ses homélies, dont
les cent mille chrétiens d'Antioche. Quoique un certain nombre n'est pas venu jusqu'à nous.
déjà la division en paroisses existât dans les D'après Suidas ', il avait expliqué toutes les
grandes villes, nous ne trouvons aucune trace parties du texte divin, et ses travaux sur saint
d'une semblable organisation dans la métro- Marc et saint Luc méritaient les mêmes éloges
pole de la Syrie. Les préférences de Jean pour que les sublimes commentaires sur saint Jean
l'église de la Palée, où il se faisait plus souvent et saint Mathieu. L'assertion de Suidas a trouvé
entendre, ne prouvent pas qu'il fiàt attaché ses contradicteurs*; ellenepeutpîusenavoirde-
comme p:tsteur secondaire à telle ou telle por- puis queGalIand, Bêcher, le cardinal Maï, Cra-
tion du troupeau de Flavien; mais il était le mer et la patrologie gréco-latine ont publié de
vicaire du pontife, et il instruisait, il dirigeait précieux fragments sur Job, sur les Proverbesde
en son nom toute la cité catholique. Quels fu- Salomon^ sur le prophète Jerewee, surles/zbrgs
rent les actes de son administration ? A quels des Rois, sur l'épitre de saint Jacques, sur la
synodes, à quels œuvres a-t-il été mêlé ? Quelles première et la deuxième de saint Pierre, sur la
créations. lui dut sa patrie ? Nous n'en savons première de saint Jean, et diverses homélies
rien. L'histoire de ces dix ans ne présente au- inédites auxquelles d'autres vont être prochai-
cun incident remarquable : c'est l'histoire de nement ajoutées, par Dom Pitra'. L'heureuse
l'apostolat, lue de Dieu seul, enregistrant pour obstination de la science, ses infatigables re-
Dieu seul les obscures et sublimes conquêtes de cherches rendront-elles enfin à la couronne du
la vérité et de l'amour sur l'erreur, sur le vice, grand orateur tous les joyaux qui l'enrichirent
surl'ignorance, sur la superstition, sur lahaine, d'abord? Nous voudrions l'espérer. Quoi qu'il
sur tousles fléaux qui asservissent etdégradent en soit, nous avons à regretter des pertes consi-
l'humanité. Sous ce rapport, l'histoire de Chry- dérables, et le regret est d'autant plus grand,
sostome est tout entière dans ses discours ; qu'une masse de pièces apocryphes et sans va-

ils nous sous les yeux, jour par jour,


iiiettent leur ont échappé au naufrage qui nous a ravi
heure par heure, comme un journal intime, des chefs-d'œuvre. Tel était le prestige du nom
toutes les pensées, toutes les émotions de cette de Chrysostome, qu'il suffisait de le placer à la
âme généreuse qui alliait dans une admirable tête d'un livre pour donner à la plus chétive
proportion la modestie à la grandeur, la bonté production un crédit inattendu, et c'est pour-
au courage. loan. — Stiltùig., p. 483, n. 400, p. 485.
Saidas in verbo :

La santé de l'orateur, à jamais altérée par les n. 412, pag. 486, n. 417; Op. Chrys., e'f'if. Oaumé ,\. 13, 2e part., épil.
p. X, note.— Gall. "Vettr. Pair. Bibliolh., t. 8
" Aug. Mai Spkil.
pieux excès de sa jeunesse, les fréquentes ex-
;

lloin., t. 4, et Pair. Bibl. nova, t. 2 et t. 6 ; Migne, Patr. Grcec-


tinctions de voix qu'il contractait en chaire, Lot., t. fit ; D. Collier, no'iv éiit. suppl. au t. 7, p. 751 et suivantes.
CHAPITRE DIX-NEUVIËME. 243

quoi auteurs el libraires grecs des siècles sui- ches curieuses. Tout parle au cœur, tout con-
vants ne se faisaient faute d'en décorer impu- clut à la sanctiflcation de la vie. Il n'écrit pas
demment une foule de liarangnes ampoulées dans le cabinet pour les savants, il s'adresse au
et vides dont ce mensonge est le seul mérite. peuple du haut de l'ambon ; de là, moins d'élé-
Orateur, apôtre, CLrysostome est aussi exé- vation et de profondeur, mais aussi plus de va-
gète, et grand exégète. Ses commentiires, par riété, de chaleur et de vie. Nous n'oserions dire,
leur étendue, par la solidité et la beauté des avec un auteur moderne', qu'il faut regarder
explications, par le talent et la piété qui y pré- Chrysostome comme le premier exégète de son
sident, lui assurent une place éminente parmi siècle. Maisquioseraitle placer au second rang?
les interprètes les plus célèbres des livressaints. Du reste, nous en avons déjà fait la renianjue,
Disciple de Diodore, de Cartérius, de Mélèce, il l'Eglise a glorifié sa manière d'interpréter les
appartient à l'école cbrélienned'Antioclie, fon- livres sacrés^, et l'on peut affirmer que, sous
dée parsaintTbéopliile, illustrée par Sérapion, ce rapport, il sera toujours un maître etr un
Asclépiade, Eustliate, Malcliion, Dorothée. Ri- modèle. De célèbres critiques n'ont-ils pas pré-
vale de la grande école d'Alexandrie, où Ori- tendu qu'il avaitquelquefois pénétré plus avant
gèneavait mis en honneur l'interprétation allé- et vu plus clair que saint Jérôme dans l'intel-
gorique, sa gloire etsouécueil, celle d'Antioche, ligence des Ecritures' ?
par opposition à son illustre aînée, s'attacha C'est par la Genèse qu'il commença avec le
exclusivement à l'explication littérale, et toutes carême de 388* ses admirables travaux d'her-
les deux se laissèrent entraîner troj) loin dans la méneutique sacrée. Soixante-sept homélies
voie qu'elles s'étaient ouverte. Sa position, dans composent ce grand commentaire oià l'on
un foyer de Manicliéisme, porta l'école d'An- trouve l'abondance et l'éclat du puissant ora-
tioche à faire principalement ressortir des Ecri- teur, avec moins de correction et plus de dif-
tures la doctrine du libre arbitre, dont le Péla- fusion. De longues phrases incidentes surchar-
gianisme, en l'exagérant, n'avait pas encore gent et parfois étouffent la pensée. On voit que
révélé le péril. Laissant dans l'ombre la grâce ces discours, tous improvisés, furent publiés
et l'ordre surnaturel, demandant peu à la tra- sur les notes des sténographes, sans révision
dition, elle inclina, sans y songer, vers le ratio- de l'auteur. Les exordes, par leur étendue,
nalisme, et fut la tige commune d'oii sortirent accusent la première manière de Chrysostome,
Paul deSamosate, Lucien, précurseur d'Arius, qu'il essaya de justifier contre les reproches
Théodore de Mopsueste, Apollinaire, Pelage, de ses amis, mais qu'il ne tarda pas à abandon-
Nestorius. Admirateur passionné de saint Paul, ner. 11 ne sait pas l'hébreu ou il le sait mal, et
tout plein de sa doctrine, Chrysostome échappe quand il le cite, c'est d'après les autres \ Ses
aunaturalismedel'écoled'Anlioche.Avocatdu dates et ses étymologies ne sont pas toujours
libre arbitre contre Marcion et Manès, il n'en heureuses mais un jugement sûr, un sens
:

saisit pas moins toutes les occasions de professer exquis donnentàses interprétations une grande
la nécessité de la grâce. Si la méthode d'Origène autorité. Les hardiesses lui déplaisent; il n'at-
eût ouvert à son génie de plus grands horizons, tache de prix qu'à la vérité'. Pas un mot des
sa piété profonde, sa foi enthousiaste, sa riche saints livres qu'il ne pèse avec attention. Dans
imagination l'ont préservé de la sécheresse et une syllabe, dans un accent, il trouve un
des inconvénients attachés à la méthode de trésor de doctrines Ce qu'il
de la création,
'. dit
Diodore. Il connaissait d'ailleurs les travauxdes des merveilles de la nature, du règne de la
docteurs Alexandrins, el avait étudié le plus il- Providence, de l'homme, de sa dignité native,
lustre d'entre eux, auquel, sans être Origéniste, de son libre arbitre, de la grandeur de ses
il fait emprunt '. Suivre pas à pas le
plus d'un destinées, de l'image de Dieu dans notre âme,
texte inspiré,en exposer avec simplicité le sens a été souvent imité, jamais surpassé. Saint
naturel, en déduire d'abord le dogme, puis les
• Matter, Hi3t. de l'Eglise «hrét., t, 1, p. 439. —
• Brcv. rom.,

vertus qui sont le dogme en action, tel est le 27 janv.


' Voir aux Pièces justificatives.
commentairede Chrysostome, sobre,lumincux, ' Grol. annol. in Vel. Ttslam.
solide, souvent éloquent. Rien n'est donné à la 'Tillem., t. Il, p. 11. Mais à Antioche il était entouré de Juifs,
et il a pu profiter de leurs lumières. D'ailleurs, on parlait le syriaque
pure spéculation, rien à l'amour-propre de l'é- autour de lui c'était la langue du peuple dans les campagnes de
;

rudit; point de vaines subtilités ni de recher- Syrie, et il cite quelqviefois la version syriaque,
' Voie aux Pièces j'islificativfs,
• Bouaet., Déf. de la Tradit et dea SaloU Père», 1. 11, c. 23. ' Cfarys., Vom. 21, n. 1, sur le Gea,
S4d HISTOIRE DE SAINT ,^EAN CHRYSOSTOME.

Augustin a vu le dogme de la déchéance dans le Ne maniant que l'ar-


ventre les absorbent.
ce passage qu'il oppose aux Pélagiens «Au : gile et la boue, rien degrand ne peut se trou-
comnn ncemeut, les animaux tremblaient de- ver dans leurs œuvres. Mais autour de l'Apôtre
vant riionime, et le révéraient comme un sont les vertus supérieures, pleines d'admira-
maître. Mais lorsque, par la désobéissance, tion pour la beauté de son âme, de celle âme
nous penlînies notre crédit près de Dieu, notre qui captiva Jésus-Christ lui-même, et qu'il a
souveraineté fut aussi mutilée. En effet que ,
disposée comme une lyre aux cordes d'or pour
tous les êtres vivants aient été d'abord soumis faireentendre des sons sublimes. Ecoutez, non
à l'homme, l'Ecriture nous l'enseigne, quand le pêcheur, nonle fils de Zébédée, mais l'es-

elle dit : Dieu conduisit à Adam tous les ani- prit qui connaît les profondeurs de Dieu, et

maux, afin qu'il donnât à chacun son nom; qui anime cette lyre. Ce n'est point le langage
etAdam les vit à ses pieds, sans trembler, et, de l'homme que vous allez entendre; ce qu'il
comme un maître fait à ses esclaves, il donna vous dira, il l'a puisé dans les abîmes spiri-
à chacun son nom. C'était bien là un signe tuels, dans ces ineffables secrets que les intel-

incontestable de suzeraineté Mais dès que ligences célestes n'ont point connusavant qu'ils
le péché est entré dans le monde, dignité et ne fussent accomplis; car c'est par la voix de
puissance, nous avons tout perdu » Le peuple '
. Jean et par nous que les anges ont appris ce
portait à ces exj)lications un vif intérêt prouvé que nous savons' ».
par son affluonce, par ses applaudissements, Chrysostome, dans ce grand et beau com-
par les fruits qu'il en relirait. Le grand talent mentaire, s'attache principalement à prouver
de Chrysostonie était de rester digne de lui- contre les Anoméens la consubstantiahlé du
même en se niellant à la portée de tous. Verbe divin. Déjà, nous l'avons vu, il avait
Son commentaire de saint Jean suivit d'assez consacré plusieurs discours à la réfutation de
près les homélies sur la Genèse c'est le plus : ces derniers et acharnés représentants de l'A-

théologique de ses ouvrages, le seul où il rianisme. Mais leur nombre, leur manie de
aborde la métaphysique du dogme. Le débuta controverse à tout propos, leur argumentation
quelque chose d'imposant et d'une haute solen- captieuse et sub'ile appuyée sur des passages
nité. Bossuet en avait une réminiscence quand des saints livres dont ils altéraient la ponctua-
il écrivit son admirable élévation sur la théolo- tion et torturaient le sens, les rendaient plus

gie de saint Jean. Les anges eux-mêmes, selon spécialement dangereux aux fidèles, et c'est

Chrysostome, ont a|)pris de l'Evangéliste le pourquoi le saint docteur revient à la charge


mystère de l'Incarnation'. « Ecoutez-le, s' écrie- et tourne contre eux cet évangile de saint

t-il Sa voix a saisi, ému, rempli l'univers,


: Jean, où ils affectaient de puiser leurs prin-
plus puissante que le tonnerre, plus douce que cipales objections. Ruiner cet échafaudage
la plus douce mélodie, sainte comme les biens d'arguties et de mensonges, restituer a'x textes
qu'elle nous révèle, pleine de mystères divins. "vangéliques leur sens et leur portée, exposer
Ilvous convoque ici, lui, fils du tonnerre, bien- dans toute sa grandeur la théologie de l'Apôtre
aimé du Seigneur, colonne de toutes les égli- et le dogme de la consubstanlialité qui en est
ses, qui a reçu les clefs du ciel, a bu au calice le couronnement, c'est le but poursuivi par

de Jésus-Christ, a été baptisé de son baptême, l'éloquent exégète dans ses quatre vingt-huit
s'est appuyé sur son sein c'est lui qui va : homélies', où l'on trouve peut-être moins
paraître devant vous et parler. Pour ce grand d'ampleur, de richesse et de verve que dans
acteur, l'avant-scène c'est le ciel, le théâtre beaucoup d'autres, mais plus de science et de
c'est le monde, les auditeurs ce sont tous les profondeur. 11 les prêchait le matin de très-
anges, et parmi les hommes ceux qui sont bonne heure', devant un auditoire d'élite,
anges ou qui veulent le devenir. Seuls, en quoique nombreux*, qui portait à cette polé-
effet, ceux-ci peuvent sentir l'harmonie de cette mique un vif intérêt, et venait y chercher des
parole, seuls ils sont dignes de l'écouter. Les armes contre les adversaires arrogants de sa
autres ressemblent à des enfants qui entendent foi. Les anciens en faisaient le plus grand cas,
sans comprendre et ne songent qu'aux gâteaux
' Chrys., ^om. 1, sur S. Jean, n. 1 et 2.
et aux jeux. Les plaisirs, l'argent, l'ambition, ' Quaire-vingt-sept, dans les éditions qui regardent la première
comme une préface.
• Chrys., Bom. 9, n. 4, sur le Gen. ' Chrys., Bom. 31, sur S. Jean, n. 5, — ' Moniraucoa, in monit,,
* n »si{itiiat« cetu ofioioa à Origèns. t, 8, § 2; Chrys., Bom. 3, sui S, Jean, n, 1.
ClUPITRE DIX-NEUVIÈME. U1
le concilede Chalcédoine en invoque l'autorité, lecommentaire deses épîtres. Ce fut par celf^
et Chrysosfome lui-même en recommande la aux Romains, et vers 391, qu'il commença ce
lecture à ses anditours'. Elles renferment sur grand travail'. Les trente-deux homélies qu'il
la (lassion du Sauveurde très-belles réflexions; y a consacrées comptent à bon droit parmi les
Bossuet y a puisé à pleines mains. Ou y remar- plus belles qu'il ait prononcées. L'éloquent
que cette opinion partairée par Orij^cne, s;iint exégète s'y est surpassé lui-même. «Je pense,
Epiphane, saint Bisile, saint Auj^ustin, savoir: dit saint Isidore de Peluse, que si le divin Paul
qu'Adam était mort etav;iit été enseveli sur le eût voulu se commenter lui-même dans l'i-

Calvaire, d'où le nom de cette petite montagne diome le plus harmonieux de la Grèce,
ne il

prédestinée au plus grand des événements ^ autrement' ». Le génie de Chry-


l'eût pas fait

Après l'évangile de saint Jean, Chrysostome sostome s'élève presque à la hauteur du texte
expltijua celui de saint Mathieu, aïKiuel il con- inspiré.
sacra quatre-vingt-dix ou quatre-vingt-onze Son interprétation du passage de l'Apôtre :

homélies'. Le P. Stilting veut qu'elles aient Toute puissance vient de Dieu, aétéjustement
été prononcées de 389 à 390. Tillemont et le remarquée: «Quoi donci s'écrie-t-il, est-ce que
P. Montfaucon sont d'un autre avis. En tous tout prince est établi de Dieu? Je ne dis pas
cas, elles le furent à Antioche *. Bossuet les cela car il n'est pas question ici de tel ou tel
;

regardecomme le chef-d'œuvre de notreSaint', prince, mais de la chose en elle-même. Qu'il y


et saint Thomas, qui n'en possédait qu'une ait, en effet, des gouvernements; que les uns
traduction latine, disait volontiers qu'il ne la commandent et que les autres obéissent ;
que
céderait pas pour toute la ville de Paris. Cet la vie des peuples ne soit pas livrée au hasard
admirable commentaire est la plus complète et et comme au caprice des flots : voilà ce que je
la plus belle exposition de la morale chré- dis être le fait de la Sagesse divine. Aussi

tienne, le livre le plus propre à la faire aimer l'Apôtre ne dit-il pas: Il n'y a point de prince
et prati(|uer. Nulle autre partie grand orateur qui ne vienne de Dieu, mais qu'il n'y a pas de
n'a déployé plus d'éloquence et de talent. Il pouvoir qui ne vienne de Dieu, et il ne parle
éclaircit les difficultés du texte, compare les que du pouvoir en lui-même' ».
diverses interprétations, établiU'Iiarmoniedes Ces paroles de saint Paul Toutes les créa- :

évangélistes, réfute en passant les vieilles tures attendent avec grand désir la manifesta-
erreurs des Docètes, des Encratites, des Mani- tion des enfants de Dieu, inspirent au saint
chéens, une foule d'autres qui projetaient
et orateur les réflexionssuivantes empreintes d'ua
encore un peu d'ombre sur l'esprit du peuple, spiritualisme délicat et profond «Nous avons :

et, après avoir démontré le sens littéral de entraîné toute la création dans notre disgrâce.
chaque passage, poursuit son grand but, la L'arrêt quinous a frappés de mort a frappé la
guerre aux vices et la sanctification des âmes, terre de malédiction. Mais, faitepour nous et
avec une véhémence, un éclat que personne déchue avec nous, la terre retrouvera par nous
n'a jamais surjiassé. C'est dans ses homélies sa beauté première. Quand tu seras délivré de
sur sain tMathieu qu'on trouve les détails de l'asservissement à la corruption, homme, les

mœurs les plus variés et les plus curieux. êtres placés au-dessous de toi, ceux qui ne pos-
Le iv° siècleest là tout entier, photugrapliié par sèdent ni la raison, ni le sentiment, auront leur
la parole,ou fdulôt vi\ant, agissant dans ces part des biens qui te sont assurés. Us seront
inimitables discours, où l'on voit resplendir la délivrés, eux aussi, de l'anathème sous lequel
pensée, où l'on sent palpiter l'âme du Chris- vous gémissez ensemble, et le reflet de ta splen-
tianisme renmant ces ruines de sa puissante deur s'étendra sur eux; lisseront transformés
main, et tirant de ce chaos de sang et de boue avec toi, et associés à la liberté, à la gloire des
de sublimes vertus et tout un monde nouveau. enfants de Dieu. Ainsi que la nourrice d'un
Chrysostome aimait trop saint Paul : ill'avait royal enfant, quand celui-ci arrive au trône de
trop étudié, pour ne pas aborder avec bonheur son père, participe aux avantages de sou éléva-
tion, ainsi sera-ce de la terre, cette vieille nour-
Cbrjt., Bom. sur U —
l'« aux Coiialh., 7, o. 2. ' Cbryi,, Bom.
rice de l'homme. Vois-tu comme celui-ci tient
ti, u. 1, lur S. Jeao.
* Suivant qu'on réunit la 19« à la 20e, comme MoDUaucoQ, oa
qu'on divise en deux la 19v, comme d'autres éditeurs. ' Voir aux Pièces justificatives.
* Voir aux ftécet Jiiitificulives. • S. luid. Pelus., 1. 5, ep. 32. — * Chrys., H»m. Î3, sur l'ép, (UX
' Bouuet, Oérenie de UTiadit. et des S3. Pètes, 1,4, c, 13. Rom., n. 1.
Sis HISTOIRE DE SAINT JEAtS CHRYSOSTOME.

partout le premier rang, comme tout est fait lui de l'épître aux Galates, auquel succédèrent
bientôt des travaux importants sur les lettres
pour lui? Vois-tu comme l'Apôtre le console
dans ses épreuves et lui montre les ineffables de l'Apôtre aux Ephésiens, aux Philippiens, à
richesses de l'amour divin? Pourquoi te
Timothée, à Titus, à Philémon, et sur une
plaindre? lui dit-il. Tu souffres à cause de tes bonne partie des psaumes : travaux qui lui
péchés les créatures souffrent à cause de toi. prirent plusieurs années, probablementlescinq
;

Mais, si elles, qui soûl faites pour loi, espèrent dernières qu'il passa dans sa chère Antioche.

une heureuse transformation, ne dois-tu pas L'é[)ître aux Galates avait occupé de célèbres
l'espérer, toi par qui seul elles peuvent entrer exégètes, Eusèbe d'Emèse, Théodore d'Héra-

dans la possession de leurs espérances? Quand clée, Dydime l'aveugle, que


saint Jérôme appe-

un père veut produire son fils avec éclat, il a voyant ', et surtout Origène. Leurs tra-
lait soti

soin de renouveler de ses serviteurs ;la livrée vaux ne pouvaient être inconnus de Chrysos-
ainsi Dieu revêtira les créatures d'immortalité tome, qui les met à profit sans le dire. Son
pour honorer ses enfants parvenus à la liberté exégèse sur cette œuvre inspirée estapprofon-
et à la gloire Homme, rougis d'aspirer dieet très-remarquable, et contre son ordinaire
moins haut que des êtres sans raison, et ne il se montre plus théologien qu'orateur. Il n'a
mets pas Ion cœur dans les choses présentes ». '
point adopté pour ce commentaire la même
Ce commentaire , aussi remarquable par le forme que pour les autres, c'est-à-dire qu'il ne
style que par la doctrine, où la sagacité de l'a point divisé en homélies, et que l'exhorta»

l'exégèle égale l'éloquence et l'onction de l'ora- tion morale ne s'y mêle pas à la discussion du

teur, fut suivi de près par un travail du même texte, d'où l'on peut induire que s'ill'a prêché,

genre sur première épître de saint Paul aux


la ce qui est probable, il l'a ramené, en le pu-
Corinthiens», travail que Chrysostome semble bliant, à une forme plus concise et plus sévère.

avoir soigné et Hy
fiai plus qu'aucun autre. On y trouve cependant de fréquentes et vives
était témoignages
encouragé par d'approba- les sorties contre l'orgueilleuse et remuante secte

tion qu'il recevait à chaque instant de son au- d'Eunomius, contre les restes obstinés de Mâ-
ditoire. Le grand apôtre inspire visiblement le nes et de Marcion, dont il signale les pratiques
grand orateur, et l'on dirait que chaque mot révoltantes % et contre ces faibles Chrétiens
tombé de la plume de l'un est devenu une que l'obsession des Juifs et les souvenirs de
flamme dans cœur de l'autre mais, comme
le ; l'idolâtrie entraînaientà de vaines et honteuses
les précédentes, cette œuvre échappe à toute observances. « Paul a tout fait, disait-il, pour
analyse. Outre les grandes vues du profond abolir les cérémonies judaïques qu'il trouvait
moraliste, on y trouve à chaque page les plus intempestives sous la loi de Jésus-Christ, et
magnifiques expositions du dogme catholique, tous nos efforts ne peuvent extirper de vos
et la preuve surabondante, mais toujours pré- mœurs les habitudes païennes' ! »

cieuse à recueillir, de l'apostolicité, de l'immu- Comme œuvre oratoire, les homélies sur
tabilité de l'enseignement de l'Eglise. Ce qu'il aux Ephésiens sont préférées au com-
l'épître
dit de l'Eucharistie semble écrit d'hier avec la mentaire de l'épître aux Galates. On y retrouve
plume de saint Thomas. C'est pour cela sans l'éclat, la verve, la chaleur, l'onction, l'élo-
doute que Luther affectait de ne parler qu'avec quence de Chrysostome. De nombreuses incor-
dédain de Chrysostome on a dit qu'il l'avait ; rections attestent que nous les avons telles
peu lu : nous pourrions dire qu'il l'avait trop qu'elles jaillirent improvisées de ses lèvres,
lu. sans révision aucune, mais n'affaiblissent point
Le saint docteur a travaillé avec moins de l'impression générale de l'ouvrage unanime-
soin ses homélies sur la seconde épître aux Co- ment admiré. Exégèle, moraliste, pasteur, ora-
rinthiens. Elles n'ont ni la même élévation ni teur, apôtre, il prend tour à tour tous les tons;
le même feu, bien qu'on y remarque des pas- mordant quand il veut flageller la femme sans
sages d'une haute éloquence. Du reste, il finis- cœur qui maltraite ses esclaves terrible quand ;

sait à peine ce commentaire qu'il entreprit ce- il tonne contre ces parvenus de l'usure et delà
' Chrys., Hom, 14, sur l'ép. aux Rom., n. 5 voir Otigène, in ep.
délation, gorgés, sans être rassasiés, d'or et de
;

ad i?om,,t.7, 4 et 5.Le poète Novaiis s'inspirait de celte pensée


c.
quand il a dit : L'homme
a une mission d'expiaiion et de clémence à ' s. Hier., prolog. in ep. ad Galat. — ' Chrys., sut le ch. 5, de
remplir envers la nature ; il doit en être comme le Messie, l'ép. anx Gai., n. 3.
" Voir aux
Pifcesjuslificalives. • Voir au.\' Pièces justificatives.
CHAPITRE DIX-NEUVIÈME, 249

crimes; d'une grâce affectueuse quand il trace avec les adversaires de "la foi sont dignes du
les règles d'une bonne éducation, ou qu'il grand orateur. L'exhortation morale n'y
donne aux époux chrétiens de sages avis ; su- manque ni d'élégance ni de force, et l'on
y
blime quand il laisse parler son cœur et sa trouve, sur le luxe exagéré de cette époque, des
noble soif de souffrir pour la cause de Dieu. détails très-curieiix.Aux idolâtries, aux ivresses
D'une page pleine d'abandon et de pieuse fami- de la fortuna, Jean se plaît à opposer les sou-
liarité vous passez à une autre brûlante de ly- daines catastrophes, les mystères de douleur et
risme et d'enthousiasme. Vous assistiez à une d'horreur qui remplissent la couretla vie des

conversation de famille, et tout à coup vous rois. 1 Moins belle est la couronne qui ceint
entendez les accents d'un prophète, ou sur des leur front que rudes les sollicitudes qui
ailes de flamme vous vous sentez enlever au étreignent leur âme moins nombreux sont les
;

troisième ciel. gardes qui les entourent que les soucis qui les
Nul doute que aux Ephésiens n'ait été
l'épître assiègent. Jamais la demeure d'un particuher
commentée à Antioche. Nous ne pouvons en ne fut en proie à tant de peines que le palais
dire autant de l'épître auxPliilippieus. Les ho- des monarques. La mort est suspendue sur leur
mélies consacrées à l'expliquer portent de telles tête; ils redoutent leur propre famille ; leurs
traces de précipitation, que Tillemontinclineà yeux voient du sang partout dans les mets :

penser qu'elles ont été prononcées à Constanti- qu'on leur sert, dans la coupe qu'ilsapprochent
nople, alors que les sollicitudes d'une grande des lèvres. Que de fois, dans le calme des nuits,
administration ne permettaient pas au pontife de funèbres visions les font tressaillir et se le-
éloquent de soigner suffisamment ses discours'. ver en sursaut Malheureux quand tout est en
!

Cette manière de voir est corroborée aux yeux paix, quel surcroît d'ennuis, quelle vie plus
de Montfaucon par un passage où le saint doc- misérable que la leur dès que la guerre sur-
teur prend vis-à-vis du peuple le litre de père': vient! Que n'ont-ils pas à souffrir de ceux qui
litre, dit le savant Bénédictin, qui n'était bien les entourent, de leurs propres sujets Le pavé I

placé que dans la bouche d'un évêque. Mais de leur royale habitation ruisselle du sang de
n'avons-nous pas vu déjà l'illustre vicaire de leurs proches. Si vous voulez, je vous raconte-
Flavien, dans plusieurs circonstances, parler rai des choses anciennes qui cependant ne sont
soit au clergé, soit aux fidèles, avec une auto- pas encore oubliées, et quelques-unes qui ont
rité suprême ? Et, de fait, n'étail-il pas le pas- eu lieu de nos jours. On rapporte que, soup-
teur et le père d'une population qu'il gouver- çonnant la fidélité de son épouse, un prince la
nait par sa parole, et qui semblait ne penser fit exposer toute nue, pieds et mains liés, sur

et ne vouloir que par lui ? L'auteur de ce com- une montagne, la livrant en pâture aux bêtes
mentaire fort remarquable, malgré les taches féroces, elle, qu'il avait rendue mère plusieurs
qui le déparent, en assigne lui-même la data fois. Le même fit périr son propre fils. Le frère

quand il dit, en parlant du prince régnant, de celui-ci mit à mort son oncle et toute la fa-
que depuis son élévation au trône il a toujours mille de cet oncle.... Un autre a tué son cousin
vécu au milieu des travaux, des périls, des après l'avoir associé à l'empire. Un autre a vu
trahisons ce qui ne peut convenir qu'à Théo-
: sa femme empoisonnée par les médicaments
dose'. Aussi nous rangeons-nous à l'avis du qui devaient lui donner la fécondité.... Un
P. Stilting, qui conclut de ces quelques mots autre trouva la mort dans le breuvage où il
que les homélies sur l'épître aux Philippiens cherchait la vie et son fils, jeune prince sans
;

ont été prononcées avant le règne d'Arcadius, reproche, mais victime des craintes qu'il inspi-
et par conséquent dans la métropole de la Sy- rait, fut condamné à perdre la vue. Un autre a
rie. Les imperfections reprochées à cette œuvre péri d'une façon si misérable qu'il serait incon-
ne prouvent qu'une chose : c'est qu'elle a été venant de le dire ici.... De ses successeurs,
publiée à l'insu de Ghrysostome, peut-être après l'un a été brûlé vif avec ses chevaux, sa suite et
sa mort, et sur les notes des tachygraphes. Du la chaumière où il s'était réfugié; l'autre qui
reste, à travers de regrettables négligences, règne aujourd'hui, depuis qu'il porte le dia-
on y rencontre çà et là des beautés de premier dème, vit dans les fatigues, dans les périls,
ordre. La partie exégétique et la controverse dans les soucis, au milieu des trahisons.... Les
rois ont fourni le sujet de la plupart des tragé-
' m
Tille m., 1. 11, p. 376. — "(Jhrys.jSUt lép.aux Philipp., flom, 9,
D. », .> ' Chrys., Bom, 15, d, 5. dies veprésentées sur la scène. On connaît les
550 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

combien de malheurs reste de cette explication qu'une soixantaine de


festins cleTIiyesle. et par
maison fut détruite' ». discours, parmi lesquels plusieurs ont été com-
toute celle
Les deux epîtivs à Timotliée furent aussi posés à Constantinople.
expliquées à Autioclie. On 1 induit, avec raison, La méthode d'exposition de Chrysostome,
(|ue l'orateur y ditdes pieux solitairesqui toujours la m<^me, a cela de particulier ici, qu'il
de ce
peuplaient les montagnes de la Syrie. Il fait de cite quelquefois l'hébreu, mais en caractères

leurvie immolée et si heureuse une description grecs, comme Oiigène dans ses Hexaples, et

pleine de fraîcheur et de charme. On y respire qu'à la version d( s Septante, lue dans son
bénie, voi- église, il compare assez souvent celles de Sym-
l'airvital et la paixde celte solitude

sine du où tout était pureté, repos, douce


ciel maque, d'Aquila, de Tliéodotion. Nul doute que
harmonie. Evidemment, l'auteur a l'explication des psaumes n'ait été adressée au
et sainte
vécu là, il en est parti à regret, et la fleur du peuple du haut de l'ambon du moins, dans la ;

désert a laissé son parfum dans sa belle âme plupart de ces expositions, bien que sérieuse-

à jamais.
ment étudiées et approfondies, le langage habi-

Les six homélies sur l'épître à Titus


sont in- un colloque
tuel de Jean est celui de l'orateur :

contestablement de la même époque. L'orateur, avec l'auditoire. Montfaucon, parlant de celte


superstition idée que le travail sur les psaumes est trop
en effet, y signale une espèce de
de l'Oronte les soigné, trop complet pour que l'auteur en ait
connue seulement aux bords :

pèlerinages au bois de Daphné et à la grotte de trouvé le temps au milieu des sollicitudes et


un de des préoccupations du ministère sacerdotal, in-
la Dame*. Ce beau commentaire est
plus truaillés. On sinue qu'il a dû l'écrire dans le recueillement
ceux que Chiy=ostome a le
sur féconds loisirs de son diaconat. Cette con-
ne peut en dire autant des trois discours
et les

Philémon. Comme forme, du moins, jecture nous semble peu fondée ; il est plus
répitre à
laissent à désirer mais ils sont pleins de probable que cette œuvre capitale doit être rap-
ils ;

sentiment. Sous la diffusion et la négligence du portée aux dernières années de l'apostolat de


l'amour notre Saint dans l'église d'Antioche. Il
y parle,
style, on y trouve la charité délicate,
profond et tendre de l'humanité qui dictèrent en effet; des barbares comme reraplisant le

au grand apôtre cette admirable lettre où, es- monde de trahisons et de crimes' ; chose peu
et esclave enchaîné, vinctus vraiealorsquetout pliait sous l'épée victorieuse
clave du Christ
plaide si éloquemment et si puis- de Théodose, mais d'une vérité flagrante sous
Christi, il

cause des esclaves'. le faible Arcadius, au moins en 396, quand les


samment la

Faut-il les classer parmi les travaux anté- hordes d'Alaric ravageaient la Grèce, la Macé-

rieurs à l'épiscopat du Saint? Il y a lieu de


le dnine, la Thessalie.

croire. Ceci toutefois est beaucoup plus certain Un autre ouvrage d'un grand mérite, mais

de l'interprétation des psaumes. C'est bien à inachevé, le Convnentaire sur haïe, complète
Antiocheque Jean les expliqua, en bonne partie les travaux exégétiques de Chrysostome avant
ce grand promotion à Il semble même au
du moins. Tout est remarquable dans sa l'épiscopat.

travail, la forme comme le fond. L'éloquent npimieson avis déraisons plau-


P. Stilting,etil

exégète n'a rien produit de plus beau. Il est sibles', que ce fut son brusque départ de la

vrai qu'aucun des livres inspirés ne convenait Syrie qui interrompit les savantes recherches
mieux à la nature lyriquedeson talent, àsafoi du grand orateur sur le plus sublime des pro-
passionnée et enthousiafte. 11 vaudrait mieux, phètes. Elles n'ont point été poussées au-delà
disait-il, voirie soleil s'éteindreque les chants du huitième chajiitre, et l'on dirait qu'elles fu.

de David livrés à l'oubli \ D'ailleurs, sa vie n'é- renl destinées, bien moins au peuple qui se
tait qu'un hymne, et le Prophète trouvait en pressait autour de la chaire de la Palée, qu'à

lui un écho de son âme plutôt qu'un inter- un petit nombre de lecteurs d'éhte. Mais qu'il
prète de sa parole. Malheureusement,la moitié écrivît ou qu'il parlât, le procédé de Jean était
de cette œuvre admirable est perdue car, s'il ; toujours le même : il consistait à méditercon-
est vraisemblable que le saint docteur expliqua tinuellement les divins oracles avec un cœur
tout le psautier, il est certain qu'il ne nous
• Chrys.jflom. l'n ps. U9.
' H démontre ass« bien que ce que dit
Siilung, n. 48», 490, 493.
5.— le saint docteur de la paii qui régnait alors dans l'empire
romain, na
'ChryB.,flom. IS.surl'ép. aui Philipp.,n. ' Chrys., fiom. 3,

D. 2, sur l'ép. à Tit. ' D. —


Cellier, t. 7, p. 335, nouv. edit. — peut s'appliquer qu'à l'année 397. D. Cellier, t. 7, p. 194, not« da
• Chrys., Bom. 2, sur la pénit., n. 2. l'éditeur.
CHAPITRE DIX-NEUVIÈME. âsf

pur, une foi humble, un esprit éloigné de mecter leur front 011 leurs lèvres de l'huile des
toute vaine curiosité, un sincère et ardent dé- lampes suspendues aux voûtes de ces sépulcres
sir de sa propre sanclificilion et du salut de triomphaux, de déposer leurs prières sur des
ses fèros. C'est par là .|u'il découvre dans un autels consacrés par un sang généreux, d'où la
mot, dans une circonstance qui écliappe à la pensée de l'homme monte plus confiante vers
perspicacité des autres, des trésors de doctrine letrône de Dieu. Flavien, malgré son grand
et de grâce. Son grand avantage est de s'être âge, se donnait souvent le plaisir d'y conduire
porté àceséludes, non-sculenionlavec la saga- son troupeau. Par une belle matinée de prin-
cité et le goût d'un habile et profond exégéle, temps ou d'automne, quand le soleil se levait

mais surlout avec l'âme d'un Saint. Jamais radieux sur un ciel sans nuages, au souffle
d'enflure dans la science, jamais de séclieresse d'une brise embaumée, au chant des psaumes,
dans la discussion, mais partout une ciialeur le vieux pontife sortait de l'église d'or, à la tête

pénétrante et douce et comme le rayonne- d'une foule et d'un clergé nombreux, traversait
ment de l'esprit qui inspirait et embrasait les rOronte, franchissait les portes de la cité, et se

apôtres et les piopliètes. dirigeait vers les chapelles lointaines de saint


Du reste, sa prédication, à la fois savante et Barlaam ou de sainte Droside. L'air des champs
populaire, ne suffisait pis aux exigences de sa dilatait les âmes; on se croyait plus près de

mission sacerdot.de. Quelque suite qu'il voulût Dieu on respirait sa grâce avec le parfum des
;

donner à ses expositions bibliques, il était con- fleurs et les premiers rayons du jour une im- ;

traint de les interrompre pour d'autres dis- pression suave de paix et de rafraîchissement
cours impérieusement reclamés de son zèle par se mêlait à la piété. Le soir venu, on rentrait

les événements heureux ou malheureux du chez soi le cœur allégé. Mais la parole de Chry-
jour, par les besoins moraux d'un peuple ar- sostome était l'hymne obligé de ces fêtes.

dent et mobile dont toutes émotions reten-


les Nous avons plusieurs des discours qu'il pro-
tissaient en douleur ou en joie au cœur de son nonça dans ces circonstances ce sont moins :

apôlre. Ces discours sur des sujets divers for- des panégyriques que les cris de victoire de la
ment, malgré les pertes regrettables, une masse foi sur la tombe illustre des soldats morts pour

assez imposante, et nous ne pouvons céder au elle. Quelques-uns sont consacrés à défendre
désir de les faire tous connaître, même par la confie les sarcasmes impies d'Eunomius, suivi

plus succincte analyse. plus tard par Vigilance, ce culte des martyrs
Fondée par le chef des apôtres et berceau du et de leurs saintes reliques, lequel, indépen-
nom chrétien, l'Eglise d'Antioche s'était mon- damment des motifs leligieux qui l'inspirent,
trée digne de son illustre origine en fournissant élève si haut la conscience et la dignité hu-
à l'armée conquérante de l'Evangile un nom- maines et, suivant l'expression de saint Astère,
breux contingent de héros. Peu, entre les villes entretient l'émulation des morts glorieuses.

qui avaient arboré le divin drapeau de la Croix, D'autres offrent un intérêt historique et de pré-
pouvaient se glorifier d'une aussi belle lignée cieux détails. Telles sont les homélies sur saint
de martyrs. Furtivement ensevelis par ceux des Barlaam, saint Julien, saint Ignace, sainte Pé-
frèresqu'épargnait la persécution, les restes de lagie, sainte Domnine.
ces grands soldats de la vérité étaient devenus Barlaam était un paysan des environs d'An-
dans leur tombe l'objet d'un culte pieux et ;
tioche que la persôtution vint prendre à la char-
quand de meilleurs jours se levèrent pour les rue pour en faire un héros. Conduit au tribu-
disciples du Christ, la vénéialion puhli(]ae con- nal du proconsul, il fit rire par son accent; il
vertit les modestes ossuaires en oratoires. Au- étonna par son courage. On le condamna à être
tour d'Antioche, la campagne était couverte de mis sur le chevalet; puis, meurtri, brisé, on le
ces iietites églises appelées martyria, et dispo- traîna devant un aut«l où pétillait le feu sacré.
sées autour de la cité chrétienne comme les Le bourreau prit la main du laboureur, et,
images des ancêtres dans une maison patri- l'ayant chargée d'encens, retendit sur le bra-
cienne, ils renceignaientsui\antChrysostome, sier. Au moindre soubresaut de la douleur,
d'une ceinture de fortifications plus inexpu- l'encens devait tomber dans les flammes et la
gnable que ses remparts. Les visiteurs y af- martyr avait l'air d'une apostasie. La fermeté
fluaient, heureux de toucher de leurs mains de Barlaam déjoua ce calcul inepte éternel. La
ces cercueils q ui reufermaieutdcs tic jors, d'hu- main brûlée ne bougea pas plus qu'une maia
S52 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOMÉ.

de marbre, et la dérision fit place à l'admira- d'Antioche avec ses deux filles, et se retira à

tion. «Prenez garde, s'écria l'orateur après ce Edesse, où les disciples de Jésus-Christ, plus
récit, nous ne sommes plus au temps des persé- nombreux, couraient moins de périls. Mais le
cuteurs, mais nous sommes toujours au temps fanatisme farouche de sa famille vint l'arracher
des martyrs. S'il ne s'agit plus de luttes san- à sa retraite. La mère et les enfants furent con-
glantes, il s'agit toujours d'immortelles cou- traints de reprendre, escortés de soldats, le che-
ronnes. D'autres ont bravé les flammes, vous min de la Syrie. Leurs gardes ayant fait halte
avez à braver les passions, et il n'est pas de feu en route pour prendre leur repas, se gorgèrenl
plus dévorant. Soyez intrépides, soyez vam- de vin et s'endormirent sur la chaussée, au pied
queurs, et vous serez martyrs ' ». de laquelle coulait un fleuve rapide et profond.
Pélagie étaitd'Antioche,etn'avaitque quinze La mère regarda ses filles d'un regard ineffable
ans lorsque ses croyances et sa beauté la dési- baptême après lequel on ne
et leur dit: Voilà le

gnèrent aux fureurs desennemis de l'Evangile. pèche plus qu'une même mort nous réunisse
;

Vivant dans la perpétuelle attente de la mort, dans un même tombeau Et, disant ces mots, !

les Chrétiens avaient pris l'habitude de la dé- elle les pressait sur son cœur, les couvrait de

daigner. Mais, jeune et belle, Pélagie avait à larmes. Puis, les prenant chacune par une
redouter plus que le supplice. Les satellites du main, elle s'élança dans le fleuve. Christ 1
proconsul vinrent pour la saisir aumoment où, murmura-t-elle en mourant, se sont là des hos-
sa mère absente, elle était seule au gynécée. ties de .mon cœur, mes guides pour venir à

L'héroïque enfant demande une minute pour toi. Je te donne plus que moi-même '. « Noble

prendre d'autres vêtements, et, passant dans sa femme, trois fois martyre s'écrie le saint ora- 1

chambre, monte sur la plate-forme de la mai- teur, je vous en prends à témoin, vous qui fûtes
son, d'oîi elle se précipite dans la rue. Jésus, mères, vous qui avez connu les douleurs de
qu'elle portait dans son cœur, l'inspira et la l'enfantement et élevé des filles. Ce que dans
sauva *. o Comme une biche, ditChrysostome, un instantelle éprouva de tortures, lescombats,
tombée aux mains des chasseurs, si elle peut les déchirements de ce cœur maternel, vous
leur échapper, s'élance d'un bond au point le seules pouvez les comprendre''». La main gla-
plus inaccessible de la montagne, et, une fois cée de la mère n'abandonna pas la main de ses
hors de toute atteinte, s'arrête et regarde ceux Le flot ne dérangea pas leurs tuniques,
filles.

qui voulaient la prendre ainsi, la vierge du ;


ne rompit pas leur étreinte, et quand il déposa
Christ, prise dans sa propre maison comme les trois corps sur la rive, Domnine pressait
dans un piège, s'est enfuie, non pas au sommet encore ses deux enfants sur son cœur ' ».
de la montagne, mais au faîte du ciel, d'où elle Les homélies sur /a ^e«27e?îce appartiennent
a vu les persécuteurs s'en retourner les mains à cette grande époque de la carrière apostolique
vides, et elle s'est réjouie de leur confusion.... de Chrysoôtome, etforment l'un des plus beaux
La mort des martyrs, c'est leur triomphe ' ». monuments de son éloquence. Qu'elles aient
a Cette époque, ajoute le panégyriste, était été prêchées à Antioche, nul doute; du moins,
pleine de ces drames-là ^ » et, en parlant ainsi, ; la chose est évidente pour les cinq premières,
il pensait à sainte Domnine et à ses filles, aux- et ce sont les mêmes circonstances qui les ont
quelles il consacre un autre discours. S'il faut toutes inspirées. Elles sont au nombre de neuf;
en croire saint Ambroise, c'étaient la mère ' et mais il n'en est que six dont l'authenticité soit
les sœurs de Pélagie mais Chrysoslome, leur ; parfaitement incontestable.
compatriote, se tait sur cette circonstance qu'il Théodose venait de mourir. Avec lui s'éva-
ne pouvait pas ignorer. Il raconte seulement nouissait le dernier prestige du nom romain.
que Domnine, femme chrétienne d'une haute Sa grande épée redoutée des barbares avait
naissance, voyant la haine de l'Evangile portée donné quelquesjours de répit, même de gloire
si loin, que des pères livraient leurs fils, des à l'empire, et Chrysoslome avait pu dire ua
maris leurs femmes, prit le parti de s'enfuir instant a Si nous entendons un bruit d'armes,
:

' Chrys., Bom. sur S. Bas. —' Id., Bom. 1, sur S. Pél.
cen'estpas de loin. La guerre n'est plus à nos
• Chrys., ibid. S. Ambroise célèbre aussi l'bérûÏQe d'Antioche. portes comme autrefois. Du Tigre aux Iles-Bri-
• On assure, dit-il, qu'elle orna sa tète et se revêtit delà robe desti-
née à s-,s noces, comme si elle allait, non pas à la mort, mais à son tanniques, tout ce que le soleil éclaire jouit du
époux « 'S. Ambr., de virginib., 1. 3, c. 7, n. 33 et ep. 36, n. 38.) ;

* Chrys., Bom.
1, sur S. Pél., n. 2. —
S. Ambr., de virginib,, ' s. Amb., de virginib., 1.
3, c. 7, n, 35. — » Chrys., Bom. S sui
1. 3, c 7, a. 3J, S. Domn., n, 7. —
S. Ambr., de virginib., 1. 3, c. 7, n. 3t.
CHAPITRE DIX-NEUVIÈME. 2S3

bÎL-nfait de la paix' «. Mais le terrible flot des eût fallu ex|)ier la pénitence après avoir expié
barbares, dès que la main du iiéros cessa de le le péché, elle s'abandonna à un redoublement
conlouir, iloviiit un déluge. Les Gollis ravagè- de folies. Ces malheureux entraînements, celte
rent la Tliraco et la Grèce les Huns tombèrent
;
multiplicité de rechutesétaient pour ces pusil-
commeune avalanche de feu surrAsie-Miiicurc. lanimes Chrétiens un motif de croupir dans
Derniers venus au rendez-vous de la Provi- leurs habitudes, sous prétexte de ne pouvoir s'y
dence, les Huns s'étaient heurtés aux Gotlis qui arracher. De là, les homélies sur la pénitence.
faisaient halteaux portes de l'empire, lesavaient Jean déploie tout ce qu'il ad'éloquence etd'onc-
ébranlés et poussés en avant le monde ploya ;
tionpour combattre ce faux désespoir qui sert
sous le choc. Les éléments déchaînés conspi- de masque à la lâcheté, pour rendre à ces âmes
raient avecles ennemis de la civilisation pour molles et défaillantes le sentiment de leur va-
ajouter à la terreur publique. Un tremblement leur et de leur destinée, un peu d'énergie et la
de terre, qui jeta à bas une foule de villes de foi en Dieu, pour leur montrer combien il est
Byzance à Cadix, avait coïncidé avec l'appari- facile à une volonté ferme aidée de la grâce di-

tion d'une race inconnue, horrible à voir, sur vine de briser des chaînes qui ne sont pesantes
laquelle couraient d'épouvantables récits. Oa que parce qu'on s'applique à les river. Aussi
disait que, nés au désert d'un monstrueux ac- compatissant à la faiblesse que sévère au vice,
couplement entre des sorcières et des démons, il prodigue les encouragements, ne parle que

Its Huns avaient à peine les traits de l'homme de miséricorde et se plaît à ouvrir devant le
et l'instinct de la brute. On les avait vus arra- pécheur ces trésors de pardon et ces portes du
cher la tète à leurs ennemis abattus, se coucher ciel que l'infortuné voudrait se fermer à lui-

sur le cadavre tout chaud pour en sucer le sang, même. Quels que soient les reproches de sa con-
ou le dépouiller de la peau dont ils faisaient des science, que le coupable condamne ses erreurs,
vêlements pour eux-mêmes, des harnais pour qu'il en rougisse, qu'il les confesse, et voilà le

leurs chevaux. Ils ne savaient (jue brûler, pol- commencement du salut. Qu'importe qu'il soit
luer, massacrer. L'avarice seule tempérait chez tombé mille fois ou qu'il tremble de tomber en-
eux la férocité ; ils ne tuaient pas ce qu'ils pou- core, les bontés du ciel sont plus nombreuses
vaientvendre. Les marchésdes villes conquises que ses chutes. Il n'y a que l'orgueil endurci
étaient encombrés de jeunes filles, de jeunes qui trouve le Seigneur impitoyable; l'humble
hommes mis aux enchères sous les yeuxdeleurs aveu de la créature suffit à désarmer le créa-
parents consternés. Lachari té rachetai tau poids teur devant celui-ci, le plus grand péché est
;

de l'or les victimes que nul n'osait disputer aux de ne pas avouer qu'on a péché. Et le saint ora-
ravisseurs. Antioche et Jérusalem étaient me- teur rappelle la terrible histoire de Ca'in, le
nacées : Cydnus, l'Euphrate rou-
rOronte, le sang d'Abel versé par son frère, le meurtrier
laient des flots de sang la Phénicie, la Pales- ; interrogé par Dieu et niant son crime, et la
tine, l'Egypte,!' Arabie secroyaientdéjàcaptives vengeance éternelle s'acharnant à lui, autant
et perdues*. pour l'impudence de son mensonge et son dé-
Aux malheurs de l'invasion, la grêle, la fa- sespoir endurci que pour l'horreur de son for-
mine, la peste ajoutaient leurs fléaux, et comme fait. « Mon péché est trop grand pour mériter

il arrive toujours sous le coup des événements le pardon, disait-il et il s'en allait parle
qui déconcertent les prévisions humaines, le monde, loi vivante, colonne en mouvement,
peuple accablé du sentiment de son impuis- qui tout en gardant le silence rendait un son
sance se retournait vers Dieu. Antioche assié- plus éclatant que la trompette L'aveu eût
geait les autels de supplications, on eût dit une touché le Seigneur, mais il se tut et il fut
ville de Saints mais Jean connaissait de trop
; maudit' ».
longue main ses versatiles compatriotes pour A ce lugubre exemple, Chrysostome en op-
croire à des protestations de repentir inspirées pose de consolants celui de David, le roi
:

par le péril et près de s'évanouir avec lui. En criminel et repentant, dont les larmes firent
effet, desjoursmoinssombress'étant levés pour un saint ; celui d'Achab, qui dut aussi à ses
la cité frivole, elle reprit avec plusd'entrain que pleurs cette grâce insigne que Dieu lui-même
Jamais ses plaisirs et ses vices, et, comme s'il prit sa défense contre le prophète irrité. Du
reste, les homélies sur la pénitence, toutes
' Chryi., lur le ch. 2 d'Isatc, n. 5. — ' Ilicron , ep. 81 et <7>. 35,
L 4, a.'/, firt., p. 661 et 271 ; S«cr., ). 6, c. I ; Sozooi., I. 8, c. I.
• Chry., Uom. 2, sut la P*n. d. 1.
iU HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

pleine de beautés oratoires f'e |.remier ordre, d'éloquence que do pieux monuments de la
jont à peu près un recueil de traits historiques lutte ardente et sublime d'un magnanime sol-
empruntés aux saints livres, mais si bien choi- dat de la vérité contre l'erreur et le vice, pour
sis et développés avec tant d'onction, quelque- l'afrianchisseinent et la régénération de l'hu-
fois avec tant de force et d'éclat, que nul manité. Ji^an ni! fut pas seulement l'oracle du
argument ne pouvait produire, sur un audi- peuple, mais son consolateur, son guide, son
toire croyant, une plus vive et plus heureuse chef. La source de ea puissance était dans sa
impression. Par ces exemples, d'ailleurs, il sainteté, dansée dévouement sans réserve qui
démontre d'une manière saisissante non-seule- faisait de sa vie entière un noble holocauste
ment la nécessité du repentir, mais les carac- aux intérêts du peuple. Il n'y avait pas dans la
tères qui le rendent efficace ; l'humilité, la vaste enceinte d'Antioche une seule misère de
prière, le jeûne, l'aumône surtout, et en par- l'âme ou du corps qui ne retentît douloureuse-
ticulier celle qui avait pour but le rachat des ment au cœur de son apôtre bien-aimé, et ne
esclaves dont l'irruption des Huns venait trouvât près de lui secours et remède. On eût
d'augmenter le nombre dans une effrayante pu inscrire sur la porte de sa demeure ces
proportion. Les autres formes de la pénitence mots de saint Paul Qui souffre sans que je
:

ne sont utiles qu'au pécheur par l'aumône, ; souffre ? Qui est scandalisé, sans que je brûle ? '

le pécheur fait participer ses frères à la grâce Les riches, les grands, tout en murmurant
qu'il reçoit lui-même. Ainsi le repentir du contre lui, se courbaient sous l'autorité de sa

riche estun bienfait pour le pauvre,et l'homme parole, parce qu'elle raisonnait dans leur cons-
apprend qu'exercer la miséricorde envers les cience comme le cii dun grand cœur, le cri
hommesest le plus beau titre à la miséricorde d'un prophète indigné ; ils sentaient tous que
de Dieu. si cet homme plaidait si haut la cause de la
« La pénitence sans la charité, dit-il, est charité, c'est que toute son existence n'était
inefficace, elle est morte Mais voici devant qu'un acte de charité. Un ancien avait dit :

vous des pauvres, des captifs, des malheureux L'orateur est un homme de bien habile à par-
qui errent sans asile ils gémissent, ils pleu-
; ler; mais Chrysostome était plusqu'unhomme
rent, ils se désespèrent Quel plus facile de bien c'était un saint, un grand saint; aux
:

moyen d'acheter votre pardon un morceau de : dons brillants de la parole il unissait les ar-
pain, de grossiers vêtements, un verre d'eau deurs brûlantes d'une conviction généreuse,
froide ? Puisque avec si peu nous pouvons tant d'un amour sans bornes pour les hommes, la
obtenir, ne manquons pas une si belle occa- passion des âmes. Les richesses de son élo-
sion achetons, ravissons le ciel. Vêtir le
; quence sortaient des trésors de sa charité !

pauvre, c'est vêtir Jésus-Christ. Je le sais, — Tout entier à ses cliers compatriotes, il
me réplique-t-on on me l'a dit avant toi, tu
; n'avait jamais songé qu'à les instruire, à les
ne prêche rien de nouveau.— Et précisément, protéger contre leurs propres égarements, à
c'est parce que ces choses vous sont plus con- leur découvrir dans la foi en Jésus-Christ la
nues que vous devriez les pratiquer davan- source des vrais biens. A cette grande ambition
tage'! N'objectez pas votre pauvreté, mais il en ajoutait une autre celle de mourir au :

donnez comme vous pouvez. Autant vous aurez milieu d'eux après avoir vécu pour eux. Quel-
répandu d'aumônes, autant d'avocats vous quefois, il est vrai, dans ses moments de lassi-
aurez près de Dieu quand vous paraîtrez à son tude, il tournait ses regards vers ces belles
tribunal. Le Christ lui-même s'écriera en vous montagnes, théâtre béni des extases desa jeu-
montrante ses anges : Voilà cet homme qui nesse, et toujours peuplées, suivant son expres-
sur la terre m'a comblé de bienfaits » 1 sion, d'anges terrestres, d'hommes célestes.

Tels furent, du moins en grande partie, les Il y venait tous les ans rafraîchir son cœur
travaux de Chrysostome pendant les douze dans la solitude, s'y retremper dans la iiherté,
années de son ministère sacerdotal dans la et il aimait à espérerqu'après les orages d'une
métropole de la Syrie. Ici, l'histoire littéraire vie de lutte et d'immolation pourrait y trou- il

de l'orateur se confond avec l'histoire person- ver le sanctuaire de la vieillesse et l'avant-port


nelle de l'homme. Ses discours sont desactions, du ciel. Mais cette espérance elle-même était
et l'on doit moins y chercher les chefs-d'œuvre sacrifiée sans regret au bonheur du peuple ;

• CU;ys.,5uî h l'im:., Som. 3, n. 3, et Eom. 7, n. 6. • n. ad Corinlh., c. Il, v. 29,


CHAPITRE VINGTIÈME.

«Je vois bien, lui disait-il, que je ne puis plus lâche que fier qui aboutit par la révolte à
abandonner celle demeure, el qu'il me faut la servitude, jiar Photins à Mahomet, et, pour
rester ici jusqu'à la fui de mes jours' ». ne pas s'incliner sous la bénidiclion du pasteur
La (irovidence ne pensait pas comme lui. des pasit'urs, se prosterne, la main tendue,
Elle avaitnsolu d'élever un grand jdiare sur devant toutes les autocraties qui daignent
recueil uiè ne où devait avoir litu im fatal raumùncr de leur pitié. Chrysostome était ap-
naufrage, de placer sur le siège pontifical de pelé d'en-haut à devenir ce grand témoin,
Byzance, tristement prédestiné à être la chaire celte imniortelle protestation : sa tombe elle-
du schisme, un témoin de l'unité de
illustre même devait être un phare éclatant; on a pu
l'Eglise et de la suprématie de Rome, une im- en détourner les yeux et sombrer, on n'a pu
nioi telle |irotestation contre ce séparatisme l'éteindre.

CHAPITRE VINGTIÈME.

Mort de Théodose. — Décadence de l'empire. — de — Mort


Sihiati'in Anhroise
l'Eglise. Milan, de Nectaire Cons-
rie sain' à S

tantînople — — Eleclion de Chrysnslome. —


Intrigues électorales. enlevé d'Anlioche Il de
est — Oinjosilioii Tliéupliile.

d'Alexandrie. — Consécration de Chrysostome. — sespaioies au peunle de Couslantimiple. — Coup-d'œil sur


Isidore la ville

de Constantin — Résumé de sou — Alexandre. —


histoire religieuse. Paul. — Macédonius. — Eudoie. — Saint
Saint Saint
Grégoire de Naiianze. — Nedaire. — Chrysoslome. — Arradius. — Rufin. — Trahison mort de
Slilicon et — Eutrope. et Ruiin.
— Mariage d'Arcadius. — — Luxe
Euiioxie. incapacité de l'tmpeieur. — Souffrances générales dans l'em-
ridicule et i^rofonde
— Synésius. —
pire. rapines,
Im!ii0rlalilé, tyrannie de cour. —
horrible servilisme d'une
la du ^
Rohlcliecnerit et partie clergé.
— Parodie du monachisme. — Evéques mondains indignes. — Influence luncsle de cour de Byzance. — Paroles de
el la saint
Grégoire. — Début de Chrysostome.

Théodose était mort le 17 janvier 395 ; en lui l'armée romaine au dedans, l'hérésie se taisait,
;

Tenait de s'éteindre le dernier rt flet des gloires lepaganisme aux abois disputait faiblement un
de l'empire, son dernier rayon d'espérance. Au reste de vie ; l'Eglise, encouragée et déjà remise
coucher d'un brillant soleil succédait un sombre des secousses du règne de Valens, n'avait que
crépuscule, prccurseurd'une affreuse nuit.Vail- des bénédictions pour un prince sincèrement
laiil soldat, habile etheureuxcapitaine, sage lé- pieux, dont la toute-puissance était au service
gislateur, homme loyal, monarque éclairé, de la vérité. On eût dit que l'empire rajeuni
administrateur intègre et actif, grande âme avait puisé dans le cœur du grand homme une
ouverte à toutes les inspirations généreu-ses, le vie nouvelle et de longs jours de durée. Mais
Trajan chrétien rachetait les redoutables em- l'illusion devait être courte : l'œuvre d'Auguste
portements de sa fougueuse nature par un rare s'écroula dans la tombe de Théodose. A l'hé-
assemblage de qualités éminentes, et surtout roïsme, au génie succédèrent des prodiges
par un dévouement sincère à la chose publique d'imbécillité et de lâcheté. La pourpre si fiè-
et au bonheur du peuple. Si le pouvoir absolu rement portée par le père ne fut plus qu'un
pouvait jamais être un bien, c'eût été dans les chiffon conspué du monde sur les épaules des
nobles mains de Théodosc. Mais les supplices enfants. L'illustre ami de saint Ambroise venait
d'Anlioche et le supplice de Thessaloniiiue de rendre le dernier soupir, quand les barbares
prouvaient surabondamment qu'il n'y a pas se jetèrent sur Rome ; de son cercueil il put
d'exception à celte parole, déjà citée, de Chry- ent 'udre le bruit des flammes qui dévoraient
sostome Le pouvoir absolu est un grandmaV.
: la cité-reine, les houras sauvages qui l'insul-
Le vainqueur de Maxime, d'Euiiène, d'Arbo- taient. On touchait au moment suprême où la
gastc, n'avait plus de rival à redouter; le trône colosse à la tête d'or, aux bras d'argent, aux
était affermi dans sa famille, le monde était à pieds d'airain et d'argile, atteint par la petite
E s pieds. Au dehors, les barbares subjugués ou pierre détachée de la montagne, allait se briser
eéduits sollicitaient l'honneur de servir dans en mille morceaux comme la menue paille quô
I Cbryi., sur lep. aux Coloss., Uom. 7, d. 'i. le vent emporte hors de l'aire peu<iiiftt l'été.
%6 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

Mais tandis que l'astre des Césars s'affaissait tant aimé. Le 4 avril 397, Milan perdait le plus
dans la honte, celui du Christ montait rapide illustre de ses pontifes, l'Eglise l'une de ses
et vainqueur, inondant l'horizon de ses feux. gloires les plus pures, l'empire son dernier
Le grand colosse tombait en poudre, la petite boulevart. La mort de cet homme, disait Stili-
pierre devenait une grande montagne. L'Eglise, con, menace l'Italie de sa ruine prochaine. Ces
qui avait déjà vu, qui devait voir tant d'auto- pressentiments n'étaient que trop vrais. Am-
crates passer, tantdedynastiess'éteindre, pour- manquer non-seulement à l'Italie,
broise allait
suivait sa sainte mission sans s'émouvoir du mais au monde. Cette même année, au mois
fracas qui se faisait autour d'elle, et au milieu de septembre, mourut à Constantinople le pa-
des épaves de la tempête, au milieu des ruines triarche Nectaire. La perte d'un pasteur aussi
amoncelées, jetait d'une main divine les fonde- dépourvu de que d'énergie et de sens sa-
talent
ments impérissables de l'avenir. Sans doute, la cerdotal laissa peu de regrets, mais elle fut
mort avait frappé de terribles coups dans les l'occasion d'un grand scandale. Il s'agissait de
rangs les plus illustres de ses soldats Lac- : lui donner un successeur par la voie ordinaire

tance, Arnode, Atlianase, Basile, Ephiem, Gré- de l'élection. Ou vit alors surgir de toutes parts
goire de Nazianze, Hilaire de Poitiers, Cyrille des prétendants à cette dignité sainte, redoutée
de Jérusalem, Jacques de. Nisibe, Sylvestre, du mérite, briguée par l'incapacité. Des
Jules, Damase n'étaient plus, et bientôt saint hommes auxquels nul ne pouvait penser, in-
Martin et saint Ambroise allaient les joindre dignes du nom d'hommes, dit Pallade ', et qui
dans un monde plus digne d'eux. Mais saint ne portaient le titre de prêtre que pour le
Porphyre évangélisait la Phénicie, saint Victrice déshonorer, posèrent effrontément leur propre
la Flandre, saint Alexandre et saint Marlyrius candidature. Les uns fatiguaient la cour de
fécondaient de leur généreux sang des contrées leurs sollicitations, les autres prodiguaient l'ar-
où la grâce du Ciel n'avait pas encore germé ;
gent et les promesses, plusieurs imploraient à
saint Delphin gouvernait l'église de Bordeaux, genoux la faveur du peuple. Celui-ci, révolté
saint Gaudence celle de Brescia, saint Vénérius de tant de bassesse, supplia l'empereur de
celle de Milan, saint Chromace celle d'Aquilée, nommer lui-même l'évêque de la seconde
saint Marcel celle de Paris, saint Honorât celle Rome. Il est probable que la cour ne fut pas
de Verceil saint Jérôme atteignit l'apogée de
; étrangère à cette manifestation et qu'elle
son génie saintEpiphane, le saint Martin de l'O-
; exploita habilement le dégoût populaire. Elle
rient, remplissait tout de l'éclat de ses prodiges épiait et saisissait toutes les occasions d'inter-
et de ses vertus saint Arsène, saint Nil, saint
; venir dans l'Eglise, et de la dominer sous pré-
Isidore, fleurissaient au désert ; saint Sirice et texte de la protéger.
saint Anastase illustraient la chaire de Rome ; Eutrope, ministre alors tout-puissant du
saint Pammaqueet saint Paulin quitlaienl tout, Chrysostome pour
faible Arcadius, connaissait
grandeur et fortune, pour se consacrer à Dieu l'avoir vu dans un récent voyage en Syrie ; il
et aux pauvres ; sainte Paule, sainte Fabiola, prononça son nom qui fixa tous les suffrages.
sainte Mélanie, sainte Olympiade étonnaient et Si applaudi que fiit ce choix, il y avait difficulté
consolaient luniv ers par leur charité une reine ;
aie faire aboutir, car on se trouvait eu présence
de Marcomans amenait à Jésus-Christen un jour de deux obstacles: l'humilité peu traitable du
tout son peuple saint Augustin, devenu évêque
;
saint prêtre et l'ardente affection que lui por-
d'Hippone, commençait à faire entendre ces tait le peuple d'Antioche, peuple orageux chez

grands oracles écoutés de tous les siècles, et la qui le mécontentement tournait vile à la sédi-
Papauté, dont les rapports avec les rois et les tion. On usa de stratagème. Le comte d'Orient

peuples prenaient chaque jour plus d'extension, invita Chrysoslomeàune entrevue importante
entourée déjà d'un éclat souverain ', voyait s'é- et secrète dans un église extra-muros, près de
lever et s'affermir ce pouvoir tuniporel dont la porte romaine. Là, l'ayant fait monter avec
l'indépendance est plus nécessaire au monde lui dans sa voiture, sous prétexte d'une causerie
qu'à elle-même. plus longue et plus libre, il le conduisit jus-
Revenons à notre Ambroise sur- récit. Saint qu'au premier relai où il le livra, tout étonné
vécut deux ans au grand empereur qu'il avait et malgré ses protestations, aux officiers de
l'empereur qui l'attendaient et le menèrent en
• Amm. Marc, liv. 27 ; S. H.er., ep, 38, tom. 4, aller. fart,.
'
p. SiO. Pal'.ad., dijl., c. 5.
CHAPITRE VINGTIÈME. 2o7

toute hâte à Constantinople. On le traînait au autoriser en lui plus d'ambition. Quoi qu'il en
trône pontifical '. soit des motifs qui l'insiiiraient, son opposition

La cour, pour donner plus d'éclat à la consé- fut tenace, inconvenante peut cire. On a pré-
cration de son élu, avait convoqué un concile tendu que, pour en finir, Eutrope l'avait me-
où se trouvait, entre autres personnages consi- nacé de rendre publics de fâcheux mémoires
dérables, le patriarche égyptien, Théophile. II reçus contre lui. C'est peu croyable, car on
y venu bien moins pour répondre à l'invi-
était n'avait pas besoin de ces grands moyens pour
tation impériale, que pour entraver de son vaincre les résistances d'un homme dont la
mieux l'élection de Jean. Ambitieux d'in- souplesse était fort connue, dont les intrigues
fluence, avide d'intrigues, il se flattait qu'un devaient échouer d'elles mêmes devant la po-
homme dont aurait fait la fortune serait,
il pularité déjà si grande du nom deChryso^tome,
même sur le siège de Constantinople, l'instru- aussi bien que devant la ferme volonté du gou-
ment docile de ses desseins, et il avait jeté les vernementqui, investi parlesélectein-sdusoin
yeux sur Isidore, qui gouvernait alors le grand de les suppléer, agissait, celte fois du moins,
hôpital d'Alexandrie, vieillard pieux et doux, dans la plénitude de son droit. Théophile,
que son âge avancé une longue habitude de
et obligé d'abandonner Isidore, accepta vis-à-vis
subordination lui faisaient espérer de manier à de Jean la mission d'évêque consécrateur, mis-
son gré. Ce choix, d'ailleurs, ne pouvait soule- sion qui revenaità l'évêque d'Héraclée, l'ancien
ver aucune objection, car Lidore était un métropolitain de la Thrace '. La consécration
prêtre infiniment vénérable que saint Athanase eut lieu le 26 février 398'. Assis sur la chaire
lui-même avait parliculièremeut estimé et af- de saint Pierre depuis la mort de Damase, Si-
fectionné. Le cauteleux patriarche errait donc rice gouvernait alors, avec autant de sagesse
dans son calcul. Mais d'autres considérations que de fermeté, l'église de Dieu, et saint Au-
combattaient dans son esprit la candidature de gustin publiait, cette année même, le plus beau
Jean. D'abord il l'avait vu, et en homme habile peut-être de ses ouvrages, les Confessions.
à juger les hommes, il avait compris tout ce Théophile put étudier à loisir, pendantla céré-
qu'il y avait d'énergie et de sainte fieité dans monie de l'ordination, le noble visage qu'il
cet austère chrétien , consumé de travaux, plus avait devant lui, où respiraient la force et la
généreux encore qu'éloquent, si désintéressé grandeur d'une âme invincible, et jugea quel
qu'il avait abandonné tous ses biens aux homme sa tortueuse ambition allait trouver
pauvres, grand que sa seule renommée lui
si sur sa route. Pour le nouvel élu, absoibé dans
interdisait un rôle secondaire. De plus, Jean la méditation de ses devoirs, il ne songeait
appartenait à l'école d'Antioche, Théophile se guère qu'il venait de se créer un implacable
regardailcommela plus haute personnification enu( mi. Il embrassa avec effusion le pontife
de celle d'Aluxandrie ; et cette rivalité des deux qui lui avait imposé les mains, tandis qu'au
écoles pouvait bien ne pas être étrangère au pied des autels, dans son baiser de Judas, celui
sentiment qui s'insurgeait dans l'àme de qu'il appelait son père lui vouait une haine'

l'évêque d'Alexandrie contre l'élévation du que la mort devait à peine assouvir.


prêlred'Antioche. Il est probable aussi qu'avec La pompe inaccoutumée dont la cour en-
son esprit si sagace, Théophile voyait monter toura la consécration de Jean, était un calcul
d'une manière effrayante les prétentions des peut-être autant qu'un hommage elle espérait ;

prélats de Byzance à subalterniser les églises s'assurer une créature illustre. Mais la joie du
d'Orient prétention trop encouragée par le
: peuple était sincère. Le peuple qui aime ins-
second concile général qui leur donnait le pre- tinctivement ce qui est fort, et qui n'apercevait
mier rang après les évêques de Rome, et sur- autour de que faiblesse et lâcheté, qui voyait
lui
tout par une cour qui, les tenant sous sa main ses campagnes ravagées par les barbares, l'em-
et toujours prête à payer des complaisances par pire avili par les empereurs, le monde livré
des faveurs, comptait que toute suprématie aux eunuques, en proie d'ailleurs aux agents
usurpée par eux le serait à son propre profit. du fisc, accablé d'impôi:; et de vexaiions, aigri
Un instinct catlioliiiue avertissait Théophile de par l'excès de ses mibèies contre uu pouvoir
ce péril, d'autant plus grand à ses yeux que la
valeur personnelle du sujet proposé semblait ' ThnmaB.., n.HpIln., t. ', p. SI ft ÏIO,
' Voir HUf ^'txe> /uAii/icuftVM.
• ftilii., Ditl., «. I i («loin., 1. 8, t. i.

t. i. (H. — TO.MB 1. il
S58 HISTOIRE DE SAINT JEAN tHRYSOSTOME.

qui ne savait que les aggraver et le pressurer, elle aussi, comme la ville de Romulus, l'épl-
tournait volontiers ses regards vers un homme thète de SepticollisK Pour l'embellir, dit saint
qui lui venait, avec l'éclat du talent et l'auto- Jérôme, il dépouilla le monde '. Tout ce qui

rité de la vertu, comme une protection visible de statues, de colonnes, dechefs-d'œuvre


restait
du ciel dans ce honteux abandon des puis- de bronze ou de marbre dans les antiques cités
sances de la terre, comme un consolateur du de la Grèce, de l'Ionie, de l'Egypte, vint à
moins et un noble ami dans Dès
ses souffrances. grands frais se dresser sur les places, devant
les premiers discours, Jean versa son âme dans les palais, dans les thermes, dans l'hippodrome
celle du peuple', a Je ne vous ai parlé qu'une de de Constantin. On eût dit qu'il lui
la ville

déjà je vous aime comme si des


fois, dit-il, et avait suffi de frapper la terre du pied pour en
l'enfance j'avais été élevé au milieu de vous, faire jaillir d'un seul jet une ville féerique de
déjà je vous suis uni par un sentiment aussi granit, de porphyre, d'albâtre, se mirant avec
vif que si je jouissais depuis longtemps du orgueil dans les brillantes eaux de la Propon-
charme de votre intimité non que j'aie un
; tide etdu Bosphore, étonnée elle-même des
cœur trop prompt aux affections, mais c'eslque splendeurset des merveilles qui couronnaient
vous êtes aimables au-dessus de tout. Car qui son jeune front, étincelant d'or et de soleil, et
n'adiTiirerait votre zèle de feu, votre charité chargé de plus de joyaux que dix siècles et
sans feinte, votre attachement pour vos maîtres mille victoires n'avaient pu en placer sur la
dans la doctrine, l'union qui règne entre vous, têtede sa rivale. Athènes, Memphis, Héliopolis,
choses qui suffiraient pour vous concilier une Antioche, Palmyre, Delphes, Rome elle-même,
âme de pierre ? C'est pourquoi nous ne vous tous les temples des dieux, tous les palais des
aimons pas moins que cette église où nous rois avaient été mis à contribution pour com-
sommes nés, ou nous avons été élevés et ins- poser l'écrin sans prix de cette souveraine ca-
truits. Celle-ci est la sœur de celle-là, et la pricieuse qui portait la fortune et la gloire de
preuve de leur parenté est évidente dans vos cent villes dans sa parure de chaque jour.
œuvres. Si l'une est plus ancienne, l'autre est D'imposants aqueducs, des galeries à perte de
plus fervente ; d'un côté, c'est une assemblée vue pour la promenade du peuple, de vastes
plus nombreuse, un de
théâtre plus célèbre ;
théâtres, trois immenses places publiques, or-
l'autre, toutannonce plus de constance et de nées de portiques et bordées d'édifices gigan-
force d'âme. Je vois ici les loups rôder autour tesques; huit thermes d'une royale magnifi-
des brebis, mais lebercail ne diminue pas. Des cence, un cirque dont l'étendue et la beauté (

ventsviolents, d'horribles tempêtes batlentsans faisaient oublier tout ce que les anciens avaient
aucun de ceux
cesse la nef sacrée, et cependant eu de plus remarquable en ce genre, quatorze
De toutes
qu'elle porte n'est victime des flots. églises aux hardies coupoles, aux riches mo-
parts nous envahissent lus flammes de l'héré- saïques, quatorze palais aux toits dorés entou-
sie, etau milieu même de la fournaise on jouit rant comme un cortège d'honneur le grand
dune rosée spirituelle' ». Ces derniers mots palais qui les écrasait tous de ses proportions
font allusion aux dissidences religieuses de et de sa splendeur; des portes triomphales, des
Constantinople où l'Arianisme, grâce à Cons- obélisques, des groupes antiques d'un admi-
tance et à Valens, avait poussé de profondes ra- rable travail, une profusion de statues, de bas-
cines. On y comptaitaussi des Manichéens, des reliefs, de vases de bronze et d'or ;
quatre mille
Marcionites, des Juifs et beaucoup de païens. maisonsaussi somptueuses que des demeures
H y avait soixante ans à peu près que By- princières, et, surune colonne de porphyre da
zance, appelée par son incomparable situation cent vingt pieds de haut, l'image colossale du,
à devenir, en des mains puissantes, la capitale vainqueur de Maxence et de Licinius, le sceptre
de l'univers, avait reçu de Constantin son nou- d'une main, le globe du monde de l'autre,
veau nom et la suprématie de l'empire. Le n'étaient qu'une partie des prodigieuses ri-
fondateur de la seconde Rome ne voulut pas chesses accumulées en six ans, d'autres disent
qu'elle ccdâlen rien à la première. Il en traça en quelques mois, à la voix d'un homme, sur
lui-même l'enceinte, de manière à y enfermer unelangue de terre que Sévère avait couverte
scrupuleusement se[itcollines, afin qu'elle prît, de ruines, que Dioclélien avait dédaignée, et
' Nous n'avons pas le premier discouri*
Ducang., 1. l, r. 8. ~ Conslnntinofolit i«iU»tur peut oaf
'Cbt>i, Bom. 11, «entre les Ancim., B.1. itiu») urbium ntidilale. (Hleton. cbton.j
CHAPITRE VINGTIÈME. 239

qui semble jelt5e là, entre l'Oriect et l'Occident, sous Sévère et Caracalla, au commencement
pour être à jamais l'admiration et l'ambition du m' siècle. Et, toutefois, peut-on croire, est-
de l'un et de l'autre. il que des contrées aussi importantes,
possible
Uneœuvredecelte nature, grandiose impro- aussi connues que les provinces Th aciennes,
visation d'une capitale du monde, devait offrir, soient restées deux cents ans en dehors de la
et offrait en effet, dans si splendeur même, lumière de l'Evangile, dontl'expiosion fut tille
avec les traces de qui y avait
la préciiùtation que, du vivant de saint Paul, il fut prêché à
présidé et de la décadence générale du goût, un tout l'univers ?
singulier mélange de styles et de génies divers, « La nature n'a pas deux soleils, disait saint

de caducité et de jeunesse, des défroques d'une Grégoire de Nazianze mais elle a deux Homes,
;

pensée morte et des élans d'une pensée nou- flambeaux de cet univers, Tune ancienne,
velle, victorieuse du passé et déj'i sûre de l'ave- l'autre nouvelle, différant en ceci que la pre-
nir. LaCybèle du mont Dindyme, la Fortune mière brille où le soleil se couche, et la seconde
de Rome, Muscs, celles de Castor
les statues des où il se lè>e mais la beauté de celle-ci égale
;

elde Pollux, l'Apollon Pythien s'y trouvaient à la beauté de celle-là. Quant à la foi, l'ancienne

côté des figures en bronze doré qui représen- mareha toujours et ne cesse point de marcher
taient, sur les fontaines des places publiques, dans la vérité, enchaînant par la doctrine du
l'histoire de Dauiel ou la parabole du bon Pas- salut l'Occident tout entier, comme il convient
teur, et vis-à-vis de la croix qui éclatait partout à une Eglise placée au-dessus de toutes les
dans la cité cliréliu-nne dédiée .» Marie, au faîte autres, qui adore d'un culte parfait l'essence
du Capitule qu'elle couronnait, au Forum mi- divine. La nouvelle, j'allais dire la mienne,
liarium, dans les mains de sainte Hélène, au quand elle n'est plus la mienne, fut longtemps
palais, dans la grande salle où elle était dessi- ferme dans l'orthodoxie, mais elle gisait dans
née en pierreries sur le plafond. Ici, le trépied le bourbier de l'erreur, depuis que la ville lé-
célèbre de Delphes; là, lelabarumsculptéen or; gère qui renferme tout mal, Alexandrie, aux
au basde la colonnade Constantin, le palladium bouleversements insensés, a produit Arius,
apporté de Troie par Enée, vieux talisman de l'abomination de la désolation ». '

la puissance romaine; et, sur le chapiteau, au L'Ariauisme, en effet, pénétra de bonne heure
pied de la statue impériale, naguère statue du à Byzance, et à la faveur de l'intrigue et de la
soleil, une sainte relique de la vraie Croix. Et cour y prit une grande extension. Mais la ville
toutcela, malgrécetteélrangeconfiision d'idées choisie par l'hérésiarque pour être le théâtre
et de choses, formait un ensemble éblouissant, de son triomphe devint le témoin de sa hideuse
fantastique, ineffable, rêve merveilleux de la catastrojjhe. Alexandre y gouvernait alors le
puissance et du génie changé tout à coup par pieux troupeau du Sauveur. Vieillard d'une foi
un fiât de la Providence en une réalité plus pure, d'une vie sainte, d'une angélique dou-
merveilleuse encore '.
ceur, il avait siégé à Nicée, et avait vu, sous
Byzance, devenue Constantinople, voulut son long pontificat, sa modeste église transfor-
mettre ses origines religieuses au niveau de ses mée en une mélroiiole importante ses talents :

grandeurs politiques. Son Eglise se posacomme semblaient au-dessous de saposition. Les Ariens
apostolique, et prétendit avoir pour fondateur crurent facile de le tromper, et le prièrent, au
le frère même
du prince des ajôtres. Si cette nom de la charité, de rendre la communion à
prétention ne pouvait être pleinement justifiée, leur chef, un instant égaré disaient-ils, au- ,

elle n'avait rien d'absurde Nicéphoreadonné : jourd'hui pénitent. Alexandre répondit qu'un
une longue liste des évoques qui durent la seul n'avait pas le droit de défaire ce que tous
gouverner depuis saint .André jusiju'à Alexan- avaient fait; il refusa. On insii-ti, ou menaça,
dre, t homme en dons apostoliques fort excel- on parla de déposition et d'exil : ce fut en vain.
lent* ».Il est vrai, des écrivains, d'une critique L'empereur manda le saint homme, et lui in-
réputée pins sûre, prétendent que le premier tima l'ordre d'admettre Arius à la communion
évèque de Byzance dont on puisse prononcer dès le lendemain. Alexandre voulut répliquer
le nom avec quelque certitude est Philadelphe, et fut mis à la porte. Troublé, le visage baigné
de pleurs, il alla se prosterner devant l'aulel,
Kiuib. *il. Crmilant., I. 3, o. 48 Zoilm., 3 Soiom.,
Ducing., Cmttari..
; 1. ;


I. 2 ; dans une église voisine. On l'entendait s'écrier;
J <i I 1 ; TiUtui., Cou;l., boM ij. Ni-
««l'ti., ctUix., 1. e, c. «. ' 8. Grég. N«zi«Dz., t. 2, p. 705.
260 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRÏSOSTOME.

«0 Dieu! si l'impie doit entrer demain dans peu satisfaite le quitta bientôt pour celui de
votre sanctuaire, retirez votre serviteur à vous; Constantinople. Sans conviction, sans dignité,
mais si vous avez pitié de votre Eglise, ne per- bouffon sacrilège, il déshonora la dédicace da
mettez pas qu'elle tombe dans le mépris; sainte Sophie, qu'il présidait, par ce blas-
arrêtez Arius, pour qu'avec lui l'erreur ne phème prononcé en chaire, devant un peuple
f;isse pas son entrée dans votre saint temple » 1 indigné et frémissant : le Père
impie, le est

On sait le reste. Fils est pieux; car, ajoutait-il, en se moquant


Le noble vieillard survécut peu au misérable de l'auditoire a : Le Père ne rend honneur à
dont l'insolence et les prétentions avaient dé- le Fils rend hommage au
personne, tandis que
solé ses derniers moments. Après lui, Paul, Père'». Vingt ans durant, ce bateleur mitre
qu'avant de mourir il avait désigné aux suf- fut la honte de Constantinople et le fléau des
frages des électeurs, monta sur la chaire de orthodoxes. Enfin, sa mort permit à ceux-ci de
Constantinople et y flt monter avec lui la foi respirer un moment. Ils se donnèrent un évè-
invincible et les vertus de saint Athanase. que. Mais leur tentative avortée n'aboutit pour
Jeune, éloquent, intréi)ide, aussi dédaigneux eux qu'à un redoublement d'oppression. A bout
des fureurs que des intrigues de la secte, jouis- de patience, ils se plaignirent à Valens, le prin-
sant d'une grande popularité, il se vit calomnié cipal auteur de leurs maux. On connaît la
par Macédonius, exilé par Constantin, rem- réponse impériale. Leurs députés, au nombre
placé par Eusèbe de Nicomédie, reprit son de quatre-vingts, furent entassés sur un brûlot
siège à la mort du dernier, reçut l'ordre de le lancé en pleine mer et périrent au miUeu des
quitter encore et y fut retenu parle peuple qui flots et des flammes*. La capitale de l'Orient
l'aimait et qui, s'étant jeté sur l'officier impé- n'était plus que le foyer de l'hérésie. Avec
rial chargé d'enlever son évèque à main armée, l'Arianisme, mille autres erreurs s'y mon-
le tua, le traîna par les rues après avoir brûlé traient à découvert, et le petit nombre de vrais
sa maison. Paul, attristé de ces sanglants excès Chrétiens qu'elle renfermait, sans pasteurs,
qui souillaient la plus noble cause, quitta la sans églises, humiliés, écrasés, à défaut de
ville coupable, se rendit à Rome près du pape catacombes, se cachaient dans les quartiers
Jules qui le rétablit dans sa chaire, revint à reculés de la ville, n'ayant pour tenir leurs
Constantinople d'où l'hérésie triomphante le assemblées qu'une maison bourgeoise et ne
chassa de nouveau, y entra une dernière fois pouvant opposer que la prière et des larmes
et fut déporté à Cucuse en Arménie, oîi il pé- aux fureurs de leurs ennemis.
rit étranglé par les Ariens '. Sur ces entrefaites, Ce fut alors qu'où vit sortir de sa retraite,
Macédonius avait jeté lemasque et montait au aux cris de détresse de l'orthodoxie, aux solli-
trône pontifical sur des monceaux de cadavres. citations réitérées de nombreux pontifes, un
Promoteur acharné des fureurs impériales, il apôtre, un saint, un esprit supérieur, Grégoire
fit revivre contre l'Eglise les mauvais jours de de Nazianze. Il vint prendre la direction odu
Gaiérius et de Maximin. Quiconque refusait sa petit troupeau désolé par les loups et dispersé
communion était ou banni, ou emprisonné, dans les ténèbres d'une profonde nuit'». A
ou battu de verges, ou marqué au front d'un l'aspect de cet homme exténué par la péni-
fer chaud. Le paganisme n'avait pas été jilus tence, au visage pâle, au regard de feu, aux
cruei.L'évêque-bourreau inventa des supplices véttments grossiers, la ville s'émeut, l'hcrcsie
dont le génie de Néron se fût honoré. On le vit, frémit, les catholiques lèvent la tête. Bientôt
s'acharnant aux femmes, leur faire brûler, l'obscure maison de Nicobule , qui suffisait
scier, arracher les seins'. Révoltés de tant naguère aux synaxes, se change en une église
d'horreurs, ses propres partisans le déposèrent. célèbre que l'onnomme Anastasie ou Résur-
Un autre Arien, Eudoxe, prit sa place. Evèque rection, parce que c'est là, en effet, que l'il-

de Germanicie, à la suite de l'empereur, il lustre ami de saint Basile ressuscite la foi

avait tant tait o par le pourchas et brigue des catholique dans la ville de Constantin. Rien ne
eunuques, valets de chambre'», qu'il avait surprisse son éloquence si ce n'est sa vertu;
obtenu le siège d'Aiitioche; mais son ambition rien n'égale sa sainteté si ce n'est sa science
des choses divines, qui lui mérite le surnom
' Sfcr., 1 2, c. î, B, 7, 12, 22 ; Théod., I. 2, c. 25. — ' Socr.,
). 2, c. 12, 2:^, -M; S«nm., 1. 4. — * Hitégh,, Uliiz., 1. 11, c. 36; • Socr., 1. 2, c. 43. - ' li,, 1. ^, «. W, 15, 1». «• ' 3. Glég.
S(h.r., 1. 23, c. laL Maziuz., orat. 42.
CHAPITRE VINGTIÈME. Mi
triomphal de Théologien. 11 lutte par la doc- Puisses-tu être conservée pareux et lessaaverl
trine et par la charité, bienveillant aux per- Snuve mon peuple, et que j'apprenne que vous
sonnes, implacable à l'erreur. Ses discours vous élevez chaque jour en doctrine et sagesse I
excitent une admiration générale : tout le Enfants, gardez le dépôt et souvenez-vous de
monde veut les entendre. Les dissidents eux- mes lapidations » Puis, le grand pontife a
*
!

mêmes se pressent aux portes d'Anaslasie. regagné sa solitude chérie d'Arianze et là, ;

On applaudit, on bat des uiains, d'habile? sté- loin des hommes et de leurs intrigues, il achève
nographes reproduisent jusqu'à ses moindres sa noble etsainte vie. Cygneduciel, en prenant
paroles. La persuasion coule de ses lèvres, et son dernier essor, il chantait ses tristesses et
plusieurs, parmi ceux que la curiosité seule ses espérances en vers d'une émotion et d'un
attire autour de la chaire, s'en retournent sin- charme infinis, où pour la première fois se
cèrement convertis. A la demande du peuple révèle le génie contemplatifet mélancolique de
et de l'emfiereur, le concile de cent cin(iuante la poésie chrétienne. Son sacrifice pourtant ne
prélats qui siège à Constantino[)le l'établit so- fut pas sans douleur, a Je te regrette, disait-il,
lennellement, malgré ses cris et ses larmes, pourquoi ne pas l'avouer? peuple bien -aimé de
évéque de la nouvelle Rome. Grégoire, après mon Anasiasie, fruit de ma parole et de ma
une vive résistance, a fini par se résijfner ; tendresse Que fais-tu niaintenant? Qui jouit de
!

mais bientôt les calomnies des sectaires incor- la beauté? Puis-je vivre loin de mes enfants,
rigibles, lesdifficultés élevées aprèscoup contre quand mes enfants vivent encore * ? ^
son élection par des collèj;ues jaloux, la posi- Ces regrets étaient plus spécialement motivés
tion prise par l'assemblée vis-à-vis de Rome par le choix de son successeur. En effet, la re-
et de l'Occident, dans l'affaire de Flavien, traite de Grégoire étonna moins que l'élection
remplissent son âme d'amerlume et de dégoût ; de Nectaire, Homme du monde, spirituel, ai-
il abdique une dignité trop lourde à sa modes- mable, d'une ligure imposante, bienveillant et
lie. « Adieu, s'écria-t-il, ô empereurs palais des ! doux, mais faible, plus fait pour charmer un
empereurs, valets et courtisans des empereurs, salon que pour gouverner une église, il était
fidèles à votre maître je n'en doute point, mais encore catéchumène et parfai tement étranger à
pour la plupart infidèles à Dieu Battez des ! la science des choses saintes. Deux évêques
mains, pou.-^sezdescris,élevezjusqu'au ciel \otre furent chargés de bâcler en quelques jours son
nouvel orateur elle s'est tue la voix importune
; éducation épiscopale; et, baptisé de la veille, il
qui vous déplaisait, et cependant elle ne se s'assit, sans hésiter, sur cette chaire illustre et
taira pas tout à fait elle combattra par la
: périlleuse d'où descendait à peine l'un des plus
main, par la jdume mais, pour le moment,
; beauxgéniesetdes plus grands saints du Chris-
nous sommes condamnés au silence. Adieu, ô tianisme. Son élection fut-elle l'œuvre du con-
grande cité, amie du Christ (car je dois dire
I cile,du peuple ou de l'empereur? le fruit d'une
ce qui est vrai, bien que son zèle ne soit pas intrigue ou d'une illusion ? Théodose, qui ai-
selon la science la séparation nous a rendu
; mait Nectaire et l'avait fait prêteur de Constan-
plus indulgent). Approchez-vous de la vérilé; tinople, voulait-il opposer la froide et conci-
revenez à de meileurs sentiments. Honorez liante sagesse d'un vieillard à la vive ardeur
Dieu plus que vous n'êtes habitués à le faire. des disputes religieuses qui fatiguaient son gou-
Se convertir n'est pas honteux, mais persévé- vernemenl?S'était dedonuer à l'Eglise il flallé
rer dans lemal est funeste. Adieu, Orient et un second Ambioise un moment cet ? S'il eut
Occident, pour qui nous avons combattu et esiioir, son amitié letrom|)ait bien. Le nouveau
par qui nous sommes accablé. J'en prends à pasteur était, sous tous les rapports, l'antiijoda
témoin celui qui vous rendia la paix, si quel- du grand é\é jue de Milan. Sans énergie, sans
ques prélats imitent ma retraite car ils ne ; doctrine, sans aucune étincelle du feu sacré
perdront pas Dieu ceux qui descendront de qui fait les pontifes et les a| ôres, il n'avait,
leurs trônes, mais ils uuioul une chaire au pour entrer dans les vues du chef de l'Etat, que
ciel plus auguse et moins jiérilleuse. Au-dessus sa nudité al)solue. Un admi-
seul acte de son
de tout, avant tout, je crierai Adieu, anges : nistration l'a rendu célèbre: l'abolition de la
gardiens de cette église, vous qui protégii z ma
présence et qui protégerez mou départ 1...
' Xrf Timolh., I, c. 6 ; nd Colon , c. , t. 18 j S. Grég. Naziant.,
i'i, n 1^6, '^T, I. I, p. IbT. — ' S. Gieg. Ndiiani , u ï. f liuujU
Salut, ô Tiiaitc, ma méditation et ma i,'loire I
.
,,

ffî? - HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

pénitence publique '. D'un âge fort avancé fier àla loyauté douteuse de deux barbare» l'ave-

quand il monta sur le trône pontifical il gou-


, nirdesadynastieetlesortdel'empire; mais déjà
Terna seizeans,avec plus d'apalhie et d'impuis- Iesbarbaresrem|ilissaientle palais et les camps,
sance que de sages e, une église dont le dernier les plushautes positions leur appartenaient.
concile venait d'élever la dignité et d'agrandir Les Romains dégénérés, aussi incapables qu'in-
la juridiction, et qui, toute meurtrie encore dignes de se défendre eux-mêmes, s'effaçaient
dune longue et teriible épreuve, avait besoin, avec bonheur devant ces farouches étrangers,
non d'un chef seulement, mais d'un sauveur. vaillamment combattus par les pères lâche- ,

Le Ciel le tenait eu réserve au sein d'Antio- ment invoqués parles enfants. Bauton, qui fut
clie. Appelé au gouvernail spirituel de Constau- consul et dont la fille partagea le trône d' Arca-
tinople, Jean le saisit d'une main ferme et ; dius, était franc; Gainas, qui commandait un
dès premier jour il montra à tous, au clergé
le , un autre goth, Fa-
corps d'armée, était goth;
comme au peuple, ce que c'est qu'un évêque vrilte, avait la sous ses ordres; Alaric
flutte

selon le cœur de Jésus-Christ. Il avait trop re- était comte romain. Le gros des forces impé-

douté répiscopat, ilen comprenait trop lagran- riales se composait de Suèves, d'Hérules, de
deur et les devoirs pour croire que son éléva- Goths, d'AIains, de Lombards, Le vieux édifice,
tion le liât au bon plaisir de la cour par une près de crouler, n'avait pour étais que desbra»
fausse reconnaissance. La cour, de son côté , ennemis.
s'aperçut vite qu'au lieu d'un complaisant, elle Stilicon et Rufin, maîtres, celui-ci d'Arca-
s'était donné un pontife. El, en effet, le flls de dius tt de l'Orient, celui-là d'Honorius et de
Théodose venait de trouver un Ambioise. l'Occident, après avoir emitloyé leur toute-puis-
Mais Ambroise pouvait se survivre dans un sance à satisfaire, à l'envi l'un de l'autre, leur
autre lui-même Théodose était mort tout en-
;
in atiable rapacité, songèrent à placer sur leurs
tier. Arcadius n'avait pas dans son cœur une propres épaules la pourpre qu'ilsavaient laissée
seule fibre du cœur de son père. Nature indi- jusque-là sur celles de leurs pupilles, et s'en-
gente, chélive, sans ressort, sacs lumières teudirentsecrètementpourouvrirauxbarbares,
écrasé sous sa fortune, incapable d'êire autre dont le concours était nécessaire à leurs trahi-
chosesurletrône que le jouet de l'adulation et sons, les portes de la patrie. L'ambition de
de l'intrigue, il n'avait de remarquable, après Rufin fut la plus pressée. Grand, beau , in-
sa stupidité, que son entêtement. Décoré de la trépide, éloquent, il avait ce qui fascine les sol-
pourpre à sept ans, il en avait dix-huit quand dats et le peuple ; le front ouvert, l'œil de feu,
la mort prématurée de Théodose le mit en pos- le sourire confiant, le geste martial, la résolu-
session de Constanlinopleetde l'Orient. Rome lion prompte, la parole souveraine, et dans le
et l'Occident échurent à son jeune frère Huno- combat la bravourebrillante et communicative
rius.Maislegrandsoldatquidisposaitdu monde d'un héros. La fortune, qui l'avait rapidement
par testament, ne léguait à personne sou épéj. élevé du rôle d'aventurier au titre de consul,
Du reste, la situation était aussi tendue que de grand-maître du palais, de préfet du pré-
possible. L'empire vermoulu, dont l'héroïsme toire, semblait l'inviter à s'asseoir sur un trône
et le génie pouvaient à peine retarder la chute, qu'elle approchait toujours plus de lui. Long-
se trouvait abandonné aux débiles mains de temps il n'avait aspiré qu'à la faveur d'un maî-
deux enfants destinés à n'être toute leur vie que tre; et ses services, son courage, sa religion
des enfants. Jamais tant d'impuissance, quand même dont il fai-ait parade, lui avaient valu
il eût fallu tant de force. l'amitié de Théodose, l'estime de saint Am-
La tendresse paternelle de Théodose ne l'a- broise ',et, ce qu'il préférait certainement, d'é-
vait point aveuglé sur la valeur personnelle de normes richesses incessamment accrues par
ses enfants. Il crut quelques précautions indis- l'avarice et les concussions. La mort du grand
pensables pour assurer sur ces faibles têtes un homme dont il avait capté la confiance, et la
diadème trop lourd ; et, dans ce but, il plaça nullité d'Arcadius, lui livrèrent sans réserve le
près d'eux, en qualité de conseillers, ou plutôt gouvernement de l'Orient. De là, au rang su-
de tuteurs, des hommeséprouvés sur leschamps prême, il n'y avait qu'un pas il voulut le faire, ;

de bataille et qu'il croyait dévoués, Stilicon et mais sans péril. Attachant son masque avec
Rufm, l'un vandale, l'autre gascon. C'était con- plus de soin que jamais, il redoubla d'obiéquio-
'Soer., 1. 5, c. 19 ; SMom., I. 7, c 16 ; Rohrbicker, t. T, p. 394. ' s. Amb., fp. 50.
CHAPITRE VINGTIÈME. 963

ne laissa pprccr qu'une seule ambition,


BÎtés, et son timide maître allaitlni décerner la pourpre
encore fort liinicienient, celle de marier sa et l'emiiire. Il marchait la tête haute, le front

fille à son jeune souverain. rayoïmant. Mais le traître avait compté sans la
Ce desfein éciioua par Ie«infri{îiiesd'iin en- trahison. Sur un signe de Gaïiias mille glaives
nemi caché dans la
parti de si bas et teltenunt se lèvent sur lui, et il tombe tout sanglant aux

honte de son origine, qu'on ne songeait guère pieds de son maître. On s'acharne au cadavre.
à compter avec lui. Eutrope, reiinu<iue devenu Le cœur, arraché de la poitrine, est piétiné par
plus tard si puissant, mais qui n'avait alors la po|)ulace. Les soldats, qui lui avaient promis

qu'un rôle subalterne, sut ailumcrdans le cœur un Irône, coupent sa tète et l'une de ses mains
d'Arcadius une passion irrésistible pour une et promènent de porte en porte, dans toutes les
jeune gauloise d'une rare beaulc, fille du con- rues de Cousianliuople, cehideux trophée'. Un
sul Baulon. L'empereur épousa Eudoxie. La caillou, placé entre les dents, tenait la bouche
pompe de ce mariage sembla jeler le défi à entr'ouverte, et les lèvres étaient censées de-
l'orgueil mystifié de Rufin. Il jura de se vengtr. mander ce que la main attendait. — Donnez,
Se hâter était nécessaire, car Stilit on, neveu disaientles égorgeurs, à celui qui n'eut jamais
par alliance de Tbéodose, prétendait, en tant assez et l'on jetait une obole aux bourreaux
;

que membre de la famille impériale, à la tu- de Rufln, proclamés sauveurs de l'empire. Le


telle des deux empereurs, et il s'apprêtait à ré- peu pie et le monarque riaient également de ces
clamer, les armis à la main, celle d'Arcadius. opprobres infligés, non à la mémoire d'un
Rufln déchaîna les Barbares. Les Huns se préci- homme, mais au pouvoir réduit à se défendre
pitent sur l'Asie, assiègent Anlioche, s'avancent de la trahison par l'assissinat. L'un se croyait
jusqu'au cœur de la Palestine, laissant partout affranchi d'une tutelle détestée, l'autre d'une
une large trace de sang et de feu. Aux Gotlis. le exaction intolérable. Ils se trompaient tous
perfide ministre a livré l'Europe : Alaric s'est les deux; car Eutrope succédait à Rufln, la
chargé des vengeances de Rufin. Deux traîtres lâcheté à la perfldie, et le trône s'enfonçait un
lui ont ouvert les portes de la Grèce, et dans peu plus dans la boue.
quelques jours, ses hordes débordées couvrent Eutrope était, sans contredit, le plus insolent
toutle fiays de r.\driatique au Pont-Euxin, et caprice de la fortune. Jamais parvenu du ha-
viennent marauder aux portes de Con^tantino- sard ou du crime ne partit de si bas pour arriver
ple, d'où Rufin, spectateur satisfait d'un incen- si haut. Né dans l'esclavage, on le fit eunuque

die qu'il a lui-même allumé, sort vêtu à la fa- pour le vendre plus cher. Revendu cent fois,
çon des barbares, pour parlementer avec eux. ilfinit par appartenirau palefrenier du général

Pe son côlé,Stilicon, sous pi élexte de secourir Arinthée. Vieux et congédié [)ar un maître qui
l'Orient, s'avance avec l'armée qui avait battu, ne pouvait plus le nourrir, il se glissa à la cour
sous commandenientdeTliéodose, Arbogaste
le entre les derniers valets. Ce fut là que la for-
et Eugène. Alaric repasse les Thermo, ly les. Les tune le prit pour le placer sans autre mérite
sauveurs de la Grèce consomment sa ruine. quesab.issesse, àcôlédu chef de l'empire, non
Mais tout àcoup Arcadiusexijje que l'armée de pour servir, mais pour dominer. Exploitant
son père lui soit rendue, et défend a htilicon habilement la trahison et la mort de Rufin, et
de passer outre de sa prrsonne.Le rusé vandale le trouble où elle avait jeté le pauvre Arcadius,

obéit sans réplique et remet le cummauilement Eutrope s'empara de l'esprit du pi ince, le con-
àGa'inas, qu'il charge de tuer Rufln Eutrope, : duisit et lemania comme une bétedesomme.
associé au projrl, do t en assurer le succès. Lajeuneimpéralrice, aussi fière que belle, mais
Le lieu tenant de Stiliconarri%e, à marches for- plus astucieuse encore que lièie, courba d'abord
murs ilc Byzance, le 27 novembre.
cées, sous les la tête et laissa faire l'eunuqne, l'adula même,
On venait de rendre les derniers honneurs aux en attendant de le perdre. Lui, ses succès le
restes mortels de Théudose, apportés de Milan rendaient fou. C'était un petit homme jaune,
pour être ensevelis dans l'église des Apôtres. sec, ride, au regard fauve, au sourire rampant,
Arcadius se présente a l'armée pour en rece- d'une hideuse laideur et()ui portait dans toute
voir l'honmiage. Rufin, qui l'accomiiaguait, sa iiersonne l'empreinte inellaçable des affronts
avait travaillé l'opi it îles troupes, et ne doutait que sa jeune^se avait subis. Métamor|ihosé tout
pas (lue le moment ne venu où, bon gré mal
fût à coup en ministre ou plutôt en maître du
gré, aux accliiniatiuns unanimes des coborlcs, • •. Hiw., t. 4, atltr. part, ». 33it
,

sr.i HISTOIRE DE SAINT JEAN THRYSOSTOME.

maître du monde, gorgé des dépouilles de Ru- pas la moindre instruction, quoique, jeime en»
fin, entouré de flatteurs, il décorait sa turpitude core quand son père fut revêtu de la pourpre,
des titres de consul et de général, débitait d'une il eût été élevé en prévision de sa future gran-
voix fêlée, au milieu d'un sénat indigné et deur. Un homme éminent, le diacre Arsène ,

muet, de plaies harangues, et montant à che- envoyé par pape Damase à l'empereur Théo-
le

val, travesti en héros, courait à la poursuite dose, fut placé près de ses enfants pour leurap-
des barbares partout où ils n'étaient pas. Au- prendre les lettres et leur former l'esprit et le
l)rès de de son prédécesseur
la sienne, l'avarice cœur. Mais, dansces natures rabougries, la sève
étaitdésintéressement. Nul homme ayant quel- manquait pour une greffe puissante. Le zèle et
que fortune n'avait la tête assurée sur ses é|iau- la science d'Arsène échouèrent contre l'incapa-
les; car, pour avoir l'argent, Eutro|ie prenait la cité vaniteuse d'Arcadius. Découragé, le saint
vie. Un tas de délateurs à ses gages lui signa- instituteur abandonna la cour pour aller s'en-

laient ce qu'il pouvait frapper avec bénéûce; et fouir au désert de Scélis. Son royal élève n'a-
vite uneaccusationde lèse-majesté. Le bourreau vait appris etnesutjainaisqu'une chose: tenir
versaitchaqueniatindessonnnesénormesdans proprement une plume et tracer de beaux ca-
le cofl're-fort de l'Eunuque. Son bienfaiteur fut ractères sur le véliu. C était le premier calli-
sa première victime. Coupable d'avoir palioné graphe de son empire. 11 est juste d'observer
à la cour ce monstre de bassesse, le généial qu'il garda toujours un souvenir reconnaissant
Abundantius futexiléàPytiunle,où il mourut d'Arsène, et que, devenu maître de la moitié
dans l'indigence, pendant qu'Eutropese pava- du monde, il mit les tributs de l'Egypte à la
nait dans les villas du proscrit et jouissait de disposition de l'humble ascète; à quoi celui-ci
ses biens. Comme si la confiscation sur la plus répondit : Comment puurrais-je manier del'ar»
large échelle l'eût enrichi trop lentement, il geut ? Je suis déjà mort.
vendait charges, dignités, signatures. Son seul La nature, prodigue pour Théodose, avait
si

talent, mais il le portait très-haut, étaildereu- été avareetcruelle pour son fils. Chétif d'esprit
dre l'infamie lucrative. 11 vivait d'ailleurs dans et de corps, grêle, petit, laid, sans contenance,

une perpétuelle orgie au milieu de celte cohue il avait le vidage sec et basané, le sourire terne,

d'histrions, de parasites, de courtisanes, qui se la parole traînante, la démarche embarrassée.


jette à la curée de tous les parvenus. A\ec cela, Sou œil dormait sous sa lourde paupière. Sur
il affectait un zèle bruyant pour l'orlhoJoxie, son frond étroit et bas, jamais un éclair de la
faisait brûler sur la place publique les livres pensée, jamais un reflet de l'âme. Organisation
d Eunomius, et poursuivait avec acharuement misérable, fourvoyé sur le trône, il était plus

la destruction des temples païens. Au fond, il fait pour servir que pour régner ; et cependant
trahissait également l'Eglise et l'Etat : c'était il s'adorait lui-même sous la pompe ridicule
le plus impie comme le plus vil des hommes. de son costume impérial. Assis sur un fauteuil
Il porta l'audace du scandalejusqu'à se marier, d'or massif, il portail une couronne du même
tout eunuque qu'il était, comme pour bafouer métal chargée de diamants. De riches brode-
du même coup la nature, l'honneur et la re- ries représentant des dragous couvraient sa
ligion. tunique de soie pourpre. Ses gardes avaient
Arcadius s'abandonnait à son hideux favori, leurs lances, leurs cuirasses, les harnais de
décrétait des confiscations, livrait des tôles. Et leurs chevaux tout dorés ; au centre de leurs
cependant, le malheureux prince n'avait rien boucliers, une plaque d'or figurait un œil.
de féroce dans sa nature; il était plutôt doux et L'empereur ne sortait que sur un grand char
bon jusqu'à la faiblesse. Elevé sur les genoux incrusté de riches pierreries, altelé de mules
d'une sain le mère et sincèrement pieux, sa piété blanches sans défaut, orné de tapis et de ri-
eut les défauts de son esprit étroit, faux, obs- deaux d'une somptuosité sans égale. 11 avait à
tiné. Le fils de Flacilla devint le persécuteur de ses mains des bracelets, à ses oreilles des bou-
Chrysostome. Mobile, timide, paresseux, avec cles où étincelaient des rubis ; sa chaussure
des caprices d'enfant et des vanités de femme, était couverte de perles. Les salles, les cours
il ne s'occupait sérieusement que de sa toilette. les escaliers du palais étaient sablés de poudre
Personne n'était plus étranger aux affaires de d'or. Là venaient chaque jour les grands de
son empire. Lois ou rescrits, il signait tout sans l'empire s'agenouiller et se rouler aux pieds de
demander ce qu'il signait. Du reste, il n'avait l'eunuque favori.
CHAPITRE VINGTIÈME. S6S

Tandis que rimbéclle Arcadiiin, tout entier blables à des paons qu'à des hommes M...;»
à son stupide lùlc de roi de Ihcâtic, iuventait Avec la loyauté et la sainte fierté de son âme,
des costumes, ordonnait des fêtes, l'infâme avec ses convictions ardentes et généreuses, sa
Eutrope déshonorait son maître et l'empire; passion du bien, son profond sentiment de
les barbares, redoutés et caressés, devenaient l'Evangile et de la dignitié humaine, Chrysos-
de plus en plus menaçants; les incendies, la tome était loin de soupçonner ce que pouvaient
grêle, la sécheresse, les sauterelles désolaient être un gouvernement et un empereur byzan-
les campagnes ; les tremblements de terre ré- tins. Il se trouva transporté tout d'un coup aux

pétés consternaient les imaginations; les pro- antipodes de ses pensées, au milieu d'une cour
vinces ruinées par une série de désastres, et vénale, corrompue, servile, peuplée d'eunu-
plus encore par l'impôt, en proie à la famine ques, d'espions et de voleurs en présence d'un ;

et à la peur, poussaient des cris de détresse. prince niais, jouet de son ministre, esclave de
La cour, plongée dans les plaisirs et les intri- sa femme, s'abandonnant, avec Pinstinct du
gues, n'entendait rien, ne voyait rien. L'anar- despotisme et l'obstination de la bêtise, à une
chie, lebrigandage, le désespoir étaient partout. malheureuse politique lâche vis-à-vis de l'é-

Synésius, le poète philosophe, plus tard évo- tranger, insultante et cruelle vis-à-vis du
que de Plolémaïs, fut député à Constaatinople peuple, hypocrite et envahissante vis-à-vis de
pour aller solliciter la muniflceuce ou tout au l'Eglise ; en présence surtout d'une impératrice
moins la pitié de l'empereur en faveur de sa timide encore devant l'eunuque qui avait fait
ville natale, Cyrène, que les oscillations du sou élévation et qu'elle s'apprêtait à briser,
soletrennemi avaient horriblement maltraitée. mais jalouse, fausse, sans entrailles, sans
On le laissa trois ans gémir et se morfondre mœurs, cachant sous un sourire charmant une
sans l'écouter. La nuit, il restait couché sur le âme implacable, avide de plaisirs, de fêtes,
seuildu palais impérial pour être reçu le matin, d'adorations, de pouvoir el plus encore d'ar-
et il n'était pas reçu ; le jour, il s'adressait à gent. Eiitouiée de favoris et de femmes per-
toutes les puissances du moment, suppliait, dues, Eudoxie les gorgeait d'or, et à leur tour
pleurait, faisait des cadeaux et n'obtenait rien. ils ne reculaient devant aucune infamie pour
Le monarque était à ses puérilités, l'impéra- grossir le trésor de leur maîtresse. Avec elle,
trice à ses rapines, le miuistre à ses infamies. le brigandage s'était assis sur le trône de
Une fois cefiendant l'obstiné solliciteur put Théodose sa hideuse rapacité n'avait ni bornes
;

pénétrer auprès de l'indolent autocrate, et fit ni pudeur. Un homme riche venait-il à mou-
entendre de fières et belles paroles. « Ce qui rir, vite des lettres impériales le déclaraient
distingue le roi du tyran, disait-il, ce n'est pas sans héritiers, et adjugeaient à l'Etat sa succes-
la multitude des sujets, mais le soiu qu'il en sion. L'Etat, c'était l'impératrice et ses amis.
prend. Le roi est au peuple ce que le pasteur Des valets décorés du litre de sénateurs accou-
est aux brebis. Qui s'engraisse du troupeau au raient au domicile du défunt, avant même
lieu de l'engraisser, est un boucher, un ty- en dépit des protestations
qu'il l'eût vidé, et,
ran. La maladie de la royauté, c'est la tyran- et des larmes de ses enfants, prenaient pos-
nie. Un roi fait de la loi ses mœurs, un tjran session des meubles, de l'argent, des terres, au
de ses mœurs la loi. Pour être roi des autres, nom de l'impératrice, qui, après s'être fait la

il faut être roi de soi-même, établir la mo- pari du lion, jetait le reste aux insatiables sup-
narchie dans son ùme. La chose capitale pour pôts de ses trimes. Saint Nil nous reiiré-eulo
un de se gouverner lui-même.
roi, c'est les victimes de ces horribles spoliations, errant
Quelle honte pour un empereur, quand il de ville en de porte en porte, sans pou-
ville,

n'est connu des défenseurs de l'empire que voir obtenir plus de pitié que de justice. La
par ses portraits 1 Piieu n'a été si funeste à la charité elic-niênre était suspecte. Il n'y avait
patrie que
luxe théâtral des princes, en-
le de faveurs et d'honneurs que pour les syco-
tourés de nains et de bouffons, enfermés dans phanles. « Les gens de bien, dit Zosinie, s'en»

leurs palais, cou\erts d'or et de soie, avec nuyaient de vivre el désiraient mourir *o.
des perles dans leurs cheveux, des perles à Et celte cour, descendue si bas, avait la pré-
leurs souliers, des perles a leur ceinture, des tention de dominer l'Eglisel Malheureusement,
|)erles un pendeloque, des perles en agrafe,...
' Syn^n. d« rfiQno,
et, par la variété des couleurs, plus sem- ' Hil., PtrHler.,11. S^ ZMlffl., I. », «. 2i; tmm^ ÀTtti., ut. «,
S66 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

elle s'était acheté de criminelles complicités Basile, Antoine, les deux Grégoire, y faisaient
dans le sanctuaire. La vanité, l'ambition, la resplendir naguère d'incompaiables vertus, et
cupidité, la faiblesse lui avaient suscité des dans ce moment même elle pi'Ssédait Epi ph.me,
complaisants et des instruments parmi ceux-là l'or|ihyre, Astcre, Chrysoslome. M.iis, soit dé-
même qui devaient prolester avec plus d'éner- faillance naturelle des âmes sous un climat
gie contre ses excès Pour une âme aussi pro- 1 amollissant, soit contagion d'un voisinage trop
fondément chrétienne et sacerdotale que celle intime avec une cour corrompue et corrup-
de Jean, quel sujet d'alfliction ! Dès sa première trice soit qu'une trop grande dislance de
,

\isite au palais, il fit entendre la vérité, im- Rome le dérobât à l'action immédiate de la
plora des réformes, signala des injustices, papauté, cette infaillibleet vigilante gardienne
parla de malheurs à soulager, donna librement de la règle des mœurs aussi bien que de la

et saintement de sages avis '. Aux ctonnements doctrine de la foi, le sacenioce chrétien avait
de la cour, il pouvait répondre comme suint subi en Oi ient, dans la métropole surtout, une
Basile à l'officier de Valens C'est donc la pre- : rapide et fatale décadence. Sous prétexte de
mière fois que vous rencontrez un évêquel protéger des vierges sans défense, des hommes
Mais la pins grande douleur du nouveau consacrés à Dieu vivaient avec elles fous le
pontife, le plus grand obstacle à ses gém-reux n ênie toit, géraient leur fortune, exploitaient
desseins, lui devaient venir du clergé lui-même. leur affection, captaient leur héritage, et atti-
Cet homme au cœur magnanime, à rincornip- raient sur eux et sur le corps clérical tout en-
tible vertu, qui s'était dépouilléde son patri- tier les sou pçons et les plus fâcheux '.
les propos
moine en faveur des pauvres, qui vivait depuis Bien différents de ces grands ascètes d'Antioche
l'âge de vingt ans de la vie austère des plus tant admirés de Chrysostome, qui comparait
austères ascètes, et n'avait jamais eu d'autre leur vie à celle des anges, une foule de moines,
pensée que le progrès de l'Evangile, le salut honteuse parodie de leur sainte profession,
des âmes, l'amélioration et le bonheur du encombraient les rues de Conslantinople. La
peuple, habitué d'ailleurs à braver le courroux plu part s'étaient jetés dans les monastères pour
des grands et des riches pour ne prendre con- se dérober aux charges curialessi lourdes alors
seil que de sa conscience et de la charité, dut et si redoutées, et ils portaient dans la soli-

se croire horriblement dépaysé au milieu d'un tude la turlmlence et les passions du monde.
clergé servile, ignorant, cupide, mondain, Ainsi la quillaienl-ils volontiers pour allercher-
qui avait perdu, avec le sentiment de sa dignité, cher au loin les distractions de la ville. Sans
toute sa considération. D'une part, l'influence tenue, sans mœurs, universellement mépri-
de l'Arianisme avait été désastreuse à Constan- sés, ils étaient par leur mendicité arrogante

tinople de l'autre, la somnolence de Nectaire


;
le fléau des pays qu'ils traversaient*. Saint Nil
gagnant on avait vu l'ardeur
ses administrés, nous les représente comme de vils parasites
des disputes religieuses s'éteindre, mais les attachés aux pas des riches, et courant à leurs
âmes s'endormir et les abus pulluler. Avides côtés dans les rues, entre leurs eunuques et

des faveurs de la cour, séduits par ses cares- leurs bouffons'.


ses, une foule de prêtres s'aplatissaient devant Du mal venait de plus haut. Les
reste, le
elle, et sans pudeur servaient ses intrigues, prélats eux-mêmes ne donnaient que trop
encourageaient ses empiétements. Le peuple l'exemple de cette vie sensuelle et mondaine '.
scandalisés'éloignaitdepasteursquinesavaient Depuis quelque temps, en effet, du moins en
que fréquenter la table des grands, courtiser Orient, l'épiscopat se recrutait d'une façon
leurs vices, applaudir aux violences et aux déplorable, a Des hommes pervers, pleins de
dédains dont il était l'objet. Certes, le clergé vices et d'infamies, disait Chrysostome, se sont
romain, dont le grand solitaire de Chalcis emparés des églises avec violence, les dignités
flagellait si rudement les faiblesses et les tra- saintes sont devenues des charges vénales' ».
vers exemplaire à côté de celui de
', était Nous le verrons bientôt contraint de déposer
Byzance. Ce n'est pas que les grands enseigne» six évêques simoniaques dans une province,
ments ni que les grands exemples eussent
' s. Hier., t. 4, ait. pari., f. 561 ; P«ll«d., dial., c. ». — ' NIL,
jamais manqué à l'église d'Orient : Athanase, Ascétique, c. 7 ; Chryt.,Bom. U, lur lép. aux Hébreux j Sftzom.,
1. 8. c. 9. — ' Nil., loc. cit.- Pallad., c. 13. — Chrys., Bom. 6,
' •

• Th««dor., I. », e. 26. — • S. lli*i., t. i, aller, part. p. 34, Seo, •ur l'ép. aux Eph. Voir auiti ibid., Bom. 10, «t du tw«id.,l. 3,
:

asu «. 12, «t S, Giég. NaiiiDZ., t. 2, f. 798 •( iolr.


CHAPITRE VINGTIÈME. 2(17

Mpt dans une autre '. t Les chose» ditines, la charité. Le peuple courait à ceux-ci, tandis
B'écriaitGicgoire de N.iziaiize, sont livrées au ijue lacour et les jaloux du sacerdoce les trai-
hasard'». En face des plus grandes lumières, taient de brouillons et d'orgueilleux, leur re-
des plus hautes vertus du Christianisme le , prochaient comme un crime la modestie de
trône épiscopal était occupé par les Géronce, leur table et la simplicité de leur tenue. «J'I-
les Antonin, par des êtres vils, dégradés, d'une gnorais, s'écriait du haut de la chaire d'Anag-
bassesse dégoiitante, païens ou hérétiques d'es- tasie le grand pontife déjà cité, j'ignorais que
prit et de cœur, avides d'argent, trafiquant de j'eusse à rivaliser avec les consuls, les préfets,
tout*. C'était le petit nombre, sans doute, et les généraux qui ne savent que faire de leur
ccséclaboussures de boue, sur le royal manteau argent, ni qu'il fallût dépenser en luxe et en
de l'Eglise, faisaient mieux ressortir sa divine festins le nécessaire des indigents, et souiller
splendeur. Mais , sans être descendus si bas, l'autelde nos orgies. J'ignorais que je dusse
combien de pontifes au-dessous de leur mis- caracoler sur de superbes chevaux parader ,

sion La manie des constructions fastueuses


1 dans de magnifiques chars, ne marcher qu'a-
s'était emparée de plusieurs. Ils dotaient leurs vec une pompeuse escorte, entouré de flat-
ville» épiscopales de thermes, de galeries, de teurs, et, comme une bête fauve, faisant trem-
belles églises ; et malheureusement ils ne pou- bler tout le monde à mon approche.... Par-
vaient satisfaire à ces goûts princiers qu'aux donnez-moi cette faute, choisissez un évêque
dépens des pauvres, en détournant de leur fin selon vos goûts et laissez-moi à ma solitude,
essentielle les trésors de la charité*. D'autres à ma Nous enten-
vie sauvage, à Dieu seul '
».
quittaient leurs diocèses et venaient résider drons plus tard Chrysostome lui-même s'écrier
dans la capitale, pour se faire un nom et ra- à son tour «Vous savez pourquoi ils me dé-
:

masser de l'argent au moyen de la prédica- posent? Parce que je n'ai pas de riches tapis,
tion *. Flatteurs assidus de la cour, gorgés de que je ne suis pas tout couvert de soie, que
Ses faveurs, admis à ses fêtes, complices de ses je n'ai pas satisfait leur g'outonnerie'».
injustices et de son despotisme, ils se mêlaient Tels étaient les éléments en présence des-
avec passion aux intrigues du clergé, caressant quels le saint orateur d'Antioche allait se trou-
les mécontentements, fomentant les divisions, ver dès son arrivée à Byzance : un prince inca-
s'efforçant de multiplier les embarras et de pable , une cour dissolue , un despotisme
ruiner l'autorité de leurs collègues*. «D'ail- effréné, des misères sans bornes, une multi-
leurs, incertiins dans leur foi, serviteurs des tude d'intrigues; un peuple généreux, mais
événements bien plus que de Dieu, humblesde- amolli par une longue servitude, troublé par
vant les grands, fiers devant les petits, passant la peur des barbares et par une série de désas-
leur vie à user le seuil des riches, a entourer tres; des prêtres indisciplinés, oublieux de
d'hommages hypocrites les femmes dont ils leur vocation; des collègues jaloux, corrom-
convoitaient la fortune'», la plu|)art étalaient pus, vendus au pouvoir. De quel œil de tels
vu faste aussi ridicule qu'insolent, et leur mon- personnages pouvaient-ils voir cet homme
danité, leurservilisine paraissaient plus hideux simple et grand, qui ne courtisait que les pau-
par le contraste avec l'incorruptible austérité vres, d'une vertu si pure, d'une parole si puis-
de ces vénérables pontifes qu'on voyait pauvre- sante, d'un désintéressement égal à son élo-
ment vêtus, aller à pied , sans sei viteurs, et quence, incapable de transiger avec le devoir?
livrés sans réserve aux nobles inspirations de Sa seule présence était la condamnation de
* Ptllad., 4lil., e. U. L« nombrt d« ilx dont 11 ptrie nt r«g>rd«
leur vie. Du jour où ils le virent, sa perte fut
^ae ! provinct d'Atia ; Sozomeû* oou» dit qu« Jeao dépoii treizo jurée. Quant à lui , il mesura d'un regard
yuleurs c«up«bl«> d< timooie, Uat «a Aiia qu'tn Ljat et »n
Pbnrgi*. (S«zoiii., i«e, c. t.) ferme l'étendue de sa tâche et se dévoua. Sa
' s. Greg N»iuni.,t. 2. p. 79».— U,

' Ptllad., dlal. e. p. 55, etc.; position faisait de Chrjsoslome un réforma-
Boioo., I. 8, a. «. liid. Pélui., I. 37 «1152 fallad. dial.,
;

«. 13 ; Sozom., Ijt. 1, e. 13. — • So7.,


L 6, c. Il Sozom., I. 8,
;
teur, son courage allait en faire un martyr.
e. 10. — • Pallid., dial , e. 13 ; Sozom., Ut. 8, c. 10. —
' S. Grég.

Mazlasi., t. a, p. 797 ; Palltd , dial., c. 13, p. 46, et o. 18, p. 60. • s. Or. Nazlaoz., t. 1, p. 765, «rat. i2, n. ït — • Cirja., <Ul«.
U Iw ty[>«ll« yV'iUttiifUM ^. tf). TtUt (OU «11^

HlSïOlItE DK SAliNT JEAN CURYbOSiuAiJi.

CHAPITRE VfXGT-UXlEME,

Jean fait porter au pape le décret de snn électinn. —


Il foUlcite et oMii>m la réronriliation de l'Eglise d'Anfioche avec l'Eglis*
romaine. — —
Il se met à sou œuvre de reroimalcur avec un cnurage dii;ne de lui. —
0|ipnsiiiiin des g'anJs et du clergé. Sym-
palliies du peuple. — Double — Mévoiieioent ininiulHlions de C.liiysnslorae. — Confiance
mission imposéi' alors à l'é^è pie. el et
alTeciiou léniol;:uées sou ironpeau. — Huuii
à profonde du saint i é — Aflliience auinurdesa chaire. — applaudisse»
fiaslt-ur

menls de l'andituire — Kllurls de l'uraleur pour su|ipiiuier cet abus. — Kloqueur populaiité de Chrysostome. — Terreurs que
e el
lui luspiie l'épiscopat. — Uevoiis de l'evèque —et péril»d'évéques seinnt — Amour de Jean pour âmes.
l'eu saiivéj. les
Espérances décourageincnis — Inierm^'aiioiis
et ses auditeurs. — Le pon a enseigner par œuvres plus que par
ife di it les la
parole. — don être Il moiièle du peuple. —
l'ho tie et le austéiié de hrysostome. — sanlé. — Sa manière de
l^hari'é el ' S'a

vivre. — mange Il — Sévère simplicité de maison. — Ké'luctioiis impoîées l'économie du clergé. — Désinléressement
soiil. sa à

de Chiysoslome. — Olympiade pourvoil son exisleuce. — Oubli de lui-même. — Amour pour saiul Paul. — Société intime de
à

Jean. — Reproclies de ses eiiaemis. — Tableau de l'amour divin. — Belles paroles sur l'amilié. — Sérapion. — Lettre à Castus.

Avant de se séparer de Théophile et des pré- ques de l'Orient qui professaient la foi catho-
latsqui avaient concouru à sa consécralion, lique, sans excepter ni Diodore de Tharse, ni
Jean voulut donner à Flavicn une nouvelle Acace de Bérée, les principaux auteurs de l'é-
preuve de dévouement et de reconnaissance en lection de Flavien; et quant au différend entre
le réconciliantavec l'église-mèreet maîtresse, celui-ci et Evagre, elle en commit l'examen et
dans laquelle, à cause de sa principauté prin- la décision à Théophile d'Alexandrie, comme

cipale ' , doivent nécessairement être unies au plus propre à porter un jugement impar-
toutes les églises de l'univers. Le nouveau pon- tial dans cette cause; car, depuis la mort de

tife avait à communiquer à Tévêque de Rome Paulin, il avait gardé entre les deux partis une
le décret de son élection'. Il crut le moment stricte neutralité*.

propice pour faire rentrer enfin les ciiefs des Mais le vieux patriarche, qui, sous prétexte
églises de Syrie dans la communion de ceux de mauvaise saison, avait décliné l'autorité
la

d'Egypte et d'Occident dont ils étaient séparés des Pères réunis à Capoue, récusa les juges
au sujet de Mélèce et de Paulin, Nous avons qu'on lui donnait. 11 voulait obliger les occi-
exposé ailleurs l'origine et le caractère de ce dentaux à se transporter en Orient pour y tenir
schisme La mort de Mélèce d'abord, plus
fatal. un nouveau concile. Cette prétention affligea
tard celle de Paulin, auraient dû y mettre un profondément saint Ambroise. « Evagre, écri-
terme et ne flrent que l'aggraver. Flavien, vait-il à Théophile, n'a pas sujet de se presser,
cédant à la plus malheureuse inspiration, avait et Flavien a sujet de craindre... Qu'ils pardon-
accepté la succession de Mélèce, quand son nent l'un et l'autre à ma juste douleur; à
devoir était de tout sacrifier à la charité; et cause d'eux, \& monde entier est en proie au
Paulin, oubliant les canons, s'était permis, trouble, et ils sont sans pitié pour notre afflic-

a vaut de mourir, de se donner pour successeur tion.... Il faudra donc que des vieillards quit-
le prêtre Evagre, et de le consacrer sans l'as- tent leurs autels, s'exposent à mille fatigues,

sistance d'aucun évéque de la province. De traversent les mers! Des hommes, à qui leur
nouveaux efforts tentés dans l'intérêt de la pauvreté n'est pas à charge, seront réduits à
paix par le concile de Capoue, dont saint Am- implorer le secours des autres ou à voyager
broise était l'âme, demeurèrent sans résultat, aux dépens des pauvres. Ceperiîlant Flavien
et, il faut le dire, par l'entêtement de Flavien. seul se met au-dessus des lois, il ne vient pas
Mandé, en effet, devant le concile en même quand nous venons tous ; ni les ordres de l'em-
temps que son rival, il refusa de se présenter, pereur, ni l'assemblée des évêques ne le déci-
alléguant son grand âge et l'hiver. La véné- dent à comparaître.... Nous ne donnons pas
rable assemblée, dont le bon vouloir était ainsi pour cela gain de cause à Evagre et nous ,

paralysé, offrit la communion à tous les évè- voyons avec peine que chacun des deux compé-
•S. Ir«M., *iv. Aer.,1. 1,«. 3. — 'PiUtd,, diil., <. 4, p. le. > *. Amkr., <p. M, t, 3, t> 100* •> 1007.
CHAPITRE YINGT-UiVlEME. 1C9

iiteiirs s'appuie plntôf sur les défauts de l'ordi- vaillamment déployer, sur le dôme même de
nalion de sonailvorsMire que sur la légiliniité Suinte-Sophif, le drapeau de la primauté ro-
de la sienne. Presse donc encore Flavien, et maine, et de faire rentrer enfin dans le giron
que son relus, s'il y persi<fe, ne t'em pêche pas de l'unilé, sous le joug paternel de l'obéissance,
de pourvoir an rétablissetnenl de la paix... Au celte vieille église d'Antioche, la fille aînée de

reste, nous p<'nsons(|iril faut en rél'érer à notre saint Pierre. Parf litement accueillis par le vi-
saint frère l'évêqiie de Rome, et je présume caire de Jésus-Christ, les députés obtinrent ce

que ton jugement sera le! qu'il ne puisse lui demandaient, et, de retour en Syrie,
qu'ils

déplaire. C'est le moyen d'établir une paix so- Acace put remettre à son métropolitain les
lide, si nous nous accordons tous dans ce que lettres de communion de l'Egypte et de l'Oc-

vous aurez décidé, et si la série de vos actes cident, surtout de l'Eglise-mère et de l'évèque
'. 11 est vrai que les dernières tra-
des évè(|ues
nous prouve que vous avez agi de manière à
mériter l'approbalion de l'Eglise romnine' ». du schisme ne disparurent que plus tard
ces ;

Pe son côté, saint Sirice suppliait Tliéodose mais déjà l'intervention de Chrysoslome avait
de lui envoyer l'évèque d'Antioche, qui s'obs- pour résultat d'amoindrir les tristes divisions
tinait àrepousser l'arbitrage de ses collègues. de sa ville natale, et en calmant l'irritalion des
« Tu
abats, lui écrivait-il, quiconque tente de esprits, en attirant une foule de dissidents sous

te disputer la puissance temporelle dans ton la houletted'un seul pasteur, de préparer la


empire, et tu laisses usurper la puissance spi- grande réconciliation qui pouvait se faire at-
rituelle dans l'empire de Jésus-Christ I » Sur tendre, mais qui ne pouvait plus ne pas avoir
ses vives instances, l'empereurenjoignit à Fla- lieu.

vien de se rendreauprès du Pape, et reçut celte Cependant le successeur de Nectaire s'était


réponse « Si l'on m'accuse d'avoir des senti-
: mis à l'œuvre avec l'ardeur intrépide de sa
ments contraires à l'orthodoxie ou de mener foi et la noble simplicité d'une âme qui n'a

une vie indigne du sacerdoce, je consens à n'a- d'autre ambition que de remplir son devoir et
voir d'autres juges que mes accusateurs. S'il de plaire à Dieu. Il avait à peine touché du
ne s'agit que demonsiége,jeneconteste pas, je doigt les plaies d'une aristocratie gangrenée,
suis prêt à le céder à qui tu voudras* ». Une d'un clergé mondain et vénal, qu'à la froide
funeste illusion aveuglait l'àme généreuse du réserve qui l'avait accueilli succéda la plus vive
saint vieillard. N'était-il pas évidentqu'au lieu hoslilité. Mais ce qui fâchait les uns était la
d'oQrir sa démission au chef de l'étal, qui n'a- consolation des autres. En voyant le généreux
vait pas à la recevoir et ne pouvait que la refu- pasteur altaijuer les injustices et les violences
ser, ildevait la porter à Rome aux pieds du chef avec la même indignation, dit Sozomène, çue
de l'Eglise? Au moins se devait-il à lui-même s'il en (lit souffert lui-même ', les faibles et les

d'accepter la sage médiation proposée par le petits n'en furent que plus disposés à l'aimer,
concile de Capoue. Il ne ût ni l'un ni l'autre, et ils se serrèrent d'autant plus étroitement
et garda la chaire dAnlioche. Le schisme s'en- autour de lui que le nombre et la colère des
venima. Les choses en étaient là, lorsque Jean, mécontents paraissaient s'accroître. La popula-
par le désir de mettre un terme à une situation tion de Constanlinople, plus mêlée, moins
déplorable et dont mieux que personne il avait polie, plus corrom|)ue peut-être que celle
pu apprécier les inconvénients, pria Théophile d'Antioche, n'était pas plus insensible à l'at-

de s'unir à lui dans une démarche commune trait d'une parole éloquente et surtout d'une
en faveur de Flavien. Les deux prélats choi.-i- vertu supérieure que rehaussaient à ses yeux
rent, pour les représenter auprès du Saint- les bassesses et les inimitiés qui l'entouraient.
Siège, Acace, évèiiuede Bérée, et le vénérable Dès le début de son ministère, Jean reçut d'elle
Isidore d'Alexandrie. Quelques membres du les témoignages les plus éclatants de sympa-
clergé d'Antioche se joignirent à la dépulatioa thie, auxquels il répondait par les nobles
qui devait porter au souverain pontife le décret effusions d'un cœur dont les sentiments s'al-
de l'élection de Chrysoslome et négocier une lument aux plus hautes sources de la charité.
réconciliation désirée de tous. Avant de descen- Dans une situation si délicate, entre la hain<
dre au tombeau, Sirice eut la double consola- des grands et la faveur de la multitude, il na
tion de bénir de loin le grand é\ètiuequi allait
s. A^^r., if. j>, — ' Tbied.,
•S-r, 1. ", 0. 15; Soiom., L 8, o. 3} Tbiod., I. (, ». S3. ^
2, g, li^Ou e: iû07.
'
t. 1. '.. c. 23. ' àwiCU., ..
^t t* ~.
270 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

•'écarta Jamais de la ligne de conduite tracée protecteurs naturels des faibles, des malheu-
dans l'Evangile par le divin Modèle de tous les reux, des opprimés, de tous les déshérités d'ici-
pasteurs, lorsque frappant à coups redoublés bas? Seuls ils s'approchaient du pauvre dans
sur l'orgueil et l'hypocrisie des pharisiens, sa détresse : seuls ils parlaient aux petits de
appelant à lui pour les consoler et les bénir les justice, d'espérance et de liberté. Quelques-
ignorants et les pauvres, il s'immolait avec le uns parmi eux faillirent peut-être à leur tâche ;

même amour au salut de tous. En s'élevant mais presque tous se dévouèrent sans réserva
avec force contre de la cour et des
les vices à la grande cause du peuple, inséparable dans
prêtres, Chrysostome ne fut jamais leur en- leur cœur de la cause de Jésus-Christ. On les
nemi, et de même, en s'occupant sans cesse vit se placer entre le maître et les esclaves,

du peuple avec le plus tendre intérêt, il n'en entre le pouvoir et les sujets, réconforter les

fut jymais le flatteur. uns, désarmer les autres, plaider les intérêts
11 y avait alors pour un évêque, à Constan- de ceux-ci, combattre les prétentions de ceux-
tinople surtout, une double mission à remplir. là, arracher ses victimes au despotisme, le

L'une, qui est l'essence même de l'épiscopat, contraindre à reculer devant leurs saintes me-
consistait à veiller sur le dépôt sacré de l'ensei- naces, à courber la tête sous une autorité plu»
gnement, maintenir à sa hauteur le niveau
à haute que toutes celles d'ici-bas. Par eux. César
de la discipline, à guider le clergé par la pa- qui, au dire d'un apologiste, ne pouvait être
role et l'exemple dans sa voie dilficile et semée chrétien ', était devenu Tliéodose.
de périls, à combattre avec un zèle éclairé et Chrysostomeétait de cette noble famille des
infatigable les misères physiqu( s et morales saint Ambroise, des saint Basile, des saint
du peuple, à répandre, en même temps que Martin. Il savait quel rôle périlleux et sublime
du Ciel, les dons et les con-
les bénédictions lui imposait ce titre d'évêque tant redouté de
solations de la charité, à continuer l'œuvre sa modestie, etil apportait à l'accomplissement
divine de Jésus-Christ, l'œuvre de la rédemp- de sa double mission une âme grande et forte,
tion, de la sanctilication, de la glorification un courage invincible, la plus complète abné-
des âmes. L'autre, moins spirituelle, plus po- gation de lui-même, une charité aussi ardente
litique, était toute aussi délicate. L'esclavage, que une pitié secourable et tendre qu'on
sa foi,
en effet, et le Césarisme occupaient toujours sentait vibrer dans chaque mot sorti de sa
les deux pôles de la société et, bien que ;
bouche, un dévouement prêt à tout donner,
l'Evangile eiit profondément modifié cet état même la vie. Pontife de Dieu, ou hostie du
de choses, qu'il eût adouci le sort des esclaves, peuple, à ses yeux c'était tout un. Du jour de
brisé bien des chaînes, pénétré les lois d'un il se regarda comme la chose
sa consécration,
esprit nouveau, forcé le despotisme à se re- des autres; dérober une pensée, un instant à
douter lui-même, que d'abus encore et d'arbi- son peuple, lui eût paru une grave infi-
traire d'une part, que d'oppression et de souf- délité. Comme l'illustre évêque de Milan *, il
frances de l'autre Pendant que le prince, ne
I tenait sa porte toujours ouverte, et tous, à
connaissant d'autre règle que sa volonté, se toute heure, pouvaient l'aborder sans être an-
posait comme le maître de la fortune et de la noncés, l'entretenir de leurs peines, réclamer
vie de ses administrés, des valets décorés de ses conseils, l'interroger même et sur ses actes
noms pompeux, et toujours insatiables d'or, et sur ses discours '. L'évêque n'a pas de plus
quoiqu'ils en fussent gorgés, s'acharnaient sur haut privilège, selon lui, que d'être le serviteur
lepeuple pour lui tirer son dernier sou, et le de tout son troupeau *. Ainsi l'avait-il prêché à
peuple rongé par l'usure, accablé d'impôts, Antioche, ainsi l'avait-il écrit dans un livre
assailli parles barbares, livré comme une vile immortel. Cet idéal du sacerdoce chrétien,
proie à une multitude de tyrans subalternes, dont, à une autre époque, i 1 essayait de retracer
sans travail, sans pain, traînait dans la misère d'une main émue la grandeur
et tremblante
et l'abaissement une vie désespérée. Mais il et la beauté, maintenant de l'at-
il s'efforce
avait entendu, il voyait à l'œuvre les pontifes teindre par ses vertus, de le réaliser dans sa
de l'Evangile, et ses regards se tournaient vie. Il ne voit dans sa dignité pontificale qu'un
vers eux. Les ministres d'un Dieu fait homme, esclavage aimé, et, comme un esclave à son
d'un Dieu né dans une étable, mort sur une —
'TerliiU., Apol. — '
S. Aug., «ocfeBs , 1. (, q. 8. 'Cbry».
ctoJi,n'étaictit-iU pas l«s déf(inieur« net, le« Mim. 4, au la 2 ans Thwsiil. —' Id , Bom. iur l'aoïiUi,
CHAPITRE VINGT-UNI ÈSIE; S7i

mnttre, il rerd compte au peuple de ses des- qu'un homme chargé de tant de sollicitudes ne
seins, de ses travaux, île l'emiiloi d'une exis- soit en défaut sur beaucnuii de choses, ne fiit-

tence qu'il lui a consacrée '. Une sincère liu- ce que parce qu'il en ignore beaucoup; car, si
niililé, une charité ravissante respin-nt dans vous qui n'avez à vous occuper que de votre
son langage, quand il demande à ses auditeurs femiue, de vos enfants, de vos serviteurs plus
l'appui de leurs prièreset lagràcequ'onne lui ou moins nombreux, vous faites mal, sans la
laisse passer aucune faute sans l'averlir. vouloir, en une foule de points, que doit-ce
« Combien n'est-ce pas au-dessus demalins- être de nousàla tcted'uu peuplesinombreux?
sesse, s'écrie-t-il,de prier pour une population Et cependant qu'il vous rende plus nombreux
si nombreuse? pour
J'ose à peine intercéder encore, qu'il vous bénisse grands et petits, et
moi, comment le faire pour vous? Ceux dont quoiqu'une plus forte multitude soit un plus
la vie est sans reproches peuvent obtenir de fort souci, nous ne cessons de demander au

Dieu qu'il soit propice à leurs fièns.... Mais Seigneur qu'il augmente notre souci, et que
quand, soi-même, on offense le Seigneur, peut- cette multitude s'accroisse et devienne im*
on l'implorer pour les autns? dpcndant, mense. Un père, bien qu'tme famille considé-
parce que j'ai pour vous des entrailles de père rable soit i>our lui un fardeau, ne veut perdre
et que la charité ose tout, j'aime, soit à l'église, aucun de ses enfants. Tout est égal entre vous
soit chez moi, à répandre des prières pour le et moi; nous puisons aux mêmes spurces les
salut de vos âmes et de voscorps. Rien ne con- mêmes biens. J%n'ai pas au banquet sacré une
vient mieux à un pontife que de supplier en part plus grande, vous ne l'avez pas plus pe-
faveur de son peuple. tite. Si la première place m'y est donnée,

a Maispourquoi parléje ainsi ?Par la raison qu'importe? A la table du père de famille,


que, nous prions pour vous, nous si fort au-
si l'aîné des fils est servi avant les autres, sans
dessous de la grandeur de notre ministère, il avoir pour cela aucun avantage sur eux.... Bre- '

est bien juste qu'à votre tour vous intercédiez bis d'un seul et même pasteur, nous avons
pour nous. Qu'un seul prie pour tous, ce n'est reçu le même ba[itèmeet le même esprit, nous
pas peu présomptueux mais que tous prient
;
aspirons au même royaume, nous sommes au
pour un seul, rien de plus simple. Dans la même litre frères de Jésus-Christ. Tout nous
prière commune, en effet, chacun compte, non est commun; si je l'emporte sur vous en
sur sa propre vertu, mais sur le nombre et quel(|ue chose, c'est par les soucis, parles tra-
l'unanimité que Dieu consilère beaucoup. Là vaux, par les sollicitudes, par les douleurs que
dit le Seigneur, où deux oit trois seront réunis j'éprouve à cause de vous; mais rien n'est
en mon nom. je serai au milieu d'eux '. Et s'il doux comme ces douleurs. Une mère, s'il s'agit
daigne se trouver dans une réunion de deux de son fils, quelque peine qu'il lui donne, aime
ou trois, peuf-il refuser de se trouver avec cette peine ; pour elle un
ses sollicitudes sont
nous? Donc, soutenons-nous l'un l'autre; par plaisir, car les sollicitudes,amères en elles-
la charité, formons un faisceau que personne ;
mêmes, ont un grand charme quand c'est un
ne nous divise. Si quelqu'un de vous se croit fils qui en l'objet. J'ai engendré un grand

offensé, s'il croit avoir à se [ilaindre de son nombre de vous; mais, si dans l'ordre de la
prochain ou de moi, qu'il ne garde pas ses nature la douleur cesse avec l'enfantement, ici
griefs au fond de son cœur. Je vous demande ellecontinueetdoitdurerjusqu'auderniersou-
celte grâce de venir à moi, de m'inlerroger, pir, de peur que, même après l'enfantement, il
d'écouler mes explications.... De deux choses n'y ait encore avortcment, et je me plais à cette
l'une ou je me justifierai à vos yeux, ou, con-
: douleur. Ceux-là même qu'un autre a engen-
vaincu d'avoir tort, je vous demanderai par- drés, me causent le n)ême souci, les mêmes
don, bien décide d'ailleurs à ne pas retomber souffrances source de notre paternité
; car la

dans la même faute. Dans celte manière d'agir, n'est pas en nous, elle est toute dans la grâce de
il y a avantage autant pour vous que pour moi. Dieu ; c'est pourquoi, engendrés par moi ou
Car peul-êire m'accusez-vous sans motifs, et non, on ne se trompe pas en vous appelant mes
il vous suffira de connaître la vérité pour enfants. Pensez à cela, et tendez-moi la main,
changer d'avis; de mon côté, ayant péché sans afin x\uevous soyez ma gloire et que je sois U
le savoir, je me corrigerai... 11 est impossible vôtre au jour de notre Seigneur Jésus-CUrisl'oj
* LUlJa., i/0'/4. 4, sut i« 1^« dUJt it>C)t&ftl.
271 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

Ces nobles paroles, empreintes de tant de chaient, et nous ne lisons nulle part qu'on les
modestie et de bonlé, ne pouvaient être ac- interrompît par de tumultueuses approbations.
cueillies avec indifférence. L'orateur avait beau Il y aura avantage pourtousà sanctionner entre

revenir fréquemment sur les mêmes sujets, nous la résolution de ne plus écouter, de ne
l'auditoire se montrait plus empressé et plus plus parler que dans un profond silence. Quand
attentif à chaque discours. Les hérétiques, les même vous garderiez en sortant d'ici, après
païens eux-mêmes accouraient l'entendre. « Il que nous avons dit,
ce bruit, le souvenir de ce

y avait chaque jour autour de lui, dit Sozo- cette manière de nous louer serait toujours
mène, un merveilleux concours de personnes plus fiint'ste qu'utile. Je n'insiste pas plus long-
de toute condition, dont les uns souhaitaient temps, de peur qu'on ne m'accuse de rusticité.
de bonne foi de s'instruire, et Us autres ne Mais puisqu'il n'y a en tout cela qu'inconvé-
cherchaient qu'à le tenter. H les gagnait tous nients, faÎFons-les disparaître, supprimons ces
par le charme de ses paroles, et leur persuadait transports d'une joie indécente. Jésus-Christ
tout ce qu'il voulait '
» . Bientôt la foule devint parla au peuple sur la m»ntagnc, et nulle ac-
sipressée autour de l'ambon, quand il devait clamation ne fut entendue pendant qu'il par-
parler, que, pour éviter des accidents, il dut lait. Je ne fais aucun tort à ceux qui voudraient

transportecsa tribune dans lejubé des lecteurs, applaudir, je leur fournis l'occasion d'admirer
au milieu de l't'glise, d'où sa voik arrivait faci- davantage. N'est-ce pas mieux, après avoir im-
lement dans toutes les parties de l'enceinte. A primé le discours dans sa mémoi re, d'y applau-
Con^tanti^ople,commeà Antioche, les applau- dir sans cesse, et dans sa maison et sur la place
dissements interrompaient souvent l'orateur. publique, que de rentrer chez soi, après avoir
11 de vains efîorts pour empêcher ces
fait tout oublié, sans savoir pourquoi l'on a ap-
marques bruyantes d'approbation, dont il est plaudi? L'auditeur, dans ce dernier cas, ne se
touché quelquefois, mais qu'il ne cesse de re- rend-il pas ridicule? Peut-on le prendre pour
gretter et decondiimner, autre chose qu'un adulateur ou un moqueur?
« Croyez-moi, dit-il, au moment où vous ap- Ildéclare que l'orateur a bien parlé, et il ne
plaudissez, je sens trop que je suis homme; peut redire une pensée de l'orateur! N'est-ce
pourquoi ne le dirais-je pas? Je me réjouis, je pas pure flatterie? Qu'après avoir entendu des
suis heureux; mais, lorsque rentré chez moi, joueurs de luth ou des acteurs tragiques, on
je songe que le peu de bien attaché à ma pa- soit incapable de répéter leurs chants ou leurs
role a fait naufrage dans ce tumulte, je gémis, comprend mais quand il s'agit,
rôles, cela se ;

je me désole, je versedes larmes il me semble ; non de musique et de déclamation, mais


que tous mes efforts ont été perdus, et je me d'idées et de sentiments dont il est facile de
dis A quoi bon mes sueurs, puisque mon au-
: rendre compte, comment ne serait-il pas blâ-
ditoire ne veut tirer aucun profit de mes dis- mable celui qui ne peut expliquer le motif qui
cours? J'ai pensé souvent à porter une loi pour l'a porté à applaudir? Rien ne sied mieux à

empêcher les applaudissements et vous impo- l'église que le silence et la modestie. Le bruit
ser pendant la prédication un silence religieux. et les acclamations sont dignes du théâtre, des
Ecoutez-moi tranquillement, je vous en con- bains, de la place publique, des cérémonies
jure ; et, s'il vous plaît, réglons dès aujour- prolanes. L'exposition de nos dogmes demande
d'hui que nul dans l'auditoire ne se permettra le calme, le recueillement, un port paisible à
plus d'interrompre l'orateur. Admirez en si- Songez à cela, je vous en prie,
l'abri des flots.
lence si vous voulez admirer, personne ne s'y je vous en supplie. J'essaie de tous les moyens
oppose; mais appliquez- vous à retenir ce que pour procurer le bien de vos âmes. Or, celui
vous aurez entendu. —
Vous applaudissez de que je vous propose est d'autant moins à dé-
nouveau Et pourquoi ? Je propose un règle-
! daigner, que nous y trouverons, vous et moi,
ment contre cet abus, et vous ne savez pas être un égal profit. Moi, je serai préservé de rabais-
attentifs jusqu'au boutl —
Faites ce que je de- ser mon ministère, de courir après la vaine
mande, et vous trouverez ici une source de gloire; au lieu de choses agréables je dirai des
biens, une école de sagesse. Les philosophesdu choses utiles au lieu de m'arrêter à l'harmonie
;

paganisme dissertaient devant leurs disciples et à l'élégance des mots, je ne songerai qu'àla
qui écoutaient sans applaudir. Les apôtres prc- forre des pen?ép«. Fuirez dans l'atelier d'un
peintre, et remarquez quel eileace y règne.
,

CHAPITRE VINGT UNIÈME. 973

Qu'il en soit de même


ici. Et nous aussi, nous mineuse entourait sa tribune; on aimait à s'y
sommes nous retraçons d'augustes
peintres, plonger, on er. sortait à regret. L'éloquence
images avec des couleurs qui ne sont pas faites était à cet honmie ce que sont au soleil ses

pour des portraits ordinaires. Eli quoi! — rayons; mais, comme l'astre qui vivifie en
vous applaudissez Est-ce donc bien diflkilede
I
éclairant, elle répandait plus de chaleur et de
ne pas faire une chose qui ne vient pas de la fécondité que de splendeur.
nature, mais derhabitudoseulenient?— Notre Du reste, le pasteur était plus admirable que
pinceau, c'est la langue; l'artiste qui dirige l'orateur. L'homme qui, jeune encore, avait
l'i>u>rage, c'est l'Esprit-Saint. Dites ; Ce tu- montré, dans son beau Dialogue sur le Sacer-
multe a-t-il lieu pendant la célébration des doce, un sentiment si profond de la dignité et
mystères? Quand nous donnons le baptême, des devoirs de l'évêque, devait comprendre
quand nous accomplissons une fonction sa- mieux que personne tout ce qu'il y avait à dé-
crée, est-ce que tout n'est pas calme et si- ployer de sagesse, à dépenser d'amour, à s'im-
lence autour de nous? Le silence est une des poser d'holocaustes, dans ce gouvernement
beautés du Ciell Avec une tenue comme la spirituel, le plus délicat de tous, où il s'agit

nôtre, faut-il s'étonner que les Gentils nous non de protéger ou d'équilibrer des droits et
reprochent de faire tout par ostentation ? Que des intérêts, mais d'éclairer, de nourrir, de
l'abus des applaudissements cesse, et l'on verra guider, de sauver des âmes, de les disputer à
s'éteindre lanihilion des premières places. l'erreur et au vice, à ce double abîme d'or-
Quant à celui ijui aime les louanges, il les re- gueil et de volupté où les pousse un fatal ver-
cueillera après son discours par les résultats tige, pour les élever, à force de victoires rem-
qu'il aura produits. Je vous en prie de nou- portées sur elles-mêmes, à la hauteur de leur
veau, établissons cette règle, et ne faisons plus destinée immortelle ;
gouvernement modeste,
rien que pour la gloire de Dieu' b. inaperçu, sans prestige, qui suppose dans celui
Celle ambition d'éclat et de puissance que qui en est investi, non le génie ni la force ,

Jean signale avec amertume, et qui déjà sous mais la sainteté, et avec une grande habileté à
les jeux mêmes des Athanase, des Martin, des connaître et à manier les esprits, une charité
Jérôme, faisant tant de mal à l'Eglise, n'appro- prête, comme celle de Jésus-Christ, à toutsouf-
cha jamais de son cœur. Aimé, adoré du peu- frir et à tout donner. Chrjsostome n'avait cessé
ple, il eut pour lui la charité la plus tendre, d'approfondir ces idées, et déjà il les exprimait
jamais de complaisance ni de faiblesse. Sa po- énergiquement sur la chaire d'Antioche, en
pularité, qui lui resta fidèle jusqu'à la mort, retraçant les ennuis et les périls de l'épiscopat
était la conséquence légitime de son dévoue- qu'il croyait avoir conjurés pour toujours '.

ment sincère et pur à la cause des faibles et De quel trouble il fut saisi, lorsque, enlevé
des petits, non d'un calcul ni le
le résultat d'.\ntioche, traîné comme un captif à Byzance,
prix d'un sacrifice. La courtiser, même par une il vit tous les yeux se tourner vers lui et l'es-
parole d'adulation, lui eût paru indigne et vil. time universelle le menacer de celte dignité
Amant jaloux et passionné de la vérité, il re- qu'il trouvaitsi redoutable et si haute D'autres I

poussait tout artifice de langage comme une s'y étaient dérobés en fuyant au désert, en se
profanation de son amour. L'abandon de son calomniant eux-mêmes; lui qu'un pieux stra-
talent en rehaussait la beauté. Il ne préparait tagème avait autrefois sauvé, il était contraint
ses discours que par un pieux respect pour la maintenant d'incliner la tête sous le fardeau.
parole divine, pour se précautionner contre Rien ne pouvait masquer à ses yeux les diffi-
l'essor de sa pensée, pour garder invariable- cultés et les écueils de sa nouvelle position ,
ment le niveau de son auditoire. Mais la ma- de cette roule étroite et glissante qu'il avait à
gnificence de sa nature trompait quelquefois gravir en présence d'un pouvoir sans con-
l'humilité de ses intentions. D'ailleurs, tout science et sans frein, au milieu d'un clergé
s'ennoblissait sur ses lèvres, l'écho de son hostile et mauvais, au terme de laquelle il en-
cœur donnait aux plus simples paroles sorties trevoyait déjà l'exil, et peut-être le martyre.
de sa bouche une haute sonorité. Il avait beau Quelle amère et triste conviction dans ces
se voiler la face, comme Moïse, son génie con- paroles :

tenu éclatait malgré lui. Une atmosphère lu-


duu œuvr<> du Sùot l'» bomélie
* Liiet les la lur l'ipltca 4
Cktjri , Bom. 30, lut I<a Act., n. 4. Titofc

2i. J. Cu. — Tome 1. 48


,

274 HISTOIRE DE SAINT JEAN CIIRYSOSTOME.

« Je ne m'adresse pas à tout le monde, mais retenu par la peur ; quand il s'agit d'un évê-
seulemenl à ceux qui briguent l'épiscopat. Si que, rien n'arrête, car la crainte de Dieu est
tu crois que c'est Dieu qui a présidé à l'élec- impuissante sur de telles gens. Qui pourrait
tion, ne t'emporte pas contre le résultat qu'elle dire, d'ailleurs, le souci que donnent la prédi-
donne, car ce serait t'emporter contre Dieu cation et lesordinations?Oujesuisun homme
même. C'est lui qui a élu; te fâcher
de ce qu'il sans intelligence, sans valeur aucune, ou les
a fait, c'est imiter Gain, qui, au lieu de se choses se passent comme je dis. L'âme d'un
soumettre avec componction au jugement du évêque est comme un
navire battu des flots.
Ciel, ne vit qu'avec douleur la préférence ac- Il de toutes parts, par ses amis, par
est assailli
cordée à l'offrande de son frère. Mais il ne ses ennemis, par ses proches, par les étran-
s'agit point de cela; ce que je veux dire, c'est gers. Certes, l'empereur a l'univers à gouver-
que Dieu conduit les élections de la manière la ner, l'évêque une seule ville et cependant, ;

plus utile. Il se peut que tes mœurs soient plus entre les sollicitudes de celui-ci et les soucis de
modestes que celles d'un autre, sans que pour celui-là, il y a même différence qu'entre les
cela tu sois plus propre à l'épiscopat. Je suppose tempêtes d'une mer furieuse et l'eau paisible
ta vie sans reproclie, parfaitement digne, il d'un fleuve. L'empereur est aidé par une foule
faut quelque chose de plus dans l'Eglise Si de ministres, et tout est réglé par les lois ;
cela cause parmi nous de tristes dissidences , l'évêque ne peut rien commander d'une ma-
je vous en dirai la raison c'est parce qu'on : nière absolue. S'il est ferme, on le trouve
voit dans l'épiscopat, non la charge de guider dur; s'il bon, on l'accuse de faiblesse. Il
est
et de protéger ses frères, mais la source du re- faut qu'il fasse marcher de pair la force et la
pos et de la considération. L'évêque appartient douceur, afin de n'encourir ni la haine ni le
à tous ; il porte les fardeaux de tous. Aux autres, mépris. Mais les affaires le surprennent. Que
Oïlpardonne leur emportement; à lui, rien. de personnes il est obligé d'offenser, bon gré,
On excuse les péchés des autres; pour lui, on mal gré 1 Que de reproches à adresser, quoi
est sans pitié. Si tu songeais à cela, aurais-tu qu'il lui en coûte I Je ne parle que conformé-
pour cette dignité tant d'empressement ? L'évê- ment à ma je ne crois pas qu'il y
conviction :

que est exposé aux langues de tous, aux juge- ait beaucoup d'évêques sauvés je pense, au ;

ments de tous, sages et insensés. De continuels contraire, que le plus grand nombre se perd.
soucis le dévorent jour et nuit. Il est en proie La raison en est que l'épiscopat exige une
à haine et à l'envie. Ne me parlez pas de ces
la grande âme. Arraché souvent etparl'exigence
prélats dont la seule affaire est de plaire au même de ses devoirs à ses habitudes, l'évêque
monde, qui désirent dormir à leur aise, comme a besoin d'uneinfinitéd'yeuxtoujoursouverts.
s'ils n'avaient pris l'épiscopat que pour se re- Ne vois-tu pas quelles qualités éminentes lui
poser. Ilquestion de ceux-là, mais de
n'est pas sont nécessaires ? Il faut qu'il excelle dans la
ceux qui veillent pour vos âmes et qui préfè- doctrine, qu'il pratique la patience, qu'il garde
rent à tout le salut des peuples qui leur sont inaltérable le dépôt de la foi ; et combien tout
confiés. Dites : si le père d'une famille de dix cela est malaisé ! Les péchés des autres lui
enfants, qui habitent avec lui sous le même sont imputés. Qu'ai-je besoin d'ajouter autre
toit, est condamné à vivre dans une conti- chose ? gouverne
Qu'un seul parmi ceux qu'il
nuelle soUicitude, que doit-ce être d'un évêque meure sans pour com-
être baptisé, c'est assez
qui compte tant de personnes dépendantes de promettre lesalutdu prélat; caria perte d'une
son autorité, sans être sous sa main ni parla- seule âme est un malheur au-dessus de toute
ger sa demeure ? —
Mais, diras-lu, il est ho- expression.... Et ne me dites pas que c'est la
noré ! —
Honneurs , en effet bien dignes , faute d'un prêtre ou d'un diacre, car leur faute
d'envie 1Le dernier des hommes l'insulte sur retombe sur celui qui les a ordonnés... Si l'on
la place publique ! —
Pourquoi ne lui ferme-t- considérait, dans la plénitude du sacerdoce ,
il pas la bouche ? — Beau procédé, à coup sûr ;
la charge elles soucis qu'elle impose, on l'am-
mais ce n'est pas l'affaire d'un évêque 1 D'autre bilionnerait bien moins. Mais aujourd'hui on
part, s'il ne répand ses aumônes sur tous la regarde, on la brigue comme une magistra-
travailleurs ou oisifs, mille accusations fondent ture séculière. Pour briller devant les hommes,
sur lui, nul n'hésite à le blâmer, à le calom- nous nous perdons devant Dieu '.
nier. Quand il s'agit d'un magistrat, on est ' Clirj!., nom. 3, sur les Act., D. 4 «t S.
CIIAMTKE VlNCT-rNIÉME. 27Î5

Ce langage, qui revient souvent dans la uns d'entre vous sont distraits, j'irai à eux et
bouche de Chrysoslome, prouve du nioinsavec les interrogerai.Vous êtes avertis de ce que je
quelle apiiréliension il envisageait répiscopat. veux faire quand le ferai-je ? Je ne dois pas
:

Nul, certes, n'en était plus digne que lui. Entre vous le dire aujourdhui, peut-être demain,
:

les pontifes de Jésus-Clirist, d'autres l'ont sur- peut-être dans vingt ou trente jours. De même
passé par la science, par le génie, par l'habi- que Dieu nous laisse dans une complète igno-
leté ; aucunmontré une vie plus pure, un
n'a rance du moment de notre mort, pour que
courage plus ferme, une charité plus féconde, cette attente incertaine nous tienne dans une

un dévouement plus complet à l'Eglise et au perpétuelle vigilance, ainsi l'incertitude du


peuple, aucun n'a possédé dans un plus haut jour où vous serez interrogés vous rendra con-
degré les grandes qualités qui fout les ai)ôtres tinuellement attentifs ' ».
et les évètiues. Et cependant, il tremble sans Comme il le disait quelquefois, son troupeau
cesse devant le fardeau sacré qu'il porte si élait sa famille il lui tenait lieu de tout ici-bas,
;

noblement, il imploresans cesse les prières de et jamais père ne fut absorbé par l'intérêt et
ses auditeurs pour lesquels il se croit indigne l'affection de ses enfants, autant qu'il l'était
d'en offrir. «Ayez pitié de notre faiblesse, leur par l'intérêt et le salut de ces âmes aimées et
soutenez nosmains, ouvrez notre bouche,
dit-il, bénies qu'il avait à gouverner dans les voies
ne nous privez pas de votre aide j^ar une mo- de Dieu. Sa pensée, ses sollicitudes, son cœur,
destie exagérée. Nous avons besoin de votre tout était là. Constatait-il un progrès moral, la
intercession si puissante quand elle est una- défaite d'un vice et d'un préjugé, avait-il réussi
nime, et nous en sommes sûrs, si vous l'ac- à ramener une âme, une seule, au devoir et à
cordez à notre faiblesse, tout ira bien pour Dieu, sa joie s'épanchait publiquement en
nous. Combien, en efïet, parmi ceux que nous douces effusions dans le sein de son auditoire,
avons la charge de gouverner, sont plus il était heureux, a L'empereur, disait-il, est

agréables à Dieu que celui qui les gouverne ? » '


moins satisfait de sa puissance que moi de vos
De là, ce zèle infatigable que ne découragent vertus. 11 reviendrait de l'armée vainqueur de
ni l'insuccès, ni l'ingratitude, ni l'injustice, et ses ennemis, portant au-dessus de son diadème
qui a toujours peur de rester au-dessous de sa les couronnes symboliques de la victoire, il
tâche. aurait moins de joie de ses triomphes que j'en
Cbrysostome portait dans son cœur, en fa- ai de vos progrès' d. Mais rien n'égalait la
veur des âmes confiées à ses soins, d'inépui- tristesse du pasteur quand ilapprenait la chute
sables trésors d'affection. Son éloquence, en d'une brebis. Il croyait son salut attaché à celui
grande partie, venait de là. 11 n'eut pas reçu des autres, et se reprochait leurs égarements
du Ciel le génie de la parole, que la sienne comme son propre crime, comme s'il eût été
n'eût pas été moins puissante. La richesse coupable des fautes de tous. « Je voudrais qu'il
même de son langage tenait à l'abandon de sa me fût possible, disait-il, de vous mettre mou
charité autant qu'à la splendeur de son talent. cœur sous les yeux... Rien ne m'est plus cher
Il était éloquent parce qu'il était saint et qu'il que vous, pas même la lumière car je vou- ;

aimait comme savent aimer les saints. Du drais devenir aveugle si je pouvais, à ce prix,
reste, il prêchait pour une poignée d'auditeurs convertir vos âmes. Oui votre salut m'est plus
comme pour uneassembléc imposante, et sans précieux que la vue du jour. A quoi me ser-
autre but que de consoler, d'améliorer, d'ins- vent, en effet, les rayons solaires, si la douleur
truire, de fortifier dans les cœurs le sentiment que vous me causez couvre mes yeux de ténè-
de l'Evangile. Souvent après avoir parlédu haut bres? La lumière plaît quand elle vient en
de la chaire, il descemlaitau milieu des fidèles compagnie de la joie à l'âme affligée elle est
:

et parcourait leurs rangs, continuant la prédi- importune. Puissiez-vous ne l'apprendre jamais


cation sous une autre forme et s'assurant par par expérience Or, si quelqu'un de vous vient
1

des questions individuelles qu'il avait été à pécher, c'est une douleur qui me poursuit
écouté et compris. Quelquefois, pour rendre même dans le sommeil ; je ressemble à un
Tauditoire plus attentif, il le menace de ses in- homme frappé de paralysie ou de folie, je
terrogations. aJe vous prendrai à l'improviste, pourrais dire avec le Prophète La lumière :

leur dit-il ;
quand j'apercevrai que quelques- de mes yeux n'est plus avec moi. Qu(ille es-
Onjt., Bom. 3, toi la 2« aux Tïestal., Bom. 4, n. 3. • CliryB., sur l'ép. aux Hébr., Bom. 4, n. 1. — ' Chry«., tàid,
.

276 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

pérance puis-je nourrir en vous voyant ne j'ai désespéré de mon salut ; en pleurant votr»
pas faireun pas dans la vertu ? Quel chagrin perte, je pleure la mienne.... Je vous dis
pourrais-je éprouver si vous vous conduisiez comme saint Paul aux Corinthiens : Donnez-
dignement? Je me sens soulevé comme sur moi place dans votre cœur, car vous n'êtes pas
des ailes quand on nie dit quelque bien de à l'étroit dans le mien '. Mais, je le sais, vous
vous. Comblez ma joie. Je n'ai qu'un désir, m'aimez. Et cependant que nous revient-il de
votre avancement. Ce en quoi je l'emporte sur votre affection pour moi ou de la mienne pour
tout le monde, c'est que je vous aime et vous vous, puisque les choses de Dieu ne prospèrent
tiens tous embrassés dans mon cœur. Vous êtes pas plus pour cela? Voilà ce qui rend ma dou-
tout pour moi père, mère, frères, enfants.
: leur et ma crainte si grandes. Je suis sûr que si
Ne croyez pas que les paroles sévères que je vous le pouviez, vous vous arracheriez les yeux
vous adresse quelquefois partent d'un senti- pous me les donner ". A mon tour, je voudrais
ment de courroux, je ne vous gronde que pour vous donner, non l'Evangile seulement, mais
vous rendre meilleurs et le sage l'a dit Le ; : ma vie. Je vous aime et je suis aimé. Mais ce
frère qui est aidé par son frère est comme une n'est pas cela que je vous demande. Aimons
ville fortifiée '. Ainsi, ne m'en veuillez jamais. Jésus-Christ d'abord, c'estle premier comman-
Quant à moi, je ne dédaigne aucune de vos dement; et puisque vous remplissez si bien le
observations. Je voudrais être corrigé, instruit second, appliquez-vous au premier. Aimons
par vous car nous sommes tous frères, et nous
; Jésus-Christ, aimons-le de toute l'ardeur de
avons un seul et même Maître. Or, entre nos sentiments ' ».
frères, il convient que l'un donne des ordres Jamais l'amour des âmes ne s'est plus tendre-
et que les autres les exécutent. Ne vous fâchez ment révélé jamais la charité n'a tenu plus
;

donc pas, mais faisons tout pour la gloire de noble langage.


Dieu • » Nous l'avons dit, le premier soin de Chry-
« Donnez-moi, leur disait-il dans une autre sostome, en montant sur la chaire pontificale,
circonstance, donnez-moi bien-aimés, de parler avait été de rechercher et d'étudierles besoins
avec confiance devant les Gentils et les Juifs, et de son peuple. Une fois ses idées arrêtées, il se
surtout devant Dieu. Je vous le demande, au mit à l'œuvre avec ce dévouement intrépide
nom de l'amour que je vous porte et des dou- qu'aucun obstacle ne fait hésiter. Ce qu'il avait
leurs de l'enfantement que vous m'avez fait si bien exprimé dans ses livres du sacerdoce

éprouver. Mes chers petits enfants, — je n'ajou- que la vie des fidèles reflète celle du prêtre,
terai pas que j'engendre de nou-
avec l'Apôtre : il ne pouvait l'oublier. Aussi ne voyait-il dans

veau jusqu'à ce que le Christ soit formé en sa dignité d'évêque qu'un engagement plus
vous * non, car j'aime à le croire, le Christ
; étroit d'être saint. Il pensait avec raison que
est déjà formé dans vos âmes, chers enfants, — letalentleplusnécessaireaugouvernementdes
ma couronne et ma joie *, croyez-le, rien ne âmes est la sainteté ; que l'être privilégié qui
peut me rendre heureux comme de vous voir a reçu d'en haut la sublime mission de con-
avancer dans la vertu ° ». duire ses frères au bonheur éternel, doit ex-
«J'avertis, je gronde, ajoutait-il parfois, pliquer l'Evangile par ses œuvres, bien plus
souvent même je gémis et je pleure, non en que par sa parole, en offrir dans sa personne
public, maisau fond de mon cœur. Les larmes le vivant résumé, en reproduire si bien l'es-

quicoulentdesyeuxsoulagentl'affliction, celles prit, que sa seule apparition au milieu des

qui tombent dans l'âme l'aggravent. L'infor- hommes soit une révélation aux yeux et aux
tuné qui refoule son chagrin au dedans de cœurs de la présence intime et indéfectible de
lui-même, souffre beaucoup plus que s'il pou- de Jésus-Christ dans son Eglise.
vait l'épancher. Si je ne craignais de passer De là, pour Jean, une lutte sublime avec
pour un homme de vaine gloire, vous me ver- l'idéal divin qu'il s'efforçait de réaliser. Pou-
riez tous les jours verser des torrents delarmes. voir dire, lui aussi Je vis moi, non plus moi,
:

Mais elles n'ont d'autres témoins que ma so- mais Jésus-Christ vit en moi, était sa grande
litude et mon cabinet. Croyez-moi, en effet, ambition. C'est pourquoi, à l'exemple de
l'Apôtre, il aimait à porter dans son corps la
'Proverb, 18, 1». — Chrys., Boni. 3, sur le» Act., in fin.
* —
• Ad Galal., ci.— 'lad Tktssal., c. 2. —
' Chrys., sur les
Act., • II ad Corinlh., c. 6 et 7. — ' Ad Oatat., 4, 15. — • Chiyj.,
Jiom. 77, n. 4, Bom. 41, sur lea Act,, n. i.
CHAPITRE VINGT-UNIEME. «77

mortification de Jésus, afin que la vie de Jésus amour pour Dieu, il puisait d'autant plus en
se manifestât aussi dans son corps*. Certes, il Dieu qu'il donnait davantage aux hommes.
n'avait pas attendu l'heure solennelle de l'ho- Comme Jésus, pontife par excellence, sans
locauste sacerdotal pour subjuguer ses sens et quitter les cieux s'immole sur l'autel, il s'aban-

les plier à la loi de l'esprit, celui qui, jeune donnait, lui aussi, aux entraînements d'une
encore, à cet âge où la vie coule comme une bonté qui le multipliait et sous toutes les
flamme dans les veines de l'adolescent, s'était formes, sans sortir pour cela du sanctuaire
retiré loin du monde, au sommet des mon- intimede sa pensée. Quand la charité avait pris

tagnes, pour y pratiquer la vie ou plutôt la le jour, les livres saints prenaient la nuit. Le
mort des ascètes, et avait passé deux ans sans texte sacré ne contenait ])as un mot qu'il n'eût
permettre à son corps brisé de fatigues de médité. 11 aimait surtout à lire saint Paul. 11

s'étendreune seule fois sur une natte ou surlc cxprimaitsi souvent et si haut son admiration
solnu pour prendre un repos nécessaire. Mais pour lui, il l'expliquait avec tant de supériorité,
quand il fut revêtu de la plénitude du sacer- il s'était tellement pénétré de son génie et de
doce, et qu'il sévit chargé des intérêts éternels son âme, qu'ainsi que nous l'avons dit, l'opi-
d'un peuple quand il lui fallut, non plus se
;
nion s'était accréditée dans le peuple que Paul
prémunir contre les entraînements de la jeu- visitaitsouvent sous une forme visible son élo-
nesse, mais arracher les hérétiques à l'erreur, quent commentateur et lui découvrait lui-
les pécheurs au vice, les infortunés au déses- même le sens caché de ses écrits. Proclus, qui
poir, et faire régner la vérité sur des coeurs fut le secrétaire de Jean et plus tard son suc-
abandonnés jusque-là au règne des sens, il sen- cesseur, prétendait avoir vu l'apôtre dans le
tit qu'il ne devait plus être qu'une hostie cabinet du pontife travaillant avec lui de
d'expiation et dimpétralion immolée sur l'au- longues heures, l'un dictant, l'autre écrivant.
tel de l'amour divin au bonheur de ses frères. Lorsqu'au milieu d'une improvisation, le nom
Alors il s'arma contre sa chair d'une nouvelle de Paul venait à se poser sur les lèvres de l'ora-
sévérité et osa lui demander de vivre de la vie teur, il lui faisait tout oublier; inspiré, transfi-

des esprits. L'amour des âmes le consumait de guré, l'admiration l'emportait sur ses ailes au
telles ardeurs, que, semblable à la flamme plus haut des cieux. 11 remarque lui-même
tombée du ciel sur un holocauste cher au Sei- qu'il avait besoin de se tenir en garde contre
gneur, il ne laissa rien subsister en lui de ce sublime enivrement. « On vient de lire, di-

l'homme, si ce n'est une parole pour éclairer, sait-il, les stigmates de Paul, ses souffrances,
un cœur pour bénir. Aussi le trouvait-on par- ses emprisonnements, ses naufrages; il faut
tout à la fois, aux pieds de l'autel avec les vœux que je m'arrache à ce souvenir, de peur que
de son peuple, à la tribune sainte avec son élo- l'apôtre ne s'empare encore de moi et ne me
quence eutraînaiite, dans les prisons avec le détourne de mon sujet car, vous le savez, il ;

pain et l'espérance qu'il portait aux captifs, au lui arrive souvent de me saisir au milieu de

milieu des pauvres qu'il se plaisait à assister mon discours et de me conduire ailleurs. Je
souvent par lui-même et sans intermédiaire, me fais violence aujourd'hui pour ne pas le
dans la demeure des grands et des riches pour suivre ' ».

plaider la cause des esclaves, des débiteurs, des Ces travaux, cette vie si dévouée et si pleine,
infortunés. Constantinople n'enfermait aucune ces quotidiennes immolations de la pénitence
misère de l'âme ou du corps qu'il n'atteignît et de la charité semblaientdemander une cer-
par sa bonté. Quiconque souffrait venait à lui, taine mesure de forces physiques. La santé de
certain de n'être jamais refusé. Sur ce visage Jean, consumée dans l'ascétisme et l'enthou-
austère et pâle le sourire de la charité était ra- siasme de ses premières années, était plus que
vissant. Toujours prêt à donner et à se donner, jamais chancelante et faible. 11 souffrait habi-
aucun dévouement n'épuisait l'abondance de tuellement de Son estomac malade sup-
la tête.

son amour: on disait de lui qu'il portait dans portait à grand'peine le moindre aliment. II
son cœur la source même de la charité '. passait peu de semaines sans avoir la fièvre.
Et ce perpétuel épanchement de son être, Sun extrême délicatesse lui rendait l'impression
loin de l'appauvrir, le renouvelait; car, sou du froid insupportable. Une surexcitation ner-
amour pour les hommes prucédunl de son veuse, aggravée par la contention non ioier*
'a ai Ctrinth., c. 4, t. 10. — JoaDD. Euchajt, cité par StUtiog.
'
'Cbiys., 8UI ces paroles : Uoi, le Seigneur, o. S.
278 HISTOIRE DE SAINT JEAN CURYSOSTOME.

rompue de l'esprit, rcrapêchait de prendre et principalement, la pensée qu'on dérobe à la

aucun repos. Quand l'exercice au grand air lui charité ce que donne sous ce rapport aux
l'on

eùl été indispen;-able, ses études et ses devoirs bienséances, et que, chez un évêque, ce vol fait
le ramenaient sans cesse à l'immobilité dévo- aux indigents pour honorer les riches a quel-
rante du cabinet, ou à l'activité plus dévorante que chose de sacrilège. Le prêtre, selon lui, est
encore de la tribune sacrée. 11 était si maigre, une pensée plutôt qu'un homme, et cette pen-
dit Pallade',qu'ilscniblaitn'avoirpas de corps. sée nourrie de Dieu dans l'ombre du sanc-
Cet état maladif permanent ne lui inspirait tuaire, quand elle se produit au milieu des
pas plusd'indulgence pour lui-même. A parties hommes, doit passer sous leurs yeux comme
bains dont ilusaitvolontiers, il se refusait toute une apparition de la grâce divine, comme une
espèccde soulagement. Sousonuneilélaitcourt, sainte vision.

de trois ou quatre heures chaque nuit. 11 ne De tels motifs ne pouvaient être appréciés par
mangeaitqu'une fois par jour, vers le soir en- ; un clergé mondain, habitué au faste de Nec-
core regrctlail-il les quelques minutes accor- taire. Mais Jean, qui aspirait à faire revivre au-
dées à cet unique repas, qu'il oubliait parfois tour de lui la sainteté des temps primitifs, vou-

de prendre. Tout mets un peu soigné était pros- lait qu'elle resplendît d'abord dans sa personne,

crit de sa table. 11 ne buvait que de l'eau, à la- et que son exemple devînt la première règle de
quelle, pendant les grandes chaleurs, il ajou- sescooperateurs.il introduisitla pauvreté apos-
tait quelques gouttes d'un vin médicinal où tolique, non dans latable seulement, mais dans
l'on avait macéré des roses *. On eût dit que le toutela maison du pontife. Les riches soieries,
besoin de manger l'humiliait; il eût voulu s'y les tapis somptueux, tout ce luxe sénatorial et

soustraire, comme si l'invisible aliment de la princier, dont il avait plu à son prédécesseur
contemplation eût suffi à nourrir son corps de parer l'épiscopat, furent sévèrement retran-
aussi bien que son âme. Il n'avait faim que de chés. Il n'eut dans son cabinet qu'un seul ta-
la vérité. bleau, le portrait de saint Paul devant lequel il

Cette aversion delà table l'avait déterminé à Les marbres précieux réunis par
travaillait.

manger toujours seul. Il n'acceptait aucune in- Nectaire pour la décoration de sa demeure fu-
vitation, et n'en faisait aucune, ce qui choquait rent vendus au profit des pauvres. On assure,

beaucoup les pharisiens de By zance, et lui valut, mais ceci est moins prouvé, qu'il en fit autant
de leur part, de stupides calomnies. On l'ac- de plusieurs vases sacrés qu'il trouvait trop ri-
cusa de s'isoler pour cacher sa gloutonnerie et ches,convaiucu qu'employer leur valeuràsou-
vivre à la façon des cyclopes '. // vivait, à'\i un lager l'indigence c'était mieux entrer dans la
historien, d'««e manière divine'' Le reproche 1 pensée de Jésus-Christ, auquell'éclatd'unautel
de méconnaître les devoirs de l'hospitalité im- chargé d'or plaît bien moins que les soins don-
posés aux évoques par les canons n'avait pas nés par la miséricorde aux vivants autels qu'il
plus de fondement car, s'il ne voulait associer
;
a consacrés de son sang. Plus tard, cet acte de
personne à ses privations, il recevait ses collè- charité lui futimputé à crime. On l'accusa de
gues et ses visiteursdans une maison contiguë concussion, et peut-être en fut-il coupable à la
à la sienne et bien mieux tenue, où les plus ai- façon des Ambroise, des Exupère, des Augus-
mables attentions et les soins les plus délicats tin, des Cyrille de Jérusalem, des Acace d'A-

leur étaient prodigués. Peu de personnes se mide, des Césaire d'Arles, et d'une foule d'au-
fussent résignées à la table de Chrysostome. Il tres. Je ne chercherai pas à l'absoudre d'un

laissa doncmurmurer les mécontents, et garda forfait qui fut celui des plus grands Saints.

invariablement celte austère solitude que plu- L'esprit élevé de Chrysostome, son cœur aux
sieurs considérations lui rendaient précieuse : nobles dévouements répugnaient aux détails
d'abord une sainte avarice du temps qu'il re- matériels de l'administration. Bien des fois, à
doutait de perdre dans les interminables lon- Antioche, il avait parléavec force contre cet as-
gueurs et les vaines causeries d'un dîner, en- servissement du prêtre aux intérêts grossiers
suite la crainte assez légitime d'ôter quelque qui le détournent des intérêts éternels, et, de
chose à la sérénité de son recueillement par des celui qui devrait n'être occupé qu'à guider ses
relationsplusnombreusesavecle monde, enfin, frères sur les traces de Jésus-Christ, font une
espèccde fermier, de percepteur, de publicain,
•Tillem., t. 11, p. 12. — Pallad., c. 12 et c. 17. — ' Phot.,
ecl. 59. — ' Tiilem., t. 1 ) , p. . 8. qui nesait plus parler que vendanges et mois-
CHAriTRE VINGT-UNIÈME. a-jg

sons, ventes et procès'. D'ailleurs, le constant jusque-là tenus avec la plus déplorable insou-
désir du l'Eglise exprimé dans tous les Conciles ciance. Le désordre en était venu à ce point,
avaitéto que l'évèijuo restât libre des sollicitudes que Grégoire de Nazianzc effrayé n'avait osé
étranj;ères au sacerdoce, pour donner tout son toucher à une plaie qui réclamait un violent
temps et toutes ses forces aux dioses do Dieu et remède '. Jean n'hésita pas : il porta la lumière
des âmes. Mais il y avait à cet égard tant et do dans le chaos, et le plus fit succéder l'ordre
si grands abus, que Chrysostonic s'écriait C'est : sévère et l'économie à la prodigalité et au gas-
aux évéques qu'il faudrait adresser maintenant pillage. De nombreuses réductions dans les
cette parole de l'Evangile Va et vends tes biens,
: dépenses, dans celles surtout qui avaient trait
et après les avoir donnés aux pauvres, suis- à l'évêque profilèrent à la caisse des pauvres,
moi! Ce fut là certainement ce qui motiva l'in- dans laquelle d'ailleurs il fit verser tous les
stitution des économes épiscopaux. revenus assignés à sa position, ne voulant pas,
Chaque diocèse dut avoir le sien, prêtre ou même pour une obole, être à charge à l'E-
diacre, lequel, nommé le plus souvent par glise. Tout entier aux besoins de l'indigence,

l'évoque seul, quelquefois par l'évêque avec le le généreux prélat oubliait les siens et tel était ;

concours du clergé, était chargé de la recette son dépouillement que, pour subvenir à sa
et de la dépense, de la comptabilité et du con- propre subsistance, il n'avait, comme saint
tentieux, de la culture des terres et de l'enlre- Basile, que les libéralités de ses amis. Une il-
tien des édiûces, faisait entre les ayants droit lustre et sainte femme s'était donné la mission
la répartition des revenus et généralement ad- de suppléer à la noble insouciance de ce pau-
ministrait, sous la direction et la surveillance vre, père des pauvres elle remplaçait sa mère, :

du prélat diocésain, tout le temporel du clergé, qui ne vivait plus, dans cette sollicitude de
sans avoir de compte à rendre qu'à l'évêque, tous les jours dont il se sentait absolument in-
lequel, sauf le cas d'une accusation devant le capable. Olympiade était auprès de Jean ce
synode de la province, n'en devait qu'à Dieu *. qu'était Madeleine auprès de Jésus.
Avant que le concile de Chalcédoine eût fait de La paix du désert l'avait suivi au milieu des
l'établissement des économes une mesure obli- hommes; il vivait pour eux sans vivre avec

gatoire et générale, ils existaient déjà dans eux. Les visites, les entretiens du monde lui
plusieurs églises. «Le gouvernement des biens déplaisaient ; il fuyait surtout les gens de la
d'ici-bas, qu'on nous reproche parfois d'aimer, cour, et que ceux-ci lui ren-
il faut convenir
disait saint Augustin, le Ciel m'est témoin que daient éloignement pour éloignement; car il
je le supporte à cause de ce que je dois à la n'était à leurs yeux que le spectre de la péni-
crainte de Dieu et à l'amour de mes frères. Je tence, le remords vivant de leur orgueil. Son
le souffre, mais je ne l'aime pas. Si je le pou- regard triste et profond, mais affectueux, avait
vais, sans manquer à mon devoir, je ne de- la flamme de son cœur. Sa voix était sympa-
manderais qu'à en être dépouillé" ». Et il finit thique, sa parole pénétrante; mais il parlait
par s'en décharger sur un prêtre habile et in- peu et ne participait aux conversations que dans
tègre'. Ce qui fut nécessaire à Hippone, l'était la mesure du devoir et de la charité '. Néan-
encore plus à Constantinople, dont la riche moins, il avait autour de lui une société intime
église possédait un grand nombre de vases d'un choix exquis. C'est là qu'il aimait à se
sacrés et d'énormes revenus. Ses pontifes ne reposer après de longues heures de travail, et
pouvaient guère, sans nuire à la haute mission que, dans une causerie aimable, pleine d'épan-
qui leur incombait, s'occuper en personne chement et de douce gaîté, il trouvait du ra-
d'une multitude d'affaires fatigantes et absor- fraîchissement pour sa tête brûlante. En dehors
bantes, et ils confièrent à un membre de leur de ce sanctuaire de l'amitié, il était toujours
clergé celte portion de leurs sollicitudes épis- grave et réservé, ce qui intimidait quelques
copales. Clirysostome continua la tradition de personnes et faisait dire à d'autres qu'il était
ses prédécesseurs et s'en remit à l'économe du fier et peu abordable '. Les pauvres et les petits
temporel de son diocèse; mais il s'imposa le savaient le contraire. Personne n'avait plus
devoir d'en réviser soigneusement les comptes, d'indulgence et de bonté, personne n'accueil-
lait avec un plus sincère désir d'être utile. S'il
•Chry»., lur S. Mtith., Eom. 86. — • ThomaM., discipl.,

p. 659 et lui» ' S. Aug., ep. ^25.— ' Possidon ,
t.

in vit. S. Au;/.,
3,
' s. Grég. Naîianz., Carm. de vit, mu. — '
Pallad., iiii,, o, 19,
24; S. Aug., ep. 210. — ' Socr., I. 6, c. .')
; Sozcra., I. 8, c. 9.
2ao HISTOIRE DE S.\INT JEAN CHRYSOSTOME.

avait une observalion à faire, un blâme à don- vers saint Paul nos regards. Entendez comme
ner, c'était avec tant de ménagement que il Le monde est crucifié pour moi, et
s'écrie ;

l'amour-propre le plus susceptible ne pouvait je suis crucifié pour le monde., c'est-à-dire


être blessé, procédant d'ordinaire par contre- nous sommes morts l'un pour l'autre; et ail-
vérités, et reprochant avec une douce ironie leurs Je vis moi, non plus moi, mais le
:

la vertu que l'on n'avait pas pour signaler le Christ vit entnoi^o o Oui, disait Chry-

vice opposé que l'on avait. Le reproche direct sostome une autre fois, l'homme bien pénétré
lui semblait trop amer pour être infligé sans de l'amour divin ne voit plus ni les adversités
une absolue nécessité '. 11 est vrai qu'il y avait ni les prospérités de la vie présente; pressé

dans son regard, sur son front, dans toute sa d'arriver à son but, il passe près de tout cela

personne, quelque chose d'auslère et d'auguste sans y prendre garde.... Il ne redoute ni le fer,
qui imposait le respect; mais ce que la préven- ni le feu, ni les précipices, ni les dents des

tion signalait quelquefois comme une preuve bêtes féroces, ni les plus horribles tourments,

de misanthro|)ie et d'orgueil n'était que le ni les fureurs des plus cruels bourreaux
rayonnement d'une âme plongée en Dieu, à 11 court sur les charbons ardents, comme s'il

demi transfigurée dans la contemplation des foulaitaux pieds des roses la vue des suppli- ;

choses célestes, dont les traits respirent déjà ces ne ralentit point sa marche, ne le détourne

le calme et la majesté des élus au ciel, mais pas de son chemin. Le désir des biens futurs
dont la charité s'épanche sur la terre avec le transporte et lui fait oublier qu'il a un
d'autant plus d'abondance qu'elle a sa source corps; la grâce d'en haut, dont il est prévenu,
dans de plus hautes régions. suspend les impressions naturelles des sens et
Sa vie, quoique très-occupée, était une ex- amortit toutes les douleurs. Allumez donc eo
tase. 11 s'est peint lui-même dans ce tableau de vous celte flamme puissante' ».

l'amour divin. « Celui, dit-il, qu'embrase un Cette flamme était bien la vie de Chryso-
amour profane n'attache de prix ou de gloire à stome; de son cœur, comme d'un profond
rien , si ce n'est à sa passion. Pour lui, le foyer, elle se répandait sur tout eu lui et au-

monde entier c'est l'objet aimé. A plus forte tour de lui; sa vertu, son éloquence, son
raison, celui qui brûle d'un amour céleste con- génie n'en étaient que le reflet; elle se mêlait
sidère comme néant ce que la terre a de plus à toutes ses pensées, à tous ses sentiments, elle
beau. Si nous ne comprenons pas ce langage, était l'âme de ses amitiés. Personne n'aima ses
qu'y a-t-il d'étonnant? Nous sommes si étran- amis avec plus de tendresse, et n'en fut plus
gers àcette sublime philosophie! Mais l'honune aimé personne n'a parlé de l'amitié comme
;

que dévore du Christ est dans la même


le feu lui. Qu'on en juge par le passage que nous

disposition d'esprit que s'il était seul ici-bas. allons citer. De telles affections, si elles pou-
Gloire ou ignominie, que lui importe? Sup- vaient exister ici-bas, feraient de la terre un
posez qu'un seul être habite l'univers, il ne paradis. Il est certain que, si la source en est
s'occupera de personne. Ainsi le cœur qui vit quelque part, c'est dans le cœur de Jésus-Christ
pour Dieu seul, toutes les choses terrestres lui où Chrysostome abreuvait le sien. Son langage
sont indifférentes. Les épreuves, les fouets, les ressemble à celui des élus dans l'éternité, se
cachots ne l'inquiètent pas plus que s'il avait disant l'un à l'autre leurs saintes tendresses,
à les souffrir dans un autre corps que le sien, au bord du fleuve céleste, où ils puisent le
ou que son corps fût de diamant. Il se rit des bonheur avec l'immortalité.
charmes de la vie, et ils ont moins d'attrait à Un ami fidèle est le charme de la vie;
ses yeux qu'un cadavre aux nôtres.... Autant c'est le meilleur appui contre les maux d'ici-

l'or qui sort du creuset est pur de toute souil- bas. Que ne ferait pas pour nous un ami sin-
lure, autant l'homme qui aime Dieu est affran- cère? Quelle satisfaction, quels avantages,
chi de l'esclavage des passions; et de même quelle sécurité ne donne-t-il pasl Les plus
que les mouches ne se jettent pas au milieu riches trésors ne valent pas un ami Disons
des flammes, ainsi les passions n'approchent d'abord qu'on goûte dans l'amitié.
le plaisir

pas de son cœur. Je voudrais trouver des exem- A la vue de son ami, on est heureux, le cœur
au miUeu de nous; mais puisque nous
ples se dilate, on est attiré vers lui, on sent qu'on
sommes d'une indigence si profonde, tournons ' Chrys., Hom. 52, sur le» Act., n. !. — ' Chrys., iur U G«D.,
'P»ll»d.,c. 18, Hom. 28, 0. 6.
CHAPITRE VINGT-UNIÈME. S81

lui est uni par un lien d'une douceur ineffable, voir quand tout lui est dû. Tous ne we com-
son souvenir seul donne du courage. Je parle prenez pas; hélas je parle d'une chose qui ne
1

d'amis véritable?, qui n'ont en toutes choses se trouve maintenant qu'au ciel; et de même
qu'une mémo pensée, qui s'aiineul ardem- que si je vous entretenais d'une plante des In-

ment et sont prêts à mourir l'un pour l'autre. des que personne n'aurait vue, il me serait
No m'objectez pas ceux dont les affections sont avec beaucoup de paroles, devons en
difficile,

légères, camarades de table, amis de nom donner une idée exacte; ainsi mes discours
seulement. Si quelqu'un possède un ami tel sur l'amitié demeurent inintelligibles pour
que je le dépeins, il doit comprendre combien vous car c'est une plante du ciel, dont les ra-
:

je dis vrai. 11 le verrait tous les jours qu'il n'en meaux sont chargés de fruits plus beaux que
serait jamais rassasié. Il ne désire, il ne veut les diamants, des fruits inestimables de la
pour lui-même que ce qu'il désire et veut pour vertu et de la vie. Non, la terre n'a pas de jouis-
son ami. J'ai connu quelqu'un qui recomman- sance comparable à l'amitié. On se fatigue de
dait aux prières des Saints son ami plutôt que tout; on ne se fatigue jamais de ce noble plai-
lui-même. C'est une si grande chose qu'un sir. Ailleurs, la longue jouissanceengendre la
excellent ami que les époques et les lieux nous satiété ; ici, elle augmente l'affection, et l'on
deviennent chers à cause de lui. De même que s'attache toujours plus à son ami, à mesure
les corps lumineux font rejaillir leur splendeur qu'on le connaît davantage; il nous est plus
sur les objets qui les entourent, ainsi nos amis cher que la vie. Et combien, en effet, qui pri-
communiquent aux lieux qu'ils ont habités le vés de leurs amis par la mort, ont désiré ne
charme qui leur est propre; et souvent, quand pas leur survivre? Avec un ami, l'exil serait
nous les revoyons sans eux, nous gémissons, supportable ; sans amis, la patrie elle-même
nous pleurons en nous rappelant les jours que n'a plus d'attraits. Avec un ami, on se résigne
nous y passions ensemble. Aucune parole ne à la pauvreté; sans amis, l'opulence et la santé
saurait exprimer la joie, le plaisir que donne seraient odieuses. Dans un ami on possède un
la présence d'un ami ceux-là seuls peuvent le
; autre soi-même. Je souffre de ne pouvoir m'ex-
savoir qui l'ont éprouvé.... pliquerpar un exemple: vous auriez vu que
« Un ami, un véritable et sincère ami est je reste au-dessous de la vérité ' ».
plus précieux, plus aimable que la lumière. Il y a pourtant une chose qui n'est pas vraie
Ne soyez pas étonnés de mon assertion, car il dans ces belles paroles. Non, ces généreuses af-
vaut mieux que l'astre du jour s'éteigne pour fections dont Chrysostome parle si bien, n'é-
nous que d'être privés de nos amis : il vaudrait taient pas proscrites de cette terre alors qu'il y
mieux vivre dans les ténèbres que de vivre sans vivait, ou il faut dire qu'il avait eu le bonheur
eux. Je m'explique combien d'hommes sont
: de les y ramener. On en respirait la fleur, on
plongés dans la nuit du malheur, tout en en goûtaitles délices près de lui. De nombreux
•voyant le soleil! Mais, avec des amis, on n'est disciples pleins d'admiration et de filiale ten-
jamais dans l'afQiction.... une grande
C'est dresse pour leur maître, des amis d'un dévoue-
chose que l'amitié, si grande qu'aucun dis- ment et d'une constance à toute épreuve, s'es-
cours ne peut l'apprendre ni l'expliquer timaient heureux d'embellir de leurs vertus
Celui qui aime ne veut ni commander ni do- sou épiscopat et d'alléger, en les partageant, les
miner, est plus heureux d'obéir. Donner lui
il peines q ni commençaient à l'assaillir. Plusieurs
est plus agréable que recevoir, car il aime et il furent persécutés à cause de lui et devinrent
ne rassasie jamais le désir qu'il a de donner. lesmartyrs de l'amitié autant que du devoir.
Il jouit avec moins de plaisir du bien qu'on lui Parmi ces hommes privilégiés qui eurent une
fait que de celui qu'il fait lui-même. Plus ja- plus haute place dans ce noble cœur, on compte
loux d'être le créancier de son ami que son Héraclide, qui fut évêque d'Ephèse saint Pro- ;

débiteur, il veut néanmoins être son débiteur dus, qui monta sur le siège de Couslautinople ;
par cela même qu'il est son créancier, rendre Phili|)pe de Side, auteur d'une histoire chré-
service sans paraître le faire et se constituer tieime dont nous n'avons plus qu'un fragment ;
l'obligé de celui qu'il oblige... L'homme sans llellade, aumônier du palais impérial ; l'ascète
amitié reproche ses bienfaits, exagère ses moin- Philippe, chargé de la surveillance et de la di-
dres faveurs. L'ami cache les services rendus, rection des écoles ; Germain et Cassien, qui,
en ëissimule l'importance, et semble tout do- ' Chrjs., tur la Ite aux Theital., Bom, 2, a. 3 et 4.
S82 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHliYSOSTUME.

tous les deux, accourus de l'Occident pour étu- voir, et qu'il fût plus doué de franchise et de
dier la \ie monastique à sa source même, dans probité que de douceur. Mais l'estime constante
la Palestine et l'Egypte, n'avaient pas tardé à de Jean le couvre suffisamment contre les allé-
se rendre à Byzance pour admirer ce grand gations sans preuves de quelques écrivains pas-
pontife à la bouche d'or, et se ranger sous sa sionnés ou mal instruits, qu'il a d'ailleurs no-
discipline; Pallade, qui nous a laissé de pré- blement et glorieusement réfutés par sa lidélilé
cieux détails sur son illustre ami ; Eutrope, qui invincible à la vérité et au malheur. Le seul
mourut pour son maître Anlhémius, ancien '
; crime de Sérapion, c'était la faveur d'une
ami du solitaire Aphraate, consul, préfet d'O- grande amitié, et l'envie se chargea de le lui
rient, gouverneur du jeune Théodose, qui sut faire expier. La calomnie, timide d'abord, s'es-
donner à l'empire, entre deux règnes impuis- saya sur le disciple avant de monter jusqu'au
sants et malheureux, quelques jours de paix et maître mais elle n'aboutit qu'à placer dans
;

de grandeur Sérapion, Tigrius, Marc, solitaire


;
une plus vive lumière les vertus de l'un et de
illustre, et plusieurs autres. L'historien Socrate l'autre. L'archidiacre de Constantinople, élevé
reproche à Chrysostome l'amitié de Sérapion au siège d'Héraclée, glorifia courageusement
comme une faiblesse funeste qui déchaîna con- dans l'exil et dans les tortures le nom de son
tre lui les haines cléricales. Selon ce narrateur, auguste ami, dont la cause et celle de Dieu ne
Sérapion, que Jean avait fait archidiacre de son faisaient qu'un dans son cœur.
église et qu'il honorait d'une confiance absolue, Du reste le pieux dévouement de ses amis,
élait un homme dur, orgueilleux, insolent, qui Chrysostome le payait largement de retour. Il
poussait son évêqueaux mesures les plus acer- les aimait de cette noble et céleste affection
besetseserailemportéunefois jusqu'à luidire, qu'il a si bien décrite. Plus tard, leur pensée
en présence du clergé réuni : Jamais tu ne charmera son exil. Jeté par la tempête aux
pourras gouverner de tels hommes, si tu ne les confins du monde, tout meurtri de ses coups,
mènes le fouet à la main^. Mais Socrate, qui on le verra s'oubliant lui-même, uniquement
se complaît à ses accusations, est justement sensible à leurs maux, les consoler par des
suspect à l'endroit de notre Saint et de ses amis. lettres d'une éloquente tendresse, inépuisable
Jamais Chrysostome, qui porta si loin le respect effusion d'un cœur aussi aimant que délicat.
du sacerdoce et la charité, n'eût souffert qu'un « Eu quelque lieu que l'on me traîne, leur
tel propos fût tenu en sa présence. Il se peut dira-t-il, je vous porte avec moi, je vous con-
que l'archidiacre,aux vertus austères, au carac- temple sans cesse ;
grâce à vous, le désert n'est
tère élevé mais inflexible, qui entrait avec ar- plus le désert. Ni les distances, ni les années,
deur dans les pensées de son chef et mettait sa ni les chagrins n'ont refroidi mes sentiments
gloire à l'aider de son mieux dans l'œuvre in- pour vous, telle est mon amitié que rien ne
grate et difficile de réformer Id clergé il se ; saurait la vaincre, et que, semblable à la
peut, dis-je, que cet homme ne sût pas tempé- flamme dont elle a les ardeurs, elle domine
rer par la grâce du langage la sévérité du de- tout et s'élève toujours plus haut ».
' Pallad,, dial., c. io ; Sozom., I. 8, c. 21. — • Socr., 1. 6, c. 4.

CHAPITRE VINGT-DEUXIÈME.

Chrysostome augmente par de sages réformes les ressources des pauvres. — Il dole Cuiislauiimiple ue uouveaui établissements
de bicnr^isauco. —
11 ne cesse d'exciter la cliurilé individuelle. — 11 voudrait que ciiaque lidèle eût un hospice dans sa mai-
60n. — Il sougc à détruire l'indigence dans sa ville épiscnpale. — Ses paroles sur ce iujil.

Les sages et nécessaires réformes introduites tous les points de vue, et en particulier pour la
par Chrysostome dans l'administration du déconsidération qu'ils jetaient sur le clergé.
temporel de son église, eurent pour premier Déplus, elles créèrent au pontife, dans l'intérêt
résultat de faire cesser des abus i'egrcltablcs à des pauvres, de précieuses ressources, qu'il
CHAPITRE VINGT-DEUXIÈME.

accrut notablement par l'ordre sévère de sa à la pitié publique le nosocomium pour les ma-
:

maison et l'austère simplicité de sa vie. lades, le xenodochium pour les pauvres pas-
Auxtermesdcs constitutions apostoliques,les sants, et Vorphanotrophium pour lesorphclins.
évèques disposaient des revenus Je leurs églises Ce dernier, fondé par saint Zotique, doté par
avec une autorité souveraine, sans être liés Constantin, jouissait de grands revenus. Mais
par aucune autre loi que celles de la justice et si appropriés qu'ils fussent à leur sainte desti-
de la charité. C "était là, suivant saint Ambroise, nation, ces trois hôiiitaux n'avaient pas ua
une des grandes difficultés de l'épiscopat obligé complet rapport avec les besoins et les souf-
de pourvoir dans une parfaite mesure aux né- frances d'une vaste capitale où l'on comptait
cessités du culte sans négliger celles des pau- au moins cinquante mille indigents. Chryso-
vres, et à la substance des pauvTes sans stome entreprit de combler cette lacune, et
oublier l'entretien des clercs '. Plus tard, multiplia les asiles du malheur. Les nouvelles
dans le cours du v' siècle, les canons pres- créations se firent remarquer entre les autres
crivirent la répartition en quatre parts égales, du même genre par une organisation plus par-
dont première pour l'évcque à qui incom-
la faite et une charité plus délicate. Aux prêtres
baient plus spécialement les devoirs et les chargés de les diriger, le fondateur adjoignit
charges de l'hospitalité la seconde à partager
; d'habiles médecins et un choix de personnes
entre les divers membres du clergé suivant la dévouées qui trouvaient, dans un célibat vo-
position hiérarchique et les services de chacun ; lontaire, la liberté de s'immoler sans réserve
la troisième consacrée aux œuvres de bienfai- au service des malheureux'.
sance, et la quatrième à la construction, aux Tout le monde le sait autour du temple de :

réparations, à l'embellissement des édifices re- Jésus-Christ, comme les planètes autour du
ligieux, quelquefois même des édifices civils. soleil qui les vivifie, se groupaient autrefois les
Cest sur la première et sur la dernière que divers établissements de bienfaisance inspirés
pour doter sa ville épis-
saint Basile avait pris par l'Evangile : le brephotrophium pour les
copalededeuxhôpilaux,d'un grand monastère enfants trouvés; le nosocomium pour les ma-
et d'une église magnifique '. « Vous savez, lades ; le xenodochium pour les étrangers sans
écrivailThéodoret au patrice Anatole, que nous asik, le geronlocomium pour les vieillards,
avons employé les revenus ecclésiastiques à l'orphanotrophiitm pour les orphelins, Vargi-
faire des galeries, des lavoirs, des ponts, des rocomium pour les incurables, le ptocheium
aqueducs, des monuments utiles au public. refuge universel des infirmes et des mendiants.
De là vient la pauvreté de nos églises de Phé- Un prêtre, d'une sagesse éprouvée, était placé
nicie L'évéque de Cyr pouvait ajouter que,
' ». à la tête de chacune de ces maisons, et, en
plus pauvre que ces églises, il avait distribué cas d'insuffisance des revenus, y suppléait par
aux indigents ses biens patrimoniaux, sans des appels toujours efficaces à la charité des
garder pour lui ni un champ, ni une maison, fidèles.Souvent de riches particuliers, après
ni une pièce d'argent, ni même un tombeau, avoir dépensé leur fortune à bâtir des hôpi-
rien si ce n'est le grossier vêtement qu'il por- taux, s'enfouissaient eux-mêmes dans la de-
tait». meure des pauvres et passaient leur vie entière
Chrysostome exerçait un droit et remplissait à les servir.
un devoir en soumettante une active surveil- La charité hospitalière estl'honneur du Chri-
lance, àde sévères réformes la comptabilité et stianisme '. Cependant l'Eglise avait vécu trois

l'emploi des revenus de son clergé. Mais les siècles sans ouvrir aux indigents aucun de ces
sommes disputées au luxe et au gaspillage, ou asiles publics si multipliés depuis, soit que sa
prélevées sur lui-même par la pénitence, per- position précaire au milieu d'un monde en»
mirent au généreux réformateur de réaliser nemi rendît la chose impossible, soit peut-être
quelques-unes de ses pensées les plus chères. parun sentiment plus délicat de cette frater-
Et, d'abord, il enrichit la ville impériale de nité touchante qu'elle révélait à la terre.
Tant
plusieurs établissements qui lui manquaient. que dura la persécution, tant que le Dieu sau-
Avec des magnificences de toute espèce. Con- veur n'eut d'autels que dans les catacombes,
stantinople n'avait consacré que trois édifices l'aumône se cacha comme la prière. On visitait
' s. Auibr., dt minUlr., — à domicile les pauvres et les malades. Dans les
offic. I. 2, c. 21. S. Basil,, ep. 372,
etlia ftœfecl. — • Tlitodur., ep. 79. — • /</., ep. 111, 138, 81. • Pall . dial , c. 5. — ' Wall.. Hist de IVcl.. t. 1, p. 398.
S84 HISTOIRE DE SALNT JEAN CHRYSOSTOME.

petites villes, l'évêque remplissaitlui-même ce de leurs mains, et que la croix victorieuse rit
pieux office, et quelquefois recueillait et soi- les Césars à ses pieds, les foules se précipitèrent
gnait sous son propre toit, nourrissait à sa dans le sein du Christianisme, et le nombre des

propre table, les malheureux sans famille et misérables à secourir s'accrut d'une maniera
sans abri; dans les centres de population plus notable, en même temps que la primitive fer-
considérables où les travaux du saint ministère veur se refroidit. La charité anmô)iière, qui
absorbaient davantage sa vie, il parligeaitavec d'nbord suffisait à tout, se sentit écrasée et
les diacres l'administration de la bienfaisance. débordée. On créa les hôpitaux. Une petite-fille
Suivant les constitutions apostoliques, lediacre de Fabius dota du premier établissement de ce
était Vœil, l'oreille, la cœur, ïàme
bouche, le genre la vieille capitale de l'univers, Fablola,
de Vévêque ; il recevait de celui-ci, à la charge devenue veuve, vendit son opulent patrimoine,
de rendre compte, les sommes provenant des et du produit de cette vente bâtit sur les borda
collectes et des offrandes, dressait la liste des du Tibre un vaste hôtel, la villa des convales-
nécessiteux avec mention de l'âge, de la pro- cents, nous dit saint Jérôme, où elle rassembla
fession, de la situation de chacun, s'occupait sa nombreuse clientèle d'infirmes et d'incu-
des prisonniers, des malades, des étrangers, rables dont elle lavait les plaies et préparait les
pourvoyait à tous leurs besoins, et ne devait aliments de sa propre main. Pammaque, de
laisser aucune plaie, aucune larme sans la race consulaire, illustre rejeton des Camille,
panser ou l'essuyer. L'Eglise, qui ne reculait en fit autant à Ostie, et Jérôme, dans la crainte
devant aucun sacrifice pour aller au secours devoir les pieux visiteurs, qui affluaient aux
de la misère, ne souffrait pas que l'aumône saints lieux, condamnés, icomme autrefois
égarée dégénérât en encouragement à la pa- Marie et Joseph, à n'avoir d'autre hôtellerie
resse et au vice. « Celui qui donne àun affligé, qu'une étable, construisit pour eux près du
à un infirme, dit un saint Père, donne à Dieu, berceau sacré du Sauveur un grand hospice
mais celui qui donne à des vagabonds et à des qu'il ne put achever qu'en se dépouillant de
débauchés jette son argent aux chiens '.... Use tout ce qu'il possédait encore ici-bas '. A la
rencontre des malheureux, dit un autre, qui se même époque à peu près, saint Basile élevait
dérobant à la pitié, préfèrent le dénûment à aux portes de Césarée sa célèbre Basiliade, où
l'humiliation d'une demande publique; voilà non-seulement les voyageurs recevaient l'hos-
ceux qu'il faut deviner et sauver de leur déses- pitalité, les malades des soins et des remèdes,

poir ignoré'.... Celui, ajoute un troisième, que mais où les ouvriers sans travail trouvaient des
le mal tient captif dans une chétive et sombre ateliers de tout genre et un emploi lucratif de
demeure, ou sur la paille de quelque étable, leur temps '. o Non, disait saint Grégoire, je
attend au milieu des angoisses le bienfaiteur ne sais rien d'égal à ce lieu de miséricorde,
inconnu que Dieu lui destine, comme Daniel ni la fameuse Thèbes aux cent portes, ni
attendait le prophète Habacuc dans la fosse aux les murailles de Babylone, ni les pyramides
lions. Révélez-vous par l'aumône à cet autre d'Egypte. Pou r moi rien n'est ad mirable comme
Daniel '». Ainsi, la charité n'entendait sup- cette voie raccourcie du salut, cette rampe
pléer qu'aux impuissances du travail, mais elle douce par où l'on monte au ciel' ». Le même
y suppléait avec une tendre sollicitude de mère. sentiment excité par les mêmes nécessités se
Ingénieuse et féconde, elle allait au-devant des manifesta partout de la même manière, et
souffrances, aimant mieux les détruire dans bientôt, sous le nom d'hospices, s'élevèrent de
leurs causes que les combattre dansleurs effets, toutes parts ces merveilleux palais de la charité
et s'appliquant surtout à être délicate. Assister où elle convie à sa table les plus déshérités
l'indigence n'était à ses yeux qu'une partie de d'ici-bas, et leur assure une couche, du pain,
ses devoirs ; elle voulait relever le pauvre de sa des trésors de consolation et des légions d'anges
déchéance, guérir le riche de son égoïsme, les pour les servir.

rapprocher dans une fraternité sainte, réaliser En dépit des bienfaits et des pieux monu-
la divinepensée du Rédempteur : l'unité par ments dont a couvert le monde, la cha-
elle
la charité. rité hospitalière a trouvé des contradicteurs.

Quand la bacb* des persécuteurs fut tombée


'
S. Hieron., ep. ad Abigaûm, t. 4, ail. part., p. 588. — '8. Bu.,
'8. Btsil., ep. 1!1, ad ImpAtt > S. Lm, é» tùUeet. — ep. Heliœ prœfect. ; Sozom., 1, 6, c. 34. — * S. ai«(«r. Mn., traU
'8. Gjil. Nynea., orat. dtpauptr. tmand. <H laud. Basitii, t. 1, p. 811.
CHAPITRE VINGT-DEUXIEME. 285

Onliiiaroprodiéd'enconngerrimprévoyancc, que la Providence, en nous donnant la fortune,


d'affaiblir l'esprit île famille, d'ôter à la misé- a voulu que nous en fussions les dispensateurs

ricorde par la publicité une partie de sa déli- et les économes bien plus que les maîtres, de
catesse et de son prix. Reproches plus spécieux sorte que l'absorber tout entière pour notre
que fondés ; car, si elle n'est pas sans quelques usage personnel, c'est forfaire à notre mission,
inconvénients, en revanche, que d'abus elle c'est agir en comptable infidèle, c'est fouler

prévient, que d'oublis elle empêche, (jue de aux pieds les droi's de Dieu et les intérêts de
ressources elle utilise! Que d'infortunes elle notre âme, les préceptes les plus sacrés de la
presse sur son cœur, sans elle vouées au plus religion aussi bien que les loii les plus fonda-

affreux désespoir 1 Que d'immol.itions tou- mentales de la société.

chantes et sublimes elle a inspirées Sur celte 1 Toutefois, et c'est une chose digne de re-
terre d'égoïsme et de douleur, que de prodiges marque, l'évêque de Constantinople se montre
dignes du ciel elle a fait éclore 1 N'eùt-elle pro- plus préoccupé que l'orateur d'Antioche de la
duit que Vincent de Paul et ses Sœurs grises, charité hospitalière. Il voudrait qu'indépen-
quelle admirable réponse aux novateurs qui damment des établissements publics qui lui
la dénigrent! Quoi qu'il en soit, elle avait sont consacrés, il y eût dans chaque maison
pris dès la première moitié du iv' siècle un riche un petit hospice, c'est-à-dire unechambre
essor considérable; mais, par l'effet des dissen- consacrée aux malheureux, asile voilé delà
sions religieuses et sous la compression fatale pitié fraternelle, où l'indigence timide pût s'a-

de l'Arianisme, la ville de Constantin était briter, être secourue sans avoir à déclarer ses
restée sous ce rapport en arrière de bien des abaissements et son désespoir devant la cité
cités moins importantes. Chrysostome la releva tout entière. Après avoir rappelé ce passage
de cette infériorité, et, par de nouveaux éta- des Actes : Quelques-uns des chrétiens de Cé-
blissements, compléta les riches joyaux de son sarée vinrent aussi avec nous, emmenant un
brillant diadème. Comme le grand évê(iue de ancien disciple, nommé Mnason,
originaire de
Césarée, comme le pape Anastase, il puisait Chypre, chez qui nous devions loger \ Chry-
dans sa pauvreté ses pri nci pales ressou rces. Son sostome continue ainsi a Que saint Paul nous :

éloquence et la piété des fidèles faisaient le reste. demande l'hospitalité, allez-vous me dire, ej
AConslantinople, en effet, ainsi qu'à Antioche, nous l'accueillerons avec bonheur. Et moi, ja
il commente habituellement ces paroles de vous dis En repoussant de votre porte le
:

l'Evangile : o Faites-vous des amis au moyen pauvre, c'est le Maître de Paul que vous re-
des richesses du monde». Et
fond de son le poussez, car c'est lui-même qui a prononcé
enseignement grande doc-
est toujours cette cette parole Celui qui reçoit l'un de ces plus
:

trine, l'essence du Christianisme, en vertu de petits memoi-même*. Oui, plus notre


reçoit
laquelle l'homme doit voir dans l'homme un il est vrai que Jésus-Christ
frère est petit, plus
autre lui-même, dans le malheureux un autre vient à nous avec lui. Dans l'accueil que nous
Jésus-Christ, dans l'aumône une partie du culte faisons à des personnages considéralea, nous
qu'il doit à Dieu, la plus sûre expiation de ses n'avons souvent pour mobile que la vanité;
fautes, la condition indispensable de son salut. accueillir ceux que le monde dédaigne, c'est
En présence d'une cour sans entrailles qui fait agir pour Jésus-Christ seul Il ne tient qu'à toi !

de premier talent et de la fortune


la servilité le de recevoir Père même de Jésus-Christ, et tu
le
la plus haute vertu, il éprouve le besoin de le refusesl Rien que celui qui implore ton
répéter et il répète avec plus de force que : hospitalité ne soit pas saint Paul, c'est un
c'est Jésus-Christ qui, dans le pauvre, souffre fidèle , c'est un frère et, fût-il le dernier des
,

la faim, la soif, la nudité, les privations de hommes, il t'emmène avec lui ton Sauveur;
toutes sortes, tend la main au riche pour lui ouvre donc ta porte.... A ceux qui repoussent
ménager le mérite de venir à son aide et de lespauvres le Seigneur a proparé des châti-
se faire son consolateur; que dédaigner, re- ments; à ceux qui les accueillent, des hon-
pousser l'indigent, c'est dédaigner Jésus-Christ neurs ce qu'il n'eût pas fait si, dans la per-
:

lui-même, repousser le pardon et la grâce, se sonne des pauvres, il ne se ientait outragé ou


fermer la porte du que Dieu mesure sa
ciel; honoré lui-même. Tu m'as reçu dans ta mai-
miséricorde à la nôtre que prodiguer au gré
; son, nous dit-il. Je to recovrai dang le palais

d« la charité, c'«st thésauriser pour l'^toruité; •Act.,<. ai.T. 1S. - Uttlh., 41, t.
-286 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

de mon Père tu m'as sauvé des tourments


; table, une lampe. N'est-ce pas étrange d'avoir
de la faim, je te sauverai de tes péchés Tu un logement pour les soldats qui passent, do
m'as donné du pain, je te donnerai un empire prendre d'eux le plus grand soin, de leur
et il sera ton héritage et ta possession Tn donner tout ce qu'ils réclament, et cela parce
m'as soignéen secret, moi, je te louerai devant qu'ils écartent denous le fléau de la guerre, et
tout lemonde; ce que tu as fait pour moi je le de refuser un abri à nos frères malheureux?
regarde comme une faveur, ce queje fais pour Sois plus charitable que l'Eglise. Veux-tu nous
toi est l'acquit d'une dette.... bénies les mains couvrir de honte? surpasse-nous en libéralité.
qui s'emploient à servir les pauvres, à servir Réserve un coin de ta maison pour Jésus-
Jésus-Christ lui-même ! Les pieds qui se trans- Christ, et puisses-tu dire : Voici la cellule du
portent dans les cachots pour l'amour de Jésus- Seigneur; si chétive qu'elle soit, il veut biea
Christ mépriseront lestortures de la géhenne; ne pas la dédaigner. Le Christ nu, sans asile,
les mains qui ont allégé les chaînes de Jésus- erre çà et là il implore un toit pour la nuit.
:

Christ ne seront jamais enchaînées. Tu lui as A du moins accorde celte grâce. Ne sois pas
lui

donné un vêtement pour se couvrir, il te revê- inhumain, ne sois pas cruel; et avec tant d'ar-
tira de grâce et de gloire; tu es descendu dans deur pour les choses du siècle, ne reste pas de
sa prison^ tu monteras près de son trône... Le glace pour celles de l'éternité. Donne au plus
patriarche ne savait pas que ses hôtes étaient fidèle de tes serviteurs la mission de rechercher
des anges, et cependant il n'hésita pas à les re- les estropiés, les mendiants, ceux qui n'ont ni
cevoir sous son toit. Assis à sa porte à l'heure feu ni lieu, pour les recueillir. Je ne te dis pas
de midi, il ne possédait pas un pouce de terre, de les loger en haut, dans les beaux apparte-
mais voyageurlui-même, ilaccueillaitlesvoya- ments : il le faudrait mais si tu ne le veux pas,
;

geurs, car il était déjà citoyen des cieux.... loge le Christ en bas avec tes esclaves, avec tes
Imitons ce saint homme... Cherchez avec soin mulets. Tu frémis
peut-être en m'entendant
ceux qui ont besoin de votre aide assis à votre ;
ainsi parler, et cependant cette triste faveur,
porte, accueillez ceux qui viennent à vous, et, le Christ ne l'obtient pas de toi Je vous y ex- !

s'il vous est impossible de leur donner asile horte, je vous le recommande, songez sérieu-
sous votre toit, fournissez- leur autrement les sement à cela. Si ma proposition vous déplaît,
choses nécessaires. —
Quoi l'Eglise ne peut- ! procédez autrement. Il y a dans la ville bien
elle subA'enir à ces nécessités? Sans doute, — des pauvres de l'un et de l'autre sexe. Choi-
mais que t'importe? Si l'Eglise se charge de sissez-en un et faites-le rester chez vous. Que
nourrir tous les pauvres, quel avantage y le pauvre soit du moins le gardien de votre
auras-tu?.... — Mais je donne à celui qui ne maison. Qu'il en soit le bouclier, la lance, le
peut s'adresser à l'Eglise. Eh bien! soit, — rempart. Où réside la charité, le démon n'ose
donne à celui-là du moins. Ce que nous vou- venir, le mal n'ose approcher. Ne méprisez pas
lons, c'est que tu donnes.... Saint Paul disait : un tel avantage. Quoi I vous avez sous votre
Fournissez aux veuves vraiment veuves ce qui toit des places assignées à vos chars, à vos bas-
leur est nécessaire pour vivre, afin que l'Eglise ternes, et il n'y en a aucune pour Jésus-Christ
ne pas surchargée '. Fais comme tu vou-
soit pauvre et errant! Je ne vous prescris pas
dras, mais fais quelque chose, et je ne dis pas, de tuer le veau gras; donnez du pain à celui
afin que l'Eglise ne soit pas surchargée, mais qui a faim, des vêtements à celui qui est nu,
afin que tu ne sois pas écrasé toi-même. Si tu un asile à celui qui n'en a pas '...

laisses tout faire aux ministres du Christ, que Mais Chrysostome aspirait à plus que cela. Il

te reslera-t-il à faire?.... — Mais, poursuis-tu, àConstantinoplecequeles


se flattait de refaire
l'Eglise a des ressources : elle a de l'argent et ApôtresavaientfaitàJérusalem. Ce noblecœur,
des revenus. N'a-t-elle pas aussi des charges? plein d'une foi sans bornes à l'Evangile, brû-
N'a-t-elle pas à dépenser chaque jour? Pour- lant de la passion du bien, se réfugiait volon-
quoi ne pas venir en aide à sa médiocrité? Je tiers dans ces grands souvenirs de l'Eglise nais-
rougis d'avoir à tenir ce langage. Du reste, je sante, comme pour s'y consoler du spectacle
ne vous contrains à rien. Maissitu penses qu'il aliject et triste qu'il avait sous les yeux. De là,

y a dans cet enseignement quelque utilité, des moments de pieux éblouissement pendant
établis ciiez toi un hospice : places-y un lit, une lesquels il croit voir renaître et fleurir, à sa
I ai Timath., S. * Cbr;3., ffom. 45, sur les Act. a, 2 et 3.
CHAPITRE VINGT-DEUXIftME. â87

voix, les tonclianlcs incrveilles d'union et de douleur, comme la mort, ce terrible ennemi
un ccnime une qui sera détruit le rfe/Hier ', l'indigence ne dis-
charité qui apparurent instant,
belle et fugitive vision, aux pieds du Calvaire jiaraîtra du milieu des hommes que lorsque
encore tout fumant du sang rédempteur, alors l'œuvre divine de la réparation sera complète,

que la multitude des croyants n'avait qu'un et que le Christ, notre vie, apparaissant dam
cœtir et qu'une dt7ic, et que. nul ne considérant sa puissance, nous apparaîtrons avec lui dans
comme étant à lui ce qu'il possédait, tnul leur sa gloire*. Jusque-là, et en attendant d'être
étant commun, il n'y avait plus indigent par- d affranchie de la servitude de la corruption,

mi aix\ C'était là l'idéal, ou, si l'on veut, le toute créature est affligée et en proie aux dou-
rèvedesacliarité! Et, toutefois, gardons-nous leurs de l'enfantement pourquoi le Sau-
'. C'est

de voir dans cet esprit supérieur une espèce veur disait à ses Apôtres laveille de sa passion :
d'utopiste sentimental à la poursuite de chi- Moi, vous ne m'aurez pas toujours; mais des
mères ridicules ou menaçantes. Chrysostome pativres, vous en aurez toujours avec vous *.

est un Saint, c'est-à-dire un de ces hommes de on ne peut prêter à Chrysostome l'ab-


Certes,
foi et d'amour qui portent si loin la confiance surde pensée de donner un démenti à son
en Dieu et le dévouement à leurs frères, qu'ils maître. Convaincu que le mal doit subsister
osent tout tenter, tout espérer, même les pro- jusqu'à la fin de? temps, il sait aussi que l'E-
diges, et desquels le Seigneur a dit par la bou- vangile a mis à côté du mal le remède, et que
che du Prophète : « J'enivrerai l'âme de mes le seul remède efficace de l'indigence est la

prêtres, et mon peuple sera comblé de mes charité. L'antique Eden à jamais perdu, l'éga-
biens'». Jean fut favorisé de cette divineivresse, lité primitive à jamais impossible, il veut que
et il grande* pensées, ses saintes
y puisait ses
du moins la charité en soit parmi les exilés du
audaces, ses ilhb-ionsmême, sublimes illusions Paradis comme un pieux reflet, comme une
que rien ne pouvait étonner ni décourager. ombre bienfaisante ; il veut ôter à la misère
La pauvreté affli^'era toujours la terre, parce son désespoir, à la fortune son égoïsme, com-
que le péché la souillera toujours. Ces falla- bler eu partie, à force de dévouement et d'a-

cieuses théories qui nous la montrent vaincue, mour, l'intervalle qui séparelerichedu pauvre,
anéantie, faisant place à la parfaite égalité et au tempérer, mais sans violence, sans blesser
bien-être universel, sont fondées sur la néga- aucun droit, cette distribution des biens ter-
tion de la chute originelle, c'est-à-dire d'un restres qui sera toujours et nécessairement iné-
fait qu'on ne peut nier sans nier du même coup gale, trouver enfin une solution, non générale
le Christianisme, l'histoire, les lois les plus évi- et absolue, mais partielle et locale au doulou-
dentes de l'humanité. Et quelle est donc la puis- reux problème du paupérisme toujours posé,
sance ici-bas capable de lutter avec succès con- toujours ajourné, toujours menaçant. Cette
tre cet arrêt de déchéance sous lequel gémit la solution, objet de ses vœux et de ses pensées,
nature humaine? En détruisant, quant à ses il croyait l'avoir donnée à Anliocbe, quand il

conséquences éternelles, l'anathème qui frap- proposait aux riches de la cité de se partager
pait la race d'Adam, le Dieu fait homme en a entre eux, d'un commun accord, la tutelle et
laissé subsister les conséquences temporelles. l'assistance des indigents. «Quoil s'écriait-il,
La grâce descend du Calvaire, relève l'homme se livrant à des calculs dont la charité lui four-
tombé, lui ouvre, avec des trésors de pardon, nit leséléments plus que la statistique, les
les perspectives d'une nouvelle vie, d'une ère pauvres, vraiment pauvres, forment parmi
glorieuse où il trouvera le bonheur avec l'im- nous, le dixième à peu près, de la popula-
mortalité; mais jusqu'au jour où il sera entré tion le reste vit dans l'opulence ou tout au
;

en possession de la plénitude dcsi)romesses, et moins dans une honnête aisance. Eh bienl


selon l'expression de saint Paul, de la liberté et que tous ceux qui jouissent d'une certaine for-
de l'adoption des enfants de Dieu ', il doit tune, grande ou moyenne, se distribuent les
traîner le poids des misères, des souffrances, malheureux qui manquent de pain et de vête-
de la inégale des biens et des
distribution ments combien serez-vous pour suffire aux
;

maux, payer à la tombe son tribut. La ré-


et besoins d'un seul? Voyez l'église avec des res- :

demption proclamée sur la croix, assurée par sources incontestablement très-restreintes, que
elle, ne sera consommée qu'au ciel. Comme la

I ad Corinth., c. 15. i. 26. — ' Ad Colon., c. 3, ï. i. — '
^4
'Art., c. 4. — • Jércm., 31, ». 11. — '-ld/}om.,c. », t. 21 et 2Î. Rom., c. 8, V. 21 ;t22. — • Matth., 2S, ir.
283 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME,

de veuves et de vierges elle nourrit tous les épuisée ? — Et pensez-vous qu'elle le soit ja-
jours Le nombre inscrit dans nos registres
1 mais? La grâce de Dieu ne se répandrait-elle
s'élève à trois mille, sans compter les estropiés, pas mille fois plus abondante ? Quoi donc de 1

les malades, les prisonniers, les serviteurs de la terre ne ferions-nous pas le ciel ? Si trois
l'autel, et tant d'autres qu'elle accueille, qu'elle mille, cinq mille disciples ontopéré ce prodige
vêtit, qu'elle fait manger. Si dix d'entre vous autrefois sans qu'aucun d'eux se soit plaint de
voulaient donner ce qu'elle donne, il n'y au- l'iniligence, n'en serait-il pas de même, à plus
rait plus un seul indigent délaissé dans notre forte raison,dans une multitude si considéra-
ville...., et même, par la grâce de Dieu, nous ble? Les étrangers eux-mêmes voudraient con-
pourrionssecourir les pauvres de dix villes' ». tribuer à cette belle œuvre. La division des
A Conslantinople, où malgré l'assistance de ressources est une cause de pauvreté... On vit
l'Etat, les ravages de la misère sont bien plus dans les monastères comme vivaient autrefois
grands, l'orateur ponlife s'avance un peu plus. Personne y est-il mort de faim? N'y
les fidèles.
Expliquant le célèbre passage du livre des a-t-on pas tout à profusion? Et cependant on a
Actes Us n'avaient qiiun cœur et qiCnne âme
: plus peur aujourd'hui d'une pareille idée que
et tout était commun entre eux, il s'exprime du plus épouvantable naufrage Si nous sa-t

ainsi : vions les avantages qui s'y attachent, nous nous


«Aujourd'hui encore, si cela se faisait, nous déciderions hardiment à la réaliser. Quel bien
vivrions plus contents, riches et pauvres, et les ce serait! Car, si, au temps des Apôtres, un
pauvres n'en auraient pas plus de bonheur que petitnombrede croyants, destitués de secours,
les riches. Traçons le tableau, si vous le voulez, environnés d'ennemis, ont pu réussir, n'est-ce
de cet heureux état, et jouissons-en par la pa- pas plus aisé, maintenant que, par la grâce de
role, puisque vous ne voulez pas en jouir en Dieu, il y a des Chrétiens partout sur la terre?

réalité. Ce qui se passa du temps des Apôtres Qui voudrait rester idolâtre? Personne assuré-
prouve clairement que ceuxqui vendaient leurs ment, tant nous attirerions tout le monde Du !

biens ne tombaient pas pour cela dans le dé- resie, si nous entrons dans cette voie, j'espère,
nûment; ils transformaient les pauvres en ri- Dieu aidant, atteindre le but. Obéissez-moi, et
ches sans devenir pauvres eux-mêmes. Du tout s'accomplira heureusement et avec ordre,
reste, décrivons cet ordre de choses. Que tous et si le Ciel me donne vie, je n'en doute pas,
vendent tout,et que l'argent de ces ventes soit nous verrons ici ce qu'on vit autrefois à Jéru-
misen commun. Je ne fais qu'une supposition salem ». '

oratoire; que nul ne s'alarme. A votre avis, L'espoir de Chrysostome fut trompé. Le vent
combien d'or réunirait-on de la sorte? Pour de l'exil emporta dans la même rafale ses pen-
moi, je présume, car il ne peut y avoir là-des- sées et sa vie. La Providence lui refusa le temps
sus aucune certitude, que si chacun apportait d'un effort sérieux en faveur d'un projet au
ici ses capitaux, s'il faisait l'abandon de ses succès duquel il attachait tant d'importance,
champs, de ses maisons, de tout ce qu'il pos- mais oîi nous ne pouvons guère voir que l'as-
sède —
je ne parle pas des esclaves, il n'y en piration généreuse d'un cœur aimant trompé
avait point alors parmi les disciples ou ils par la beauté de ses intentions et la grandeur
avaient été affranchis, on arriverait à un— même de sa charité. A nous en tenir aux paro-
million de livres d'or, peut-être à deux ou trois. les citées tout à l'heure, il est difficile de saisir
Car, dites-moi, quelle est la population de cette le vrai dessein du pieux orateur. Evidemment,
Combien supposez-vousqu'elle renferme
ville ? il ne compte pas faire de la seconde Rome, si
de Chrétiens? Cent mille Combien de Juifs ? ! fière de ses palais, de ses thermes, de ses
Combien de Gentils? Quelle masse d'or on ob- théâtres, de sa corne dorée, un monastère.
tiendrait Mais quel est le nombre des indi-
!
Espère-t-il du moins que, parmi les Chrétiens
gents? Je ne pense pas qu'il aille au-delà de amollis de Byzance, en trouvera quelques
il

cinquante mille. Qu'il serait aisé de pourvoir milliers prêts à renouveler les merveilles de
à leurs besoins de chaque jour! 11 en coûterait renoncement et de sainte fraternité qui illus-
moins de les nourrir en commun des mêmes trèrent le berceau de l'Evangile ? On pourrait
aliments. — Mais, répliquez-vous, qu'allons- supposer avec plus de probabilitéque sa pensée
nous devenirquandla somme de cesbienssera n'était autre que de fonder, au moyen d'obla-
» Chrjs , B^m. 66, sut S. Malth., s. 3 et 4. •Chsp., MAçt., Bom. 11.
CllAPlTUE VINCT-TROISIÈME. 289

lions Tolontaires et annuelles, une grande ses vœux les plus ardents, sans espérer l'attein-
caisse de prévoyance, laquelle, aussi sagement dre, c'est la merveilleuse fraternité de Jérusa-
administrccque richemcnldoléo, eùtsuffi non- lem, où l'élan delà charité porté si loin n'alla
seulement à réparer les ravages de l'indigence, jamais jusqu'à l'anéantissement des droits et
mais à en détruire la plupart des causes en des rapports de la propriété. En supposant au
allant aunlevant des circonslanccs malheu- saintdocteur le temps de mûrir et de mettre à
reuses qui la produisent, Tàge, la maladie, le exécution ses pensées, eùt-il réussi? Nous pou-
manque de travail, en sorlc (ju'en aucun cas, vons en douter mais certes c'eût été une
;

aucune famille, aucun individu n'eût été abui- chose digne de l'inlérêt de la postérité et une
donné au désespoir de la faim ni à l'avilisse- grande leçon pour elle que cette lutte d'un
ment de la misère. homme supérieur, plein de l'esprit de l'Evan-
Toutefois, si cette idée fut la sienne, il faut gile, contre les terribles difficultés de ce pro-

en convenir, elleressort peu clairement de son blème du paupérisme suspendu comme un


langage. Peut-être qu'en évoquant devant son glaive sur la tôle de la société moderne, sans
auditoire ce touchant souvenir de l'âge d'or de qu'ellepuisse avancer ni reculer gouffre béant :

U foi, il ne voulait que montrer par un grand qui donne le vertige aux plus fermes intelli-
exemple ce que peut une grande charité. Ses gences, sphinx menaçant qui dévorera des
vrais projets, i?'il en eût de bien arrêtés sur peuples avant de dire son dernier mot, cap des
l'extinction de l'indigence, nous sont restés tempêtes placé sur le chemin de l'humanité
inconnus, et il serait aussi injuste que témé- qui semble ne le pouvoir doubler qu'avec des
raire de lesjuger par les quelques mots qui lui périls immenses et des naufrages dans le sang.
échappent ici dans un discours improvisé et Sera-t-il jamais résolu ? S'il a une solution, elle
tout d'entraînement. En tout cas, même dans est etne peut être que dans l'Evangile. Malheur
ces quelques mois, rien ne rapproche Chry- à qui la cliercherait adleurs Quoi qu'il en soit,I

sostome de ces malheureuses Uiéories, déjà n'hésitons pas à le dire, les germes de toutes
signalées à cette époque par Clément d'Alexan- les bonnes et grandes choses d'ici-bas ont passé
drie', dont l'application, sous une forme ou par les mains des grands ouvriers de la foi.
une autre, serait l'absorption de toute liberté, Leur regard, éclairé par la charité, a sondé
de toute dignité personnelle, de toute indivi- tous les horizons du monde moral, et partout
dualité par une dictature monstrueuse substi- ils ont répandu à flots la lumière. Leur doigt a
tuée à la famille, à l'homme, à la Providence. indiqué de loin, à travers les âpres sommets et
Tout dans les projets de l'évêque de Constan- les sombres précipices, la véritable route du
tinople roule sur l'idée d'association libre et progrès ; et toutes les aspirations généreuses,
fondée sur l'esprit de pauvreté, l'abnégation de tous les vœux nobles et féconds pour le bon-
soi-même, le dévouement à ses semblables, heur de l'espèce humaine sur la terre, sont
l'amour de Jésus-Christ et des hommes dans le partis de ces cœurs qui semblaient n'appeler
cœur de Jésus-Christ. L'idéal qu'il poursuit de et n'apprécier que le bonheur transcendant des
* Stiofflal.,1. 3, init. cieux.

CIIAPlTPtE VINGT-TROISIÈME.

Obstacles rencontrés par Chrysoslome. — Supersliiions. — Hérésies. — Niivalicns — Sisinnin?. — de pénitence. ~


Efficacité la

Souïiiiifs iiali.ns dans les funérailles chrélicnncs. — Avarice corruption de cour. —


et la —l.iisi; attaque
elTréiié. Chrysoslciiiic

viTemeot les vices des grands et des riches. — Petit nombre des — Murt tragique rtiippoJronic. — Alleclioa du peuple
élus. à
poor son évèqne.

Subvenir aux besoins des pauvres, étendre, du pontife. Les misères morales demandaient
affermir, organiser les bienfaits de la charilé, pour être combattues des efforts plus constants
n'était pas la seule ni la plus difficile tâche et plus ingrats. Dans une ville qui comptait

S. J. Cn. — ToiiB I. 19
290 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

parmi ses habitants beaucoup de païens et de d'ignorance et de superstition. De toutes ses


juifs, où, chez les Chrétiens eux-mêmes, de forces, il s'applique à inculquer dans lesesprits

nombreux souvenirs du paganisme, lie impure cette grande vérité, fondement de tout ordre
déposée par les siècles, infectaient encore les moral et civil, que la Providence, en gouver-
âmes et les mœurs, en présence d'une cour nant l'humanité, laisse à chaque homme son
vénale, corrompue, concussionnaire, aumilieu libre arbitre et l'entière responsabilité de sa
d'un clergé mondain, intrigant, servile, le vie; et c'est pourquoi, toutes les fois qu'il en
zèle de Chrysostome rencontrait à chaque pas trouve l'occasion, il frappe à coups redoublés
des abus à signaler, des réformes à opérer, des sur les doctrines de Marcion, de Manès, de
obstacles à vaincre. D'ailleurs, l'indépendance Valentin, sur toutes celles qui portent atteinte
évangélique de son langage et l'austérité de sa directement ou indirectement à la dignité, à la
vie, qui parlait plus haut que ses discours, ne libertéde l'homme, à l'autorité de la con-
tardèrent pas à exciter autour de lui de sourdes science. Avec le même zèle infatigable, il at-
rumeurs de mécontentement qui devaient écla- taque dans leurs enseignements Sabellius,
ter bientôt en coups de tonnerre. Mais qu'im- Photin, Marcel d'Ancyre, Paul de Samosate,
portaient à l'intrépide orateur ces menaces Macédonius, Eunomius et cette foule d'héré-
lointaines de la tempête ? N'avait-il pas au fond siarques dont les sophismes n'étaient pas sans
de sa conscience, dans le sentiment de sa mis- danger pour un peuple d'une imagination mo-
sion, un invincible appui? De plus, il voulait bile, d'un esprit paradoxal, se plaisant aux

ardemment la sanctification et le bonheur des chicanesdc l'argumentation, au milieu duquel


âmes confiées à ses soins, et, dans la poursuite l'Arianisme avait si longtemps et si tristement
de ce noble but, il était prêt à tout faire, à tout prévalu. D'ailleurs, les discussions théologi-
souffrir. Le peuple encourageait de son affec- ques, loin d'être renfermées dans le sanctuaire,
tion le dévouement d'un pasteur en qui il se intéressaient et souvent passionnaientlesfoules
plaisait à voir, non pas seulement un guide elles-mêmes, à une époque oîi les livres saints,

spirituel, mais un protecteur illustre et puis- lus et exphqués à l'église, lus et médités dans
sant, l'ange tutélaire de la cité. Sans trop les familles, étaient connus de tout le monde,
compter sur un élément aussi fugitif que la à ce point qu'il n'était pas rare de trouver des
faveur populaire, Jean s'abandonnait à son laïques qui les savaient par cœur. L'église qui
s uffle, qui, pour lui, se confondait avec l'in- couvrait d'un voile impénétrable aux profanes
spiration du devoir. Jamais elle ne fut le prix les mystères sacrés de la liturgie, ouvrait ses
d'une aveuglecomplaisance ou d'une faiblesse. portes à tout le monde pendant la prédication.

// rendait témvirinage à Dieu devant les rois Juifs, dissidents, païens, attirés par la réputa-
et devant peuples S disant à tous la vérité
les tion d'unorateurou par l'amour de la contro-
avec la même énergie et travaillant, sans mé- verse, venaient s'asseoir à côté des fidèles
nagement comme sans relâche, à arracher des rangés par ordre dans la vaste nef, les hommes
àmesces préjugés, ces erreurs, ces habitudes d'un côté, lesfemmes de l'autre, les personnes
qui, venues du paganisme, étaient dans le sein plus âgées au premier rang, tandis que les
môme de l'Evangile une cause permanente diacres allaient et venaient pour maintenir le
d'abaissement, de dégradation, de souffrance silence et recommander l'attention '. La mé-
même et de pauvreté. thode de Chrysostome est toujours la même :

A Constantinople, en effet, aussi bien qu'à il explique le texte sacré verset par verset a
Antioche, une multitude d'usages d'origine mesure qu'il est lu au peuple du haut de l'am-
idolâtrique survivaient à l'idolâtrie. Les rives bon, s'attachant de préférence au sens littéral,
du Bosphore comme celles de l'Oronte foison- et tei-minant chaque discours par une exhor-

naient en mauvais Chrétiens obstinés à croire tation morale proportionnée aux besoins de
auxaugures, aux sortilèges, à l'astrologie ob- ; son auditoire qu'il connaît parfaitement. Ab-
servant conjonctions des astres à la nais-
les sorbé par les travaux d'une grande admini-
sance de leurs enfants, portant de ridicules stration, surtout par les solliciludesde lacharité
amulettes, se couvrant de signes cabalistiques, dans une ville où la misère fait tant de victi-
recourant aux sorcières, aux devins, à la ma- mes et réclame tant de dévouement, il a, bien

gie. Chrysostome rougissait pour eux de tant moins qu'à Antioche, le temps de se recueillir
'
Ac;., c. 9, ». IS,
* Cbrys-, sur les Act-, Bom, 19, ii. 5*
CHAPITRE VINGT-TROISIÈME. 901

et de mMitoravant d'aborder la sainte liibune ;


cesse dans la tè(e
du peuple, la remplissaient
mais ce défaut de préparation, sensible pour d'une confusion
telle que les docteurs du
,

ceux qui lisent anjourd'imi ses discours, ne Christianisme avaient la plus grande peine à
l'était pas pour ses auditeurs captivés et char- faire pénétrer la lumière dans ce chaos. Delà,
més par cette parole toujours all'ectueuse et pour l'orthodoxie des masses, un grave péril, et
souvent éloquente dans sa népli^ience. Sans pour les pasteurs, l'obligahon de multiplier
étalage d'érudition, sans acrimonie ni séclie- leurs efforts pour maintenir au milieu de ce
resse, avec une admirable simplicité, où la pêle-mêle de sophismes et de doctrines la pu-
sérénité d'une haute raison s'unit à l'onction reté du dogme chrétien, exposée dans bien des
d'une charité sincère et tendre, il poursuit esprits aux plus dé|>lorables altérations.
l'erreur, la démasque, la renverse du piédestal Une secte, entre les autres, inquiétait plus
qu'elle se faisait avec des passades torturés des particulièrement Chrysostome : c'était celledes
saints livres, et présente la vérité d'une ma- Novatiens. Originaire de Rome , elle avait ga-
nière si lumineuse, si saisissante, que l'héré- gné l'Orient, où ses adeptes avaient pris le nom
tique lui-même , irrésistiblement entraîné ,
depuis, usurpé déjà par les Monlanistes, dont
mêle ceux du Adèle.
ses applaudissements à ils quelques er-
faisaient revivre l'orgueil et
Quelquefois ce sont des larmes, des gémisse- reurs. La prétention de ces durs sectaires était
ments qui interrompent l'orateur; il a parlé de rappeler à la sainte austérité de son institu-
du jugement de Dieu, et les sanglots éclatent, tion le Christianisme corrompu, disaient-ils,
de vives protestations de repentir remplissent et perdu par molle indulgence de l'Eglise.
la
l'enceinte sacrée ', les pécheurs émus se Ils excluaienlà jamais de la communion les pé-
frappent le visage et demandent grâce ; mais, tlieurs publics, déclaraient toute faute grave
ce qui est mieux encore, de sérieuses conver- irrémissible, et enseignaient que le sacerdoce
tions encouragent de jour en jour le zèle du n'a |ias reçu
pouvoir d'absoudrequ'il s'arroge
le

saint pasteur. et qui, dans ses mains, n'a servi qu'à désho-

Le génie oriental, ardent et capricieux, était norer et pervertir les mœurs chrétiennes. Im-
si avide de paradoxes et de nouveautés, qu'il pitoyables à la faiblesse humaine, ils condam-
suffisait d'émettre une opinion bizarre pour naient les secondes noces, et professaient un
qu'elle eût aussitôt des partisans. Les hérésies tel mépris pour les catholiques, que, si l'un
chrétiennes, passionnées et bruyantes, n'absor- d'eux venait à se faire Novalien, ils l'obligeaient
baient pas tellement les esprits qu'il n'y restât une seconde fois le baptême. Cette
à recevoir
place à une foule d'erreurs d'un autre carac- sombre doctrine, si opposée à la mansuétude
tère et d'une autre origine. La Gnose de Mar- évangéiique, attirait par sa rigidité même les
cion avait laissé des traces à Constantinople, esprits outrés quel'exagération séduit, toujours
où le Manichéisme comptait aussi des adeptes. disposés à prendre le pharisaïsme et la dureté
D'Athènes, de Rome, d'Antioche, les philoso- pour la sainteté. Les Purs avaient alors pour
phes étaient accourus à la nouvelle et brillante évêque Sisinnius.
métropole de l'univers, et, le bâton à la main, Socrate se plaît à le peindre comme une per-
un sale manteau sur les épaules, on les voyait fection d'homme et de pontife, qui unissait au
se promener tout le jour dans les galeries pu- savoir et à la vertu les dons de la nature les
bliques, débitant avec emphase leurs billeve- plus riches et les plus aimables : la taille, la dé-
sées savantes ou impies, et groupant les oisifs marche, physionomie, la beauté des traits,
la

autourd'eux par l'étrangelé du costume autant la distinction des manières, la flnesse de l'es-

que par la hardiesse du discours. Tandis que prit, le charme de la parole, les talents de l'é-

les disciples de tel ou tel hérésiarque niaient crivain et de l'orateur. Selon lui, aimé et vé-
la résurrection des morts, la réalité de l'Incar- néré de la secte, respecté et redouté des prélats
nation, la consubslantialité du Verbe, la Trinité catholiques, il jouissait dansla ville et àla cour
divine, ou tel dissertateur au nom de la phi-
tel d'une autorité considérable. L'historien com-
sophie blasphémait la Providence, enseignait plaisantquirapporteavecuneadmiration niaise
le ilalisme, soutenait la métempsycose, célé-
I les bons mots, plus ou moins heureux, de son
brait les merveilles de la théurgie etcesmille ; héros, lui reconnaît pourtant une faiblesse :
assertions contradictoires, bourdonnant sans c'est qu'il aimait le luxe et la bonne chère,
* Cor^i,, Bom^ 3, o, 1, parmi Ici deroièrM édit. par MootftacflD. a Ceux qui ne le connaissaient pas, dit Sczo-
292 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

mène, se persuadaient difficilement qu'il pût Eh quoi 1 pourriez-vous me citer un jour que
au milieu des délices conserver la tempé- vousayez passé sans offenser Dieu ? Vous n'avez
rance ». Toujours vêtu de blanc et avec re- pas de crime à vous reprocher, je le veux; mais
cherche, il allait au bain matin et soir, et, la vaine gloire, mais l'orgueil, mais ces regards

quand on lui demandait pourquoi, étant impudiques, mais ce désir jaloux du bien des
évêque, il se baignait deux fois par jour : autres, mais ces mensonges, ces fraudes, ces
C'est, disait-il, que je ne peux me baigner trois imprécations contre vosennemis?... Vous êtes
fois. Son esprit satirique lançait volonliers accablés d'une mullitudedefautes,etvousvous
Tépigramme à ses adversaires. « Vous, Nova- vantez d'être purs! Mais, ajoutait-il, s'adres-

tien, lui disait Léon d'Ancyre, pourquoi vou- sant aux fidèles, arguments pour
j'ai d'autres
lez-vous des églises, puisque vous réprouvez vous démontrer combien coupable est leur ar-
la pénitence? —
Tu te trompes, répondit Si- rogance. Quant à vous, j'en supplie votre cha-
sinnius, personne ne fait pénitence autantque rité,n'ayez jamais ces prétentions insolentes,
moi, puisque j'ai consenti à te voir ' ». et,de toutes vos forces, appliquez-vous à vous
Un homme de la trempe de Chrysostome, relever de vos chutes et à vous faire pardonner
sévère à lui-même, indulgent pour les autres, vos torts. Si criminel que vous soyez, vous ob-
dont lenoble cœur n'avait su trouver dans l'E- tiendrez grâce, en recourant à l'Eglise, en dé-
vangile que d'ineffables trésors de miséricorde, plorant vos erreurs, en les confessant humble-
devait être profondément antipathique à ces ment, en répandant l'aumône avec la prière;
doctrines désespérantes qui consacraient l'im- car ce sont là tout autant de remèdes propres
pénitence sous prétexte d'honorer la vertu. La à guérir les blessures du péché ' ».
dénomination de purs offensait ses oreilles Comme on le voit par ces derniers mots, la
chrétiennes; il lui semblait impossible que pontife est moins occupé de réfuter les Nova-
tant d'orgueil ne fût pas mêlé d'hypocrisie, et tiens que de prémunir les fidèles contre un dé-
volontiers il eût adressé aux nouveaux Phari- testable rigorisme aussi impie qu'immoral. La
siens ces foudroyantes paroles du Sauveur à mesure prise par Nectaire à l'égard de la con-
ceux de son temps Que celui de vous qui est : fession publique avait modifié l'ancienne dis-
sans péché jette la première pierre! Simple prê- cipline, et aplani aux pécheurs la voie du re-
tre d'Anlioche, il lui était arrivé de les interpel- tour. Mais Chrysostome, dont la compassion
lervivement du haut de la chaire, au milieu pour les faiblesses de l'homme égale le zèle
d'un discours, et de s'écrier Où. sont-ils ces : pour la loi de Dieu, craint toujours qu'une sé-
prétendus purs qui, tout pleins de souillures, vérité trop grande ne soit un obstacle à des
osent parler de leur pureté ' ? Mais à Constan- conversions désirées, et que les consciences
tinople, où
ont dressé chaire contre chaire,
ils coupables, effrayées à la fois par leurs propres
autel contre autel, il est obligé d'engager avec remords et par les menaces de la religion, ne se
eux une lutte soutenue, et de les démasquer renfoncent dans le vice par le désespoir d'en
aux yeux d'un peuple que leur apparente aus- sortir. Aussi parle-t-il sans cesse avec effusion
térité peut induire à erreur. des bontés divines, des trésors d'espérance ou-
Quel orgueil, dit-il, quel folie! Vous êtes
o verts au repentir ; et, sans dissimuler aucune
des hommes,
et vous avez la prétention d'être des conditions d'une pénitence vraie, les re-
sans péchés Autant voudrait affirmer que la
! grets, les larmes, les réparations nécessaires,
mer peut être sans vagues. Ne savez-vous pas les œuvres de charité, l'humble recours au
qui nous sommes? Joie ou tristesse, opulence prêtre sans amollir par une lâche condes-
',

ou pauvreté, louange ou insulte, guerre ou cendance la sainte austérité de la morale chré-


paix, notre âme est en proie à mille mouve- tienne, il n'a qu'un langage compatissant et
ments intérieurs, enlacée par mille circons- des promesses de pardon pour ceux qui tom-
tances extérieures, fatiguée par les maladies du bent, toujours prêt à les relever, à les accueil-
corps, livrée aux vicissitudes des événements; lir dans ses bras, à les bénir.
et,au milieu de cette tempête incessante, vous a Quand tu serais coupable de vol, de forni-
avez le front de vous dire purs! Qu'y a-t-il de cation, d'adultère, viens à l'Eglise pour ap-
plus exposé à la souillui'e que la vie humaine? prendre à ne plus te livrer à ces vices. J'appelle

' Socrat., I. 6, c. 20; Sozom., 1. 8, cl. — ' Chrys., sur l'ép. aux * Ciirys., Boni. 6. parmi les nouv, édit. par MoQtfaucoo. —
Epli., UoïK. 11, i,. 2. •CUrys.j aux lltib., Uom. y.

CHAPITRE VhNGT-TROISIÈME. 293

icHoul le monde,
je lance partout le filet de la ment, éternellementan péché qu'ellea commis,
parole, jeveux prendre, non ceux qui se per- mais que, toujours libre, toujours prévenue
lent bien, mais les malades. Je le répète tous par la grâce divine, elle peut, avec le secours
les jours, viens et recouvre avec moi la santé ;
d'en haut, par un généreux effort sur elle-
car, moi aussi, quoi(iue médecin, j'ai besoin même, s'arracher à l'empire du mal, recon-
de remèdes. Je suis homme, en effet, de la quérir ses droits perdus, ses espérances immor-
même nature que toi et sujet aux mêmes pas- telles, les fruits de larédemption et l'amitié de
sions; j'ai besoin dune parole qui mette un son Dieu, cette conviction est propre à opérer,
frein à celte fougue dangereuse; je ne mène et a opéré, eu effet, dans l'humanité des pro-
pas une vie tranquille, exemple de soucis etde diges de pénitence, despiritualisme,decharité.
trouble. Moi aussi, jesuisbaflu parles flots de Mais les Novatiens ne comprenaient rien à
la concupiscence Et pourquoi me faire autre ces pensées. Etioiis de cœur et d'esprit, irri-
que je suis, lorsque Paul luimême, qui tou- tables et rancuneux comme des sectaires,
pre-
chait aux cieux, loin de jouir d'un calme par- nant la haine contre l'Eglise pour l'amour de
fait, avait à lutter sans cesse et s'écriait : Je la vérité, le langage de Ghrysostome les met-
châtie mon corp?, je le rétfitis en servitude, de tait hors d'eux-mêmes. Sisiniiius, leur évêque,
peur qu'en prêchant aux autres je ne devienne se fit l'interprète de ces colères, en écrivant
réprouvé moi-même '. Il châtiait ce qui s'insur- contre le prélat catholique un
acerbe pleinlivre
geait, il réduisait en servitude ce qui répu- d'invectives, oîi il l'accuse d'ignorer les ca-
gnait au joug, et il avertissait ses frères par nons, de flatter et d'encourager le vice, de j

ces paroles Que celui qui est debout tâche de


: ruiner de fond en comble la morale chré-
ne pas tomber^. Or, s'il en était là, lui, le tienne '. Selon Socrate, narrateur suspect en
crand A[>ôlre si, pareil au navigateur au mi-
; pareille matière, Ghrysostome, blessé de ces
lieu de l'océan, il ne voyait autour de lui que attaques, aurait songé à faire enlever aux ;)i<r5

tempêtes, qui prétendra n'avoir pas besoin de la liberté dont ilsjouissaientàGonstantinople.


correction, de remèdes, de vigilance ? Viens « Un jour, dit-il, que Jean interpellait vive-

donc, et par mes conseils tu guériras. Même ment Sisinnius et lui disait que la ville ne
avecune âme saine, viens encore, tu n'en seras pouvait avoir deux pasteurs Elle ne les a pas, :

que mieux portant. Laiiarole conjure la mala- répondit Sisinnius. —


Sur quoi, Jean indigné :
die et fortifie la santé Qui peut se glorifier, Tu veux donc être seul évêque, à ce que je
s'écrie le Sage, d'avoir un cœur chaste? Qui vois? — Non, répli(|ua Sisinnius, je ne dis pas
peut se dire avec confiance exempt de péché? cela; mais je dis qu'étant évêque aux yeux de
Ainsi, que la honle de tes fautes ne te pousse tous, à tesyeux seuls je ne le suis pas. Cette —
pas à l'éloigner; c'est précisément parce que tu parole exaspéra Jean Je t'empêcherai bien de :

€S coupable, qu'il faut approcher. On ne dit prêcher, s'écria-t-il, car tu es hérétique. —


pas J'ai une plaie, je souffre, je ne veux ni
: Sisinnius reprit en riant : Et moi, je te rendrai
remèdes ni médecin... Nous, d'ailleurs, nous mille grâces pour m'avoir délivré d'un si lourd
sommes d'autant plus disposés à pardonner. fardeau. — Sur cette réponse, ajoute l'histo-
que nous avons plus besoin de pardon. C'est rien, Jean s'apaisa, et Sisinnius continua ses
pourquoi Dieu n'a pas voulu que nous eus- prédications sans être inquiété ' ».
sions des anges pour docteurs ; il n'a pas en- Quoi de ce récit el de cette alter-
qu'il en soit
voyé Gabriel du haut des cieux pour le mettre cation plus ridicule que vraisemblable, Ghry-
à la tète de son troupeau il a pris le pasteur ; sostome ne s'appliquait pas seulement à pré-
parmi les brebis, afin que, pénétré de sa pro- munir la foi de ses ouailles contre dos argulies
pre faiblesse, il inclinât à l'indulgence et trou- et des sophismes, il s'attaquait surtout aux

vât un motif d'humilité et de miséricorde dans erreurs qui pervertissent la volonté, combat-

les nécessités mêmes de sa conscience *. tant avec la même ardeur persévérante et le


Cetlcdoctrine, si consolante pour la faiblesse rigorisme novatien et la mollesse, l'orgueil, la
humaine, est éminemment morale et féconde licence des mœurs païennes introduitesau sein
en résultats de vertus et de sainteté. La con- de l'Eglise par une foule de mauvais chrétiens.
viction que l'âme n'est pas enchaînée fatale- Pour confondre ces disci|ilcs dégénérés del'E-
vangile, autant que pour se consoler lui-mêuio
• I nd Ccrinlh. 9. — ' lU'I., <-.. 10, ». 12. — • Chryj., Bam. I,
n* 2, t<traDi let aouvelles de MontTaucon. • Socr., 1. 6, c. 25. — * Sccr^ 1. 8, c. 22.
£d* HISTOIRE DE SAIM JEAN CiiRYSOSTOMË.

du spectacle qu'il a sous les yeux, il se plaît, de nous quitter, qu'il a mis un terme à ses tra-
comme autrefois dans la capitale de la Sj'rie, vaux, à ses craintes, et l'a reçu dans le ciel. Nos
à retracer en des peintures peu vaiiées peut- psaumes, nos cantiques ont-ils un autre sens?
être, mais d'un coloris éclatant, les temps Tout cela respire la joie... Aussi quand je vois
apostoliques, les vertus de l'Eglise primitive, un homme, une femme, se disant chrétiens,
la divine apparition du Christianisme au mi- qui poussent des cris, s'arrachent les cheveux,
lieu des hommes, la contradiction violente j'ensuis humilié. De telles gens devraientêtre
qu'il y rencontra, sa rapide victoire, l'hé- exclus de l'église pour bien longtemps. Ceux-là
roïsme de ses disciples, les vertus sublimes et méritent qu'on les pleure delà sorte, qui crai-
touchantes que faisait éclater dans les âmes gnent la mort et ne croient pas à la résur-
celte glorieuse traînée de sang et de lumière rection. Pourquoi cedeuil et ce désespoir quand
jjar laquelle était marqué chacun de ses pas.
il s'agit d'un voyage ? Songez donc à nos chants
Sur ce sujet épuisé, la v«rve de Chrysostome pieux Reuiens, mon âme, au lieu de Ion repos,
:

est inépuisable. Privé de la gloire du martyre, car le Seigneur t'a bénie; et encore Je ne :

il s'en dédommage en célébrant les combats


craindrai aucun mal, parce que vous êtes avec
des martyrs, qu'il eût voulu partager. L'en- moi, ô mon Dieu !....Comn\eiii\ vous répétez
thousiasme des morts glorieuses l'enivre de : ces paroles et vous pleurez? N'est-ce donc que
!a, ces tableaux multipliés dont l'animation
et jeu et comédie? Car, si vous croyez ce que
la sainte splendeur transportaient l'auditoire, vous dites, pourquoi vous lamenter et vous dé-
lascindient l'orateur lui-même, qui semble ne soler ? El si vous ne croyez pas, pourquoi redire

pouvoir en détacher son regard. leschants du Prophète? Pourquoi accueillir,


Le peuple de Constantinople, malgré la pré- pourquoi ne pas repousser ceux qui viennent à
sence de la cour, n'avait pas, à beaucoup près, vous avec des psaumes sur les lèvres ? Je ne
les mœurs élégantes et douces de celui d'An- donne maintenant qu'un avis ; plus tard je
tioche. Ouelque chose d'âpre et de grossier si- m'occu perai plus sérieusement d'une chose qui
gnalait le langage et le caractère des byzantins menace l'Eglise d'une grande plaie. Je sou-
à la fois souples et violents. Us aimaient à haite que vous quittiez la vie sans affliction ;

l'excès les plaisirs de la table et se faisaient une que, suivant l'ordre de la nature, les pères, (es

gloire de leurs orgies. Les fêtes licencieuses des mères, après unelonguevieillesse, soient con-
noces laissaient loin en arrière par l'indécence duits au tombeau parleurs enfants, leurs petits-
et le scandale les joyeuses folies des bords de enfants, leurs arrière-petits-enfants, etqu'iln'y
l'Oronte et du bois deDaphné. Byzance se plai- aitpour aucun de vous de mort prématurée ;
sait au tumulte et de l'hippodrome, du théâ-
; je ledemande à Dieu, et je vous prie de le de-
tre, elle le portait à l'église, où les diacres mander les uns pour les autres. Mais, ce qu'à
avaient de la peine à maintenir l'ordre et le Dieu ne plaise si une mort cruelle vient
1

silence.Des restes obstinés de paganisme pro- frapper une famille, — je dis cruelle, non par
fanaient la noble et sainte tristesse des funé- elle-même, car la mort
n'est qu'un sommeil,

railles chrétiennes, et les lamentations payées, mais par rapport à notre affection, si une —
les hideuses contorsions des pleureuses se telle mort a lieu et que vous appeliez des pleu-
mêlaient aux prières, aux chants sacrés qui reuses, je dis, et peu m'importent les colères
donnent au deuil des fidèles, dans le catholi- que je suscite, je dis que je vous exclurai du
cisme, une attitude siquelque chose
digne et saint lieu comme des idolâtres ' 1... »

d'auguste, par le sentiment de l'immortalité Un mal plus enraciné dans les âmes que les

mêlé visiblement aux pensées de la mort. Cet souvenirs les plus vivaces du paganisme, c'était
abus surtout indignait Chrysostome il le si- : la soif des richesses,une cupidité d'autant plus
gnale comme une insulte à la loi de la résurrec- eiïiéuée que l'exemple en venait de la cour et
tion, et le menace des peines les plus sévères. du trône lui-même. Soit avarice et amour insa-
« Vous êtes en contradiction avec vous-mê- tiable de l'or, soit pour satisfaire les caprices

mes, s'écrie-t-il; car, dites-moi, que signifient d'un luxe sans règle et sans goût, Eudoxie
les ciergesallumés? Pourquoi les hymnes? vendait les signatures de l'empereur, et, de
compte à demi avec Eutrope, trafiquait des
Nous conduisons nos morts comme des athlètes
vainqueurs. Nous t;lorifions Dieu, nous lo re- charspppubliques,des gouvernements, des pro-
merciomparcequ'ilacouronné celui qui vient '
Chija., S'il Ity. aux Héb., Bom. 4, n. b.
CnAPlTRK VINGT-TROISIÈME. 2dS

vinces, des sentences des juges, de la liberté et maux sans raison qui n'en font pas cas. Vos
de la vie de tous ceux dont bannissement ou
le chiens sont nourris avec soin, et vous laissez
la mort pouvait l'enrichir. Tandis qu'Arcadius mourir de faim des hommes que Dieu a faits à
publiait des édits et donnait des fêtes, son mi- son image; et tandis que les pauvres, presque
nistre et sa femme se livraient sans pudeur aux nus, n'ont d'autre couche qu'un tas de fumier,
plus infâmes malversations, .\bundautius, con- le mulet qui porte votre femme est couvertde
sul et maître des deux milices, dépouillé de ses housses magnifuiues, et sa mangeoire est in-
biens, était exilé en Colchide.Timasius, général crustée d'or. Il vous faut des sièges d'or, des
célèbre sous Théodose, avait été déporté dans escabeaux d'or; et les membres vivants de
l'oasis de Lybie, oùil périt misérablement, etsa Jésus-Christ, ceux pour qui il est descendu du
noble femme, Pentadie, n'échappait aux san- ciel sur la terre, pour qui il averse son sang,
glantes mains de l'affreux eunuque qu'en se n'ont pas même ce qui leur est le plus indis-
réfugiant aux pieds desautels sous la protection pensable '
! »
de Jean. Tout était concussion, vénalité, bri- Les murmures qu'excite ce langage encou-
gandage autour de l'imbécile monarque. Or, ragent l'intrépide orateur à parler plus haut.
chaque maison de grand, chaque famille patri- « Je sais, dit-il, que plusieurs me raillent parce

cienne répétait les folies et les vices de la cour; que je signale leurs désordres; que m'importe,
de là, un luxe insolent, et pour l'assouvir, l'u- pourvu que mes discoursprofitent à quelques-
sure, la rapine, ladélation, toutes les bassesses uns? Oui, les richesses font perdre la tête aux
et toutes les injustices. Dans les campagnes, la hommes elles les rendent furieux. Il en est
:

condition des fermiers, pressurés parlesinten- qui voudraienttransformer leséléments, s'ilsle


dants, était intolérable; et, dans les villes, pouvaient, pour que les murailles des villes,
malgré les charités inmienses del'Eglise, la mi- pourque la terre et le ciel fussent d'or; ils en
sère étalait sa pâleur et ses haillons au seuil de viendraient à vouloir respirer l'or comme l'air.
ces palais de marbre aux portes de bronze et Quelle fièvre quelle démence quelle frénésie 1
1 I

d'or, où des femmes sans cœur, lasses de plai- Un êlre dont l'âme est créée à la ressemblance
sirs, s'enivraient des larmes de leurs esclaves de Dieu meurt de froid, et vous voulez qu'un
fouettées jusqu'au sang sous leurs yeux, tandis vase honteux soit d'argent purl G la stupide
que leurs maris, ces nobles soutiens de l'em- arrogance! Que ferait de plus un fou? Vous
pire, passaient le jour à disserter, au milieu rougissez de mes discours! rougissez plutôt —
des flatteurs et des parasites, autour'd'une table de vous-mêmes; car il y a dans votre luxe in-
d'argent massif, sur la manière de farcir un tempérance, insolence, cruauté, barbarie. Quel
faisan ou de manger un poisson. démon vous inspire-t-il?Aquoi sert le Christ, à
Eu présence de ces scandales, Chrysostome quoi sert lafoi,s'ilnousfaulvoir de telles indi-

se surpasse lui-même en zèle, en éloquence, gnités? Ce sont vos femmes qui vous poussent
en audace évangélique. Lui, censeur compa- à ces excès : il ne leur suffit plus d'avoir des
tissant et affectueux des faiblesses du peuple, il sièges, des escabeaux d'argent, il faut que
devient amer et violent quand il s'élève contre l'argent soit appliqué aux usages les plus im-
ces exacteurs titrés qui, pourrepaître un orgueil mondes. En vérité, si elles l'osaient, elles en-
stupide ou de honteuses fantaisies, volent les châsseraientleurs cheveux, leurs sourcils, leurs
citoyens au nom et sous la protection de la loi; lèvres dans l'or, elles s'enduiraient d'or liquéfié
quand il décrit ces iniquités, ces intempérances, de la tête aux pieds. Et ne croyez pas que je
ces convoitises qui déshonorent le Christia- parle par hyperbole, car voici ce qu'on m'as-
nisme, tuent ruine de
la charité, précipitent la sure et ce qui se passe à l'heure qu'il est Le :

pour couvrir d'or les harnais de


l'Etat, a C'est roi des Perses fait envelopper d'une lame d'or
vos chevaux, s'écrie-t-il, pour dorer le toit de chaque de sorte qu'il a une
poil de-sa barbe,
vos maisons, leschapiteaux de voscolonnes, que barbe d'or dans cet état, il gît sur son trône
, tt,

vous dépouillez la veuve, que vous écrasez le comme une espèce de monstre. Gloire à vous,
faible, que vous foulez aux pieds la justice et ô Christ, qui nous avez délivrés de tant d'hor-
l'honneur; et le but de tant d'infamies n'est reurs et de folies Mais je vous le dis. Chrétiens,
I

que d'avoir asiez d'or pour enrichir de mosaï- non plus avec le langage de la persuasion, mais
ques le pavé, les plafonds de votre demeure, avec l'autorité du commaudcmcat, de tels abus
pour couvrir de vêlemcnls splendides des ani- ' Cbrjra., lur le ps. •18.
âoG HISTOIRE DE SAINT JEAN ClIKYSOSTOME.

doivent cesser. M'entende qui voudra : si vous besoins que rien ne peut assouvir votre cupi-
persistez dans les excès que je signale, je vous dité, la pire des bêtes féroces. Alors vous vous
interdirai l'enlrée de l'église, je ne permettrai mettez à dépouiller les orphelins et les veuves,
pas que vous en franchissiez le seuil. Les vous devenez l'ennemi commun de tous les
l)aïcns se rient de nous; ils s'habituent à hommes sans songer qu'au bout de ces vains
prendre jiour des fables les règles de la disci- labeurs et d'une carrière coupable vous ne trou-
l'Hiie chrétienne' b. verez qu'une fin malheureuse.... »
Les mécontents, ceux qui se croyaient dési- Cependant, malgré l'intrépidité de son zèle
gnés dans ces tableaux, menaçaient le pasteur et sa haute fermeté, Jean se laisse décourager,
(le déserter sa houlette pour passer dans le ici plus souvent encore que dans sa chère An-

camp ennemi. « Cesmenacesme touchent peu, lioche, par l'obstination du mal à défier ses
j'aime mieux un seul auditeur do-
s'écric-t-il, Son langage s'empreint par moments
etTorts.

cile à la \olonlé divine que mille méchants. Je d'une profonde tristesse; il désespère de sa
vous le conseille, je vousl'ordonne, renoncez à mission, il voit l'Evangile impuissant, l'esprit
ces parures, brisez ces vases pour en donner la du Christ étouffé, la grâce et la lumière prodi-
valeur aux pauvres, et finissez-en avec ces fo- guées en vain à des hommes qui les dédai-
lies. S'en aille qui voudra, me blâme qui vou- gnent, et le sang divin qui coula pour régénérer
dra;, je nemcnage personne. Quand je paraîtrai le monde condamné à crier vengeance au lieu

au tribunal du Cluistpoury rendre compte de d'obtenir miséricorde. C'est alors qu'il se de-
ma mission, ce n'est pas votre faveur qui me mande avec si, parmi tout ce peuple
angoisse
sauvera. On perd tout par de malheureuses conduire au ciel, il y aura
qu'il est appelé à
condescendances. Prends garde, me dit-on, il y seulement quelques élus. « Avotre avis, s'écrie-
a ici des faibles, ils embrasseraient l'hérésie; il t-il, combien ya-t-ildegens, dans notre ville,
faut l'accommodera leur faiblesse. — Et com- dont on puisse espérer le salut ? Je vais vous
bien de fois? je vous le demande. Une fois, deux dire une chose affligeante; je la dirai néan-
Toujours? Le puis-je toujours?
lois, trois fois? moins. Parmi tant de milliers d'hommes, cent
Je dis donc de nouveau et je proteste, avec saint à peine se sauveront; et encore pour ceux-là,
Paul, qu'à l'avenir je serai sans indulgence '. je ne suis point sans quelque doute Quelle ma- !

Puis, avec un accent paternel o Si vous : lice, en effet, dans les jeunes gens! quelle né-
voulez vous conduire chrétiennement, vous gligence dans les vieillards! Nul ne songea
vous féliciterez de ma sévérité. Je vous en prie, bien élever ses enfants. Les bons exemples ont
je vous en conjure, et je ne ferai pas difficulté disparu du milieu de nous * » I

de me jeter à vos genoux avec les plus humbles Il oserons-nous le dire, exagération
y a là,

supplications rendez-vous à mes vœux, car je


: évidente. Cette âme ambitieuse des succès de
ne puis souffrir cette mollesse,ces somptuosités l'Evangile et du bonheur de ses frères croit
indignes, celte coupable démence. Je ne puis tout perdu, si tout n'est sauvé. Sa charité même
souifrir quel'Eglise, ayant tantderiches parmi l'égaré et le rend injuste, car il est certain que
ses enfants, ne puisse soulager aucun de ses Dieu bénissait visiblement le minislèredeChry-
pauvres. L'un est affamé, l'autre regorge de sostome. Si frivole qu'il fût, le peuple de By-
vin; l'un a des vases d'argent pour ses excré- zance faisait de remarquables efforts pour s'ar-
ments, l'autre n'a pas de pain à manger. Non, racher au vice et consoler son pasteur. Des
je ne dois pas tolérer de si cruelles folies ^ » 1 hérétiques abjuraient leurs erreurs, des païens
Mais les mêmes désordres attristant toujours demandaient le baptême. Le niveau du Chri-
son regard, il les attaque avec une véhémence stianisme montait dans la ville des Césars. On
nouvelle. « Votre luxe, dit-il, est le fruit des ra- se pressait, ou s'étouffait autour de la chaire de
pines exercées contre le prochain, de sa le fruit Jean ; et tel était l'ascendant de sa vertu et de
misère et desaruine:c'est votredéshonneur*... sa parole, qu'il persuadait à son auditoire, dit
Vous mettez l'or partout, à la bride de votreche- Sozomène, tout ce qu'il voulait *. De nom-
val, au collier de votre esclave, à votre ceinture, breuses largesses mises à sa disposition lui per-
à vos souliers, vous en incrustez les pierres mettaient d'opérer des prodiges et d'en rêver de
de vos maisons. Vous vous créez ainsi de tels plus grands encore. La foi retrouvait près de

' Chrj9 , Bam. 7, n. 5, eur l'ép. aux Coloss. • ' CUiys., iO id. •
lui l'enthousiasme de son berceau. Là, comme
• Ihid. — * Cbry!., «ur le ps. 48, et pas$m. ' Chrya., sur Us Aet., Jlom. 21. - • Sozorn , 1. P, c. 5.
CHAPITRE VINGT-TROISIÈME. 297

à Antioche, sa voix abattait toutes les opposi- joie est grande: jeme proclame le plus heu-
tions; rien ne lui résistait, si ce n'est les Judas reux des hommes, en vous voyant aussi pieu-
du sanctuaire et lesCaïphes de la cour. Isidore sement avides de ma parole Cela m'est plus !

de Peluse lui applique ce que la fable raconte doux que le rayon du jour, plus suave que la
d'Orpbée '; et, en effet, « son éloquence, dit lumière ! C'est ma vie d'avoir des auditeurs si
Tilleniont, a gagné des hommes aussi brutaux aimables, qui ne se bornent pas à applaudir,
et aussi farouches que des bêtes, elle a adouci mais qui veulent se corriger, et, loin de fuir
leur humeur fait embras-
sauvage, elle leur a les reproches,accourent à celui qui ne les leur
ser une vie de soumis aux règles
paix, elle les a épargne pas. Aussi, est-ce avec confiance et
de la discipline, et a tellement tempéré leur fé- plein d'ardeurque je parais au milieu de vous
rocité que ceux qui étaient des loups et des aujourd'hui... Je ne dirais rien, que le triste
agneaux, non parlaforme de leurs corps, mais événement d'hier serait assez éloquent pour
par le naturel et les mœurs, ont vécu ensemble détourner de l'hippodrome ceux qui en ont en-
dans une parfaite union* ». core la fureur. La mort tragique qui ensan-
Jean lui-même, au milieu de ses défaillances glanta l'arène a ému la cité tout entière. On ne
etde ses plaintes, est obligé de constater les voyait que femmes éplorées, on n'entendait
touchants triomphes de sa parole. C'est ainsi, que cris lamentables, lorsqu'on portait, à tra-
par exemple, qu'après avoir vivement attaqué malheureux mis en pièces. Le
vers la foule, le
lesabus du théâtre et de l'hippodrome, il eut surlendemain de ce jour, il devait allumer le
la consolation de voir le peuple lui sacrifier flambeau du mariage, la couche nuptiale était
cette habitude invétérée et chère, et quitter le préparée, il avait tout disposé pour la fête ; et
théâtre et l'hippodrome pour l'église. 11 s'en voilà que, se lançant à son tour dans l'enceinte,
félicite tout haut a Dernièrement, dit-il, je
: il est tombé entre les chars qui luttaient de vi-
vousai centristes aujourd'hui, me voilà heu-
; tesse et l'ont coupé en deux : sa tête a été sépa-
reux de vous avoir fait de la peine, puisque rée de son corps Voilà les fruits de l'hippo-
!

cette peine a été salutaire. Les malades qui drome Mais à quoi bon rouvrir vos plaies?
sentent plus vivement l'action des remèdes sont Non, je n'ai plus de reproches à vous faire'».
le plus près de la guérison : et de même, tan- Jean pouvait tout demander, tout dire à ce
dis que les âmes insensibles croupissent dans peuple ;iiraimait etil en était aimé. La liberté

leurs erreurs, celles que


le reproche afflige en apostolique de son langage, qui choquait les
sortent bientôt.Vous mel'avez prouvé lorsque, grands et les riches, le faisait vénérer par les
après de sévères remontrances, vivement sen- masses, comme un autre Jean-Baptiste. « Je
ties, vousêtesaccourusici, le dimanchesuivant, suis son homonyme, disait-il, non son syno-
en plus grand nombre, et vous avez olf'ert à nos nyme. Je porte sonnom, je ne suis pas lui'».
regards consolés le spectacle imposant d'une Mais on s'obstinait à lui attribuer l'autorité et
assemblée plus empressée et plus attentive que la sainteté du grand précurseur de Jésus-Christ.
Jamais. Je vous voyais suspendus à mes lèvres, Il en avait incontestablement le courage. Sa
comme les petits de l'hirondelle quand ils at- santé seule était faible, et passage de l'Oronte
le
tendent au bord du nid la nourriture qui leur au Bosphore, du ciel de la Syrie à celui de
est apportée. Au moment où je cédais la place Constantinople, ne l'avait pas raffermie. Quoi-
à l'un de mes frères arrivé de Galatie, pour ho- qu'il prêchâtmoins souvent qu'à Antioche et ne
norer ses cheveux blancs elremplir vis-à-vis de parût guère àl'ambon qu'une fois la semaine,
lui les devoirs de l'hospitalité, vous en témoi- tout au plus tous les trois jours ', il était
gnâtes par vosmurmuresun grand méconten- obligé de s'interrompre plus fréquemment.
tement, commesij'avaistrompé votre faim. Ma Quand une indisposition l'enfermait chez lui,
parole vous blesse et vous irrite, et vous expri- c'était pour lepu iple une vraie douleur et, ;

mez cependant le plus vif désir de l'entendre; lui-même, il souffrait de suspendre cette con-
tel un petitenfant, grondé et battu par sa mère, versation, cœur à cœur du haut de la chaire,
ne peut s'arracher d'elle, et tout en pleurant, avec un auditoire avide de le voir et de l'é-
s'attache à sa robe et la suit pas à pus. Oui, ma couter.

*Chry8., Bom, 9, n. 1, parmi les oouvollei do MoQtC


' Uid. Pelui., I. 4, rpist. 221. * Id.^ nouvellti de Munir., l/om. 52, lur les AcU
'TiUtu.,t. 11, p. lia. *Cbr)'i., Oom, -il, sur lei Act.
298 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

Du reste, cette aflection populaire était pour une foule de réformes nécessaires el de saintes
Chryjostome un point d'appui précieux ; elle innovations, devant lesquelles le zèle d'un au-
lui permettait d'entreprendre et d'accomplir tre eût certainement reculé.

CHAPITRE VINGT-QOATRIÈME.

Cbrycastomt recommande populariss


et chaut le — Démonstrations tumultueaies dei Xrieni. — ProceiBions de* Catho-
iacié.
— Lutte sanglante. —
liques. pieuses
Veil'.ei prièreset — Lilurgie de Chrysoïtome. — Relâchement du sacerdoce. —
la nuit.
Sœurs adopiiTo?. — de Jean contre
Ecrits licence hypociilp. —
cette reproches au Vifs— Baiaes excitées contre clergé. le

— Biens ecclésiastiques. — Jean regrette l'ancienue pauvreté de


Saint. l'Eglise.

Chrysostome avait vu par lui-même l'heu- ennuis du chemin : le vigneron en cultivant sa


reuse influence du chant sacré sur le peuple. vigne, en cueillant, en foulant le raisin ; le

Restauré dans l'Eglise d'Antioche par Diodore mateloten agitant sa rame. Les femmes aussi,
el Flavien, au plus fort des luttes avec l'Aria- en tissant leurs étoffes, en faisant courir la na-
nisnie, l'usage des cantiques spirituels avait vette, chantent chacune à son tour, ou toutes
été pour ces intrépides défenseurs de l'orllio- en chœur. Les uns et les autres allègent par
doxie opprimée un précieux auxiliaire. Atlia- le chant le poids du travail et les peines de la
nase à Alexandrie, Ambroise à Milan, les vie. Ce goûlest donc inné à notre âme ; aussi,
avaient employés dans le même but, avec le de peurque l'ennemi de notre salut n'en abuse
même succès. Vicaire elcoadjuteur de Flavien, pour tout perdre avec des chants lascifs. Dieu
Jean était entré volontiers dans la pensée de nous a donné le chant des psaumes oîi l'utile
son chef et tout le temps qu'il exerça dans la
; et l'agréable sont réunis Etcomme les ani-

métropole de la Syrie le ministère de la parole, maux immondes vont au bourbier et les abeil-

il ne cessa d'encourager, de populariser la psal- lesaux fleurs, de même où sont les chants
modie, mélodie grave et douce, la seule qui impurs s'assemblent les démons, où sont les
réveille les grands échos de l'âme humaine, cantiques spirituels le Saint-Esprit répand sa
qui réponde véritablement à ses tristesses, à grâce qui sanctifie le cœur et les lèvres. Ne
ses espérances, à ce fonds de regrets, de repen- vous bornez pas à chanter vous-mêmes les
tirs, de larmes, de nobles aspirations, d'arden- louanges de Dieu apprenez à vos femmes et vos
:

tes prières qu'elle porteau dedans d'elle-même: enfants à le faire aussi en travaillant et surtout
complainte, tour à tour naïve et sublime, de à table. C'est la que Satan nous tend ses pièges ;
ce pèlerin de Dieu qu'on appelle l'homme et et c'est pourquoi il faudrait avant et après le
qui s'en va quêtant sur le chemin de la tombe repas vous munir du secours des psaumes, et
le pain du ciel et l'immortalité. chanter en famille l'hymne du Seigneur. Ainsi
« Rien, disait-il aux habitants d'Antioche, que dans les riches maisons on lave la table,
rien n'est plus propre à élever l'âme, à lui don- après le repas, avec une éponge imbibée de
ner des ailes, à l'affranchir de la terre et des baume, ce qui rend au bois son lustre ainsi, ;

liens du corps, à la pénétrer de l'amour de la nous, en guise de baume, remplissons notre


sagesse et d'un noble mépris pour les choses bouche de mélodie, et si notre âme a contracté
d'ici-bas, qu'un chant grave à plusieurs voix, quelque souillure, le chaut spirituel lui ren-
flu'uncantiquedivin soumis au rhythme. Notre dra sa beauté. D'autres de leurs maisons font
nature se plaît à la mélodie, à ce point que les des théâtres; vous, de la vôtre faites une
enfants à la mamelle y sont eux-mêmes sensi- église ' ».
bles. Les nourrices chantent pour apaiser leurs Avec de telles idées sur le chant religieux,
endormir le voyageur chante en
cris et les ; il était impossible que Jean ne songeât pas à
conduisant son attelage pour se distraire des Ctu;B., sur le pi. 91.j
;

CHAPITRE VINGT-QUATRIÈME, 209

1 ou du moins à le propager à Con-


introduire, sur l'efficacité de cette protection pour empo-
stanliiiople.Sans doute, il y était connu avant cher une lutte que rendait d'ailleurs impro-
lui, puisque Grégoire de Nazianze, en quittant bable la disproportion du nombre entre les
une chaire trop redoutée pour une solitude fidèlesetlesdissidents.L'événementvintdonner
chérie, adresse ses adieux aux chœurs des à sa confiance un cruel démenti. Les Ariens fu-
Nazaréens et aux concerts de la psalmodie' rieux, ne prenant conseil que de leur fanatisme,
mais, selon toute apparence, il y était tombé se jetèrent sur les catholiques. Le sang coula;
en désuétude, et Tliéodoret fait honneur à il y eut de part et d'autre des blessés et des
Chrysostome de l'avoir rétabli, a Ce fut lui, morts. Brison reçut un coup de pierre à la tête.
dit-il, qui institua ce beau chant des psaumes, L'autorité impériale intervint, et supprima les
tel qu'il se pratique aujourd'hui' ». Peut-être processions des hérétiques'. Quant aux ortho-
ne fit-il que l'encourager et le perfectionner. doxes, restés en possession de leur liberté, ils
Quoi qu'il en soit, nous savons par Sozomène continuèrent à cultiver avec un zèle heureux le
et Pallade que l'Eglise de Byzance, sous la di- chant sacré, popularisé par Chrysostome et de-
rection d'nn tel pontife, faisait de jour en jour venu pour lui un auxiliaire précieux de l'apos-
d'admirables progrès dans l'amour et le culte tolat. 11 faut entendre le grand orateur exprimer

du Verbe que ces heureux résultats


divin, et sa joie sainte au milieu de ces magnifiques as-
étaient dus, pour une grande part, à la psal- semblées toutes palpitantes des sentiments qui
modie qui transportnit les âmes et transfor- l'inspirentlui-même.
mait la cité'. Le peuple, dans l'enliaîiiement Le psaume a fait son entrée, dit-il, et mêlé
de sa ferveur, adoiila l'usage des chants sacrés, les voix eu un seul cantique plein d'harmonie.

le grand matin et même la nuit. Voici, d'après Jeunes et vieux, riches et pauvres, hommes et
Sozomène, à quelle occasion. femmes, tous ensemble nous faisions entendre
Les Ariens, auxquels Théodose avait enlevé une même mélodie. De même que le joueur de
les églises de la ville, tenaient leurs assem- lyre, en touchant avec art les cordes diverses,
blées hors des murs, lis commençaient à s'at- de plusieurs sons n'en fait qu'un, ainsi les can-
trouper le soir dnns les galeries publiques qu'ils tiques spirituels rapprochent, confondent dans
faisaient retentir d'hymnes à deux chœurs; un même sentiment ceux qui sont ici, et unis-
puis, quand le jour commençait à poindre, ils sent même les morts aux vivants ; car le Pro-
se dirigeaient en chantant vers le lieu de leurs phète aussi chantait avec nous. Quelle diffé-
réunions. Cela se répétait à toutes les fêles, rence avec la cour d'un roi Assis sur un trône,
!

ainsi quepremier et le dernier jour de cha-


le le diadème au frout, ses officiers et les grands
que semaine. Enhardis par la tolérance, ils de l'empire l'entourent en silence. Ici le Pro-
finirent par ajouter à leurs cantiques des paro- phète parle, et uous répondons tous, et nous
les irritantes, propres à soulever des querelles: chantons avec lui tous ensemble. Ici plus d'es-
Où sont-ils ceux qui prétendent que trois ne clave ni de maître, plus de prince ni de parti-
fout qu'un ? et autres semblables. culier; l'inégalité du siècle a disparu ; un seul
Jean, qui redoutait l'impression de ce spec- chœur formé de toutes les voix et la terre
est
tacle etde ces délls sur le mobile esprit de son ofireune image du ciel. Telle est la noblesse de
peuple, s'empres«a d'nppnser aux processions rtglise Le maître qui chante avec bonheur
!

des hérétiques celles des orthodoxes. Réunis, n'impose pas silence à l'esclave, ni l'hoinine à
eux aussi, dès l'aurore, souvent dès le milieu la femme condamnée à se taire; mais dans une
de la nuit, dans un des grands portiques de la parfaite égalité nous offrons un sacrifice com-
ville, les catholiques se rendaient procession- mun, une même oLIation. L'un n'a pas plus
nellement à l'église de la synaxe, en chantant que l'autre; un seul cri s'échappe à la fois de
leurs plus belles invocations au Verbe ineréé. toutes les bouches et moule vers le Créateur'».
Des croix d'argent ornées de cierges allumés Chrysostome veut qu'on habitue de bonne
éclairaient la marche. le chambellan Brison, heure les enfants au chant sacré, qu'il regarde
de l'impératrice, chargé de protéger ces
s'était comme un des plus sûrs moyens de leur incul-
pieuses manitestaUous et de pourvoir aux frais quer la p/j(7oso/)Ai'e du Christianisme*. Rkr\,
qu'elles entraînaient. L'évèque avait compte
' Socr., 1. e, c. 8
; Sozom., I. 8, c. 8. —
' Cbrya
Hom. S, n. 5,
,

•Gr. ds N«iaoz. orat. 42, t. 1, p. 767. — ' Théod., ap. fAol., ptrmi le» uoaialles do Uuuifaucoii. -• ' id., iiou,. U, a. 2, siu l'cp,
. 1515. — ' Pallad., c. 5, in fin. ; Sc2(.m , I. 8, c. 7 «t 8. aux Colou.
300 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

du reste, de ce qni touche au culte divin, n'est posent à la componction. Si tu contemples le


indifTérenl à ses y''U.\. 11 savait que le senliinent ciel parsemé d'étoiles
qui ressemblent à des
,

religieux le lus profond et le plus durable de


i yeux ouverts sur nous, la pensée du Créateur
l'âme humaine a besoin de s'incarner dans le te viendra de suite à l'esprit et te pénétrera
culte comme la pensée dans la parole, de se d'une joie parfaite. Si tu songes à tous ces
nourrir de sa pro|)re image dans le symbolisme hommes qui pendant le jour crient, s'amusent,
sacré, de se voir, de s'entendre, de s'affirmer dansent, s'abandonnent à la colère, à l'injus-
lui-même, ou il vague du cœur
s'éteint dans le tice, à la cupidité, commettent mille péchés,
comme un son dans pourquoi il
le vide. C'est mnintenant, endormis, sont absolument
et qui
s'était appliqué et il avait réussi à donner, au semblables à des morts, tu condamneras l'ar-
moyen des saints cantiques, un alliait de plus rogance humaine. Le sommeil est venu, et il
à la prière et à l'enseignement. Bienlôl l'écho a démontré ce que nous sommes; le sommeil
des psaumes retentit au-delà du temple; on les est l'image de la mort, l'image du néant. Re-
redisait dans les maisons, sur V agora, aux ther- garde dansles rues tu n'entends pas une voix.
:

mes, séjour habituel du plaisir et de la dissipa- Regarde dans ta maison tu les vois tous gi- :

tion; la cité tout entière n'était qu'un hymne. sants comme dans le sépulcre. Est-ce que tout
Le zèle du peuple entraîna le pontife à faire cela n'est pas propre à éveiller l'âme, à nous
revivre les veilles pieusesde la primitive Eglise. faire songer à l'heure suprême?
A part les grandes solennités oii, réunis dès le «Je m'adresse aux femmes et aux hommes.
soir autour des autels, les fidèles ne les (juit- Fléchis le genou, gémis devant Dieu, demande-
taienl qu'au lever du jour, des hom.mes animés lui qu'il te soit propice. Il se laisse
toucher plu-
de l'esprit qui embrasait Jean lui-même se fai- tôt parles prières de la nuit, quand tu donnes
saient un devoir d'employer, toutes les nuits, à la pénitence le temps du repos. Rappelle à ta
quelques heures à célébrer les louanges de mémoire les paroles de ce grand roi J'arrose :

Dieu. Quant aux femmes, le saint orateur les mon Ut du mes larynes toutes en- les nuits. Si
exhorte à fléchir le genou dans leurs cham- touré que tu sois des délices, tu n'en as pas plus
bres, en s'unissant d'esprit et de cœur aux que lui; quelles que soient tes richesses, tu n'es
chants de l'Eglise. Tout à coup sa vive imagi- pas plus riche que David. Entends comme il
nation lui rappelle les souvenirs du désert, ses s'exprime ailleurs : Je me lève au milieu de la
nuits splendides, sa paix auguste , ses belles nuit pour bénir, ô mon Dieu! V équité de vos
montagnes se renvoyant sans fin l'écho de jugetneyits. La nuit, les aiguillons de la vaine
l'hymne sacré, ces chœurs harmonieux d'é- gloire n'agissent plus, car tout le monde dort
toiles devant lesquels il passait de longues etnul ne te voit; la distraction, la frivolité ne
heures d'extase, ce ciel si pur qui se reflétait s'emparent plus de ton âme, car tant de choses
dans son âme ou vers lequel s'élançait sa pen- im posantes la saisissent et la tiennent attentive.
sée comme pour saisir Dieu et s'abreuver à Après de semblables veilles, le sommeil est
l'éternelle source de la vérité. Alors sa parole plus doux, et l'on a d'admirables révélations I
I
s'élève et se colore , les plus fraîches images Homme, fais cela, toi aussi : que ce ne soit pas
viennent enrichir son discours, et cet orateur, lafemme seule; pour les hommes et pour les
qui penché sur son auditoire se rapetissait jus- femmes, que maison soit une église, car il
la
qu'à lui, enlève et transporte la multitude qui est écrit Là où deux personnes seront réunies
:

l'écoute jusqu'aux plus hautes régions de l'en- en mon nom, je serai au milieu d'elles. Où est
thousiasme et de l'adoration. Jésus sont nécessairement les anges, les archan-
a La nuit, dit-il, n'est pas faite pour la passer ges, les puissances célestes. Vous n'êtes donc
tout entière dans le sommeil et le repos : les pas seuls quand vous avez avec vous le souve-
artisans, les négociants, les marchands en sont rain Maître de toutes choses. Ecoute encore le
une preuve. L'Eglise de Dieu se lève
au milieu Prophète : Un seul homme accomplissant la
de la nuit. Lève-toi aussi et contemple le chœur volonté du Seigneur vaut mieux que mille mé-
des astres, ce silence profond, ce calme im- chants. Piien n'est plus faible qu'une multitude
mense. Admire la providence de ton Maître. de méchants, rien n'est plus fort qu'un homme
Pendant la nuit l'âme est plus pure, plus lé- qui vit selon la loi de Dieu. Si tu as des ea-
gère, elle s'élève plus haut avec moins d'efforts; fanls, réveille-les, et qu'ils s'unissent à toi dans
les ténèbrM mêmes et ce grand silence la dis- une prière commune. S'ils sont tout petits et
CIIAPITRR VINGT-QTTATRIÈME. 301'

qu'ils ne puissent veiller, fais-lciu* prononcer qui aime à écouter la parole et accroîlde jour
une ou deux invocalions, el qu'ils se reiuior- en jour les joies de l'Eglise. Ne me dites pas

ment;seulenient, lève-loi et c<inlractes-en l'ha- que la ville des Romains est plus grande : mon-
bitude. Riei)di']iliis respectabloquela chambre trez-moi que ses habitants sont aussi avides
où se font de telles prières. Tu diras J'ai tra- : que vous d'instruction. Que vieril-on me par-
vaillé tout le jour, j'ai besoin de repos prétextes : ler d'édifices et de colonnes? Tout cola s'é-
et vaines excuses. Quelle que soit ta fati},Mie, croule avec la vie. Entrez dans le temple de

elle n'égale pas celle du forperou, qui soulève Jésus-Christ et vous verrez la vraie splendeur
et abat ce lourd marteau, et reçoit sur tout son de la cité ;vous y verrez les pauvres rester là
corps une fumée brûlanle et cependant ;
il con- depuis le milieu de la nuit jusqu'à l'aurore,
sacre une grande partie de la nuit à ce pénible sans que le tyrannique besoin de sommeil ni
exercice Quel du Sauveur
était le dessein les nécessités de l'indigence les déterminent à
quand il passait les nuits sur la montagne, si sortir, vous y verrez les veilles sacrées joindre
ce n'est de nous laisser un modèle à suivre ? le jour et la nuit. C'est par là que notre ville
Pendant la nuit respirent les plantes, et ton est grande et vraiment la métropole de l'uni-
âme aussi, plus qu'elles, rtçoit la rosée céleste. vers! Combien d'évêques et de docteurs ar-
Ce que le soleil a brûlé dans le jour, la nuit le rivent ici, qui, devenus tout à coup vos disci-
rafraîchit et le fait revivre' ». ples, s'en retournent chez eux avec le désir
Certes, il fallait que cet homme comptât bien d'y transplanter ce qu'ils ont vu pratiquer Je !

sur les sympathies de son auditoire et qu'il eût suis heureux à cause de vous vous l'êtes à ;

pris sur les esprits un grand empire, pour don- cause de vous-mêmes ' ».
ner ces avis et montrer ces exigences dans une Chrysostome, du reste, pour conserver au
pareille ville, théâtre de tant d'intrigues et de culte divin tout son attrait, s'efforçait d'ôter à
corruption. Mais le peuple de Conslantinople la tiédeur tous ses prétextes ; et comme l'un
n'avait rien à refuser à son pasteur. On vit alors des plus allégués était la longueur des synaxes,
ce que peut une popularité sainte qui s'appuie il s'occu|)a d'une nouvelle ordonnance de la
sur le plus pur désintéressement, et combien prière publique. De là, cette liturgie qui porte
sont vraies ces paroles, déjà citées, que le Pro- son nom, et que la plupart des églises du rit
phète met dans la bouche de Dieu : o J'enivre- grec suivent encore aujourd'hui. Ce n'est pas
de mes prêtres,et mon
rai et j'engraisserail'ànie qu'il fiît chaque évêque de composer
loisible à
peuple sera comblé de mes biens' » Les vertus . la liturgie changer à son gré. La li-
ou de la
de Chrysostome étaient le trésor de son peuple ; turgie tient de trop près au dogme, dont elle
la flamme de son cœur embrasait son troupeau. est la plus solennelle expression, pour ne pas
Au sein de cette Eglise divisée par tant d'héré- en partager l'auguste immutabilité. L'Eglise at-
sies, profanée par tant de vices, scandalisée par tacha toujours la même importance à la liturgie
tant de mauvais exemples venus de haut, sur- qu'à la doctrine; et c'est pourquoi le pape
girent à la voix d'un pontife aimé les touchantes saint Célestin s'exprimait ainsi : « Faisons at-
merveilles de pureté, de ferveur, de charité tention aux prières sacerdotales qui reçues des ,

qui avaient illustré les premiersjours du Chri- Apôtres par tradition, sontd'unusageuniforme
stianisme. parmi les Catholiques, et par la manière dont
Ces heureux résultats étonnaient Jean lui- nous devons prier apprenons la manière dont
même; il les admire et les célèbre. «C'est avec nous devons croire * ». Et, en effet, on ne peut

bonheur que je répands ici, s'écriail-il, la di- sérieusement contester que ce ne soient les
vine semence, puisqu'elle tombe, non pas au Apôtres eux-mêmes qui ont arrêté entre eux
milieu des épines qui l'étouffent, non pas sur les principales dispositions de la liturgie, et qui
le chemin où elle est foulée aux pieds, mais l'ont établie dans les communautés chrétiennes
dans une terre féconde où le grain n'est pas à mesure qu'ils les fondaient ; en sorte que,
plutôt jeté qu'il donne l'épi. Voilà ce que je dis sous les noms divers de saint Jacques à Jéru-
toujours et ne cesserai de dire : la gloire de salem, de saint Marc à Alexandrie, de saint
notre ville, ce n'est pas d'avoir un sénat, des Pierre à Rome, le monde chrétien n'eût qu'une
consuls,de nombreuses statues, un grand liturgie, lamême partout quant à la substance
commerce, un site admirable, mais un peuple et au fond, malgré de légères différences dans
• CL:y«., >ijr le» Act., Oom. 26, r. 3 «. 1. — ' Jet m., 31, \U • Chrji., Bom.i, sur lei Sétaph. — ' Ep. ai tfisc, (ialk
302 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

Jes détails peu importants, la même toujours l'oraison dominicale, la prière pour les vivants
fidèlement et immuablement gardée dans le et pour les morts, l'élévation et l'adoration de
sanctuaire, comme un dépôt sacré. Quelques l'hostie, la fraction du pain, la communion, les
mots ajoutés et retranchés dans le cours des vêtements sacerdotaux, les vases du sacrifice
siècles n'en ont jamais altéré le sens ni affaibli qu'aucune main laïque ne doit toucher, l'en-
l'autorité- censement de l'autel la lecture solennelle de
,

Chrysostome n'est donc pas l'auteur d'une l'Evangile, le silence et le mystère de quelques
liturgie nouvelle il abrégea quelques oraisons,
; parties de la sainte action, et même des for-
quelquescérémonies de l'ancienne, il en con- mules d'invocation identiques en des langues
densa l'esprit dans un moindre nombre d'ac- diverses. Ce n'est pas une chose indifférente ni
tions et de mots, afin que la longueur de l'office une médiocre satisfaction pour un cœur catho-
divin, mieux proportionnée à la ferveur des lique, de voiret de constater par quelles racines
fidèles, ne pût plus servir d'excuse à leur lâ- inaltérables au temps son culte plonge avec sa
cheté. 11 imitait en cela saint Basile, abrégeant loidans les profondeurs de l'histoire jusqu'aux
plus que lui sans faire plus de changements sources divines du Christianisme. Il semble
que lui et il est vrai de dire que sa liturgie
;
qu'on se repose mieux dans ses convictions,
n'est autre que celle des Apôtres adoptée et qu'on prie avecplus d'assurance quand on peut
suivie àByzance dès l'origine de cette Eglise. se dire : Ainsi priaient mes pères, ces hommes
Observons toutefoisqueplusieursliturgies por- vénérés qui nous ont assuré au prix de leur
tent lenom de Chrysostome. En est-il une qui sang le bienfait de l'Evangile, ceux qui ont re-
vraiment son œuvre, dans le sens que nous
soit cueilli de la bouche du Christ la doctrine du
venons de dire, ou qu'on puisse du moins lui Verbe, qui ont appris de lui-même comment la
attribueravec quelque confiance? La critique a créature peut s'approcher de son auguste au-
répondu négativement à celte question. La teur ils se prosternaient devant ces symboles,
;

critique est peut être trop absolue. Sans doute, ils chantaient ces cantiques, ils pratiquaient ces
on trouve dans ces diverses compositions des rites ; ces vieilles oraisons savent la route du
mots que le saint pontife n'a pu employer, ciel ; après avoir consolé bien des douleurs et
empreinte évidente des siècles postérieurs. béni d'innombrables existences, elles nourris-
Gela prouve, à coup sûr, que le travail de Chry- sent mon cœur des pensées, des espérances,
sostome a subi des altérations en passant d'une des nobles aspirations, des sublimes vertus des
église à l'autre mais on ne saurait en in-
; apôtres, des martyrs, des saints de Dieu : c'est

duire, contrairement au témoignage de saint le soufflede ces grandes âmes qui passe sur
Proclus et à la tradition des Grecs, que noTis mes lèvres, c'est leur hymne qui sort de ma
n'avons rien, en fait de liturgie, qui vienne de poitrine à la distance de tant de siècles, eux
;

Chrysostome. On peutadmettre,avecle P.Stil- et moi, nous ne sommes qu'un même acte de


ting, que les messes publiées sous le nom de foi, d'amour devantle Seigneur!
d'adoration et
l'illustre docteur, sont au fond ime même Au reste, Chrysostome ne serait pas l'auteur
messe, arrangée par lui et conservée essentiel- de la liturgie qui porte son nom, que ses écrits
lement malgré les additions et les retouches n'en seraientpas moins un précieux répertoire
qui lui ont été infligées. Cela est vrai surtout de des usages liturgiques de son temps et des
Tune d'elles, qu'on peut regarder comme re- temps primitifs. On a dit avec raison qu'avec
produisant à très-peu près le type primitif. des mots recueillis çà et là dans ses œuvres on
Quoi qu'il en soit, et sans entrer ici dans un pourrait recomposer l'ordre entier de l'office
développement qui nous écarterait de notre divin tel qu'il était célébré alors. L'Eglise an-
but, il est impossible de ne pas remarquer tique vit, parle, prie dans les discours du saint
entre ces liturgies et la liturgie romaine, non- docteur; maison y trouve surtout, nousl'avons
seulement dans fensemble, mais dans une déjà remarqué, une foi profonde et brûlante
foule de détails, une conformité frappante qui pour l'Eucharistie, foyer voilé et enflammé où
atteste une commune origine et la plus véné- viennentaboutir, sous un nuage adorable, tous
rable antiquité. Ainsi, vous retrouverez partout les rayons delà révélationdivine, pour se répan-
la salutation mutuelle, et dans les mêmes ter- dre de là en flots d'amour et de vertu sur l'hu-

mes, du prctreet du peuple, les signes de croix manité. L'œil de Jean perçait ce nuage ; à travers
réi)étés, le;Ayw,i'ii^ua-eaa;^(jli(iue,lapréface, le mystère, il jouissait des visions de l'éternité;
,

CHAPITRE VINGT-QUATRIÈME. 303

ilToyait les cieux ouverts, le Fils de Dieu de- mer de la sévérité des canons, opérer des re-
bout sur l'autel, et des légions d'anges au tranchements nécessaires, prononcer des ana-
front radieux entourer le Maître adore, qui se thèmes, chasser de l'église tout ce qui en pro-
plaît à perpétuer l'holociuste du calvaire, et fanait la dignité. Des mécontentements éclatè-

le suivre pas à pas, alors que, sous le symbole rent, des menaces se firent entendre, toutes les

du pain sacré, il daigne s'approcher de chaque mauvaises passions s'unirent dans une conspi-
fidèle. ration unanime contre l'intrépi le réforma-
Le culte extérieurdans le Christianisme
, teur. Deux diacres et un moine, du nom
seulement la profession solennelle des
n'est pas d'Fsaac, atteints particulièrement par ses ri-
dogmes essentiels de l'Evangile; c'est aussi une gMeurs trop méritées, fomentaient ces haines
haute leçon morale qui rappelle sans cesse aux par toute sorte de calomnies ils espéraient ;

Chrétiens leurs devoirs envers r>i(ni envers , perdre dans l'opinion publique leur magna-
leurs frères, envers eux-mêmes. Ri'Mi n'estplus rime adversaire, en le représentant comme un
incontestable que l'heureuse influence qu'il homme d'un caractère vio-
dur, orgueilleux ,

exerce sur les mœurs privées et publiques; lent, ne vivant seul que pour vivre au gré de
rien n'est plus propre à ti^nir les cœurs élevés ses vices. De si impudents mensonges trou-
en haut, à y allumer le défir de^ rhosps ccl(!s- vaient le peuple incrédule et le pontife sourd :

tes et l'amour de la vertu. Symbolisme ou pa- l'un continuait d'applaudir son pasteur bien-
roles , tout dans la liturgie catholique respire aimé, l'autre poursuivait son œuvre sans fai-
la sainteté. Cela même rendait Chrysostome blir, et, en dépit des clameurs et des obstacles,

plus jaloux de la dignité et de la pureté du sa- travaillait à épurer, à recomposer son clergé.
cerdoce, en qui le culte se personnifie et dont Il n'y eut pas jusqu'aux cénobites, dont il
les défaillances se reflètent si vite et si tri-^te- avait partagé la vie ,
qui ne fussent pour lui
mentdans la vie des peuples. C'était là, depuis une cause de sollicitudesamères et de chagrin.
son élévation à l'épiscopat, sa constante préoc- Là aussi il était nécessaire d'intervenir et de
cupation; et tous SCS efforts tendaient à r.^ppe- réformer, car l'altération du bien est le pire
1er le clergé de Consfantinople au sentiment de mal. Autant Chrysostome vénérait et louaitces
sa mission, à la ferveur des temps apostoliques. hommes sincères qui, séparés du monde pour
Nectaire , son prédécesseur, honnête homme, être à Dieu et vraiment détachés des intérêts
esprit conciliant, mais évêque incapable, avait terrestres qu'ils font profession de dédaigner,
laissé tomber peu à peu, pendant sa longue et se consacrent sans regret comme sans réserve
débile administration, la sainte austérité de la aux travaux ignorés et à la sainte philosophie
discipline. Le relâchement et la mondanité du monastère autant il avait à dégoût ces
'
;

avaient envahi le sanctuaire. Frivoles de lan- intrigants en ciliée, faux monnayeurs de la


gage, sordides d'économie, âpres au gain, ou- piété, qui demandaient à la religion un man-

blieux des pauvres , certains prêtres passaient teau pour leurs vices, un passe-port pour leur
leur vie à fréjuenter les tables des grands, à ambition. Il se vit obligé non-seulement de ,

convoiter les richesses des veuves, à flatter les les censurer hautement, mais de sévir pour les
vices dont ils étaient les parasites. Refouler le faire rentrer dans l'ordre : de là, des colères
torrent des habitudes, relever la loi submer- dissimulées, mais profondes et implacables.
gée, réveilliT l'esprit antique, ramener à l'ab- L'abus qui le révoltait le pluset qu'il eut plus
négation et à la charité un corps riche et puis- de peine à déraciner, fut celui des sœurs adop-
sant en qui les abus mêmes prétendent au tives, contre lequel les conciles eux-mêmes
respect d'une chose sacrée, c'est une entreprise furent plusieurs fois impuissants. On appelait
difficile, périlleuse, d'un courage supérieur, de cenom déjeunes femmes qui, sous prétexte
où la popularité lamieux acquise peut se bri- de charité ou de piété, vivaient sous le même
ser en pure perte. Chrysostome s'y dévoua avec toit avec des hommes consacrés à Dieu par le

d'autant plus d'énergie que le mal était plus sacerdoce. On prélendaitne remplir qu'un de-
grand et que dans sa conviction
, , les plus , voir évangélique vis-à-vis de personnes délais-
funestes miasmes sont ceux qui s'exhalent par- sées, sans parents, sans amis, incapables de
fois du pied desautels. L'ennemi iju'il attaquait gérer leur fortune si elles étaient riches, expo-
avait des retraites cachées dans le temple et des sées à mille périls si elles étaient pauvres , à
complicités puissantes k la c«ur; il fallut s'ar- * foiom., I, t, e. B.
, ,

304 HISTOIRE DE SAIiNT JEAN CHRYSOSTOME.

qui la faiblesse de leur sexe, les défiances de pas je n'ai aucun désir de me faire des enne-
;

la loi , les mœurs de l'Orient rendaient une mis. Certes, je ne suis ni assez misérable ni
proteclioii nécessaire: protection dont elles dé- assez méchant pour vouloir oQ'enser à tort et à
frayaient leurs bienfaiteurs en lesdéch;irgeant travers tout le monde, mais je déplore amère-
df mille soins auxquels les femmes sont plus ment que, pour le plaisir que je signale, le
pour leur assurer ainsi, disaient-elles,
lirojires, nom de Dieu soit blasphémé et le salut des
une plus grande liberté de servir Dieu. Ce âmes compromis. Oui, cette société a en soi un
genre de vie se nommait maringe spirilitel. vifallrait,pluspiquantquele mariage même...
Au fond, c'était bien le mariage, écarté du Le mariage en effet qui apaise la concupi-
, ,

sanctuaire par la sagesse de l'Eglise, qui s'ef- scence, produit souvent la satiété il entraîne ;

foiÇiit d'y rentrer furlivement par la porte de avec lui des douleurs, des sollicitudes, des
rh\pocrisie sous le masque delà charité: embarras. Mais l'amour qu'inspire une vierge
c'était toujours un grand scandale. n'est jamais éteint parla possession..., il est
Chrysostome l'attaqua dans deux écrits pu- constamment entretenu et toujours plus ar-
bliés à Constantinople ', l'un contre les hom- dent... Mais, disent-ils, nous pouvons cohabi-
mes qui s'étaient donné ces fausses sœurs, ter avec une femme sans que cela éveille en
l'autre contre les femmes qui vivaient avec ces nous une tentation. Certes, ce sont là des hom-
prétendus frères. Son style habituellement mes bien heureux quanta moi, je voudrais
;

large et riche devient ici acéré et amer; sa être doué de leur force. Mais pour croire qu'il
douleur iu'i ignée parle avec une véhémence en existe de pareils, il faudrait qu'on me per-
qui rappelle manière de saint Jérôme, tem-
la suadai qu'un jeune homme, à l'âge oîi le sang
pérée néanmoins par celteabondince de cœur bouillonne dans les veines, vivant sous le
et celle charité qu'il inèle à tout. « Du temps même toit avec une jeune femme, assis près
de nos ancêtres, dit-il, on ne connaissait que d'elle, mangeant avec elle, causant sans cesse
deux causes pour porter ies hommes à demeu- avec elle, lui passant et recevant d'elle une
rer avec les femmes : l'une, ancienne, con- foule d'objets (sans compter ces rires inconve-
forme à la raison et rendue légitime par l'in- nants, ces effusions de joie, ces paroles langou-
slilulion de Dieu : le maringe ; l'autre, plus reuses et tant d'autres choses qu'il serait peu
récente, contraire à la loi et inventée par le honnête de rappeler) n'éprouve ni impres-
démon concubinage. De nos jours il s'est
: le sion mauvaise, ni mauvais désir, comme s'il
établi à cet égard un usage nouveau qui n'est était étranger à la nature humaine et placé
fondé sur aucun de ces motifs. L'on voit des hors de l'alteinte des passions ; voilà, dis-je, ce
hommes qui introduisent chez eux et gardent que je voudrais qu'on pût me persuader
toute leur vie de jeunes filles non pour avoir , On se borne à crier après moi, à me traiter
des enfants puisqu'ils assurentqu'ils n'ont avec d'impudent, àdire qu'en proie aux mêmes fai-
elles aucun rapport intime, ni pour être com- blesses je cherche à couvrir mes vices en signa-
phces de leurs débauches, puiscju'ils se disent lant ceux des autres. —
Ces vierges, réplique-
les gardiens de leur intégrité. Si vous les pres- t-on, sont sans appui, sans famille ; il leur faut
sez de donner les raisons d'une telle conduite, undéfenseur, un tuteur. — Misérable excuse qui
ils prétendent en avoir beaucoup ; mais je les devrait vous faire rougir Quoi vous parlez do
! 1

défie d'en alléguer une qui soit vraie et hon- les protéger, etvous ne faites que leur créer des
nête * ». périls. Belle position pour un ecclésiastique :
Jean démontre facilement le péril et le mal être l'intendant d'une femme et chercher à
de ces cohabitations, en réfute les prétextes.
il grossir sa fortune quand on devrait lui recom-
La société d'une femme, dit-il, a en soi, en mander renoncement et la pauvreté 1... S'il
le
dehors de toute union légitime ou illégitime est vrai que vous ne cédez qu'à la compassion
un grand charme... S'il n'en était pas ainsi, et que la charité seule vous fait agir, je rais
braverait-on , pour en jouir, le mépris public vous indiquer un moyen de vous satisfaire
et le scandale ? Si mon langage déplaît, je prie exempt de blâme et plein de mérite. Il y a bien
qu'on me le pardonne, qu'on ne m'en veuille des femmes, en effet, qui ont perdu la vue,
• Socrate
(1, 6, c. 3.) a prétendu que Jean écrivit ces deax livres à que la vieillesse accable, qui sont en proie à di-
Antioche pendant son diaconat. Pallade, témoin plus compé'ent, les
verses maladies et à la misère, la pire des ma-
présente comme composés tous les deux au début de son épifccopat.
» Chrys., o. 1. ladies.. .Informez-vous de celles-là, allez à leur
CFIAPITRE VINGT-QUATRIEME. m
rpchprcho: (ftie dis- je? Vous aurez peu de peine celle desfemmes du monde. N'est-ce pas le
à les trouver, cnr elles sont là sous nos yeux, comble du ridicule et du déshonneur? Que
prêtes à s'attacher à la main qui leur est ten- voulez-vous attendre de pareils hommes? Que
due. Si vous avez de la fortune, dépensez-la peuvent-ils comprendre à la liberté chré-
pour elles; si vous êtes robuste, aidez-les de vos tienne? De quelle pensée sérieuse sont-ils ca-
soins matériels, car elles ont besoin de nom- pables? Ils ne savent parler que laines et pa-
breux secours; il leur faut une demeure, des rures. Rien de grand rien d'utile ne sortira
,

remèdes, des vêlements, un lit, une nourriture de leur tète. Supposez un lion qu'on a dépouillé
stiffisante. N'y en eût-il que dix, voilà de quoi de sa crinière, auquel on a coupé ses ongks
exercer votre ohariié mais la ville en est pleine,
; etarraché ses dents le fier animal, si terrible
:

et vous en trouverez mille et deux mille. Ce sont naguère, dont un seul rugissement faisait
celles-là qui ont droit à votre pitié : elles sont trembler, n'est plus qu'un objet de risée: un
désolées, elles gisent à terre. Voilà l'aumône, enfant s'en moque. Tels ces hommes courbés
voilà riiumanité , voilà ce qui contribue en sous le joug des femmes, enchaînés par leurs
même temps à la gloire de Dieu et à la com- séductions; ils ne sont plus que lâches, fri-

mune de celui qui faille bienetdeceux


utilité voles, impudents, bavards, abjects, ini|)ortuiis,
qui en sont les objets ou les témoins. Mais si méi)risables, [)lus semblables par les habitudes
ces infortunées ne vous iuspirentque l'horreur, de la vie et le caractère à des femmes corrom-
si vous ne recherchez que de belles et jeunes pues qu'à des hommes ». '

filles, ne couvrez pas une coupable séduction Chrysostome, après ces vives paroles, retrouve
de prétextes menteurs; car vous pouvez trom- toute sa bonté ; et tendant la main à des frères
per les hommes, vous ne saurez tromper ni qu'il veut sauver plus que flétrir : «Pesez tout
corrompre le tribunal de Dieu' cela, dit-il, et relevez- vous, quoiqu'il soit bien
Quelle honte ! poursuit-il: des hommes à tard, de celle funeste maladie, afin que nous
qui il a été ordonné de prendre la croix et de puissions partir d'ici avec de brillantes cou-
suivre le Christ, jettent la croix pour prendre ronnes etdire au Chrisld'une bouche confiante :
la quenouille. Je ne m'étonne pas de la réputa- Pour vous et pour votre gloire nous avons re-
tion qui nous est faite de mangeurs, de para- noncé à ces plaisirs , nous nous sommes arra-
sites, de ûatteurs, d'esclaves des femmes, puis- chés à ces liaisons et, foulant aux pieds tout
,

que, mettant de côté ce que le ciel nous a donné attachement et tout préjugé, nous avons pré-
de grandeur, nous l'échangeons contre la servi- féré vous et votre amour à toutes les choses
lité et les Nous qui devons
bassesses de la terre. d'ici bas. Ainsi, nous nous sauverons nous-
porter tous les jours dans nos mains notre vie mêmes, nous sauverons ces infortunées, nous
et notre âme, nous nous sommes réduits au sauverons ceux aussi pour lesquels nous som-
rôle des eunuciues, notre existence n'est em- mes un objet de scandale, et nous aurons la
ployée qu'à grossir la fortune des autres au dé- palme des martyrs. Car celui ([ui brise par la
triment de leur honneur; et nous n'en rougis- crainte de Dieu les liens d'une passion domi-
sons pas!... Quel scandale de voir des hommes natrice, d'une ancienne et douce habitude,
consacrés à Dieu passer le jour et la nuit au n'est pas au-dessous du martyr qui supporte
milieu d'une troupe de jeunes tilles, non pas courageusement la souffrance. Songez donc à
seulement sous le même toit, mais dans le la récompense et montrez-vous plus forts, afin
même appartement Entrez chez eux, vous 1 que , la vie écoulée selon la volonté de Dieu ,
n'apercevrez çà et la que des souliers de femme, vous puissiez revoir dans le ciel celle dont vous
des bandeaux et des ceintures de femmes, des vous sépiirez sur la terre et, dans une conscience
fuseaux, des paniers, des navettes. Suivez-les pure, jouir de sa conversation sainte. Car, une
quand ils sortent, vous les verrez courirde l'or- fois que les affections sensuelles n'existeront
du parfumeur au brodeur,
fèvre au parfumeur, plus, une fois éteinte la concupiscence tyran-
au marchand de linge, s'enquiérant si le mi- nique, il n'y aura plus d'obstacle à ce que
roir et le flacon de madame, si le linge et les l'homme et la femme, à l'abri de tout soupçon,
parfums de madame sont prêts, et que sais-je vivent dans la même demeure de la vie des
encore ? Car nous en sommes venus là que la anges et des puissances célestes ' ».
toilelle d'une vierge est plus recherchée que L'intrépide zélateur nous marque lui-mêmo
• Cb7f„ n. 3 «t a. 7. * CUr^iii (4| pont"». -' Cliry».. n. J3.

§,. ;. Cg. — ToMB I,'


906 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHKYSOSTOME.

plume sousTimpression d'une


qu'il avait pris la réussi, qu'elles aient fait de toi ce que tu vou-
profonde douleur, sans se dissimuler le moins lais être ; à qui te présenteras-tu de ceux qui te
du monde ce qu'il allait susciter contre lui de connaissent, qui savent par quels moyens tu es
colères et de fureurs. Mais, en présence du de- parvenu Oseras-tu regarder en face celui qui
?
voir, les oppositions grandissaient son courage. t'a prêté son appui, le complice de tes manœu-

D'une mansuétude inépuisable, il avait la main vres?Où sera ton excuse? Souviens-toi de Si-
de fer pour frapper les vices hypocrites qui mon. Qu'importe que tu ne donnes pas d'ar-
cherchent un abri sous l'autel. Il abhorrait gent, si au lieu d'argent tu prodigues tes ca-
l'ambition et l'avarice du prêtre au-dessus de resses, si tu cherches à suborner ? Il fut dit à
tout. Selon lui , l'Eglise, par une sage dispen- Simon : Péris, toi et ton argent! A toi, l'on te
sation, a voulu épargner à ses ministres tout dira: Péris, toi et ton ambition ; car tu as cru
souci en dehors de leurs pieux travaux, à con- que l'intrigue humaine pouvait obtenir le don
dition qu'à leur tour, les ministres de l'Eglise de Dieu' ».
rassurés sur les indispensables besoins de la Sans doute le scandale était grand puisque le
vie se consacreraient en apôtres à l'instruction sage pontife se croit obligé de jeter un tel blâme
et à la sanclification des hommes, sans retour sur le sacerdoce, en présence d'un auditoire
sur eux-mêmes, sans aucune vue terrestre, sans laïque, peu disposé à l'indulgence, souvent
autre profit ici-bas que la douce puissance de même si injuste. Gardons-nous toutefois d'exa-
faire le bien et d'étendre l'empire de la vérité. gérer la portée de ses plaintes. Si l'ambition se
En dehors de ce but et de cette mesure, il ne montrait dans le sanctuaire, si l'intrigue alté-
voit qu'opposition malheureuse à l'esprit du rait et troublait les élections, si des prélats mon-
sacerdoce, à sa haute mission. Briguer les di- dains exploitaient au profit de leur vanité une
gnités du sanctuaire, intriguer pouryparvenir, position qui leur était faite dans l'intérêt des
en rechercher les avantages temporels, lui pa- âmes, de nombreux exemples de désintéresse-
raît un tel sacrilège, qu'il ne comprend pas que ment, de piété sincère, de dévouement aposto-
les disciples du Christ puissent s'en rendre cou- lique descendaient de ces chaires épiscopales
pables et dégrader à ce point la plus sublime profanéesquelquefois par des pontifes indignes,
vocation. Mais le mal était flagrant il scanda,; mais illustrées le plus souvent par la science
lisait les païens eux-mêmes. La cabale faussait unie aux plus hautes vertus. De magnifiques
les éleclions. Des concurrents plus indignes réalisations de l'esprit chrétien attestaient au
les uns que les autres se disputaient les
charges monde sa puissance immortelle, et consolaient
redoutées des Saints. L'ambition, tenant lieu l'Eglise desmalheureuses défaillances de quel-
de mérite ,
jetait dans l'Eglise une foule de ques-uns de ses ministres. La foi des Basile, des
choix déplorables. La certitude et la multipli- Athanase, des Grégoire, des Ambroise, rayon-
cité de ces désordres désolent le cœur sacer- nait au loin et suscitait de nombreux émules
dotal de Chrysoslome et arrachent à sa dou- de leur pureté, de leur courage, des saintes im-
leur, même du haut de la chaire , même molations de leur vie. Jean put le constater
devant un clergé qui l'écoute en fi'émissant, avec bonheur au milieu des tristes épreuves
des paroles comme celles-ci : qui ne tardèrent pas à l'assaillir; et l'historien
« Telle est notre conduite, que nous sommes païen, Marcellin, qui relève avec complaisance
pour le peuple comme si nous n'étions pas. les faiblesses des chrétiens , n'hésite pas à re-
Songeons-nous à déclarer la guerre à ceux qui connaître qu'ils comptaient alors parmi eux un
oppriment les pauvres? Prenons-nous en main grand nombre d hommes reconmiaiidables par
la défense du troupeau ? Nous regorgeons, nous la modestie, la noblesse et l'austérité de leurs
le dévorons. Au lieu de veiller et de se dé- mœurs. Innocent I" sur la chaire de Rome, son
vouer, les évoques songent à jouir de leur po- prédécesseur Anastase, pontife d'une riche pau-
sition. Les consuls et les préfets ne reçoivent vreté, suivant l'expression de saint Jérôme ',
pas plus d'hommages qu'eux. Se présente-t-il à Martin à Tours, Aurélius à Carthage, Honorât à
la cour?révèque passe le premier. Ainsi, tout Lérins, Gaudentius à Brescia, Chromatiiis à
a péri, tout s'esl corrompu. Je le dis, non pour Aquilée, D, Iphinius à Bordeaux, Paulin à Noie,
vous humilier en pub'ic, mais pour réprimer Vénérius à Milan, les sublimes solitaires de la
une coupable ambition. Prêtre ambitieux, ré-
' Chrys., sur les Act., l'ii
fin Bom, 3. -; • S. Hier. tf. ad D^
poads-j«oj ; je suppose que tçs iolrigues aici.t mclr. i. J, p. ;y;.
CHAPITRE VlNGt QUATRIÈME. 307

ralcslinc et Je rE;;ypte, une nmlliUide d'au- procès avec les marchands de blé, de vin et
Ircs, faisaient la gluire Jii Clirislianismoel 1 aJ- autres. Les prêlres ne sont plus connus que par
mirationdu monde. Le sanctuaire était desservi des désignations qui les confondent avec les
par des hommes, non par des anges; mais, laïques; tandis que, suivant l'inslitution des
quelles que fussent les fautes reprochées alors Aiiûtres, leurs litres leur devraient venir du
à quelques-uns de ces hommes, jamais le sa- secours qu'ils portent aux opprimés, du soin
cerdoce n'avait tenu plus haut, d'une main plus qu'ils donnent anx orphelins, de la proteclion
ferme, le drapeau divin de la Croix; jamais il qu'ils accordent aux vierges et aux veuves. C'est
ne fut donné à la terre d'écouter de plus purs là, en effet, la fonction du prêtre, et non d'ad-
enseignements, d'admirerde(dus belles vertus. ministrer des terres et des maisons '
».
Q'iant aii.\ abus signalés par Chrysostome, il Les plaintes de Chrysostome se retrouvent
les attribue, pour la plus grande part, à une sur les lèvres de tous les Saints. Faut-il en con-
cause générale la cupidité. Avec saint Augu-
: clure qu'ils refusent à l'Eglise le droit d'avoir
stin ', il regrette la pauvretij des temps primi- des biens temporels? Mille passages de leurs
tifs, alors que la charité des fidèles était le seul écrits protestentcontre une pareille induction'.
trésor du sacerdoce et plus d'une fois il redit
; Pouvaient-ils blâmer Jésus-Christ recevant les
à Conslanlinople ce qu'il avait dit à Autioche : oblations des fidèles, qu'il réunit en un pécule
« L'Eglise possède des champs, des chariots, commun administré par un des siens? Pou-
des mulets, mille autres choses de ce genre : vaient-ils blâmer les Apôtres aux pieds desquels
c'est votre dureté qui en est cause. Il était pré- les premiers Chrétiens versaient des sommes
férable que tout cela restât dans vos mains, et considérables? A coup sûr, de si sages esprits
que votre affection pour elle fùl son unique ri- ne pouvaient méconnaître que l'Eglise est une
chesse. L'état actuel entraîne deux résultats dé- institution visible, destinée à agir dans un
plorables vous prive de tout mérite, et il
; car il monde à la fois physique et spirituel, et qu'elle

condamne de Dieu à s'occuper de


les ministres a besoin, pour atteindre son but, de moyens
choses qui ne les regardent pas. Est-ce qu'au d'action terrestres, c'est-à-dire du droit d'ac-
temps des Apôtres l'Eglise ne pouvait pas avoir quérir et de posséder des biens temporels.
des maisons et des champs? Pourquoi les ven- Aussi, tout en condamnant dans les clercs une
dre et en distribuer le prix? Parce que c'était cu[)idité déshonorante, ils s'élèvent avec force
mieux. Vos pères, craignant que l'amour des contre la jalousie des laïques qui reprochent
biens delà terre, qui s'accroît toujours parmi au sacerdoce ses prétendues richesses '. Mais,
TOUS, n'exposât les veuves, les orphelins, les p ofondémenl pénétrés de la sainteté de leur
\iergcsàmourirde faim,ontarrangé Icschoses ministère, ce qui les afflige surtout, ce sont les
comme elles sont aujourd'hui Mais voilà le abus qui s'introduisentdans le sanctuaire et af-
sacerdoce qui ressemble à une administration faiblissent l'autorité morale du clergé. Tout en-
séculière. Renversement déplorable ; car, si le tiers au salut des âmes, ils regrettent le temps
prêtre et le laïque sont égalements absorbés par qu'il faut leur ravir pour des intérêts très-infé-
de grossiers intérêts, qui apaisera Dieu ? C'est rieurs. Saint Augustin, dit Possidonius, eût
pourquoi nous n'osons plus ouvrir la bouche, voulu ne vivre que des oblations des fidèles ;
parce que l'Eglise ne diffère en rien du monde. et, les voyant jaloux de l'Eglise, il les invitait à

N'avez-vous pas lu que les Apôtres refusaient reprendre les biens qu'elle avait reçus de leurs
même de distribuer l'argent qu'ils ne devaient pères et à les administrer eux-mêmes. Les gens
pasàleur travail? Et aujourd'hui, les é\êques d'Ilipponc, ajoute le pieux narrateur, n'y con-
sont pis que des procureurs et des marchands; sentirent jamais *. D'autres ont été moins déli-
etquand il leur faudrait se dévouer au soin cats... Ilsontprisce qu'ils n'avaient pas donné.
dcsânie<, ils sont condnnmés aux mêmes solli- Mais si, en dépouillant l'Eglise, ils croient l'as-
citudes que des percepteurs d'imi)ôts, des con- servir, leur erreur est grande. Jésus portail un
trôleurs, des banquiers Ainsi, votre inhu- manteau de pourpre sur ses épaules il tenait ;

marité nous a rendus ridicules puisque nous ;


un sceptre de roseau dans ses mains, quand
quittons tout, prières, prédication, saints exer-
cices, pour passer notre vie en querelles, en

• reuUoD-, in vil, S, Avg., o. 23»


SOS HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

une vile soldatesque se prosternant dérisoire- le gibet et n'avait à son front qu'un diadème
ment â ses pieds tournait en ridicule ses titres d'épines, quand son dernier soupir ébranlait
augustes de Prophète et de Roi il était nu sur ;
et sauvait le monde.

CHAPITRE VINGT-CINQUIÈME.

La femme chrélieime. — Institution des diaconesses. — Collèges de vierges et de veuves. — Réformes introduites par Chryso-
stome. — —
Nicarète. Silvine. — Sa famille. — Nébridius. — Lettre de saint Jérôme. — Pentadie. — Timasiug. — Lettre
de Jean. — Olympiade.

La première conquête du spiritualisme chré- nombrablesmartyres.DepuisMadelainejusqu'à


tien,son premier autel peut-être, ce fut le la mère de Constantin et à la femme de Clovis
;

cœur de la femme. D'une organisation plus depuis Lydie, la marchande de pourpre de


délicate, d'une sensibilité plus exquise, moins Tyatire, jusqu'à Pauleet à Mélanie, elles furent
enchaînée que l'homme aux grossiers intérêts toujours les protectrices zélées, les apôtres mo-
de la vie présente, la femme est aussi plus ac- destes, mais actifs et intrépides des idées chré-
cessible à la voix du monde supérieur. Sur des tiennes dont leur vie était la plus touchante réa-
ailes plus fragiles, elle s'élève plus haut dans ; hsation. Leur sang noblement prodigué, leurs
sa nature même il y a du surnaturel. Faible et douces et pures vertus, leur charité infatiga-
d'une invincible énergie, mobile et portant la puissamment au
ble et tendre, contribuèrent
constance jusqu'à l'héroïsme, inclinée au plai- triomphe de l'Evangile, que d'autres ensei-
sir et capable des plus hautes immolations, gnaient et glorifiaient par la parole et par la
frivole et sublime. Dieu a plus d'écho dans son plume, qu'elles faisaient aimer et goûter par
cœur, plus de place dans son existence elle est ;
leurs exemples. Par elles, il devint la vie des
plus vivement attirée vers l'éternel et l'inQni; familles, avant d'èlre la loi du monde; leurs
on dirait, parfois, qu'elle a voulu combler de pieuses mains ajoutèrentd'inestimables joyaux
vertus et d'amour la distance infranchissable à lacouronne de Jésus-Christ.
qui sépare la créature du Créateur. Son intel- de iMarie, déchues dans l'une,
Filles d'Eve et
ligence moins exercée, d'une trempe moins transfigurées dans l'autre, héritières des fai-
forte, d'une portée moins vaste, saisit plus blesses et de l'anathème de celle-là, de la grâcû
vite, etcomme d'inspiration, ce qui est grand, et des bénédictions de celle-ci, portant au front
ce qui est beau, ce qui est divin, et s'y attache et dans le cœur un reflet des divines splen-
avec ardeur. La vérité, en tombant dans son deurs de la mère de Dieu, deux vertus furent
âme, y devient passion, enthousiasme, cou- surtout leur glorieux apanage la virginité et :

rage; elle y brille moins, elle y brûle davan- la charité. Mais la virginité, dont le céleste lis
tage et pour en communiquer le trésor, pour
;
fut cultivé avec tant d'amour par beaucoup
en préparer le triomphe, pour en étendre l'em- d'entre elles, loin d'être stérile pour le monde,
pire, rien ne coûte à la femme qu'elle a péné- y devint l'instrument le plus fécond de la cha-
trée d'un de ses rayons; rien ne l'arrête, ni le rité. En fermant le cœur à une passion exclu-
sacrifice de la fortime, ni celui de la vie. Aussi, sive, elle l'ouvrait à uu sentiment plus vaste,
danslesrévolutionsmoralesderhumanité, une et répandait sur l'humanité ce que la nature
part considérable d'influence échut toujours au absorbe dans une famille du trésor fragile d'un
:

sexe le plus faible mais le plus dévoué il fut ; seul elle faisait le trésor divin de tous. La sym-
souvent la poésie, l'éloquence, la flamme pro- pathie pour les pauvres, pour les affligés, pour
pagatrice de la doctrine. On le vit bien à l'ori- les malheureux se développa dans le cœur des
gine du Christianisme, dont la cause, embras- femmes avec le sentiment de la prière et la pu-
sée par les femmes avec une sainte ivresse, reté. Plus elles se vouèrent à Dieu, plus elles
recruta daos leurs rangs d'admirables et iu- prodiguèrent au.\ hommes les preuves d'ung
CHAPITRE VINGT-CINQUIÈME. 300

charité qu'elles savaient rendre aussi puissante crées à Dieu au sein desquelles on les recrutait,
que délicate; leur dévouement ne connut pas étaient la partie la plusdélicateet laplus méri-
de limite. Toutes les misères eurent leur ser- toire de l'administralion des évèques. o Ils
vice, toutes les agonies leur ange consolateur; avaient besoin d'une grande patience , dit
les hienfiits dont elles couvraient le monde Flcury, et d'une grande discrétion pour gou-
attirèrent plus d'adeptes au Christianisme que verner toutes ces femmes, pour maintenir les
des milliers de prodiges. N'étaient-elles pas, diaconesses dans la sobriété et l'activité néces-
d'ailleurs, l'un de ses prodiges les plus beaux? saires à leurs fonctions, mais difficiles à leur
L'Eglise, qui comprit tout d'abord le mer- âge; pour empêcher qu'elles ne devinssent trop
veilleux secours que lui ajiportait la sainte am- crédules ou qu'elles ne fussent inquiètes, cu-
bition des femmes chrétiennes, l'encourogea et rieuses, malicieuses, colères et sévères avec
l'employa avec autant d'habileté que de bon- excès. Ilprendre garde que, sous pré-
fallait
heur. De là, l'institution des diaconesses, qui texte du catéchisme,
elles ne fissent les savan-
remonte au temps des Apôlres et rendit des tes et les spirituelles qu'elles ne parlassent
;

services éminents. Complément précieux du indiscrètement des mystères, ne semassent des


sacerdoce, ces humbles et ferventes créatures, erreurs et des fables ;
qu'elles ne fussent par-
consacrées à l'autel et aux pauvres, étaient leuses et dissipées. II fallait encore bien de la
chargées d'instruire les catéchumènes de leur charité pour guérir et supporter les défauts des
sexe, de les présenter au baptême, de guider autres veuves et des autres femmes, comme la
leurs premiers pas dans la vie de Dieu. A l'é- tristesse, la jalousie, l'envie, les médisances,
glise, les jours de synaxe, elles veillaient sur lesmurnmres contre les pasteurs mêmes, en fir '

le côtéde l'enceinte réservé à leur sexe, assi- tous les maux qui suivent ordinairement la
gnant les places, faisant observer le silence, faiblesse du sexe et de l'âge ». Le mérite supé-
recommandant la modestie; mais leur grande rieur du grand nombre, le bien qu'elles fai-
fonction, c'était la visite des malades, l'éduca- saient, la pureté de leurs intentions , leurs
tion des orphelins, la distribution des aumô- vertus touchantes qui les égalaient aux plus
nes, et tous ces détails de la charité auxquels grands Saints, n'empèchaiunt pas ces misères
l'évêque et les diacres ne pouvaient pourvoir inhérentes à la nature humaine, et que l'évê-
avec autant de bienséance ni d'efficacité. Les que avait pour mission de combattre et de
distinctions dont elles étaient l'objet n'allérè- prévenir.
rent jamais la modestie de leur dévouement; Chrysostome, dès ses premiers écrits', avait
elles se donnèrent elles-mêmes le nom de ser- signalé ce devoir comme un
grand écueil de
vantes, préféré par leur piété aux titres hono- l'épiscopat ; aussi l'aborda-t-il avec ce mélange
rables que le respect public aimait à leur dé- de prudence et de force qui caractérisa toujours
cerner. Choisies entre les veuves et les vierges son ministère. Là aussi il avait des vérités sé-
dont les antécédents offraient les gages les vères à faire entendre et de grandes réformes
plus incontestables de sagesse et de charité, et à opérer; là aussi il trouva avec de précieuses
que kur âge rendait vénérables, leur promo- consolations une source d'épreuves cruelles.
tion, résultat d'un mûr examen, avait lieu Que de dans son pieux et brillant langage,
fois,

solennellement au pied de l'autel, pendant les il avait loué ces jeunes filles, à peine âgées de
saints mystères, sous la présidence du pontife, vingt ans, et surpassant a déjà les hommes par
qui leur imposait les mains et leur mettait leur courage, lesquelles, élevées à l'ombre, sur
l'anneau au doigt, l'étolc au cou, symbi^lcs des lits voluptueux, au milieu des roses et des

d'une dignité sainte et du pouvoir qu'elles par- parfums, vêtues de linge plus fin que leur
tageaient avec les diacres. Elles portaient un coriis, entourées de servantes et n'ayant d'au-
liabit dislinctif, et faisaient partie du clergé '.
que de se parer et
tre souci se couvrir d'or,
Le nombre des diaconesses allachées à cha- quand une fois la llunme du Christ les a tou-
que église devait être considérable, [luisqu'une chées, ont tout (juillé, le faste et le plaisir,
loi de Justinien le limilc à quarante pour la tout oublié, leur âge et leur éducation, ut se
grande église de Conslantinople. Mais leur di- sont jetées en athlètes au milieu des plus âpres
rection, celle des vierges et des veuves consa- combats, se condamnant elles-mêmes à une vie
si austère qu'elles neportenlplusquedo rudes
Cb»d., HiJt. dci lacr. I. 5. p. Ï66; Flcury, Mooora de» Chr.,
,' Clu^s., liv. du Sacerd,
.

dio HISTOinE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

cillces, que leurs pieds délicats ne sont plus même à celles qui n'avaient pas renoncé au
protégés par aucune chau-sure, qu'elles pas- monde, il leur rappelle, en public aussi biLn
sent la nuit sur des naties grossières et souvent qu'en particulier, les devoirs et les bienséances
même sans se coucher, ne mangeant qu'une de leur position. «Que faites-vous, leur disait-
fois par jour, \ers le soir, non du pain ni des il, est-ce qu'en dépit de l'âge vous voulez ra-

légumes frais, mais de la farine bouillie, des jeunit ? 11 vous sied bien de porter ces frisures
fèves, des olives, des figues, occupées sans au front comme des femmes perdues, tendant
cesse à filer ou à des travaux plus rudes que ainsi des pièges à ceux qui vous fréquentent,
ceux des esclaves, chargées qu'elles sont de et couvrant de confusion celles de votre quahlé
soigner les femmes malades, de porter leurs qui ont plus de pudeur que vous I »

lits, de laver leurs pieds, de faire leur cuisine I Ces hardiesses apostoliques devaient lui at-
Voilà, disait-il, ce que peut le feu du Christ! tirer et lui attirèrent, en effet, de grandes ini-

Voilà conunent l'intrépidité de l'âme l'emporte mitiés. Parmi les femmes de la cour, plusieurs
sur h nature! Mais, ajoutail-il, en se tournant et un particulier trois veuves riches et puis-
vers les hommes, je ne demande de vous rien santes, Marsa, Eugraphie, Castritie, se crurent

de semblable, puisque vous êtes déciJésàvous désignées dans ses discours, et lui vouèrent une
laisser vaincre par des femmes' ». haine implacable, qui devint l'un des pivots et
Autant il avait de sympathie et d'éloges pour le plus actif agent des intrigues qui aboutirent
la vei'tu sincère, autant il éprouvait le besoin à son exil. Chrysostome remplissait son devoir,
d'éca.-ter d'elle l'alliage fatal de la vanilé, de et le bruit qui se taisait autour de lui ne mon-
la mollesse, de l'hypocrisie, cette piété fausse tait pas jusqu'à sa conscience.
qui portait jusque dans le sanctuaire les mi- Mais, s'il rencontra aux pieds des autels des
sères et les petitesses du monde. Prêtre d'An- femmes indignes de leur vocation, d'autres en
tioche, il se plaignait que le désir de plaire, grand nombre consolèrent sa vie et ajoutèrent
une indigne eussent envahi la
coquetterie, à sa gloire. Nicarète, Procula, Pentadie, Salviue,
profession la plus sainte, et que les épouses du quelles grandes figures groupées autour de sa
Christ, en présence de ses autels, fussent oc- chaire pontificale ! Jamais peut-être tant de
cupées de composer leur démarche, d'ajuster fleurs de sainteté n'étaient écloses simuKané-
leur voile, et, même sous la bure, de faire ment à la voix d'un homme
Nées dans l'opu-
!

valoir leur taille et leur beauté. « Il n'y a plus lence, ces illustres Chrétiennesavaient consacré

moyen, de distinguer une vierge


s'écriait-il, aux pauvres leur fortune et leur vie. La Provi-
chrétienne d'une courtisane. Des femmes que dence, qui voulait les associer à la gloire de
l'on devrait vénérer dans le temple, comme si Chrysostome, les associa d'abord à ses dou-
elles descendaient du ciel, n'y sont plus qu'un leurs. Brisées par le même orage, en butte aux
objet de mépris, et celles du monde les tour- mêmes haines, elles conservèrent une inébran-
nent en ridicule '». Mais, investi de la respon- lable fidélité au saint pasteur, leur guide et

sabilité et ne se borna
du pouvoir d'évêque, il leur oracle, dont l'affection, pieux rayon de
plus à déplorer, il voulut extirper ces abus. Les l'amour de Dieu, se traduisait dans leur vie
collèges des vierges et des veuves attirèrent son par les plus nobles vertus.
attention autant que le clergé; il interrogea Nicaiète était de Nicomédie sa haute nais- ;

une à une toutes les femmes vouées à Dieu, et sance et sa grande fortune ne l'avaient pas
s'enquit sérieusement de leurs sentiments et de empêchée de se vouer à Dieu dès sa jeunesse.
leur conduite. Plusieurs avaient conservé des Elle ne vécut que pour lui : le ciel fut sa seule

habitudes mondaines et sensuelles; ailles ex- pensée ; la charité, sa seule passion. Tout en
horta à quitter toutes ces recherches de bains, ellerespirait la dignité et la sainteté. Sozoniènc,
de parfiuns, de toilette, pour embrasser la pé- qui l'avait connue, assure que personne ne lui

nitence et le jeûne, ou à se marier au plus tôt, futcomparable en modestie, en sagesse, en


afin que leur vie dissipée ne compromît pas grandeur d'âme ; aucun événement d'icibas
aux yeux des hommes la sainteté de la loi de n'abattit son courage, n'altéra sa sérénité. Dé-
Dieu * D pouillée de ses biens par un caprice de la
S'adiessant plus spécialement aux veuves, cour, elle supporta sans p.ine la pauvreté, et
sut y trouver de (]uoi secourir une foule d'iti.
' Chrys., Bom. 13, sur Tép. aux Eph., n. 3. — ' Id., Hom. 8,
o. 2,, sur la X" â Tiu-ota. — ' Fait , dial., c, 5. dij^euls. Telle était son humilité, que, malgré
CHAPITRE VINGT-CINQUIÈME. 311

les instances réitérées du pontife, elle refusa la de famille dans sa villa près de Milan, il fut
présidence du collège des vierges et môme le saisi par les gens de son hôte, pendant une

simple titre de diaconesse elle n'en fut pas ;


promenade à cheval, et noyé sous les yeux du

moins la servante empressée de tous les mal- traître qui avait commandé sa mort et riait aux
heureux. Sa compassion ingénieuse lui faisait éclats.

découvrir des moyens inattendus de soulager C'est alors que saint Augustin écrivait :

les pauvres malades ; et, Dieu daignant bénir « L'incertitude des choses de ce siècle est si
ses heureuses inventions, on la réclamait de grande, on voit si souvent tomber les princes
toutes parts comme le meilleur des méde- de la terre, que ceux qui mettent en eux leur
cins, on implorait sa visite comme une grâce, espérance y trouvent plutôt leur ruine ». '

on luidemandait dos miracles. Le vrai mi- La femme de Gildon était une sainte; elle
racle, c'était sa charité qui prenait toutes les se retira près de sa fille, à la cour d'Arcadius.

formes pour consoler toutes les douleurs et ne Mais déjà Salvine avait été soumise à une dou-
fitdéfaut à aucune cependant l'humble fille
;
loureuse épreuve. Nébridius était mort à la
de Dieu ne cherchait qu'à dérober au public fleur de l'âge et au plus beau d'une brillante

ses vertus et le bien qu'elle faisait. La persé- carrière, laissant à sa veuve désolée deux en-
cution qui fondit sur les amis de Chrysostome fants très-jeunes, un
fils et une fille. Saint

ne pouvait épargner cette noble et sainte exi- Jérôme, qui ne connaissait pas Salvine, mais
stence : ordre donné de quitter Conslan-
lui fut qu'une ancienne amitié liait à son beau-père,
tinople ; elle mourut dans l'exil '. lui écrivit une lettre de consolation et de direc-
Salvine, d'autres disent Silvine, appartenait tion. Il s'étend aveccomplaisance sur les vertus

à cette vieille et grande famille des rois de de Nébridius. Uni à son épouse au sortir d'une
Mauritanie,terribleetfatale aux Romains,et des- jeunesse calme et pure, ni le baudrier, ni le
tinée à finir si tragiquement. Firmus et Mazéca, manteau militaire, ni la foule des serviteurs et
ses oncles, levèrent l'étendard contre Rome ;
des gardes ne purent altérer la simplicité de
mais, trahis et vaincus, donnèrent la ils se son âme; il trouva dans les dignités qui allaient
mort de leurs propres mains pour ne pas la re- au-devant de lui, dans son opulence sans cesse
cevoir des mains du vain(iueur. Gildon, son accrue par les largesses impériales, le moyen
père, dont les historiens romains nous font un de répandre plus de bienfaits et d'alléger plus
horrible portrait, porta les armes contre ses d'infortunes. Quelle veuve s'était adressée à
frères et obtint à ce prix le gouvernement de Nébridius sans avoir obtenu son appui? Quel
r.\frique il en fut quelque temps le maître
; orphelin n'avait trouvé en lui un second père ?
plutôt que le gouverneur. Théodose, peu ras- A lui évoques de l'Orient adressaient les
les

suré sur la fidélité de cet homme intrépide, prières de tous les malheureux, les suppliques
mais ambitieux et fourbe, crut l'enchaîner à de tous les opprimés. Ses demandes à l'empe-
l'empire en mariant Salvine avec Nébridius, reur n'eurent jamais d'autre objet que des abus
fils d'une sœur de Flacilla, jeune homme d'une à redresser, des pauvres à secourir, des captifs
haute distinction, qu'il aimait beaucoup et à racheter, des malheurs et des injustices à
qu'il avait fait élever avec ses propres enfants. réparer. Le prince aimait à exaucer un solli-
Cette combinaison réussit assez bien, et tant citeur noblement désintéressé, et la grâce ac-
si

que vécut le grand empereur, l'Afrique resta cordée à un seul faisait le bonheur d'un grand
calme. Mais il était mort à peine depuis trois nombre.
ans, que Gildon, secrètement encouragé par a Dans un petit cercle de jours il a renfermé
Eutrope, secoua le joug abhorré de sa race, et une longue vie. A sa place, poursuit l'éloquent
recommença contre Rome l'ancienneet terrible solitaire, nous avons des enfants délicieux. Sa
luttede l'indépendance. Dathi par Mascizcl, son femme, héritière de sa piété, est un trésor. Lo
frère, etlombé au pouvoir du ses ennemis, il petit Nébri'lius rap[)elle son père tout entier.
n'échappa que par le suicide au supplice qui Ce sont ses yeux, ce sont ses traits, c'est sa dé-
l'allcndait. De son côté, le malheureux Mascizel, marche. Une étincelle de l'énergie paternelle
dont les deux fils avaient été massacrés parleur brille dans le fils, et la similitude de mœurs
oncle Gildon, ne jouit pas longtemps de sa éclatant à travers le miroir de la chair nous
gloire sinistre; car invité par Sliliconà unefête montre une grande âme dans une petite poi-
Sozom , 1. 8, c. 33. ' s. Aug., Enarrat in psalm. 15, v. 2.
m HISTOIRE DE SAINT JEAN CHR\SOSTOME.

trine. Sa sœur est une corbeille de lis et de et tous lesdeux y périrent misérablement '. La
roses. Elle a le visage de son père, avec plus de haine de l'eunuque, malassouvie parce double
beauté, et ressemblesi bienàsa mère, que vous holocauste, s'acharna sur l'épouse et la mère
\oyez dans un même corps les deux auteurs de de ses victimes et Pentadie, vouée aux fureurs
;

ses jours. Elle est si douce, si que


ravissante, du monstre, ne put s'y dérober qu'en se réfu-
tous ses proches se la disputent. L'empereur giant aux pieds des autels. Pour l'en arracher,
ne dédaigne pasdelatenirdaussesbras. L'im- Eiitrupe enleva aux églises le droit d'asile, et
jiéralrice prend plaisir à la serrer contre son ordonna de chasser immédiatement du sanc-
sein. Cliacun à l'envi l'attire à soi; elle se pend tuaire du Christ tous ceux qu'il abritait pour
au cou et folâtre aux mains de tout le monde. les livrer au glaive de la loi, c'est-à-dire à ses

Babillardeetbalbutiantencore,ce balbutiement propres et hideuses vengeances '. La protection


même la rend plus aimable. Tu as donc, Sal- du Ciel et le courage de Chrysostome sauvèrent
vine, un dédommagement à l'absence de Nébri- de ce péril inattendu la veuve de Timasius. De
dius. Pour un époux que Dieu t'a pris, il t'a ce jour, elle se consacra à Dieu et aux pauvres,
donné deux enfants. Le nombre de l'amour et devint diaconesse de Constantinople. L'il-
s'est accru. Rends au tils ce que tu devais au lustre pontife professait une profonde admira-
père. Ce ne sera pas un petit mérite devant le tion pourcette noble feuimeau grand caractère,
Seigneur de bien élever tes enfants ' ». qui unissait à la modestie la plus touchante, à
Puis le saint homme trace à la veuve affligée la charité la plus dévouée, l'âme la plus forte

les règles d'une vie chrétienne, et, avec une qui puisse être formée à l'école du malheur et
singulière énergie de langage, il la détourne de la foi. Proscrit, il lui écrivait fréquemment

des secondes noces, l'exhorte à se consacrer à du fond de son exil pour la féliciter de son cou-
Dieu, à veiller sur sa réputation, fleur délicate rage et lui recommander ses amis persécutés.
qu'un souffle ternit, à s'entourer de personnes «Je connais, lui mandait-il, la grandeur et l'é-
sages, à préférer le jeûne aux plaisirs, à mé- lévation de votre âme, calme au milieu de la
diter sans cesse les livres saints. Ces conseils ru- tempête, inébranlable aux flots courroucés. La
dement donnés, furent ponctuellement suivis. renommée de vos vertus s'est étendue j usqu'aux
Pallade nous apprend que Salvine honora son limitesdu monde, et de loin même votre
\euvage par la dignité de ses mœurs et de exemple est un encouragement pourtousceux
hautes vertus. Dès que ses devoirs de mère le qui aspirent à la piété. Quelle est donc la cause
lui permirent, elle quitta la cour, se dévoua de votre silence? Je ne saurais le dire; mais je
tout entière au service des pauvres, devint dia- vous prie de ne pas me laisser sans nouvelles
conesse de la grande église de Byzance, et mé- de votre santé et de votre maison, afin que,
rita, par son humilité profonde et sa charité malgré la distance qui nous sépare etl'hori'eur
sans bornes , la vénération affectueuse de de ma solitude, je puise dans vos lettres une
Chrysostome. précieuse consolation... Gardez-vousde quitter
Pentadie était la veuve d'un général illustre la ville, lui écrivait-il encore ; car vous êtes
et malheureux. Timasius, en effet, avait pris l'appui de vos concitoyens, l'asile, le port, le
une part glorieuse aux victoires de Théodose boulevard de tous ceux qui sont persécutés. Là,
sur les Barbares dans la Macédoine et la ïhes- chaque jour vous recueillez des trésors de
salie, et surtout à sa guerre contre Eugène. Vail- grâce, et votre dévouement héroïque est l'édi-
lant soldat, homme de bien, cœur généreux, il fication de tous ceux qui le connaissent. D'ai'-
jouissait de la confiance absolue de l'empereur leurs, ajoute-l-il sur le ton d'un père, la saison
et d'une immense considération à la cour et est mauvaise, et vous savez combien délicate est
dans l'armée. Consul dès l'au 389, ses services, votre santé. Promettez-moi de ne pas bouger de
sa fortune, ses vertus, sa renommée en faisaient là par un temps pareil, et daignez m'écrire sou-
un des personnages les plus importants de l'em- vent '»,
pire ; c'était assez pour lui mériter la haine D'autresSaintes,Adolie, Amprucla,Carlérie,
d'Eutrope et la mort. Accusé, sur de fausses Asyncritie, Calcidie, enlouraientChrysostome,
pièces, d'avoir aspiré à la pourpre, il fut exilé, recherchaient ses conseils, et justifiaient par
avec son fils Syagrius, dans le désert de Lybie, leurs vertus la sagesse de sa direction. Mais

• Sozorn., 1. 8, c. 7 ; Zosim., 1. 5 ; Claud., in Ei'lr., 1, 1.— '50-


•g, Bier.jurf Sulv. ep.Si, lOCP., ibiU.; Suer,, 1. b, ci. — ' Cbrjs., lettre 1U4.
CHAPITHE VINGT CINQUIÈME. dl|}

Hans ïc chopnrnombreux de ces femmes d'élite, n'avait eu en réalité d'autre époux que le Verbe
auxquelles il fut lié par une affection noble et divin ',

pure pieusement cultivée jusqu'à la mort, et Sa beauté, son esprit, sa fortune entourèrent
qui n'était qu'une charité plus tendre fondée son veuvage de prétendants; elle n'en accueillit
sur une estime plus haute, Olympiade occupa aucun. A l'empereur Théodose, qui voulait la
toujours et mérita le premier ran;,'. ail n'y a marier avec un riche es]tngnol, son proche
guère eu d'exemple, dit Tillemont, au iv° et au parent, elle répondit Si Dieu eût voulu que
:

V siècle de l'Eglise, d'une veuve plus célèbre je vécusse avec un homme, il ne m'aurait pas
on sainteté et en aumônes, et plus honorée par ôté le premier. Cette réponse déplut à l'auto-
les Grecs et par les Latins que celui de la fa- crate, qui ne savait pas encore tout ce qu'il y

meuse Olympiade. Elle a été à Constantinople avait de sainte énergie dans cette jeune âme.
ce (lue sainte Marcelle a été à Rome, et les deux Il ordonna que ses biens, jusqu'à ce qu'elle

Mélanie avec sainte Paule à Jérusalem ' ». On eût atteint l'âge de trente ans, fussent mis sous
peut ajouter qu'elle eut, au-dessusdecesillus- le séquestre et administrés par le préfet de

tres saintes, le glorieux privilège d'être persé- Constantinople; et celui-ci usade son pouvoir
cutée et pres<iue martyrisée pour la cause de la avec tant d'arbitraire et de violence, que la
vérité et de la justice : c'est-à-dire pour la cause noble veuve n'avait pas même la liberté d'aller
de l'Eglise et de Jésus-Christ. à l'église ni de converser avec un évêque. On
Nièce de cette Olympiade, qui, fiancée d'a- espérait l'amener, par la fatigue et le dégoût,
bord à l'empereur Constance, épousa plus tard à l'idée du mariage. Olympiade subit, sans se
Arsace, roi d'Arménie, elle unissait à une plaindre, cette odieuse tyrannie, et s'affermit
grande fortune une illustre naissance. Belle, d'autant plus dans ses généreuses résolutions.
aimable, spirituelle, familière avec toutes les Elle écrivit à Théodose « Je te rends grâce.
:

sciences du temps, douée d'une âme grande, Seigneur, car, en me


déchargeant du lourd
forte, supérieure à tous égards, elle avait été fardeau de mes affaires, tu m'as montré la sol-
élevée par une femme admirable, la sœur de licitude, non d'un empereur, m;iis d'un évê-
saintAmphiloque '.Grégoire de Nazianze, dans que. Tu me vendras un plus grand service
sa courte apparition à Constantinople, s'occupa encore en faisant distribuer mes biens aux
d'elle etcompléta son instruction; il l'appelle pauvres et aux églises. C'est ce que j'aurais fait
son Olympiade et se regarde lui-même comme moi-même, si je n'avais redouté la vainegloire
son père '. Toute jeune encore on la maria à qui s'attache à ces sortes de distributions ; et
Ni'bridius, intendant du domaine particulier d'ailleurs le souci des biens de la terre m'eût
sous Théodose et préfet de la ville impériale. fait négliger les richesses véritables qui sont

Sa piété était déjà si célèbre, que plusieurs les spirituelles et divines ».


évoques pour l'honorervoulurent assister à son Théodose revint à Constantinople après la
mariage. Grégoire y fut invité mais empêché ; défaite deMaxime. La fermeté d'Olympiade,
par la goutte, il s'excusa par une lettre char- son grand caractère, ce qu'il apprit de sa vie
mante. Je serai, dit-il, présent à la fête d'es- recueillie et sainte, lui firent une vive impres-
prit et de cœur pour joindre les mains des sion ; il donnés au préfet, et
retira les ordres
deux époux dans la main de Dieu». Il adressa rendit à la jeune veuve la jouissance de ses
même à la jeune (lancée un petit poème *, où, biens et sa liberté : elle avait alors vingt-trois
dans un style qui unit l'élévation à la grâce, ans. Dès ce moment, sa charité, atfranchie de
il lui donne de sages conseils pour vivre heu- toute entrave, prit un essor immense. Vêtue
reusement et saintementsous la loi du mariage. avec une modestie qui tenait de la pauvreté,
Les vœux aimables qui terminent cet envoi ne elle visitait les orphelins, les veuves, les pri-
furent pas exaucés il y avait à peine vingt : sonniers, les malades, qu'elle aimait à servir
mois qu'Olympiade était mariée, quand Né- de ses propres mains. Tout indigent éprouvait
bridius mourut et la laissa sans enfants. De sa compassion tendre et libérale au-delà de
pieux biographes, ses contemporains, assurent toutes les bornes. Proiliguc aux autres, avare
qu'elle était restée vierge dans le mariage, et pour elle-même, refusant à sa santé délicate
soulagements, elle ne s'oc-
les plus légitimes
•Tillem., t. n, p. US. — ' Pillid., dial., c. 17 jGrep.Nai., 1.2, cupait de son corps que pour l'immoler. Du
p. IW (J.cg. Naz., ep. lyn, lom. 2, p. 159. — '
Id,, lom. 2,
p. iOoj. * Uiit. ÙMiiac,
314 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

pain, de l'eau, des légumes étaient sa seule Dieu, vous consacrâtes aux pauvres votre for-
nourriture ; au sommeil, donnait à p ine
elle tune? Ainsi, vous n'en avez plus que la dis-
quelques moments regrettés , et souvent elle peiisation, et vous devez en rendre compte.

passait les nuits sans se on eût dit


coucher : Croyez-moi, réglez vos générosités sur les be-
que le besoin de dormir n'exist lit pas pour soins des malheureux qui vous implorent, non
cette nature plus angélique qu'buinaine. La sur votre munificence naturelle, et vous ferez
cliarité s'accroissait chez elle de toute la gran- du bien à plus de personnes, en même temps
deur de son abnégation. L'erreur, l'ignorance, que vous mériterez de Dieu la double récom-
les misères de l'ànie étaient surlout l'objet de pense de votre charité et de la sagesse avec la-

sa pitié. Elle employait une grande partie de quelle vous l'exercerez ' d.

son temps à instruire dans la foi des femmes Cet avis fut docilement écouté; mais, par cela
mariées à des idolâtres ou néL>s elles mêmes mcme,celuiqui l'avait donné s'attira deshaines
dans l'idolàlrie, auxquelles sa généreuse pré- violentes. QuantàOlympiade, odieusement ca-
voyance assurait les moyens de vivre en même lomniée plus tard,elle était entourée alorsd'une
temps que les moyens de salut. Elle atTiancliit vénéra'iion unanime. La dignité et la douceur,
un nombre infini d'esclaves qu'elle rendit ses la naïve simplicité d'un enfant avec l'intelli-

égaux, dit Pallade, et qui dans leur exté:ieur gence d'un homme supérieur, la vertu la plus
paraissaient même au-dessus d'elle. Ses im- austère avec une grâce exquise, une charité
menses richesses étaient entièrement dépen- aussi aimable dans son langage qu'inépuisable
sées en aumônes. Les hôpitaux, les églises, les dans ses bienfaits, sur son front l'auréole des
villes, les bourgades, les captifs, les exilés, Saints, sur ses lèvres le sourire des Anges, dans
tout le monde y avait part pas un coin: sur la tout son être un incom parable mélange de gran-
terre, pas un rocher sur la mer, où ses bien- deur et du bonté, de noblesse et de modestie, et
faitsn'eussent pénétré. Eudoxie, sous la pour- comme l'émanalionlumineused'une âme plon-
pre, recevait les adulations de l'univers et gée en Dieu, attiraient à cette femme si émi-
s'enivrait d'orgueil; Olympiade, sous la bure, nente et humblel'admiration et la sympathie
si

en recevait les plaintes elles soupirs, et, comme de tous. Saint Grégoire de Nazianze, saint Am-
Dieu, y répondait par ses profusions. « Consi- philoque, saint Pierre de Sébaste, saint Optime
dérez, lui écrivait plus lard Clirysoslome, quel d'AntiocheenPisidie,auquelelle ferma lesyeux,
a été ce grand fleuve de votre charité que vous les hommes les plus considérables de l'Orient
avez fait couler avec abondance jusqu'aux ex- par la position, par les lumières, par les vertus,
trémités de la terre; car non-seulement votre attachaient à son estime un grand prix. Saint
maison était ouverte à ceux qui vous implo- GrégoireMe Nysse écrivit pour elle son com-
raient, mais vous répandiez au loin les fruits mentaire du Cantique des cantiques. Nectaire
de votre hospitalité ». '
la fit diaconesse de son église longtemps avant
Sa bonté touchait à la prodigalité ce n'é- : l'âge canonique il aimait à la consulter et sui-
;

taient pas ses revenus seuls qui s'en allaient en vait volontiers ses avis. Mais Dieu lui accorda
largesses, elle donnait aussi ses terres. D'indi- la plus belle récompense de ses mérites sur la
gnes prélats exploitaient sa piété conQante. Sé- terre en lui ménageant l'amitié de saint Chry-
vérien de Cabales, Acace de Bérée, Théophile soslome. Elle avait trente ans quand l'éloquent
lui-même, qui devinrent ses acharnés persécu- apôtre s'assit sur la chaire de Byzance; ces deux
teurs, s'étaient souvent prosternés à ses pieds âmes étaient seules assez grandes l'une pour
pour obtenir leur part de ses libéralités. Chry- l'autre.Olympiade, sous la direction de Jean,
sostome dut éclairer et combattre cette sublime déploya de nouveaux trésors de vertu, et Jean,
imprévoyance. « Je loue vos intentions, lui dit- a à qui elle était en quelque sorte ce que sainte

il; mais celui qui veut s'élever devant Dieu à Thècle était pour saint Paul ' », trouva dans le
une vertu parfaite doit être un sage dispensa- noble dévouement d'Olympiade l'appui le plus
teur de ses biens. Et vous, quand vous accrois- précieux et la plus douce consolation de son
sez par vos cadeaux la richesse des gens opu- épiscopat. C'est elle qui, venant en aide à son
lents, vous ne faites pas mieux que si vous je- désintéressement et le déchargeant des sollici-
tiez votre argent à la mer. Ignorez-vous que, tudes terrestres et personnelles, le mit à méma

par une oblafion volontaire et paramourpour de consacrer toutesa pensée àla contemplation|
' Chrys., Oli/mp-, ep, 2. '
SCf «m , l. 8, c, 9. — ' TilUm., 1. 11, p. 127,
CHAPITRE VINGT-SIXIÈME. 318

toute sa vie à l'apostolat, tous ses revenus à la noble ami. L'admirable diaconesse survécut
charité. Elle fut associée à ses douleurs connue quelques années au grand évéquede Constan-
à ses œuvres, et quand il partit pour fexil, il tinople,asez peut-être pour voir sa mémoire
fallut l'arracher de ses pieds (lu'clle baignait de vengée'. Nous n'avons aucun détail sur sa
lai'mcs. 11 nous reste dix-sept lettres de Chry- mort. Pallade d llélénople, le seul qui en ait
sostome à l'illustre veuve de Nébridins. Outra- parlé, seborne à ces quelques mots « Cette :

gée, proscrite pour sou inébranlable attache- sainte femme, qui


n'avait iilus de sentiment
ment à la cause de l'Eglise et de la justice, elle pour les choses de la terre, compte à bon droit
avait droit aux eiicouragenienis du pontife qui parmi les confesseurs de la vérité, ayant vu son
personnitiait à sesyeux cette double cause. Mais innocence conlinuellement attaquée par des
aussi quelle invincible fermeté elle opposa aux accusations aussi injustes qu'atroces, et sa vie
épreuves D'Luie santé délicate, souvent ma-
1 exposée dans les couibats qu'elle eut à soutenir
lade ', elle semblait puiser dans sa faiblesse pour la cause de Dieu. Cela fait (|ue toutes les
même et dans ses souffrances plus d'ardeur à personnes de piété dans Constantinople la met-
braver les orages. L'amitié des grands Saints tent au rang des martyrs. Elle est morte dans
est une haute faveur de la Providence, et ceux les souffrances, et elle jouit au ciel avec les élus,
qui en sont trouvés dignes croient, avec raison, dans un bonheur inaltérajjle, de la couronne
qu'aucun sacrifice ne la paie trop cher. Olym- de gloire qu'elle a si justement méritée' ».
piade s'estimail heureuse de souffrir pour son
' Tillom., t. 11, p. 410 ; Nicoph., 1. 13, c. 21. - Pallad., Bisl.
' Chrys., à Olymp., ep. 1 et 2. LcLusiae,

CHAPITRE VINGT-SIXIÈME.

Zèle de Chrysoslome pour l'extension de la véiité.— Dernières espérances des païens. — Prophéties pour 400. — Edils im- l'an
périaux contre l'idolâtrie. — Saint Porpliyre réclame l'intervention de Clirysostome. — Missionnaires dans
saint la Pliénicie,
cher les Scythes de l'Istcr, et les Goths du Bosphore Cimuiérien. — Eglise des Goths à Constantinople. — Discours de Jean,
dans celte église.

Théodoret, dans un fragment que Pholius charité. Sa vie était à la fois la plus recueillie
nous a conservé, résume en quelques mots la et la plus répandue qu'on pût imaginer. C'est
vie pastorale de noire Saint. « On se dispute son lepropre des Saints que leur existence s'épan-
existence, dit-il; chacunle veutpour soi. Celui- che d'autant plus sur leurs frères en prodiges
ci lui demande du pain, celui-là des vêlements; de dévouement et d'amourqu'elle gravite plus
un autre le un autre l'entraîne à
dépouille, puissamment vers Dieu. La pensée de Dieu dans
l'hospice des malades, un autre au fond des le cœur de Jean était une source bouillonnante,
prisons réclame à grands cris sa visite. Les fa- sans cesse, par ses lèvres et par ses
d'oij coulait

mille.- di\isLes le prennent pour pacificateur et mains, un double lorrentd'aumônesspirituelles


pour arbitre; l'étranger recourt à son hospita- et matérielles. Qui pourrait compter les âmes
veuve invoijue son appui; l'affligé lui
lité; la qu'il eut le bonheur d'éclairer, de convertir, de
raconte ses peines l'esclave maltraité implore ; consoler, de sauver? L'enceinte de Constanti-
son inter\ention : il les accueille Ions ; il est le nople pai utélroiteàson zèle; il l'étendilsurles
médecin des uns, le père nourricier des au- six provinces de la Thracc, et nous verroiis
tres ; le patron de ceux-ci, le consolateur de bientôt ce qu'il fit pour relever dans l'Asie et
Ceux-là ; la providence de Ions' ». le Pont l'esprit chrétien et l'honneur du sacer-
C'est ainsi que la renommée de ses vertus doce. En Pliénicie, en Perse, en Syrie, l'Evati-
retombait sur sa tête en sollicitudes et en tra- gile lui dut de nouveaux triomplies. Son cœur,
vaux de toute espèce; mais ni sollicitmles, ni comme celui de Paul, embrassait l'univers, et
Ifavaiix, rien ne pouvailassouvir cette grande il eût pu s'appeler, lui aussi, évoque des na-
* Pboi., Col , K)15. tions ; car les limites de sa juridiction n'étaient
3id HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

pas celles de sa charité : l'une s'arrêtait aux forme à l'Evangile ; mais nous ne trouvons pas,
confins de la province, l'autre ne voyait nulle dit Tillemont, qu'il se soit mis en peine d'ob-
jiart uneen souffrance, sans lui venir en
église tenir de nouvelles lois contre les dissidents '.

aide avec une compassion tendre et un respec- Chez lui la charité égalait le zèle, elle en était
tueux dévouement'. Le diocèse de Cyr, par même la puissance et le succès ;
pour nous
exemple, étant encore infecté des erreurs de servir de ses propres expressions, il avait jeté le
Marcion, Clirysostomeécrivitàrévèquedu lieu de la miséricorde, et dans celui-là il eût
filet

pour lui signaler le danger, le presser d'y pour- voulu saisir et enlever tout le monde. Dieu bé-
voir, et lui offrit, dit Théodorct', le secours nissait ses nobles efforts. Saint Proclus nous
des lois pour en finir avec celle peste. Des his- apprend que, dans la Syrie, il avait dépeuplé
toriens ont assuré, voit pas sur quel fon-
ou ne les synagogues, et qu'à Césarée, en particulier,
dement, que, dès premiers jours de son in-
les il avait réduit à la solitude et à l'exécration les
stallation, Jean avait appelé les rigueurs de la lieux destinés aux crimes infâmes'. Nous ver- ;

cour sur les Eunoméens et les Montauisles, et rons plus tard avec quelle ardeur persévérante
obtenu contre eux à Constantinople un édit sé- il travailla, même sous le coup de la proscrip-

vère'. Celle assertion se concilie difficilement tion, même du fond de l'exil, à procurer à
avec ce que nous savons d'ailleurs, qu'il aimait la Perse le bienfait de la foi. Etendre le règne de

à combattre en chaire les doctrines des dissi- l'Evangile était sa grande ambition, et à celle-
dents empresses de l'entendre et d'ordinaire là le monde romain paraissait étroit.
fort nombreux dans son auditoire, et qu'il fut Même dans la circonscription de l'empire, il

obligé d'opposer les hymnes elles processions restait encore beaucoup d'idolâtres. Chassé des
des Catholiques aux bruyantes et quotidiennes villes, le polythéisme s'était réfugié dans les

maniteslations des Ariens. Comment admettre villages, où, sous la protection de l'ignorance,
cet appel à la force brutale dans un homme il se maintenait et se défendait, surtout dans les
si indulgent, d'une charité si parfaite, et qui montagnes, avecune énergie désespérée. Quoi-
alors même faisait entendre des paroles comme que proscrit etvaincu, il versait encore parfois
celles-ci : «Je poursuis, non par les actes, mais le sang chrétien. Ainsi, Vigile, évêquede Trente,
par les discours, non l'hérétique, mais l'héré- tombait dans une vallée près du lac Guarda
sie; je déteste, non l'homme, mais l'erreur sous les coups des paysans qu'il essayait d'ar-
je m'efforce de détruire. Je ne fais pas la
que racher à leurs vieilles superstitions. Laloi cher-
guerre à la substance, caria substance est l'ou- chait à venger ces meurtres impies ; mais leurs
vrage de Dieu je n'aspire qu'à corriger en elle
: fanatiques auteurs étaient le plus souvent gra-
ce que le diable acorrompu. Ainsi, le médecin ciés à la sollicitation des Chrétiens eux-mêmes,
qui soigne malade n'attaque pas son corps,
le convaincus, dit saint Augustin, que si le sang
mais la maladie qui vicie le corps ; et moi, si je des martyrs glorifiait le Christianisme, le sang
combats les hérétiques, ce n'est pas aux hom- de ses ennemis le rendrait odieux '.

mes que je m'en prends, mais à l'erreur, à la Trompés par de ridicules oracles, les païens
pourriture dont je veux les délivrer. J'ai l'ha- ne cessaient de se flatter qu'ils allaient voir le
bitude d'être persécuté, non de persécuter; de culte des dieux relevé de ses ruines et le Christ
souffrir, non de faire souffrir et c'est ainsi que
; abattu devant Jupiter. On faisait circuler une
le Christ triomphait, non en crucifiant, mais prophétie suivant laquelle tous les succès de
en se laissant crucifier, non en donnant les l'Evangile, étant dus à la magie exercée par
souiflets, mais en les recevant* ». saint Pierre, l'ensorceleur de l'univers, l'en-
C'est le même langage (ju'il avait tenu à An- chantement devait finir avec le siècle, et l'année
tioche. « Condamnons, réfutons les dogmes 400 emmener la chute honteuse du Christia-
impies, les enseignements hérétiques; mais nisme et le triomphe immortel de l'idolâtrie ».
épargnons les personnes et prions pour elles ^ » Us se berçaient de ces espérances, quand Hono-
Il voulait convertir par la persuasion et par la rius et son fière, réunissant leurs forces contre
douceur, et il exhortait les Catholiques à édifier le colosse expirant, luiportèrent un dernier
leurs adversaires par une vie honnête et con- coup aussi terrible qu'inattendu. Les fils de

• Sozom,, 1. 8, c. 3 ; Tliéod., I. 5, c. 31. '—ThéoJ., ibid. — 'ïillem., t. 11, art. 52, p. 113. — ' Proc, or.
28; Tillem., iiid,,
' Harou., ad ann. 3S8, § 78. " —
Clirys., Uotn., sur S. Phoc. — p. M8. — ' Aug., episl. 15S. — ' S. Aug., de Ciait. Dei, Ut. 18,
? Çlirys., Uom. de Aimlhem. c. 53,
«
CIIAPITHE VINC-SIXIÈME. till

Théoiloso renouvelaient en les aggravant les publique. Est-il étonnant que le monde régé-
édits de leur père. Les privilèges des prêtres néré se soit rué avec colère contre les témoins
étaient abolis, les sacrifices interdits. On con- de sondéfhonneur, qu'il ait voulu faire dispa-
fifijuait le domaine des temples au profit du raître du sol, jusqu'au dernier vestige, ces
trésor public et de l'armée. Les temples mêmes pierres souillées qui criaient contre lui, effacer
devaient être ou démolis, ou convertis en même de l'histoire, s'il eût pu, ces souvenirs
églises. On menaçait de peines graves les offi- oïlieux qui l'infamaient à jamais? A parties
ciers qui eussent refusé de prêter main-forte à violences toujours condamnables et condam-
l'exécution de ces lois. Alors, dit-on, périrent nées, n'est-ce pas là une réaction naturelle de
les livres sybillins, brûlés par ordre de Slilicon. la morale renaissante contre celte immoralité
Ce qui restait debout des vieux édifices païens légale qui, tant de siècles durant, avait perverti
fut dépouillé et abattu rez pied, rez terre ; les etdégradé l'humanité? D'ailleurs, il est juste
démolitions servirent à réparer les ctiausséos de le dire, non-seulement le zèle des princes
impériales et les aqueducs. Il n'y eut d'épar- chrétiens contre les restes de l'idolâtrie n'eut
gnées ((ue les statues qui décoraient, comme rien de cruel mais a leurs lois, plus commi-
;

trophées de la grande victoire de la vérité natoires qu'expresses, étaient rarement exé-


sur l'erreur, les thermes, les lieux publics, les cutées quelquefois même elles étaient suspen-
;

palais mèmrs des Césars. Par les monstrueuses dues ou rappelées suivant les besoins et les
images arrachées de quelques bois sacrés et de fluctuations delà polilique. Agissant contraire-
certains sanctuaires, on put se convaincre une ment à leurs édits, ces empereurs conservaient
fois de plus que le polythéisme était descendu des païens dans les hautes charges de l'Etat, et
au dernier terme de l'immoralité'. donnaient des litres aux pontifes des idoles.
L'exécution des rescrits souverains n'eut pas Aucune loi ne défendait aux gentils d'écrire

lieu sans quelques désordres. Le sang coula contre les chrétiens et leur religion ; aucune
dans plusieurs villes ;il y eut des temples qu'il n'obligeait un païen d'embrasser le Christia-
fallut assiéger et prendre d'assaut *. Lrs païens nisme sous peine d'èîre recherché dans sa per-
reprochèrent à leurs adversaires d'oublier dans sonne et dans ses biens ». Honorius, dont le '

la fortune les préceptes de charité qu'ils re- zèle religieux l'emportait de beaucoup sur celui
commandaient dans le malheur. Cts reprochrs, de son frère, faisait détruire en Afrique les
pour être répétés aujourd'hui, n'en sont pas autels et les statues des idoles, mais laissait
plus justes. Les emportements qui ensanglan- subsister les temples, et, par une sorte de mé-
taient çà et là les triomphes pacifiques dul'Evan- nagement, permettait les festins et les divertis-
gile étaient des faits isolés, qui accusaient sements qui étaient une partie essentielle du
l'ignorance et les fureurs ordinaires de la po- culte des dieux ^ En Orient, la tolérance était
pu'ace,toujoursla même sur tous les théàtreset plus grande. LaSyriecoutinuaitàcéîébreravec
dansions les temps, maisqu'on ne peut imputer, un éclat scandaleux la fête licencieuse de la
sans fouler aux pieds l'évidence avec l'équité, Maïume, ainsi nommée, à ce qu'il paraît, d'un
à la religion qui les réprouvait. Quant aux bourg voisin de Gaza, où elle avait pris nais-
monuments plus ou moins célèbres dont la sance. Ou y représentait les scènes les plus lu-
perle est tant regrettée de nos jnurs, il faut bien briques de la mythologie. Constance l'avait
reconnaître que la conscience humaine, se interdite ; Théodose la sup-
Julien la rétablit ;

réveillant tout à coup du long sommeil où prima les murmures des Syriens déterminè-
;

elle avait croupi, avait le droit de prendre en rent le faible Arcadius à permettre ce que son
horreur ce qui lui rappelait son avilissement pèreavaitdéfendu,et leshorreurs de Maïumese
et sa honte. A ses yeux, ces antiques sanc- reproduisirent au grand jour. Chrysostome qui
tuaires, si longtemps augustes, n'étaient que occupait alors la tribune sacrée d'Anlioche, s'é-
des repaires de débauche et d'infamies et la ; levadetoutessesforcesconlreungenre de spec-
plupart, en tlfet, abritaient scftis leurs voiles tacle fatal à la morale, outrageant pour la pu-
sacrés d'aflreiises orgies dignes de Sodome et deur et ce fut probablement à son inslitiation,
;

de Gomnrrhe. Quelques-uns avaient clé trans- quand il gouvernait l'église de Gonslantinople,


formés par l'usage en lieux de prostitution que l'empereur revint sur la permission donnée
• Tillem., t. 12, art. 124 ; Fleury, Hlit., I. 20, c. 42. — 'SoMin,, ' Chateaubriand, E(od. hUt., f. 5, p. 208. — ' S. Aug., de Civil,
'
\. 7 ; Théod., J. 5 ; Socr., 1, 5. c. 18 ; Rufln, 1. 20. Dei, J. 18, c. 54 ; d« Gub., 1. 8.
3!S HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTuME.

et abolit (K^fiiiitivenienl la honteuse fête ; mais sant qui lui montrait encore quelque respect,
le rtscrit impirial fut si niollemeut exécuté, l'exjiosé navrant de l'évèque phénicien, et l'ap-

que des traces visibles des Maïumes subsistaient puya de telles int-tances qu'au bout de sept
encore quatre cents ans aijrès, sous le règne jours un éditd'Arcadius ordonnait, non de dé-
de Léon, fils de Constantin (^opronyme '. truire le temple de Gaza, mais d'en fermer les

Gaza, du reste, dont Maïume n'était que le portes et de briser la statue. Marc repartit de la
magasin et le port, n'avait jias cesé d'être un ville impériale avec cette heureuse nouvelle et
grand foyer de polythéisme. On pouvait en dire une de Jean, dont la lecture donna tant
lettre

autant de toute la Pliénicie, berceau des super- de joie à Porphyre, qu'il fut instantanément
stitions païennes et leur dernier asile, d'oîi elles gucii d'une fièvre ancienne et rebelle'. Mais
semblaient défier à la fois la puissance de l'E- ïMaire,rofûcier expédié sur les lieux pour faire
vangile et la colère des Césars. La plupart des exécuter les ordres du prince, s'acquitta très-
temples, malgré les lois de Thtodose, y res- imparfaitement de sa mission, et acheté, dit-on,
taieat debout. Au moment où saint Porphyre argent comptant par les païens, se contenta de
devint évèijue de Gaza, cette ville eu possédait murer la grande porte du sombre édifice, et

huit, outre une infinité d'idoles adorées soit laissa subsister avec l'idole une entrée secrète
dans les maisons particulières, soit à la crm- du sanctuaire. Saint Jérôme faisait allusion à
pagne où les dieux s'étaient retirés, comme cet événement quand il écrivait à Léta « Sé- :

pour se consoler de la défection des villes. En rapis s'étant fait chrétien. Marnas pleure en-
dépit des plus solennel'es injonctions du trône, fermé dans son temple à Gaza, et tremble en
les habitantsdccescontrées maintenaient obsti- attendant qu'on vienne l'abattre' ».
nément soutenus par des
le culte proscrit, et, Cependant les récits désolés du diacre Marc
gouverneurs païens eux-mêmes ou subornés avaient appelé l'attention de Jean sur la Phé-
par les païens, ils ne se contentaient pas de pro- nicie. Ou eût dit que cette belle contrée, si voi-
fesser publiquement l'idolâtrie, ils opprimaient sine du berceau de l'Evangile, était impéné-
et tourmentaient ceux qui professaient le Chri- trable à sa lumière. L'idolâtrie, partout déchue
stianisme. L'évèque surtout était le point de et conspuée, conservait là ses prestiges et
sou
mire de leur haine, la victime de violences et empire. Cette grande misère intellectuelle et
d'outrages continuels, que Porphyre supportait morale, à deux pas d'Antioche et d'Alexandrie,
avec une admirable patience, peu imitée de ses centres splendides de la foi chrétienne, émut
disciples dont il contenait à grand'peine l'indi- profondément le serviteur de Dieu, et il so
gnation et les représailles*. Ce fut dans ces cii'- promit d'y porter remède. Sans doute il réclama
constauces et pour faire cesser une tyrannie l'application des lois aux temples et aux idoles
qui était pour le moins un incroyable anachro- de ce malheureux pays ' mais ce qui l'occupa ;

nisme sous des princes chrétiens, que le pieux surtout, ce fat de trouver et d'envoyer aux po-
évêque de Gaza implora l'intervention de la pulations délaissées des catéchistes, des apôtres,
cour. Son diacre, Marc, auquel son zèle intré- des hommes capables de leur porter la vérité et
pide et les mauvais traitements de ses adver- le salut. ce genre exigeait de
Une expédition de
sairesavaientvalule titre glorieuxde confesseur grandes ressources pécuniaires. Chrysostome
de là foi, fut envoyé à Constantinople ' avec des ne demanda rien à la cour la charité de quel« ;

lettres pour l'évèque Jean, prié par son collègue quesfemmespieuses pourvut atout, etde nom-
de faire connaître au chef de l'empire une situa- breux apôtres, sousla direction du prêtre Cous-,
tion trop douloureuse, et d'obtenir la démoli- tance, s'élancèrent à la conquête de laPhénicie.
tion du temple de Marnas. Marnas était le Jupi- L'œuvre étaitdifûcile, hérissée d'obstacles elle ;

ter du lieu, l'idole la plus vénérée du pays ses ; n'eut d'ah ird qu'un mé'linTe s^mcès. Le pon-
oracles jouissaient d'un crédit immense, on re- tife s'en c:cupait encore à la fin de ses jours

gardaitsonsanctuairecommelep'usaugustedu et, chassé de son église au plus fort de ses tri-

monde, et l'on n'avait cessé d'y offrir les sacri- bulations, il soutenait par ses lettres le courage
fices solennels. Chrysostome se liâta de mettre de Constance, dirigeait ses travaux, et, quoique
sous les yeux d'Eutrope, le ministre tout-puis- pauvre, proscrit, relégué aux conflnsdu monde.

* Cod. Thcod. 15. tit. fi: ffi'l. miireUnn., 1. 23 : So!atidi Palœs-


i:nn, 1. 3; B3T>n. wl ii.,n. ;;?9 ; Clirys. Hom. 7, m Matlh. — ' Marc , in lit. S, Porph, — ' Hier., ep., 7, — ' Tliéol. I.
5,

{Tilleoi,, t. iO, p. 70j. — '


Mitt., ùi vit, S. Pùrpht/rii, c. 4, «. 29.
CIlAriTPiE ViNGT SIXIÈME. 310

cessait de lui envoyer des secours en argent triotes Ciu-ysoslome l'appelle un homme ad-
ne ;

et des coopérateiirs'.
miral)le'. La mort ravit le généreux ouvrier
A la même époque, c'est-à-dire au dolnit avant la fin dosa riche moisson. Le roi de ces
même de son épifcopat, son zèle tut alliré tribus, en mandant la triste nouvelle à l'évê-
quc de Constantinople, le priait de dé-igner
vers un autre point de l'empire, il y avnit. le
lui-même successeur d'Unilas mais déjà le
long de rister, de? Seyllies nomades, qu'il ap- le ;

squels n'avaient d'autres grand pontife avait pris le chemin de l'exil, et


pelle FJawaxobies', li

barbares entre les cette demande, qui l'eût rendu si heureux dans
miisons (pie leurs eliariots :

un autre temps, vint désoler une âme dé-or-


barbares. Le nom de Jésus-Christ étant arrivé
jusqu'à eux, ils exprimèrent le désir de con- mais condamnée aux regrets et à l'impuis-

naître sa loi. Jean le sut, et se mit en quête sance.

d'ouvriers évaiigéliqucs. On cite une letlre à Du reste, la capitale de l'Orient renfermait


Léonce évêque d'Aucyre, où il lui annonce
,
un grand nombre de Goths, presque tous
avec joie les heureuses dispositions de ce? peu- Ariens. Quelques-uns cependant avaient ab-
plades à demi-sauvayes, et le supplie de lui juré l'erreur pour embrasser le Catholicisme,
désigner quelques hommes de cœur et de foi précieux noyau que Jean cultivait avec soin et
prêts à tout quitter, à tout braver pour aller s'efforçait de grossir. Il leur avait assigné dans

au loin instruire ces nouveaux-venus dans les la ville une église à part, celle de Saint Paul,
fit desservir par des prêtres et des diacres
voies de Dieu'. Cet appel fut entendu : les qu'il

Scythes, grâce à Jean , eurent des apôtres et de leur nation. Les Barbares, qui affluaient
des pasteurs; et c'est ainsi*, dit Pliotius, que dans les armées, entraient aussi dans l'ordre
le premier il dressa des autels au vrai Dieu ecclésiastique et quelquefois embrassaient avec

parmi ces barbares qui buvaient naguère le ardeur la vie austère des ascètes. 11 y avait au-
sang humain'. On vit alors ceux qui ne des- delà du Bosphore, à deux pasdeByzance, dans
cendaient presque jamais de cheval mettre la villa de Promotus, un monastère de Marses

genou en terre et se prosterner au pied de la et de Goths, dont la fidélité inébranlable à la

Croix; on vit ceux qui avaient été insensibles cause de Chrysoslome fut pour celui-ci, au mi-
aux larmes des captifs fondre eux-mêmes en lieu de ses épreuves, une précieuse consolation.

larmes pour obtenir le pardon du Ciel. L'église du grand Apôtre, consacrée à ces chré-

Tillimont et le P. Stilting semblent croire tiens d'origine étrangère, les attirait en foule ;

que les Scythes nomades étaient une tribu res- leurs prêtres y célébraient les saints mystères

tée en arrière de la grande famille des r.ollis : et prêchaient l'Evangile dans leur langue,

c'est peu probable. Mais certainement les Golhs, Jean* aimait à présider leurs synaxes et à par-
qui, mêlés aux armées romaines et même aux ler lui-même, par interprète, à cette partie

conseils des princes, pesaient déjà si fort sur intéressante de son troupeau, dont l'exemple
les destinées de l'empire, ne pouvaient demeu- et l'influence opéraient, parmi les Barbares

rer étrangers au zèle apostolique de notre résidants à Constantinople, de nombreuses


Saint. Le gros de malheur
la nation avait eu le conversions. jour qu'un de ces hommrs,
Un
de ne connaître l'Evangile que pour tomber élevé depuis peu à l'honneur du sacerdoce,
dans les pièges de l'Arianisme; mais en dehors venait d'adresser quelques mots pieux à ses
de celte grande masse qui refoulée vers la , nationaux pressés autour de lui et dont quel-
Thrace sous la pression des Huns, s'était don- ques-uns remplissaient à ses côtés les fonctions
née à Valens en attendant de le vaincre et de de lecteur, le pasteur ivre de joie s'exprima
le briller, d'autres Gulhs, au-delà du Pont- ainsi: «Je voudrais que les Hellènes fussent
Euxin et du Bosiihore Cimmérien, ignoraient avec nous dans cette enceinte pour entendre
encore la foi chrétienne. Jean leur envoya des ce qui a été lu, pour apprendre quelle est la
missionnaires, l'un entre antres de leur pro- vertu du Crucifié, la puissance de la Croix, la
pre race, qu'il avait arraché à l'hérésie et or- noblesse de l'Eglise, la vigueur de la foi, la
donné évêque. Unilas, c'était son nom, fit des honte de l'erreur, la confusion des démons.
mcrvcilks au milieu de ses barbares compa- Les dogmes des philosophes ont été ruinés par
ceux-là mêmes qui parlent leur langue les :

' ChTTf., lellre à Const. —


* Chrys., IJom. 69, o.
3, sur S. Math. nôtres prévalent dans les langues étrangères ;
- 'Ti.col ,1. 5, c. 31. —
'l'hou coU 1517.- ' Pomp. Mel.Eufop.,
de Soyihù, 1. 2, c. 1. • Chrys., lettre U, à Olymp. — Tbtod., 1. 5, c. 38.
m lîîSTOIRE DE SAINT lEAN CHRYSOSTOMË.

les uns n'ont pas pins de consistance qn'nne pour l'Eglise, si nous avon^ ordonné à des
toile d'araignée, les autres sont aussi solides Barbares de se lever et de parler au milieu
que le diamant. Où sont maintenant les doc- d'elle car c'est là sa gloire, c'est la démonstra-
;

trines de Platon, de Pythagore et de ceux qui tion de la puissance divine qui appartient à la

enseignaient dans Athènes? Elles sont éteintes. foi. Le Prophète avait dit Leiir voix a retenti
:

Où sont lesdoctrines des pécheurs et des fabri- par toute la terre, leur parole est arrivée aux
cants de tentes? Vous venez de le voir : elles limites de l'unwers.Un autre avait ajouté Le :

brillent plus que le soleil, non-seulement en loup et l'agneau paîtront ensemble, le léopard
Judée, mais chez les Barbares. Et les Scythps, et le chevreau reposeront l'nti à côté de Vautre,
et les Thraces, et les Sarmates et les Maures, le lion mangera la paille comme
le bœuf. Que
ceux qui vivent aux confins
et les Indiens, et les Juifs rougissent, eux qui lisent la lettre et
du monde ont traduit nos Ecritures dans leurs ignorent le sens; que les Gentils soient cou-
langues et en ont fait leur philosophie. Voilà verts de confusion, eux qui, voyant la vérité

des choses que ne se sont jamais figurées ces briller plus claire que le rayon du soleil, res-

hommes d'entre les Elellènes qui portent la tent accroupis aux pieds de leurs idoles de

barbe, qui écartent de leur bâton ceux qui les pierre et suivent les ténèbres; que l'Eglise se
abordent sur la place publique, qui secouent pare pour le triomphe, elle qui partout res-
la longue chevelure de leur tète comme une plendit et pénètre partout '
1 »

crinière de lion. La philosophie ressemble à la Le seul patriotisme de cette grande âme c'é-
courtisane obligée de recourir au fard et à tait la charité. Un sentiment plus étroit lui eût

toute sorte d'artifices pour suppléer à la beauté paru trop païen et en opposition directe avec
qui lui manque; la vérité est belle naturelle- cet enseignement de l'Apôtre, qu'en Jésus-
ment et se suffit à elle-même. C'est pourquoi, Christ il n'y a ni Grec ni Juif, ni Scythe m
dédaignant l'élégance du discours, ne plaçant Barbare. A ses yeux, il n'y a qu'une patrie,
la philosophie que dans la force des pensées, l'Eglise; une nation, l'humanité; un empire,

nos apôtres, par la vertu de leurs mœurs et celui du Christ!


l'exemple de leur vie, ont proclamé partout la Du reste, la centralisation impériale avait
grâce de Dieu qui remplit leurs cœurs. Par là, tué partout le Grecs, Syriens,
patriotisme.
et la terre habitée et les terres sauvages, et les Egyptiens, Gaulois, Bretons, vaincus et assi-
continents et les mers, et les villes et les mon- milés à l'empire vainqueur, avaient perdu peu
tagnes, et les Grecs et les Barbares, et les puis- à peu leur nationalité, leurs institutions, leur
sants et les pauvres, et les hommes et les même en grande partie;
caractère, leur langue
femmes, et les vieux et les jeunes, ils ont tout mais leur cœur, pour cela, n'était pas devenu
pris dans leurs filets. Passant ensuite plus loin, plus romain. Le nom de Rome ne leur rappe-
et notre terre ne leur suffisant pas, ils se sont lait que leurs armes vaincues, leur gloire

avancés sur l'océan, et ils ont conquis aussi éclipsée, leur rôle fini, la déchéance, la servi-

les contrées barbares et les îles Britanniques; tude, l'effacement. Jamais la patrie romaine ne
et partout où vous allez, les noms de ces pê- remplaça pour eux la vieille patrie; mais quand
cheurs sont dans toutes les bouches, non pas à celle-ci futperdue, ils s'estimèrent heureux
cause d'eux-mêmes, mais par la puissance du d'en retrouver quelque chose dans l'Eglise, et,
Crucifié, qui leur a partout frayé la route, et pendant bien des années, la seule nationalité
qui fait paraître les stupides plus sages que les des peuples abattus et nivelés ce fut le Chrislia'
philosophes, les hommes sans lettres plus élo- nisme; leur seul patriotisme, la charité.

quents que les rhéteurs, les écrivains, les

BopUistes. Que personne donc ne soil honteux


ClIArîTftE VINGT SlirTlÊMË. ââi

CHAPITRE VINGT-SEPTIÈME.

Tremblemenl de terre. — Ruine de NicoméJie. — Désastre dans la métropole de l'Oiient. — Translation des — Pro-
reliques.
cession ù la Drypii. — Discours de C.liryso?lrtme. — Sainl Plmi-as. — Prnccsfion h travers Bosptiore. — Homélie
le i celte

OCCaFinn. — dévastatrices. —
F'iuits Visite à l'éjlise de Sainl-Pierre et Pnint-Pjul aii-ilelà de mer. — Retour du peuple à
la

K9 folies. — Douleur du pontife. — Imuioralilé du tlieàtre. — Menace d'excuinmunication.

Jamnis peut-être les iremWcments de terre durant quarante jours quarante nuits, sur et
n'ont été si fréi]ucnls et si terribles qu'au iv° un aliment ' d.
tout ce qui pouvait lui fournir
siècle. Antioche, Ap.iuiéCjJénisaleni, les prin- Presque tous les ans, des sinistres de cette
cipales villes de l'Orient, la plupart de celles nature venaient consterner la brillante cité de
que baigne la Méditerranée, en souffrirent lior- Constantin. On eût dit que la main téméraire
riblemcnt à plusieurs reprises. Amtnien Mar- deson grand fondateur s'était plu à lasuspendre
cellin nous a laissé de l'aflreux désastre qui sur un volcan. Les imaginations surexcitées
renversa de fond en comble Nicomédie, un ta- étaient disposées à tout croire. Saint Augustin
bleau pathétique et saisissant : « Au lever du raconte qu'un serviteur de Dieu, ayant appris
du ciel fut troublé
soleil, dit-il, l'aspect serein par révélation que la ville allait périr par le feu
tout à coup par un amas de sombres nuages. du ciel, se fil un devoir d'avertir l'évcque qui,
Toute clarté disparut. On n'y voyait plus à deux à son tour, avertit le peuple et l'exhorta à la
pas de soi. Une noire vapeur remplissait l'at- pénitence, o Comme autrefois à Ninive, dit le
mosphère et aveuglait tous les yeux. Comme si saint docteur, tout le monde prit le deuil. On
le Dieu suprême se fiàt appliqué à lancer la fou- attendait dans une angoisse inexprimable le
dre de sa propre main et à déchaîner à la fois jour indiqué. Il vint. Le soir, au moment où la
tous les vents, une effroyable tempête fit mugir nuit commence à tout envelopper de ses om-
les montagnes, retentir les rivages de la mer bres, on vit du côté de l'Orient un nuage en-
brisés sous les coups furieux des vagues. Des flammé qui, petit d'abord, croissait en avan-
trombes, des typhons, accompagnant les se- çant vers la ville et ne tarda pas à la couvrir
cousses du sol, arrachaient de leurs fondements tout entière. On eût dit dos flammes tombées
la ville et les faubourgs. Etages en grande par- du firmament; elles exhalaient l'odeurdu sou-
tie sur les flancs d'un coteau, lesédiflces crou- fre.Les habitants éperdus courent aux églises
laient les uns sur les autres avec un épouvan- trop étroites pour lamultitude qui s'y précipite.
table fracas. L'écho redisait les cris déchirants Ceux qui n'ont pas reçu le baptême le récla-
de ceux qui appelaient une femme, desenfanis, ment de qui ils peuvent. On baptisait dans les
un être chéri. Après la deuxième heure le ciel maisons, dans les rues, sur les places publi-
redevint serein, et l'œil put mesurer toute l'é- ques. Peu à peu la nuée s'éclaircit et se dis-
tendue du désastre. Les uns avaient été écrasés sipa. Le peuple se rassurait, quand le bruit se
sous les décombres; d'autres, ensevelis jus- répand que la destruction de Constantinople
qu'aux épaules, qu'un peu d'aide eût pu sau-
et est différée au samedi suivant, et qu'il fauts'en
ver, périssaient faute de secours. On en voyait aller au plus tôt. L'empereur donne l'exemple;,
de suspendus en l'air au bout des solives qui tous l'imitent. Nul ne reste chez soi ; nul ne
les avaient transpercés. Cà et Là gisaient des prt nd la peine de fermer sa porte chacun se ;

groupes, naguère pleins de vie, devenus main- sauve en toute hàle, non sans jeter un dernier
tenant des tas de cadavres. Plusieurs, empri- regard sur le toit qu'il abandonne. A quelques,
sonnés sains et saufs sous les débris de leurs milles des remparts on s'arrête, et, la face
toils, étaient condamnés à périr de douleur et tournée vers on se met à prier. En ce
la ville,
de faim... Etcependant bien des maisons, h'w.n moment une épaisse fumée s'élevait dans les
des habitants eussent pu survivre à la catastro- airs. Un cri terrible se fait entendre, M3ii§ljleq,-!j
phe sans l'incendie qui survint et s'achurna, 'Amn. MmmII., !• 17, c, 7,

S. i. Cil. -^ TOMS I.

H
323 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

tôt le cielreprend sa splendeur, et, l'heure de sion d'instruire son peuple et de le porter au
la prédiction étant passée, on envoya examiner bien. « Trente jours sont à peine écoulés, s'é-
l'étatde la vi Ile, qu n'avait souffert aucun dom-
i criait-il,depuis nos malheurs, depuis cette
mage. La foule y rentra avec une indicible joie, épouvantable catastrophe, et vous voilà reve-
et chacun retrouva sa demeure, comme il l'a- nus à vos folies Comment vous excuser ? Com-
!

vait laissée, ouverte, mais intacte ». * ment vous pardonner?.... Je suis désolé que
Ceci se passait dans les premiers temps du rien ne vous corrige, ni l'expérience du pré-
règne d'Arcadius. Quelques années plus tard, sent, ni la crainte de l'avenir. Livrés à l'ava-
la métropole de l'Orient fut en proie à une ter- rice,à la rapine, vous restez enfouis dans vos
reur mieux fondée. Elle s'abandonnait, comme coupables sollicitudes comme des vers dans le
àl'ordinaire, à l'ivresse des fêtes, quand tout à fumier, et vous ne songez pas même à venir ici
coup un formidable craquement glaça d'épou- une fois la semaine pour apprendre du moins
vante tous les cœurs. Le sol tremble, les mai- à connaître le triste état où vous croupissez. Ea
sons oscillent, de superbes édifices bâtis pour proie au délire, le malade ignore la gravité de
des siècles ne sont plus qu'un monceau de rui- sa position, et un médecin lui est nécessaire
nes, des flammes jaillissent delà terre entr'ou- pour rendre l'intelligence avec la santé.
lui
verte, et la mer violemment soulevée hors de Ainsi, ceux que tourmente la frénésie de l'ar-
son lit submerge les bas quartiers de Byzance et gent ont besoin d'un docteur spirituel pour sa-
de Chalcédoine '. La cour s'enfuit la première ; voir de quelle espèce de rage ils sont affligés.
les portesde la ville, les routes qui l'entourent C'est pourquoi nous les supplions de venir à
ne suffisent pas aux fuyards éplorés et déses- nous et d'accepter nos remèdes. Je n'emploie
pérés; le désordre est immense. Des miséra- ni le fer, ni le feu, ni rien de violent, mais une
bles exploitant la frayeur publique ajoutentaux parolepuissante qui guéritsansdouleurs. Pour-
liorreursde l'incendie celles du pillage. La cité quoi résister et faire moins pour ton âme que
impériale porta longtemps les traces de ce dé- pour ton corps ?iMalade de corps, tu appelles le
Comme après une vaste tempête, disait
sastre, a médecin sans redouter la dépense et, qu'il ;

Chiysostome, on n'aperçoit partout sur les flots coupe ou brûle, tu te livres à lui dans l'espoir
et sur le rivage que des débris : ainsi, parmi qu'il te guérira. Et quand ton âme est rongée
nous, tout atteste auxyeuxconsternésrimmen- de vers, lu dédaignes de venir entendre une
sité du naufrage que nous avons subi ' ». parole qui le délivrera de fa pourriture ; et cela,
Seul, du reste, dans la panique universelle, quand il n'y a ni argent à donner, ni souffrance
le pasteur était resté debout à son poste, sup- à endurer, et lu te précipites à ta perte éter-
pléant par d'âme et l'autorité morale
la force nelle ! Le moyen de justifier une conduite pa-
aux pouvoirs publics honteusement éclipsés. Il reille '
? »
rétablit l'ordre, força les ravisseurs à rougir de Mais avec les reproches Chrysostome distri-
leur lâcheté, et quand la ville eut retrouvé ses buait les consolations. Au moment même où
habitants, il employa à les consoler des trésors ces avertissements sévères sortaient de sa bou-
d'éloquence et d'amour. A son attitude, à son che, une brillante fêle organisée par ses soins
accent, à la flamme surnaturelle de son regard, faisait diversion au deuil récent de la cité et
on eût dit l'ange de la terre pleurant sur ses noyait les souvenirs du terrible désastre dans
ruines, et tandis qu'il accorde un moment de l'unanimité d'une joie sainte. 11 s'agissait de
tendreregretàdesmauxqu'ilne peut conjurer, transférer d'insignes reliques, nouvellement
montrant du doigt, dans un rayon de lumière, apportées dans la ville de Constantin, de la
la cité des âmes dont les fondements sont jetés grande église qui les avaitprovisoirement re-
pour des jours éternels. cueillies, à l'oratoire de Saint-Thomas auquel
Heureux ou malheureux, tous les événe- on destinait ce pieux trésor, oratoire situé au
ments sont pour le généreux ponlife une occa- bourg de la Drypia sur la Proponlide, à une
dislance de neuf milles environ *. La transla-
• s. Ang., de urbis excidio, t. 6, p. 627.
• Vita S. auct. Wonif., t. 13, p. 132 ; Claudiao. et Eulrop., 1. 2 ' Chrys., ib'.d.
;
Le Beau, Hist. du EasEmp.,liv. 26, §:<; Robib., 1. 37, t. 7, p. 355. ' DuciiDge, qui ne pouvait connaître les onre discours de Chryso-
• Cbiyp., Boin.
1, n. 1, parmi les nouvelles de Montf. Le 1'. Stil- stome édités par Mootfauron, s'étonne que Gyllius ait placé sur la
lioîr, IVIàUiaîi et l'annotateur de ledition Gaume (t. 12, p. 4:<0,. ptn- Proponlide l'oratoire de Saint-Thomas (Gyjl., I. Il), il le trouve,
«tni que Chtysostome emploie ici une figure, et qu'il ne s'tgit ptint lui, sur le port dans le sixiènr\e quartier (Ouciiig. Const., Clirys.,
d'un tremblemeDl ds terre, nova lie partageons paa leur avis. g, 117}. EyidemaieBi, il y aimt i CDBSlïwiioofle deuic égliseii ou
CHAPITRE VINl.T-SEPTlftME. m
lion se fit ùlahieunles llaml)Ieanx,aii
la nuit, ont quille leur demeure et rivali ô do force
milit'U (l'un concours immense, sous un ciel avec les hommes pour faire à pied celli; longue
puretii'uneiiicomi)aral)Iel)eauté. Le prccieux route. Ni la faiblesse naturelle, ni l'habilude
reliquaire, placé sur les épaules déjeunes lé- d'une vie délicate, ni l'aspect de cette fouli?,
viles vêtus de blanc, sortit de Sainte-So|)hie à rien n'a pu les arrêter. Les chefs de la cité ont
minuit, traversa la grande place de l'hippo- laissé leurs chars, leurs licteurs, leurs valets, et
drome, et s'avança le long de la mer, précédé mêlés au peuple. I'ourt|uoi parler de
se sont
et suivi d'une nombreuse foule de prêtres, de femmes et de grands, quand celle qui porte le
cénobites, de vierges et de veuves consacrées diadème et la pouriire ne s'est pas un inslant
au Seigneur, d'hommes, de femmes de tout séparée des autres dans ce trajet, et que, telle
âge et de tout rang, des magistrats de la cité, qu'une servante, elle a suivi les saints corps,
des grands de l'empire, des plus hautes dames touchant de la main le cercueil et le voile qui
de la cour, tenant tous à la main des cierges le recouvre, foulant aux pieds tout le faste hu-

allumés et s'associant de cœur et de bouche au main, et se laissant approcher de tous dans


chant des psaumes. Toute la ville était là, et cette multitude, elle que les eunuques, dans
elle n'était toute qu'un hymne. L'impératrice, son palais, n'ont pas tous la permission de voir.
sans escorte, sans diadème, sans aucun insigne La flammede la charité lui a faitrejeter comme
du trône, marchait à gauche du pontife, der- des masques les insignes de sa grandeur, afin
rière la châsse des reliques, soutenant de sa de montrer à découvert sa profonde vénération
main un coin du voile qui les recouvrait, et et son zèle pour les martyrs. Elle s'est sou venue
achevant à pied cette longue route de plu- de David qui portait aussi la pourpre et régnait
sieurs stades. On n'arriva à l'oratoire de Saint- sur les Hébreux. Dans la translation de l'arche,
Thomas qu'au point du jour. Un beau soleil de il dépouilla la pompe empruntée du rang su-
septembre se levait à l'horizon, du côté de l'A- prême, il dansa, il exprima son bonheur par
sie, et découvrait aux yeux enivrés le plus im- de vifs transports. Et si dans l'ombre et la figure
posant des tableaux. Ce fut pour tous les cœurs tant de ferveur était possible, que doit-ce être
un moment d'extase. Puis, Chrysosfome prit la au temps de la vérité et de la grâce ? Car l'arche
parole et fit éclater en ces termes sa joie et ses transportée ici est plus précieuse que celle du
espérances : prophète-roi. L'une ne renfermait que des la-
Que dirai-je? Par oîi commencer? Je n'en biés de pierre l'autre renferme des tables spi-
,

puisplus, je suis hors de moi, j'éprouve une rituelles, la fleur et la splendeur des dons
espèce de folie qui vaut mieux que la sagesse. sacrés, des ossements dont l'éclat fait pâlir les
Je tressaille, il me semble que j'ai des ailes, rayons de l'astre du jour les démons ne peu-
:

quelque chose me soulève au-dessus de terre et vent le soutenir éblouis, ils prennent la fuite,
;

m'emporte en haut enfin, je suisivre d'une vo-


: ils vont se cacher au loin, et telle est la vertu
lupté sainte. Que dire? De quoi parler ?Vais-je qui s'exhale de la cendre des Saints, qu'elle
célébrer l'héroïsme des martyrs? l'ardeur de chasse les puissances impures et sanctifie tous
voire charité? le zèle de l'impératrice? l'em- ceux qui s'en approchent avec foi. C'est pour

pressement des chefs de la cité? la défaite cela que l'impératrice, amie du Christ, suivait
honteuse des démons? la noblesse de l'Eglise? les reliques et les touchait fréquemment pour
la vertu de la Croix? les miracles du Crucifié ? attirer sur elle les célestes bénédictions, encou-
la gloire du Père? la grâce de l'Esprit? la joie rageant les autres à ce beau commerce spirituel,
du peuple ? ces chœursde vierges, de prêtres, de c'est-à-dire àpuiser à cette source qu'on ne tarit
solitaires? cette multitude infatigable d'hommes jamais. De môme que les fontaines jaillissent,
de tout rang, libres et esclaves, princes et su- et que, loin de rester cachées dans le sol qui
jets, riches et pauvres, citoyens et étrangers? leur donne naissance, elles s'épanchent et dé-
C'est bien ici qu'il faut (\\tc: Qui racontera vos bordent; ainsi, la grâce de l'esprit qui réside
merveilles, 6 Seigneur! qni pourra siifpre à dans les serviteurs de Dieu, se répand sur ceux
vos louanges^1 Des femmes toujours enfermées qui les suivent pieusement et passe de l'âme au
dans leurs chambres, plus molles que la cire, corps, du corps aux vêlements, des vêtements
chapelle* dédiAei à «ainl Thomas. Celle dont il est question Ici fut aux chaussures et même à leur ombre. Non-
luee.idii': et détruite Kui l'etupeHuc Léon. £Ue fallait partie du seulement la personne, mais les mouchoirs, les
MuTièiaa qtuttltr,
Pt. lOS. ceintures des Apôtres opéraient des prodiges j
321 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOMË.

l'ombre de Pierre avait une vertu divine, et, cela non moinsutile au peuple que les martyrs!
sous lemanteau de son maître, Elisée trouvait Personne, en ne pouvait regarder les
effet,

une force surnaturelle Je suis ravi, je sura- elle-même debout


saintes reliques, sans la voir
. bonde de joie en voyant l'admirable ardeur qui à côté du cercueil, dont, malgré la fatigue
vous fait accourir et transporte ici la ville tout d'une longue course, elle ne s'est pas éloignée
entière. Par vous, aujourd'liui, toutes les ri- un instant. C'est pourquoi nous te procla-
chesses de l'Eglise sont déployées àmes yeux. moinsheureuse, Eudoxie, etnon pasnousseule-
Que de brebis et pasuu loupl Que d'épis et pas ment, mais les futures générations avec nous...
une herbe mauvaise De la ville ici, c'était
1 Heureuse, parce que tu exerces l'hospitalité en-
comme une autre mer une mer sans tempêtes,
;
vers les saints, parce que tu protèges les églises,
sans écueils, sans naufrages, douce à l'égal du que tu imites le zèle des Apôtres et te sers

miel, préférable aux meilleures eaux; une de ta royauté terrestre pour obtenir la royauté
mer! nous serons plus dans le vrai en disant éternelle Je necrois pasme tromperen plaçant
!

un fleuve de feu; car ces innombrables flam- ton nom entre les noms des Phœbé, des Pri-

beaux que vous teniez à la main, pendant la scilla,de ces femmes illustres louées par saint
nuit, sur le chemin de cet oratoire, produi- Paul, dont la mémoire est impérissable ' ».
saient aux regards charmés l'effet d'un fleuve Hélasl l'orateur trop loyal se trompait. Mais
de feu. Quand l'astre du jour s'est levé, ils ont heureuse, en effet, l'épouse d'Arcadius, si la

pâli devant ce grand flambeau mais ceux qui


;
régné
piété qu'elle déployait dans ses actes eût

brûlent au dedans de vous, n'ont pas à redouter dans son cœur et dompté ses passions heu- ;

cet éclat. Que dis-je? le feu de vos âmes l'em- reuse, si mettantsa conduite en harmonie avec
porte sur le feu matériel et visible ;
il éclaire le ses croyances, elle eut écouté avec une dociUté
jour aussi bien que la nuit, ou plutôt, grâce à filiale cette voix aussi paternelle et indulgente
lui, il n'y a pas de nuit ; il fait de vous des fils dans les louanges que dans les reproches! Ces
de lumière, de vous il fait des étoiles plus hommages du pontife à l'impératrice furent
belles que l'étoile du matin. Vous avez raison de considérés parle peuple comme une promesse

chanter avec le Prophète: La nuit est mo7i illu- de bonheur. Quelles que fussent déjà les fautes
mination dans mes délices :... elle resplendira d'Eudoxie, on plaignait sa jeunesse, on accu-
comme le jour. Et quel jour fut jamais aussi sait son entourage et le ministre dominateur.

beau que cette nuit, avec cette ivresse spi- Ses vices, qu'un voile de respect dérobait en-
rituelle, avec cette affluence pieuse qui ob- core aux yeux du public, n'étaient connus que
struait toutes les issues de l'agora et toutes les de la cour qui les encourageait et les exploitait.
rues, qui couvrait tout, de la ville jusqu'ici, Personne, d'ailleurs, n'était plus incrédule au
semblable à un fleuve rapide, à une chaîne d'or mal, plus disposé à croire la vertu que Chryso-
non interrompue? Nos yeux, qui se portaient stome. La tenue de la princesse lui fit illusion ;

tour à tour de la terre au ciel, contemplaient il pensaquel'âmed'Hélèneou deFlacilla allait


là-haut la lune et les étoiles, ici la multitude revivre dans la fille de Bauton, et il s'aban-
des fidèles, etau milieu d'eux l'impératrice plus donna avec transport à sa naïve confiance. Un
brillante que l'astre des nuits. Qu'est-ce que la an, tout au plus, s'était écoulé depuis son in-
June, en effet, comparée à une âme, revêtue stallation, et à cette époque la cour, eu le re-.
d'une dignité si haute, parée d'une foi si doutant, lui prodiguait les témoignages de dé-
grande? Que faut-il admirer le plus en elle : férence. Malgré quelques nuages, tout semblait
la flamme de la ferveur, sa foi inébranlable, ou sourire au généreux pasteur, tout encourageait
son humilité profonde par laquelle nous lui ses espérances qui devaient sitôt et si cruelle-i
sommes tous bien inférieurs? Voyez comme ment être détrompées. bien Ce jour, du reste,
elle a rejeté loin d'elle les marques du pouvoir, des haines s'éteignirent, la ville oublia ses
le diadème, tout lefaste du rang impérial; elle malheurs. L'évêque avait essuyé toutes les
a dépouillé la pourpre pour se vêtir d'humilité. larmes, désarmé toutes les colères, rassuré tous
D'autres princesses avant elle ont connu l'or- les cœurs, et il parut à chacun qu'il s'était pour
gueil du trône; elle seule a préféré aux pompes toujours réconcilié avec ses frères, avec le
royales la piété. Avec quel respect et quelle fer- bonheur et avec Dieu.
veur elle a accomiiagé ces cendres bénies, se Le lendemain, lafôle recommença, maiscetle
lué.iiut àliJ fcyje^ err.- gardes, sans suite; flA ' Ciir^'s., Mom, ^, fatmi \^i uouvcll«s de il9^U|
CHAPITRE VINGT SEPTIÈME. 325

folsavccunapparfil tout militaire. L'empereur battu de verges expf résous lescoups. Martyrins
se rendit à la Drypia, à la tète de sa garde, dans est traîné par les pieds à travers les sentiers
un fastueux déploiement d'armes et de puis- escari)és de la montagne. Restait Alexandre
sance'. Il déposa le diadème et l'épée, les sol- qu'on essaya d'intimider en briilant sous ses
dats déposèrent leurs boucliers et leurs lances yeux le corps de son frère. Rien n'ébranlant ce
devant la tombe des martyrs. D'innombrables giand cœur, on le jeta vivant sur le bûcher où
témoinsbatlirent des mains, et le peuple enivré une même flamme dévora les trois hosties'. Ce
de ces apparences crut avoir retrouvé les plus triple holocauste eut lieu le 29 mai 397. Vigile,
beaux jours de Tliéodose. César trompait éga- réservé lui-même à la gloire des martyrs, re-
lement l'Eglise et le peuple. cueillit les cendres de ceux-ci, et, sur la de-
Quant aux pieuses reliques dont la translation mande d'un illustrepersonnage présent alors
avait motivéceltedoubleféle, on conjectureque sur les lieux, se décida à en faire part SlU saint
c'étaient celles des martyrs Sisinnius, Alexan- évèque Jean de Constantinople. Elles étaient
dre et Martyrins. Vigile de Trente venait de les chaudes encore quand elles furent déposées
envoyeràJeandeConstanlinopleavecuneleltre dans l'Eglise de Saint-Thomas '.
qui renferme sur ces nobles athlètes du Christ Presque à la même époque ', d'autres reli-
des détails dignes d'être connus. Nés tous les ques furent apportées à Byzance et reçues
trois en Cappadoce, ils étaient pissés en Italie avec le même empressement pieux par le
sous le règne du père d'Arcadius. Saint Am- peuple, avec la même joie éloquente par le
broise eut occasion de les connaître et se les pontife. La seconde Rome n'avait pas, comme
attacha. Leur foi courageuse, noblement impa- la première, ses catacombes remplies de trésors.
tiente de se répandre, les fil désigner par Poursuppléeràson indigence, elle empruntait
l'évèque de Milan à celui de Trente, lequel de- au monde ses gloires saintes, comme elle lui
mandait à grands cris qu'on lui vînt en aide avait emprunté ses chefs-d'œuvre artistiques.
pour porter la lumière de l'Evangile dans cer- Il semblait que les illustrations du martyre

tains cantons de son diocèse qu'elle n'avait pas dussent un tribut à ses autels. Les tombes les
encore éclairés. Sisinnins fut ordonné diacre; plus vénérées s'ouvraient pour elle, et, de tous
Alexandre et Martyrins, qui étaient frères, re- les points de l'empire, lui envoyaient leurs ri-
çurent les ordres inférieurs, et tous les trois chesses cachées, de précieux fragments de ces
partirent ensemble pour levai d'Anaunie, au- nobles hosties dont le sang avait été le baptême

jourd'hui d'Egna, dans les Alpes, dont les nom- du monde. Chacun decesnouveaux venus dans
breux villages, déployés en amphithéâtre sur la cité dédiée à Marie y était accueilli par une
les dernières pentes des montagnes, offraient ovation et triomphalement installé dans le
un spectacle aussi trisle à la pensée qu'agréable temple destiné à le recevoir. Dans ces fêtes ré-
aux yeux car ils étaient encore plongés dans
; pétées, Chrysostome voyait un excellent moyen
Pidolâtrie, alors que la vérité remplissait l'uni- de réveiller la foi de ses ouailles, en leur rappe-
vers de ses feux. La douceur, la charité, la lant par quelles luttes, à quel prix la terre en
patience des saints missionnaires gagnèrent avait obtenu le bienfait. Ce jour-là c'étailSinope
d'abord un assez bon nombre d'âmes à Jésus- qui partageait avec Byzance les restes glorieux
Christ. Sisinnins eut la consolation de lui dé- de son martyr. Tout l'Orient redisait Phistoire
dier un modeste oratoire dans ces lieux où son de Phocas, ce pauvre et illustre jardinier, si
nom n'avait jamais pénétré. Cependant, ceux simple dans sa vie, si grand dans sa mort. Mais
qui restaient sourds à sa voix, voulant dédom- laissons parler saint Astère :

mager dieux des défections qui les humi-


les « Pliocas, dit-il, cultivait un jardin à la porto
liaient, préparèrent une grande manifestation de la ville, sur Pembouchure dePisthme, et il
païenne et de peur que le zèle des catéchistes
; trouvait dans ce petit coin de terre de quoi se
ne la fit échouer, ils se ruèrent sur eux au nourrir lui-même et venir en aide aux néces-
moment où, réunis à leurs néophytes, ilschan-
taienl ensemble les louanges du Sauveur dans ' BollaniJ., 29 mar».
Stilling Incline à croire qu'il s'agit, dans cette tolennella
la pauvre église qu'ils venaient de lui consa- '
Le P.
ttariBlation, des reliquei de saint Phocas. Il se trompe ; car 11 est
crer. Sommés de sacrifier aux idoles, les géné- question ici de plusieurs martjrrs, et, de plus, la traneiatlOD de sainl
Phocas BQ en traversant le Bosphore.
reux aptStres demandent la mort. Sisinnins flt
' Monifaiicon place celle translation plus tard, aprit U
premlel
* Cttji., Uom, i, ptrmi Itt aouveUet de Moatf. exil de Chrysostome. La chose itatt alors liDpoasibl«i
^6 I IHISTOIRE DE SAINT JEAN CHRVSOSTOME.

«ifeux de contrée. Quoique sa maison fût


(a Euxin, ajoute saint Astère, ceux aussi quî na-
ciléfive et peu commode, il y accueillait avec viguent sur la mer Adriatique, sur la mer
joie tous les voyageurs sans asile et pourvoyait Egée, sur l'Océan oriental et occidental, adou-
de son mieux à leurs besoins. Il était à Sinope cissent les ennuis de la navigation par des
ce qu'Abraham avait élé à Sodome. Sa charité hymnes à la gloire du saint martyr; ils ont
reçut une récompense digue d'elle, et lui valut sans cesse à la bouche le nom de Phocas, et il

la plus glorieuse des morts. Apres que l'Evan- leurdonne souvent des marques particulières
gile eut été annoncé au monde, les rois se le- de sa puissante protection. La nuit, quand une
vèrent et s'armèrent contre le Seigneur et contre grosse tem[)ête menace le vaisseau, il va ré-
son Christ; les peuples plongés dans l'erreur veiller le pdote qui dort près du gouvernail,
repoussaient de toutes leurs forces la vérité. On serre lui-même les cordages, dirige la voile,
poursuivait, on punissait sévèrement les Chré- et se tient debout sur la proue pour signaler
tiens ceux qui tombaient aux mains des per-
; et tourner les écueils. C'est une coutume ob-
sécuteurs étaient livrés au supplice, ceux qui servée entre les matelots d'inviter saint Phocas
Be cachaient étaient recherchés avec soin. La à leur table mais parce qu'il n'a pas de curps
;

vie obscure de Phocas ne put le dérober aux et ne mange pas effectivement, ils ont imaginé
fureurs des tyrans. 11 fui dénoncé comme un un ingénieux moyen de satisfaire leur pieté:
fervent disciple de Jésus-Christ, et on ordonna ilsfont la portion du martyr, laquelle est
de le saisir et de le frapper sans aucune forme achetée par l'un des assistants un autre ;

de procès, sans interrogatoire, car ses actions l'achète le lendemain, et ainsi de suite, si bien
parlaient assez haut, et l'interroger c'était lui que chacun la prend et la [)aie à sou tour. Puis,
fournir l'occasion de glorifier sa foi. Un soir, quand le navire est entré au port, le produit
deux voyageurs attardés viennent frapper à sa de ces ventes est distribué aux pauvres que
porte il les accueille avec sa cordialité ordi-
; Phocas nourrit après sa mort, conmie il le fai-
naire, les fait asseoir à sa table, et les en- sait dans sa vie. Les princes n'ont pas moins
toure des soi us les plus attentifs. Le repas et la de vénération que le peuple pour sa mémoire.
conversation inspirant aux convives une fami- L'humble maison qu'il habita sur la terre est
liarité réciproque, le jardinier demande à ses enrichie de magniiiques présents. Les jeunes
hôtes le motif qui lesamèueàla ville, et ceux- gens se plaisent à la visiter autant que les an-
ci,quoique obligés au secret, lui avouent qu'ils ciens. Les Barbares eux-inènies rivalisent avec
sont venus pour mettre à mort, partout où ils nous pour rendre leur devoir au pauvre jardi-
le trouveront, un chrétien
appelé Phocas: nier. Un des leurs donna sa couronne d'or
Aidez-nous, ajoutent-ils, à découvrir son habi- chargée de pierreries d'une ma-
et sa cuirasse
tation. — Volontiers, répondit-il sans étonne- tière précieuse, car les le goût
Barbares ont
mentjje serai à vos ordres demain matin; en des belles armes il les donna à Dieu par l'en-
;

attendant, reposez- vous et dormez en paix dans tremise du martyr qu'il pria de les faire agréer
ma pauvre demeure. Lui, il employa la nuit à au Seigneur, voulant reconnaître par celle
creuser sa fosse, à tout disposer pour ses funé- espèce de tribut, qu'il lui devait le courage et
railles. Au point du jour, sa besogne finie, il la puissance '
».
vient réveiller les soldats et leur dit : J'ai Byzance enviait à Sinope son trésor ; elle ob-
cherché Phocas, et je l'ai trouvé ; vous habi- tint qu'une partie de la sainle dépouille fût
tez sa maison, et le voilà devant vous. Rem- transférée dans ses murs. Jean présida à la
plissez votre mandat. Les bourreaux hésitaient: translation, fêtée deux jours de suite. D'abord,
comment lever la main sur un tel homme, et on promena triomphalement les précieuses re-
sous le toit même de 1 hospitalité ? Il les encou- liques à travers les rues et les places de la cité-
ragea. Frapi)ez, leur dit-il,
ne craignez rien. reine, au milieu d'une foule émue. Toute la
Que le crime retombe sur ceux qui l'ont com- cour, l'empereur lui-même, suivaient à pied.
mtindé Et sa 1 tête roula sous le glaive '
o Le lendemain, on traversa le Bosphore tout
La tombe de saint Phocas était l'orgueil et le couvert de bateaux richement parés et illumi-
palladium de sa patrie. Du milieu des mers, nés. La ville entière s'était transportée sur les
les navigateurs la saluaient de loin comme un Ilots |)ouraccompagner son nouveau protec-
jihare. sacré, a Ceux qui traversent le Pont- teur à la demeure solennelle qu'où lui avait
.' 5. Asière, Bom. 3.
CHAPITRE VINGT-SEPTIÈME. 321

assignée sur la côte d'Asie, dans un lieu qui convenable l'éloge du Saint; sous ce rapport,'
depuis a porté son nom '. Le temps étnit exces- j'en ai dit assez en faveur de ceux qui avaient
sivement cliauil'; ce qui n'euipèciia pas Cliry- dû se réunir pour donner à cette fête plus d'é-
sostome de prendre deux fois la p.irole. Nous clat. Ce que j'affirmais hier, je l'affirme encore
n'avons que le second de ces discours. aujourd'hui de notre affluence, il ne revient
:

(I Hier, dit-il, la ville a acquis à nos yeux de au serviteur de Dieu aucune gloire, mais il
la splendeur, un nouveau lustre, non par des peut nous revenir bien des avanlagesspirituels.
colonnes, mais pouravoir accueilli tiiompliale- Celui qui regarde l'astre du jour n'en aug-
nient le martyr qui uous arrive du Pont. 11 a mente pas la splendeur, mais il remplit son
vu votre hospitalité, et vous a comblés de bé- œil de lumière. Ainsi, celui qui rend hommage
nédictions; il a loué voire empressement cor- aux héros de Jésus-Christ n'ajoute pas à leur
dial , ceux qui étaient accourus près de
et béni renommée, mais il attire sur lui-même de pré-
lui. Ceux-là, je lésai proclamés heureux, ils cieuses bénédiclions. Prenons à la main nos
ont joui du parfum suave qui s'exhale de ces flambeaux allumés et traversonsla mer qu'elle ;

reliques; les absents, je les ai déclarés mal- devienne une égUse. Que personne necralgne
heureux. Néanmoins, pour que leur dommage les flots le martyr n'a pas craint la mort, et
;

ne soit point irréparable, nous célébrerons de l'eau te ferait peur Mais là-dessus j'ai assez
!

nouveau le serviteur de Dieu, afin que, si la parlé '


».
négligence vous a tenus éloignés, un redou- Après quelques mots remarquables sur la
blement de zèle vous mérite une double béné- chaiité qui doit présider à toute polénjique
diction. Ce que j'ai souvent ne cesse de
dit, je religieuse, Porateur prend à partie les Ano-
le dire : je ne poursuis pas le châtiment des méens, et, relevant leur dé|ilorabIe façon d'in-
pécheurs, j'offre aux malades des moyens de terpréter ou plutôt de torturerl'Ecrilure.illes
guérir. Tu ne vins pas hier, viens du moins accable des autorités mêmes qu'ils invoquent
aujourd'hui, [lour conduire à la demeure ijui en leur faveur. Selon ces hérétiques, les saints
lui est préparée notre hôte céleste. Hier lu l'as livres donnent au Père seul le nom de Dieu,
vu promené sur la place publique; viens le le Fils n'est appelé que Seigneur, qualification

voir traversant la mer


afin que l'un et l'autre d'une portée bien inférieure. Quehiues mots
élément soient remplis de sa bénédiction. Que sulfisentà Chrysostome pour faire justice de
personne ne se dispense de cette solennité sa- celte assertion et établir que, dans le langage
crée; que nul ne reste chez soi, ni lau)ère, ni biblique, les titres de Seigneur et de Dieu ont
la fille; délaissons la ville, accourons au tom- la même valeur et sont indistinctement appli-
beau du martyr; les empereurs le fêlent avec qués au Père et au
Quoi dil-il au dis-
Fils. « 1

nous. Quelle serait l'excuse d'un particulier, sident, n'as-tu pas entendu le psaume J'ai :

quand les Césars nous donnent l'exemple? Telle crié vers le Seigneur, j'ai invoqué Dieu '?
est la puissance des athlètes du Christ, qu'ils Ainsi, dans la bouche du Prophète, le même
prennent dans leurs filets non-seulement les est Dieu et Seigneur. A qui appliques-tu le ti-
simples citoyens, mais les princes eux-mêmes tre de Dieu? au Fils ou au Pèie?Tudirassan3

qui portent le diadème. Voilà ce (|ui couvre de doute que ces deux noms indiquent le Père :

honte les Gentils, ce qui confond leurs erreurs donc Dieu c'est le Fils, et Seigneur c'est le
et ruine les démons; voilà notre gloire et la Père. Pourquoi metlreune différence où l'Ecri-
couronne de l'Eglise. Je me réjouis avec les ture n'en met pas?... Tu prétends que le nom
martyrs, je tressaille de joie en voyant, dans de Dieu est plus giand, celui de Seigneur plus
la campagne, au lieu des prairies, leurs tro- petit? Ecoute Isuïc C'est lui, leSeigneur, rjni
:

phées. Leur sang n'a-t-il pas coulé comme une a fait le ciel c'est lui, Dieu, qui a fondé la
;

fontaine vivifiante? Leurs ossements sont con- terre '. Le Seigneur a créé le ciel. Dieu a créé
sumés, mais leur souvenir devient jdus vif de la terre; n'est-il |)as évident qu'ici le nom de

jour en jour. Autant il est im[iopsible que le Dieu et celui de Seigneur sont appliqués à la
soleil s'ele'gnc, autant l'est-il que la mémoire même personne? Ailleurs le texte sacré s'ex-
des martyrs périsse; car le Christ a dit Le : prime ainsi liiUeiu/s, Israël, le Seigneur ton
:

ciel et la terre passeront, mes paroles ne pas- Ditu est le seul Seigneur */ Le même être
siroiit pos *. M.iis renvoyons à uiieé|)oc|ue plus est appelé deux fois Seigneur, une fois Diî:u ;
•Clity»., JJum. tur S. Pùoc. — 'CUijs , iliid. — 'iiatlh.,2), 35. ' Cbrys., iUJ. - • F». 1 U. - '
Uiûç, 15, 19. -• DeuWf., 0, i.
$98 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHKYSOSTÔME.

d'abord Sf?igneur, puis Dieu, puis encore Dieu. l'église? réponds-lui ne t'apporte ni viande
: Je
Si le premier de ces noms était inférieur à ni vin, ni or ni bijoux, mais une parole qui
l'autre, l'Ecriture eût appliqué à la substance rend l'àme plus sage. Oui, dès que tu stras
divine le plus sigiiificalif et négligé l'autre. près d'elle, dresse en sa faveur une table spi-
M'avez-vous compris? Je vais répéter, car ceci rituelle; dis-lui, tout d'abord, tant que tes
n'est point un spectacle pour voire amuse- souvenirs sont encore frais Commençons par :

uieut, mais un enseignement pour votre édifi- jouir des choses célestes, nous prendrons en-
cation et pour qu'au sortir de cette enceinte suite la nourriture corporelle. Et si nous arran-
\ous soyez armés et prémuniscontre l'erreur... geons ainsi notreexistence,Dieuseraau milieu
Que dis-tu iiérélique ? Que Seigneur est le nom de nous, pour nous bénir et pour nous cou-
propre du Fils, Dieu le nom propre du Père? ronner ». '

Mais si je te montre que le nom de Seigneur, Nous avons cité une grande partie de ce dis-
le moindre d'après toi, désigne le Père lui- cours, non qu'il soit plus remarquable qu'un
même, qu'auras-lu àré[)liquer? Qu'ilsappren- autre, mais parce qu'il donne une idée plus
nent, dit le Propbète, que ton nom est le Sei- exacte de la prédication de Chrysostome, si pa-
fjneur^ ! S'cst-il servi du mot Dieu ? Cependant, ternelle et si pratique, où l'intérêt de l'audi-
si ce mot a plus de portée, pourquoi le Psal- toire est la seule règle de l'orateur. Du reste,
misle n'a-t il pas dit apprennent que
: Qu'ils des manifestations de cette nature n'étaient pas
tonnom est Dieu? Si Dieu, en effet, est le rares à Constantinople. Sous lamenace d'un
nom spécial, le nom propre ; si celui de Sei- malheur public, sousl'impressiond'unegrande
gtieur a quelque chose de plus bas et d'étran- joie, la ville accourait aux pieds des autels et
ger, pourquoi l'écrivain inspiré a-t-ildit: Qu'ils des litanies avaient lieu, c'est-à-dire que la
apprennent que ton nom est le Seigneur prière plus ardente éclatait au dehors de l'en-
adoptant la qualification la moins digne, la ceinte sacrée, et que de longues processions
moins haute, et négligeant la plus élevée, la remplissaient de leurs chants pieux les rues,
plus digue? Afin que tu saches qu'entre l'une les places, le bord de la mer, la mer elle-même.
et l'autre il n'y a maisaucune différence, Ainsi fit-on le mercredi de la semaine-sainte,
qu'elles ont la même portée, il s'écrie Quils : 6 avril 399. Il étaittombé depuis plusieursjours
apprennent que ton nom est le Seigneur :seul une si grande pluie qu'on trembla pour la pro-
tu es le Très-Haut au-dessus de toute la , chaine moisson. Des champs entiers furentera-
terre • / portés par l'eau, et de nouveaux désastres an-
Chrysostome termine ainsi : « La discussion noncés d'heure en heure en faisaient présager
a été longue et la chaleur est très-forte. Mais de plus grands encore. Le peuple consterné se
le discours a fait oublier la fatigue et tempéré voyait déjà en proie à toutes les horreurs delà
par la rosée de la doctrine les ardeurs du jour. famine. Chrysostome indiqua des prières pu-
Et lorsqu'uue ou deux fois la semaine nous bliques, et, entouré d'uue multitude dont les
nous réunissons, gardez-vous d'être inatten- craintes ranimaient la ferveur, il se rendit pro-
tifs. Car, si au sortir de l'enceinte sacrée on cessionnellement, au chant des hymnes et des
vous dit: Sur quoi a parlé le prédicateur? vous psaumes, à l'église des Apôtres. La ville s'j
répondrez Contre les hérétiques. Si on ajoute
: : précipita comme un torrent, implorant Pierre
De quoi a-t-il traité? et que vous ne le sachiez et André, Timothée et Paul', et par eux la ces-
pas, ce sera une grande honte. Si au contraire sation du fléau. Le ciel s'étant tout àcoupras-
vous le savez, vous piquez celui qui vous in- sénéré, la reconnaissance s'exprima comme la
terroge. Si c'est un hérétique, vous le corrigez; terreur; une procession traversa le Bosphore
si c'est un ami négligent, vous l'attirez si c'est ; et vintsur la rive d'Asie visiter l'église de Saint-
une femme mondaine, vous la rendez plus Pierre et Saint-Paul ^ où elle célébra dans une
modeste, car tu dois rendre compte à ta femme. fête spirituelle, avec les combats et les victoires
Quelesfemtnes, dit l'Apôtre, se taisent dans des grands héros de l'Evangile, les espérances
l'église, et si elles veulent apprendre quelque et la joie de la cité. Il semblait au pasteur in-
chose, qu'elles interrogent leurs maris chez dulgent que ce peuple, si pieusement ému,
elles '. Lorque, rentré sous ton toit, ton épouse était pour longtemps revenu aux choses sé-
t'interroge et te dit : Que m'apportes-lu de rieuses et à ses devoirs. Cette illusion de la
.'Ps. 82, 19. — • Chiys., ibid. - • I ad Corinlh., U, 31. '
Chrys., ibid. — ' ld„ t. 6, p. 273. BB. — ' Chiys., ibid.
CH^lMTRb; VliNGT-StPTlÈME. d20

tendresse paternelle fut vite détrompée; car, iosophie chrélierne? Pourquoi ne pas en met-
dès lendemain, qui était le vendredi-saint,
le tre les rênes dans les mains delà droite raison,
des courses eurent lieu à i'iiippodronie, et les afin de courir au but de ta vocation supérieure ?
fervents de la veille y passèrent le jour, sans Un tel exercice unit l'utilité au plaisir ! Et toi,
souci du deuil de rKj;liseelduj,'rand anniver- abandonnant au hasard tes](lusgrandsintérèts,
saire qui roccu|)ail. Le soir, leurs vociférations tu n'es occupé que de la victoire d'un autre, et
scandaleuses troublaient toute la ville, et, le tu passes le jour à ne rien faire, ou plutolà faire
samedi, on les vit en foule au théâtre encou- le mal! Ne sais-tu pas que nous, hommes,

rager de leurs frénétiques applaudissements quand nous confions de l'argent à nos servi-
les plusobscènes représentations' Clirysostome . teurs, nous exigeons d'eux qu'ils nous en ren-
enfermé cbez lui s'indignait et soutirait; le dent compte jusqu'à une obole? Ainsi fait le
jour de Pâques il éclata. Seigneur il nous demandera compte de cha-
:

« Est-ce toléiable? s'écriat-il. Puis-je m'y cun de nos jours. Que dirons-nous alors? Quelle
résigner? Après tant de discours, après de si excuse donner pour celui-ci? Pour toi, le soleil
graves enseignements, plusieurs nousontquit- s'est levé, la lune a éclairé la nuit, le chœur
tépouraller voir courir des chevaux. Ils ont fait des étoiles a brillé dans le firmament ; pour
rire, ou plutôt ils ont attristé la cité tout en- toi, les vents ont soufflé, les fleuves ont coulé,
tière par leur (iissijwtion et leurs cris. Je les ai les semences ont germé, les plantes ont poussé,
entendus du fond de ma demeure, et j'en étais la nature a parcouru son cycle harmonieux:
humilié. Que répondre à un étranger qui nous toute la création est faite pour toi, et tu ne te
dirait : Est-ce ainsi que se conduit la ville des sers de la créationque comme d'un instrument
Apôtres, celle dont l'église eut un fondateur si pour satisfaire aux vœux du démon! Et après
illustre'? Est-ce là un peuple ami du Christ, que Dieu a daigné te louer cette belle demeure
qui doit préférer le théâtre spirituel à celui du qu'on appelle le monde; tu oses lui refuser le
mensonge ? Ils n'ont pas même respecté le saint prix du loyer! Ce n'était point assez d'avoir agi
jour où furent accomplis les mystères de notre de la sorte un jour; le lendemain, sansdonner
salut. Oui, le jour où ton Maître a été crucifié de relâche à la malice, tu cours au théâtre,
pour rédemption du monde, où il offrait
la c'est-à-dire à un abîme plus affreux ! Là, les
pour toi le grand sacrifice, où l'antique malé- jeunes gens viennent perdre leur jeunesse, les
diction a été levée, où le paradis a été ouvert, vieillards déshonorer leurs cheveux blancs. Là,
où Dieu s'est réconcilié avec l'homme, où tout desflls sont conduits par leurs pères, bourreaux
a été régénéré, en ce jour où il faudrait jeûner, plutôt que pères. — Quel mal y a-t-il? dites-
confesser tes fautes, rendre grâces par la prière vous. — Voilà ce qui m'afflige le plus : c'est
à l'auteur de tant de biens, tu délaisses l'église que, malades comme vous
vous ne vous
l'êtes,

et l'assemblée de tes frères, tu dédaignes la douiez pas de votre état! Vous sortez de là
saintetédu jeûne, et, captif du diable, tu vas pleins d'adultères, et vous demandez quel mal
au spectacle où il te conduit Puis je le sup- I ily a »
porter? Est-ce tolérable?... Et comment désor- Et l'impétueux orateur, avec plus d'éloquence
mais apaiser le courroux céleste? 11 n'y a pas que jamais, signale l'immoralité du théâtre,
encore trois jours, quand cette grande pluie, son influence corruptrice, les ravages qu'il
entraînant tout, enlevait le pain de la bouche exerce dans les familles. Puis, tout à coup s'a-

du laboureur, vous avez recouru aux supplica- percevanl de l'émotion de son auditoire : « Je

tions, aux processions; la ville s'est portée au vois, dit-il en s'interrompant et tout ému lui-
temple des Apôtres, elle a traversé les (lots, même, je vois que plusieurs d'entre vous se
cherchant partout des médiateurs |)rès de Dieu. vous sais gré d'être un
frajqient le front, et je
Et peine quelques heures se sont écoulées, tu
il peuple sensible; mais je ne puis m'enipêcher
oublies ta terreur, ta reconnaissance, lu pous- de le [tenser ce sontceuxqui n'ont fait aucun
:

ses des cris indignes, tu dé.-;honores ton âme! mal qui pleurent la chutede leursfrères. C'est
Si tu veux tant voir une course de brutes, at- pourquoi madouleur est plus grande envoyant
telle tes brutales passions. Pourquoi ne pas un troupeau pareil dévasté par le démon. Ne
leur imposer le joug suave et léger de la phi- dites pas qu'ils sont en petit nombre ceux que
l'ennemi nous a ravis: il n'y en aurait que dix,
* C'était iloti ropinlon cofflmuaa que l'igllaa d» B7Mnc« «Taltéti
loaUe pu s. ADdii. que cinq, qu'un seul,(iue la perte serait énor-
330 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSIOilE.

me Si l'on ne veut ni de nos conseils ni de et traité comme un ennemi. Ne le recevez plus


nos exhortations, j'userai enfin de ce pouvoir sousvolre ne l'admettez plus à votre table,
toit,

que le Seigneur m'a donné, non pour détruire ne paraissez plus en public avec lui c'est le ;

mais pour éililier. Aini. jele pro 'la l'eà haute moyen le iiliissûr de le recouvrer. Comme les
voix si quei()irun, après ce tpie je viensdedire, chasseurs tr.ique.it If^s bêtes pour les emmener
retourne à cette pi sle du théâtre je lui inter- dau'^ leurs rets, traquons les malheureux qui
dirai l'enceinte sacrée, jehiirel'usriai les saints s'éfiarent, vous d'un côté, moi de l'autre, pour
mystères, je ne permettrai pas qu'il s'avance les faire tomber dans les filets du salut. Ce ne
vers cette table céleste Un an s'est écoulé serait pas une faute légère que d'être inditt'é-
depuis que je fus emmené
dans votre ville, et rentà leur perte. C'est pourquoi, quelque dou-
dès mon arrivéeau milieude vousje n'aicesïé leur que j'en éprouve, je ne reculerai pas de-
de vous avertir. Donc, puisque plusieurs s'ob- vant l'emploi des peines les plus sévères, car il
stinent à croupir dans cette pourriture, nous vaut mieux vous affliger maintenant pourvous
devons nous armer de courage et trancher dans sauver du jugement futur, que de subir plus
le vif. Gardez-vous de mépriser notre sentence ; tard avec vous un châtiment terrible pour vous
car, si personnellement nous sommes peu de avoir flattés aujourd'hui M »
chose, la dignité que nous tenons de la grcâce Ces paroles auxquelles les vertus admirées
divine nous investit d'une haute puissance. et la charité de l'orateur donnaient plus de
Qu'ils soient donc chassés de tels hommes, afin poids, firent unevive impression surce peuple
que ceux qui vont bien échappent à la conta- frivole, mais bon, qui redoutait d'afQiger son
gion, et que les maladeseux-mèmes soient rap- noble et saint protecteur et d'être privé de l'en-
pelés à la santé !Si cette menace vous fait fré- tendre. Pour le punir, Chrysostomen'avaitqu'à
mir, — car je vous vois attristés et confus, — garder le silence'. Ces hommes si emportés au
que les coupables se repentent, et la sentence plaisir accouraient aussitôt comme de petits en-
De même, en effet, que nous avons
est levée. fants, et s'efforçaient par toute sortede pro-
le lier, nous avons celui de délier.
pouvoir de messes d'obtenir pardon du plus indulgent
le
Loin de nous la pensée de perdre nos frères I des pères et la grâce de jouir une fois encore
nous n'avons d'autre but que d'écarter de l'é- de cette voix éloquente et aimée. Dans cette
glise la honte et l'opprobre. Les Juifs, les Gen- circonstance, le repentir parut si vrai, la con-
tils se moquent de nous en voyant notre extrê- version si parfaite, qu'à peine huit jours après
me tolérance pour le mal ils apprendront à
; ces menaces sévères, Jean se félicitait publique-
nous respecter, admireront la sainteté de
ils ment d'avoir infligea son troupeau une tris-
nos lois. Ainsi, qu'aucun de ceux qui persévè- tesse si salutaire '.

rent dans cette fornication ne mette le pied


' Chrys., t. 6, p. 272. BB. — * Chrys., Soin. 9, parmi lei nou-
dans le temple, mais qu'il soit châtie par vous velles de Montf. — ' Id., ibid.

CHAPITRE VINGT-HUITIÈME.

Naissance de Pulohérie. — Orgueil et crimes d'EuIrope. — Droit d'asile. — Eutrope consul. —


Il vise à la pourpre. Révolte —
lie Tribigilde. — Uaioas Léon. — Chute d'EuIrope. —
et Efforts de Chrysoslome pour le sauver. —
Décadeace de l'empire.

L'année 399, que devaient attrister tant de dé- perdu, mais à répandre au moins sur celte
débuté sous des auspices heu-
sastres, avait grande agonie la gloire de ses vertus. Des jeux
reux Pulchérie était née le 19janvier. La fille
:
publics célébrèrent le bonheur des Augustes et
d'Arcadius reçut du ciel le courage de Théo- la joie présumée du monde. Hélas ces bril- !

dose et la piété de Flacilla. Ame virile, et pour lantes apparences ne voilaient qu'imparfaite-
ainsi dire le seul homme de sa race, elle était ment les ignominies de la cour. Eu effet, quel-
appelée, non plus à sauver l'empire à jamais ques jours après, Eutrope, lui aussi, donna des
CHAPITRE VINGT-HL'ITIÉME. 331

fctes splendides où l'orgueil du valet éclipsa la Chrysostome fit des remontrances, parla haut
magnificence du maître. L'ancien esclave, le et sévèrement. On n'osa le frapper; mais l'eu-
vieil eunuque inaugurait son consulat. Le scan- nuque irrité poursuivit avec une audace crois-
dale était immense, mais le peuple s'amusait sante le cours de ses infamies. Rien n'était
et n'y songea pas. Du reste, l'insolent parvenu sacré pour sa main profanatrice et sanglante il ;

ne gardait plus de mesure ; il avait abattu les osa la porter sur l'autel. Les églises chrétiennes
plus hautes tètes, volé les plus belles fortunes ;
jouissaient depuis Constantin du droit d'asile,
le sénat, la cour, l'empire étaient à ses pieds. attaché autrefois aux temples du paganisme.
Plus avare à mesure qu'il était plus riche, plus Sans doute, il est facile de signaler les incon-
méchant à mesure qu'il était plus fort, il con- vénients et les abus auxquels un pareil droit
tinuait à la face du ciel ses concussions et ses peut donner lieu ; mais il est certain qu'en des
brigandages. 11 n'y a pas de charge dans ce ta- temps de discorde civile et d'anarchie, quand
bleau de Claudien : les vengeances privées, l'arbitraire du pouvoir,

Du dit-il, aux rives du


pied de l'ilémus, les violences du despotisme tenaient lieu trop
Tigre, il ne mette à l'enchère,
u'est rien qu'il souvent de justice et de lois, c'était, dans plu-
ce brocanteur de l'empire, cet infâme courtier sieurs cas, la seule ressource laissée à l'inno-
des honneurs. Le gouvernement de l'Asie est cenceet à la faiblesse contre l'oppression etla ty-
le prix d'une villa; celui-ci, avec les bijoux de rannie; il épargnaau peuple biendes meurtres,

sa femme, achète la Syrie; celui-là échange à aux puissants bien des crimes. Du reste, il n'avait
regret contre la Bythinie l'héritage de ses été octroyé aux églises que dans un noble but
pères. Une affiche attachée à la porte d'Eutrope d'humanité, non pour désarmer la loi ni pour
l'ail connaître aux solliciteurs le prix de chaque abriter le crime, mais afin de laisser aux juges,
'
province: tant la Galatie, tant le Pont, tant la dans certaines occurrences, le temps d'apaiser
Lydie. Apporte quelques milliers de pièces leurs pensées, d'examiner avec plus de calme
d'or, tugouverneras la Lycie un sacrifice de , les causes douteuses, et pour qu'il ne fût pas
jilus, Phrygie est à toi. Il cherche dans la
la dit que, dans les défaillances de la justice hu-
honte publique une consolation à son sort; et, maine, il n'y a ici-bas d'autre ressource que le
parce qu'il fut vendu, il veut tout vendre. De désespoir pour les victimes de ses erreurs.
deux concurrents, c'est l'argent qu'il pèse : le L'exercice de ce droit était aussi une excellente
poids entraîne le juge, une province oscille occasion pour les évêques de déployer l'esprit
entre les deux bassins d'une balance. Odieux! de l'Evangile et sa divine mansuétude, en fai-
si vendre les peuples à l'enchère ne vous fait sant appel à la miséricorde des princes, aux-
pas rougir, rougissez au moins du vendeur ' » ! quels ils une salutaire horreur de
inspiraient
Pourrendre ce commerce plus lucratif, l'âpre l'elTusion du sang et de la peine de mort, en
marchand avait multii)liéles gouvernementset même temps qu'ils agissaientsurl'âme des cou-
les tribunaux, et c'est ainsi qu'il divisa la Syrie, pables et s'efforçaient de la ramener à la vertu
la Cilicie, la Phénicie, chacune en deux dépar- par la charité. H faut donc s'étonner beaucoup
tements, pour tirer de chacune deux fois sa moins que les successeurs de Constantin aient
valeur. Son impitoyable cupidité ne reculait confirmé le droit d'asile, et que les pasteurs
devant aucun crime; il proscrivait, il tuait catholiques aient mis tnut d'ardeur à le sou-
ceux qu'il voulait dépouiller. Toute noblesse tenir.
d'âme ou de naissance était une insulte à sa Une noble femme, Pcntadie, la veuve d'un
bassesse; le bourreau le vengeait et l'enrichis- illustre proscrit, s'était réfugiée aux pieds des
sait. Quiconque était coupable de porter un autels pour échapper aux fureurs d'Eutrope.
grand nom ou de posséder une grande fortune Après avoir exilé, assassiné, dans les sables de
devait s'estimer heureux de n'en être puni que Lybie, Timasius, l'ancien consul, le vainqueur
par le bannissement et la confiscation. Les dé- des Golhs, le compagnon d'armes et l'ami de
sertsde Lybie se peuplèrent d'illustres exilés. Théodose, après avoir noyé le fils dans le sang
Souvent, sans attendre que la misère et la faim du père, l'eunuque voulut immoler la mère et
vinssent achever ses victimes, le lâche spolia- la veuve. Il convoitait la fortune et redoutait le
teur les livrait aux assassins excités et payés regard de Pentadio. Sa haine avait besoin de
par lui. cette victime; l'Eglise la sauva. Furieux qu'une

'Cbud., m£u(r., 1. 1,T. 192 proie ** *HjUe échappât à ses mains cl voulant
iiU HISTOIRE DE SAINT JEAN CHHYSOSTOMË.

ia ressaisir à tout prix, il supprima le droit nies infligées à sa jeunesse en courbant &
d'asile; le sanctuaire devait lui livrer, à l'ins- ses pieds toutes les grandeurs. Entouré de
tant même, les têtes qu'il demandait. Cet édit sicaires, de parasites, de flatteurs achetés à
à la main, il osa réclamer Pentadie ; mais il grand prix, il passait les nuits à table, les jours
rencontra Chrysostome le bourreau recula : au théâtre. On se prosternait devant lui, on lui
devant le pasteur. Pris à ses propres pièges, dressait des statues. Sa hideuse effigie était re-
Eutrope ne tarda pas à voir se tourner contre produite en bronze et en marbre dans toutes les
lui le glaive aiguisé contre tant d'autres, etil villes, sur toutes les places, dans la salle même

eut, le premier, à maudire l'arrêt qu'il avait du sénat, avec les glorieux symboles de ses
porté. vertus civiles et militaires, et de fastueuses ins-
Pour le moment, à l'exception de Chrysos- criptions qui lui donnaient le titre de troisième
tome, tout pliait devant lui. il était arrivé au fondateur de Constantinople, après Constantin
faîte de la fortune son maître n'était plus que
; et Byzas. Chose triste à penser La faveur de ce !

son valet. Certes, la puissance des eunuques, si malheureux se répandant sur ses semblables,
étrange et si honteuse, ne datait pas de ce mi- les eunuques eurent le pas à la cour, et l'on se
sérable. Constance et Valens avaient de la pré- prit à envier leur bonheur. On afiirme, mais
dilection pour cette espèce d'hommes, et ils peut-on croire à une pareille assertion, que des
s'en servaient volontiers dans leurs intrigues bommes d'un âge mûr perdirent la vie pour
contre l'orthodoxie ; c'étaient leurs ministres, avoir essayé cette voie nouvelle de la fortune'.
leurs diplomates, les instruments préférés de Cependant des explosions de murmures et de
leur politiqueconime de leurs plaisirs. Sousdes quolibets faisaientcom prendre à l'insolent par-
princes sans talent, sans énergie, vrais eunu- venu mépris qu'il inspirait. Le monde as-
le
quesde etdu cœur, les eunuques,
l'intelligence servi n'avaitqu'une arme à sa disposition, celle
dit saint Grégoire ', gouvernaient le monde. du ridicule, et il en usait. Eutrope se crut me-
Ils furent surtoutlegrandappuidel'Arianisme. nacé dans son existence, et, pour la défendre,
:,' Cependant jusqu'au règne d'Arcadius, leur
,
il inventa des lois qui restent dans le Code

influence, quoique très-grande, n'avait été comme un monument de la honte humaine *.


qu'indirecte. Contenus dans la domesticité du D'après ces lois, quiconque conspire contre une
palais, ils flattaient, ils rampaient, ils men- des personnes de la maison de l'empereur est
taient, et prenaientainsi un ascendantsuprème, puni, comme s'il s'attaquait à l'empereur lui-
mais caché, sur les pensées ou les passions du même, par la conûscation et la mort. Or, par
maître la fortune, la réputation, la vie des plus
;
ces personnes de la maison de l'empereur, on
illusties citoyens turent souvent à leur merci. entend non-seulement les premiers olficiers de
Nul encore n'avait regardé le pouvoir en face: l'Etat, mais tous les commandants militaires,
Eutrope, le premier, osa décorer sa turjtitude tous les magistrats civils, les sénateurs de
des litres de magistrat et de général; il olilint Constantino()le, et jusqu'aux domestiques du
le rang de patrice, et bientôt il dépassa la me- palais. Le dernier valet de la cour peut impu-
sure du scandale en se faisant nommer consul. nément se permettre tout vis-à-vis des plus
Rome frémit à celle nouvelle, et refusa d'ins- honorables citoyens. Au contraire, le crime de
crire un nom si vil dans les fastes souillés de /èse-^aMC'sse est poursuivi jusque sur les en- ,

rempire. Mais, en général, le monde affaissé fants des prétendus conspirateurs. La loi, qui
dans la servitude, blasé par une longue abjec- leur fait grâce de la vie, les déclare inhabiles
tion, considérait avec autant d'indilTerence que à hériter, à vendre, à tester, à recevoir aucun
de dcgoûtcelte dégradation du pouvoir. Le fils don ni legs, et les exclut à jamais, comme in-
de Theodose, i)erdu dans un pli du manteau fâmes, de toute participation aux honneurs,
paternel, ne montrait à la terre que son hébé- dignités et emplois.
tement ut son impuissance. Des mains de Tant de bonheur avait tourné la tête à Eu-
RuUn, il était tombé dans celles d'Eutrope, et, trope. 11 osa menacer l'impératrice de sa dis-
ajirès avoir fait un pas de plus dans la honte, il grâce^ 11 visait à la pourpre, et ne prenait pas

se reposait. L'esclave du palefrenier, devenu lapeine de s'en cacher. Certes, c'eût été une
roi du monde, jouissait de sa fortune, s'enivrait chose étrange et le dernier délire, la suprême
de sa puissance, et se vengeait des ignouii-
' Zosim., 1. 5 ; Suidas, in verb. Eutr. — '
Châteaubi., É'„udei
'Grég. Kaz., t. :, f. ;;»«, Utt.
itt., t. 2, p. :i78. — •
Soïoin., i. 8, c. 7 ; FliilOBlorg., 1. 11, c. 6.
CUAFITKE VlNGT-Hl'ITIÈMË. â33

débaudie de la fortune, que le diadème de d'envoyer à son collègue des renforts deman-
Constantin et de Tlioodose posé sur cette tète dés, il son armée de traîtres.
avait peuplé
infâme I On fut au moment de le voir. Obligé de passer l'IIellesponl pour rallier les
Un Barbare, un Gotli se redressa seul et pro- débris de l'armée d'Asie, il manœuvra dang
testa dans l'abaissement de tous. l'intérêt de Tribigilde et de concert avec lui, '

Tribigildc, compagnon d'armes de Gainas, se retirantdes pays que celui-ci voulaitenvahir,


gouvernait en Phrygie une colonie d'Ostro- et ne s'approchant de l'ennemi que pour faci-

golhs. Trouvant sa part trop petite pour les liter à son profit la défection des Barbares. Ea
services qu'il avait rendus, humilié d'ailleurs môme temps il écrivait au chef de l'Etat lettres
et indigné de servir un pouvoir avili dont la sur lettres pour lui dire que Tribigilde était
plus haute représentation était un empereur invincible, que rien ne pouvait arrêter sa mar-
niais et un ministre chargé de crimes, il souf- che sur l'Hellespont, et qu'il n'y avait plus
fla sa colère aux siens, toujours disposés au qu'un moyen de détourner le torrent et do
mouvement et au combat, et, mettant tout à sauver l'Asie livrer ou tout au moins chasser
:

feu et à sang sur sa route, il marcha sur Con- Eutrope.


stantinople. Gainas l'avait encouragé et le sou- De mauvaises nouvelles de Perse aggravaient
tenait. Lui aussi, il était mécontent; et il atten- la situation et redoublaient les perplexités de
dait avec impatience le moment d'assouvir à la l'empereur. Après onze ans de paix avec les
fois sa vengeance et son ambition. Complice Romains, Varanes, assassiné par ses sujets,
d'Eutrope, l'astucieux Barbare voyait avec une était remplacé sur le trône par un prince re-
douleur dissimulée mais profonde que la mort muant et guerrier on le représentait comme
;

deRuffin,siutile à l'eunuque, n'eût servi qu'à se préparant déjà à passer le Tigre, et à recom-
le distancer, lui, le soldat heureux et néces- mencer contre Byzanceles longues guerres de
saire, d'un degré de plus, de la pourpre à Sapor. Ces nouvelles, prématurées, à moitié
laquelle il aspirait. Il avait donc résolu de rui- fausses, étaient exploitées à la cour et faisaient

ner Eutrope par Tribigilde. Celui-ci, malheu- une grande impression sur l'âme timide d'Ar-
reuxd'abord, pritbienlôtuneattitude tellement cadius.
menaçante que la cour trembla. Elle fit des Cependant il non parattache-
hésitaitencore,
propositions auxquelles il fut réponduqu'avaut nient à son ministre, ni par la crainte de com-
tout, au-dessus de tout, on exigeait l'expulsion mettre une lâcheté, mais par nonchalance et
d'Eutrope. Le ministre effrayé envoya deux parce qu'une résolution quelconque coûtait
armées à la rencontre des Ostrogoths, l'une tropà sa paresse, lorsque Eudoxie, ses deux en-
commandée par Gainas qui le trahissait, l'au- fants dans les bras, le visage tout en larmes,
tre par un ancien cardeur de laines, son es- entra précipitamment chez lui, et, se jetant à
pi on^ le valet de ses crimes, un misérable, qui ses pieds avec des sanglots, lui demanda ven-
n' eut jamais d'autre talent que celui de calom- geance de l'eunuque qui venait, disait-elle, de
nier et de manger. la menacer et de l'insulter. Ce fut le coup de
Léon, que le lâche Eutrope appelait son grâce d'Eutrope. Arcadius, réveillé de sa lé-
Ajax, et qui n'était en réalité qu'un hideux thargie, écrivit un mot ; et le favori tout puis-
mélange de Vilellius et deThersite, fut chargé sant dut évacuer le palais. C'en était fait du
d'opérer en Asie, tandis que Gainas à la tète malheureux; car, en un clin d'œil, la cour et
des Goths devait garder la Chersonèse deThrace la ville surent sa disgrâce, et les mêmes voix
et le passage de l'Hellespont. Le grotesque gé- qui tout à l'heure disaient ses louanges, hur-
néral, écrasé sous le poids du vin et de l'em- lèrent l'outrage et demandèrent sa tête à grands
bonpoint, attendit dans une honteuse inaction cris. Quand le colosse de Daniel s'écroule, il
que l'ennemi, au(iuel il avait laissé faire, sans couvre la terre de ses débris, car s'il a les pieds
en profiter, toute sorte de fautes, vînt le sur- d'argile, il a la tète d'or et la poitrine de bronze ;
prendre danslanuit,au milieu d'uneorgie. Ses mais si le colosse qui tombe n'est qu'un colosse
soldats, ivres et endormis, furent taillés en de boue, sa chute a lieu sans éclat, il s'affaisse
pièces; et lui, fuyant à toutes jambes, malgré sur lui-même et ne marque sa place que de
son obésité, glissa dans un marais et s'y noya. souillures ce fut le sort d'Eutrope. Lâche dans
:

Gaïnas n'était pas étranger à cette catastrophe la fortune, lâche dans le malheur, eflrayé du
qu'il eut l'air de déidorcr ; car, sous prétexte souvenir de ses crimes non moins (jue des cla-
334 filSTOIRE DE SAINT JEAN CIIRYSOSTOMÉ.

meurs qni le poursuivent, il se jeltc éperdu d'hui surtout, il est à propos de dire : Va-
dans rùglise voisine, dunianilant un refuge à uité des vaniléo, et, tout est vanité '. Où est
ces nicnies autels qu'il avait dépouilles naguère maintenant cette splendeur illustre du con-
du droit de le protéger. sulat? Oîi sont ces flambeaux portés devant lui,
Arcadius,dont la surexcitation n'était pasen- et ces applaudissements, et ces danses, et ces

core tombée, envoya ses gardes pour arracher banquets, et ces fêtes? Où sont ces couronnes,
du sanctuaire celui qu'il venait de jeter comme et ces tentures suspendues sur sa tête, et la fa-
une hostie d'txpialion à la fureur déchaînée veur bruyante de la cité, et ces acclamations
des soldats etdu peu|)le. Mais Chrysostomc était flatteuses du théâtre et du cirque? Tout cela est

là; il étendit sa main sur le coupable, que seul liai Un seul coup de vent a dépouillé l'arbre
!

il avait bravé dans sa fortune et que seul il dé- de ses feuilles, l'a ébranlé dans ses racines, l'a
fendait dans son malheur. La cour, indignée arraché et jeté par terre. Que sont-ils devenus
de la résistance, ordonna l'arrestation du pon- ces faux amis, et ces convives assidus, et cet
tife, que les prétoriens menèrent, comme un essaim de parasites, et ce vin englouti tout le
rebelle, devant l'empereur. Eudoxie était fu- long du jour, et ces artifices variés de la table,
rieuf e elle voulait qu'on ouvrît l'église à l'ins-
:
et ces adorateurs de la puissance, toujours prêts

tant même et que le proscrit fût livré à son à faire leur cour? C'était le songe d'une nuit,
sort. Jean repoussa cette prétention, et l'infor- le jour venu, il s'est évanoui; c'étaitune fleur
tuné, qui la veille encore rêvait la pourpre et du printemps,leprintcmpsécoulé,elles'esl flé-
l'empire, s'estima heureux de n'être pas chassé trie c'était un peu de fumée, elle a disparu;
;

de l'asile qu'il quand la solda-


implorait. Mais une bulle d'air, elle est tombée; une toile d'a-
tesque, abandonnée à elle-même, connut cette raignée, elle a été déchirée. C'est pourquoi je
décision, elle courut au palais, poussa des cris, ne cesserai de le dire : Vanilé des vanités, et
agita ses armes et demanda Eutrope pour en tout est vanité! Cette parole, il faudrait l'écrire
faire justice. Le prince veut conjurer l'orage ;
partout, dans les rues, sur les places, sur les
ses ordres sont méconnus; il faut qu'il se pré- portes, sur les murailles, dans les vestibules de
sente à cette foule mutinée, qu'il lui parle, nos maisons, sur nos vêtements eux-mêmes;
qu'il l'implore, qu'il la conjure de respecter chacun devrait la porter gravée dans sa con-
l'asile sacré, et c'est à force de protestations et science, en faire le sujctordinairedeses entre-
de larmes qu'il vient à bout d'apaiser quelque tiens Vanité, tout est vanité
: 1 » Puis, s'adressant
peu ces fureurs et d'empêcher qu'un meurtre à l'eunuque agenouillé au pied de l'autel :

sauvage ne souille le temple de Jésus-Christ. « Ne t'ai-je pas dit bien des fois que la richesse
La nuit fut orageuse.Le lendemain, jour de est fugitive? Toi, tu ne pouvais pas me sup-
synaxe, l'église s'emplit dès le matin. Toute la porter. Ne t'ai-je pas dit qu'elle ressemble à un
ville était accourue avec cette curiosité cruelle serviteur ingrat ? Toi, tu ne voulais pas me
des enfants et du peuple, chacun voulant con- croire ; et voilà que l'expérience t'apprend
templer de ses jeux, toucher de son pied ce qu'elle n'est pas seulement fugitive et ingrate,
débris souillé du naufrage de la veille, chacun mais homicide, puisqu'elle t'a réduit à cet état.
voulant jouir pour son compte de la vengeance Ne te di?ais-je pas sans cesse, quand tu n'ac-
de Dieu et rendre à la fortune sa dérision. cueillaismesvéridiquesavertissements qu'avec
L'attitude du malheureux, couché sous la table des injures, que j'étais bien plus ton ami que
de l'autel, tremblant de tous ses membres, im- tes flatteurs; queje te portais jdusd'intérêt, moi
plorait pour lui du moins l'inviolabilité du qui t'adressais desreproches, que tousceux qui,
mépris; mais Jean parut à l'ambon, et ses pa- en toutes choses, se montraient prêts à te
roles inspirèrent à cet auditoire tumultueux un servir? N'ajoutais-je pas que les blessures faites
autre sentiment. Foudroyant les grandeurs ou parun ami mieux que les baisers d'un
valent
plutôt les vanités humaines sur ce pavé que ennemi? Si tu avais supporté mes blessures,
l'eunuque couvrait de son corpsetdeseslarmes, leurs baisers ne t'auraient pas perdu. Et main-
il sut reprocher au peuple ses basses adulations tenant, où sont-ils ceux qui te versaient à boire,
et sa déplorable mobilité, tout en désarmant sa ceux qui forçaient le peuple à s'écarter à ton
colère. Quelque connu que soit ce discours, approche pour te faire place, ceux qui allaient
BOUS devons le reproduire, du moins en partie. débiter partout tes louan(jes?Ils ont pris 1^
fi
Toujours, s'éciTj» l'orateur; mais aujour* • Ecles, I, I,
CHAPITRE VINGT-HUITIÈME. m
fuite; ils ont reni(5 ton amitié; ils clicrrhent par ce qu'il endure. Beaucoup des nôtres sont
leur sécurité à tos ilépcris. Ce n'est pas ainsi assez inhumains pour nous faire un crime de
quo nousavoiis fait; nous ne t'avons pas a!)an- l'avoir reçu dans lo sanctuaire; c'est pour
donné alors, nialt;ré tesemporlemenis etaii- ;
adoucir leiw dureté (|ue j'insiste sur les abais-
jourtfluii, tombé, nous te proto;4eons, nous sements de cet homme».
t'entourons de nos soins. L'Ei^iise (jue tu trai- Malgré ces précautions répétées, on a repro-
tais si mal, te nçoità bras ouverts; les llicà- ché à Jean ce discours comme empreint d'or-
tres, objet de tes plus grandes complaisances, gueil et de cruauté accusation bien injuste,
'
:

à cause desi|uels lu t'es déclaré si souvent car cette amertume apparente est la pieuse ha-
contre nous, t'ont tralii, t'ont perdu. Cipomlant bileté d'une compassion qui veut sauver à tout
je n'avais cessé de te dire : Pouri|U(>i fais-tu prix la victime qu'on lui dispute. N'avait-il pas
cela? Tu poursuis l'Ej^lise de tes fureurs, et tu bravé les soldats furieux, tenu tête à la cour,
cours toi-même à ral)îme. Tu dédaignais mes affronté la colère d'Eudoxie, pour couvrir Eu-
avis, et voilà ijue tous ces habitués du ciniue, Irope? Pouvait-il empêcher le peuple de voir
pour lesquels tu dépendais tes richesses, ont dans cet eunuque couché à terre autre chose
levé le gliive sur toi. L'Eglise, au contraire, que ce qu'il y avait, le rebut de l'humanité?
indignement persécutée, va, vient, se donne Pouvait-il justifier ses crimes au nom de ses
mille peines pour t'arracher, si elle le peut, malheurs, au mépris aussi bien
et l'arracher
aux périls qui te pressent. qu'à la mort? Non il fut magnifiquement
:

«Et si je parle ainsi, ce n'est pas pour insul- inspiré et s'il dit tout ce qu'il fallait pour
;

ter celui (jui est tombé, mais pour avertir ceux venger la vertu des insolences de la fortune,
qui sont debout ce n'est pas pour aigrir des
; pour rabaisser l'orgueil de tant de hauts per-
plaies saignantes, mais pour conserver la santé sonnages idolâtres d'eux-mêmes, il fit aussi
à ceux tiui ne sont pas blessés encore; ce n'est d'admirables efforts et des efforts heureux pour
jias pour enfoncer sons les flots le malheureux faire passer son auditoire du dédain et de la
qu'ils ont brisé, mais pour épargner uu nau- haine à l'attendrissement ou du moins à la
fiage à ceux qui naviguent encore au soulfle charité : ce n'était pas chose facile.
du bonheur. Et le moyen, n'est-ce pas de leur « Vous êtes choqués, dites-vous, qu'il vienne
signaler la fragilité des choses humaines? Or, se réfugier dans l'église après l'avoir persécu-
ici toutes les paroles sont au-dessous de la vé- tée? — Eh bien! pour cela môme qu'il
c'est
rité. Je les appellerais : herbe, fumée, songe faut glorifier Dieu, quand il permet qu'un tel
vain, fleur prinlanière, je n'aurais rien dit, homme apprenne par ses malheurs la puissance
tant elles sont fragiles et plus néant que le et la clémence de l'Eglise sa puissance, car:

néant I... Qui monta plus haut que cet homme? c'est pour l'avoir attaquée qu'il subit cette ca-
N'étuit-il pas le plus riche de l'univers? N'avait- tastrophe; sa clémence, parce qu'elle le couvre

il pas atteint le faite des honneurs? N'inspirait- de son bouclier, qu'elle le protège sous ses ailes
ilpas crainte et terreur à tout le monde? Et et qu'oubliant les anciennes injures, elle lui
vous l'avez là, plus captif que les prisonniers ouvre son sein avec amour! Voilà le plus beau
enchaînés, plus misérable que les esclaves, des trophées, la plus illustre des victoires voilà ;

plus pauvre que les mendiants qui meurent de quoi confondre Juifs et Gentils; voilà qui
de faim, n'ayant devant les yeux que glaives met en lumière la douce sérénité de son visage:
menaçants, abîmes, bourreaux et la voie qui (diepardonne un ennemi vaincu, abandonné,
meneau supplice... Vous vîtes hier, quand on méprisé de tous, et seule, comme une tendra
vint de la part de l'empereur pour l'arracher mère, elle le cache sous ses voiles sacrés, s'ex-
d'ici, comme il courut aux vases sacrés aussi posant pour lui au courroux de l'empereur et
pâle qu'un mort le claijuemcnt des dents, le
: aux fureurs du peuple. Oui, c'est là le plus bel
tremblement de tout le corps, la voix sanglo- ornement de l'autel. — Le bel ornement, vc-
tante, la parole embarrassée, tout annonçait pliqucz-vous, que
cet avare, ce voleur, co
son angoisse extrême scélérat qui s'attache à la table sacrée! Do —
a Non, je ne dis pas cela pour lui reprocher Une courtisane tou'
grâce, ne parlez pas ainsi.
son infortune ou pour insulter à sa chute, mais cha de ses mains coupables les pieds du Christ
pour vous attendrir, pour exciter votre pitié, et la gloire du Seigneur n'en a pci? sQuÇerl
{^

pour \ous faire comprendre qu'il c«' '\ï»ez puni ' So«f., 1. 6, 0. 5,
336 mSTOIRE DE SAINT JEAN CIIRYSOSTOME.

car la créature impure ne nuisit pas à l'êlre donner un cœur tendre, afin que nous puis-
pur, mais l'être sans tache purifia parson con- sions obtenir la grâce complète ».
tact la courtisane souillée. Homme, garde- toi Eutrope fut sauvé : l'éloquence et la religion
de souvenir des injures, puisque nous som-
te l'emportèrent sur la haine de l'impératrice et
mes les serviteurs de celui qui a dit: Pardon- sur de Gainas. Non-seulement l'a-
les intrigues

nez-leiir, car ils ne savent ce qu'ils font. Et si sile saint ne fut pas violé, mais l'eunuque pros-
jadis le malheureux abusant du souverain pou- crit obtint la permission d'en sortir, et se relira

voir a ravi à l'Eglise son droit d'asile, mainte- à Chypre avec la promesse qu'on n'attenterait
nant, devenu le spectacle du monde, par le pas à sa vie Suivant un autre récit plus vrai-
'
.

seul fait de sa présence ici, n'est-il pas le pre- semblable, ennuyé de cette espèce de prison
mier abrogateur de ses lois? Quoiqu'il se taise, dans l'église, il l'aurait quittée pendant la nuit,
il dit à tous Ne faites pas ce que j'ai tait, pour
:
tombé au pouvoir de la cour, aurait été con-
et,

ne pas souffrir ce que je souffre. Ainsi, sa ca- damné à un exil perpétuel dans l'île de Chypre.
tastrophe instruit les autres et cet autel n'en
, Les ennemis de Chrysostome l'accusèrent d'a-
paraît que plus redoutable, depuis qu'il tient voir trahi le malheureux. Cette calomnie, si

à ses pieds ce lion enchaîné absurde qu'elle fût, affligea profondément le


« Oue d'enseignements dans cette infortune généreux pontife ; il crut devoir la repousser
qui, d'un homme si élevé, si heureux, a fait le publiquement.
dernier des hommes! Que le riche entre ici : « Il y a quelques jours, s'écria-t-il, une ar-

en voyant précipité de si haut celui qui faisait mée une armée furieuse assiégea l'é-
entière,

trembler d'un signe de tête tout l'univers, en glise on tremblait autour de l'empereur, l'E-
;

le voyant attaché par la peur comme par une glise n'a pas cédé. On réclamait un homme qui

cbaîne à cette colonne, il réprimera son arro- s'était réfugié ici nous n'avons rien écouté, ;

gance, il dépouillera son faste, et, considérant nous avons tout bravé. Vous avez vu vous-
ce qu'il ne faut pas perdre de vue dans les mêmes, car vous étiez présents, quelle était la

choses humaines, il dira avec les Ecritures : fureur des soldats armés, quel était leur nom-
Toute chair n'est que l'herbe ; toute gloire hu- bre, comment ils nous ont entraîné au palais.
maine ressemble à la fleur des champs l'herbe : Par la grâce de Dieu, je n'ai pas éprouvé la
passe, la fleur tombe. Le pauvre, au contraire, moindre crainte. Je voyais les glaives, et je pen-
apprendra à ne pas se plaindre de son sort il : sais au ciel. J'attendais la mort, et je pensais à
saura gré à l'indigence de lui tenir lieu d'asile, la résurrection. On m'emmenaitcomme un cri-

de port, de citadelle; et il aimera mieux encore minel; je n'en étais pas humilié, car le péché
sa triste condition que des richesses funestes seul humilie. Ce n'est donc pas l'Eglise qui l'a
qui aboutissent à une fin sanglante )3. livré; s'il n'eiit pas quitté ce refuge, il n'eut
Du de ce discours est la meil-
reste, le succès pas été pris. L'Eglise ne l'a pas abandonné,
leure justification de l'orateur et la réponse la c'est lui qui a abandonné l'Eglise. Ce n'est pas
plus péremptoire à ses adversaires. Il n'avait ici qu'il a été trahi, mais en dehors de cette
pas fini, que l'auditoire ému passait de la co- enceinte. Non, n'hésitez jamais à recourir à l'E-
lère aux larmes. Le ministre abhorré, dont le glise. Demeurez dans son
sein, elle ne vous
sang ne suffisait pas tout à l'heure à laver les trahira jamais mais si vous la fuyez, si vous la
;

crimes, dont la mort était réclamée comme quittez, pourquoi la mettez-vous en cause?
une expiation nécessaire, dont le peuple était N'accusez que votre pusillanimité * ».
venu savourer les abaissements et l'agonie, on Aucun de ses courtisans ne suivit Eutrope
commençait à le plaindre, on oubliait ses for- au lieu de son exil ceux qui avaient le plus ;

faits pour ne voir que son infortune. Chrysos- encensé sa fortune furent les premiers à le
tome s'en aperçut et continua ainsi : maudire dans sa chute. La femme elle-même
« Ai-je adouci vos sentiments? Aije apaisé qu'il avait associée à sou existence refusa de
votre colère? Ai-je éteint l'inhumanité? Ai-je l'accompagner, et ne songea qu'à jouir à son
obtenu la commisération? Vos visages et vos
larmes me portent à le croire. Puisque vos ' Zosim., 1. 5. — Claud., in Eutrop. 1. 2, prœf.
*Ce deuxième d'Eulrope semble, su premier
discoura à propos
cœurs sont attendris, achevons l'œuvre de mi- aspect, ne pas être de Chrysostome, tant il y a de confusion ei da

séricorde, allonsnous jeter aux pieds du prince, négligence Cependant il est difficile en l'examinant avec attoniion,
l

de ne pas le lut fittril;a9i : Il it éli altéré, gâté pai lis copiaiM, ib(||
eu plutôt prions le Dieu de toute bonté de lui U eil i% lyli

r
CHAPITKE VINGT-IinTIÉME. S3Î

ai?e des biensque le misérable lui avait donnés coup d'autorité était une abdication; il ne se-
elque l'empereur ne lui ôla pas. Mais ce n'était couait un joug que pour plier sous un autre.
point assez, pour les ennemis du monstre na- La majesté de l'empire était à la merci de
guère adoré, de l'avoir abattu la vengeance de ; trois ou quatre Barbares. Chrysostome contem-
Gainas, la haine de l'impératrice n'étaient pas plait avec douleur, mais avec plus de dégoût
assouvies. Après l'avoir trahi dans ?a disgrâce, que de douleur, ce spectacle de décadence et
les anciens flatteurs du favori tremblaient que d'affaissement. Hellène et chrétien, il compre-
par un caprice d'Arcadius il ne fût misa même nait peu la patrie romaine c'est pourquoi, dans
;

de châtier leur perfidie, et, plus encore que ses la décomposition croissante d'une société per-
adversaires, ils faisaient des vœux pour sa mort. due, il suivait d'un œil attentif le travail régé-
Pour en arracher la sentence au faible monar- nérateur de l'Evangile, et, par-delà les vieilles
que, on n'allégua aucun des crimes du scélé- frontières effacées par la charité, il embrassait
rat, ni la justice vendue, ni le trésor dilapidé, l'humanité, ne voyait qu'elle, et oubliait les
ni les concussions, ni les assassinats : on l'ac- défaillances de l'empire pour célébrer les triom-
cusa d'avoir attelé à son propre char, dans les phes de l'Eglise, dont la domination sur les
jeux célébrés pour solenniserson consulat, les âmes réalisait à ses yeux la grande unité pro-
chevaux de Cappadoce, dont la race était exclu- mise par Jésus-Christ.
sivement réservée au service du souverain '. Dans cet affaiblissement de toutes choses,
Là-dessus, un ordre impérial le fit transférer « la religion seule, dit M. Villemain ', s'éten-
de Chypre à Pantichium, entre Chalcédoineet dait sans cesse et transformait ce monde bar-
Nicomédie, où une commission nommée ad bare, dont elle ne pouvait détourner la pro-
hoc&i présidée par Aurélien, préfet du prétoire, chaine victoire et l'avènement ». Seule, elle
après un rapide procès, prononça contre lui la regardait l'avenir en face ; quoique troublée
et
peine de mort. L'exécution eut lieu au milieu parfois elle-même par les hourras de ces hordes
de la nuit. La loi contre le droit d'asile fut inconnues et terribles, elle était assurée que la
noyée dans son sang mais le pouvoir, désho-
; Providence ne les menait à la destruction du
noré par l'élévation d'Eutrope, mit le comble monde romain que pour tirer de ses ruines un
à son déshonneur en le constatant. Arcadius monde nouveau. A ses yeux, le vieux sol épuisé
aboht par un décret tous les actes administra- se couvrait, par l'effet même de ce déborde-
tifs de l'ancien ministre, qu'il appelait un ment d'hommes, d'une alluvion riche et pro-
homme de fange et de boue; il ordonna que fonde, toute prête à recevoir la charrue du
son nom fiit effacé des fastes consulaires, pour Christianisme et la divine semence.
que les guerriers qui conservaient, disait-il, Quant à ces révolutions de palais, si miséra-
les bornes de l'empire, ne fussent plus obligés bles et si fréquentes, elles fournissaient un
de gémir sur l'affront infligé par ce moiutre texte au pieux orateur, pour consoler le peuple
d'iniquité à la divine majesté du consulat V de sa misère en lui montrant l'inconsistance
Ces guerriers, plus jaloux que l'empereur de et le néant des grandeurs humaines, pour ré-

l'honneur de l'empire, qui tenaient à laver sa veiller dans les cœurs l'aspiration des biens
pourpre de la boue qu'il s'était plu lui-même à éternels, l'amour de cette cité céleste dont
y attacher, dont il avait à cœur de ménager la l'Eglise est la terrestre image. Abaissement du
délicatesse, étaient deux étrangers, deux Goths pouvoir ou malheurs de l'empire, terreur ou
ambitieux et traîtres, Tribigilde et Gainas. dégoût, tout venait en aide au spiritualisme
Pour le malheureux fils de Théodose, chaque chrétien, et contribuait à lui faire dans les
âmes une place plus grande,
•Z«ilm«, L »i Philettorg., I. U,D. 6. — * Cod. Tbiod., 1. S|
Ut. 40. • TïU. it l'iloq., p. 193.
S3S HISTOIRE DE SAINT JEAN CllRYSOSTOME.

CHAPITRE VINGT-NEUVIÈME.

Marche des Barbares sur l'Italie. —


Situalion de l'Eglise. —
EuJoxie gouverne l'Orient. —
Gainas detnaode les têtes des prin-
cipaux sénateurs. — Chrysostome le fléchit. —Conférence de Sainte-Eupliémie. —
Gainas à Conslanliuople, Il .-60.11.110 —
pour les Ariens une église dans la ville. — Refus de Jean. —
Perfidie de Gainas. —
Massacre des Golhs. Chrysostoma —
ambassadeur près de Gainas. — Bataille de l'Hellespont. —
Mort de Gainas. —
Naissance du jeune Tliéodose.

Tandis qu'en Orient le pouvoir dégradé fon- gendre est plus que jamais notre maître b. ' —
dait honteusement dans les débiles mains d'Ar- Et le jour était proche où la tête de Stilicon
cadius, l'Occident, gouverné par Stilicon au allait tomber sous la hache du bourreau par

nom de son pupille, montrait encore, au bord l'ordre d'Honorius.


de la tombe, une étincelle d'énergie. A Rome, Alaric, après avoir pillé la Grèce trahie par
les noms vénérés de Tliéodore et de Messala Ruffln, s'était retiré devant Stilicon ; mais, par
relevaient le consulat de l'affront qu'il avait un mouvement aussi habile qu'heureux, il se
subi à Constantinople; et si le jeune Honorius rejeta sur riliyrie et s'y établit. La cour de
n'était supérieur à son frère ni par le talent ni Byzance donna ce qu'elle ne pouvait lui
lui

par le courage, du moins son tuteur, devenu ravir : le gouvernement du malheureux pays
son beau-père, tenait assez haut l'épée de surlequel pesaient de tout leur poids ses hordes
Théodose pour faire respecter quelques jours dévastatrices. Le rusé Barbare reçut le brevet
encore le nom romain. Un Vandale était donc de maître de la cavalerie, c'est-à-dire de gé-
la plus haute espérance, la suprême ressource néral. On croyait le gagner, on le rendit plus
de l'empire à moitié envahi par les Barbares. exigeant. Assimilées à la milice impériale, ses
Lui aussi, il fut nommé consul et célébra son bandes réclamèrent la solde des légions qu'on
élévation avec une pompe impériale. Son en- leur promit,et, ne la recevant pas, elles élevè-

trée dans la vieille métropole du monde fut rent leur chef sur le bouclier, suivant l'usage
d'un souverain. Le sénat et le peuple se jetaient national, et le proclamèrent roi. Armé de ce
sous les roues de son char, lui donnaient à titre et de la terreur de son nom, Alaric garda
l'envi les titres de seigneur et de père, et le quelque temps encore sa position ambiguë sur
poète Claudien déployait toutes les hyperboles la limitedes deux empires, vendant à chacun
du servilisme, tous les mensonges de la mytho- son perfide et redoutable dévouement. Las
logie pour chanter le glorieux hymen du flls enfin d'un rôle subalterne, il appelle, des bords
de Théodose avec la fille de Stilicon. « Allez, du Danube Radagaise, un Goth païen qui
,

épouse fortunée, allez partager dans


s'écriait-il, B menait aux batailles deux cent mille sol-
les brasd'un héros l'empire de l'univers. L'Is- dats * », et, suivi de ce terrible renfort, il
ter vous portera ses hommages; le Rhin et tourne ses pas vers cette belle Italie tant con-
l'Elbe couleront sous vos lois; vous vous pro- voitée, franchit les Alpes Juliennes, et vient
mènerez en souveraine au milieu des Sicam- mettre le siège autour d'Aquilée ', l'œil fixé sur
bres. Le monde entier sera votre dot Mais Rome comme sur une proie qui ne peut plus
quelle main, mieux que la main de Stilicon, lui échapper. Soit habileté, soit jactance, ou
eût guidé les rênes de l'empire?.... En lui se secret instinct du rôle qui d'ea
lui était assigné
montre le rare accord de la force et du génie haut, il se disait le vengeur des nations, chargé
de la prudence et du courage.... Vit-on jamais de faire expier leur longue servitude à la
un front plus beau, plus propre à porter le vieille dominatrice de l'univers. Au fond, l'or
diadème des Césars? La fortune s'honore en avait plus d'attrait pour lui que la gloire.
comblant d'honneurs un tel homme.... Juste Rome, en effet, que ses empereurs avaient
arbitre des lois, ferme soutien de la paix, héros
au-dessus de tous les héros, le plus heureux '
Cliudian., Epfthi!. Bimoni, v. 276 à 336. — ' Chateaubf.,
E'M; t. 2, p. 275. ' S. —
Hisr. in Bif-, 1. 3, c. 6 ; TiUem , emp.
des îicrcs; ô Stilicon! Honorius devenu ion Jjoii^r , a. t. 17.
CHAPITRE VINGT-NEUVIÈME. àso

abantîonnôe potir Milnn, élail encore, malgré sans trouver la sécurité nulle part, Slilicon fai-
cet amoinilri^sîoinnnt de prestige et de puis- sait d'impuissants elforts pour mettre l'Italie
sance, la ville \:\ plus opulente comme la pins en état de défense. Des lég ions méconnaissables
belle du monle. Les siècles y avaient arcumulé sous le rapport de
la discipline etde la valeur,
d'incalculables trésors ; telle ou telle faïuille avaient d'immenses pertes dans les der-
fait

jouissait de quatre ou cinq millions de rente; nières guerres civiles, et la grande partie de
telou tel sénafeur en dépiMi^nit deux ou trois ces forces, déjà si restreintes, était dissémi-
pour célébrer la prétiire de «on (ils ou donner née en de lointaines garnisons sur le Rhin,
une fête au peuple. Aluric le savait, et il se dans la Rhétie, dans la Grande-Bretagne. Il y
bâtait. avait autant de danger à décarnir les frontières
Au bruit de cette marche, l'Italie est terrifiée. et les provinces, que de difficultés à emmener
Les riches embarquent leur or et s'apprêtent à assez tôt sur le théâtre de la guerre des troupes
fuir en Sicile et en Afrique. Chaque jour de harassées de fatigue et la ressource des nou-
;

lugubres nouvelles, exafjérces par la frayeur, velles recrues n'offrait qu'un secours tardif et
Tiennent ajouter à la consternation générale. précaire. Chacun, sous l'empire de la peur, se
Les païens imputent les malheurs de l'empire créait des prétextes pour échapper à la milice,
' au Christianisme, qui a détrôné les dieux et les uns en se jetant sans vocation dans le sanc-
aboli les sacrifices ; les Clirétiens renvoient tuaire, les autres en achetant, sans avoir servi,
l'accusation à leurs adversaires, dont l'aveugle des lettres de vétérance. L'empereur déclara
et coupable obstination attire sur le monde le qu'on n'aurait plus d'égard à ces lettres illu-
juste courroux du Ciel. De sombres pressenti- soires, aux autels les
et défendit d'attacher
ments pesaient sur les âmes on croyait à l'im-
; hommes que leur âge, leur vigueur
leur taille,
minence des plus grandes catastrophes. L'Anté- rendaient aptes à porter les armes, si d'ailleurs
christ était déjà né, disait-on, et son règne allait ils étaient destinés par leur naissance au service

commencer '. D'épouvant.ibles désordres dans militaire soit comme fils de vétéran, soit comme
la nature, la famine, tremblements la peste, les appartenant à une famille qui avait reçu des
de terre augmentaient l'angoisse des cœurs. terres à cette condition. Il fallut rechercher tous
Il semblait que le monde abandonné de la Pro- ces gens-là, et, ces perquisitions ne donnant
vidence, allait périr au milieu des fléaux qui pas le résultat attendu, recourir au moyen hon-
se succédaient. Enchérissant sur la couardise teux et fatal d'appeler sous les drapeaux les
de ses l'empereur déserta Milan, où il se
sujets, condamnés au bannissement et aux mines,
sentait trop près de l'ennemi, et vint cacher sa quelle que fût la cause de leur condamnation,
honte à Ravenne, destinée à être bientôt le pourvu qu'ils eussent commencé à la subir.
tombeau de l'empire. Ces mesures extrêmes constataient le désespoir
Jamais situation plus extrême. Les bandes de la situation, sans y porter remède.
d'Alaricrépandues autour d'Aquiléese livraient Dans cette triste défiillance des hommes et
aux plus grandes dévastations, s'attaquantà la des choses, l'Eglise seule restait ferme et digne.
fois au sol, aux animaux, aux hommes'. Mains, Les pieds dans les cendres et les décombres,
Gépides, Vandales, Francs, Suèves, Hérules, elle poursuivait sa marche tracée d'en haut,
Burgundes, amoncelés sur toutes les frontières, sans faiblir, sans dévier, sans rien contracter
battaient commodes vagues furieuses la faible des souillures du siècle, la tête haute, le regard
digue entraînée sous leur poids, et n'atten- calme, le front rayonnant de lumière et da
daient plus qu'un signe au ciel, un cri sur la sainteté, et, quoique forcée par l'hydre de
terre, pour submerger l'univers. L'Afrique, l'hérésie à des combats toujours renaissants,
accablée d'impôts, livréeauxexactfurs, s'agitait travaillant avec une ardeur infatigable à
et menaçait; les Gaules, épuisées et fatiguées, sou'ager l'indigence, à consoler l'infortune,
se dépeuplaient de jour en jour par l'émigra- à éclairer, à sanctifier les âmes, à tirer des
tion inccssanie de leurs habitants et, tandis ; ruines d'un monde qui s'écroule un mondo
que les fils dégénérés de ces fiers Gaulois qui nouveau. Que le lecteur nous permette de lui
avaient f lit trembler Rome et l'Asie ne savaient rappeler une fois encore quelques-uns des
que prendre la fuite dans toutes les directions, noms illustres qui ré[ian laient un éclat pur et
doux, le nflel d'une céleste flamme, sur uno
• s i!p Sévèr., dial. 2, 16. - •
S, Hier., adii, ttufln., JII, 6 ;

fluOn ^lu'o'j in ,'il4l, i'ni. éyotiue triàle et [ileine d'angos^Q?. Ana§lçiS(i|


340 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRVSOSTOME.

par exemple, faisait revivre sur la chaire de du grand évêque de Byzance, auquel Paulin, et
temps aposto-
fainl Pierre les fortes vertus des son ami, a payé ce poétique tribut a Quel est :

liques: homme supérieur que Rome ne devait celui qui s'avance doucement, accompagné de
posséder que très-peu de temps, parce qu'il ne toutes les grâces de Jésus-Christ? Je reconnais
fallait pas, dit saint Jérôme, que la tête du cet homme, enveloppé d'une atmosphère toute
monde fût brisée scus un tel pontife '. « Ja- céleste, et dont le visage a la douce lumière
mais, écrivait-il, je ne négligerai de garder la des étoiles. Cet homme orné de tous les dons
foi de mes peuples, de les éclairer par mes de Jésus-Christ, cet homme d'un éclat tout
de tenir unis les inembres de mon
lettres, et divin, c'est ^milius '
».
corps répandus dans tout l'univers • » Au sein d'Aquilée assiégée par Alaric, Chro-
Innocent, qui lui succéda, vit la cité souve- mace consolait son peuple, lui donnait l'exem-
raine abattue aux pieds d'Alaric, pleura cette ple du courage, et, pour lui ménager une
grande infortune; mais, chef d'un empire nou- pieuse diversion au spectacle de dévastation et
veau plus vaste immortel, au milieu des
et seul de mort qu'il avait sous les yeux, faisait tra-
ruines du vieil empire écroulé, il écrivait aux duire et lui lisait l'histoire ecclésiastique d'Eu-
Pères de Milève : « Toutes les matières ecclé- sèbe. Estimé de saint Ambroise, appelé par
siastiques doivent être portées, de droit divin, saint Jérôme le plus saint et le plus savant des
au siège apostolique, c'est-à-dire à saint Pierre, prélats ', il a reçu de saint Chrysostome des
l'auteur de ce nom
de cet honneur. Par là,
et éloges qui l'ont rendu à jamais célèbre : « La
TOUS suivrez l'ancienne coutume, que vous trompette éclatante de ta sincère et fervente
savez aussi bien que moi avoir toujours été ob- charité, écrivait l'illustre proscrit, résonne à
servée dans l'Eglise de Jésus-Christ ». nos oreilles malgré la distance qui nous sépare,
A côté de ces grands papes, sous leur direc- et se fait entendre jusqu'aux extrémités de la
tion, Jérôme foudroyait de son éloquence et de terre. Quoique très-loin de toi, nous savons
sa foi les ennemis de la vérité. A Noie, saint aussi bien que ceux qui t'approchent quelle est
Pauhn chanté jusqu'à l'héroïsme, et
portait la la véhémence, le feu de celle charité, le cou-
pour rendre un fils à sa mère, pour délivrer rage et la liberté de ta parole toujours fidèle à
un esclave, consentait à devenir esclave lui- la vérité, ta constance inébranlable * ».
même. Va dans la Campanie, écrivait saint Partout l'Evangile avait de glorieux inter-
Augustin à Licentius, vois Paulin, ce saint, cet prètes, hommes de Dieu, dignes de prêcher aux
illustre serviteur de Dieu. Avec autant de cou- peuples celui qu'ils portaient dans leur cœur.
rage que d'humilité, il a renoncé aux gran- Dans les Gaules, saint Martin, qui venait de
deurs du siècle pour se courber sous le joug du mourir, se survivait dans une foule de disci-
Christ, et maintenant, sous la conduite d'un ples et d'émulés. C'était: Simplice à Autun,
tel maître, il marche tranquille et heureux. Va DelphinetAmandàBordeauXjVictriceàRouen,
le visiter, tu verras avec quel talent il offre à que Paulin appelle un des pieds de la
Victrice
Dieu le sacrifice des louanges, lui rendant tous parole éternelle, un de ces éclairs qui portent
les biens qu'il en a reçus, afin de ne pas s'ex- la lumière au peuple assis dans l'ombre de la
poser à tout perdre en refusant au Seigneur ce mort, une de ces nuées qui répandent sur
qu'il tient de lui ' ». les déserts une pluie féconde, un docteur,
L'Eglise de Milan était gouvernée parVéné- un maître des nations, qui égala sa prédication
rius, pontife éminent, inférieur à saint Am- par ses œuvres, et, après avoir évangélisé avec
broise par le génie, son égal par la charité et la un zèle heureux de lointains pays, fit de son
grandeur d'âme * ; celle de Brescia par Gau- église une vivante image de la première église
dence, illustre par la doctrine, illustre parles de Jérusalem. « Les Apôtres, ajoute le saint
œuvres, et qui plus tard fut député par le pape poêle, ayant trouvé dans le cœur de Victrice
auprès d'Arcadius pour prolester contre l'in- une demeure digne d'eux, se rendaient ses
justecondamnation de Chrysostome'; cellede coopérateurs, et montraient par des œuvres di-
Béuévent par ^milius, de la famille ^Emilia, vines qu'ils l'aimaient comme le collègue de
qui prit, lui aussi, une part active à la défense leurs mérites et de leur gloire, et que leur es-

' s. Hier., ad prmci>. epist. 96, aliaa 16. — ' Epist.


ad Joanné ' S. P>ul., earm. 23, trad. de M. Dancoisine dans l'histofn d<
Sinosol. décret., t. 1, p. 739. —
• S. Aug., ep.
26, ai Ikent, S. Paullo. — ' S. HiérOD., eji. 7,t. 4, ait. pari, y. M, '
CLr/i., —
«. S, U -', p. la.— ' Çhijs
, ^j,. 182. —•
Cbrjri., ep. l$h
CHAPITRE vingt-neuviéik:. 341

prit résidait dans la cité dont il (Hait le pasteur, Besses, plus âpres que la neige au milieu do
quoicjue leurs r<'li(iiies n'y fussent pas' ». laquelle ils vivent, se laissent mener comme
A Toulouse, Exupère étonnait et consolait le des agneaux par le plus doux des pasteurs ; et
monde par des prodifjes de charité, o Comme les cavernes que brigands remplissaient
les

la veuve de Sarepta, disait saint Jérôme , il se autrefois sont habitées par des moines paisi-
condamne à la faim pour nourrir ses frères; bles. Nicétas s'arrachait à ses rudes labeurs

avecun visage tout pâle déjeunes, il ne souffre pour venir à Rome vénérer les cendres de
que de la soufïrance des autres. Tous ses biens, Pierre et Paul, et recevoir du Sainl-Siége les
il aux pauvres. Rien de plus
les a distribués bénédictions et la direction qui sont la force et
riche que cet évèque qui porte le corps du la fécondité de l'apostolat'. Paulin, qui l'avait
Seigneur dans une corbeille d'osier et le accueilli deux fois près du tombeau de saint

sang divin dans un calice de verre.... Suis Félix, célèbre sonami dans plusieurs de ses
de près les traces de cet homme, les traces poèmes', a J'ai vu Nicétas, s'écrie-t-il, et j'ai
des pontifes qui imitent ses vertus et que couru à lui comme une brebisaltérée aux sour-
le sacerdoce rend humbles et pauvres' ». Le ces d'eau vive ; son âme a fait pleuvoir sur la
grand docteur adressait au saint Pontife son mienne une divine rosée... Si un souffle puis-
commentaire de Zacharie, et lui écrivait: sant me soulève, si je me sens inspiré, ce n'est
« J'apprends que dans cette vallée de larmes, pas moi que je reconnais ici ; un esprit plus
notre champ de bataille, tu montes de degré en sublime anime le mien, je sens Nicétas près
degré, de vertu en vertu, et que tu imites la de moi »
pauvreté de Jésus-Christ, aOn de te rendre L'Espagne , l'Afrique avaient aussi leurs
riche avec lui, afin qu'il repose sa tête sur ton pieuses illustrations ; mais le nom d'Augustin
sein, et qu'il soit chaque jour visité, nourri, éclipsait déjà tous les noms. Son génie par-
vêtu par tes soins.... Je suis heureux que tu te venu à sonapogée brillait d'une incomparable
souviennes de moi et des frères qui servent le splendeur, et ses travaux, approuvés par l'E-
Seigneur dans les Saints Lieux, et qu'en ve- glise mère, faisaient de lui l'oracle du monde
nant à leuraide partes bienfaits, tu te prépares chrétien.
une demeure éternelle dans le ciel'... Prie D'illustres laïques, de nobles femmes rivali-
pour moi, pontife vénérable, mon Exupère, saient de charité avec les plus grands pontifes.
afin que le voile de Zacharie soit ôlé de mes Homme de guerre de lettres, et surtout ad-
et
yeux.... J'entreprends mon second livre sur ce mirable chrétien. Prudence, poète comme
prophète, et je dicte à lahàte, sansme donner Paulin, chantait en vers, d'un charme moins
le temps de corriger, pendant que notre frère doux, mais d'une plus grande énergie, les
Sisinnius court en Egypte, porter, là aussi, tes combats des martyrs et les triomphes de la vé-
libéralités ; et voilà des terres arides qui ne rité, ou avec l'ardeur d'une âme qu'embrase

sont plus arrosées par le fleuve d'Ethiopie, mais l'amour de ses frères, il réclamait l'abolition
par les eaux abondantes des Gaules* ». des jeux du cirque, trop chers encore à un
Dans tous les temps, la France catholique a peuple qui se disait chrétien*. Le sublime ami
été l'espoir, la providence visible de tous les de saint Basile n'a pas décrit d'une manière
peuples (|ui souffrent, la terre classique des plus touchante les luttes intimes dont le cœur
nobles dévouements et de la charité. humain est le douloureux théâtre et saint ;

Au milieu même des Barbares, un grand Bernard, dans ses strophes suaves sur le nom
pontife, un infatigable apôtre, Nicétas, méri- de Jésus, n'a fait que paraphraser cette invo-
taitpar sa science, par son caractère, par ses cation de Prudence « nom le plus doux des
:

travaux, l'affection de saint Paulin et l'admira- noms, ma lumière, ma gloire, mon espoir;
tion de Rome. 11 avait porté ou plutôt rallumé mon appui repos assuré de toutes mes pei-
1

le flambeau de l'Evangile chez les Daces et les nes Saveur délicieuse, parfum qui embaume,
!

Gètes. Par lui, disait l'évoque de Noie, les peu- source qui désaltère, chaste amour, beauté ra-
ples du nord, jusque-là indociles à la vérité, vissante, volupté parfaite ' 1 »

ont courbé la tête sous le joug du Christ ; les Moins près du centre de l'unité catholique,

• 8. Pul., »p. 37 at 28, tnd. par Tillem., t. 10, p. 670. —* S. Bler., Baron., ùd ann. 397. — 'S. Paulin., carm. 17 at «ami. 24, et
ad Ruflic, rp. »S, aliat . —' I<U, prœfat.
1, in Zachar. — • Id., pnssim. — ' Prudent, crt'itr. Symmach,, t. 2, t. U21, — ' PradaDt.9
frmf. 3, in ZacÂar, Pêychomacliia at Apoth.
ui HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

S'i'imi'e d'une manière moins immédiate au proches aux consuls, aux prélats, aux empe»
rayonnement de ce grand foyer, l'église d'O- reurs, avec une autorité que personne n'eût
riiiit avait déjà perdu de cet admirable éclat osé contester ; Synésius, évêque et poète, cé-
qu'elle devait au courage, à la science, à la lébrait dans ses vers, dont la profondeur égale
s;untetédesAtlianase, desGrégoire de Nazianze, le charme, la trinité de l'essence divine, les

des Basile. Ces grands hommes étaient descen- immortelles espérances de l'âme humaine, la
dus dans tombe. Courbé sous le poids des
la douceur et la beauté de la loi évangélique. Au
ans, Grégoire de Nysse ne parlait plus à son Sinaï, à Scétis, sur les montagnes qui domi-
peuple que par ses vertus. Antoine, le patriar- nent Antioche, à Bethléem, près du berceau
che des Cénobites, Hilai ion, Isidore, Pambon, sacré du salut des hommes, d'héroïques soli-
les deux Macaire, ces thaumaturges du désert, taires entretenaient, par leur holocauste sans

avaient quitté la terre dédaignée de leur cœur, cesse renouvelé, la flamme du spiritualisme
pour cette patrie permanente à laquelle ils chrétien nécessaire au monde; tandis que, sous
avaient tout immolé. Ei>hrem ne remuait plus l'humble titre de servantes des pauvres, les Car-
de sa voix puissante son Edesse bien-aimée ;
térie, les Amprucla, les Salvihe, les Nicarète,

il ne retraçait plus, aux yeux d'un peuple fon- les Olympiade multipliaient sous toutes les for-

dant en larmes, ces tableaux saisissants et ter- mes les touchantes merveilles de la charité.
ribles des justices de Dieu; il était mort, au Toutefois, les tentatives réitérées des empe-
milieu des hommages et des gémissements de reurs Byzantins pour asservir l'Eglise, et i'éloi-

autour de sa cellule pour rece-


la foule pressée gnement de Rome, où briile à jamais le feu
voir ses derniers adieux, en exigeant de la sacré de la pure doctrine et de l'indépendance
noble femme qui lui demandait la grâce de apostolique, concouraient à affaiblir dans les
recueillir ses cendres la promesse qu'elle ne se cœurs, avec l'amour de l'unité, l'énergie du
ferait plus porter en litière par des esclaves ;
sacerdoce; et déjà l'on ne comptait que trop de
car l'homme, disait-il, ne doit courber la tête prélats façonnés à la servitude par l'ambition,
que sous joug du Christ. Ainsi, l'Orient
le qui, plus flers d'être les valels d'un homme
chrétien perdait peu à peu les plus beaux dia- que les ministres de Dieu, remplissaient de
mants de sa riche couronne, Mélèce, Amphi- leurs empressements le palais des Césars. Un
loque, Ascole, Cyrille de Jérusalem, et beau- jour devait venir oîi toute l'Eglise grecque s'y
coup d'autres. précipiterait à leur suite, pour se faire servante

Mais la voix du pontife romain, arrivant en- à Byzaiice en attendant d'être esclave à Moscou.
core jusqu'à lui, maintenait le clergé à la Les symptômes de cette déchéance prochaine
hauteur de ses devoirs. Chrysostome était de- n'échappaient pas au regard attristé de Chry-
bout, et, l'œil fixé sur la grande chaire où sont sostome, et vainement il opposait son courage
les fondements de la foi, il s'efforçait d'animer et sa vie au torrent de servilisme qui allait tout
l'Eglise grecque de l'esprit dont il était plein emporter.
lui-même. A quelques pas de lui, Aslère, évo- Dans l'ordre politique, décadence plus rapide
que d'Amasée dans le Pont, prêtait à l'ensei- encore. L'agonie devait durer plusieurs siècles,
gnement de l'Evangile l'éclat d'un talent origi- mais c'était la plus honteuse agonie. La chute
nal et d'une science qui ne le cédait point à sa d'Eutrope avait donné la souveraine puissance

piété. Porphyre arrachait les derniers restes du àEudoxie, qui, maîtresse désormais des pen-
polythéisme d'une terre qui fut son berceau. sées et des volontés d'un mari méprisé, tenait
A Salamine, Epiphane, toujours brillant dans les rênes de l'Etat avec les soubresauts et l'in-

son active vieillesse, éblouissait l'Orient par ses solence d'une femme légère, hautaine, volup-
vertus et par ses prodiges. Cyrille d'Alexandrie, tueuse, gâtée par les complaisances de la for-
sous la direction de Théophile son oncle dont tune, et gouvernée àson tour par des eunuques,
il n'imita que l'orthodoxie, s'armait, jeune des caméristes et des favoris. Les intrigues de
encore, pour ces combats de la controverse et ces gens-là étaient la seule politique de l'em-
de la parole qui lui ont valu de la part du pape pire, et cette politique n'avait d'autre but que
saint Célestin, les titres glorieux de docteur ca- de les enrichir, n'importe comment. Les de-
tholique, de généreux défenseur de la foi; Nil, niers de l'Etat n'y suffisaient pas. L'impératrice
ancien préfet de Constantinople, adressait du donnait l'exemple des malversations, et (.arla-
ioûd de sa solitude lointaine de solennels ïq- geait avec les concussionnaires protégés et eu-.
CIlAriTUE VlNGT-NliUVlÈME. 343

courages les bénéfices de leur brigandage. Sans Tout fut mis à feu et à sang sur le passage des
probité, sans cœur, s.ins porloe d'esprit, tout deux armées.
entière à l'idolâtrie de sa beauté, elle n'aimait Des hautes toursdeson palais, Arcadiusvoyait
dans le pouvoir que l'instrument de ses con- les llanmies de l'incendie dévorer les villes et
voitises, l'argent, le plaisir et la vengeance. les campagnes au-delà du Bosphore; mais il
Les délateurs d'Eutrupe étaient passés à ses n'avait pas l'ombre d'une armée à opposer à
gages, et leur expérience la servait à merveille. l'ennemi, et alors même qu'il eût pu couvrir
Trois femmes, déjà nommées, d'une fortune sa capitale, l'Asie et l'Orient n'en restaient pas
scandaleuseet d'une mccbanceté célèbre, Cas- moins abandonnés aux fureurs des Goths et
Eugrapbie, et Marsa, la veuve de Pro-
tricie, aux horreurs du pillage. On recourut de nou-
motus, formaient son conseil intime, et la veau au moyen périlleux des concessions, et le
poussaient à ces violences qui firent d'un prince fils de Théodore écrivit à ce Gainas, que son

débonnaire un tyran détesté ; elles se parta- père avait accueilli dans la milice romaine,
geaient la haine publique avec le comte Jean, une lettre honteuse, où, prosterné devant le
l'intendant des largesses de l'empereur et le B irfaare, il lui disait, entre autres choses, que,
favoii de la belle impératrice, celui que la pour satisfaire à ses demandes, il n'attendait
malignité publique désignait comme le père que de les connaître. L'attente ne fut pas lon-
des derniers enfants d'Arcadius •. Du reste, gue Ga'inas répondit que, préalablement à
:

Eudoiie, qui avait eu jusque-là le titre de no- toute négociation, on devait lui livrer trois
bilissime, pritceluid'Auguste; etcequ'aucune hommes dont la mort était nécessaire au salut
femme d'empereur n'avait osé jusqu'alors, elle de l'empire. Ces trois hommes, c'étaient Au- :

2nvoya son portrait dans les provinces, et vou- rélien, ancien préfet, actuellement consul,
lut que son image fût honorée comme celle magistrat réputé intègre, et qu'entourait une
du chef de l'Etat. Honorius se plaignit ', le grande considération Saturnin, un des pre- ;

public murmura mais Arcadius se croyait le


; miers sénateurs, décoré aussi du consulat, et
plus heureux des maris et des pères Eudoxie : qui depuis trente ans rendait dans les positions
venait de lui donner une troisième fille, qui les plus hautes des services éminents enfin, ;

fut nommée Arcadia en retour, il lui aban- ; le comte Jean, confident du prince, favori de sa
donnait le sceptre et le monde. femme, et dont le nom ne figurait sur la liste
Cependant la chute d'Eutrope, qui suffisait fatale que comme une injure personnelle aux
à l'orgueil de l'impératrice, n'avait pas satis- Augustes, pour les désoler et les déshonorer du
fait les desseins ambitieux de Ga'inas. Enhardi même coup. Lagénérosité des victimesépargna
plutôt que désarmé par les concessions de la une lâcheté à la cour. Dès qu'ils connurent les
cour, il poursuivit avec plus d'assurance lebut exigences de l'ennemi, Jean, Saturnin et Au-
de ses intrigues, dissimulant d'abord et mon- rélien se dévouèrent sans hésiter. On les vit
trant quelque reste d'obéissance, mais jetant traverser le Bosphore, aborder à Chalcédoine ;

vite le masque, dès qu'il le put sans danger, puis, le front calme, l'âme haute et ferme, pré-
et passant du rôle de défenseur de l'empire à parés à tout, ils se présentèrent à Gainas au
celui de médiateur armé, et bientôt au rôle moment même oii, achevai, entouré de nom-
d'ennemi. Il s'entendit donc avec Tribigilde, breux officiers, il présidait avec orgueil aux
manœuvres de '. Le Barbare les
qu'il avait promis decombaltre, puis d'apaiser, sa cavalerie
et négocia avec le rebelle, non plus la paix, honora d'un regard à peine, et ordonna qu'on
mais la trahison. Les deux Goths opérèrent leur les mît à mort sur-le-champ. Heureusement

jonction à Thyatire en Lydie, et marchèrent Chrysostome était là; arrivé près du général
ensemble sur la ville ouverte de Sardes pour goth aussitôt qu'eux, il plaida leur cause, parla
la piller mais, détournés forcément de ce but
; avec tant de force, demanda avec tant d'in-

par des pluies torrentielles, ils résolurent de stance, que Gainas, arien prévenu contre les et

se diriger vers Constantinople, Tribigilde par prêtres catholiques, se sentit désarmé. Mais
la route de l'Hellespont et par Lampsaque, comme s'il n'eût pu renoncer tout à fait à l'a-
GaJinas par celle de Bylbinie et parChalcédoine. troce joie qu'il s'était promise d'une exéculioti
sanglante, il manda les trois proscrits, renou-
vela en leur présence l'ordre de leur trancher
• Zoiiœ., 1. 5 ; Tillem., ArcaJ-, not., p. 7*2, — '
Efùl. BontrU
tnttm.i. CAryi., p. sai. 9 SOcr., 1. 6, c, 6 ; Sozom., I. S, e. 4,
344 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

la tête ^t fit bourreau. Celui-ci


approcher le Ce n'était là qu'une peinture trop vraie de la
avait reçu de secrètes instructions, et secon- situation faite à Constantinople par le gouver-

tenta dVfflourer le cou des \ictimes avec le nement déloyal et spoliateur d'Eudoxie, gou-
tranchant du glaive. Sur quoi, le chef des Bar- vernement de concussionnaires, de délateurs,
bares, satisfait de l'humiliation qu'il venait d'imbéciles, de femmes perdues. On y vivait
d'infliger à la cour de Byzance, fit délier les d'espionnage et de trahison, en attendant d'en
trois sénateurs et leur annonça qu'il commuait mourir. Les derniers mots de Chrysostome ac-
la mort en ne rentrèrent à Constanti-
exil. Ils cusent l'indignation de son âme en présence
nople qu'après la fin tragique de Gainas. de l'ingratitude de la cour. Certes, ce qu'il ve-
Le pontife, de retour au milieu de son peu- nait de faire pour trois hommes courageux, in-

ple, rendit compte de son voyage en ces ter- dignement sacrifiés à la cruelle politique d'un
mes a Je me suis tu longtemps, j'ai passé bien
:
Barbare, il l'avait fait par entraînement de
des jours sans paraître au milieu de vous; ce cœur; mais pouvait-il se défendre d'un senti-
n'était par aucune paresse d'esprit ou de corps : ment d'amertume, en apprenant, à son retour,
je m'étais absenté pour conjurer des orages et que l'impératrice lui faisait un crime de sa dé-
tendre la main à des malheureux qui commen- marche' ? L'orgueilleuse Eudoxien'y avait vu
çaient à sombrer. Je suis le père commun de que la solennelle condamnation de sa lâcheté,
prendre soin, non pas seulement
tous, et jedois et, plutôt qu'un pareil service, elle eût accepté

de ceux qui sont debout, mais encore de ceux la mort de ses serviteurs les plus érainents,

qui sont tombés; non pas seulement de ceux même d'un favori '.

qui naviguent sous un vent favorable, mais en- En concédant à la sollicitation


trois vies

core de ceux qui sont battus par le courroux d'un pontife. Gainas n'entendait pas se désister
des flots. C'est pour cela que je vous ai quittés de ses desseins sur Constantinople et n'en de-
pendant quelque temps, obligé de faire des vint que plus pressant. Son but, facile à saisir,
courses et d'user de prières, de supplications, était de pousser Arcadius à force d'exigences et

de remontrances pour arracher à la mort des de menaces, par la détresse et le désespoir, à se


hommes considérables. Ces tristes et pénibles jeter dans ses bras comme ceux d'un sauveur,

affaires terminées, je reviens à vous qui voguez et à partager avec lui la pourpre et le monde.
sans crainte sur une mer calme... Il n'y a rien N'osant monter au trône de Théodose, il vou-
de stable dans les choses humaines, rien qui lait l'abaisser jusqu'à lui. Aussi commença-t-il
ne soitébranlé... Partout confusion et tumulte; par demander de l'argent ; et comme il en fal-

partout écueils et précipices, récifs cachés sous beaucoup à son insatiable avidité, Arcadius
lait

la vague partout la terreur, les périls, les soup-


;
fut réduit à prendre aux églises leursvases sa-
çons, lestremblements, les angoisses. Personne crés, qui furent fondus en Uugotsau camp des
ne personne; chacun doute de son voi-
se fie à Ariens. Gainas exiga davantage ; traitant l'em-
sin. Peut-être est-il près de nous ce temps que pereur d'égal à égal, il lui demanda une confé-
le Prophète a peint en ces mots : Ne croyez pas rence sur la côte d'Asie, c'est-à-dire au milieu
aux amis, n'espérez pas dans les princes; défie- de sa propre armée, et il fallut que le pauvre
toi de ton épouse elle-même et ne lui livre pas autocrate, à la merci du rebelle, quittât la ville
ton secret... Il n'est plus d'ami vrai, de frère impériale, traversâtle Bosphore et vînt trouver
sur qui l'on puisse compter; la charité est dé- le soldat goth au rendez-vous assigné, lui li-
truite. La guerre civile est partout, non pas ou- vrant ainsi, sur la foi d'une parole suspecte, sa
verte, mais voilée. Vous ne trouvez que de faux personne et l'empire. L'entrevue eut lieu dans
visages, des loups sous des peaux de brebis, et l'église déjà si célèbre de Sainte-Euphénue,
peut-être serait-on moins exposé au milieu bâtie sur une hauteur, au bord de
la mer, à

d'ennemis déclarés que parmi ceux qui parais- deux pas de Chalcédoine, en face de Constanti-
sent nos amis. Des hommes qui vous adulaient nople, dans la situation la plus ravissante du
hier, qui vous baisaient la main, se tournent monde. Là devait se tenir plus tard le qua-
aujourd'hui contre vous, et, jetant le masque, trième concile général; en attendant, le noble
deviennent vos accusateurs les plus acharnés.
Hier, ils vous remerciaient d'un bienfait; au- 'TiUem., Arcad., art. 18 d'après Zoslm., I. 5.
;

'Les cslùlnDiateura de Chrysostome l'accusèrent d'avoir découvert


jourd'hui, ils vous en font un crime et vous
le comte Jean daos une séditioo de soldats, en 103. Rieu n'est plut
calomnient » (bsuidc.
CHAl'lïHt: VLNGÎ-NtUVlÈME. 345

édifiée allait devenir le théâtre d' ine des plus dépens du devoir redouble le péril qu'elle doit
misérables scènes qui attristent l'iiisloiie du coiijiuer, répoi.dit: «Non, prince, ne promets
Bas-Empire. Gainas, avec i'asluce propre aux pas cela, n'ordonne pas de livrer aux chiens le
Barbares, se prosterna devant l'empertnir son euiictuairedeDieu. Quant à moi. je ne souffri-
captif, et, voilant sous les plus vives protesta- rai jainaiuque ceux qui célèbrent saintement
tions (le dévouonuMit l'ori^iail de soti triomphe, le Verbe divin par leurs cantiipics soient mis à
lui fll ses conditions tjue le chef de l'empire se la porte pour faire [)lace aux blasphémateurs.
hâta d'accepter. Le pauvre flis de Théodose Empereur, ne crains pas le Barbare, mais plu-
semblait implorer la grâce de régner. N'esti- tôt mets-nous tous les deux en présence, et,

mant du diadème que les joyaux, pour eu pa- sans parler toi-même, écoute ce que nous di-
rer son front, pour se couvrir de pierreries et rons. J'espère mettre un frein à la langue de
marcher, entre des gardes au bouclier d'or, sur cet homme, et le convaincre qu'il n'a pas à de-
uu char aux roues d'argent, il douna tout. On mander ce (ju'il n'est pas permis de lui accor-
convint que Gainas et Tribigilde, reçus àCons- der B.

tantiriople, pourraient y rester avec leurs sol- L'empereur accepta la proposition et réunit
dats tant qu'il leur i)lairait, et que le premier, le lendemain l'évêque et le soldat. Gaïnas prit
décoré des ornenients consulaires, serait rétabli la parole le premier et somma le prince de
dans sa charge de maître de la cavalerie et de tenir sa ptromesse. Jean répondit qu'un empe-
l'infanterie, en d'autres termes, qu'il aurait le reur chrétien et pieux ne pouvait rien entrepren-
commandement général de toutes les forces dre témérairement contre les choses saintes.
militaires de l'Orient. Le traité fut juré de part — Mais il me faut un temple, répliqua vive-
et d'autre sur le reliquaire vénéré de sainte ment Gaïnas. — Nos temples sont ouverts, dit le
Euphémie; mais le serment n'était sincère que pontife, et personne ne t'empêche d'y entrer et
d'un côté. d'y prier. — Je suis d'une autre secte, reprit le
Deux jours après, le Barbare entrait en triom- Golh, et je demande une église où nous puis-
phateur dans la ville de Constantm. Une loi de sions nous assembler, mes coreligionnaires et
Théodose avait interdit aux Ariens l'usage de moi. Cette demande, j'ai le droit de la faire,
toute église intra-muros, ce qui les obligeait à car j'ai exposé ma vie en cent combats pour
s'assembler pour les cérémonies de leur culte l'empire romain. — A ces mots, Jean regarda
hors des remparts et sous des tentes. Or, Gainas le Barbare d'un air sévère « Tes services, lui :

était arien, et il aimait à se poser comme le dit-il,ont été payés au-dessus de leur valeur.
protecteur et le chef armé de la secte. Il avait Te voilà chef de l'armée et honoré de la dignité
écrit plusieurs fois à saint Nil, qu'il avait connu consu laii e. Compare au fond de ton âme ce que
dans le monde et qui vivait alors dans une pro- tu étais et ce que tu es, ton indigence passée et
fonde retraite au Sinaï, pour lui faire des ques- l'abondanceoù lu vis, lesvêtements que tu por-
tions et des objections sur la divinité de Jésus- tais avant de passer l'Ister et ceux que tu portes.
Christ. Se considérant comme plus particuliè- Mets en regard le peu que tu as fait, avec les
rement humilié par le rescrit impérial , il récompensesraagnifiquesqu'on t'a prodiguées;
demanda une église dans la viUe pour lui et ne sois pas ingrat envers ceux qui ont daigné
les siens le premier officier de l'empire, di-
: l'élever à de tels honneurs.... Souviens-toi,
ne peut être réduit à chercher au-delà
sait-il, ajouta-t-il,que, contraint de fuir ton pays,
des murs, comme un homme de rien, un asile tu te présentas en suppliant, au père de notre
précaire pour y prier avec ses compagnons empereur qui voulut bien te tendre la main et
d'armes, les vaillants défenseurs de l'Etat. Ar- te sauver; alors lu juras une éternelle fidélité
cadius, après tant de sacrifices, hésita peu de- aux Bornai ns, au prince, à ses enfants et aux
vant celui-ci; il manda Chryso.' tome, lui fit loisde l'empire, contre lesquelles tu t'insurges
part de la réclamation du Barbare, et alléguant, aujourd'hui ». El il lui montrait le décret de
non sans rougir, les embarras de la position et Théodose qui prohibe toute assemblée d'héré-
la puissance du Gainas, il [tria le pontife de pré- tiques dans l'enceinte des villes. Puis, se tour-
venir par sa condescendance une redoutable nant vers Arcadius a Prince, dit-il, il vaut
:

explosion. Jean, persuadé que ce n'est pas en mieux descendre du trône que de livrer la
s'aplatissanldevanU'orgueil qu'on le désarme, •liaison de Dieu et de trahir la religion b.
et que tuute coiic<;;;&iuu laite pur la lâcheté aux L'antique majesté de l'empire respirait tQUt
m IIISTOIUE DE SALNT JEAN cHhVSOSTuME.

entière dans cet liomme. Gnïnasse sentit vaincu vante. L'ordre allait être exécuté, quand leS
et ff relira. Mais il comptait sur sa fortune, et Barbares chargés démettre le feu s'arrêtèrent
ne doiitiiit pas qu'elle ne lui iuciiag(ât bienlot tout à coup, saisis de frayeur à la vue d'une
une éclatante revauilie, qui inotli ait à sa dispo- armée romaine rangée autour du grand édifice
f-ilioii tous lis édiQces sacrés de Bjzance et qu'on allait saccager, et retournèrent rendre
nipire lui-même.
l'( comjite à leur chef de cet obstacle inattendu.
Conunandant général de toutes les armées Lui, qui avait d'excellentes raisons pour ne
d'Oiientet m lîlre de mouvoir les troupes à sa voir là qu'une panique ridicule, gourmanda
volonté, il éparpilla dans les forteresses de la son monde et renouvela ses ordres. Le lende-
Tbracetoul ce qui faisait jiartiede la milice ro- main, même vision et même frayeur. Socrate
maine proprement dite, éloigna même sous racontequ'une multitude d'anges, sousla forme
divers prétextes la plus grande partie de la d'hommes armés et d'une taille gigantesque,
garde impériale et ne laissa dans Conslanti- accouraient toutes les nuits pour protéger le
nople que les soldats Gotlis. En même temps il prince et la cité'. Gainas s'assura par lui-même
eut soin de donner à ses créatures les postes de que ses desseins étaient contreminés, et que
confiance, les riehefses et les honneurs. Tout des forces suflisantes cachées dans l'enceinte
était prêt pour un coup de main qui devait lui du palais rendaient toute attaque impossible.
livrer le trône et le monde. Déconcerté, craignant une surprise et d'être
Une sourde agitation se manifesta dans le écrasé entre les troupes enfermées à Constan-
peuple. Si habitué quil fûlaux révolutions du tinople et celles que la cour pouvait appeler
palaisetauxchangementsde maître, celle foule d'un instant à l'autre, il songea à occuper for-
desoldats élrangers(iui encombraient les places tement les dehors de la ville. Dans ce but, il par-
et les rues, et se montraient partout exigeants tegea ses Golhs en deux corps, dont l'un devait
et insolents comme dans une ville conijuise, re^t^:r pour cou tenir la population, l'autre cam-
révolta le peu qui restait encore de fierté natio- per avec lui dans le voisinage, jusqu'au mo-
nale et d'orgueil. On échangea des menaces, ment où il serait à même de frapper un coup
des rixes eurent lieu les murmure'^, le dé-
;
décisif. H feignit donc d'être malade et d'avoir
sordre éclataient dans tous les quartiers ; la besoin de pur des ctiamps, parla même de
l'air

situation chaque jour plus tendue annonçait dévotions à faire dans l'iuléi êl de sa santé à

une crise immimnte. Une comète, qiii parut l'ég'ise de Sainl-Jean Baptiste extra-muros,
du Bosphore, etdoni iuuuense
alors au-dessus I près de rHobdumon, et, sorti sous ce prétexte
chevelure occupait une grande partie du ci' 1, avec une partie de ses gens qui cachaient soi-
ajcutasingiilièrementà l'émotion publique. 0:i gneusement leurs armes, il s'empara de cette
était à peine remis du dernier tiemldement de •povi ion imiiortanle; les troupes qui devaient
terre, etde nouvelles secousses, réiléréi.s bim la garder avaient ordre de n'y venir que par
desfoisdepuislecommenceuu'utdi' raimee fai- petits détachements, afin de ne donner l'éveil
saient redouter les plus grands maiheurs. Les à |)e: sonne'.
iuiaginationssurexciléestenaient lésâmes dans L Hebdomon, ainsi nommé du septième mil-
une attente anxieuse. Les A' iens seuls se mon- liairequi en marquait l'entrée, élail le Clianip-
traient satisfaits, car le triomphe de Gainas de Mars de la nouvelle Uome. La distance qui
était leur propre triomphe. le séparait de la ville, quoique fort grande, avait
Le plan du Barbare était celui-ci : enlever été |)romptement comblée par ces nombreuses
tout l'argent des joailliers et changeurs dont constructions qui s'élèvent si vile etcommepar
les comptoirs entouraient la grande place, puis enilianlement autour des cités souveraines et
se ruer sur les demeures des riches, piller, tendent sans cesse à les agrandir; sous Héra-
brûler, égorger, et, au milieu des flammes et clius il fut compris dans l'enci inte murée. A
ducarnage,surcetimmenseet sanglant liûcher, l'époque de notre récit, les palais, les villas, les

se faire proclamer empereur par des soldais églises qui rempli.-saienl ce quartier, en fai-
gorgés d'or et de vin. Les regards avides des saient déjà l'un des grands faubourgs de Con-
Goihs devant les boutiques des joailliers don- stanlinople. Destiné aux évolutions militaires,
nèrent de la défiance à cenx-ci qui firent dispa- assez vaste pour contenir une armée, le plateau
raître leurs trésors; néanmoins l'attaque du de l'Hebdomon, nivelé et palissade, descendait
j)alais impérial fut ordonnée pour la nuit sui- •
Socr., 1. 6, e, 6. — f S«»oi<i >• 8, c, 4«
CHAPITRE VINGT-NliUYIÈME. S4?

par une pente doute, dti couctiant au septen- vement dps Barbares entrant et sortant pour
trion, vers la pointe de la Curne ('orée. Une emporter leurs elTels, elle crut qu'ils avaient
plateforme nioniiinentale, dicorée de innpni- l'inlenlion de brûler la ville, et se mit à les
fiquesstatiiesjdomiiiailce plan incliné, et for- poursuivre de cris et d'injures. L'un d'entre
mait, ce qu'on appelait chez les anciens, le tri- eux lève sahaclie pour lui abattre la tête, il est
bunal d'où les empereurs liaran^'uaient les lui-même abattu par un soldat de la garde mêlé
légions, distribuiiicnt les aigles, désignaient à la foule; un de ses camarades éprouve le
aux acclamations des soldais, les ha'ils person- même sort. A la vuedu sang, un tumulte hor-
nages appelés au partage du pouvor. Vulenti- rible s'engage ; le peuple passe instantanément
nien y présenta aux liouiniagcsde l'armée son de l'hésitation à la rage; chacun s'arme de
frère Valens, auiiucl il cédait la moitié du tout ce qu'il a sous samain onsejeltesur les ;

monde; Théodose y monta pour vêtir de la Golhs qui essaient vainement de se défendre,
pourpre ses deux fils égilement incapables de on les égorge. Accablés sous le nombre, ilsvou-
porter le diadème et l'epée Riifin y fut massa-
; draient gagner l'ilebdomon ; mais les portes
cré sous les yeux de son maître par les soldats sont fermées sur eux, et un cinquième environ
qui lui avaient promis un trône; et, plus tard, de ces infortunés reste au pouvoir et à la merci
Phocas y fil ex.ioser les têtes sanglantes de Mau- d'une populace ivre de colère etde sang. L'em-
rice et de ses enfants. Il était adossé à une pereur, qui vient de déclarer Gainas ennemi
grande église bâtie par le dernier empereur de l'Etat, ordonne de faire main-basse sur ses
sous l'invocation de saint Jean, et dans laquelle soldats, lesquels, cernés, écrasés, ne voyant
Gainas, sous prétexte d'aller intercéder sa gué- devant eux ni issue ni espoir, jettent les armes
rison, vint établir son quartier général. De et implorent la vie. Gainas accourt, mais trop
là, il intimidait la ville et surveillait la cam- tard, au secours de ses camarades. Le peuple,
pagne; et la distribution de ses troupes était qui semble se réveiller d'une longue stupeur,
combinée de telle sorte que, tandis qu'à un si- a retrouvé son courage dans le péril il s'élance :

gnal donné les soldats restés à Constantinople sur les remparts, et, soutenu par ce qui reste
se jetteraient sur les habitants sans défense, encore dans la ville de soldats de la garde, il
lui, accouru du Champ de-Mars avec
le gros de accablelesassaillantsde pierres, de traits, d'eau
ses forces, frapperait legrand coup et ramas- bouillante, et repousse l'assaut. Mais tandis que
serait dans le sang la couronne d'Arcadius. les uns combattent avec une vaillance inatten-
Heureusement pour Byzance, les Goths, peu due, écartant au péril de leurs jours un ennemi
disciplinés et encore sous l'impression de la furieux, les autres se livrent dans les rues à
dernière panique, exécutèrent mal les ordres une sanglante et lâche besogue sans pitié pour :

reçus. Ceux désignés pour demeurer dans la les vaincus, moins humains que les Barbares,
Tille se joignirent en grande partie à ceux qui ils s'acharnent sur les Goths prisonniers et dé-

allaient rejoindre leur chef; et leurs femmes, sarmés. Sept mille de ces malheureux avaient
leurs enfants se pressant de les suivre en désor- cru trouver un asile inviolable dans une église
dre, il y eut une horrible confusion aux portes voisine du palais, la même que Chrysostome
de Constantinople, encombrées déjà de nom- avait assignée aux Catholiques de leur nation
breuses voilures et de tonneaux où, pour don- et où naguère encore il leur faisait entendre
ner le change sur leurs desseins, ils avaient de si nobles paroles. Arcadius, d'autant plus
enfermé leurs armes. Un départ si précipité impitoyable qu'il est plus poltron, veut qu'on
alarme le peuple, on redoute un égorgement les immole dans le temple de Dieu, sans quar-
général. Les uns s'enferment et se barricadent tier [lour personne. En un clin-d'œil le toit est
dans leurs maisons, les autres vont chercher escaladé ; on y met le feu ; les débris embrasés
leur sûreté dans les bourgades voismes, beau- de charpente pleuventsur les victimes éper-
la

coup prennent les armes et jurent de vendre dues, pendant qu'aux portes de l'édiflce les
chèrement leur vie. La nuit se passe dans une vainqueui s changés en bourreaux repoussent à
émotion indicible. Une pauvre mendiante coups de lance, dans les flammes, tout ce qui
changea la destinée de ce jour e. sauva By- cherche à se sauver. Cette horrible boucUcïie
zance. Accoutumée à tendre la main à l'une eut lieu le 12 juillet 399.
des portes de la cité, elle y était venue à son or- Gainas, écumant de rage, tel qu'un tigro
diaaire de (jraud matin, et voyant tout ce uiou- blesse couvert de son propre sang, s'é^yiguvi Jq
348 HISTOIRE DE SAINT JEAN GHRYSOSTOME.

Constanllnople dans le dessein de s'emparer de retiradans la presqu'île de Thrace, força la


la Thrace mMis il en trouva les villes préparées
;
longue muraille qui bordait l'Hellespont, du
aune vigoureuse défense; car, exposées depuis golfeMélas à la Propontide, et garnit de troupes
vingt ans aux excursions des Barbares, elles toute la côte. Il n'avait pas une seule barque ;

avaient pris l'habitude d'une vigilance coura- mais les forêts de la Chersonèse lui offraient
geuse et de ne demander leur salut qu'à elles- assez de bois pour construire des radeaux, et le
mêmes et au dévouement intrépide des ci- courage des Goths suffisait à tout. Tandis qu'ils
toyens. A l'approche des ravageurs, on avait préparaient à la hâte les moyens de traverser le
retiré des campagnes et mis en sûreté dans les détroit, la cour, stimulée par la crainte, ne
placesfortes les grains, les fruits, les troupeaux ;
perdait pas un moment. Inspirée cette fois par
en sorte qu'il ne restait plus aux soldats de Gai- le sénat, elle confia le commandement de toutes
nas que des masures désertes à piller et l'herbe ses forces de terre et de mer à un Goth, Favri-
des champs à partager avec leurs chevaux. tas, qui avait donné des preuves nombreuses
Leur chef regretta trop tard l'abondance de de son dévouement à l'empire et de son habi-
l'Asie, et résolut de se porter sur l'Hellespont leté comme général. Grâce à l'activité, au ta-

pour en forcer le passage. La cour, cependant, lent de cet homme, il y eut bientôt sur la côte
se montrait peu rassurée par son facile triom- asiatique de l'Hellespont une petite flotte com-
phe. Heureuse d'effacer dans le sang des Goths posée de bâtiments légers qu'on avait ramassés
de Sainte-Euphémieet d'avoir échappé,
le traité de toutes parts, et une armée faible, il est vrai,
n'importe comment, à une terrible amitié, elle et formée d'un mélange de recrues sans in-
tremblait qu'un jeu de la fortune, ramenant struction avec de vieux soldats indisciplinés et
tout à coup le Barbare sur ses pas, ne la livrât à découragés, mais que l'infatigable Favritas,
son implacable vengeance. Elle n'avait à sa dis- profitant de l'inaction forcée de son adversaire,
position qu'une poignée de troupes affaiblies, vint à bout d'organiser, de discipliner, de dres-
désorganisées, incapables d'aller à l'ennemi ou ser aux évolutions militaires, et de pénétrer de
de l'attendre de pied ferme. Après avoir mis sa confiance et de son ardeur. Maître de la mer,
Gainas hors de la loi, elle pensa qu'il valait il éclairait de près tous les mou vements de l'en-

mieux profiter de l'embarras oii il se trouvait nemi, et quand Gainas, à bout de ressources, se
pour lui offrir des conditions de paix, et obtenir résolut à risquer le passage, Favritas, qui atten-
du moins qu'il évacuât la Thrace. Mais qui dait ce jouravecimiiatience, laissa les radeaux
donc eût osé aborber le terrible Goth après le s'avancer jusqu'au milieu du détroit, puis il
massacre de Constantinople? On eut recours à lança sur eux à toute vitesse ses galères, que
Chrysoslome. Pour lui, néanmoins, qui avait poussaient un vent favorable et le courant de
fait entendre au général arien de sévères pa- l'Hellespont. En un clin d'œil la mer fut cou-
roles au moment où tout pliait devant lui, cette verte de débris et de cadavres. Gainas, resté à
mission était plus périlleuse que pour un au- terre avec une partie de son armée, vit englou-
tre. Jean ne songea pas au péril et partit pour tir sous les flots ses meilleurs soldats, son ami
le camp du Barbare. On une fois de
vit alors Tribigilde et toutes ses espérances. Abandonné
plus, dit Théodoret, auquel nous empruntons de la fortune, désabusé de ses illusions de gloire
ce récit, quelle est la puissance de la vertu et et d'empire, il ne songea qu'à gagner au plus
comment elle subjugue ses plus violents enne- anciennes demeures des
vite avec ses débris les
mis. Gainas, apprenant l'arrivée d'un tel am- Goths au-delà du Danube. Après avoir commu-
bassadeur, ému de sa piété autant que de son niqué secrètement son dessein à ceux de sa na-
courage, vint à sa rencontre à une grande di- tion sur lesquels il comptaitle plus, ilfit mas-
stance de sa tente, et, prenant la main droite sacrer les auxiliaires provinciaux mêlés à ses
du yeux puis, lui
pontife, l'appliqua sur ses ;
troupes, se débarrassa de son infanterie et de
présenta ses enfants auxquels ordonna de se il ses bagages, et, à la tête de ses plus hardis ca-
prosterner et d'embrasser les genoux de l'évê- valiers, traversa à marches rapides les plaines
que '. La démarche de Chrysoslome n'eut pas de la Thrace, pressé qu'il était d'atteindre l'Is-

d'autre résultat. ter, dont garnisons se trouvaient réduites à


les

Gainas devait, à tout prix, sortir delà position (iresque rien. Cet hiver, qui terminait l'année
où il se trouvait. Pressé de gagner l'Asie, il se iOO et commençait l'année 401, débutait avec
• Xhied., 1. S, c, 33. uueiigueurinaçcoutHKiée.LePoDt-Euxinresta
CHAPITRE TRENTIÈME. 349

gelé tout un mois, et, quand la débâcle survint, quel il fit porter le glorieux nom de Théodose.
Constantinople étonnée vit des inont.ignos de Ainsi, c'était un Barbare qui, cette fois en-
glace encombrer le Bosphore et llolier long- core, sauvait l'empire menacé par un Barbare.
temps sur la Proponlido. Ce froid excessif favo- Cette grande majesté n'était plusqu'unc ombre
risa la fuite de Gainas il toncliaitan terme de
;
timide etsuppliantecouraritducampdesGoths
sa course, et voyait déjà se dérouler devant lui àcelui des Huns, des Huns aux Vandales, tour
ces déserts de la Scytliie où son ardente imagi- à tour protégée ou insultée, et plus déshonorée
nation lui présageait de nouvelles et brillantes parla protection que par l'insulte. Les desseins
aventures, lorsque Uldès ou Uhliii, un chef de de la Providence se déroulaient aux yeux des

Huns, soit pour acheter l'amitié des Romains, hommes dans leur imposante grandeur. De cet
soit qu'il redoutât le voisinage d'un homme,
tel immense passé il ne restait plus qu'une agonie,
vint lui barrer le passage avec des forces nom- et au chevet de cette agonie, les deux éléments
breuses. L'intrépide Goth refusa de capituler; de l'avenir : un sang nouveau et une idée nou-
mais, après quelques combats héroïques où il velle.L'Evangile avait dit On ne coud pas le :

tenta vainement de s'ouvrir une route sur le neuf sur le vieux \ Le Christianisme, bouil-
corps des ennemis, il tomba sur le champ de lonnant de jeunesse et de sève, ne pouvait s'a-
bataille; aucun des siens ne voulut lui survi- dapter à un ordre de choses décrépit, qui tom-
vre.Le Hun envoya la tète de Gainas à l'empe- bait en lambeaux. C'est pourquoi il plut à Dieu
reur en échange de quelques cadeaux. La cour de faire table rase ; et des forêts, des monta-
accueillit comme untrésor inestimable, avec gnes, des steppes du Nord, il emmena des peu-
une ne pouvait se contenir, cet horri-
joie qui ples inconnus qu'il chargea de la terrible beso-
ble trophée, et le fit porter en triomphe dans gne. Ils l'accomplirent passivement, fatale-
la ville. On célébra par des fêtes splendides la ment, comme l'ouragan accomplit son œuvre.
mort du rebelle ; des poètes chantèrent la vic- Maiscel ouragan d'hommes, qui balayaitde son
toire d'Arcadius, et lui, délivrédésormais de souffle les feuilles jaunies d'une saison morte,
ses terreurs,s'abandonna avec plus de noncha- apportait aussi dans ses tourbillons les germes
lance que jamais au joug de la belle Eudoxie. cachés qu'un nouveau printemps devait faire
Elle mit le comble au bonheur de son mari en éclore aux rayons d'un nouveau soleil.
lui donuaut queltjues mois après un iils, au- ' s. Mart., c, 2, V. 21,

CHAPITRE TRENTIEME.

Eplire de winl Paul ani Colossiens. — —


Commentaire de Chrysostome. Blârae ï l'adresse de l'impératrlc». Phinti portée —
par Eusèbe contre ^nloDio d'Ephèse.— —
Cbtysostome appelé par le clergé d'Asie. Concile de soixante-dix évèques. —

Déposition de» Simoniaques. —
Déposition de Géronce. Retour de Chrysostome.— Séverien de Cabales. Antiocbui de —
Ptolémalâ. — Dùcouis de Cbrysostome. — Expulsion de Séverien. — Jean plaide sa cause auprès du peuplt.

Au milieu de ces grandes émotions popu- trouvait dans chacun d'eux une nouvelle con-
laires, au plus fort de ces rudes tempêtes qui firmation de ses enseignements, un nouvel ali-
secouaient la ville et l'empire comme un es- ment à son éloquence. « Vous voyez bien,
quif, Chrysostome, à qui la charité ne pouvait disait-il après la chute d'Eulrope, vous voyez
permettre l'indillérence, mais que sa foi pré- bien ce que valent les richesses: d'innombra-
servait de trouble et d'alarme, poursuivait sans bles exemplesvous prouvent leur fragilité. Oui,
relâche, avec autant de sérénité que d'ardeur, vous venez d'en être les témoins la possession :

ees travaux d'apôtre et son exégèse sacrée. Les périt du vivant même du possesseur; que dis-je ?
événements du jour déran^icaient souvent le elle l'entraîne à sa perte! Vous ne vous trom-
programme de ses prédications et réclamaient perez pas en comparant la fortune à un domeS'
la parole qu'il leur cédait volontiers, car il tique ingrat et traître , qui récompense sot
â^ô ÎÎISTOmE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOMË.

maître en le tuant. N'enviez pas cet homme commentaire oratoire del'êpître de saint Paul
vêtu de soie, couvert de parfums, entouré aux Colossiens. Ce travail, auquel, en défini-
d'esclaves. Pénétrez dans sa conscience quel : tive, il n'a consacré que douze homélies, l'oc-

trouble! quelles agitations I... Demain lèvent cupa cependant toute l'année, parce qu'il fut
soufflera, les feuilles tomberont, tout sera obligé de l'interrompre à plusieurs reprises
changé. Alors vous verrez combien ses amis pour courir où l'appelaient d'une manière plus
étaient menteurs, son entourage hypocrite ;
urgente les besoins de ses frères et la charité.

chacun aura jeté le masque, la comédie sera On que l'épître en question fut écrite de
sait

jouée. Vous entendrez dire de toutes parts : Piome aux fidèles de Colosses, petite ville de la
Le misérable le scélérat c'était le plus per-
I ! grande Phrygie, qui doit à ces quelques mots
vers des hommes! — Mais n'est-ce pas toi qui de saint Paul toute sa célébrité, et dont on ne
l'adulais? Toi qui lui baisais les mains? — Je sait guère autre chose, sinon qu'elle fut dé-

jouais mon rôle, il est uni, et maintenant, je truite quatre ans après par un tremblement de
dis ce que je pense. —
Pourquoi donc, chers terre également funeste à ses voisines, Uiéra-
auditeurs, craindriez-vous les riches? Pour- polis et Laodicée. Tychicus et Oncsime furent
quoi craindre un homme que tant daulres chargés de la porter. Voici quelle en était l'oc-

accusent, et qui peut-être s'accuse lui-même ?» '


casion :

Dès que la fuite de Gnïnas eut rendu quel- Un disciple de Paul avait fondé la commu-
que calme aux esprits, Jean r ippela son peuple nauté chrétienne de Colosses, et par ses soins
autour de sa chaire, a Venez, disait-il, et puis- elle prospérait et s'accroissait de jour en jour,

que nous Voilà délivrés de cet affreux tumulte, lorsque de faux apôtres vinrent semer l'ivraie
lavons nos oreilles d.tns les saints li> res comme dans le champ qu'Epaphras cultivait avec tant
dans l'onde pure d'un fleuve. Ainsi font les de succès et d'amour. A celte époque, l'Eglise
matelots après bien des fatij^'ues et des périls,
: avait moins à souffrir des attaques violentes du
quand ils ont attemt le port, ils (juittent les paganisme que des perfides hommages de cet
rames, ils serrent les voiles, et, s'échappant esprit d'orgueil et de paradoxe qui, tout en
du navire, ils cherch nt, pai- le bain, par le ayant l'air de s'incliner de\ant sa doctrine et

sommeil, par une nourriture choisie, à se d'en exalter la beauté, s'efforçait de la façon-
rendre des forces pour commencer un autre ner à son gré par l'alliance impossible d'élé-
voyage. Imitons-les; etmaiMtenantquela bour- ments hétirogèiies. Ci st que l'apparition de
rasque est passée et que les vents et les flots l'Evangile avait produit une espèce de secousse
s'ap lisent, abordons la lecture sacée comme électrique dans le monde desâmes. Au milieu
un port calme et sûr. Là, plus d'agitation, une d'un siècle sceptique et sensuel, on avait vu
tranquillité parfaite, un appui ferme, un plai- se manifi ster une vive soif des connaissances
sir prolongé, tous les biens a la fois. La lec- supérieures, un insaiiable besoin de mysté-
ture des livres divins cal me la douleur, console rieux et de surnaturel les vieilles idées de
;

l'infortune, enrichit le pauvre,do ine au riche l'Orient rerrutaient de nouveaux adeptes; l'in-
la sécurité, arrache le pécheur à ses vices, en- telligence humaine était en proie à une fer-
courage et soutient le juste, écarte le mal, fait mentation inconnue jusqu'alors. Tandis qu'une
aimer la vertu, la rend inébranlable c'est un ; foule d'hommes, ne cherchant dans le Chri-
breuvage divin, un charme magique auquel stianisme ((ue la rédemption de leurs âmes,
les passions ne sauraient rési ter ' » renonçaient aux erreurs qu'ils avaient aimées,
Et en avait expérimenté sur son au-
effet, il aux passions qui les avaient asservis, pour de-
ditoire la puissance de ce ch: rme céleste, et il venir d'humbles et dociles enfants de la foi;
y recourait souvent; c'est pourquci il met au d'autres, qae la religion nouvelle frappait par
premier rang de ses devoirs l'exidication assi- la grandeur de ses vues et les vertus de ses

due du que pour


texte inspiré, et ne s'en départ disciples,mais qui tenaientà certaines concep-
de graves raisons. Les événements qui s'agi- tions mêlées dès longtemps aux habitudes de
taient autour de lui ne l'empêchèrent pas d'en- leur esprit et de leur vie, eussent voulu, par
treprendre, dès les premiers jours de 399, le une espèce de fusion entre les enseignements
deJesus-Cluistet tout ce qui leur plaisait d ns
le polythéisme, la philosophie, les anciennes
r> <• , iur
^p-'. »,
le pi. 4$, 0, 2, Sçmi U •> ' Ooj;, m te p<, i9,
religioDs, composer un système nouveau i^
1.
f
CHAPIThE TRENTIEME. m
croyances propre à captiver les esprits délicats veur, de Verbe divl,., pour nc Voir enlui qu'une
et à régner sur les peuples. m inifestation passagère dcl'Etre suprême, ma-
Il existait, par exemple, chez les Juifs, au nifestation bien inférieure à celle qui avait lieu
temps de Jésus-Clirist et des Apôtres, diverses dans la personne de Simon, le paraclet, la vé-
écoles tliéo-sopliico-mystiques sur lesquelles le ritable parole, la grande puissance de Dieu.
Christianisme devait exercer une particulière Paul, instruit par Epaphras lui-même du
attraction, car elles avaient dans leurs doctri- danger que couraient des ouailles si chères à
nes secrètes plus d'un point de contact avec lui. son cœur, et ne pouvant voler au milieu d'elles,
De là sortirent les sectes des clirétiens ju- puiqu'i! était alors, sinon en prison, du moins
daisants, qui toutes avaient pour lien comnum prisonnier dans sa propre demeure, la main
l'exacte observation des cércmanies de la loi, droile attachée par une longue chaîne à la
et cetteerreur caractéristique, que jusiju'à main gauche d'un soldat; Paul, disons-nous, se
son baptême dans le Jourdain le fils do Marie, hàle de leur écrire dite admirable lettre pour
fils (le Joseph, n'avait été qu'un homme
aussi les prémuaircontre les séductions d'une philo-

comme les antres, mais qu'à parlir


peccable fo[ihie menteuse etalTt^rmir dans leurs âmes la
du moment où la colombe symbolique s'était foi pure au Verbe incarné. Avec autant d'élé-

reposée sur sa tète, le Messie céleste était entré vahon que d'autorité, et dans un magnifique
en lui et l'avait transformé ; Messie qui n'était langage, il dit les titres immortels et glorieux
d'ailleursque le plus élevé des esprits émanés qui établissent la grandeur de Jésus-Christ et
de Dieu, apparu d'abord sur la terre dans la sont le fondement de son culte, ce qu'il est par
personne d'Adam, manifesté corporellenient rapport à son Père, par rapport aux créatures,
aux patriarches, uni enfin à Jésus, après h par rapportàrEglise.lmagede Dieu, splendeur
mort et la résurrection duquel il était remonté de sa Inmière, son Verbe coéternel, par lui, en
aux cieux. Mais l'adversaire le plus redoutable lui, tout a été créé, les choses visibles et invi-
de l'Evangile à cette époque, ce fut le Gno.-ti- sibles, les anges et les hommes, les principau-

cisme, qui, pour attaquer l'Eglise, seservitea tés et les puissances, il en est le chef; de lui
partie d'armesqu'il lui avait empruntées syn- : toutes les créatures tirent ce qu'elles ont de
crétisme laborieux où l'élément chrétien mêlé beauté, de perfection, de vie; par lui tout
à une foule d'autres tirés du Judaïsme, de la subsiste, en lui résident tous les trésors de la
Kabale, du Platonisme, de Philon, de l'Egypte, sagesse et la plénitude substantielle de la divi-

de la Perse, de l'Inde, de la Chaldée, figurait nité ; médialeur suprême, dont le sang a puri-
à contre-sens, dans une construction doctrinale fié et réconcilié à Dieu tant ce qui est sur la
aussi compliquée que ténébreuse et fragile. terre que ce qui est au ciel, il est la paix du
Si étranges que fussent ces doctrines, elles monde; il a triomphé sur la croix des puis-
se frayèrent de bonne heure une entrée dans sances de ténèbres, et mis au néantlacédulede
les églises chrétiennes; leur hardiesse même l'ancienne loi ; il e-t la rédemption et le salut,
était une séduction. Simon le Magicien, qui le principe de la résurrection, le fondement de

fut sinon le fondateur et le patriarche, du moins l'espérance, la source de tous les biens; c'est
le précurseur du Gnoslicisnie, comptait déjà, lui qu'il faut placer tête de toutes les pensées,
en
du vivant des Apôtres, de nombreux prosélytes de toutes de toutes les actions; il
les paroles,

répandus dans la Palesline, danslaSyric, dans n'y a d'accès à Dieu que par lui et toute grâce
laPhrygie, et particulièrement à Colosses, où vient de lui. Puis, concluant du dogme à la
ilsobsédaient d'instances et de sophismes les morale, l'Apôtre expose d'abord en quelques
pieux et faibles néophytes que gouvernait Epa- mots d'une admirable profondeur les principes
phras. Simoniens, juilaïsants, une foule d'a- généraux et le caractère de la vie chrétienne,
pôtres philoso[)lies, armés de sulililités mysli qui consiste à se pénétrer de plus en plus do
ques, mettaient en péril la foi jeune encore Itxprit de Jé.-^us Christ, l'honune nouveau, et,
desColossiens, soit en leur prêcliant la néces- passant ensuite aux conséquences pratiques,
sité de la circoncision et des observances légales, il iitrace à chacun, dans un détail touchant,

soit en introduisant parmi eux un culte sujer- les devoirs qui lui sont propres.
8li lieux pourlesanges auxquelsil fallails'adres- Tille est l'œuvre inspirée que Chrysoslomo
expliquait aux fidèles deConslantinople dès
scr plutôt qu'à Jésus-'-bri.t, soit en clé|)0uillant lo

j i. nk) • r
( litres de Médiateur, de Sau- '"-nmtncement de son pontificat, c'est-à-dirt)
3Bâ HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOMË.

dans les premiers mois de l'année 399 *. Peut- parlait des chaînes de saint Paul avec son effu-
être peut-on reprocher à ces homélies d'être sion ordinaire, et, s'interrompant tout à coup
moins travaillées que d'autres; on n'y trouve il s'écria : « Femmes, vous qui vous couvrez
pas tout à fait cette ampleur, cette abondance, d'or et de pierreries, ce sont les chaînes de
cette clarté surtout qui distinguent le saint ora- l'Apôtre qu'il faut souhaiter. Vos riches bijoux
teur. Quelques passages, que l'auditoire devait n'ornent pas autant votre cou que ces chaînes
comprendre sans effort, sont obscurs et embar- de fer ornaient son âme. Dès qu'on aime les
rassés pour nous. Chrysostome y parle encore chaînes de Paul, on déteste les ornements de
des chaînes et des souffrances de saint Paul, la vanité. Qu'y a-t-il, en effet, decommun en-

sujet qu'il affectionne, et il reste inférieur à lui- tre la mollesse et la grandeur, entre ces pa-

même. Et toutefois, malgré ces taches, ce com- rures et notre divine philosophie? Les fers de
mentaire renferme aussi de grandes beautés ; l'Apôtre, les anges les vénèrent ces vains or- ;

plus qu'un autre peut-être, remarquable il est nements, il les méprisent; ceux-ci, sans em-
par la sainte hardiesse de la parole, et nous en bellir lecorps, écrasent l'âme ceux-làhonorent
;

avons cité dans un chapitre précédent quelques à la fois l'âme et le corps. Doutez-vous que des
pages vraiment admirables. chaînes de fer puissent être une parure? Eh
En présence d'une cour hypocrite, avare, bien ! répondez-moi
Qui attirera plus de spec-
:

dissolue, sans entrailles pour le peuple, sans tateurs, de Paul ou de vous? Que dis-je, vous?
respect pour elle-même, qui mettait la dignité L'impératrice elle-même, toute vêtue d'or, se-
dans le luxe, la force dans la violence, la pru- rait inaperçue près de lui ; et s'il arrivait qu'au
dence dans la lâcheté, qui jetait le voile d'une moment ou elle entre dans l'église, Paul y
piété menteuse sur des scandales flagrants, le entrât chargé de fers, tous les yeux se détour-
pontife du Christ, l'interprète sacré de la loi neraient de l'impératrice pour contempler
morale ne croyait pas que quelques avertisse- l'Apôtre, et avec raison; car voir un homme
ments donnés en secret et peu écoutés pussent supérieur à la nature humaine, n'ayant plus
acquitter les graves devoirs d'une charge si rien d'humain, un ange sur la terre, c'est ua
haute, absoudre sa responsabiUté de pasteur; spectacle plusadmirable quecelui d'une femme
et craignant, non sans raison, que son silence si magnifiquement parée qu'elle soit. Celle-ci,
ne parût aux yeux de bien des gens une par- vous la rencontrez au théâtre, aux bains, dans

tialité malheureuse, un prosternement de l'E- les fêles publiques, en une foule de lieux, par-

vangile devant la richesse et la puissance, il tout; mais un homme enchaîné, qui n'est pas
n'hésitait pas à faire monter le blâme ' partout abattu sous le poids des chaînes et les regarde
où se montrait le désordre, convaincu que, si comme son plus bel ornemeut, celui qui le voit
la vérité divine ne peut dompter tous les abus, jouit d'un spectacle digne descieuxl Otez ces
elle doit du moins protester contre tous, et que colliers, et vous ôterez la faim au pauvre
les égarements du pouvoir sont dus moins sou- Vous êtes chargées d'or, et votre frère périt l

vent à l'orgueil de ceux qui commandent qu'à Vous étalez l'or par vanité, et votre prochaia
la faiblesse de ceux qui obéissent. n'a pas de quoi manger Ces chaînes
1 d'or sont
nous aimons à le redire, qu'à
C'est ainsi, des chaînes de péché.... Vous voulez paraître
deux pas d'Arcadius, en face de son palais, il belle, revêtez-vous d'aumônes, revêtez-vous de
ose flétrir les emportements de Théodose, non modestie et de sobriété, loin de vous le faste.
pour amoindrir une mémoire illustre, mais Voilà ce qui est plusprécieuxque l'or voilà ce ;

pour signaler le péril et l'écueil du pouvoir ab- qui rend plus belle celle qui l'est déjà, qui
solu, même entre les mains du meilleur des donne de la beauté à celle même qui en est
princes. dépourvue. Quand on voit la bonté s'unir à la
Une autre
fois son blâme porte sur l'impéra- beauté, on est bienveillant dans sesjugements ;

triceelle-même, blâme indirect, respectueux, une femme dépravée qu'on neserait belle,
mais dont la portée n'échappait à personne. Il pourraiti'i.pp :1er ainsi l'esprit prévenu contre
:

elle ne lajuge pas équitablement. L'Egyptienne


* La critiqua la plus difâcile ne saurait contester cette date, car étaitmagnifiquement parée; Joseph aussi avait
l'orateur fait allusion dans une des homélies à chute réceute d'Eu-
la
trope ; 11 y parle aussi fort clairement de son titre éplscopal et de sa parure lequel était le plus beau?... L'ua
:

ton autorité d'évéque c'est donc CoDItaotinopl*, DOn i Antlocb»,


: ji
était nu, mais il était revêtu de continence et
que ces discouri oot iti pricbéii
,» Théod,, I. 5. de chasteté ; l'autre était somptueusement Ua^
CIIAriTHE TRENTIÈME. 353

billée, mais sa honte éclatait beaucoup plus peine, Chrysoslome voyait avec une indigna-
que si elle eût été nue, car elle n'était pas tion amère, non la richesse et la splendeur,
chaste. Quand tu te pares avec tant de recher- mais âmes, les familles condamnées à souf-
les

che, ô femme I ta honte est plus éclatante que à


frir, mourir pour donner à l'orgueil de quel-
si tu te montrais sans vêtements, car tu as dé- ques-uns une absurde satisfaction. De là, les
pouillé la modestie '
». anathèmcs si souvent lancés contre le luxe,
Les erreurs signalées par l'Apôtre aux fidèles qui ne lui rappelle autre chose que l'égoïsme
de Colosses avaient fait leur temps ; lesSimo- impitoyable des riches et la souffrance déses-
niens n'existaient plus; les Ebionites étaient pérée des pauvres. songe à exclurede l'église,
Il

oubliés; le Christianisme vainqueur s'était dé- il menace d'excommunication ceux qui persé-

barrassé de l'impure étreinte des Judaïsantset vèrent dans un abus aussi opposé au Christia-
desGnostiques. Le commentateur de saint Paul nisme qu'à l'humanité.
ne tire pas le glaive contre les morts il traduit ; « Il est difficile, disait-il avec la hardiesse
dans la langue de son auditoire le sublime ex- pieuse de son langage, il est difficile de trouver
posé du grand docteur sur la divinité de Jésus- une âme aussi remplie de mauvais desseins
Christ,image vivante, consubstantielle, éter- que celle des hommes qui veulent s'enrichir.
nelledu Père qui l'a engendré, auteur et fin Il n'y a pas de chimère ou de monstre dont leur

de toutes les choses créées, visibles ou invisi- imagination ne se repaisse. Une seule de leurs
bles, en qui réside la plénitude de la puissance, passions surpasse tout ce que la fable raconte
de la sagesse, de la lumière, de la vie, de la de Scylla, de l'hippocentaure elle réunit à elle ;

divinité, par qui l'humanité régénérée ne forme seule toutes les fureurs des bêtes fauves. Un
qu'un seul corps qu'il anime, dont il est la roi, chez les Grecs, porta la folie à ce point
tête, et que son influence, répandue sans cesse qu'ilfit faire un platane d'or et un ciel d'or

par les vaisseaux mystérieux qui joignent et par dessus pour s'asseoir à leur ombre, et cela
lient tous les membres, entretient et fait croî- au moment même où il avait à lutter contre
en Dieu *.
tre jusqu'à la pleine virilité des ennemis redoutables.Un autre enfermait
Mais bien des fidèles, imbus encore de pré- leshommes dans un bœuf de bois un autre ;

jugés juifs et païens, doutaient de la Provi- d'un homme fit une femme, d'une femme un
dence, croyaient au destin, mêlaient à la foi soldat Quelle infamie! des bêtes dénuées de
chrétienne des pratiques superstitieuses et bi- raison descendraient-elles plus bas? Elles, du
zarres. Quelques-unsniaientlarésurrectiondes moins, suivent la nature et ne cherchent pas
morts beaucoup, par une malheureuse con-
; autre chose Vous voyez comme les riches-
le fond de la nature humaine,
tradiction qui est ses rendent fou ! Hélas nous en avons tous les!

s'inquiétant peu que leur vie démentît leur jours une autre preuve dans ces cruches d'or,
croyance, semblaient prendre à tâche de faire ces marmites d'or, ces vases d'or de toute es-
revivre au grand soleil de l'Evangile l'idolâtrie, pèce et pour tous les usages. Malheureuse
non des dieux, mais de l'argent, du plaisir, femme le Christ près de toi meurt de faim, et
!

de l'orgueil : de là, les infamies de l'usure, le tu te livres à ces folies ? Quel ne sera pas ton
maintien de l'esclavage, le désespoir des pau- supplice un jour! Et après cela vous osez vous
vres, la dureté des riches, les concussions des plaindre qu'il y ait des voleurs, des parricides,
fonctionnaires, la profanation des noces, les des scélérats, quand le démon vous possède
insolences d'un luxe sans mesure, sans goût, vous-mêmes et vous conduit à son gré ? » '

sans utilité, qui, pour excuse le


loin d'avoir Ces vives paroles blessèrent quelques audi-
progrès des arts et de l'industrie, ne servait teurs il le sut, et commença ainsi le discours
;

qu'à nourrir le sensualisme exalté des uns et suivant: o Je sais que ma dernière exhortatioQ
les jalousies menaçantes des autres, luxe cruel- a choqué bien des gens ici. Que faire? Je vous

lement acheté au prix des larmes et des angois- ai transmis les ordres du Seigneur. Ne vous
ses d'une multitude d'esclaves, de paysans, de fâchez donc pas, car je ne veux pas pour mon
malheureux fermiers opprimés, pressurés, tor- plaisir et sans motifs vous irriter contre moi ;

turés, pour assouvir les caprices d'une femme mais vous voir arriver à un tel degré
je désire
ou lagloutonnorie d'un homme. Dms ces am- de vertu, que je n'apprenne phi> rien sur votre
phores d'or que deux esclaves foulevaienl à compte qui ne soit convenable. Ce ne sont paa
'
CbiTi., Bom. 10, «or l'*p a'i« CoU •«. — ' Ad Colou., c. 2, 19. '
Cbryi ,
Hom, 7, tai Vif, tu Colo».

S. J. «q, — Tome I, 23
384 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHHYSOSTOME.

des paroles de commandement et d'autorité Jésus-Christ et au bonheur des hommes. « Ce


que je vous ai fait entendre, mais de tristesse magnanime évêque, Sozomène, s'efforçait
dit

et de douleur.... Pardonnez-moi; je n'aime pas de corriger et d'améliorer non-seulement son


à blesser les bienséances, mais vous m'y avez église, mais encore celle des autres '
». o II

contraint. C'est moins la compassion des pau- étendit, ajoute Théodoret, sa vigilance pasto-
vres qui me fait parler, que la sollicitude de rale et ses soins pieux sur la Thrace divisée en
votre salut. Ils périront, en effet, oui, ils pé- six évêchés, sur l'Asie qui en contient onze,
riront, ceux qui ont refusé de nourrir le sur le Pont qui en a autant, et il les gralitia des
Christ. Ne me dites pas que vous l'avez nourri ; institutions dont avait doté son église
il ' ». Il

car tant que vous vivez dans ce luxe, dans ces eut surtout à cœur de les débarrasser, quand
délices, vos aumônes sont perdues pour vous. il le put, du pire des fléaux, celui des pasteurs

On ne vous demandera pas, en effet, si vous indignes, et de leur procurer des évêques selon
avez beaucoup donné, mais si vous avez moins Jésus-Christ. De là, des actes graves : la dépo-
donné que vous ne pouviez. En dehors de cette sition de Géronce et d'autres, ainsi que diverses
mesure, votre charité n'est qu'un jeu ' ». ordinations que ses ennemis lui reprochèrent
Ce commentaire, dont la rédaction précipitée plus tard comme des usurpations de pouvoir et

accuse le contre-coup des événements qui agi- d'orgueilleuses témérités. Il fallait lui repro-
taient Constantinople, mais qui n'est pas moins cher aussi ses nobles efforts pour éteindre le
remarquable que lesautres par ces magnifiques paganisme dans la Phénicie et répandre la foi
exposés de morale dans lesquels Chrysostome dans la Perse. Les prétendues témérités de cet
est resté un maître et un modèle, était à peine homme n'étaient que les élans de sa charité ;

achevé que le saint pasteur se vit arraché à la par-dessus les bornes de sa juridiction, elle
douce sollicitude de son troupeau par des sol- embrassait l'univers.
licitudes d'une autre espèce, et plus amères. Au mois d'avril ou de mai 399 ', vingt-deux
Les églises du Pont, celles de l'Asie, celles évêques se trouvaient présents à Constantino-
de la Thrace, sans relever de l'église de Con- ple, entre lesquels saint Théotime de Tomes

stantinople, excitaient plus particulièrement en Scythie Ammon


d'Andrinople dans la
,

le zèlede Chrysostome. Il s'appliquait à y faire Thrace, Arabien d'Ancyre en Galatie


; les au-

pénétrer les saintes réformes laborieusement tres appartenaient presque tous aux églises
introduites dans son propre clergé, et il eût d'Asie. Un dimanche, comme ils étaient assem-
voulu que les évêques chargés de les gouver- blés pour participer ensemble aux saints mys-
ner fussent tous animés de l'esprit qui l'animait tères en signe de communion unanime, Eusèbe
lui-même. Soumis ou non à sa juridiction, il de Valentinople en Asie se leva tout à coup, et
agissait sur eux par les conseils, par les prières, lut à haute voix un mémoire adressé à Chryso-
par l'exemple. Aucune pensée ambitieuse de stome contre Antonin d'Ephèse, l'un des pré-
primauté n'avait traversé son esprit; il n'avait lats qui faisaient partie du synode. Les chefs
pas plus d'orgueil pour son siège que pour lui- d'accusation, au nombre de sept, étaient de la
même, et, loin de se prévaloir de la préroga- plus haute gravité. II s'agissait d'abord de con-
tive d'honneur accordée à son église par le cussions sacrilèges et de simonie. L'évêque in-
concile de Constantinople, il professa toujours fidèle, selon son accusateur, avait vendu les
pour tous une déférence respec-
ses collègues domaines légués à l'Eglise par Basiline, la mère
tueuse qui n'était surpassée que par sa vénéra- de l'empereur Julien, et s'en était approprié le
tion profonde pour le successeur de sainlPierre. prix; il avait dépouillé le baptistère des mar-
Soit ascendant de ses vertus et de sa renommée, bres qui le décoraient pour en parer sa salle
soit entraînement d'une charité sans bornes, de bains, et dressé dans sa propre demeure des
il songer et sans le
se trouva exercer, sans y colonnes destinées au saint lieu ; il vendait les
vouloir, sur quelques églises de l'Orient, une
suprématie passagère que de coupables pontifes • Sozom., 1. 8, c. 3. —
Théod., 1. 8, c. 28.
' Tillemont (note 49) et Mootfaucon disent au moli de mai 400.
parmi ses successeurs usurpèrent comme un Cette date souffre de grandes diîBcultés, comme l'a très-bien dé*
droit, mais qui n'était chez lui que la supré- moDtré le P. Stilting (n. 724). L'affaire d'Antonio dura plus d'ua
an : elle obligea Chrysostome à s'absenter de son église aux solen-
matie naturelle du génie, de la sainteté et sur- nités pascales. Or, nous savons qu'il y était présent aux pâques de
4nl, puisqu'il y accueillit saint Porpliyre. L'affaire d'Ephêsg était
tout d'un dévouement inéi)uisable à la cause de
àonr. Unie d'où il suit qu uUe avait dû commencer en 399 vers I9
:

* Ctuya., iiid., Moi». S, a. 1. mors lie mai ou duvrà.


CHAPITRE TRENTIÈME. 355

ordinations. Eu?èbe ajoutait que les actieteurs Avant d'aller plus loin, réfléchis, et prends
siégeaient là à côté du vendeur, et que les ensuite le parti qui te convient; car, une fois la
preuves de tant d'infamies étaient dans ses requête lue, quand tout le monde la connaîtra,
mains. L'accusation portait, en outre, qu'An- quand acte en sera dressé, tu ne pourras plus
tonin gardait près de lui, entre ses domes- revenir sur tes pas, il te faudra prouver juri-
tiqui's, un homme coupable d'assassinat; qu'il diquement tes allégations, ou subir toi-même
avait fondu les vases de l'autel pour fournir au la peine que tu provoques contre ton frère •.

luxe de son fils, et que, foulant aux pieds les Eusèbe déclara persister dans l'accusation ,

plus saints canons, revenu avec sa il était et son factum fut lu en plein synode. Mais, sur
femme après son élévation à l'épiscopat et en l'observation des anciens, on résolut de com-
avait eu de nouveaux enfants '. mencer procédure par le chef le plus grave,
la
Jean ne put écouter cette lecture jusqu'à la celui de la simonie, dont la vérification empor-
fln il
; interrompit Eusèbe et lui dit Mon : tait en quelque sorte celle de tous les autres
,

frère Eusèbe, il arrive souvent que les accusa- tout étant croyable d'un homme qui porte le
tions auxquelles la passion se mêle sont diffi- sacrilège jusqu'à vendre les choses de Dieu,
ciles à prouver permets donc que je te prie de
;
Antonin fut interrogé il nia tout. Les prélats
;

retirer ta requête; nous ferons cesser les mé- accusés d'avoir acheté ce qu'il avait vendu
contentements que ton collègue a pu te causer. nièrent aussi. La discussion s'engagea entre
— A ces sages paroles, Eusèbe répondit par les Pères et se prolongea jusqu'à la huitième
une explosion terrible de colère et d'injures heure du jour. Les indices s'accumulaient
contre Antonin. C'était l'heure du sacrifice. et comme ils formaient déjà un faisceau de

Jean, convaincu qu'il ne pouvait rien sur l'es- présomptions graves, on voulut entendre les
prit de l'accusateur, pria Paul d'IIéraclée, qui témoins de ces infâmes marchés ils étaient :

semblaitfavorable à Antonin, d'intervenir entre absents, et il y avait grande difficulté à les


les deux adversaires et de ménager une récon- faire venir. Jean déclara qu'il irait sur les
ciliation ; après quoi il se leva, et, suivi des lieux recueillir leurs dépositions, et poursuivre
vingt-deux prélats, il entra dans l'église et une affaire où l'honneur de l'Eglise était en-
souhaita la paix au peuple. Mais à peine était-il gagé et il leva la séance.
;

assis à sa place, qu'Ensèbe reparut, et, en pré- Antonin, accusé par sa conscience autant que
sence des fidèles réunis, adjura le pontife, par par ses ennemis, et qui se voyait en présence
les serments les plus redoutables, de retenir d'un juge aussi éclairé qu'incorruptible, eût
l'accusation et de faire justice. Il était tellement voulu empêcher à tout prix le voyage deChry-
hors de lui-même, quel'assemblée, qui voyait sostome. Il avait une protection puissante à la
ses gestes sans entendre ses paroles, crut que, cour dans la personned'unofficierde l'empire,
menacé dans sa vie par l'empereur, il priait dont il gérait les terres en Asie au mépris des
Jean d'implorer sa grâce. L'archevêque, obsédé canons, et il obtint par lui que l'empereur de-
de sesimportunités et craignant l'émotion de mandât un sursis au pontife ; il promettait
l'assistance, reçut le malencontreux mémoire ; d'ailleurs, de faire arriver témoins. C'était
les

mais ne voulant pas monter à l'autel l'esprit le moment où Gainas et ses Goths tenaient Iq
troublé, il pria l'évêque Pansophius d'oflrir à ville et la cour dans une indicible perplexité.
sa place les saints mystères, et se retira. L'orage commençait à gronder, le sol trem-

La synaxe finie et le peuple congédié, il vint blait ; Arcadius eut peu de peine à convaincre
s'asseoir dans le baptistère au milieu de ses Jean que, pasteur du peuple et père des âmes ,
collègues, et, ayant mandé l'accusateur, il lui il ne pouvait les abandonner dans un si grana

parla en ces termes : Eusèbe, je te répète ce péril quand sa présence devenait chaque jour

que déjà Bien des gens, sous l'im-


je t'ai dit : plus nécessaire. Chrysostome renonça donc à
pression du chagrin ou de la colère, disent son projet ; mais, d'accord avec le synode, il
écrivent des choses qu'il leur est impossible de désigna trois évoques, Synclétius, métropo-
prouver. Les faits allégués par toi sont-ils à ta litain de Trajano|)ledanslaThrace;Hésychiu3
connaissance certaine ? Nous ne refusons pas de Parion dansl'Hellespont, et Pallade d'Hété-
de recevoir l'arcusalion si tu la peux soutenir; nopolisen Bithynie, pour aller sur les lieux
nous ne la retenons pas si tu veux la retirer, interroger les témoins, instruire l'allaire q\
> Palitd., d'tl., e. M. •P»llad.,dlal., c. 14.
356 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

s'entendre avec les évêques de la province. Le qui, malgré leur avarice et la passion de do-
concile accordait deux mois à l'accusateur et à miner, osent se dire catholiques. Des loups
l'accusé pour se présenter devant leurs juges ; furieux l'entourent d'embûches , et brûlent
après quoi, celui des deux qui n'aurait pas d'impatience d'usurper en l'achetant le trône
comparu serait frappé d'excommunication. épiscopal ' B.

Antonin respira ; il avait letemps d'organiser Neuf ou dix mois s'étaient écoulés depuis que
la corruption. Il commença par acheter son l'intrigant Eusèbe avait saisi de sa terrible ac-
accusateur. Un des commissaires, Hésychius cusation le synode de Constantinople, et dans
ami d'Antonin, feignit d'être malade et resta cet intervalle de graves événements s'étaient

chez lui les deux autres, conformément à


;
accomplis. Gainas, devant qui tout ployait et
leurs instructions, se rendirent à Hipépes en tremblait, obligé de s'éloigner sans venger le
Asie, et y mandèrent Antonin et Eusèbe, qui massacre des Goths, venait d'être battu sur les
comparurent, en effet, mais pour jouer les eaux de l'Hellespont, et gagnait à la hâte, en
juges et lasser leur patience. Antonin, à force fugitif désespéré, les bords du Danube où ,

d'argent, avait rendu les témoins introuvables. l'attendaient une autre défaite et la mort. By-
Les commissaires, dontl'oeilperçaitcesmanœu- zance, affranchie de ses terreurs, jouissait d'un
vres, demandèrent à Eusèbe combien de jours calme profond et rien n'empêchait plus le
,

lui étaient nécessaires pour fournir la preuve pasteur de quitter un moment son troupeau
exigée. 11 en demanda quarante, s'engageant pour voler au secours d'une ville afûigée. Il
par écrit à subir la sévérité des peines cano- céda donc au désir exprimé par ses frères d'A-
niques s'il ne tenait sa promesse. C'était le sie, et, quoique d'une santé languissante et

moment de la canicule, et il espérait que les fort souffrant, il s'embarqua et partit en plein
deux évêques effrayés d'un si long délai pren- hiver, accompagné des vœux d'un peuple au-
draient le parti d'aller chercher chez eux un quel il s'arrachait à regret. Le vent du nord
séjour plus commode et une température plus soufflait avec violence; on mit trois jours pour
supportable. Quant à lui, sous prétexte de arriver à Apamée. Là, Paul, Cyrinus et Pallade
courir à la poursuite des témoins, il fut se ca- se joignirent à Chrysostome, et les quatre pré-
cher à Constantinople, et se laissa condamner lats firent ensemble , à pied , le reste de la
comme calomniateur. Antonin, inexpugnable route jusqu'à Ephèse. Jean y était ardemment
dans sa vénalité, s'applaudissait d'avoir si bien désiré, et y fut accueilli avec la même vénéra-
compris la puissance de l'or, lorsque Dieu, tion et la même joie que l'Evangéliste son
évoquant tout à coup la cause, appela lesimo- homonyme, a L'antique E|ihèse t'a vu, s'écrie
niaque à son tribunal. Théodoret, et elle s'est souvenue du tonnerre
Celle mort terminait le procès sans terminer de l'Evangile ; elle a cru revoir Jean lui-
le scandale; car, si le vendeur n'était plus, les même * ».
acheteurs vivaient encore et pesaient de tout le Le premier soin de Chrysostome fut de con-
poids du déshonneur sur leurs églises désolées. voquer le concile provincial. Soixante-dix évê-
Leur infamie était notoire; toute la province ques y accoururent non-seulement ceux de la :

d'Asie la connaissait et n'en parlait qu'avec dé- provinced'Asieproprementdite, mais plusieurs


goût; prêtres et fidèles, également indignés, de- de la Lydie, de la Carie, de la Phrygie, jaloux
mandaient à grands cris qu'on mît fin à un état de connaître et d'entendre le grand orateur.
de choses si honteuxà la religion, si funeste aux L'assemblée s'occupa de donner un pasteur à
âmes. Chrysostome reçut la lettre suivante, l'église d'Ephèse. Deux candidats se parta-
écrite en commun par le clergé d'Ephèse et les geaient en ce moment l'opinion publique et la
évêques de la province. Pallade, qui nous l'a passionnaient et comme chaque parti soute-
;

transmise, l'appelle un décret, sans doute parce nait le sien avec une chaleur extrême, les
qu'elle émanait d'un concile. « nousComme exhortations, les prières furent impuissantes à
avons été gouvernés jusqu'ici d'une manière réunir sur un seul la majorité des suffrages.
déplorable et contrairement à toutes les lois, Jean pensa que le meilleur moyen déterminer
nous prions ta Révérence de venir au milieu une luUe trop longue c'était de mettre en avant
de nous pour donner une forme digne de Dieu un troisième nom, et il proposa Héraclide, sou
à l'église des Ephésiens, ravagée depuis long-
• Pallad., dial., c. 14.
temps et par les sectateurs d'Arius et par ceux ' Tlicud. cit par J'toi., c. J51D, et par Stiiling., t. 4, jopt., p. 6C8>
CHAPITRE TRENTIÈME. 337

diacre, homme d'une vciiii éprouvée et d'im nous encore dans le service de l'Eglise, sinon
savoir profond, i|ui possédait et niérllail toute exigez qu'on nous rende notre argent; car plu-
sa contiance. Cette candidature inattendue eut sieurs d'entre nous ont vendu, pour obtenir
pour elle l'unanimité des électeurs et rendit la l'épiscopat, les bijoux de leurs femmes ».
paix à Ephèse. Agréé par le concile, Héraclide Il n'était que trop vrai que de décu-
le titre
reçut l'imposition des mains de Clirysostome rion ou magistrat de la cité, longtemps ambi-
eulouré de soixante-dix prélats, qui ne se dou- tionné comme la plus haute illustration muni-
taient guère qu'en le consacrant ils le dési- cipale, étaitdevenu, dès les premières années
gnaient au martyre. du IV* siècle, la plus dure et la plus abhorrée
Le nouveau pontife était originaire de l'île des servitudes tant la loi romaine avait aggravé
;

de Chypre. A|irès quelques succès dans les les lourdes charges et la responsabilité du dé-
sciences humaines, il se consacra de bonne curionat Aussi toutes les places, toutes les
!

heure à l'étude des saintes lettres et se relira conditions incompatibles avec les fonctions cu-
au désert de Scétis ', sous la conduite du moine riales, furent par cela seul considérées comme

Evagrius. La solitude et l'ascétisme ajoutèrent privilégiées et ardemment convoitées. Parce


à la trempe vigoureuse de cette âme, et il sor- que les moines, les prêtres, les militaires, les
tit du désert avec une élévation d'idées et une officiers du palais en étaient exempts, tous ceux
passion du bien qui ne se démentirent jamais. que leur naissance ou leur fortune destinait
Diacre de Jean, il fut l'un de ses instruments aux honneurs de la curie ne songèrent plus,
les plus actifs pour la réforme du clergé, et chacun suivant ses goûts et ses moyens person-
prit sur lui la grande part des haines qu'elle nels, qu'à se faire officiers du palais, militaires,
suscitait. Evoque selon le cœur de Jésus-Christ, prêtres ou moines. Ces misérables évêques en
il rendit à l'église d'Ephèse le saint éclat qu'a- étaient là ils eussent payé deux fois plus l'a-
:

vait répandu sur son fondateur.


elle l'Apôtre sile qu'ils cherchaient dans l'épiscopat. Chry-
Les talents, les vertus d 'Héraclide, et surtout sostome les plaignaiten les condamnant; aussi
l'amitié de Chrysostome, sou modèle et son leur promit-il son intervention près de l'empe-
maître, le dévouèrent à la persécution. Frappé reur pour les sauver des fonctions qu'ils re-
des mêmes calomnies, il tomba sous les mêmes doutaient, et il émit le vœu que les héritiers
coups. La faction qui arracha Jean de son siège d'Antonin fussent condamnés à la restitution
jeta Héraclide en prison, et lui fit expier, par des sommes indignement perçues. Ce fut aussi
une longue captivité, l'affection d'un grand l'avis du concile, qui, tempérant la justice par

homme et sa noble fldélité à l'Eglise et au laclémence.après avoir déposé les malheureux


malheur. simoniaques, après les avoir dépouillés des in-
L'ordinationd'Héraclideétaitàpeinefaiteque signes du sacerdoce, leur permit la communion
ce malheureux Eusèbe, excommunié comme dans avec le clergé '. Les con-
le sanctuaire
calomniateur d'Antonin, se présenta de nou- damnés acquiescèrent à ce jugement, souscrit
veau et demanda à être rétabli sur son siège, par soixante-dix prélats et accueilli avec joie
^8'engageant à fournir la preuve immédiate et par les catholiques de la province. Après quoi,
irrécusable des simonies imputées à certains procédant suivant les canons, on mit à leur
de ses collègues. Le concile, fatigué de cette hi- place des hommes d'une renommée sans tache,
deuse affaire et voulant eu finir, procéda à l'au- pieux, savants, dévoués, dignes d'être regardés
dition des témoins. Six évoques comparurent comme les disciples de Chrysostome et d'être
sous l'inculpation honteuse d'avoir acheté leur persécutés avec lui.
ordination ils essayèrent de nier mais les
:
; Ainsi finit cette déplorable affaire, si long-
témoignages à charge furent si nombreux, si temps le scandale de l'Asie et la désolation de
précis, si accablants, qu'ils se décidèrent à faire Jean, où néanmoins il est impossible de mécon-
les aveux les plus complets. « Oui, dirent-ils, naître qu'il n'ait signalé égalemeiit sa mode-
nous avons donné de l'argent, c'est certain, et ration, sa vigueur et sa sagcsse'.Ses adversaires
nous n'avons été ordonnés qu'à ce prix mais ; étaient de mauvaise foi quand ils l'accusèrent
nous pensions que tel était l'usage, et nous plus tard de précipitation, de violence, d'avoir
n'avions en vue que d'échapper aux charges outrepassé par orgueil sa juridiction et déposé
curiales. Et maintenant, si cela se peut, laissez- seize évêques en un seul jour. PrccipitalioD,
* Ptl ad., ditl., c U , Sczooi., I. 8, c. 6. • Ptihi; dial., e. U. — • TUIem., t. U, p. 168.
3^8 liiS'iOIKE DE SÀiiNT JEAN CHRYSOSTOME.

'ans une affaire qui traînciil depuis tantôt deux ^ues; Sozomène parle de treize condamnés et
ris, entamée par un concile, terminée par un dégradés, soit dans la Lycie et la Phrygie, soit
'itre, où rien n'avait été décidé qu'avec le dans l'Asie proconsulaire et la métropole d'E-
.imcours de vingt-deux évêques d'abord, de phèse ' ; et Socrate dit que, dans ce voyage,
,siix;intc-dix ensuite! Violence, quand lui, Chry- beaucoup d'églises furent ôtées aux Novatiens,
Rtstomej avait tout fait pour arrêter la plainte aux Quartodécimans et à d'autres*. Admettons
sur les lèvres du dénonciateur, pour étouffer la vérité de ces assertions s'ensuit-il que ces :

dans son principe cette honteuse affaire et lui prélats aient été déposés à la hâte, dans le
ûter du moins son éclat; quand toutes les me- même jour, sans jugement, sans l'intervention
sures adoptées avaient été discutées, délibérées de l'autorité compétente? Condamnés dans le
dans une assemblée nombreuse, intîcpendante, concile d'Ephèse ou par celui de leur province,
vénérable, après vérification des faits, audition à la demande de Chrysostome, ne l'ont-ils pas
et confrontation des témoins, aveu libre et pu- été légitimement? Quel crime peut-on faire à
blic des coupables, et qu'il avait été le premier Jean d'avoir provoqué la déchéance de treize
à implorer la clémence du concile en faveur ou de quinze pasteurs indignes de l'être, à
des condamnés, à leur promettre son interven- moins que ce crime ne soit le respect pieux
tion près de l'empereur ! « Violence, s'écrie qu'il inspirait, l'ascendant de son génie et de

Pallade en faisant allusion aux indignes traite- ses vertus sur ses collègues, et cette influence
ments infligés àChrysostomeparceux-làmêmes morale subie de tout le monde sans être im-
qui l'accusaient, violence El qui donc a versé 1 posée à personne? Dans tout cela, qu'y a-t-il
une larme? Qui perdit une goutte de sang? Qui qui ressemble à une usurpation de pouvoirs ou
fui chassé de sa maison? Qui fut condamné à l'ambition de dominer?
à payer une obole d'amende ? Quelle toile Du reste, Jean n'était pas au bout de ses la-
d'araignée fut déchirée? Et, au contraire, y beurs il continuait à semer sa route des mé-
;

eut-il dans la province d'Asie un ouvrier, un contentements sous lesquels il devait succom-
laboureur, un homme du peuple qui n'apprît ber. A peine, en effet, quitlait-il Ephèse, béni
avec plaisir ce qui avait été fait à Ephèse pour du peuple et du clergé, qu'une autre affaire
l'honneur des saints canons et du sacerdoce ? non moins fâcheuse lui tombait inopinément
Là où c'est Dieu qui agit, ajoute-t-il, tout se fait sur les bras et l'appelait en Bithynie. D'unani-
avec douceur et patience' ». Mais en quoi sur- mes réclamations s'élevaient contre Géronce,
tout l'orgueil de Jean, son désir de domination, évêijue de Nicomédie. Jean le chassa de l'église,
comme disaient ses ennemis, l'entraînèrent-ils ditSozomène crûment'; mais nous ne pouvons
hors des limites de sa juridiction ? Etait-ce pour mettre en doute que, pour en venir là, il n'ait
servir son ambition que vingt-deux prélats se convoqué, comme à Ephèse, le concile de la
trouvaient réunis à Constanlinople, et qu'Eu- province ', peut-être même celui de tout le

scbe vint le saisir d'une plainte terrible contre diocèse du Pont' auquel appartenait la Bithy-
JVntonin? Sortait-il de sa juridiction en prési- nie. Voici l'histoire de ce Géronce : Diacre de
dant l'assemblée des évêques chez lui, ou en Milan sous saint Ambroise, il cultivait les scien-
cédant aux instances du clergé d'Ephèse et de ces occultes et la magie. Soit qu'il fût victime
la province d'Asie, ou en proposant au synode d'une hallucination, soit qu'il voulût mysti-
provincial un choix qu'il pouvait repousser et fier ses auditeurs, il raconta qu'il avait pris
qu'il ratifia? N'est-ce pas le concile tout entier dans la nuit un onoscélide, c'est-à-dire un dé-
qui fit l'ordination d'Iléiaclide, qui jugea les mon jambes d'âne, qu'il lui avait rasé la tête
à
prélats accusés de simonie, les convainquit, les et l'avaitjeté dans une huche. Indigné de sem-
déposa? Il se peut que d'autres jugements aient blables discours dans la bouche d'un homme
été prononcés dans la même assemblée contre consacré à Dieu, Ambroise lui enjoignit de
d'autres prévaricateurs. Pallade le nie de la rester chez lui et de faire pénitence; mais l'in-
manière la plus formelle*. D'autre part, s'il discipliné diacre s'enfuit à Constantinople, où,
faut admettre comme vrai le témoignage du
prêtre Philippe à Chalcédoine", le saint pontife ' Sozom., 1. 8, c. 6. — ' Socr., 1. 6, c. 10 et 15. — ' Sozom., 1.
8,
c. 6. — '
Tillem., t. 11, p. 169 ; Stillitig., t. 4, sept., n. 735.
Jean, étant en Asie, aurait destitué quinze évè- * Oo que, daDS la laogue admini&iralive romaiDo, le mot (ft'o-
sait
eèse signifiait une graode circonscription territorial*; gouvernée pat
' PaUad., dial., in fin. — ' Pallad,, dial., c. U. — • Conc, Cale. un vicaire de l'empire. C'haque diocèse civil renfermait plusieura mé«
Labb., t. 4. Uopoles ct;gIii6i«i)ii<^ueB. l<'eai^ite était dlvieé eo quatorze diocèsti.
CHAriTRE TRENTIÈME. 35»

menant à profit des connaissances plus ou hèle, la mère des dieux, tous ses enfants*.
moins étendues dans de guérir, il exerça
l'art Cependant cent jours s'étaient écoulés, et le
la médecine. Adroit, insinuant, d'une grande peuple de Constantinople attendait son pasteur
souplesse, beau parleur, il se créa des protec- avec impatience. Jean, dont la loyauté le trom-
tions puissantes à la cour, et obtint l'évcché de paitsouvent, avait faitla faute de confier en son
Nicomédio. Hellade de Césarée en Cappadoce, absence le ministère de la parole à Séverien,
exirque de tout le diocèse du Pont, lui conféra évêpie de Cabales en Syrie, homme disert et
l'épiscopaf en reconnaissance de quelques ser- faux, (jui avait capté son estime pardesempres-
vices rendus par Géronce à son fils. L'ordina- sements hypocrites et les austères dehors sous
tion de cet homme était une violation flagrante lesquels il masquait son ambition. Le méchant

des lois ecclésiastiques; Anibroise s'en plaignit et cupide personnage avait vu Antiochus de
à Nectaire, le suppliant d'épargner à son auto- Ptoléma'is exploiter dans la ville impériale une
rité et à l'Eglise un
grand affront et de faire
si certaine célébrité d'orateur et s'enrichir parla
procéder à la déposition de Géronce. Mais la prédication. Digne émule d'un tel collègue, il
bonne volonté et tous les efforts de Nectaire accourut à Byzance pour y chercher, lui aussi,
échouèrent contre l'opiniâtre attachement du la fortune dans l'apostolat. C'étaient deux hom-
peuple de Nicomédie pour l'évèque médecin ; mes faits pour s'entendre. L'évèque de Cabales
car c'est ainsi qu'il s'était posé, et, soit char- connaissait assez bien le texte sacré et l'expli-
latanisme, soit science réelle, il avait une quait avec bonheur mais il n'avait pu se dé-
:

vogue prodigieuse ; la ville ne voulait pas se barrasser entièrement de son accent syriaque,
passer d'un si habile guérisseur. La clameur ce qui lui donnait une infériorité vis-à-vis de
indignée de tout ce qu'il y avait de vrais chré- son rival, doué d'un beau son de voix et qui
tiens et de prélats dans la province, peut-être plaisait quelquefois jusqu'à se faire applaudir.
la prière de Vénérius, qui occupait alors le Les gens sans goût comparaient le vaniteux
siège de saint Ambroise, obligèrent Chryso- déclamateur au grand apôtre de la seconde
stomeàintervenir; et, sa vigueur faisant ployer Rome. Les quelques homélies qui nous restent
toutes les résistances, Géronce fut déposé. Pan- de Séverien et de lui, écrites d'un style préten-
sophius, qui fut nommé à sa place, avait été tieux et sec, peuvent fournir un témoignage
précepteur de l'impératrice, et sa douceur, sa précieux dans la chaîne de la tradition catho-
piété, son instruction devaient lui concilier lique, mais au point de vue de l'éloquence elles
tous les esprits. Il en fut autrement les habi- : ne donnent qu'une pauvre idée des deux pré-
tants de Nicomédie ne parlaient quedeGéronce, dicateurs. Leur caractère, du reste, n'avait pas
de son obligeance, des cures mervi illeuses plus de consistance que leur talent. Frivoles,
qu'il avait opérées; ils le réclamaient à grands mondains, unissant l'insolence à la servilité,
cris, et, comme en un temps de calamité pu- avides de bruit et d'intrigues, plus avides d'ar-
blique, ils firent des processions pour obtenir gent, ils s'étaient attiré de la part de Jean des
de Dieu la grâce de conserver au milieu d'eux avis fraternels, dont la modération et la cha-
le plus indigne pasteur il fallut les contrain-
: rité ne les empêchèrent pas de se ranger parmi

dre à recevoir Pansophius '. ses plus furieux ennemis. Isidore de Peluse les
Ce fut là pour notre saint une nouvelle source appelle des apostats; Pallade, des mercenaires:
d'ennuis; les colères s'accumulaient mais s'il ; les théâtres eux-mêmes, ajoute celui-ci, ont
recueillait, chemin faisant, d'implacables ini- retenti de leurs scandales.
mitiés, il recueillait aussi en plus grand nom- Toutefois, à l'époque de notre récit, Séve-
bre les bénédictions de la piété et de précieuses rien affectait une déférence profonde pour Jean,
consolation'. Partout, sur sa route, les popula- qui, généreux jusqu'à la naïveté, se croyait
tions chrétiennes se montraient heureuses de aimé comme il aimait, et cédait volontiers sa
levoiretdemandaicntàl'cntendre. Son voyage tril)une à cette espèce d'aventurier. Séverien
fut une œuvre d'apostolat. Non -seulement il fit s'était fait ainsi une certaine réputation à la
revivre par de sages réformes des églises dé- cour; l'empereur se plaisait à l'entendre. Prê-
faillantes, mais il eut le bonheur d'amener au tre sans conviction, courtisan sans honneur,
vrai Dieu une foule d'idolâtres. Proclus dit toujours prêt à s'aplatir (.1 à vendre sa bassesse,
qu'en traversant la Phrygie, il arracha à Cy- il fut vile apprécié d'tudoxie et s'avança daQ9

* tozom., I. », c. 6.
' Prcxt »ral. o. 21.
300 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

ses bonnes grâces. Les prêtres mécontents, les votre foi, je savais que ma fiancée était chaste.
prélats jaloux, les grands, les richesque bles- Un moment j'ai été malade, et, loin de m'en
sait la parole de Chrysostome, tous ceux qu'of- inquiéter, plein de confiance, j'ai attendu de
fusquait sa renommée vantaient à outrance la vous ma guérison. Mon retard même, loin de
rliélorique mielleuse de Séverien. 11 se croyait vous nuire, a tournée votre avantage.... Com-
lui-même un admirable orateur; et c'est pour- ment vous feral-je comprendre le bonheur que
quoi, abandonnant à son diacre l'administra- j'éprouve ? J'en appelle à votre propre cœur,
tion de son diocèse, il passait presque toute vous que je vois heureux de mon retour.... Et
l'année à Constantinople pour y prêcher, c'est- en effet, si la présence d'un seul homme comme
à-dire pour profaner la chaire évangélique en moi [leut faire tant de plaisir à tout un peuple,
exaltant l'humilité par vanité, le mépris des comprenez- vous tout ce q ueje dois éprouver de
richesses par avariceK II couvrait, sans doute, plaisir en vous revoyant? Jacob se sentit rajeu-
d'une excuse honnête cette absence coupable nir sous le poids des années en retrouvant son
de son église, puisque Jean l'accueillait chez fils; et moi, je retrouve ici des milliers de fils

souvent à prêcher.
lui et l'engagea qui me sont très-chers, je retrouve mon para-
Les amis de notre Saint ne virent pas sans dis, bien meilleur que l'ancien paradis
douleur qu'au moment de partir pour son Mais je vous dois le compte du temps que j'ai
voyage d'Asie il eût livré sa chaire à Séverien. passé loin de vous; car si vous envoyez quel-
Mais sa grande âme était inaccessible à la dé- que part votre serviteur et qu'il se retarde,
fiance; rien ne pouvait la corriger de sa loyauté. vous demandez l'explication de ce retard. Or,
L'indigne évoque de Cabales exploita ce noble je suis votre esclave, moi vous m'avez acheté
; ;

défaut. Mais s'ilavait compté que son éloquence non pas à prix d'argent, mais par votre atTec-
; et je me plais à ma servitude, je souhaite
apprêtée et vaniteuse ferait oublier la bouche tion
dor, sa déception dut être grande. Le peuple de n'en être jamais affranchi, je la trouve plus
habitué à la parole puissante de son pasteur, à belle que la liberté. Et qui ne serait heureux
cette parole riche dans sa simplicité, ne prêta
si de vous servir, de servir des amis tels que
qu'une attention distraite auxdiscours étudiés, vous? J'aurais une âme de pierre, que vous
subtils, mesquins de son prétentieux suppléant. l'auriez rendue aimante et généreuse! Que
Tous les cœurs étaient tournés vers Eplièse : dirai -je de l'accueil que vous me fîtes hier, de
ce fut pour la masse des fidèles une véritable ces cris qui montaient au ciel avec votre joie,
affliction de ne pas célébrer la pâque avec Jean. sanctifiant l'air lui-même et de la cité faisant
Son retour causa des transports de joie. Dès un temple? Dieu con-
était glorifié, l'hérésie
qu'il parut à l'ambon, il s'exprima ainsi, au fondue, l'Eglise couronnée; car c'est une grande
milieu d'un concours immense : joiepour une mère que la joie de ses fils, c'est
a Moïse, ce grand serviteur de Dieu, le chef uue vive allégresse pour le pasteur que l'allé-
des prophètes, l'homme incomparable, quitta gresse de ses agneaux ». '

son peuple quarante jours, et le trouva, quand Puis, il loue la piété de son peuple, la fer-
il revint, occupé à forger des idoles et livré à meté de sa foi et sans faire allusion u Séverien
; :

la sédition. Moi, je me suis absenté, non pas « Le troupeau sans le pasteur, dit-il, a re-
quarante jours, mais plus de cent, et je vous poussé les loups ; les matelots, sans le capi-
retrouve fidèles à notre divine philosoidiie et taine, ont sauvé le navire ; les soldats, sans le
persévérants dansla crainte de Dieu. Est-cedonc général, ont remporté la victoire; les disciples,
que veux m'élever au-dessus de Moïse? Ce
je sans le docteur, ont fait des progrès ». S'excu-
serait d'une démence extrême. Mais mon peu- sant ensuite de n'avoir pas célébré la pâque
ple vaut mieux que le peuple juif. Aussi, en au milieu des siens, il dit que la pâque a lieu
descendant de la montagne, le législateur des toutes les fois qu'on mange le pain du Sei-
Hébreux n'avait sur ses lèvres que des repro- gneur, et qu'ainsi elle estconsommée toujours,
ches, et moi j'arrive pour distribuer deséloges toujours célébrée. 11 poursuit en ces termes :

et des couronnes.... Et quoique je sois resté a Mais j'entends ce que vous Beau- me dites :

loin de vous plus de temps que je ne voulais, coup ont été baptisés sans toi ? Eh bien qu'en !

je ne saurais m'en repentir,carje comptais sur concluez-vous? Est-ce que le don de Dieu a été
k solidité de votre afifection, sur l'intégrité de amoindri? S'ils n'ont pas été baptisés en ma
' TiUam,, t. Il, p, 174. 'Chijs., t. 3, p. 4n,BB.
CHAPITRE TRENTIEME. 361

présence, ils en présence de Jésus-


l'ont 6té Le ciel rcsplendi'îsait encore sur sa tête, mais
Christ. donc l'homme qui baptise ?
Est-ce le sol était miné sous ses pas; et, quelque in-
L'homme tend la main, mais c'est Dieu qui la crédule qu'il fût au mal, quelle que fût sa
dirige. Garde-toi, cher auditeur, de douter que noble insouciance de lui-même, la conduite de
la grâce ne soit le don de Dieu. Or, fais bien Séverien dut lui inspirer de tristes réflexions.
atlenlion à ce que je dis Si après avoir im- : Averti parson diacre descoupables manœuvres
ploré pour une cause quelconque un diplôme de son collègue, en fut plus humilié pour le
il

impérial, tu viens à l'obtenir, tu ne cherches sacerdoce que troublé pour lui-même. S'il faut
pas à savoir avec quelle plume, avec quelle en croire Socrate, cette circonstance précipita
encre, sur quel papier l'empereur a signé ; tu son retour; cependant il n'y eut alors aucune
ne t'enquiers que d'une seule chose : si l'empe- explication entre Séverien et lui. Le bonheur
reur a signé. Ainsi, dans le baptême, le papier de retrouver un peuple Adèle et aimé absorbait
c'est la conscience, la plume c'est la langue du en ce moment toute autre pensée.
prêtre, la main qui signe c'est la grâce du A quelque temps de là, l'évêque de Cabales
Saint-Esprit. Soit par moi, soit par un autre passait devant Sérapion qui était assis; celui-ci,
remplissant les fonctions sacerdotales, c'est la soit préoccupation, soit affectation, ne se leva

main invisible qui écrit; nous sommes les in- pas pour le saluer. Séverien en fut tellement
struments, non les auteurs de la grâce piqué, qu'il s'écria hors de lui-môme Si Sé- :

Rien donc ne peut troubler ma joie. Je suis rapion meurt chrétien, le Verbe de Dieu ne
heureux, et j'implore vos prières avec lesquel- s'estpas incarné. Cette malheureuse parole fut
les je suis parti pour l'Asie, avec lesquelles j'ai si connue dans la ville, elle y eut un tel
vite
eCTectué mon retour, avec lesquelles j'ai tra- retentissement, que le peuple indigné menaça
versé la mer et navigué sans malheur je ne ; de se soulever si le blasphémateur n'était puni.
suis pas entré dans ma barque, je n'en suis pas Il était impossible à Jean de ne pas connaître

sorti sans vous dans la cité ou dans l'église,


; de cette affaire. Séverien, accusé devant lui,
je n'étais pas sans vous; emporté loin de vous avoua le propos qu'on lui imputait, et préten-
par le corps, je vous restais uni par le cœur. dit le justifier par la forme conditionnelle de
Telle est la nature de la charité aucune en- : son assertion. C'était toujours un serment dé«
ceinte ne l'emprisonne; même sur les flots je plorable dans la bouche d'un évêque. L'intri-
vous voyais, j'assistais à vos assemblées, j'étais gant prélat n'avait pas la conscience de saint
debout devant l'autel, j'offrais vos prières, et Louis; mais Jean avait la sienne, et il ne put
je disaiè Seigneur, conservez IJéglise que vous
: agréer une pareille excuse. Il rompit toutes re-
m'avez donnée.... —
Or, il m'a exaucé, et cette lations avec le délinquant. Socrate, que ses
multitude d'auditeurs me le prouve. Je vois la préjugés de secte aveuglent souvent, va jus-
vigne fleurir, aucunes ronces les
et n'aperçois ; qu'à dire qu'il le chassa de la ville, comme si

brebis sont libres, et le loup ne paraît nulle le gouvernement de la ville lui eût appartenu;
part, ou s'il s'est montré, il change de nature Ce qui paraît plus vrai, c'est que le peuple ir-
et devient brebis.... Pendant que j'étais en rité s'emporta contre l'évêque de Cabales, qui
Asie, travaillant à des réformes nécessaires, prit le sage parti de traverser le détroit et de se
des gens qui nous arrivaient d'ici me disaient : retirer à Chalcédoine. L'impératrice, dont il
Tu as enflammé la ville ! Certes, toutes les af- flattait les passions, le rappela aussitôt ; mais
fections se refroidissent avec le temps; la vôtre Jean ne lui rendit pas sa communion. Ce fut
augmentait tous les jours. Et puisque vous alors, toujours au dire de Socrate, qu'Eudoxie
m'aimiez ainsi en mon absence, je crois que vint trouver l'archevêque dans l'Eglise des
vous m'aimerez mieux encore présent au mi- Apôtres, et, plaçant sur ses genoux son jeune
lieu de vous. Voilà mon trésor. Voilà pourquoi fils Théodose qui n'avait encore que quelques
je réclame vos prières elles sont pour moi un
; mois, le supplia, par le sourire et l'innocence

boulevard, une forteresse ». de cet enfant, de faire grâce à un collègue trop


Nous avons voulu ne rien ôfer de cette pater- humilié. L'empereur intervint aussi en faveur
nelle etfusion. Elle nous montre sous son vrai du prélat courtisan. Mais ce récit a peu de vrai-
jour l'art oratoire de Chrysostome, ou plutôt semblance ', et il est plus croyable que Séve-
' D'ailleurs, ceci s'ct passé après les pâqaei de l'an 400, comma
ga tendre charité, qui fut souvent tout son art. si

il est plus raiBOouablt d« l'admettr*, Tbéodoae D'étalt pas né. (SUt-


Du reste, c'est ici son dernier chant de joie. tlog, p. 550.)
362 HISTOIUE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

rien luî-mêine, sur le conseil de l'impératrice, prince. Il faut, en effet, obéir aussi aux rois,
désarma par l'expression de son repenlir la surtout quand eux-mêmes obéissent aux lois de
juste colère de Clirysostome, et oblint, au l'Eglise.... Et maintenant, ajouta-t-il, si j'ai

moyen de protestations qui lui coûtaient peu, disposé vos âmes à accueillir ma demande, re-

la réconciliation qu'il implorait. Le généreux cevez, je vous en prie, notre frère Séverien ».
du passé et son affection:
pontife promit l'oubli Le peuple étonné fit un signe d'assentiment,
grande âme, toujours fermée aux soujjçons, et l'orateur poursuivit :m J'ai la grâce que j'im-

toujours ouverte à la confiance, toutes ses fau- plor.iis, puisque mon discours obtient vos ap-
tes, s'il en et tous ses chagrins vinrent de
fit, probations. Vous me faites cueillir le fruit de
sa loyauté, sublime infirmité de cette nature 1 l'obéissance; c'est maintenant que je me félicite
Il fit plus, il plaida lui-même devant le |ieuple d'avoir semé le bon grain Que le Seigneur 1

la cause de Séverien, et ce fut pour son élo- vous rende le prix de votre bonté, la récom-
quence un nouveau triomphe. Ce discours pense de votre soumission Vous venez d'offrir 1

mérite d'être connu. à Dieu la véritable hostie de la paix, puisque ce


a De même, dit le charitable orateur, que le nom que j'ai prononcé, loin d'exciter le trouble,
corps doit être uni à la tête, ainsi l'église doit a été accueilli avec charité, et qu'à ma parole,
être unie au prêtre et le peuple au prince ; et vous avez banni de vos âmes toute colère. Re-
comme l'arbre à sa racine et le fleuve à sa cevez donc Séverien de bon cœur, à bras ou-
source, ainsi les enfants au père et les disciples verts. S'il s'est passé quelque chose de fâcheux,
au maître. Ce n'est pas sans dessein que j'em- n'y pensez plus ; car oîi la paix se fait, il ne
ploie ce préambule, mais à cause de ce que je doit plus rester vestige des dissentiments an-
vais dire, afin que mes paroles n'excitent aucun ciens, afin qu'ainsi la joie soit au ciel, la joie

trouble, n'éprouvent aucune interruption, et sur la terre, la joie et le bonheur dans l'Eglise
que par une plus parfaite obéissance vous me de Dieu. Et prions pour qu'à l'avenir le Sei-
montriez davantage votre filiale affection.... gneur daigne garder son Eglise dans la paix,
Parez-moi, mes enfants, couronnez-moi de une paix fixe et perpétuelle en Jésus-Christ 1 »
votre obéissance. Faites que tout le monde me Ce vœu ne fut pas exaucé. La réconciliation
trouve heureux. Glorifiez mes enseignements àlaquelle le peuple et le pontife se prêtaient de
par votre soumission, selon cette parole de l'A- si bonne grâce n'eut qu'une durée éphémère ;

pôtre Obéissez à vos chefs, parce qu'ils veil-


: cependant Séverien en accueillit la nouvelle
lent sur vous et qu'ils rendront compte de vos avec bonheur, et le jour même il fut admis à
âmes. Je suis votre père et j'ai des conseils à la synaxe. Il y.vint du moins le lendemain, et
donner à mes enfants; je suis votre père, et je parut à la tribune sacrée ; son discours a le
tremble tellement pour mes enfants, que je mouvement d'un hymne, sans en avoir la vraie
suis prêt à verser mon sang pour vous.... Je chaleur; on n'y sent pas le souffle de l'âme.
débute ainsi, afin d'obtenir de vous une atten- « Aujourd'hui, dans la
s'écria-t-il, l'Eglise est
tion bienveillante et affectueuse, et que per- paix, et les hérétiques sonten colère; aujour-
sonne ne commence à se troubler. Je parle d'hui, les brebis de Dieu sont en sûreté, et les
d'une chose digne d'être dite ici, digne d'y loups enragent ;aujourd'huilepenple du Christ
être écoutée : je parle de la paix, de la paix triomphe, et les ennemis de la vérité sont hu-
pour laquelle le Fils de Dieu est descendu sur miliés; aujourd'hui le Christ est dans la joie,
la terre, pour laquelle il a souffert, il a été cru- et le démon dans le deuil. Qu'est-il besoin de
cifié et enseveli, qu'il nous a léguée comme tant de discours? Aujourd'hui le Christ, le roi
son héritage.... Ne me faites pas rougir, ne de la paix, a dissipé tous les dissentiments,
déshonorez pas mon ambassade auprès devons, apaisé toutes les agitations , fait disparaître
acquiescez à mes demandes, je vous en prie. toute discorde ; et comme
splendeur du so- la
De tristes choses ont eu lieu dans le sein de leil illumine les cieux, ainsi la splendeur de
l'Eglise. Je confesse Dieu, mais je ne loue pas la paix illumine l'Eglise. Oh! qu'il est aimable
n'aime pas les séditions. Lais-
les désordres, je le nom de la paix, ce fondement de la religion
sons de côté tout cela apaisez-vous, calmez
: et de l'autelde Dieu I.... Hier notre père
vos esprits, réprimez votre colère. L'Eglise a commun a parlé de la paix dans son discours
souffert; c'est assez. Que cette agitation finisse; évangélique, et il nous a reçu dans ses bras

c'est le moyen de plaire à Dieu et de contenter le par la parole de la paix; aujourd'hui c'est moi
CIIAriTRK TRENTE-UNIÈME. 363

qui vions, le cœur dilate, les mains étendues, Ce pâle et froid discours était-il sincère? N'é-
porter au Seigneur l'offramle do la paix. Ainsi, tait-il qu'une trahison de plus? Socrate prétend
toute guerre a cessé, la beauté de la paix l'em- que, malgré ces belles protestations, les deux
porte. Ecrions-nous avec les Anges Gloire à : prélats conservèrent l'un contre l'autre * une se-
Dieu au plus haut des deux, et paix sur la crète animosité. Cela est faux de Clirysostome,
terre aux hommes de bonne volonté! Mais sur- dont la noble franchise et la charité débor-
tout méfions-nous des artifices du démon nous ; daient dans ses œuvres et dans ses paroles.
les avons trop éprouvés. Il avait vu la fermeté Quant àSéverien, sa conduite ultérieure auto-
de notre foi, notre stabilisé assise sur la piété rise à tout croire d'un homme pTcil. Quoi qu'il
des dogmes et abondante en fruits de bonnes en Jean refoulait dans le lointain de son
soit,
œuvres et, à cause de cela, il est entré eu fu-
; esprit les pressentiments et le- Joutes, s'il en
reur, s'est déchaîné contre nous, il a tout fait
il avait, pour ne croire qu'au b' nheur et à l'es-
pour rompre l'amitié, pour arracher la charité, pérance. Mais les nuages s'am'ncelaient à l'ho-
pour détruire la paix. Mais que la paix du Sei- rizon et l'orage montait.
gneur soit désormais avec nous I o < Socr., 1. 6, c U, aliat 10.

CHAPITRE TRENTE-UN1È:vîE.

Jmd Mtif une église en l'honnenr des saints Martyrius et Marcianni. — Epltrês aui Thessaloniciens. — Saint Porphyre k Con-
iMDtinople. — L'inachorète de Rhodes. — Mauvais vouloir de la cour. — Baptême de Ttiéodose Jeune. — Destruction des
le
teisplet de Gau. — Commentaire eui le livre des Actes.

Rendu à l'atTectlon de son peuple, au recueil- fureur homicide, qui donna tant de martyrs à
lement du sanctuaire, le pontife reprit ses tra- la cause du Verbe éternel, s'était surtout achar-
Taux apostoliques avec d'autant plus de hâte, née contre deux jeunes hommes, à la foi ar-
que les agitations des derniers temps, les périls dente, au cœur intrépide, Martyrius et Marcia-
de la cité, les alarmes de la cour, les malheurs nus, l'un sous-diacre, l'autre lecteur, et il avait
du sacerdoce, et les voyages commandés par la essayé de les tuer par la calomnie avant de les
charité avaient rendu ses prédications plus tuer par le bourreau. La vénération des ortho-
rares. Celte fois, ce furent les deux épîtres de doxes vengea leur innocence et consacra eur
saint Paul aux Thessaloniciens qui fournirent mémoire. Dieu lui-même sanctionna, par les

le texte de ses discours. Cependant le soin des prodiges opérés surleurtombe, les pieux hom-
pauvres, la tutelle des hôpitaux, le gouverne- mages rendus à leurs cendres '. Cette tombe,

ment du clergé, les sollicitudes d'une adminis- où ils reposaient tous les deux ensemble, entou-
tration délicate et chargée de détails lui lais- rée comme un autel, était d'autant plus chère
saient peu de temps à donner aux livres divins ;
au peuple, que plusieurs, parmi les anciens,
à peine pouvait-il paraître à sa tribune une fois avaient connu les martyrs et recueilli leurs der-
ou deux tous les mois '. Il s'occupait d'ailleurs niers adieux. Jean répondait aux vœux de tous
à doter la ville impériale d'un nouveau monu- en dédiant une église à ces deux héros de Jé-
ment religieux. sus Christ, au lieu même oiî leur sang avait
Nous avons raconté comme l'impie Macédo- coulé pour la foi. Il en jeta les fondements;
nius était parvenu à travers des flots de sang mais, quelque ardeur qu'il mît à pousser les
au trône épiscopal de la seconde Rome, et par constructions, il n'eut pas la consolation de la
qui;Is excès de cruauté il s'y était maintenu. Sa terminer. Elle ne le fut que sous le règne do
Uu}>., Uotn. 3, tiu U !'• aux Tbeu4l. • So20m., I. i, c. 2 et i.
HISTOIRE DE SAINT JEAN cHRYSOSTOME.

Théodose le Jeune, pendant l'épiscopat de Si- superbes mausolées afin que la posTérité puisse
sinnius. Célèbre sous le nom d'église des deux dire : C'est un tel qui a fait cela. Toi, dote la
notaires ', elle était située hors des murs ; et contrée d'un oratoire, il t'en reviendra plus
cette circonstancenous rappelle combien Chry- d'honneur élève un autel à Dieu, et ta renom-
;

sostome avait à cœur de multiplier les maisons mée durera jusqu'à l'avènement du Christ..,.
de prière à la campagne, dans l'intérêt des fer- Que c'est bon d'entrer dans l'église en se disant
miers, des colons, des paysans encore idolâtres qu'on l'a bâtie, d'assister, après un sommeil de
ou livrés à la plus affreuse ignorance. quelques heures, aux hymnes de la nuit et du
« Voyez, disait-il aux riches propriétaires, matin, d'avoir le prêtre pour commensal, de
\oyez ce que vous faites pour augmenter vos jouir de sa bénédiction, de voir toute la contrée
revenus, pour embellir votre demeure. Pour accourir près de lui Voilà vraiment le mur
1

l'âme de vos serviteurs, vous ne faites rien. Que qui enclôt, voilà la garde qui protège ton do-
vos champs soient attaqués de mauvaises her- maine; voilà le champ dont parle l'Ecriture, le
bes, vous arrachez, vous brûlez, vous vous hâ- champ que Dieu a béni, le champ plein de
tez de délivrer la terre de cette peste ; que Ter- fleurs qui embaument l'air. Ce qui rend doux
reur et le vice pullulent parmi les malheureux le séjour à la campagne, c'est le calme, c'est le

attachésàlaculturede votre domaine, peu vous profond repos q u'on y goûte ajoutez au charme ;

importe. Et vous ne tremblez pas en songeant de la nature celui de la religion, qu'y aura-t-il
au comptequi vous sera demandé Ne faudrait- 1 de comparable ? Une villa enrichie d'une église
il pas que chacun de vous fît bâtir une église et ressemble au paradis de Dieu point de cris, :

pourvût à l'instruction de tous ces gens-là? point de tumulte, aucune division, aucune hé-
Avant tout, vous devez vous proposer de les résie; tous les cœurs ont la même foi, vous ne
amener au Christianisme. Mais comment votre voyez que des amis. Le calme disposant à la
colon se fera-t-il chrétien, s'il vous voit négli- sagesse, le médecin des âmes aura plus de faci-
ger votre salut? Vous ne pouvez opérer des pro- lité à guérir la tienne. Ailleurs, il a beau parler,
diges pour le convaincre; employez du moins le bruit de publique couvre sa voix ;
la place

les moyens de persuader qui sont à votre dis- ici, tout ce qu'il dit se grave dans les cœurs.

position : la douceur, la bienveillance, l'huma- Les champs et lui feront de toi un autre
nité. Plusieurs construisent à grands frais des homme Arrange d'abord un petit local en
places publiques, des bains somptueux ; con- guise de temple ; ton successeur ajoutera un
struire une église, nul n'y pense; tout plutôt portique; un autre, après lui, autre chose; et

que cela. l'œuvre entière te sera attribuée. Commence


Je vous le demande comme une grâce, je donc, jette fondements que dis-je? encou-
les ;

vous l'impose comme un ordre qu'aucun de : ragez-vous les uns les autres, rivalisez à qui
vous n'ait une villa sans qu'elle soit pourvue fera mieux Pour trouver une chapelle, tes
d'une église.... Si tu as de l'argent à distribuer serviteurs sont obligés d'aller à mille stades, ils
aux pauvres, consacre-le plutôt à l'œuvre que sont condamnés à un vrai voyage. Quelle excel-
je te conseille : aumône.
ce sera la meilleure lente chose ce sera d'avoir à ta portée la maison
Entretiens dans ton domaineun instituteur, un de la prière, et l'hommede Dieu qui l'invoque
diacre, quelques prêtres Ta villa sera com- tous les jours en faveur de la villa et de ses ha-
blée de bénédictions. Quels biens couleront de bitants ! N'est-ce rien que ces invocations sans
làl Est-ce peu, à ton avis, que ton cellier soit cesse renouvelées? N'est ce rien que ton nom
béni ? Est-ce peu que Dieu reçoive les prémices prononcé au saint sacrifice? Tn n'entendras
de tes récoltes? Rien, d'ailleurs, n'est plus pro- plus parler de vol ni d'homicide; une sécurité
pre à maintenir la paix entre les colons. La pré- parfaite ; les terres seront mieux cultivées,
sence d'un prêtre vénéré au milieu d'eux con- les corps plus vigoureux, tous les maux écartés.
tribuera à la sécurité de tout le pays. Tous les Le bonheur résultant d'un tel état de choses ne
jours, des prières seront adressées au Ciel pour peut être expliqué par des paroles; l'expérience
toi ;
pour toi aussi, tous les dimanches , aura le démontrera ' ».
lieu la sainte oblation. Que d'autres élèvent de Revenons aux travaux exégétiques de Chry-
sostome il commentait alors les deux lettres
;

* Sozom., I. 4, c. 2 et 3 ; 30 ; Ducang., Con-


Nicéphor., I. 9, c.
de saint Paul à l'Eglise de Thessalonique. On
stanlinopotis Christian. 1. 4, p. 130. Les deux marlyrs avaient été
potaires de eaint Paul, évéque de Coostantiiiople. CbijB,, lui les Act., Bom, 18,

/"
CHAPITRE TRENTE UNIÈME. 36S

sait que le grand Apôlre l'avait lui-mênie apostasie et la Tenue de l'Antéchrist. Mais
fondée, et que, contraint de s'enéloigner pour lorsque, signalant f homme de péché, Venfant
échapper aux fiUTurs des Juifs, mais conservant de perdition qui viendra s'opposer à Dieu, s'é-

toujours une paternelle affection pour celte lever (lu-desstis de tout ce qid est appelé Dieu,
comniunaulé naissante si précieuse à son cœur, jusqu'à établir son trône dans le temple de
il avait envoyé Tiinolliée acliever l'œuvre inter- Dieu, s'y montrer comme Dieu, il ajoute : Vous
rompue et fortifier dans la foi des néoplijtcs savez ce qui empêche qu'il ne vienne, jusqu'à
qu'il regardait comme ses Gis. Le disciple, de ce qu'il paraisse en son temps; et un peu plus
retour auprès de son maître alors à Corinthe, bas Le mystère d'iniqtdté se forme déjà, at-
:

rendit un compte satisfaisant de la ferveur des tendant seulement pour se manifester que ce
nouveaux Chrétiens, et, dans leur intérêt, ré- qui le retient maintenant ne soit plus ', l'Apô-
clama du grand docteur quel(|ues explications tre s'enveloppe à dessein d'une sage mais impé-
sur des points de doctrine agités parmi eux : nétrable obscurité. «J'avoue franchement, dit
parexemple, la résurrection des morts et l'avé- saint Augustin, ne rien comprendre à ce lan-
ncment du Seigneur. Paul, cédant à ses désirs, gage'».
adressa de Corinlbe aux Thessaloniciens cette Chrysostome est moins circonspect; avec
admirable épître, regardée par Chrysostome d'autres exégètes, il pense que saint Paul dési-
comme le premier écrit sorti de la plume gne ici l'empire romain. Au sort de celui-ci, en
inspirée de l'Apôtre. effet, l'opinion générale de cette époque atta-

Noble effusion d'une grande âme! On y res- chait le sort même du monde. Or, l'empire
pire dans sa pureté divine l'esprit du Christia- s'écroulait. Les Barbares étaient aux portes de
nisme, le souffle du Ciel qui venait purifier et Rome, impuissante à les repousser. D'épouvan-
\ivifier la terre. En célébrant avec bonheur la tables fléaux, s'accumulant les uns sur les
foicourageuse de sesbien-aimésdisciples, qu'il autres, ajoutaient à la consternation des âmes
appelle sa gloire et sa joie, l'Apôtre recommande et faisaient croire à l'imminence du plus terri-
avec autorité la constancedans les épreuves, le ble des événements, a Personne mieux que
respect de soi-même, la sainteté du mariage, nous, s'écriait saint Ambroise, ne peut rendre
l'horreur du mal, dont l'apparence même est témoignage àla vérité des parolesdivines, nous
redoutable, l'obéissance aux pasteurs, l'amour qui assistons à la fin des temps. Quelles guerres
du travail et du devoir, la charité fraternelle, épouvantables I Quelles sinistres nouvelles des
et, ce qui renferme tout le reste, la communion théâtres divers de la guerre I Les Huns se pré-
incessante de l'âme chrétienne à Jésus-Christ, cipitent sur les Alains, lesAlainssurles Goths,
source de grâce et de vie. Mais l'enseignement les Goths sur les Taïfales et les Sarmates
capital de la lettre, c'est la résurrection des Aux sanglantes horreurs de l'invasion se joi-
morts, dont celle du nouvel Adam est le fonde- gnent les horreurs de la famine, etde cruelles
ment et le gage; il en établit le dogme, et, à épidémies moissonnent les hommes et les ani-
celte occasion, il parle de l'avènement final du maux. Des villes qui n'ont pas vu l'ennemi sont
Seigneur en ternies voilés qui furent mal com- aussi dépeuplées par la peste, aussi malheu-
pris des Thessaloniciens. De là, parmi eux un reuses que des villes prises d'assaut. Oui, le

grand trouble, par la pensée que l'on touchait monde touche à sa dernière heure, et voilâtes
à la catastrophe suprême. Des imposteurs, sous maladies qui la précèdent. La maladie du
le nom de prophètes, entretenaient ces craintes monde, c'est la famine la maladie du monde, ;

en publiant de fausses révélations et des lettres c'est la peste ; la maladie du monde, c'est la
supposées de saint Paul. Pour confondre les persécution'». Amesure qu'approchait l'année
uns, pour rassurer les autres, l'Apôtre écrivit 400, ces sombres pressentiments agitaient da-
aux fidèles désolés de Thessalonique une se- vantage les cœurs. Saint Martin, allant plus loin
conde épître qui suivit d'assez près la première, que saint Ambroise, croyait que l'Antéchrist
dont elle est le complément, et dans laquelle, était déjà né et qu'il entrait dans l'adolescence *.
renouvelant avec plus de force les reconunan- Chrysostome avait partagé les craintes univer-
dations déjà faites et surtout l'injonction du selles par rapport à la dernière année du siô-
travail, enseigne que l'avéncment du grand
il

juge n'est pas si proche, et qu'il doit être pré- ' Ail Thfsinl., II, c. 2, v. 3. \, etc. — ' S. Ane., de Civit. Dei
I. JU, c. 19. — ' S. Anibr., in iuc, I. lu, u. lu, l. 1, p, p, 1506. ^
cédé par deux siyues aulhenliiiucs : une grande '
Sulfiil. Scvèr., diiil. 11, c. 16.
366 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

cle '
et, bien qu'il ait assez vécu pour être
;
et ma sœur ». Pour confondre ces adorateurs
'

détrompé de son erreur, ildemeureconvaincu, du néant, autant que pour consoler de pauvres
avec Lactance, avec saint Jérôme, avec saint fidèles que désole la mort de leurs proches,
Cyrille, que le monde nesurvivraitpasà l'em- saint Paul écrivait ces lignes si souvent com-
pire, et que, sur les ruines de celui-ci, l'Ante- mentées par les docteurs du Christianisme Si :

clirist allait paraître. « C'est là, dit-il, ce (]ue Jésus-Christ est mort et ressuscité, DieuressuS'
l'Apôtre insinue par ces paroles : Qiiecehii qui citera avec Jésus -Christ ceux qui se sont en.'
tient maintenant, tienne jusqu'à ce qu'il sorte. dormis avec lui *.
S'ils'exprime avec peu de clarté, c'est pour Chrysostome a parlé plusieurs fois sur ce su-
n'êlre pas accusé de faire des vœux contre un jet, soit dans des discours spéciaux, soit dans

empire qui passait pour éternel ' ». son commentaire sur la première épître aux
Mais l'esprit ferme et pratique de Jean se dé- Corinthiens, jamais sans doute avec l'étendue
tourne vite des questions oiseuses et des débats et l'éclat de TertuUien dans son brillant traité

stériles. 11 craint trop de dérober à la charité de la Résurrection de la chair, mais toujours


ce qu'il donnerait à la curiosité, et c'est pour- avec éloquence. Orateur et pasteur plus que
quoi, ici comme ailleurs, il s'attache de préfé- controversiste, il voit les besoins de son audi-
rence à l'enseignement des devoirs. Ce com- toire, et sa grande affaire est de le prémunir
mentaire, composéde seize homélies, se ressent, contre des objections qui courent la rue et
comme rédaction, de la multiplicité d'affaires troublent des esprits incultes et peu réfléchis.
et de sollicitudes qui remplissaient la vie du Quelques mots rapides, mais profonds, lui suf-
pontife mais on y trouve toujours la beauté
; fisent pour établir les vrais principes de la doc-
pure de la doctrine, cette abondance de cœur, trine, le point de départ de toute argumentation
cette splendeur de parole, ces admirables mou- solide en cette matière. « Si le corps humain
vements qui caractérisent l'illustre orateur. Il ne doit pas ressusciter, l'on n'a pas d'ave-
y revient sur la recommandation déjà faite d'é- nir au-delà du tombeau. Car l'homme n'est pas
carter des lèvres de l'enfance la coupe empoi- seulement une âme, il est corps et âme à la
sonnée des livres païens; il y attaque de nou- fois et si Dieu n'a réservé la vie immortelle
;

veau, avec la même vigueur, l'égoïsme des qu'à l'âme, il faudra dire qu'il s'est occupé seu-
riches et la licence du théâtre, où des femmes lement de la moitié de l'homme, et que
nues se montraient sur la scène aux regards de l'homme, considéré dans l'intégrité de son être,
tout un peuple; et, malgré des redites et des a été de nul prix àsesyeux'B.Cependantcelui
négligences, ilesttoujoursdignede lui-même, qui a fait le reste des créatures par une parole
soit qu'avec une humilité convaincue il se re- de commandement Fia?, lorsqu'il s'agit de :

commande aux prières de ses ouailles, soit créer l'homme, prend conseil en lui-même,
qu'avec un délicieux abandon il décrive le appelle en quelque manière àson secours^, et,

charme céleste d'une amitié chrétienne. Mais, comme allant produire un ouvrage d'une plus
à l'exemple de l'Apôtre dont il explique le texte, haute perfection, il s'écrie Faisons l'homme. :

c'est sur le dogme de la résurrection des morts Et d'abord, il forme le corps ; il le forme en y
qu'il insiste. mettant lui-même la main, en moulant entre
Bien que le Christianisme, en se levant sur le ses doigts la boue d'où il le tire, en lui donnant
monde, eût dissipé les nuages qui voilaient aux ce noble visage qui doit être un jour celui de
regards de l'homme ses immortelles destinées, son Quant au souffle qui va vivifier cette
Fils.
il se trouvait encore, même sous le règne de argile, c'est, pour ainsi parler, son propre souf-
l'Evangile, de ces malheureux esprits asservis fle, une âme faite à son image, participante de

au mal, qui, pour justifier leur propre dégra- la vie de Dieu, que Dieu rendit capable de le
dation, dégradent volontiers lanaturehumaine, connaîtreetdel'aimercommelui-mêmes'aime
et, ne sentant plus palpiter dans leur cœur le et se connaît. Mais corps et âme, ces deux élé-
souffle de la vie supérieure, s'honorent de n'a- ments delà vivante unitéqui s'appelle l'homme,
voir, conune la brute, d'autre avenir que le ces deux parties d'un tout que le Créateur a re-
tombeau. Ils ont dit « à la pourriture Vous : gardé comme son œuvre capitale, ont été faits
êtes mon Père ; aux vers Vous êtes ma mère : l'un pour l'autre le corps pour l'âme, 1 amo
:

' Cbrys., //cm. ii, sur S Jean. — ' Cbr;;., «ur I« 2»*ai Thcn., ' Job., c. 17, ?. 14. - ' I ad T/ieisaltn., «. 4. — ' dhiyi., t.

p. 434. BB. — • Bossue», Eléïit., 4« eeoitiDe, 5» ilir.


CHAriTRE TRENTE UNIÈME. 367

pour lecorp5 ; et l'âme raisonnable a pu dire à pôlre, si Jésui^-Christ est incapable d'arracher à
son divin auteur, selon liossucl: a Comme vous la mort notre humanité, il n'a pu davantage lui
m'avez faite immortelle en me créant à votre arracher la sienne; et s'il n'a pas triomphé de
image, vous m'avez aussi approprié un corps la mort par sa résurrection, il n'a pas triomphé
si bien assorti avec moi, que notre paix et notre du péché par sa mort; nous restons sous l'an-
union seraient éternelles cl inviolables si le tique anathème, et le mystère de la Croix est
péché venant entre deux n'eût troublé cette cé- anéanti. En vain nous nous élevons aux plus
leste harmonie' 1 » De là, ces paroles du livre liantes vertus, en vain nous nous immolons
de la Dieu n'a pas fait la mort ; Dieu
Sagesse : pour la vérité ces nobles cœurs où la grâce
;

a créé l'homme immortel ; c'est par l'envie du versa ses trésors, qu'un Dieu abreuva de son
diable que la mort s'est introduite dans le sang, où palpitaient les plus généreuses pen-
monde : et celles-ci de saint Paul : La mort est sées, d'où sortirent les plus touchants prodiges
le salaire du péché ; le péché est entré dans le de la charité, d'où la virginité exhalait vers le
monde par un seul homme, et la mort par le ciel SCS suaves parfums, où furent accomplis,
péché. La mort n'est donc qu'un accident dins comme sur un autel sans tache, les plus subli-
la destinée de Ibomme, mais un accident qui mes holocaustes, ces grands cœurs des martyrs,
ne peut anéantir àjamais les desseins et l'œuvre des apôtres, des vierges, sœurs de Marie, chastes
de Dieu. Le règne du péché flni, celui de la épouses du Christ, n'ont pas plus de valeur, aux
mort finira. Par sa mort sur la croix, le Verbe yeux de l'éternelle et infaillible justice, que l'in-
fait chair, ayant détruit le péché auteur de la fâme cœur d'un Néron et la chair souillée
mort, a détruit la mort. Son sang divin coulant d'une Messaline. Le monde dresse des statues à
du Calvaire a pénétré nos âmes et nos corps ses grands hommes Dieu jette à la voirie le ;

d'une nouvelle vitalité nos âmes, en leur com- : corps des siens. Non, non mais celui qui a 1

muniquant la sainteté de Jésus-Christ nos ; ressuicité Jésus- Christ d'entre les morts, vivi-
corps, en leur assurant, non pas l'incorruptibi- fiera nos corps mortels '
; la mort qui a tout dé-
lité primordiale, mais, ce qui vaut mieux, le truit jem détruite à viendra un temps la fin »
; il

droit de participer un jour à la résurrection de où l'homme, fils de larésurrection*, vainqueur


Jésus-Christ etc'estainsiqu'en JésusChristet
; du tombeau, fleurira éternellement comme un
par Jésus Christ, toutes choses, au ciel et sur la lis debant le Seigneur * et il sera vrai de dire : ;

terre, ont été rétablies dans l'ordre et suivant que la grâce a été plus abondante que le pé-
les vues adorables de l'amour éternel. Niez la ché ', que Jésus-Christ est bien, suivant sa pa-
résurrection des corps, et il faudra dire que le role, larésurrection et lavie, &[. que. qw conque
Fils de Dieu, en s'unissantànotre nature, a pu croit en lui ne peut être victime de la mort à
en prendre la caducité, sans pouvoir lui com- jamais '.

muniquer sa vie ; il faudra dire qu'après avoir Telles sont, dans leur ensemble, les consi-
épousé et déiûé la chair de l'homme, il n'a pu dérations que Chrysostome fait valoir dans
em|)êcher que, traitée comme la chair des bru- plusieurs discours. Mais, nous l'avons dit, ce
tes, elle ne fût jetée pour toujours à la pourri- qui l'occupait le plus, ce sont les sophismes
ture et aux vers ; il faudra dire que, venu sur la vulgaires opposés çàet là au dogme fondamen-
terre et immolé sur le gibet pour donner suite tal de la résurrection des corps ; il en redoute
au plan divin de son Père, il y a échoué que ;
l'impression sur le peuple, et il y répond,
le premier Adam a infligé à l'humanité un dé- comme Athénagore et TertuUien, par les frap-
sastre que le second n'a pu réparer; que Satan pantes analogies de ce grand mystère avec les
a fait mentir Dieu, qu'il l'a défié dans sa gloire, phénomènes les plus connus de la nature. Sans
qu'il lui a dit : Tu voulais la vie, j'ai créé la doute il ne laitpas entendre ce cri sublime de
mort, je l'ai posée comme une barrière à ton Bossuet : « chair 1 j'ai eu raison de le dire,
empire, et tu ne la franchiras jamais; et enfin en quelque endroit de l'univers que la corrup-
que l'œuvre de la rédemption, lœuvre par tion te jette et te cache, tu demeures toujours
excellence de la sagesse et de la puissance infi- sous la main de Dieu Et toi, terre, mère tout !

nies, le grand mystère de l'amour, n'est qu'une ensemble et sépulcre commun de tous les mor-
tels, en quelques sombres retraites que
tu aiea
œuvredéfeclueuseet tronquée, une œuvre illu-

soire. Cir, et c'est ici le laiàouueuical Je l'A- - ' Ibid. - ' S. Luc, c. 20. - '
Oli»,

I ad Cormth., c. 15.

' Bow., u u, p. m. e. 11. - Ai '


iiom., «. 5, Y. 20. — ' Joinn., c. U.
3Gâ HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

englouti, dispersé, recelé nos corps, tu les L'infatigable orateur en était là tfe son exé-
rendras tout entiers 1 ' » gèse sacrée, si féconde en pieux résultats, et la
Le langage de Chrysostome estbeaucoup plus cour, blessée de la liberté de son zèle, lui fai-

simple « Les hommes, dit-il, qui ne croient


:
sait sentirson mauvais vouloir, lorsque l'évê-
pas à la résurrection, ignorent ce que c'est que que de Gaza, saint Porphyre, vint réclamer son
Dieu. Lui est-il plus difficile de rendre la vie à intervention près d'Arcadius contre les secta-

ce qui ne l'a plus, que de la tirer du néant? — teurs obstinés des idoles. Né à Thessalonique
d'une familleopulente et chrétienne. Porphyre
I
Mais cet homme, dit-on, qui, dans un nau-
frage, englouti par les flots, fut mis en pièces avait cultivé, de bonne heure, avec succès les

par les poissons, lesquels, après s'être partagé lettres humaines. Maisle Ciel l'avait doué d'une

leur proie, ont été dévorés eux-mêmes par de ces âmes profondes où l'idéal divin a tant
d'autres poissons, comment reprendra-t-il les de splendeur que rien de terrestre ne peut ar-
parties diverses de sa chair divisée et dispersée rêter leur regard ni fixer leur sublime inquié-

en mille lieux divers? Comment cette pous- tude. Le souffle mystérieux qui emportait au
sière, mêlée à tant d'autres poussières, se ras- désert tant de nobles cœurs dégoûtés du monde,
semblera-t-elle pour se ranimer de nouveau et altérés de Dieu, l'arracha, lui aussi , à sa famille

devenir un homme? — Que dis-tu, insensé, et à la fortune, et le conduisit, à peine âgé de

et pourquoi tresser ainsi cette chaîne de niaise- vingt-cinq ans, dans la solitude renommée de
ries? Ecoute ce qu'enseigne l'Apôtre Toute : Scétis. Cinq ans s'écoulèrent ainsi dans l'holo-
vie naît de la corruption et de la mort. Vois ce causte des sens, dans les délices de l'âme; mais,
figuier qui étale a tes yeux la richesse de son à cette distance de la Palestine, le vent de la
feuillage, cette vigne qui te charme par la mer lui portait chaque jour quelque émanation

beauté de ses fruits : tout cela est venu d'une de ces lieux privilégiés où le Verbe fait chair
graine jetée dans la terre oiî elle s'est pourrie ;
avait vécu au milieu des hommes, qu'il avait
et si elle n'y avait pourri, il n'en serait rien foulés de ses pieds, arrosés de ses larmes, ani-
sorti. Comment cela se fait-il? Comment la més de sa voix, consacrés de son sang. Il voulut
goutte d'eau qui tombe du ciel sur la terre de- retremper sa ferveur aux sources de la foi,
vient-elle tout à la fois la sève, le tissu, la aspirer au Calvaire même l'esprit de l'Evangile.
feuille, le fruit, la saveur de tant de plantes De Scétis il passa à Jérusalem, adora les traces
diverses? Comment s'opère, dis-le-moi, cette du Sauveur, et, tout plein de son image, i]
transformation si multiple? Rends-moi raison traversa le Jourdain, n'emportant avec lui que
de ces phénomènes tu ne le peux. Quedis-je?
: le livre des Ecritures, et s'enfonça dans le Dé-

considère ta propre existence. Comment un sert encore ému des accents de Jean-Baptiste.
germe invisible a-t-il produit ce visage, ces Une grotte connue des aigles seuls et des anges
yeux, ces mains, ce cœur? Comment sont-ils fut sa demeure pendani cinq ans.
sortis de là ces nerfs, ces veines, ces artères, ces De précoces maladies, fruits d'une excessive
d'un
os, ces cartilages, ces parties si délicates austérité, le ramenèrent à Jérusalem, tellement
tout compliqué, où se montrent d'innom-
si abattu par la souffrance qu'à peine pouvait-il
brables différences de figure, de grandeur, de se traîner, à l'aide d'un bâton, jusqu'à l'église
distance, dequalité,deforce, dénombre, d'har- bien-aimée qui renfermait la grande relique
monie Qu'y a-t-il de plus inexplicable que tout
? de la Vraie-Croix. Là, prosterné devant ce tré-
cela? Et pourtant tu n'en doutes pas! Qu'est- sor sans égal qui paya la rançon du monde, il
ce, d'ailleurs, que la vie de l'homme, qu'une passait de longues heures à savourer, dans une
succession continuelle de morts et de résurrec- ardente prière, les souvenirs sublimes et tou-
tions ? Oîi est allé le premier âge de la vie ? chants de la Rédemption.
D'oïl est venu celui qui la termine? Comment Un jeune voyageur, un de ces hommes qui
se fait-il que ce vieillard, incapable de se ra- venaient chercher aux lieux où naquit l'Evan-
jeunir lui-même, engendre un jeune enfant et gile une pensée visible qui les transportât, de
donne à un autre ce qu'il ne peut se donner? ce monde de souillure et de honte, dont le
C'est l'ordre établi de Dieu. Or, quand Dieu se spectacle navrait leur cœur, vers un monde de
met àl'œuvre, il faut bien que tout lui cède '!...» lumière, de justice et d'amour, remarqua Por-
phyre et résolut de s'attacher à lui pour ne plus
*6o8suel, serm. sur la léBurreoi. — '
Chry3.,8ux la U« auxTbess.,
fiom. 7, le quitter, Marc, c'était son nom, devint le dis-
CHAPITRE TRENTE-UMÈME. .•)G9

ciple el l'ami de celui dont il était l'admira- sternes devant l'auguste relique, prièrent long-
tt'iir, dont il Dès le
devait èlie l'iiistorien. temps, les yeux baignés de larmes; puis la ren-

début de leur liaison, il lui prouva son dé- fermèrent pieusement dans son écrin d'or, dont
vouement en courantà Tliessalonique réclamer ils portèrent les clefs au pontife, et, après avoir

la part qui revenait à Porphyre dans l'héritage reçu de celui-ci une dernière bénédiction, ils
de sa famille mais l'homme d'abnégation qui
;
partirent.
avait brisé tous les liens de la terre pour courir Arrivé à Césarée le samedi soir. Porphyre
plus vile sur la route du ciel, n'avait désiré et trouva les fidèles de Gaza qui l'attendaient et qui
n'accepta les trésors qu'apportait son ami que s'emparèrent de lui. On le garda à vue comme
pour avoir le plaisir de s'en dépouiller une fois un i)risonnier dont on redoute l'évasion, et le
encore et de les distribuer, de sa propre main, lendemain on le traîna à l'autel oîi, malgré sa
aux pauvres et aux monastères. Le dépouille- résistance et ses pleurs, il subit l'imposition des
ment fut si complet, la distribution si bien mains. La pauvre église qu'il allait gouverner,

faite, qu'il ne resta rien au généreux disciple isolée et sans appui au sein d'une ville cor-
du Christ, pas même le strict nécessaire ; et, rompue, dernier asile du polythéisme, n'avait
comme il ne voulait pas vivre aux dépens de jamais pu dominer les oppositions haineuses et
son ami, qui gagnait à copier des livres plus violentes qui l'entouraient et rendaient tout dé-
que pour ses besoins, il se mit à fabriquer des veloppement de sa part impossible. Sous Julien,
chaussures, pour avoir de quoi subsister. Du elle avait vu' le temple du Christ mis en cen-

reste, ce qu'il lui fallait pour cela ne pouvait dres, ses vierges, ses prêtres fouettés, égorgés,
être d'un grand prix, car il ne mangeait qu'une jetéseu pâture aux animaux immondes. Et
fois par jour, au coucher du soleil, et cet uni- maintenant, sous des empereurs chrétiens,
que repas se composait de pain, de quelques après les édits de Constantin et de Théodose,
herbes, d'un peu de vin, à quoi il ajoutait, les les sacrificesaux faux dieux étaient encore cé-
jours de fête, de l'huile, du fromage et des lébrés dans les temples de Gaza, tandis que les
fruits. vrais adorateurs du Très-Haut, honnis et ba-
Cependant ilavait miraculeusement retrouvé foués, avaient moins de liberté pour leur culte
sa santé et l'évèque de Jérusalem, digne ap-
;
que sous les règnes impies des Galérius et des
préciateur d'une vertu trop éclatante pour Maximin. Au moment où Porphyre en prit pos-
restersous le boisseau, l'avaitélevé au sacerdoce session, son église comptait à peine trois cents
et chargé de garder la Vraie-Croix, lorsque fidèles, y compris les femmes et les enfants, et

l'évèque de Gaza vint à mourir. Les membres pourtant elle avait eu pourévêques de grands
de celte communauté chrétienne, la plus ché- Saints.
tive qui fût au monde, ne pouvant se mettre Le nouveau pontife opéra d'abord quelques
d'accord sur le choix d'un pasteur, en référèrent conversions, et ce pieux succès lui valut un re-
unanimement à Jean de Césarée, leur métropo- doublement de colère de la part des païens, qui
litain, le suppliant de leur donner un chef in- avaient acheté la connivence du gouverneur et
trépide et capable de lutter avec succès contre ne gardaient plus de mesure. Porphyre nour-
la les écrasait. Jean jeûna et pria;
tyrannie qui rissait au fond de son cœur l'ambition du mar-
et, au bout de trois jours Dieu lui ayantinspiré tyre, et supporta tout avec une résignation que
le nom de Porphyre, il le demanda à l'évèque tout le monde autourde lui n'imitait pas. Mais
de Jérusalem, comme un homme dont il avait ni sa douceur, ni le charme de sa parole, ni sou
besoin pour éclaircir quelques passages diffici- admirable charité, rien ne pouvait désarmer le
les des Ecritures. De son côté, l'humble prêtre fanatisme haineux des idolâtres de Gaza. Sous
disait à Miirc étonné et affligé a Mon frère, : ses yeux, on insultait ses enfants, on rouait de
allons visiter les saints lieux une fois encore, coups ses diacres. A bout de patience, le petit
allons adorer la Croix, nous ne les reverrons troupeau réclamait à grands cris la protection
de longtemps, car le Seigneur m'est apparu et impériale, à laquelle on croyait avoir droit. Le
m'a Rends le trésor que je t'avais confié
dit :
;
pasteur désolé ne fit que céder aux vœux de
je veux te donner une épouse indigente et mé- son peuple en s'adressant au chef de l'Etat.
prisée parmi les hommes, mais belle et riche Marc fut donc envoyé à Constant! nople avec des
à mes yeux soigne-la bien, car
: elle est ma lettres pour Chrysostome. Nous avons raconté
iœnr », Et le maître et le disciple, s'étant pro- Sowm., I. »,c. 15; Tbdod., L 3, c. 3 ; Gceg. .Viz., 3, ofat.3,

Tome i. 24
370 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

déjà comment rintervention, alors puissante l'impératrice l'a irrité contre moi à cause des
de celui-ci obtint pour son collègue de Palestine
,
reproches que j'ai dû
pour une terre lui faire

des rescrits qui ordonnaient la fermeture im- qu'elle convoitait et qu'elle a usurpée. Leur co-
médiate des temples et surtout du sanctuaire lère m'inquiète peu ils se font plus de mal
;

renommédeMarnas. Malheureusement l'exécu- qu'ils ne peuvent m'en faire au contraire, ils ;

tion des ordres de cour fut éludée par l'offi-


la servent les intérêts de mon âme. Mais laissons
cier même qui en était chargé et, grâce à sa
;
tout cela à la divine bonté. Quant à notre res-
•vénalité, la démarche du saint pontife n'aboutit crit, s'il plaît au Seigneur, j'appellerai demain

qu'à irriter encore plus les ennemis du nom l'eunuque Amantius, attaché à la personne de
chrétien. Les choses en étaient à ce point, qu'il l'impératrice, et qui jouit auprès d'elle d'un
suffisait d'être compté parmi les adorateurs du grand crédit c'est un vrai serviteur de Dieu,
:

Christ pour être exclu des charges de la cité et et lorsque je lui aurai exposé ce dont il s'agit,
de la protection des lois. Le disciple de l'Evan- il s'emploiera pour vous avec zèle.

gile, dépouillé de ses droits de citoyen, n'avait « Ayant dit ces mots, il nous recommanda à

plus aucune sécurité dans cette ville exception- Dieu, et nous sortîmes. Le jour suivant, re-
nelle. venus chez lui, nous le trouvâmes avec Aman-
Porphyre découragé s'accusa lui-même de tius, qu'il avait déjà entretenu de notre affaire

l'insuccès de ses efforts, et se rendit à Césarée et mis dans nos intérêts. A peine celui-ci nous

pour y déposer entre lesmains du métropolitain eut-il aperçus, qu'il se leva, s'inclina profondé-
le douloureux fardeau d'un ministère, à l'effi- ment et adora les très-saints évêques. Alors,
cacité duquel il croyait que ses péchés seuls fai- sur l'invitation de Jean, Porphyre lui raconta
saient obstacle. Cette démission, inspirée par la conduite des idolâtres, leur audace impunie
un du bien, ne fut pas agréée
désir trop vif ;
et tout ce que nous avions à souffrir de vexa-
Jean consola son frère, ranima son courage, et tions et d'outrages '. Amantius nouspromit son
il fut convenu entre les deux prélats, qu'ils intervention et de nous faire introduire le len-
iraient ensemble à Constantinople implorer un demain après quoi, il prit congé des prélats,
;

secours nécessaire. Les pieux voyageurs, après et, lui parti, nous restâmes longtemps à parler

dix jours de navigation, relâchèrent à Rhodes, de choses spirituelles avec le très-saint arche-
oîi vivait un ascète célèbre, auquel la contrée vêque Jean. Nous allions le revoir tous les
tout entière attribuait l'esprit de prophétie et jours et nousjouissions avec bonheur de sesen-
qu'ils voulaient consulter, a Allez avec assu- tretiensplus doux que le miel ».
rance, leur dit l'homme de Dieu, et rendez- Le chambellan tint parole, et grâce à lui, les
vous d'abord auprès du saint évêque de By- pieux solliciteurs furent admis près d'Eudoxie
zance pour prendre ses avis et prier avec lui. qu'ils trouvèrent assisesur un riche sopha. Elle
Eudoxieluienveut, et il ne pourra vous suivre les salua la première, demanda leur béné-
à la cour pour y plaider votre cause. Mais il diction, et s'excusa de ne pas se lever à cause de
vous recommandera à un homme de bien, sa grossesse avancée. Ils lui racontèrent la
chambellan de la princesse, lequel vous intro- persécution des idolâtres poussée à ce point que
duira près d'elle; et comme elle est enceinte et les Chrétiens n'avaient plus même la liberté de
dans son neuvième mois, assurez-la qu'elle va cultiver leurs terres pour acquitter envers l'E-
mettre au monde un fils ». tat la dette sacrée de l'impôt. L'impératrice
ûuelquesjoursaprès,(Jhrysostomeaccueillait répondit: Ne vous abandonnez point àlatris-
avec une cordialité respectueuse les nobles visi- mes Pères j'espère que Dieu me donnera
tesse, :

teurs que la Providence lui adressait. L'anacho- de persuader à l'empereur de vous contenter ;
rète de Rhodes avait dit vrai. Mais laissons allez donc en paix, et priez Dieu pour moi. En
parler le bon diacre de Porphyre: « Nous expo- même temps, elle se fit apporter de l'argent, et
sâmes au archevêque l'objet de notre
très-saint leur en donna trois poignées en disant : Prenez
voyage; il que nous lui avions déjà
se souvint toujours ceci pour votre dépense. Ils le prirent;
fuit la même demande par lettres, et, m'ayaut mais avant de quitter le palais, ils en avaient
reconnu, il m'embrassa avec bonté et nous laissé la plus grande partie aux officiers qui
exhorta à ne pas nous troubler, mais à compter gardaient les portes.
avec confiance sur la miséricorde de Dieu. Il Arcadiusse montra moins facile qu'Eudoxie
ajouta Je ne puis parler à l'empereur, car
: • Eoll., t. 3, /-tir., p. 651, elc, d. 12, 43.
CHAPITRE TRENTE-UNIÈME. 371

n'avait espéré. Il craignait, en traitant sévère- l'oreille n'a pas entendues, que le cœur de
ment Gaza, une population irri-
d'indisposer l'homme n'a pas senties? Cependant nous nous
table et d'amoindrir une source de revenus. étions placés dans le vestibule de l'église, notre

L'inipcratriceQt part aux prélats, dans unese- supplique à la main, et dès que le prince fui
condeaudience,desobstaclesinattendusqu'elle sorti de l'eau baptismale, nous nous écriâmes :

rencontrait, et les exhorta néanmoins à ne pas Que votre piété nous exauce et nous lui pré- 1

se décourager. Ce fut alors que Porphyre se sentâmes l'humble requête ». '

souvint de l'ascète de Rhodes, et dit à la prin- Eudoxie avait tout arrangé pour le succès
cesse: Travaillez pour Jésus-Christ, et il vous de cet innocent stratagème. L'officier qui por-

donnera un fils. — Eudoxie rougit, tressaillit tait le jeune César lui fit pencher la tête, et
et s'écria : Priez Dieu, mes Pères, que j'aie un dit: Sa Majesté accorde ce qu'on lui demande.
fils, comme vous l'annoncez, et je vous
promets Arcadius voulait ménager Gaza, la ville opu-
de faire tout ce que vous désirez, et en outre lente, maisne pouvait dénier la première
il

de bâtir une belle église au milieu de Gaza. grâce accordée par un fils auquel il avait déjà
La prophétie ne tarda pas à se vérifier; car, donné la pourpre et l'empire. Il ratifia tout,
peu de jours après, l'impératrice accouchait et l'impératrice fit expédier au plus tôt le res-
d'un fils, auquel son père donna le nom de crit qui fixait les hésitations de son mari elle ;

Théodose et qu'il proclama César. L'heureux eut soin, d'ailleurs, d'en confier l'exécution à
événement annoncé aux provinces fut célébré un chrétien zélé, aussi inaccessible à la cor-
par des largesses impériales et de grandes fêtes. ruption qu'aux menaces.
Eudoxie, au comble de ses vœux, envoya qué- Les vénérables solliciteurs, après avoir cé-
rir, sept jours après ses couches, l'évêque qui lébré la pâque à Constantinople, reprirent, en
lui avait prédit son bonheur, le reçut à la pleurant de joie, la route de leurs diocèses, où

porte de sa chambre, et, l'ayant remercié avec le commissaire impérial ne tarda pas à les
cflusion, le pria de bénir la mère et l'enfant joindre. En quelques semaines , les idoles
par le signe de la croix ;
puis, elle lui conseilla étaient brisées, les temples abattus le sanc- ;

de dresser une requête et de la déposer dans tuaire de Marnas, devenu la proie des flam-
les mains du nouveau-né au moment où il mes, était remplacé par une église magnifique
sortirait des fonts baptismaux. en forme de croix, l'une des plus grandes
« En de Porphyre qui
effet (c'est le disciple qu'on eût vues jusqu'alors, et appelée VEudo-
parle), le jour arriva où le jeune empereur de- xienne, à cause d'Eudoxie qui avait envoyé,
vait recevoir le baptême. La ville tout entière avec le plan, l'argent pour la bâtir et des mar-
était parée et couronnée de soie et d'or, et de bres précieux, de superbes colonnes pour la
tantd'ornements que personne ne pourrait dire décorer. Cependant Chrysostome fit plus pour
combien elle était belle. Des flots de peuple l'Evangile que tous les décrets impériaux, en

en habit de fête se pressaient sur les places et dirigeant sur ces contrées des missionnaires
dans les rues, formant un incomparable ta- aussi nombreux qu'intrépides. Ceux-ci ne coû-
bleau par la richesse et la variété des couleurs. taient rien à l'empereur, et ils eurent à lutter
Les magistrats, les officiers de la cour por- avec un dévouement opiniâtre et cruellement

taient des vêtements blancs comme neige, d'une éprouvé contre l'obstination païenne , plu?
splendeur éblouissante. En tête marchaient les grande encore dans les villages et les hameaux.
patriciens, les illustres, toutes les dignités, Mais leur zèle ardent et pur triompha des obs-
tous les ordres militaires; tous ceux qui fai- tacles; les derniers vestiges du polythéisme fu-

saient partie du cortège tenaient à la main un rent effacés; les temples fameux d'Astarté à
(lambeau de cire allumé. Venait ensuite l'en- Sidon et de Vénus àByblos s'écroulèrent, et le
fant sur les bras d'un grand de l'empire, et à berceau de tant de mensonges devint un des
côté de lui l'empereur Arcadius, avec la pourpre plus beaux théâtres de la vérité.
et le diadème, le visage rayonnantde joie. Nous Tandis que l'évêque de Gaza abattait sous le
restâmes saisis la vue de tant de
d'admiration à coup des rescrits impériaux les temples et les
pompe, et saint Porphyre nous dit Si les choses : statues des dieux, celui de Constantinople pour-
passent vite ont un tel éclat, suivait dans les âmes une idolâtrie non moins
d'ici-bas qui si

que scra-ct^ au ciel des choses que Dieu prépare funeste et plus enracinée. Le rclâcliLnicnt des
ajx Pirceijj.lifiMtiiHI,
jjourscs élus, et que i'uuil n'a pas vues, que •
EcU., I 3 fil/-., p. 651, etc., a. 43 ; »oir
372 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

mœurs était porté bien loin dans la ville des avec une légèreté trop impertinente, que,pn»
Césars, même chez les Chrétiens, même dans de vin et endormi, il ferait mieux que cela *.
le clergé. Des prêtres, des évoques, au vu, au Il les traduisit cependant, et, après les avoir
su de tout le monde, achetaient les dignités de traduites, il en prit une autre opinion. Ce
l'église. Parasites des riches, dont ils parta- qu'il avait afflrmé, il ne l'exprime plus qu'avec
geaient les vices, leur tenue mondaine, les dé- hésitation et réserve : o Ce style, dit-il, concis
sordres à peine voilés de leur vie, leur obsé- et abrupte, semble étranger à Chrysostome et
quiosité servile et cupide vis-à-vis des grands, me fait douter : si toutefois les doctes croient
déconsidéraient l'Evangile aux ycux des philo- que cette œuvre est digne de lui, je m'en ré-
sophes et des païens on trouvait leur main dans
; fère à leur jugement, et volontiers je dépose
toutes les intrigues. D'autre part, la magistra- mes doutes ' »
ture était lâche et vénale, la cour corrompue et Or, le jugement des doctes, condamnant les
ignoble; les grands seigneurs, la plupart enri- soupçons d'Erasme, attribue unanimement le
chis parla délation et l'usure, absorbaient dans commentaire des Actes à Jean Bouche d'or. Cas-
l'oifiveté et l'orgie,des revenus qui eussent siodore, qui vivait un siècle après notre Saint,
été la fortune d'un peuple. Entourés d'adula- le cite sous son nom,composé de et le déclare
teurs, d'escliives, d'eunuques, de saltimban- cinquante-cinq homélies Jean de Damas ea '.

ques, ils avaient à peine un regard de pitié pour parle de la même manière avec les plus grands
les pauvres, dont le nombre, à Constanlinople éloges *. Les auteurs des Chaînes grecques, Ni-
seulement, dépassait le chiffre de cinquante cétas, OEcuméniuset autres, y puisent à pleines
mille. L'amour de l'argent légitimait tous mains pour enrichir leurs recueils, et Photius
les moyens de l'obtenir, même le brigandage. le préfère au commentaire de la Genèse, bien
Ce l'ut sous le poids de ces douloureuses pen- qu'il le trouve inférieur aux travaux du grand
sées, que Jean commença, à la pâque de cette orateur sur les épîtresde saint Paul. La lecture
année 401, l'explication d'un autre livre des de ces homélies révèle aux moins attentifs
Ecritures, celui des Actes. Il en avait touché qu'elles sont l'ouvrage d'un évêque; que cet
quelque chose dès les premiers temps de son évêque s'appelait Jean que le théâtre de son ;

ministère à Anlioche. Celle fois il reprit inté- ministère était la ville impériale, où l'on comp-
gralement ce travail, auquel il n'a pas consa- tait cent mille chrétiens et cinquante mille pau-
cré moins de cinquante-cinq homélies. On voit vres ;
que son peuple l'aimait d'une affection
que ce texte lui plaît, et qu'il est heureux d'op- ardente, et professait pour lui une admiration
poser aux défaillances dont il est témoin cet enthousiaste, trop souvent exprimée, dans l'é-

admirable tableau des prodiges d'abnégation, glise même, par les plus vifs applaudissements.
de fraternité, de sainteté que faisait éclore sous On voit, d'ailleurs, que l'auteur en question
ses pas le Christianisme naissant. Le commen- vivait à une époque rapprochée de celle des
taire du livre des Actes, de celte histoire si persécutions et des martyrs ; il cite les miracles
émouvante des travaux, des fatigues, des périls opérés sous Julien l'Apostat, à Jérusalem et à
des Apôtres pour planter la foi, devait être un Anlioche, comme des faits contemporains de
des beaux ouvrages d'un apôtre, d'un docteur sa jeunesse, et il raconte l'externiination par
comme Chrysostome. Malheureusement il n'é- Valens des philosophes et des adeptes de la ma-
dita pas lui-même ces homélies, et ceux qui gie, comme en ayant été témoin et presque
les ont publiées après son départ de Constanli- victime'. Or, à quel autre ce signalement est-il

nople, peut-être même après sa mort, sur les applicable qu'à Chrysostome ? Est-il possible
notes incorrectes et incomplèles des sténogra- de ne pas reconnaître l'illustre orateur dans
phes, avaient plus de bonne volonté que de lu- une œuvre où l'on retrouve ses locutions fami-
mières. Aussi, sous plus d'un rapport, ont-elles lières, ses procédés hahituels, ses fréquentes
été un objet de controverse pour les critiques, objurgations contre les abus caractéristiques

Erasme en contesta l'authenlicité: les ju- de son époque, sa douleur véhémente en pré-
geant d'un point de vue purement littéraire, et sence des fautes du clergé, sa sollicitude infa-
n'y trouvant pasl'ampleur, la méthode savante, tigable en faveur des pauvres, ses vœux et ses
la noble élégance la richesse splendide du
,

grand orateur, il déclara d'aboid qu'elles n'é- • Epist. ad Tons'nt. — '


Prrrfal. A^t. — * Cassioci., inslUui,
c, 9. — * Joitit. O^maac. de fid. orih., 1. 3, s. iS. — ' CIu}:>., bOi
taient pas de lui, et ne craignit pas d'avancer, lili Act. Houi. Jtf,
CHAPITRE TRENTE UNIÈME. 373

projets pour l'extinction de l'indigence, ses il ne peut être question ici du tremblement de
exhortations patlicf i(|iics, ses grandes vues mo- terre de 398, et nous ne voyons pas qu'il y en
de piété, et ces traits
rales, ses nobles effusions aiteu aucun en 399. Au contraire, une lettre
qui viennent du cœur et sont le fond de son de Synésius ' nous apprend qu'au moment où
éloquence? Quelque réels que soient les dé- il quittait ConstantinnpNîsous le consulat d'Aii-
fauts reprochés à ce livre, il renferme dans sa réiien, en 400, Dieu ébraidait et secouait la
prétendue pauvreté, suivant l'expression de ville, cequi portait les hommes émus à tomber
Savilius, de riciies (lions d'or et des beautés aux /lieds de Dieu pour le prier et le supplier.
qui n'app;irlit'nnent qu'à Chrysostome. C'est donc en 401, immédiatement après le
Tillemont a paru croire un instantquecene carême, ainsi qu'il l'indique lui-même*, que
sont là que des notes sur lesquelles le saint le saint docteur commença d'expliquer le livre
docteur se proposait de parler ou d'écrire le '
; des Actes.
plus rapide coup d'œil sur ces homélies dé- On remarqué que, contrairement à sa mé-
a
montre qu'elles ont été prononcées du haut de thode, donnait, dans ce commentaire, deux
il

la chaire, et presipie toujours uTiprovisées. explications de chaque passage du texte sacré.


Leur inipprfection tient uniquement à cette Pensait-il faire mieux connaître un livre trop
cause déjà sisrnalée, que, recueillies à la hâte peu connu de son auditoire? Mais la seconde
par les tachygrapiies, elles ont été données au explication est le plus souvent obscure et tron-
puljlic sans que l'orateur ait pu revoir, corri- quée. Ce qui est incontestable, c'est que ces
ger, développer la rédaction nécessairement homélies, bien qu'elles ne soient qu'un écho
incomplète et fautive de ceux-ci. Et cependant affaibli et confus de la parole de Chrysostome,
on a beau accuser le style d'être sec, dur, ha- la pâle silhouette de sa pensée, renferment en-
ché, l'exégèse d'être maigre, embarrassée, core assez de richesses et de beautés pour nous
chargéede redites, il est heureux que la crainte faire compiendre pounjuoi elles furent si fort

de publier sous un si grand nom une œuvre si goûtées et souvent applaudies à Constanti-
si

peu achevée n'aitpointarrété leséditeurs;plus nopie, alors surtout qu't-Ues sortaient lumi-
scrupuleux, ils eussent piivé la postérité chré- neuses et vivantes de la bouche de l'orateur.
tienne d'un inestimable trésor. Telles que nous les avons, à l'état d'ébauche,
On a discuté sur l'époque précise à laquelle elles sont une mine féconde de doctrine et de
il faut rapporter ce travail. B.ironius. sui^ipar piété; et. s.ms prétendre avec Billius qu'on ne
Stiitiiig. pense avec rnison qu'il futcommencé peut rien voir de plus beau, nous pouvons af-
à pàque de l'année 401. Tillemont' incline
la flrmer qu'elles révèlent presque à chaque page,
pour l'année 400; il croit qu'aux pâques sui- sinon le génie, du moins la grande âme de

vantes Chiysostome était en Asie. Mais le Saint Chrysostome.


nous donne lui-même, il nous semble, la date Des citations seraient superflues et nous écar-
de sa |irédicalion, car il dit dans l'homélie teraient de notre but. Toutefois, nous ne pou-
quarante-quatrième Voilà une durée de trois
: vons passer sous silence ce témoignage précis
ans pendant laquelle nous avons prêché, non en faveur de la primauté de saint Pierre, si
jour et nuit comme l'Apôtre, mais tous les trois évidente dans l'Evangile, si haut proclamée
jours, tous Us sipt jours. Or, il avait été con- par que Jean lui-même devjiit
la Tradition, et

sacré le 26 février 398: il ne pouvait donc tenir bientôt invoquer dans la personne du pontife
ce langage en 400. D'ailleurs, dans l'iiomélie romain comme son refuge suprême et son uni-
quarante et unième, il |)arle d'un tremblement que appui. Pierre, se levant au milieu des
de terre qui avait eu lieu l'année précédente. disciples, prit la parole, dit-il, parce que c'est à

«Alors, dit-il, les libertins, les débauchés, les lui que Jésus-Christ avait confié son troupeau :

hommes corrompus quittaient tout et de\e- le premier du chreur apostolique, c'est lui qui

naii nt pieux. Trois jours après, ils avaient re- parle toujours le premier... Faut-il donner un
pris leur ancienne malice «.Ces discours furent successeur à Judas, il préside à l'élection. Mais
donc prononcés un an après le terrible phéno- quoi ne pouvait il pas la faire lui-même? Cer-
!

mène qui avait effrayé et converti la cilé. Mais tainement il le pouvait. Tous les autres recon*
naissent sans contestation sa puissance supé-
'
Tillem., Cbryi., n. SO, MoDtr>ocon in Montt., t. 9j Stilt., n. 783.
rieure Jacques lui-même, l'évêque de Jéru-
,
:
* TilleooDt fut Tiolanc» an tczic «o pteaui a* n»! duré» d* Irait
• Bja., tp.tU — ' Ckiji., itr 1m ÀM., M*n> k
574 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

salem, gai Je ici le silence. Pierre a l'autorité la base, la colonne de l'Eglise, la pierre iné-
principale dans celte afTaire ; car c'est à lui que branlable, le fondement indestructible de la
tous les autres ont été soumis, lui à qui le Sei- foi ? » Qu'y a-t-il de plus formel que ces paro-
gneur a dit : « Confume tes frères '
». les : a Si le Christ a versé son sang, c'est pour
Mais Jean nel'a-t-il pas dit cent fois? a C'est acquérir ces brebis dont il confiait le soin à
à Pierre, et non pas aux autres, que les clefs Pierre et à ses successeurs '
? »

du ciel ont été données; c'est Pierre qui est la Non, si la foi chrétienne n'a pas eu d'inter-
bouche, la tète, le coryphée, le prince des prète plus éloquent que Chrysostome, elle n'en
Apôtres, le docteur, le préfet de tout l'univers, a pas de plus assuré.
'Chr;!., 8ur lea Act,, Bom, 3, * Chrjra., du Sacerd., 1. 2, c. 1.

CHAPITRE TRENTE-DEUXIÈME.

AUricen Italie. — Triomphe d'Hooorius. — Bassesses de cour de Byzance. — la Tristesse de Chrysostome. — Epltre aux Hébreu.
— de RicliaiJSiojou. —
Réfutaiiuii Lettre à Césarius.

En Occident, les événements se précipitaient. tie chercher les légions, acheter des auxiliaires,
L'heure de Dieu allait sonner. Alaric, arrêté et composa du mieux qu'il put une armée avec
contre son attente devant Aquilée, s'était résolu laquelle il fondit tout à coup sur les Goths, au
à évacuer la péninsule italienne, mais pour bourg de Pollentia sur le Tanaro'. La bataille
revenir au plus tôt avec des forces plus impo- fut longue, acharnée, incertaine : vainqueurs
santes et d'autres chances de succès. Une vo- au début, les impériaux pillèrent le camp des
lonté supérieure à la sienne lui interdisait le Goths, et furent culbutés à leur tour avec des
repos, a Quelqu'un me presse, disait-il, et me pertes énormes; mais ils gardèrent le butin
pousse à marcher sur Rome et la détruire ». ' qu'ilsavaientfait et leurs prisonniers. Lafemme
Les mines de fer de l'IUyrie lui fournirent des d'Alaric était du nombre avec ses enfants. Pour
armes; son pays était une mine de soldats. Il les racheter, le fllsdesBalthes consentit à tout.
épia le moment ; et quand il vit les légions en- Il évacuait ses conquêtes et se repliait à pas
il tomba
gagées en Rhétie contre les Germains, lents sur l'IUyrie, lorsqu'il fut traîtreusement
du haut des Alpes, comme une avalanche, sur attaqué par Stilicon, prèsde Vérone, et complè-
la Vénétie et la Ligurie. Les villes qu'il n'em- tement battu. Vainement chercha-t-il à se frayer
portait pas d'assaut, il les achetait. La peur un passage vers les Gaules à travers les monta-
balayait devant lui les populations éperdues, et gnes de la Rhétie la faim, les maladies, le
:

la superstition aggravait la peur. Tout devenait découragement, les désertions lui enlevèrent
présage aux âmes épouvantées. On citait de jusqu'au dernier débris de son armée. Resté
vieilles prophéties, d'après lesquelles la ville de seul, il quitta en fugitif cette belle Italie qu'il
Romulus ne devait subsister que douze siècles. regardait comme sa proie,maislarageaucœur,
On n'était qu'au milieu du douzième, et l'on et bien résolu de faire payer aux Romains sa
croyait toucher à la fin. honte et leur perfidie.
Honorius, revenu de Ravenne à Milan, se En attendant, l'indigne fils de Théodose abri-
montrait plus alarmé que personne. Il parla de tait sa couardise dans les marais de Ravenne,
se retirer dans les Gaules, afln de mettre l'épais- d'où en cas de péril il pouvait prendre la mer
seur des Alpes entre sa poitrine et l'ennemi. et se sauver en Epire. Pour être plus près des
Stilicon empêcha cette lâcheté et, chargeant
; Barbares et d u t héâtre des combats, les guerriers
son maître d'amuser les Barbares par de feintes ses prédécesseurs avaient fixé leur résidence à
concessions et des promesses, il courut en Rhé- Milan ; lui, ne se trouvait nulle part assez loin
• s«2oin. 1. 9, c. a. • Jout de Failles, 6 avril 40%
CHAPITRE TRENTE-DEUXIÈME. 373

de l'ennemi. Et pourtant, il faisait des lois ter- avec soin une poule à laquelle il avait donné le
ribles contre les déserteurs, jusqu'à ordonner nom de Rome. La mollesse, l'ingratitude, la stu-
la confiscation des maisons qui leur avaient piditédu fils de Théodose perdirent tout. « L'u-
servi de retraite, jusqu'à permettre au premier nivers meurt à Rome, disait un chef gaulois :

venu de leur courir sus et de les tuer, au moin- nous assistons aux funérailles du monde ' ».
dre dégât qu'ils auraient commis. Le poltron, Mais tandis que l'Occident est à l'abandon,
travesti en héros par la llatterie, se décerna les l'Orient n'en peut plus. Arcadius, épris des
honneurs du Irioniplic. Entouré de gardes aux pompes du trône et de la richesse de son cos-
chevaux bardés de fer, aux costumes éblouis- tume, se contente des apparences du pouvoir,
sants, assis à côté de Stilicou sur un char qui dont il laisse à sa femme la réalité; et celle-ci,
étincelait île pierreries, il fit son entrée solen- qui donne des fêtes, qui se fait dresser des sta-
nelle dans la ville de Paul-Emile etdeScipion. tues d'argent sur des colonnes de porphyre, qui
Placidie, sa sœur, Eucher, le fils de Stiiicon, bâtit des palais, des thermes, des églises, inflige
une foule de personnages illustres, tout le patri- au monde avec une audace croissante le scan-
ciat romain, marchaient à pied devant lui. Une dale de son avarice, de ses rapines, de sa
armée entière, à moitié barbare, escortait et luxure, de ses folies. Les Isaures devenant de
chantait cette mystification de la gloire. A tra- jour en jour plus insolents, la cour fit marcher
vers les rues parées de riches tentures, au milieu contre eux l'une de ses créatures, le général
des acclamations d'un peuple avili auquel on Arbazace. Mais perdu de débauches, insatiable
jetaitdes poignées d'argent, il se rendit au sé- d'argent, le misérable lieutenant de l'empereur,
nat où il lut avec emphase un récit empoulé de un troupeau de danseuses
qui traînait à sa suite
la guerre qu'il venaitde terminer, disait-il, si etde prostituées, au lieu de châtier les pillards,
heureusement'. Rome célébra cette paix per- devint leur complice. Mandé devant le chef de
fide, comme une paix durable, par de brillantes l'Etat et convaincu d'infamie, il partagea avec
fêles et des combats de gladiateurs. Ce furent l'impératrice le fruit de ses brigandages, et fut
les derniers qu'elle vit. Un moine qu'enivrait absous. L'or régnait souverainement à Byzance.
respritdel'Evangilecomme d'autres l'esprit du Ce n'est pas qu'on n'y parlâtsouventdejuslice
meurtre, arriva de l'Orient dans la cité des et qu'on n'y fît beaucoup de lois. Jamais officine
Césars pour protester contre cette profanation impériale ne fabriqua tant d'édits, de rescrits,
sanglante de la dignité humaine. Rome s'ob- de décrets. Les deux fils de Flacilla renouvelè-
stina : elle voulait boire du sangune foisencore rent presque toutes les lois anciennes et en éta-
avant de mourir. Télémaque, c'était le nom du blirent une infinité de nouvelles, sans s'inquié-
magnanime anachorète, ne fut qu'une victime ter de contredire l'une par l'autre. Malheureux
de plus ajoutée à cette hécatombe d'hommes princes, qui croyaient étayer avec des rouleaux
par laquelle la ville de Romulus entendait so- de légistes un monde qui croulait sur eux 1

lenniser d'avance ses funérailles et consacrer Des hauteurs de son âme, radieux séjour des
son tombeau : il fut tué dans l'amphitéâlre, au saintes penséesetdela prière, Jean contemplait
milieu des combattants qu'il s'efforçait de sépa- avec tristesse et pitié ce spectacle d'abaissement
rer. Mais son martyre termina ces immolations et de défaillance, présage de catastrophes pro-
impies'. chaines. Que n'eût-il pas fait pour les conjurer,
Le pitoyable triomphateur s'enivra quelques pour rallumer la flamme de la vie dans ce corps
jours de la gloire de Stiiicon : puis il revint ca- qui tombait en dissolution, pour rendre au
cher son impuissance et dormir dans les boues moiusàcette ombre piteuse de Théodose, qu'on
de Ravenne. Et cependant, cet homme portait appelait son fils, un peu d'intelligence et de
les destins du monde une : partie du monde lui cœur Le mal empiré défiait ses efforts. Con-
!

appartenait 1 Léger, fainéant, poltron, sans seils,remontrances, supplications, tout avait


esprit, sans cœur, la reconnaissance lui était échoué on ne voyait en lui que la personnifi-
:

aussi impossible que le courage. Il livra au cation redoutée d'une puissance que ses vertus
bourreau le père de ses deux femmes, le vain- et ses talents faisaient redouter davantage.
queur d'Alaric et de Radagaise, l'homme qui Eudoxie, à mesure qu'elle s'engageait plus
venait de sauver l'Italie 1 empire, et
[Italie et l'empire, il élevait avant dans la voie du mal, éprouvait plus d'a-
version pour le pontife, dont la seule vue la
•Claud. de Bell. Goth.} Synn., I. 6, epUt. 53. — Tbéodor., I. 5,
e.2&. ' Sid. Apollin., Paneg, Avit,
376 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

gênait et l'humiliait. Les plates adulations jours d'ici-bas et pour les jours éternels ; et il

d'une foule de prélats courtisans lui rendaient tonne de toutes ses forces contre les désordres

cl'. fi anière la noble austérité de celui-là : elle profanateurs du mariage.


, i,aïs>uilde toutes les forces de
son orgueil, et Les tristes présages qui agitent son cœur se
, penail plus la peine de dissimuler sa haine,
,: trahissent, malgré lui, dans ses discours. Il
,|.ii, nourrie d'elle-même au fond de son cœur, parle de Jérusalem et il pense à Constantinople.
,

vlait aboutir, à l'éternel déshonneur d'une tête Retraçant les malheurs et la dernière catastro-
couronnée, au martyre glorieux d'un prêtre phe de la villedéicide, illametenscène d'une
du ( hrist. Il y avait, d'ailleurs, dans l'orage qui manière si touchante, il la fait parler avec de
commençait à se former, autre chose que les tels accents, que l'auditoire tout entier fond en

d'une femme blessée dans sa vanité,


C()lèi-es larmes, et qu'il est obligé, pour ne pas céder à
humiliée dans ses vices on y voyait poindre,
: l'émotion générale, de passer brusquement à
nous ne saurions assez le redire, cette fatale et un autre sujet'. On sent aussi dans quelques-
longue guerre entre le sacerdoce et l'empire ;
unes de ses paroles, malgré son profond respect
guerre qui devait éclater bientôt sur un théâtre des convenances, la pieuse douleur que lui
plus élevé, dans de plus vastes proportions, font éprouver la conduite de la cour et la vie
remplir de ses luttes retentissantes l'histoire de l'impératrice, a Le bien qu'on vous fait ici,
moderne, et mettre en lumière, avecles grandes dit- il, vous ne le trouverez ni au forum, ni à la
figures des Grégoire VU et des Innocent II!, le curie, ni au palais. Ce n'est ni l'administration
rôle social assigné par la Providence à la des villes, ni le commandement des armées,
Papauté et sa haute influence sur les destinées que nous confions ou plutôt que la grâce de
des peuples. l'Esprit confie à ceux qui entrent dans cette en-
Affligé, sans être abattu, Jean poursuivait, ceinte, mais une principauté plus auguste que
entre les mécontentements de la cour et les le pouvoir impérial Ilsapprennentà gouverner
.

mobilités du peuple, la sainte tâche de réveiller leurs âmes, à dominer de coupables désirs, à
danslesâmesle sens divin exposé à s'altérer, à modérerla colère, à vaincre l'envie, à enchaîner
s'éteindre dans une atmosphère profondément l'orgueil. Non, l'empereur sur son trône, avec
"viciée par tant d'exemples funestes. Un vague son diadème, n'inspire pas tant de respect que
pressentiment que sa mission touchait à safm l'homme qui fait régner sa raison sur ses pas-
lui faisait de zèle il vou-
redoubler d'efforts et : sions. Celui-là donne un diadème à son âme,
lait, en multipliant ses travaux, regagner le il la place snr un trône, le plus beau trône, le

temps que Dieu lui refusait et, de même qu'un ; plus beau diadème du monde. Que sont donc
père, près de quitter ses enfants, aime à s'épan- et la pourpre et ces vêtements dorés, et cette
cher en de plus longs entretiens, il montait couronne chargée de pierreries, quand l'âme
plus souvent à sa tribune et parlait plus long- est esclave des vices ? Que revient-il de cette
temps, comme s'il n'eût pu se rassasier d'une liberté extérieure, quand ce qu'il y a de plus
conversation qui allait trop tôt finir. Une foule digne en nous est courbé sous la plus honteuse
d'homélies importantes pour le fond, magniQ- servitude ? Qu'importe le pouvoir, qu'import»
ques pour la forme, peuvent être rapportées à le sceptre, si la violence des passions vous pré
époque suprême. Il exalte la sainteté du
cette cipite du haut du trône et fait de vous leup
mariage et proclame l'indissolubilité absolue jouet'? »

du lien conjugal. Son indignation, plusieurs Du reste, ces discours détachés sur des su-
fois exprimée à Antioche, éclate de nouveau jets divers et toujours inspirés par les circon-
contre la licence païenne des noces, contre stances ne le détournaient pas de son grand
cette grossière cupidité qui préside à la plupart travail sur les Ecritures. En ce moment, c'est-
des unions, et au lieu du bonheur de deux à-dire dans les premiers mois de l'année 402,
êtres qui confondent ensemble leurs destinées, il expliquait l'épître de saint Paul aux Hébreux.
au lieu de l'avenir d'une famille, ne voit qu'une Ce fut la dernière œuvre importante de sa car-
affaire d'argent. L'institution divine était faus- rière épiscopale, et nous avons à regretter qu'il
sée. Le saint pasteur eût voulu que la bénédic- ne l'ait pas publiée lui-même. La main fidèle
tion de l'Eglise fût le sceau de Dieu sur le de l'amitié recueillit après sa mort les notes
bonheur de deux âmes jeunes, pures, confian-
Chrys., Hom. sur ces paroles: Il faut qu'il y ait de» MritWtt"
tes, unies par l'amour et par la vertu pour les • Chrys., Bom. sur ces parole» Si ton tnnemi a faim.
:
CHAPITRE TRENTE-DEUXIÈME. 377

abrégées des tachygraphes, les traduisit, les moins approfondi du texte démontre surabon-
coordonna, en fit sorlir le commentaire que dainmeni que lo critique cl lo traducteur sont
nous avons. Ceci explique suffisamment les in- tombés tous les deux dans un impardonnable
corrections, les négligences, l'imperfection re- contre-sens. En effet, l'éloquent interprète du
lativede cet ouvrage, et surtout le grand nom- grand Apôtre, relevant une à une, suivant son
bre de variantes qui en surcharge le texte '. usage, les paroles tombées de cette bouche ins-
Personne n'a été de l'avis d'Erasme quand, pirée, trouve avec raison que quelques mots de
sur le litre seul, il en conteste l'authenticité. saint Paul suffisent pour confondre les Juifs et
La plus rapide lecture suffit pour y découvrir les Ariens, Marcel d'Ancyre et Sabellius, Paul
partout la diction, les pensées, la manière et de Samosate et Marcion. Comment cela? —
surtout l'âme deChrysostome. D'ailluurs, le té- dit-il, et il répond Les Juifs, en leur montrant
:

moignage de Cassiodore est aussi formel qu'ir- que le même est deux choses, et Dieu et homme. .

récusable *. Qui pourrait nier, aiirès les avoir Marcel, en établissant qu'il y a deux personnes
lus, que ces discours aient été prononcés à Coa- séparées selon leur subsiUance ou hypostase '.
stantinople? par l'évèque même de Constanti- Or, l'erreur des Juifs était de nier la divinité
nople? Qui ne reconnaît le grand orateur à la du Christ, celle de Marcel de nier la distinction
fermeté de sa parole, à la hardiesse de ses cen- des personnes divines. Cette seule observation
sures, aux nobles transports de sa charité? met à néant l'argumentation du critique.
Toutefois l'exégèse de notre Saint sur l'épître Il que nous suivons l'édition des
est vrai
aux Hébreux devint, au xvn' siècle, le sujet Bénédictins, et qu'il existe une autre leçon du
d'une dispute à laquelle Bossueta pris part. Un premier passage, celui qui a trait aux Juifs.
critique, célèbre par ses témérités d'opinion, Mais, ici encore, Richard Simon traduit infi-

pi étendait y voirie germe des erreurs de Nes- dèlement il insère dans sa version un mot
:

torius, que Jean, selon lui, aurait puisées dans qui non-seulement n'est pas dans le texte, mais
Théodore
ses relations avec Diodore de Tarse et en change comitlétement le sens. Ecoutons
de Sfopsueste. Rien moins justifiable que
n'est Bossuet « Les Juifs avaient deux erreurs, l'une
:

cette assertion Bossuet l'appelle une calom-


;
qu'en Dieu il n'y avait pas plusieurs personnes,
nie manifeste '. Nicolas Fontaine, de Port- à savoir le Père et le Fils l'autre, qu'une de
: ;

Royal, qui, dans sa traduction française des ces personnes, c'est-à-dire le Fils, n'était pas
homélies en question, avait osé suivre la pen- Dieu et homme
tout ensemble. Saint Chryso-
sée de Richard-Simon, fut condamné et se ré- stome, dont preuve est fort serrée dans tout
la
tracta. Ce qui frappe d'abord, c'est que le cet endroit, abat en deux mots cette double
passage prétendu favorable àNestorius n'a été erreur des Juifs, en leur montrant qu'il y a en
invoqué ni par lui ni par aucun des siens; au- Dieu deux personnes, c'est-à-dire le Père et le
raient-ils manqué de se prévaloir d'une au- Fils, et que parmi ces deux personnes il yen a

torité aussi imposante? Quand le pape saint une qui est Dieu et homme à la fois ' » Et, en .

Célestin leur oppose, pour les convaincre d'in- effet, le texte littéralement traduit ne porte-t-il

novation, entre autres témoins de l'orthodoxie, pas que Paul confond les Juifs en leur mon-
cet évêque Jean, de sainte mémoire, dont ren- trant deux personnes, et un Dieu et un homme?
seignement si propre à établir la foi catholique Quand donc le critique fait dire au saint doc-
est connu dans tout l'univers ', les Nestoriens teur Deux personnes, savoir : un Dieu et un
:

gardent le silence; nul ne songe à discuter ou homme non-seulement, il altère le texte par
à infirmer un témoignage qui les confond. Bos- l'addition d'un motqui ne s'y trouve pas, mais
suet a consacré plusieurs chapitres de sa dé- il renverse et détruit tout le raisonnement de
fense des Suints Pères à venger Chrysostome Chrysostome. 11 lui prête un non-sens avec une
d'une insinuation menteuse et absurde. En impiété. L'impertinence est trop grande et la
vérité, ce n'était pas la peine qu'Hercule levât calomnie trop absurde.
sa massue sur un tel adversaire. L'examen le Certes, il ne faut pas un amour peu commun
du paradoxe pour s'en prendre aux enseigne-
* Uo prêtre d'Aolloche, CoDiltntinui, te cbargea da cette ticba ments d'un homme dont deux papes ' ont glo-
délicate. Oo croit que c'est le même
que Conaiaotius, ami du Sa:ot,
qai l'avait viiité â Cucuse. Les ooms de ConslaoliQua et de Coot- rifié l'orthodoxie, dont saint Augustin invoqua
taalias étaient souvent employés l'uD potir l'autre.
* Caasiodor, de di\iin tcc, c. 8. —
Bosa., édiU d* Veiii, tom. 6, ' Chryi., sur l'ép. aux Hébr Hom. K.
, —
' BoH.,
I. 5, p. 20}.»
p. 210. —
* £p. ad
pof. tt eler, Conêlanlinop. * S. C<b1mi., l0e, cit. i taial Liou, epUt. 106,
378 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

l'autorité ', dont les paroles furent citées avec rite, plus on examine ce document, moins on
honneur dans le grand concile d'Ephèse', et y trouve Ghrysostome. Il y a si loin de cette
que saint Isidore et saint Nil appelaient l'inter- sécheresse, de cette maigreur, de ce style dur,
prète des secrets de Dieu, l'œil de toutes les tendu, tourmenté, à l'ampleur, à l'abondance,
églises, la colonne et la lumière de la vérité^. à la noble et riche simplicité du grand orateur,
Toutefois, la hardiesse de Richard-Simon fut que nous comprenons à peine qu'on ait pu s'y
dépassée par Basnage et les protestants qui ont méprendre un instant. Ni la force des pensées,
voulu voir, eux, dans Ghrysostome un précur- ni leur enchaînement logique, ni les locutions
seur de Luther, ayant la même pensée que qui lui sont familières, ni ses procédés ordi-
Luther sur l'Eucharistie. Nous dirons sur quoi naires de raisonnement, ni sa méthode lumi-
se fonde une prétention si étrange. Pierre Mar- neuse et facile, ni cet heureux emploi de
tyr, que son apostasie seule a rendu célèbre, l'Ecriture qui le distingue, ni cette éloquence
découvrit, à Florence, dans la bibliothèque des affectueuse et persuasive qui lui concilie les
Dominicains, un manuscrit latin du xu° siècle cœurs, on n'y voit rien de lui. Ce
esprits et les
ayant pour titre Lettre du bienheureux Jean,
: n'est qu'une dissertation entortillée et lourde,
évêque de Constantinople, au moine Césarius, où la foi de l'Eglise est assez bien soutenue,
pendant son secotid exil. Cette lettre contenait mais non certes avec cette clarté, cette force,
une phrase équivoque sur l'Eucharistie. Ce fut cette richesse de doctrine, cette connaissance
pour l'apostat une merveilleuse trouvaille il : profonde des Livres Saints, cette chaleur de
en fit grand bruit. Le dogme catholique de la langage qui ne manquent jamais à Chryso-
Transsubstantiation ne devait plus se relever stome quand il expose ou qu'il défend la vérité.
d'un pareil coup. Chrysostome n'y croyait pas, Se peut-il qu'un seul critique se soit trouvé
l'Eghse grecque n'y croyait pas c'était une : pour attribuer une oeuvre si médiocre à un
invention théologique des Romains. Mais Pierre écrivain si supérieur? Jean ne parla jamais,
Martyr n'avait pas édité la lettre à laquelle il n'écrivit jamais ainsi.
empruntait la phrase terrible il s'était con- : Que prouve le titre? Tant de productions in-
tenté d'en prendre une copie qu'il avait appor- dignes de ce grand homme ont été faussement
tée en Angleterre et déposée dans la bibliothè- décorées de son nom, tant de pitoyables auteurs
que de l'évêque Cranmer, sans indiquer d'ail- ont eu l'audace de l'usurper I S'il fallait ajouter
leurs où se trouvait l'original. Cette copie avait au quelque foi, ce serait de Gueuse, vers
titre
disparu et les érudits commençaient à révo-
; la tin de sa vie, que le pontife exilé aurait écrit
quer en doute l'existence du document, quand au moine Césarius mais alors, comment s'ex-
;

Emery-Bigot, d'une part, Etieone-Lemoyne et pliquer qu'il ne dise pas un mot de sa situation
Basnage, de l'autre l'ayant découvert à leur , et de ses souffrances, lui qui dans toutes ses
tour-, le donnèrent au public dans son inté- lettresy faisait allusion ? D'ailleurs, il est diffi-
'
grité.Ce n'était qu'une traduction obscure et cilede ne pas s'apercevoir que l'auleur de cette
barbare d'un texte qu'on n'avait pas, ou dont épître songe à Eutychès en parlant d'Apolli-
on avait à peine quelques fragments épars dans naire. Ce qu'il démontre, en etiet, ce qu'il
Anastase, Nicéphore, Léonce de Jérusalem et établit avec plusde soin et de fcjce, ce n'est
Jean Damascène. Le passage allégué sur l'Eu- pas, contre Apollinaire, que le Verbe éternel
'

charistie en faisait seul tout le prix. en se faisant homme a pris l'âme et le corps de \

On se demanda tout d'abord si la lettre à l'homme, mais, contre Eutychès, qu'il y a deux
Césarius était vraiment de Chrysostome. Les natures en Jésus-Christ, la nature divine et la
Protestants avaient trop d'intérêt à le croire nature humaine, unies sans confusion, distinc-
pour en douter. Parmi les Catholiques, quel- tes sans division, restant chacune elle-même
ques-uns * poussèrent le scrupule de l'impar- avec qui la constituent, bien que
les attributs
tialité jusqu'à soutenir l'opinion de leurs ad- leur union ne forme qu'une seule personne,
versaires; le plus grand nombre elles plus un seul Jésus-Christ, fils de Dieu et véritable-
éminents' furent d'un avis opposé En vé- ment Dieu, rédempteur des hommes et vérita^
blement homme. De là ces mots qui lui échap-
* s. Aug., conl. Jul.y 1. 1. c. 6 ; Id. op. imperf. cont. JuU, c. T.
• — Conc. Eph., p. 117, edit. de 1671. — ' S. Isid. Pelus., tp. 156. pent D'où est-elle venue, si ce n'est de l'enfer^
:

S. Nil, ep. 279, I. 3, et ep. 261, liv. 2. — • TillemoDt, t. 11, p. 341,


cette horrible doctrine qui n'admet dans le
3i2', DupiD, Biblioth. eccl., ve eiècle, l'e part. p. 122 el suiv. —
•llontfaucoD, Stiltmg, Lequien, D. Cellier, etc. Christ qu'une seule nature ? Et un peu plu§
CHAPITRE TRENTE-DEUXIÈME. 37Ô

bas Fitt/ons, repotissons ceux gui osent dire


: a une portée bien plus grande il affirme for-, :

qu'après l' union du Verbe et de l'homme il n'y mellcment que dans l'Kncliaristie il s'agit de
o, par l'effet du prodige, qu'une seule nature. mots et pas d'autre chose. Ce qu'on appelait
Quels que fussent les enseignements d'Apol- pain avant la consécration, s'appelle corps du
linaire, ce n'est pas lui que l'on réfute, ce n'est Seigneur après être consacré voilà tout. Donc, :

pas lui qui occupe la pensée de l'auteur; l'at- ni celui qui écrivit la lettre à Césarius, ni l'é-
taque contre cet hérésiarque n'estqu'une feinte poque dont il est le témoin, n'ont cruàla;jre-
pour frapper sur Eutycliès avec le poids de l'an- sence réelle. C'est une invention des temps
tiquité et l'autorité d'ungrand nom. Quelques moins anciens.
mots empruntés visiblement au concile de Observons d'abord que l'écrivain, quel qu'il
Chalcédoine trahissent la supercherie, et, s'ils soit, auquel on doit cette épître trop célèbre,
ne donnent pas la date précise de la lettre, au- aurait pu s'exprimer improprement sur la
torisent du moins à penser qu'elle est posté- Transsubstantiation ou la présence réelle, en
rieure à cette grande assemblée et n'a été écrite présenter l'enseignement sous un point de vue
que quarante ans environ après la mort de différent du nôtre et nier même la vérité, cela
notre Saint. Qu'importe, après cela, qu'elle lui ne prouverait rien quant à la foi de l'Eglise,
soit attribuée par saint Jean de Damas, par Ni- si d'ailleurs d'autres documents nombreux,
céphore de Constantinople et quelques Grecs irréfragables, explicites, attestent clairement
plus modernes ? Si elle était, je ne dis pas de et formellement qu'à cette époque et avant celle
Chrysostome, mais de son temps, le concile de époque l'Eglise croyait et professait le double
Chalcédoine ne l'eût point passée sous silence; dogme de la présence réelle et de la Transsub-
Théodoret, Anastase le Sinaïte, Léonce de By- stantiation. Qu'est-ce que le témoignage isolé
zance en eussent parlé, et certainement les d'un docteur, connu ou inconnu, en présence
anciens, les Nestoriens eux-mêmes, qui ont du concert imposant des témoignages de tous
allégué contre les Monophysitcs divers passages les docteurs? Que prouve son dire, s'il est en
du saint docteur, n'eussent pas manqué de se opposition avec tous les autres, sinon qu'il a
prévaloir d'un document aussi explicite que mal parlé, qu'il a mal compris , qu'il s'est
celui-là. trompé ? Rien de plus. D'ailleurs, examinons
Du
reste, quel que soit l'auteur de cette let- le texte. L'auteur de la lettre à Césarius établit
tre,quelque date qu'il faille lui donner, il est une comparaison entre l'Incarnation et l'Eu-
faux que la phrase citée par Pierre Martyr soit charistie. De même, dit-il, qu'il y a deux na-
un démenti à la traditioncatholique de la Trans- tures dans l'Eucharistie , bien qu'il n'y ait
substantiation. Voici cette phrase : «Comme le qu'un seul corps, celui du Seigneur; ainsi,
pain, qui avant d'être s««c<//îe est appelé pain, dans le Verbe incarné, la nature humaine et
et lorsque la grâce l'a sanctifié par la médiation la nature divine subsistent toujours, quoique
du du nom de pain et trouvé
prêtre, est délivré dans une seule personne, celle de Jésus-Christ.
digne d'être appelé le corps du Seigneur, quoi- Mais si Jésus-Christ n'est pas réellement dans
que la nature du pain soit restée en lui; et — ou si sa présence n'y est que no-
l'Eucharistie,
nous annonçons, non pas deux corps, mais un minale, où sont donc les deux natures qui
seul corps du Fils —
ainsi, la nature divine
: constituent le sacrement, et que signifie celte
s'unissant au corps, l'union des deux constitue comparaison ridicule entre l'Incarnation et
un seul Fils, une seule personne, non pas en l'Eucharistie ? Il faudrait dire que le pieux
une seule nature cependant, mais en deux na- écrivain n'a vu dans l'Incarnation comme dans
tures parfaites, sans confusion comme sans l'Eucharistie qu'une question de noms, une
division ». pure fiction. Personne ne le dira : chaque mot
Ainsi, s'écrient Martyr et les siens, aux ter- de la lettre démontre le contraire.

mes de ce document, après la consécration Du moins, poursuit-on, le langage de cette


eucharistique, le pain conserve la nature du lettre exclut positivement la Transsubstantia-
pain. Donc, l'auteur de ce document ne con- tion. Quoi I répondent les Catholiques, la lettre
naissait pas la Transsubstantiation ; le siècle nie la Transsubstantiation, et elle prétend qu'il
dont exprime la foi ne la connaissait pas
il : y a dans l'Eucharistie, non pas deux corps,
c'estun dogme nouveau. Mais, reprennent les mais un seul corps, celui du Fils de Dieu I

Calvinistes, le passage dont vous argumentez Mais si le pain demeure eoligrcment pain, s'il
m HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

n'est pas changé au corps du Sfijrneur, il y a alamliiqné. celte discussion subtile, torfuense,
donc sous le symbole de Eucliaristie deux I quelquefois inintellijiihle, ces locution* incon-
corps, et non plus un seul, l<» tcrps du Christ nms I l'évèque de C' nslaiitinople, nepi-rmet-
et le corps du pain. L'auteur delà lettre est en tcnt pas d'attribuer une tel'e production à un
opposition avec lui-même il arg' même contre : homme dont la parole est si ferme, la méthode
sa thèse ; il ne sait pas ce qu'il dit. si siiiipli-, la discussion
lumineuse. Mais si,si

Il est vrai qu'il déclare en propres termes par im|iossible, reconnu qu'elle est de
il était
que la nature du pain subsisie ilans le sacre- lui, à quoi faudrait-il recourir pour en déter-
ment. J'avoue que ces paroles ont besoin dVx- miner le srns, si ce n'est à d'autres œuvres du
plicalion. Pour en saisir le sens véritable, il saint docteur plus claires et incontestablement
faut se rappeler que le P. Harduin et d'autres' authi ntiqiits? Or, ya-t-il quelqu'un, parmi les
ont surabondamment déiuontré, que les Pères ancienselles modernes, qui ait parlé de l'Eu-
grecs et latins, Chrysostome en particulier, ont charistie avec plus de clarté, de précision et de
appelé nature d'une chose l'ensemble des pro- forceque Chrysostome ? Nous avons cité de
priétés qui caractérisent cette chose, ce qui la remarquables passages, où il exprime avec une
lait apparaître à la pensée ou tomber sous les éloquence digne du sujet, sa foi ardente et
sens. Quand donc raut(uren qui stion ditque, profonde au dogme générateur de la piété, au
la nature du pain subsistant toujours, le pain s;icrement auguste d'où s'épanchent à tlots di-
sanctifié et le corps du Christ ne sont qu'un vins la charité et ses merveilles, d'où jaillit la
seul corps, il entend par nature du pain les flamme vitale du Catholicisme. Qu'il nous soit
propriétés apparentes du pain, ce qui constitue permis d'en mettre un ou deux de plus sous
le phénomène du pain la couleur, la figure,
: les yeux du lecteur.
le goût. On comprend, en effet, que le pain « Obéissons à Dieu en toutes choses, di.sait le
étant changé, quant à la sub-^tance, au corps du pieux orateur aux chrétiens d'Antioche ne le ;

Seigneur, il n'y ait dans l'Eucharistie que ce contredisons pas, même quand ce qu'il dit pa-
corps adoré, bien que la nature du pain, c'est- raît contraire à notre intelligence et à notre
à-dire les propriétés du pain, s'y montre en- raison. Que son autorité prévale et sur l'une
core. Mais changez la suppcisition faites dire à : et sur l'autre. Ainsi, dans les saints mystères,
notre écrivain que le pain eucliaristique est ne regardons pas ce qui s'offre à nos yeux,
toujours réellement et substantiellement du mais que la parole divine soit présente à notre
pain, son langage n'a plus de sens il dérai- : esprit, car cette parole ne peut tromper; nos
sonne. La preuve, du reste, qu'il doit être ainsi sens, au contraire, sont sujets à l'erreur. Puis
entendu, c'est que la pensée que nous lui prê- donc que le Verbe a dit : Ceci est mon corps,
tons, d'après la texture de son discours, a tou- soumettons-nous, croyons, et contemplons avec
joursété la pensée de l'Eglise grecque : témoin, les yeux de l'âme le corps d'un Dieu Com-
entre autres, Jean Damascène, qui a connu bien qui disent Je voudrais voir le visage,
:

nous en a conservé des fragments.


celte lettre et les traits, les vêtements de Jésus-Christ I Eh
De même, dit-il, que le pain par l'action de bien ! le voilà lui-même ! Tu le vois, tu le
manger, le vin et l'eau par l'action de boire, touches, tu le manges 1 Songe à Judas et
sont naturellement changes au corps et au sang aux ingrats qui le crucifièrent, et ne profane
de la personne qui boit et mange, et ne font pas toi-même le corps et le sang du Sei-
pas uu corps différent de celui qu'elle avait ;
gneur ! Ces malheureux lui firent souffrir la
ainsi, le pain préparé sur la prothèse, le vin et mort; et toi, tu le reçois dans une âme im-
l'eau par l'invocation et l'effusion du Saint- pure, après avoir été comblé par lui de tant
Esprit, sont su rnaturellemen tchangés au corps de biens Car, non content de se faire homme,
!

et au sang du Christ, et ne font pas deux choses de subir tant d'ignominies, il a voulu encore
distinctes, mais une seule et même chose ' b. se mêler et s'unir à toi; à ce point que tu de-
Certainement, et nous n'hésitons pas à l'affir- viens un même corps avec lui, non-seulement
mer de nouveau, la lettre à Césarius n'est pas par la foi, mais effectivement et dans la réalité
l'œuvre de Chrysostome. Ce style obscur et même*... »
Ailleurs, dans son commentaire sur les PrO'
' Bonbst, Théolog t. 6, p. 385 ; Nat. Alex., Hist. «d., t. 6,
,
verbes de Salomon, dont le cardinal Maï a dé-
p. 925 ; et «urlont, rçrpétuit* tie la Foi, t. 13, p. 273 at 287. —
*}oaii. Dunu,, d« Fia. crthtiax., 1. 4, p. 370» *Cbi73., tur S. Math., Bom. 83, a. ^
CHAPITRE TRENTE- DEUXIÈME. 381

couvert et publié de précieux fragmonts, à pro- charistie d'une manière tout extraordinaire
\o^ lies Duiiiis qui ré/i(in(ieritlesaiiQ(lujuste\ et plus éclatante que tous les autres Pères de
le saint liocteur s'écrie : « Ceux-là sont cou- l'Eglise grecque '.
pables de ce crime qui boivent le sang du Sei- Dans une si grande masse d'ouvrages, la plu-
gneur, avec une conscience souillée par des part oratoires, et tjut bjucs-uns publiés après
actes bonfeux' ». Faut-il citer encore les pa- la moit de l'auteur ou sans
être revus par lui,
roles suivantes « Ce n'est pas riiomine qui
: serait-ilétonnant qu'on eût à signaler çà et là
/ait que le pain et le vin présentés sur l'au- quelques expressions incorrectes, inexactes, à
tel deviennent le sang du Clirist
le corps et ;
propos de choses qui demandent la plus grande
Ini-même qui pour nous a été
c'est le Clii iït préeision de langage? Saint Augustin n'a-t-il
crucifié. Le prêtre accomplit une figure quand pas écrit ses deux livres des Rétractations, et
debout il prononce les saintes paroles ce qui : trouvé dans ses œuvres à censurer et à corri-
est réel ici, c'est la vertu, c'est la grâce de ger? Si le grand évoque de Constantinopte avait
Dieu. Cec/ es/ Ȕon corps, dit-il : cette parole eu le loisir de revoir les siennes et de les pas-
transforme le pain et le vin. Et de même que ser au creuset, à coup sûr il eut retranché, en
celle-ci : Croissez et multipliez et remplissez les blâmant sévèrement, ces paroles malsou-

la terre, prononcée une seule fois, a donné nanteset profondément regrettables où' il prête
à la nature humaine une vertu de propagation une pensée de vaine gloire à la femme bénie,
qui se perpétue dans tous les siècles ; ainsi la pleine de qràce, dont le docteur d'Hippone ne
parole du Christ, depuis le jour oùelleestsor- veut pas, pour l'ho)meur même de Dieu, qu'il
tie de sa bouche jusqu'à celui-ci et jusqu'à son soit question en aucune manière quand il s'agit
dernier avènement, opère dans les églises et de péché. Mais l'ensemble de ses travaux est un
sur chaque autel un sacriflce parfiil'o. des plus beaux monuments de la foi catholi(|ue,
Qu'importe, après de telles atfirmalions, la un des plus riches trésors de la pure docti ine,
lettre à Césarius? Elle n'est pas de notre Saint; et,nous nous plaisons à le rappeler de nouveau,
ou, si elle est de lui, elle ne peut être défavo- l'Eglise romaine n'a pas hé.Mté à dire de lui,
rable au dogme adoré de la piété. Les plussin- dans l'office consacré à sa mémoire: «qu'il n'est
cères, parmi les docteurs du Protestantisme, « personne qui n'admire la multitude, lapiété,
l'ont reconnu. Chrysostome, disent les centu- « lasplendeur de ses discours et de ses autres

riateurs de Magdebourg, semble confirmer la « écrits, sa manière d'interpréter les Livres

Transsubstantiation'' Ses écrits, de l'aveu de . Saints et d'eu exposer le sens, et ne le trouve


quelques autres, renfermant de nombreux pas- a digne de la faveur que l'apôtre PauLobjetde
sages qui fournissent contre eux des objections sa plus profonde vénération, aurait paru lui
tres-plausibles et spécieuses. Tant l'éloquence o accorder, en lui dictant beaucoup de choses
de (J firysostome , ajoutent-ils, l"a emporté, i pendant qu'il prêchait ou qu'il écrivait «.Les

comme un torrent, à
se servir de certaines fa- siècles, d'ailleurs, ont ratifié ces belles pa-
çons de parler qui ont servi à la postérité de roles adressées par Cassien au clergé de Con-
pierre d'achoppement et de scandale, et donné stantinople « Souvenez-vous de vos anciens
:

grand accroissement à la naissance de l'erreur maîtres et pontifes, de Grégoire illustre dans


qui est aujourd' hui vernie à son comble* ! k\ni\, tout l'univers,... de Jean admirable par sa foi
elle-même qui l'établit:
c'est l'école protestante et par sa pureté, de ce Jean qui, semblable à
loin qu'on puisse reprocher au saint docteur un l'Evangéliste, et lui aussi disciple et apôtre de
mot contraire à la Transsubstantiation ou à la Jésus, passa toute sa vie sur la poitrine et dans
présence réelle, c'est lui qui aurait donné plus l'amour du Seigneur. Souvenez-vous de lui,
d'accroissement à ce double dogme, s'il n'eût suivez-le; pensez à sa pureté, à sa foi, à sa doc-
été tout d'abord la foi de l'Eglise catholique et ; trine, a sa sainteté; souvenez-vous toujours de
nous aimons à le redire, ce n'est pas sans rai- votre docteur, de votre père nourricier, dans le
son que celle-ci a toujours regardé ce Père
Arnaud,
comme particulièrement suscité de Dieu pour '

Chrys.,
t.

Bom.
12, p. 20.
44, sur S. Math. 11 explique ces paroles du Sau-
affirmer la vérité et relever la sainteté de l'Eu- veur : Qui est ma mère? Qui nont mes fi ères? (Math., c. 12,46.)
Il parlait ainsi, non qu'il rougit de Fa mère, waii pour lui moDlrer
que, sans l'observatioa des commandements de Dieu, sa glorieuse
'WoTerb., c. 6, ». 17. —
' P«tr. Bibl. noti (M«ï), toa*
6, p. liU, maternité ne lui servirait de rien \ car ce qu'elle ût là accusait chei
Hi(a. Pttrol., t. 64, c«l. 647. ' Chrys., —
>ur laTrab. de Judas, cil»1'' di*sir de pr-r.'iiie. F.l'e v:.iii -il se fa te Tjic au ^jejp!-", commt
^9»t. l. — * Ccû'.ji. S, o. i. —
* Aubcrlio, dt i'EucliatUl.,
p. 11^7. &>a&i (M euipue aui bOD ûl».
.382 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

sein et,pour ainsi dire, l'embrassement duquel est difficile de monter aussi haut que lui, il
vous avez grandi, qui tut votre maître commun sera du moins glorieux de marcher sur ses
à vous et à moi, dont nous sommes les élèves traces. Qu'il soit toujours devant vos yeux,
et les disciples. Lisez ses écrits, gardez son en- qu'il soil toujours dans votre pensée'.
seignement, faites revivre sa foi et sa vertu. S'il ' 'assien, de Incarn., lib. 7, c. 3U

CHAPITRE TRENTE-TROISIÈME

Endoiie. — I,a veuve Tlién^noste. — Callilrnpe. — Tliéortnrir. — Coalition des ennemis de Chrysoslome. —
Acace de Bérée.

Théophile.— Les g7'ands frères. — Chassés du désert, ils vont à Conslanliuople.— Accueil qu'ils reçoivent de Chrysostome.

Le lecteur n'a pas oublié ces nobles paroles reformes entreprises d'une main courageuse au
de Chrysostome « Etre enchaîné pour Jésus-
: sein d'un clergé déchu, les justes sévérités dé-

Christ est plus beau que d'être apôtre, que ployées à Ephèse et ailleurs contre l'intrusion
d'être docteur, que d'être évangéliste.... Si et la simonie, l'austérité d'une vie apostolique

j'avais à opter, j'aimerais mieux souffrir pour contrastant avec la tenue d'une foule de prélats
Jésus-Christ que d'être glorifié par lui. Souffrir plus courtisans que pontifes, ses fréquentes ob-
pour Jésus-Christ, c'est une gloire qui surpasse jurgations, sesanathèmes contre l'orgueil, l'é-

tout.Ce que j'envie de saint Paul, c'est moins goïsme, les vices insolents des patriciens et des
son ravissement au paradis que son cachot, parvenus, ses pressantes sollicitations en faveur
moins les grandes lumières qui lui furent com- des pauvres, sa popularité croissante, l'éclat de
muniquées que ses fers et ses souffrances I » son talent, l'élévation de son caractère, la gran-
La Providence avait pris au mot son élu. deur de sa renommée, son zèle pour la dignité

une part de douleurs


Elle lui tenait en réserve et l'indépendance spirituelle du sacerdoce, ses
digne de sa grande âme. L'heure des épreuves sages remontrances à l'empereur, son invinci-
sonnait ; et lui aussi, il allait passer au creuset ble résistance aux empiétements d'une cour
des Saints, compléter dans sa chair, suivant le aussi ambitieuse qu'incapable, aussi tyrannique

mot de l'Apôtre, divmepassmi dit Sauveur;


la que lâche, poussée par son mauvais génie à
il allait savourer, au gré de ses vœux, les ou- envahir sans cesse le sanctuaire, comme elle

trages, les calomnies, la persécution, boire à envahissait les fortunes privées, tout cela avait

longs traits au calice de Jésus-Christ, désaltérer suscité et suscitait tous les jours contre Jean

enfin cette soif sublime de souffrir qui le consu- des jalousies, des dépits, des colères qui de-
mait. « Qui me donnera, s'écriait-il au milieu vaient bientôt se condenser en orage. Une
du peuple d'Ântioche, qui me donnera de voir haine commune devint l'âme et le nœud d'une

la chaîne de Paul, de la baiser, de la vénérer » I coalition formidable. On y comptait les moines


Et maintenant, exaucé au-delà peut-être de son corrompus, les prêtres indignes, les évêques
espoir, il allait, non la voir et la baiser, cette jaloux, les dames dont le saint pasteur avait
chaîne de l'Apôtre, mais la porter et dire en blâmé les folies, les courtisans dont il gênait

vérité : « J'ai saisi la chaîne de Paul, personne les déprédations et les vices, lesAnoméens,les
ne me l'arrachera cette chaîne, c'est l'amour
;
Novatiens, les dissidents qu'il écrasait par la
de Jésus-Christ, et ni la mort ni la vie, ni les triple autorité de la doctrine, du génie et delà
principautés ni les puissances, ni tout ce qu'il vertu, Acace de Bérée, Sévérien de Cabales,

y a de plus haut ou de plus profond, ni la vio- Théophile d'Alexandrie, Eudoxie surtout et par
lence ni aucune créature, ne pourront nous sé- elle Arcadius, le plus faible et le plus entêté

parer de l'amour de Dieu, en Jésus-Christ des hommes.


Seigneur » Depuis la chute d'Eutrope et plus encore de-
La fermeté néccssai re d'une grande ad min is- puis que le glaive des Huns avait abattu la tête

tralion en lutte avec les passions et les abus, les de Gainas, Eudoxie tenait l'empereur sous une
CHAPITRE TRENTE-TROISIÈME. 383

domination d'autant plus absolue qu'elle avait moins très-légères, et l'on désignait tout haut

été plus lon^'tonips convoitée. La nature, qui le père des enfants qu'elle donnait à l'empe-
avait trailé en marâtre le pauvre fils de Tliéo- reur. Il est certain qu'elle estimait peu son
dose, s'était montrée d'une rare comiilaisance mari et qu'elle n'avait pas l'habitude de se con-
pour la fille de Bauton. Elle lui avait prodigué traindre beaucoup dans ses passions. On a dit

l'esprit, la grâce, la beauté, tous les attraits et à tort qu'elle était Arienne. Une piété princière

toutes les séductions de la femme. Arcadius vit couvrait, tant bien que mal, de ses fastueuses
son portrait en fut épris. Eutrope fit le reste.
et apparences les bassesses et les crimes de cette
11 se servit habilement de la passion allumée vie.

par ses soins dans le cœur du prince pour per- Une femme de celte espèce devait haïr Chry-
dre Riifinetseposer lui-mÙMue, comme l'hom- sostome,l'incorruptibleennemidesvicesqu'elle
me indispensable, à côté de ce trône où il fai- adorait. Cette haine instinctive s'était accrue ,
sait asseoir Eudoxie. La jeune Gauloise, arrivée à la chute d'Eutrope , par la noble fermeté du
d'un seul bond au faîte de la grandeur, trouva pontife à défendre les droits de l'Eglise et la
au-d(ssus d'elle, entre le sceptre de son mari tête d'un malheureux ; elle s'était envenimée
et sa propre ambition, la main souillée qui plus tard par les services mêmes qu'on avait
avait été l'instrument de sa prodigieuse for- implorés et qu'il avait loyalement rendus, alors
lune; elle frémit et s'indigna. Mais, aussi astu- que Gainas menaçait la ville et l'empire. D'au-
cieuse que lière elle dissimula son dépit et pa- tres circonstances où le courage calme du
,

rut se résigner au rôle secondaire dans lequel prêtre s'était rencontré face à face avec la pol-
l'eunuque favori prétendait la contenir. Elle tronnerie de la cour où s'était dressé comme
alfecta même pour l'auteur de son élévation une barrière devant sesusurpations, revenaient
une reconnaissance empressée, jusqu'au jour sans cesse à l'esprit de l'altière princesse avec
où, se dressant comme une vipère sous le pied une amertume que ses adulateurs avaient soin
qui l'écrase , elle put atteindre d'une blessure d'aggraver par de perfides rapports. On lui re-
mortelle le honteux protecteur qu'elle détestait. présentait Jean comme un ennemi
personnel
Elle rampa par orgueil; sa haine fit sa sou- qui saisissait toutes les occasions de la tourner
plesse. Implacableetpatientedanssavengeance, en ridicule auprès du peuple. Les courtisans
elle attenduit, embusquée dans ses perfides at- faisaient leur métier en calomniant la vertu,
traits, que l'occasion lui livrât sa proie. L'ava- en trompant leurs maîtres ; l'évèque poursui-
rice partageait son cœur avec l'ambition ; on vait noblement sa sainte mission en censurant
reconnaissait l'élève d'Eutrope. Il n'y avait pas les vices. C'étaitun malheur, sans doute qu'Eu-
d'odieuse exaction, de vente infâme qui lui doxie personnifiât aux yeux de ses sujets l'ava-
coulât pour grossir le royal pécule sur lequel rice et l'orgueil, et qu'on ne pût tonner contre
coupable dévouement de ses eunu-
elle payait le certains désordres sans que la malignité publi-
ques et des femmes perdues qui l'entouraient. que ne montrât du doigt l'impératrice abhor-
C'était la concussion en diadème elle eût ; rée mais parce que l'iniquité régnait auda-
;

vendu l'empereur et vendit [ilusieurs fois sou cieusement à la cour, la chaire devait-elle
nom. Gauloise par le sang, Grecque par le ca- rester muette? Suffit-il au crime de mettre sur
ractère, elle mêlait la ruse à la violence ; cha- ses traits hideux un masque de pourpre pour
cun de ses sourires cachait une trahison. Elle imposer silence à la vérité et commander, au
remplit la cour de délateurs et trafiqua du lieu du mépris , le respect ? Parce qu'il étale
crime de lèse-majesté. Toute terre qu'elle dai- avec plus d'orgueil ses scandales et ses orgies,
gnait visiter et dont elle goûtait les fruits apjiar- parce qu'il verse de plus haut ses funestes poi-
tenait à son domaine ; tout héritage qu'elle sons, le peuple doit-il rester sans enseigne-
convoitait élait disputé aux héritiers légitimes ments, et faut-il que les gardiens naturels de la
réduits â la mendicité et devenait la pro])riété loi divine refoulent au fond de leur âme leur
de la souveraine enrichie tous les jours des lar- juste indignation , de peur de blesser , même
mes et du désespoir de Le peuple
ses sujets'. par un faible cri de douleur, des oreilles eni-
qui ne l'aimùt [>as vengea peut-être sur
se vrées de mensonges et de flatterie? Faut-il que
l'honneur de la femme de la tyrainiic de la le Christ désarmé , devenu courtisan , laisse
reine on accusa
; .ses mœurs qui furent au tomber le loucl vengeur, et, au lieu d'unathc-
' Zfctjn., 1
5i c. ï ;
i
£. Kil, Vcritlcr, c. 9 ; Georg. Yi'. SU mcs et de vœ, u'ait plus que des hommages et
384 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRÏSOSTOME.

des complaisaTires ? Dans sps sorties les plus de sa bru. Endoxie éclata en menaces, en in-
\phéiiienie?, ChrysoMome fut toujours ce (lu'il jures, et se retira furieuse*. Cet événement fut

di vaiictre, rinlf[>ièicde l'Evangile, l'homme à la haine de l'impératrice ce que la geu''«


df Dit u , \f past ur dévoué des grands et des d'eau est au vase trop plein: il la fit déborder.
petits. Se* pensées, ses st ntiments, ses colères De ce jour, Eudoxie n'eut qu'une pensée : sa
ardentes mais tinijniir!! Faiidcs, tous ses actes vengeance.
comme tons ses discours étaient dominés par Des faits analogues durent se reproduire plu-
qnel(|ne cliose de su|ieiieiir nui rem(dissait son sieurs fois. Georges rapporte que Paulacius,
cœur it sa vie: la cliaii é et loisciue Zozinie ;
gouverneur d'Egypte, devait cinq cents écus
le représente comme une espèce dcHlcnir.gogue d'or à la veuve Callitrope, qui le poursuivit en
occupé soulevi r le jieuple, il ne s'inspire que
; justice. La furie couronnée en fut instruite, et,

de sa liainede païi n contre le pontife du Christ, se posant en médiatrice, elle tira du mauvais
et son assertion est une pure calomnie. débiteur cent écus d'or, sur lesquels trente-six
Ce iiui est certain, c'est que les plaintes des seulement furent donnés à la veuve. Celle-ci
familles dépouil ées, les sanglots des victimes recourut à Chrysostome, dont les démarches
retentissaient en longs et douloureux échos pieusement obstinées mirent l'avare princesse
dans l'âme de Jean, et qu'il eut à intervenir hors d'elle-même. Et cependant le charitable
plu< d'une fois auprès de l'auguste voleuse, à pontife était obligé de revenir chaque jour à la
lui disputer ses rapines, à lui faire entendre la charge pour arracher à la rapacité impériale de
vérité, l'n homme considérable de Constanti- nouvelles victimes. Un riche patricien, Théo-
flOple, Théognoste, calomnié par les délateurs, doric, voyant la cour acharnée à lui disputer
fut condamné à l'exil, et l'on ordonna la con- sa fortune, invoqua l'appui du pasteur que les
fiscation de ses bi ns qui faisaient son seul prières des opprimés ne trouvaient jamais in-
crime. Il mourut en
rendantau lie u du ban-
se sensible, mais qui cette fois ne put sauver le
nissement. Prot( cleur né de la faiblesse et du malheureux dont la perte était jurée qu'en lui
malheur, l'évèque prit en main la cause d'une conseillant de distribuer aux hospices tous ses
famille désespérée et chercha à la taire rentrer biens. Le conseil fut suivi, et l'auguste spolia-
dans une partie de sa fortune mais la cour ne ; trice frustrée de sa proie s'emporta jusqu'à ac-
répondit a la demande du pasteur que par une cuser noble et saint prélat d'avoir abusé de
le

injustice nouvelle. C'était le temps des ven- la confiance du patricien et de s'être emparé de
danges. La veuve de Théognoste possédait une ses richesses sous prétexte de charité'.
vigne aux environs de Constantinople; le ha- Ces faits ne seraient pas suffisamment éta-
sard fit, que dans une de ses promenades, l'im- blis, que le caractère connu de la fille de Bau-
pératrice entrât dans cette vigne elle en trouva ; tbn, ses vices, ses rapines, son despotisme, ses
le site délicieux et voulut la posséder. Alléguant crimes ne rendent que trop croyables. Il
les
une loi en vertu de laquelle il suffisait aux Zozime, qu'un homme riche pût
était rare, dit

princes de mettre le pied sur une terre ou d'en léguer ses biens à ses héritiers. Eudoxie, ses
goûter les fruits pour que cette terre leur ap- eunuques, ses femmes se les faisaient adjuger.
partînt moyennant indemnité au propriétaire, Sous un tel régime, les honnêtes gens s'en-
Eudoxie cueillit une grappe et déclara que la nuyaient de vivre et souhaitaient de mourir.
vigne faisait partie de son domaine. Chryso- A la vue de tant de corruptions, d'injustices,
stomeécrivitàl'usurpatrice une lettre que nous d'orgueil, de violence, Jean pouvait-il contenir
avons encore, supjdia, protesta, parla de Na- sa douleur? Pouvait-il se taire, fermer les yeux,
both et de Jésabel prières et remontrances,
; abandonner ses brebis à la dent du loup ? U
tout fui inutile. Le pontife indigné crut devoir parla, il intervint, il se jeta entre les victimes
frapper un grand coup. Un jour de fête, comme et le bourreau. Eudoxie céda quelquefois, mais
l'épouse d'Arcadius se présentait aux portes de devint plus furieuse à chaque concession qu'on
la grande église pour assister à la synaxe, Jean, lui arrachait. La perte de Chrysostome fut ré-
debout sur le seuil sacré, nouvel Ambroise ,
solue.
arrêtal'hypocrite princesse et la conjura d'épar-
' Geotg., <n vit. SU.; Léo imp.,iR«<(.Sft'.,-Jonn.Damaac.,ora(.
gner à son âme un sacrilège et de s'éloigner. in Jonrt. Chrys , o. U et 15 j Baronius, ad ann. 401, § 56-60. j Boi-
Mais il n'y avait rien de commun entre la land., in liil. S. Porphyrii, 26 feb-, p. 651

;
Galland. Veter. P. Bibl.,
I. ', {). '2\i -jVoxa'ix Ptéasjusti/îcatiues. ' Georg., /oc. oi^jLeO|

grauJe ânje deTlicodoscell'implaeable orgueil («c cit.; Baroo., loc, cit.; veir k» Piie» Jnslificaiiveif
CIlAl'ITRE TRENTE-TROISIÈME. 38S

Ce n'ctait pas chose aisée que d'atteindre, au les deux intrigata's qui, sous le manteau d'é-
faîte de l'eslime pnbliiiiie, un honiine comme \êi|ue, après avoir déserté leurs diocèses, ve-
celni-là.La Inine avait besoin d'insirumenis naient porter le trouble dans le sien. Légers de
habiles trouva dans le sanctuaire. Los
: elle les propos, suspects de mœurs, avides d'argent,
principaux furent Séverien de Cabales, Acace encourageant tous les mécontentements, déni-
de Bérée, Antiocbns de Ptolém.iïs, Cyrinus de grant toutes les vertus, courtisans des riches,
Chalcédoine et Tlicopliile d'Alexandrie. parasites de leurs tables, flatteursde leurs vices,
Antiochus et Séverien sont déjà connus. Pon- étaient la pierre d'achoppement du clergé et
ils

tifes sans foi, hommes sans consistance et sans ladouleur du pontife. On surprenait leur main
loyauté, aventuriers de la cour et do l'église, dans tous les tripotages du palais et de la sa-
ils avaient passé leur vie à flnirer la fortune cristie. A fore" d'adulations, à force de basses-
sous le masque du dévouement. Zèle, vertu, ses, ils s'étaient insinués dans la faveur d'Eu-
parole, talent, tout était faux chez eux, excepté doxie et figuraient habituellement dans ses
la bassesse du caractère et la vénalité de l'âme. antichambres, entre ses femmes et ses eunu-
Une certaine connaissance des Ecritures et ques. Prêtres avilis, apôtres mercenaires, apo-
quelque peu de rhétorique leur avaient fait stats de l'honneur, ils haïssaient profondément
dans la Syrie, leur pays natal, une réputation l'homme éminent dont la renommée écrasait
d'éloquence, laquelle habilement exploitée les leur orgueil, dont les vertus confondaient leur
conduisit à l'épiscopat, sans autre vocation que vie, et ils étaient d'autant plus empressés à ser-
la vaine gloire, sans autre vue que l'intérêt. vir les colères de l'impératrice, qu'ils y trou-
Mais Ptolémaïs et Cabales parurent aux vani- vaient, avec la satisfaction de leur propre ven-
teux et cupides déclamaleurs de trop petits geance, une source féconde de lucre.
théâtres pour leur mérite ils laissèrent donc ;
Acace de Bérée, qui partagea leur acharne-
aux ministres subilternes le soin spirituel de ment et leur félonie, jouissait d'une grande
leurs troupeaux, et priient larontedeBy/ance réputation de sagesse et de sainteté. Il avait
pour s'y produire avec plus d'éclat et de fruit. assisté à plusieurs conciles et pris aux luttes re-

Antiochus y vint le premier, sous l'administra- ligieuses du temps une part très-active. Vieil-
tion de Nectaire; et comme il parlait a?sez bien, lard octogénaire, son visage imposant, sa parole
qu'il était du goût de la cour, il tira parti de la grave et douce, le recueillement répandu sur
faveur qu'il obtenait, ramassa le plus d'argent ses traits, la dignité de ses mœurs, une auréole
de ces premiers bénéfices
qu'il put, et, satisfait d'orlliodoxie et d'ascétisme autour de ses che-
sur l'Evangile, s'en retourna chez lui écrire un veux blancs lui assignaient, par la vénération
long traité contre l'avarice. Ce succès, connu des fidèles et de ses collègues, un rang éminent
de Séverien, enflamma son émulation il rédi- ; dans l'épiscopat. On le regardait comme un
gea avec soin quelques sermons ampoulés et homme apostoli(|ue, et ses amis ne l'appelaient
sonores, et courut à Constantinople les débiter que le grand, l'illustre, le divin Acace. Jeune,
et s'enrichir. Son accent était dur, son style ilavait vécu, dans les montagnes d'Antioche,
sec ; il plut moins que son rival. Mais adroit, au milieu des anachorètes et des cénobites,
obséquieux, d'une rare souidesse d'esprit et émule de leurs immolations et de leurs vertus.
de volonté, parlant avec une parfaite assu- Pincé lui-même à la tête d'un monastère, il vit
rance la langue de la componction et du zèle, sa demeure saecagéeet incendiée par les Ariens,
il gagna la confiance de Chryso^tome pour la et reçut à cette occasion une lettre flatteuse de
trahir indignement. Le ch tif rhéteur poussa saint Basile *. Plus tard, il fut député par les
le délire de la vanité jusqu'à se mettre en tète catholiques de Syrie vers le chef de l'Eglise,
de remjilacer, sur la chaire de laseconde Rome, pour signaler au suprême gardien de la foi les
et dans l'admiration du peuple, le grand oia- nouveautés impies d'Apollinaire et, dans les ;

teurqui lui permettait de paraître à sa tribune; conférences qui eurent lieu en présence du
et, avec une insigne déloyauté, il profita du pape Damase, il défendit chaleureusement la
momi nt où le iiasleur, obligé de s'absenter, lui vérité des deux natures contre les attaques det
confiait l'instruction de son troupeau, pour ca- l'hérésie. Devenu évêque de Bérée, il porta sur
lomnier son caractère et saper son autorité. la chaire pontificale les austères vertus de l'as-
Chrysoslome le pardonna, mais le tint à dis- cète et, comme pour défier les investigationi
;

tance. 11 avait besoin, d'ailleurs, de surveiller ' s. Basil., ap. 200.

S. i r.ii. — To.ME 1.
3St) HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

et les doutes, il maison ouverte à tout


tenait sa nière extrémité les solennelles définitions du
le monde à toute heure du jour et de la nuit. concile d'Ephèse'. mourutàgé de centseize
11

Toutefois, sa piété ostentalrice semblait plus ans, emportant dans la tombe et laissant dans
occupée du public que de Dieu. l'histoire une mémoire équivoque.

Sur cinquante-huit ans d'épiscopat, il en Pallade, qui l'avait vu à l'œuvre, le traite


pas?a près de vingt dans la disgrâce et hors de d'esprit déréglé et corrompu, de vieux séduc-
la communion de l'Eglise romaine. Réconcilié teur occupé à poursuivre des éloges immérités,
une première fois avec elle par le concile de et n'ayant dans l'âme, au lieu de la chaleur de
Capoue, il eut le bonheur de prendre part à la la foi, que l'ivresse de la i)assion *. Pallade est
consécration de Cbrysostome, et reçut de lui la peut-être sévère, et cependantil est difficile de

double mission de porter le décret de son élec- ne pas reconnaître que, sous des dehors de
tion au pape Sirice et d'implorer la réconcilia- douceur et d'ascétisme auxquels son âge et sa
tion du Saint-Siège avec Flavien. Acace avait physionomie donnaient du prestige, Acace ca-
alors soixante-seize ans. Il s'attira facilement chait une vanité irascible, des rancunes impla-
les sympathies du clergé romain, le plus bien- cables, une activité fébrile qui le poussait à
veillant comme le plus digne du monde catho- s'imposer partout, l'infaluation de son impor-
lique, et ses efforts, qu'aidaient de leur côté tance, le besoin inquiet de primer, un carac-
saint Isidore d'Alexandrie et Démélrius, évêque tère jaloux, une âme sans élévation qui ne re-
de Pessinunte, furent couronnés de succès. culait ni devant
la déloyaulé ni devant la ca-

Mais, par une de ces contradictions qui furent lomnie pour venger un amour-propre blessé.
le malheur de sa longue vie, il ne tarda pas à Esprit faux, entêté, tombant facilement dans
troubler lui-même cette paix si péniblement l'illusion et incapablede s'y arracher, mélange
rétablie, en introduisant sur la chaire d'Antio- de ruse et d'emportement, de platitude et d'or-
che, par une ordination clandestine, contraire- gueil, obséquieux envers les forts, fler envers
ment au vœu du peuple et aux saints canons ', les f libles, adorateur du succès, il avait tra-

un homme odieux et vil, le déshonneur de Té- vaillé toute sa vie et presque réussi à donner
piscopat. Du reste, il connaissait peu ou il dé- au vice l'auréole de la vertu.
daignait singulièrement les règles antiques et Son seul gri^ f contre un collègue vénérable
vénérées du sacerdoce, puisque tout récem- dont il allait demander la déposition et l'exil,
ment encore il avait imposé les mains à un c'était d'avoir reçu de lui une hospitalité qu'il

bigame '. trouvait intérieure à son importance. Il jura de


Exclu pour la seconde de la communion
fois perdre celui dont il se croyait négligé ; et,
de Rome, il persévéra dans le schisme jusqu'à comme c'était de la table de Jean que l'austère
l'année 314, où le pieux successeur de l'indigne ascète prétendait avoir à se plaindre, il quitta
Porphyre, en rétablissant dans les diptyques Byzance en disant à qui voulait l'entendre : Je
sacrés le nom
de Cbrysostome, rétablit aussi vais préparer à votre évêque un plat de ma
l'union si longtemps troublée entre l'Orient et façon'. Dès ce moment, en effet, tout entier à
l'Occident. Encore verrons-nous le cauteleux cette triste pensée, il se lia avec les ennemis de
vieillard envoyer des protestations de repentir Cbrysostome, attisa les ressentiments de Théo-
au pape Innocent, au moment même où il écrit phile, et mit sa haine, son habileté, sa vieil-
à l'évêque Atticus en homme
qui n'a pas le lesse au service d'Eudoxie et de ses fureurs.
moindre regret de ses torts envers Jean prêt : Mais le principal instrument de l'implacable
à honorer sa mémoire devant ses amis s'ils princesse, le porte-drapeau de la coalition, ce
étaient les plus forts, et à la conspuer devant fut l'évêque d'Alexandrie, Théophile. La mé-
ses adversaires venaient à prévaloir. Sa foi,
s'ils moire de cet homme a trouvé des éloges au
d'abord si ardente et si ferme, se ressentit des sein même des conciles. Saint Profère et saint
tergiversations et de la duplicité de son carac- Jérôme en parlent avec rc'S|iect. Vincent de Lé-
tère. D'une part, il encourageait le zèle de saint rins le qualifie de prélat illustre par sa foi, sa
Cyrille de l'autre, il protégeait Nestorius et
; science et sa vie. Saint Léon le compte, avec
refusait de le condamner. On le vit s'associer saint Athanase et saint Cyrille, pai'iiii les plus
aux résistances des Orientaux contre le saint excellents pasteurs qu'ait eus l'église fondée
évèque d'Alexandrie, et n'accepter qu'à la der-
• Cyrill. Alex., ep. 56 et S7 TiUem., ib., p. aS. — '
P«U8d.,
•P«Uad., dial., c. 15. — "Théod., ep. 140; TUleia., t. 11, p. 235. dial., c. 9. — '
;

l'uUad., dial., c. 4.
CHAPITRE TRENTE-TROISIÈME. 387

par saint Marc. Plusieurs, parmi les Orientaux, riens païens sesont faits les complaisants échos.
ne rappellent que saint Tliéopliile '. D'autre Les partisans d'Origène, qu'il eut àcombattreet
part, des historiens do situation et d'autorité sur lesquels il s'acharna, ne durent pas ména-

diverses le représentent comme un homme ger la réputation d'un homme qui s'était porté
vain, jaloux, avare, vindicatif, ((ui déshonora contre eux à de grandes violences. Enfin, les
par ses fautes et ses passions les hautes qua- amis eux-mêmes de Chrysostome, injustement
lités qu'il avait reçues du ciel et la position déposé, odieusement proscrit, et comme lui
éminente qu'il occupait dans l'Eglise. Ils le pei- victimes du patriarche égyptien, quelque con-
gnent sous des couleurs que nous voudrions fiance qu'ils méritent, quelles que soient leur
pouvoir adoucir. Hàtons-nous de le dire il : véracité et leur autorité, n'ont pu se défendre
unissait le savoir «u talent il avait l'esprit dé- ; d'un peu d'émotion dans ce qu'ils disent de
lié, la parole facile, un coup d'œil pénétrant celui qui fut leur persécuteur le plus obstiné.
qui jugeait un homme d'un seul regard, dans Ces réserves faites, nous devons avouer qu'il
le caractère un mélange de souplesse et de vi- y a contre Théophile une presque unanimité
gueur, avec une étonnante mobilité d'opinion fâcheuse. Si Ton résume les diverses appré-
une ténacité de vouloir capable d'exécuter de ciations dont il fut l'objet, il faut dire qu'il
grandes choses, des connaissances assez éten- était orgueilleux, emporté, plein de rancune,

dues en philosophie, en mathématiques, dans mobile et opiniâtre à la fois, ami du bruit et


toutes les sciences de son temps etsurtoutdans de l'éclat, et de l'or peut-être encore plus que
celle des Livres Sacres. Saint Jérôme loue son de l'éclat. Esprit fln, subtil, présomptueux, il
éloquence '; et, en elTet, il ne déplaisait pas mûrissait peu ses pensées mais adoptées de ;

comme orateur, mais ce qui reste de ses œu- prime-abord, il en poursuivait le triomphe à
vres attesteun écrivain obscur, guindé, lourd, travers touslesobstaclesetpar tous lesmoyens'.
sans goût. On n'a accusé ni ses mœurs ni son Agissant plutôt d'après la direction de ses pas-
orthodoxie, bien qu'il eût un instant incliné sions que d'après des principes fermes, sa con-
vers rOrigénisme et traité d'héréti(|ue saint duite était pleine de contradictions, et lui
Epiphane '. Il dut une partie de sa célébrité à valut, malgré l'entêtement dont il faisait preuve
son cycle pascal, travail méritoire pour l'épo- quelquefois, le surnom de Versatile *. Avide
que, et au zèle qu'il déploya pour extirper de d'influence, actif, infatigable, habile à con-
l'Egyiite les derniers restes du polythéisme. duire une intrigue, dévoré du besoin de faire
Armé des édits de Théodose, il détruisit les et de dominer, il avait à la cour des agents et
temples fameux de Canopeet d'Alexandrie. Le des espions chargés de le tenir au courant de
renversementdu sanctuaire de Sérapisfitbeau- tout et d'obtenir, même à prix d'argent, qu'on
coup de bruit. Mais c'est à tort qu'on reproche donnât pour officiers à l'Egypte des hommes
à Théophile d'avoir laissé incendier et piller qu'il pût maniera son gré '. Son zèle pour le

la riche bibliothèque d'Alexandrie : cette accu- progrès de la foi, sincère, mais trop bruyant
sation n'a pas plus de fondement que de vrai- peut-être, manqua souvent de modestie et de
semblance *. charité. La passion de l'argent dominait chez
Que dire des charges terribles qui pèsent sur lui les autres passions on l'accusa, à tort sans :

sa mémoire? On l'accusa de simonie, de vol, doute, de vendre les dignités de l'Eglise *. H


de calomnie, de meurtre même. Nous éprou- semble que cette fatale cupidité lui aitfait faire
vons une invincible répugnance à admettre de des bassesses. On le vit, après s'être prosterné
pareilles accusations contre un homme si élevé aux pieds de femmes illustres dont il mendiait
dans le sacerdoce, qui défendit vaillamment les largesses, devenir leur persécuteurdès qu'il
l'orthodoxie, jouit de l'estime desaint Jérôme et n'eut plus rien à attendre d'elles'. Complaisant
d'autres personnages considérables, etquesaint des grands, l'opulence était à ses yeux un très-
Cyrille, son neveu, necessadevéncrerctd'iifrcc- haut mérite; aussi réservait-il tous ses cour-
lionner. N'oublions pas que le zèle par lui dé- roux pour les faibles. Du désert de Nitrie, où
ployé contre l'idolâtrie expirante des lui suscita il fut élevé au milieu des grands cénobites, il

haines implacables, furieuses, dont les hislo-


'
Sozom., 1. 8, c. 12 j Socr., 1. «, c. 9; Pallad., dl»l. — ' Sozom.,
ibil. ; Socr , ibii. ; Psilad., ibid. ; Nèand. Chry»., p. 24, 2e part.
• Tlllem., t. 1 1 , p. 495 ; S. Hier. «71. 99 Vinc.; LIr., c. 12 ; S. Léo, — '
Pallad., ibid. — ' laid. Pelus., ep. 152 ; Socr., 1. 6, c. 7, «f
ep. 77. — • S. Hier , ep. 31. - ' PjUad., di>l., c. 16; Socr., I. 6, ultim.; Sozom., 1. 8, c. 12; Pallad., in t. 13, Chrjr»., p. 54,
^
c. 7 et 9. — ' GorinI, Dif. M l'Egl , t. 1, p. 55. ' PalUd., ibid
,
p. 60.
388 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

avait apporté une grande renommée de savoir pératrice et d'hommes tarés de tous les ordres,
et de vertu qui lui ouvrit la route des honneurs et surtout les trois femmes dont nous avons
ecclésiastiques; mais, gardien de la discipline déjà parlé, qui mirent en œuvre leur crédit,
sacrée, mit souvent au-dessus des lois,
il se leursséductions, touteslesressources du génie
jus(ju'à ériger de mécliants bourgs en évêchés de l'intrigue, pour perdre le plus vertueux des
contrairement à la volonté des peuples et à ses pontifes. Théophile, on s'en souvient, avait
propres décrets, jusqu'à introduire dans l'é- traversé de tous ses efforts l'élection de Jean au
piscopat des ignorants et des indignes'. Assis siège de Constantinople, soit qu'il y vît la pré-
sur la chaire d'Athanase,
y de il déiiloya plus pondérance redoutée de l'école d'Antioche sur
faste que de grandeur. Le sublime lutteur de celle d'Alexandrie, soit qu'il ne pût pardonner
la foi, qui avait fait tête à la colère toute-puis- àl'élu sa haute réputation, ou qu'il voulût écar-
sante de quatre Césars, n'avait pour successeur ter un concurrent redoutable d'influence, un
qu'un de ces prélats serviles pour qui le sanc- obstacle àses vues ambitieuses. Son orgueil ne
tuaire n'est que le vestibule de la cour, toujours se résigna pas sans douleur à consacrer lui-
prêts a traîner Jésus dans les antichambres même celui dont il réprouvait l'élévation et
d'Hérode, pour acheter le sourire d'Hérode aux craignait l'énergie. Delà, dans son cœur un
dépens de Jésus. Théophile, d'ailleurs, avait le dépit étouffé, une profonde rancune qui de-
goût des constructions et faisait bâtir des égli- vaient éclater à la première occasion. Cette oc-
ses il enrichit Alexandrie de plusieurs monu-
: casion, le hautain et vindicatif prélat la trouva
ments religieux; mais il y dépensait, a-t-on dansle pieux intérêt témoigné par Chrysostome
dit, l'argent des pauvres, et sa magnificence, à de pauvres moines chassés de Nitrie. Mais il

qui lui coûtait peu, épuisa le trésor de la cha- faut reprendre les choses d'un peu plus haut.
rité. Au contraire, s'il fallait en croire les histo- Un prêtre octogénaire, Isidore, que saint
riens polythéistes, la destruction des temples Athanase avait appelé du désert pour l'élever
des dieux aurait grossi le sien. Le témoignage au sacerdoce et à la dignité de xénodoque, gou-
de saint Isidore de Peluse ne donne que trop vernait, sous ce titre, l'hôpital d'Alexandrie.
de créance àces tristes accusations. «L'Egypte, Toutentieraux œuvres de miséricorde, austère
écrivait-il, est tombée dans son injustice ordi- pour lui seul, indulgent pour tous, il appor-
naire; elle a rejeté Moïse pour Pharaon elle a ; tait dans son administration un dévouement
fouetté les faibks, écrasé les affligés, bâti des admirable, et montraitaumilieudela bruyante
villes et privé les ouvriers de leur salaire : voilà métropole de l'Egypte la sainteté des plus fer-
ce qu'elle a fait sous la conduite d'un Théo- vents disciples de saint Antoine et de saint
phile passionné pour les pierres, idolâtre de Pacôme. La paix de son âme respirait sur son
l'or,appuyé dans ses noirs desseins par ses front, souriait sur ses lèvres; il semblait vivre
quatre satellites, ou plutôt par les quatre com- déjà delà vie des cieux; doux, affable, d'une
plices de sa malheureuse apostasie ^o. Le trait charité si parfaite que les païens eux-mêmes
suivant, s'il est croyable, achèvera de le pein- le vénéraient. Les pauvres bénissaient en lui
dre. Maxime
s'étant révolté contre Théodose, l'image vivante de la bonté divine. Versé dans
et l'issuedelà guerre entre le chef et l'usur- la science des Ecritures, il passait souvent de
pateur de l'empire étant encore douteuse, l'étude des vérités révélées à la contemplation
Théophile envoya un prêtre à Rome avec des de Dieu, la vérité éternelle et, comme si déjà
;

lettres de félicitation et des présents pourl'un son âme impatiente d'amour eût pris posses-
et l'autre à la fois, afin d'être le premier aux sion du souverain bien, il restait de longues
pieds du vainqueur, quel qu'il fût '. Nousver- heures en extase et n'en sortait qu'en versant
roiiS que l'Eglise romaine lui retira sa com- d'abondantes larmes. Quoi disait-il, je suis I

munion et qu'il mourut sans l'avoir obtenue. faitpour jouir de Dieu, el me voilà condamné
Tels étaient les meneurs principaux de la à user de la nourriture des animaux, quand je
coalition contre Chrysostome. Autour d'eux se n'ai faim que du pair, des Anges L'Eglise 1 —
groupaient simoniaques déposés à Ephèse,
les a inscrit son nom aux fastes des Saints.
les prélats jaloux de la supériorité éclatante de Théophile avait professé d'abord une grande
l'cur collègue, une foule de plalsvaletsdel'im- estime pour Isidore ill'envoya
; à Rome auprès

du pai)e Damase avec une mission deconliauce,


'Sjnéf., ep. B7; TiUera.. t. 11, p. 431; Pall., ibid. — « S. Isid.,
1. 2, ep, 162. — • àotr., I. 6, c. 2 ; Sozom., 1. 8, c. 2. eti'ga se rappelle qu'à la mort de Nectaire il
CHAPITRE THENTE-TIIOISIÈME. 380

Iravailla de son mipiix h le faire monter sur le chorètes. fut un des plus célèbres théâtres de
siétîedeConstaiiliiiiiple.NevouIail-il qu'ocliai)- la vie cénobilii|ue. Là, cumine dans une oasis
perà l'espèce lie gène (|iie lui causait une vertu de prière et de sainteté, vivaient cinq mille
comme celle-là, toujours présente à ses côtés ascètes héritiers de l'esprit de saint Ammon,
pour reprocher ses emportements et son
lui émules de ses vertus. Au milieu de leurs cel-
avarice? Sonfjeail-il à se préparer une plus lules, éparses pargrou pes et formant ensemble
grande inlluence à la cour, en pl.içinl près unccin(iuantnine de monastères, s'élevait une
d'elle un prélat de son choix dont la pieuse grande et belle église, dont trois palmiers for-
simplicité et la vieillesse ne pourraient faire maient, pour ainsi dire, le parvis. Huit prê-
obstacle à ses desseins? Quoi qu'il eu soit, ce tres la desservaient ; mais un seul,
le plus
fut le nom d'Isidore ([uil opposa à celui de ancien des huit, avait le droit d'offrir le sacri-
Jean ; malheureusement on a pu dire que cette fice et de prendre la parole; les autres l'entou-

candidature ne lui fut inspirée ni par le zèle raient en silence. Les solitaires se rendaient à
des intérêts de l'Eylise, ni par l'afl'eclion qu'il samedi elle dimanche; le reste de la
l'église le

semblait poiterau saint prêtre. A cette affection semaine demeuraient dans leurs monastè-
ils

hypocrile succéda bientôt une haine ardente : res, où chaque heure de travail était suivie

voici à quelle occasion. d'une courte prière. Le soir venu, un chant


Ami des pauvies, homme d'immolation et pieux délassait les travailleurs, et l'hymne
de charité, Isidore avait la confiance des per- s'élançant de toutes les poitrines, de toutes
sonnes les plus pieuses de la cité . et Tune les cellules à la fois, faisait vibrer le désert

d'elles venait de lui donner mille pièces d'or, comme un temple dont la montagne était
en lui taisant jurer par la table sainte qu'il en La vie de ces hommes était un con-
l'autel.

achèterait des vêtements pour les femmes in- tinuel renoncement à eux-mêmes, mais un
digentes, sans en parler à l'évêque Théophile. renoncement que la piété rendait facile et
Evidemment on suspectait la probité de celui- aimable. Ils s'exerçaient surtout à rompre leur
ci on craignait du
; moins qu'un argent destiné volonté, et portaient l'obéissance si loin, qu'ils
à une œuvre de bienfaisance ne fût détourné n'auraient fait quoi que ce soit à l'insu du
de son but [lour être prodigué en construdions supérieur dont ordres semblaient venir du
les

fastueuses. Ces détails, veiuisà la connaissance ciel. Leurs repas se composaient de pain, de
du patriarche, le blessèrent profondément; il choux, de fromage et d'olives; quelques-uns
résolut de se venger sur Isidore des insultes de touchaient à peine à cette nourriture légère,
l'opinion. Lui, pontife du Christ, successeur comme si déjà leur âme, victorieuse de toutes
d'Atlianase, il s'abaissa à un rôle infâme. En les lois de la nature, eût absorbé ou spiritualisé
présence de son clergé réuni, il produisit leur corps. Leur sommeil était court, et dès le
contre l'humble directeur de Ihospice un mé- lever du soleil chacun volait à son poste les :

moire contenant une accusation déshonorante, uns labouraient les champs, les autres culti-
mémoire qu'il prétendit avoir oublié depuis vaient le jardin ; ceux-ci tressaient des nattes,
dix-huit ans dans ses papiers, et il acheta ceux-là copiaient des manuscrits, servaient les
quinze piècesd'or' un témoin pourle soutenir. étrangers ; tous savaient la Bible par cœur.
Le saint vieillard répondit avec tant de calme Loin d'être un fardeau pour la contrée, ils eu
etde présence d'esprit, qu'il confondit l'arche- étaient la Providence, car non-seulement ils
vêque devant toute l'assemblée. Mais ce hon- savaient arracher à un sol sauvage leur propre
teux échec ne fit qu'irriter le calomniateur, et nourriture, mais avec les produits combinés
il chassa de son Eglise le vénérable hospitalier. de leurs privations et de leurs travaux, ils ré-
Isidore, en proie aux incessantes altaciues de pandaient d'abondantesaumônesdansles ville»
son terrible adversaire, s'éloigna de la ville et voisines et la Lybie, exposée à de fréquentes
s'enfonça dans le désert de Nitrie, tout plein disettes. L'hospitalité et la miséricorde étaient
des souvenirs de sa jeunesse, pour y attendre à la tête de leurs devoirs. Ils n'avaient de ri-
dans le silence et la paix l'heure du Seigneur. gueurs et de blâmes que pour eux-mêmes.
La montagne de Mtrie, entre la Lybie et la Quel que fijt le visiteur qui leur arrivât, arien,
Ba-se-Egypte, à quarante milles d'Alexandrie, idolâtre, manichéen, ils quittaient tout pour
à dix milles de Cellia, la métropole des ana- lui faire un accueil aimable, persuadés que la

Sozom., I. 8, c. n ; l'allad., dial., p. 21, 22. pénitence elle-même doit s'elTacer devant la
300 HISTOmE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

charité. Cette vie sobre, calme, occupée, écar- consoler et s'écriait en pleurant : Hélas ! ils

tait d'eux la plupart des maladies la mort ne ;


m'ont pris mon Dieu; je ne sais plus ce que
lc.« surprenait jamais, ils la voyaient approcher j'adore'.
avec joie et la saluaient d'un sourire de recon- Gardien de la foi, Théophile avait solennelle-
naissance, comme la libératrice bénie qui ve- ment combattu l'anthropomorphismedansune
nait briser leurs chaînes. de ses lettres pascales. On appelait ainsi celles
Dans ce moment, la grande famille étaitgou- que, depuis le concile de Nicée, le patriarche
vernée par quatre hommes, fils du même père, d'Alexandrie écrivait tous les ans, aussitôt après
auxquels leur taille élevée avait fait donner le l'Epiphanie, aux métropolitains de l'Egypte,
nom de grands frères\ D'un âge avancé, d'une pour leur indiquer le jour de la Pâque.
vie sainte entre les plus saints, ils avaient con- La lettre, portée suivant l'usage dans les mo-
du Verbe et souffert pour elle sous
fessé la foi nastères, produisit une grande irritation dans

le règne impie de Valens. On les regardait ceux de Scéthé. L'immense majorité des soli-
comme des prophètes et des thaumaturges: ils taires la rejeta avec colère et, l'abbé Paphnuce ;

prédisaient l'avenir, ils guérissaient les ma- excepté, les prêtres qui présidaient aux églises
lades en les touchant. Les démons tremblaient du désert refusèrent d'en donner lecture aux
à leur voix; Théophile ne trembla pas. réunions du dimanche. Théophile fut regardé
Sa haine implacable poursuivant Isidore dans comme un apostat de la doctrine on parla de ;

sa lointaine retraite, au milieu du silence etde renoncer à sa communion, et les plus fanati-
l'oubli du désert, il ordonna aux grands frères ques, perdant la tête, coururent à Alexandrie
de le chasser. Ceux-ci, hommes de charité avant porter des protestations et des menaces. Dans
tout, ne purent se résoudre à une telle dureté leur fureur, ils eussent mis l'évêque à mort, si
contre un homme dont ils avaient appris, dès sa présence d'esprit ne l'avait sauvé. 11 aborda

leur jeunesse, à aimer le caractère, à vénérer l'émeute d'un air souriant Quand je vous vois, :

la piété, et ils vinrent s'expliquer devant le pa- dit-il, je crois voir le visage de Dieu, Ce mot

triarche. Chose à peine croyable, quoique bien habile dissipa l'orage. Mais quelques moines
attestée I Un homme si haut placé dans l'Eglise plus revèches s'écrièrent: Si tu crois que Dieu
de Dieu n'accueillit les bons solitaires que par a un visage comme nous, condamne donc les
des injures et des violences, et s'oublia jusqu'à livres d'Origène; sinon tu seras traité comme
saisir au cou au visage l'un d'enti'e
et frapper un ennemi de Dieu. Théophile répondit : Je
eux qu'il mit tout en sang'. Là ne s'arrêta pas suis contre ces hvres, et depuis longtemps j'ai
sa vengeance. le désir de les condamner.
En ce moment, de vives disputes troublaient Le patriarche ne disait pas vrai, car il avait
la paix du désert. Théophile les envenima en y incliné jusque-là vers Origène; et, malgré les
entrant, et s'en fil une arme contre ceux qu'il instances de saint Epiphane et de saint Jérôme,
voulait détruire. Voici de quelle manière : il s'était refusé ', lui évoque d'Alexandrie, à
Parmi les moines qui peuplaient le grand dé- flétrird'une condamnation le plus illustre nom
sert de Scéthé, à quelques lieues de Nitrie, du de l'école d'Alexandrie. Mais dans ce moment
côté de Memphis, il en était beaucoup dont la il pensait aux grands frères dont l'estime pour

piété simple, l'esprit sans culture, prenant à la Origène égalait l'aversion pour l'anthropomor-
lettre les anthropologies de l'Ecriture, attri- phisme, et il voulut déchaîner le désert de
buaient à Dieu une forme humaine. Profondé- Scéthé contre celui de Nitrie. Des hommes af-
ment imbus de leur grossière erreur, ils trai- fidés parcouraient les monastères et les cellules,
taient A' Origénistes ceux qui cherchaient à les soufflant la discorde, et représentant comme
désabuser. On raconte deScrapion, l'un d'entre des hérétiques et des impies les partisans de
eux, que, ramené à la vérité, il ne pouvait s'en l'incorporéité divine. De scandaleuses alterca-
tions avaient succédé aux cantiques pieux; les
* Soc, 1.
6, c. 7. C'étaient Dioscore, Ammonius, Eusèbe et Eu- moinesles plus éclairés, les vrais ascètes,étaient
thyme. Ils avaient des sœurs qui partageaient leurs sentiments et
vivaient en recluses dans un logement bâti à quelque distance de de la part des autres l'objet de toute espèce d'a-
celui de leurs frères.
vanies. Ce fut dans ces circonstances que Théo-
' Pailad., dial., c, 6 j Sozom. (1. 8, c. 12) ajoute qu'il le fît jeter
tn prison. Socrate donne un autre motif aux colères de Théophile :
phile lança sa lettre pascale de l'an 401 . Il y dé-
le départ des deux frères qu'il avait appelés dans le clergé d'Alexan-
drie, et qui l'avaient quitté ^ous la pénible impression que leur eau- • Sulp. Sévèr., dial. i, c. 3. — '
S. Hier., ep. 38 et 59, t. 4,
lait la conduite de l'évéque, (Socr., 1. 6, c. 7), 2« part., p. 397.
CIlAriTIlE TRENTE-TROISIÈME. 301

clare que Dieu a fait pour lui le mcnic miracle de confondre ceux qu'il croyait ses ennemis et
que pour les trois jeunes liomiiies i|iii placés ,
d'assouvir sa ven,s;eance. Rien ne l'arrêta pour
dans une fournaise ardente, éeli.iiipèrent à l'at- arriver à ce but. Sa haine caU niée ne se borna
teinte des tlaiumes ;
qu'il a traversé, lui aussi, pas à prononcer une sentence plus ou moins
les mêmes sans y perdre ni ses cheveux
périls, injuste, à isoler ceux (|u'il voulait perdre: il

ni ses vêlements, c'est-à-dire, sans que les doc- gagna cinq des cénobites de Nitiie: trois qu'il
trines funestes d'Oi iyène et sa fausse science, fit diacres, un quatrième qu'il éleva au sacer-

auxquelles jamais il n'ajouta foi, aient pu lui doce, et le cinquième qu'il nomma évêi|ue
ravir la moindre parcelle de vérité et s'éle- ; , d'une bourgade érigée tout exprès en évéché;
vant avec une violence extrême contre les en- et, s'étant assuré leur aveugle dévouement à
seignemenlsdu docleuralexauilrin (|u'il trouve ses desseins, il les décida à lui présenter une
pleins d'erreurs, il le dévoue à la danuialion requête accusatrice, pleine de calomnies, contre
éternelle, lui ceux qui partajjent ses
et tous Ammonius Muni de cette pièce,
et ses frères.
pensées, a Qu'ils descendent vivants au fond il court chez implore son mtervention
le préfet,
de l'abîme, dit-il, qu'ils y voient avec eux leur en faveur de la discipline ébranlée par des
maitre en impiété, et qu'ils s'écrient Et toi : moines séditieux, et fait décréter leur expul-
aussi, tu es pris avec nous; ta gloire est tom- sion, à main armée s'il le faut, de la montagne
bée dans l'enfer!... Et(|uel enfer est assez pro- et de l'Egypte. On assure que Théophile voulut
fond pour de tels crimes! Quel homme a porté présider à l'exécution de cet ordre. A la tête de
si loin la révolte et la folie? Qui a aimé les dé- quelques soldats, de ses propres valets gorgés
mons à ce point? Qui a bu ainsi du vin de So- de vin, d'une foule de misérables ramassés
dome et s'est enivré de ses fureurs? Quel imi- dans les rues et prêts à tout, d'une bande de
tateur de Jéroboam a dressé tant d'autels au moines anthropomorphites dont il enflamme
mensonge? Dalhan etAbiron ont moins péché le fanatisme et arme les mains, il se dirige vers

que lui, et ont dû l'accuser et le confondre au Ni trie, insulte, chemin faisant, Dioscore,rhuni-
tribunal du Christ '
1 » ble évêque d'ilermopolis et l'un des grands
Dans la pensée du patriarche, ce solennel et frères, le fait arracher de son trône et jeter
sévère anathème avait double avant ige de
le hors de l'église, poursuivant sa route, il
et,
lui concilier saint Epiphane et saint Jérôme, fond sur les monastères au milieu de la nuit,
et de livrer les grands solitaires de Nitrie à la livre les cellules au pillage et à l'incendie, et
haine fanatique des Aulbropomorphites, pour brûle pêle-mêle les manuscrits précieux col-
qui le nom détesté d'Origène ne signifiait autre ligés par les cénobites, et les saints
mystères
chose que négation du Dieu adoré par leur
la gardés chex eux suivant l'usage du temps. Un
pieuse ignorance. La patience des victimes enfant périt dans les flammes; des meurtres
trompant les espérances du persécuteur, il furent commis. Les Grecs honorent comme des
réunit à Alexandrie les évèques des villes voi- martyrs les victimesdeces fureurs. Ammonius,
sines, et, dans un synode dont il fut l'âme et la Eusèbe et Eulhyme n'échappèrent à la mort
parole, les grands frères, ou du moins trois qu'en se cachant au fond d'un puits '. De là,
d'entre eux ré(iulés plus influents, furent con- couverts de leurs peaux de mouton, ils s'enfui-
danmés comme hérétiques et magiciens sans rent en Palestine, où, trois cents des leurs étant
avoir été entendus nimandés '. Le concile pro- venus les joindre ', ils s'établirent dans les en-
nonça contre les livres d'Origène un nouvel virons de Scythopolis, à cinq lieues du Jour-
anathème'. Mais l'accusation de magie portée dain, dans un pays couvert de palmiers qui
contre Ammonius et les autres n'était qu'une fournissaient la matière première de leur mo-
calomnie absurde, et, quant à celle d'Origi;- deste industrie. Le reste des cénobites se dis-
nisme, acceptée conune vraie par saint Jérôme persa en divers endroits mais la sévérité des
:

et par Baronius, elle ne semble pas reposer sur édits publiés contre eux et l'acharnement de
un solide fondement. Quoi qu'il en soit per- ,
leur eimemi ne leur permirent de se fixer nulle
sonne ne doute que Théoiihile eût antre chose part. D'ailleurs, la persécution embrassa toute
en vue, en persécutant ces pauvres moines, que l'Egypte et s'étendit jusqu'à la Thébaïde. «Ce-

' TMoph. Liber patchalù,


2, dam S. JétOme, B. B., l. i, p. 707 • Pallad., dial., c. 7, p. 33.
«t«ol». — ' Pall., dial., c. 6. —S. Hier., <•/>. 87, t. 4, 2« part., * Sozomène oe parle que de quatre-vingts , Pallade Uève Uur
p. eou, ibid,, apol. adcert. Jl^fin., 1. 2, p. 417, DODibre A tron ceota.
:n HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

tail chose désolante à voir, écrit un témoin pape Théophile, il ne nous reste qu'à nous
oculaire, et la douleur que je ressentis ne me adressera l'empereur et à faire publier, au
permit pas d'accepter l'hospitalité que m'offrait grand déshonneur de l'Eglise, ce qui a été fait
avec instance l'évêque d'Alexandrie; car, si ces contre nous; mais si la dignité du sacerdoce te
malheureux avaientpeut-êlrele tort de nes'ètre tient à cœur, daigne nous écouter, et persuade
pas soumis aux évêques à propos d'Origène, à notre ennemi qu'il nous permette de rentrer
était-il iiermis à des évêques de frapper ainsi dans nos anciennes demeures, car nous n'a-
une foule d'hommes vénérables vivant pieuse- vons péché ni contre la loi du Seigneur ni
ment sous la loi du Christ ? » ' contre lui '
».

Théophile n'était pas satisfait : sa haine vint du cœur des autres par le
Jean, qui jugeait
atteindre les proscrits aux bords du Jourdain sien, ne douta pas que la réconciliation de ces
et leur disputer cette halte d'un jour. Il écrivit pieux vieillards avec leur évêque ne fût chose
aux évêques de Palestine : « Vous ne deviez pas facile, et se chargea volontiers d'en être le mé-

contre ma volonté recevoir de tels hommes. diateur. Il exhorta les solitaires à garder un si-

Puisque vous l'avez fait par ignorance, je vous lence absolu sur la cause de leur voyage, les
pardonne seulement, prenez garde, pour l'a-
; consola de son mieux et les logea dans les
venir, de ne les accueillir ni dans l'église ni bâtiments de Saiiite-Anastasie, oii de saintes
ailleurs». Les fugitifs, pour lesquels le désert femmes, Olympiade entre autres, furent char-
lui- môme se fermait, prirent le parti de s'en gées de pourvoir à leur subsistance, à laquelle
aller par mer à Constantinople, où les attiraient d'ailleurs ils contribuaient eux-mêmes du tra-
la haute réputation de Chrysostomeet l'espoir vail de leurs mains. La situation de l'évêque de
de trouver quelque appui dans la justice de Constantino[)le était délicate. llappela lesclercs
l'empereur. Avec eux étaient Isidore, accablé d'Alexandrie qui résidaient prèsdela courpour
de douleur et d'années, Hiérax, vieillard ad- veiller aux intérêts de leur chef, et s'enquit
mirable, ancien disciple desaintAntoine;Isaac, avec soin des proscrits de Nitrie. « Nous les
élève de saint Macaire, voué dès l'âge de sept connaissons, ré|)ondirent-iis, ils ont beaucoup
ans à la virginité et à la vie érémitique, dont Tu peux ne pas les recevoir à ta com-
souffert.
le seul regard imposait le respect et l'obéis- munion pour ne pas blesser le patriarche, mais
sance aux bêtes les plus féroces; un autre Hiérax, lesbien traiter d'ailleui s, comme il convient à
célèbre par sa sainteté entre les plus saints; un un pontife du Christ ». Chrysostome goûta la
second Isaac, non moins vénérable, lequel, sagesse de cet avis et s'y conforma. Sans ad-
après avoir passé sa jeunesse auprès de saint mettre à la participation des saints mystères
Crône, gouvernait dans le désert de Cellia un les victimes de Théophile, il les entoura de
monastère de deux cent dix religieux, homme soins respectueux, leur permit de venir prier
de haute mortification et de charité, qui mêlait dans l'église, et écrivit à son collègue une lettre
à son pain les cendres de l'encensoir quand il touchante, où, comme frère et comme fils, car
avait servi à l'autel, et dont on cite cette belle Théoi>hile l'avait consacré, il le supplie d'ou-
parole Je ne suis jamais entré dans ma cellule
: vrir des bras paternels à ces infortunés et de
ayant quelque chose sur le cœur contre un de terminer leur misère.
mes frères, et n'ai jamais souffert qu'aucun Cette démarche, toute de conciliation et de
autre entrât dansla sienne mécontent demoi^ charité, si conforme à l'esprit de l'Evangile, et
Dès leur arrivée dans la ville impériale, les qui sauvegardait d'ailleurs tous les droits, re-
proscrits du désert se présentèrent à Chryso- doubla l'irritaiion du terrible égyptien. Ses
stome, lequel, voyant à ses pieds cinquante vieilles préventions contre Jean, ses jalousies
vieillards', vénérables par leurs cheveux blancs s'envenimèrent en haine furieuse. Dérober une
qui respirait sur leurs traits, futému
et la piété proie certaine à sa colère impatiente de s'as-
jusqu'aux larmes. « Nous sommes accourus souvir, était une trahison dont il jura de se
vers toi, lui dirent-ils, pour te supplier d'ap- venger. Use plaignit hautement qu'au mépris
porter quelque remède à nos maux, si tu le des lois ecclésiastiques on donnât asile et pro-
peux. Si tu crains, autant quêtes collègues, le tection à des Origénistes excommuniés, et au
' Sulp. Séïèr., dial. i, c. 3.— ' Pallad., c.
17, p. 62, 63 ; Hist. moyen des cinq intrigants dont il avait acheté
Lausiac, c. 8.
les complaisances il fit parvenir à l'empereur
* Les principaux seuls se reDdireatà CoostaatiQople, les autres se

éispeisèceut en diveis lieux. '


Pallad., dial,, c 7, p. 24.
CllAPlTHE TRKNÏE-QUATRIÈJIE. 393

une rei|ucle contre les grands frères ; reqiicte entraient, dit Pallado, dans de tels détails sur
dont il était l'auteur, et dans liK|iielle, respectés sa tyrannie, surses violences et quelques autres
quant à la i)ureté de leurs mœurs trop cila- poinlsde sa vie, que nous n'osons les transcrire
tantepour ne pas déOer la calomnie, les infor- ici de peur de scandaliser les uns et de trou-
tunés solitaires étaient traités d'iionunes dan- ver les autres incrédules '
».
gereux, imbus d'erreurs funestes et adonnés an refusa de recevoir ce mémoire mais il
J; ;

aus criminelles iiratiijues de la magie. Lui- écrivit à son collègue a Le désespoir emporte
:

même, dans une lettre écrite au coniuience- ces hommes jusqu'à l'accuser par écrit. Mande-
ment de iOiî, il les peint coimne de làelies dé- moi ce que tu penses, car je ne puis les déci-
serteurs du devoir, qui ont quille la solitude der à s'éloigner d'ici». Théo])lHle répondit :

qu'ils faisaient semblant d'aimer, pour aller de a Tu n'ignores pas sans doute le décret de Ni-
province en province assiéger les portes des cée qui défend aux évêques de juger aucune
riches, exciler la pitié des femmes, et inspirer cause hors de leur ressort. Si tu ne sais pas
à tout le monde par leurs mensonges la haine cela, apprends-le, et dispense-toi de recevoir
d'un pontife qu'ils ne haïssaient taufque parce aucune plainte contre moi. Si je dois être jugé
qu'ils aimaient trop Origène. Ainsi, leur exil, par quelqu'un, c'est par les évêques de ma
leurs soullrances, la comiiassion qui s'y atla- province, non par toi qui es à soixante-quinze
chait, les violences mêmes deleurpersécuteur, jours de dislance ».
leur étaient imputées à crime, et les pauvres Chiysostome comprit qu'il n'avait plus rien
proscrits ne furiut uccueillisà la cour que par à voir dans une semblable querelle. Il garda
le dédain : les cfliciers, les serviteurs du pa- par devers lui la lettre hautaine oij l'Egyptien
lais se les montraient du doigt avec dégoût et condamncil d'-avance les attentats auxquels il
les éconduisaient comme de misérables jon- allait se porter lui-même; etaprèsavoir donné
gleurs. quelques bons avisde modération et de charité
Ils n'y tinrent plus, et, repoussant publique- tant aux victimes qu'aux envoyés de Théophile,
ment toute participation aux erreurs qu'on il cessa de s'occuper d'une affaire où son inter-

leur imputait, ils présentèrent à Cbrysostome vention était plus nuisible qu'utile ».
un mémoire explicatif dans lequel la conduite
de Théophile était entièrement dévoilée. «Ils y * Pallad., dial., e. 7»

CHAPITRE TriENTE-QUATPJÈME.

Litres u'Oiigène. — Saint Epiphsne. — Concile de Chypre. — Voyage de saiut E|.ipliaue à Conftai.liiiople. — Sagesse et c'a-
riié de Chrysosiome. — Saint Théotime. — Discours de Cbrjsoatuuie à son peuple. — Entreprise de saint Epipliaue. — Son
dipait. — Sa mort.

Cette sage abstention ne


désarma pas Théo- leté. Se posant aux yeux de l'épiscopat commele
phile : probable qu'il n'y crut pas. Le
il est plus ardent chamiiion du dogme catholique, il

bruit courait que l'évèciue de Constantino|)le pour demander à ses


écrivait lettres sur lettres
avaitadmis aux saints mystères les moines coUèguesla condamnation solennelle des livres
condamnés, et qu'il les prenait hautement sous d'Origène. Du fond de sa grotte, à Bethléem,
sa protection. Théophile se laissa trompci' par Jt rôme
ap(ilaudissait aux eflorts de Théophile.
ce bruit qui ju~tifiailà ses yeux ses préventions Celte grande âme, aussi loyale qu'impétueuse,
contre Chiysoslome, et dès ce moment il n'eut incapable d'une arrière-pensée, ne la soupçon-
plusd'autre pensée ijuc la vengcanc(!.La ques- nait pas dans les autres. Dans le zèle tardif du
tion de l'Origénisme le servait à merveille il : patriarche alexanlrincoiitre les erreursdeson
avait là sous la main une machine de guerre école, il ne voyait qu'iui triomphe nouveau de
toute prèle, et il la fit jouer avec une rare habi- la vérité, et il en était heureux. « Le monde
394 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

entier, lui mande-t il, est content de toi et te massées çà et là ? Pourquoi attaquer dans la di-
glorifie. Les peuples avec bonheur voient l'é- gnité de leur vie ceux dont vous ne pouvez at-
tendard de la croix déployé dans la métropole taquer la doctrine ? Est-ce donc que vous n'êtes
de l'Egypte et l'hérésie vaincue. Courage donc, plus hérétiques, parce que sur votre affirmation
courage ! Tu viens de prouver que ton silence on nous croirait pécheurs? N'aurez-vous plus
était sagesse et non complicité. Je parle libre- votre bouche souillée d'impiété si vous mon-
ment à ta Révérence : je t'accusais d'être trop trez une cicatrice sur notre oreille ? En quoi

patient, mais je vois aujourd'hui que tu n'as nos fautes absolvent-elles vos trahisons? Faut-
suspendu le coup que pour le frapper avec il aimer votre peau d'éthiopien ou de léopard

plus de force' ». parce qu'il y aura sur la nôtre une tache ? » •

De son côté, l'astucieux patriarche ne laissait Le grand docteur accompagnait ces paroles,
pas tomberle pieux courroux du solitaire. « Des adressées à ses amis de la ville éternelle, d'un
hommes pervers et furieux, lui écrivait-il, ont envoi auquel il attache le plus grand prix c'é- :

voulu semer et planter dans les monastères de tait la traduction d'une lettre pascale de Théo-

Nitrie l'hérésie d'Origène; je les ai abattus phile, traduction qui lui avait coûté, dit-il,

sous la faulx du Prophète, car je me suis rap- beaucoup de peine par la difficulté de faire
pelé cet avis de Paul Reprends avec sévérité : passer dans une langue étrangère la beauté du
ceux qui pècJient. Et de l'as- toi aussi, hâte-toi texte original, admiré, selon lui, dans tout l'O-
surer une part de la récompense, en éclairant rient. « Je vous enrichis de nouveau des pro-
par tes discours ceux qui sont trompés ' ». 11 duits de l'aurore, et pour la première fois je
revenait là-dessus dans une seconde lettre « Le : transmets véritablement à Rome les richesses
moine Théodore, ([ui a vu tous les monastères d'Alexandrie. C'est maintenant qu'est accompli
de Nitrie, te dira comment, par l'expulsion des cet oracle prophétique L'autel du Seigneur :

sectateurs d'Origène, j'ai rendu la paix à l'E- s'élèveraan milieu de l'Egypte '. Où le péché
glise et rétabli la discipline du Seigneur. Et abonda la grâce a surabondé. Ceux qui ont dé-
plaise au Ciel que, réfugiés dans vos contrées, fendu Jésus enfant contre les fureurs d'Hérode,
ils y déposent le masque et ne cherchent plus le défendent, dans sa virili té, contre les blasphè-

à ruiner sourdement la vérité Qu'on se sou- 1 mes de l'hérésie. Théophile chasse de l'univers
vienne de l'Ecriture Si quelqu'un vient à : celui que Démétrius chassa de la ville d'Alexan-
vous sans avoir la fui de VEglie, ne lui dites dre. Où donc est-il maintenant ce serpent tor-
pas même : salut. Bien que ce soit chose su- tueux? Où est-elle celte vipère venimeuse?
perflue de te parler ainsi, à toi qui peux rame- Qu'est devenue cette hérésie qui sifflait et
ner de l'erreur ceux qui s'égarent, cependant aboyait impudemment par tout le monde, et
il n'y a pas de mal i: éveiller l'attention des nous présentait, le pape Théophile et moi,
hommes éclairés et prudents ' ». comme ses complices? La voilà écrasée par
Ces perfides paroles produisaient leur effet. l'autorité, par l'éloquence d'un pontife, et, à
Jérôme ne voyait plus que des hérétiques obsti- la façon des esprits démoniaques, elle parle du
nés et des hypocrites dans les pauvres exilés fond de la terre. Priez donc le Seigneur, afin
de Nitrie ; ileux avec sa véhé-
s'élève contre que ce qui a plu en grec ne déplaise pas en
mence ordinaire Ce qu'ils disent de bouche,
: « latin, et que la chaire de Pierre l'Apôtre con-
B'écrie-t-il, ils le condamnent dans le cœur; et firme l'enseignement de la chaire de Marcl'E-
quand leurs blasphèmes connus du public leur vangéliste • ».
attirent l'indignation de tous, ils disent avec Ces glorieux suffrages pouvaient suffire à la
une simplicité feinte qu'ils n'avaient pas com- vanité de Théophile ; ils ne suffisaient pas à sa
pris les paroles du
maître. Si vous leur pié- haine. Il cherchait un auxiliaire placé plus
sentez leurs propres écrits, leur langue nie ce haut dans la hiérarchie, et cependant assez fa-
que leur plume a tracé. Qu'est-il besoin d'as- cile à manier pour servir à la fois son zèle et
siéger la Propontide, de changer sans cesse de ses vengeances, et atteindre du même coup l'é-
lieux, de courir toute la terre et de déchirer vêque de Conslanlinople et les proscrits de Ni-
avec cette fureur un illustre pontife du Christ trie. Il osa songer à saint Epiphane, pour le-
et ses disciples?... Pourquoi ces calomnies ra- quel il n'avait aucune sympathie et que tout
• 6. Hier., t. 4, 2o part., p. 897, epist. »9. — '
Ibii,, p. 598. — ' s. Hier., t. 4, aller, part., p. 690, epist. 8T. — * Iiaie, o. 19.
'Ibid., p. 509. — 'S. Hier., Loc, eiU
CHAPITRE TRENTK QUATHIÈME. 39S

récemment encore dépeignait aupapeSirice bouche les oracles delà sagesse.Il traversa Jé-
I comme un
il

brouillon, mais qui portait le nom rusalem, vénéra les saints lieux, se rendit à
le plus populaire de l'Orient et i|ui, d'ailleurs, Alexandrie pour entendre Athanase, s'avança
ennemi tiéclarédo rOrigénisme, devait eniliras- vers la Théba'ide, dont il brûlait de connaître
6er de toute l'ardeur de son âme, sans se douter les merveilles, passa de monastère en mona-
du piège qu'on lui tendait, toute cause dont le stère jusqu'aux bords de l'Euphrate où d'il-
programme serait la condamnation d'Origène. lustres solitaires avaient établi leur demeure,
La longue \iedesaintEpipliane, mêlée à toutes et, de retour en Egypte, y vécut sept ans de la
les grandes choses delà religion depuis Con- vie des anachorètes dans les parties les plus
stantin, et couronnée d'une imposante auréole sauvages et les plus reculées du désert. Mais il
de science, de sainteté, de prodiges, lui donnait eut beau se dérober aux regards des hommes,
une autorité immense et que nulle autre ne les évoques de la province connurent bientôt

pouvait balancer. les sublimes vertus decet étranger et parlèrent


Né, vers 310, en Palestine, d'une famille is- de lui confler un diocèse. Il le sut et s'enfuit.
raélite. élevédans l'amour de la loi par un Après un séjour de quelques mois au mona-
autre Gamaliel, il avaitétéarrachéau judaïsme stère que gouvernait autrefois Hilarion, pre-
dès l'âge de seize ans, non par un coup de fou- mière école de sa jeunesse, il rentra dans celui
dre comme saint Paul au chemin de Damas, qu'il avait fondé avant son départ pour l'E-
mais sur la route d'Hébron et comme saiut gypte, le trouva florissant et agrandi, et l'enri-
Justin parle spectacle touchant de l'abnégation chit de nouveaux trésors d'éditication rapportés
et delà charité chrétiennes. A peine ba(itisé, de ses courses lointaines. Mais là aussi l'écho
il vendait ses biens, dotait sa sœur, distribuait de sa renommée vint troublerson humilité. Il
aux indigents le reste de sa fortune, et, ne gar- apprit que pour l'épiscopat,
l'on songeait à lui
dant qu'un peu d'or pour acheter des livres, il et, sans attendre un instant de plus,
il gagna le

se jetait dans unmonasière, sous l'humble cé- port de Césarée et s'embarqua pour l'île de
nobite dont la bienfaisance et les vertus l'a- Chypre, où il avait l'assurance de retrouver
Taient si profondément touché. Là, il rencon- son ancien maître, Hilarion.
trait saint Hilarion, le grand ascète, et devenait Le vieuxsolitaire, après bien des vicissitudes
le plus hardi de ses émules. Le maître avait et des combats, sentait approcher l'heure dé-
versé sa flamme dans lecœur du disciple, et le du repos éternel. Il s'était créé un asile
sirée
jeune Epiphane égalait déjà les plus anciens suprême dans une haute vallée de l'île, au pied
du désert par l'ascétisme transcendant de sa d'un rocher à pic, au fond d'unbois épais, près
vie et les dons surnaturels que Dieu lui prodi- des ruines d'un temple antique où ilentendait
guait. A vingt ans il fondait lui-même un mo- hurler et gémir jour et nuit les démons '. Ce
nastère, et, faisant marcher de pair le travail fut là,dans cette retraite sauvage, où l'on ne
de l'intelligence et celui des mains, il se livrait pénéirait que par un sentier ténébreux, en
à ces fortes études, à ces recherches savantes rampant sur les genoux et les mains, que le
qui mirent à même de rendre à l'orthodoxie
le maître accueillit son disciple. Ils passèrent
d'éminents services. Une haute renommée de quelques jours ensemble dans les nobles effu-
science et de vertu attirait dès lors à la porte sions d'une amitié sainte et dans la prière;
de sa cellule de nombreux visiteurs. Les sages après quoi, Epiphaneayant exprimé le désir de
du paganisme venaient le consulter, et quel- retourner dans son désert de Syrie pour y
quefois au sortir de ces entretiens ils embras- mourir loin des dignités de l'Eglise, dans les
saient l'Evan^^ile. Epiphane cependant faillit pratiques de la pénitence et l'oubli des hom-
trouver un écueil dans son amour pour la vé- mes, l'anachorètedeChypre lui dit: Non, mon
rité; carlesGnostiques, doiitilvoulutconnaîtrc fils, c'est à Salamine qu'il faut aller, ta place

les livres et lessymboles, l'entourèrent de est là, et ne résiste pas à mes paroles, car tu
siitluctions et d'enivrements auxquels il n'é- trouverais la tempête ». Le disciple essaya de
chappa, dit-il, que i)ar une divine miséricorde. résister et s'embarqua pour Ascalon; mais le
Le désir de la perfection et le mécontentement niivire qui le portail fut rejeté par les vents
de lui-même le portèrent à quitter la Palestine dans le port de Salamine, au moment où la
pour aller visiter les solitudes célèbres, inter- synode de la province, réuni dans la ville,
roger les hommes de Dieu, recueillir do leur ? s. Hier., t. 1, part. 2, p. 89,
396 HISTOIRE DE SAINT JEAN CIIRYSOSTOME.

s'occupait deUii donner un pasteur. Les suf- vante, nourrie au désert, sous le soleil de la

frages se portaient généralement sur un saint Palestine et de l'Egypte, de contemplation,

\ieillard, cvêque d'une pauvre bourgade; mais d'ascétisme et de foi tes études, prompte à s'a-

il obstinément contre les pressantes in-


luttait larmer, ardente au combat, impitoyable à l'er-
stances de ses fi ères, et annonçait avec assu- reur; sa science variée et profonde; ses nom-
rance que le ciel allait envoyer l'iiraime de breux et lointains voyages; son langage vibrant,
son choix. Sur sa parole, les prélats sortent sur coloré, prophétique; sa vive imagination, qui

la (dace publique, rencontrent Epiphane qui éclate dans ses homélies plus semblables à des

arrivait, l'entourent, le conduisent à l'église, hymnes qu'à des discours; son âme noble,
et lui imposent les mains. La propliélied'Hila- confiante, impétueuse, facile à se répandre,
rion et ses vœux étaient accomplis. prodigue de charité, avide d'épreuves, toujours
Epiphane fit briller à la tête de son clergé prête à l'immolation, faisaient d'Epiphane un
les hautes vertus qu'il voulait enfouir dans la homme à part. Solitaire, apôtre, pontife, doc-
solitude; son épiscopat fut marqué surlout par teur,thaumaturge, il remplissaittoutesles ima-
l'abondance de ses charités. Père des malheu- ginations, de Salamine à Alexandrie, de Rome
reux, nul ne l'invoquait en \ain. Il consacrait à Jérusalem. Les démons fuyaient à sa voix;
aux pauvres tous les revenus de son église, d'un mot il guérissait les malades, d'un mot il
comme il leur avait abandonné tous ses biens. subjuguait les péclieurs. On s'estimait heureux
Une foule de Chrétiens ftrvents venaient en de baiser ses pieds, d'emporter un fil de son
aide à sa prodigalité sainte, heureux de confier vêtement; il ne marchait qu'à grand'peine à
leurs aumônes à de telles mains. SainteOlym- travers les Ilots de peuple qui le pressaient et
piade était du nombre*. Du reste, quand les le soulevaient. Les voyageurs illustres que le
ressources lui manquaient, il y suppléait par goût des pèlerinages et les calamités croissantes
un miracle *. Toute la contrée et les hérétiques de l'Italie poussaient vers l'Orient, se détour-
eux-mêmes l'imploraient comme un autreEiie. naient de leur roule pour saluer l'homme de
Cette incessante sollicitude du pasteur et de Dieu dont la renommée disait tant de choses.
l'ami des indigents ne lui faisait pas oublier ce Jérôme, s'échappant aux orages de la ville
qu'il devait à une charité plus vaste et plus éternelle pour retourner à Bethléem, s'ariéta
haute. C'est pourquoi, cédant à l'impulsion de prèsdelui comme pour oublier, quelquesjours
sa conscience autant qu'aux prières de ses dis- du moins, dans le sein d'une noble amitié, les
ciples, il pour indiquer
écrivit son Anchorat, agitations qu'il traînait à sa suite. Sainte Paule
l'ancre inébranlable où doit s'attacher le fidèle y vint aussi, lasse du monde, fugitive de son
sur la mer orageuse des opinions humaines. Il palais et de ses grandeurs, n'ayant plus d'autre

y rend un hommage éclatant à la suprématie ambition que de s'ensevelir vivante dans le


du siège de Saint Pierre sur toutes les églises berceau sacré de sonRédempteur.Hilarionlui-
du monde. Cet ouvrage fut bientôt suivi d'un même descendit de sa montagne pour voir son
autre, intitulé /'a»ff?'"<m ou livre des antidotes, bien-aimé disciple une fois encore avant de
sinon plus utile, du moins plus célèbre, dans mourir, et recevoir de lui la bénédiction qu'il
lequel, avec autant de vigueur d'esprit que lui avait si souvent donnée. Comme ils étaient
d'érudition, il fait l'histoire des hérésies con- à table, l'évêque servit à l'anachorète quelques
nues j usqu'alors. Parlant les langues hébraïque viandes légères : «Non, dit le vieillard, depuis
et syriaque aussi bien que la langue grecque, que j'ai revêtu cet hab^t, je n'ai rien mangé
connaissant parfaitement l'égyiitien et le latin, quiaiteu vie ». Ejiiphane répondit— o Et :

il lui semblait qu'il était suscité d'en-haut moi, depuis quej'ai ceint celte ceinture, je n'ai
comme un apôtre universel pour faire pénétrer jamais soulfertquequeiqu'un s'endormît ayant
partout la lumière de Jésus-tlhrist. Il écrivit sur le cœur quelque chose contre moi. Père, —
donc une grande lettre à l'église d'Arabiecon- reprit Hilarion, ta règle vaut mieux que la
treles mauvaises doctrines qui la déchiraient. mienne ' ».
Ces ouvrages et d'autres mettaient en lumière Epiphane quitta plusieurs fois son île, soit
le savoir, l'orthodoxie et le zèle d'Epij.hane. pour visiter le désert béni où sa jeunesse avait
Son nom devenait chaque jour plus illustre, été initiée aux plus hauts secrets de la vie my-
son autorité plus grande. Sa foi naïve et sa- stique, soit pour prenure part aux travaux des
' Pallad., c. 17. — •
Socom,, 1, 7, c. S7, alias 26. « Vil. Pair., 1. 5, c. 4.
CHAPITRE TRENTE QLATRIÈME. 397

conciles et voler au secours delà foi partout où renr, il aux moines de Palestine pour
écrivit
il la croyait en péril. Ou le vil à Aniioclie com- les la communion de Jean, accusé
détacher de
battre Ai>ollinaire et s'efforcer, mais en vain, de soutenir et de propager l'hérésie. Il fil plus.
d'arracher à l'erreur révè(|iie Vitalis. Tout en Jérôme, par excès d'humilité, s'abstenait de la
rendant justice aux vertus de Mélèce, il em- plus haute fonction du sacerdoce, ce qui con-
brassa la cause de Paulin, qui avait pour elle danmail les cénobites de Belh'éem à se priver
le successeur de saint l'ierre et l'Occident tout trop souvent du sacrifice de l'autel; mais il
entier. Dans le but d'éteindre le schisme falal avait amené d'Italie son jeime frère Paulinien,
qui désolait l'Eglise de saint Ignace, il s'était alors âgé de vingt-huit ans, dont la ferveur et
rendu à Rome
en compagnie de Jérôme, et y la modestie ravissaient tout le monde. Le mo-

passa toutun hiver dans la maison de sainte nastère demanda (|ue Paulinien lui fût donné
Paule. Taudis que sa douceur, ses vertus, sa pour prêtre, et saint Ephiphane, se liàlant d'ac-

science le faisaient rechercher de tous, il jouis- céder à ses vœux, fit saisir le pieux jeune
sait avec bonheur du speelacle que lui offrait homme qui résistait, et lui imposa les mains,
le Christianisme victorieux, régnant en souve- non à Salamine dans son église, mais dans
rain dans cette vieille métropole de l'idolâtrie l'église d'Ad, àdeux pas de Jérusalem. De là,
et, du haut du Capitole, dictant ses lois à l'u- plaintes de Jean et nouveaux débats plus amers
nivers soumis et plein de ses bienfaits. que jamais. Ils avaient pris de grandes propor-
De retour en Orient, il trouva les luttes et les tions quand Théophile y intervint avec ses
haines qui l'attendaient. Ruflu défendait avec ardentes rancunes et son zèle fâcheux.
chaleur les opinions dOrigèiie; Epiphane les Jusque-là le patriarche d'Alexandrie s'était
censura vivement. Le débat s'agrandit et s'ir- montré l'admirateur et le partisan d'Origène.

rita. L'évêque de Jérusalem prit parti contre Lié d'amitié avec Jean, entretenant un com-
l'évêque de Salamine. Uu jour que celui-ci merce de lettres avec Rufin, il avait été prié
parlait contre Origène dans l'église du Saint- par eux de connaître de leur différend avec Jé-
Sépulcre, Jean (c'était l'évêque de Jérusalem) rôme et dans le but de rapprocher et de ré-
'
;

lui enjoignit de se taire '. Dans une autre cir- concilier des hommes dignes de se comprendre
constance, les deux prélats se trouvaient réunis et de s'aimer, qui ne semblaient divisés alors
dans l'église de Sainte-Croix, en présence d'un que par un malentendu, il s'était empressé

peuple immense qui voulait entendre Epi- d'envoyer à la ville sainte le prêtre Isidore. La
phane. Jean prit la parole, et, s'emportant mission de celui-ci ne fut pas heureuse. Accusé
contre ceux qui attribuaient à Dieu une forme de partialité par saint Jérôme, il reprit le che-
matérielle, il désigna de la voix et du geste son min de l'Egypte sans avoir rien fait, mais
collègue comme partageant cette ridicule héré- chaigé d'une longue lettre dans laquelle Jean
sie. Epiphane laissa Onir le discours; puis il se s'applique à justifier sa foi et se plaint amère-
leva, et, saluant l'assemblée de la main, il dit : ment des procédés de ses adversaires et surtout
t Tout ce que vous venez d'entendre de la bou- de l'ordination de Paulinien. Cette lettre, qui
che de Jean, mon frère par le sacerdoce, mon fit impression à Rome où elle fut connue, avait
fils par l'âge, est parfaitement vrai. Moi aussi, reçu l'approbation de Théophile. Il n'hésitait
je condamne l'hérésie des Anthropomor[ihites ;
pas à dire, il écrivit même
au pape Sirice que
inais,aprèsavc!rcondainnétous les deux cette le zèle peu éclairé d'Epiphane et son inclina-
erreur funeste, il est juste que nous condam- lion à l'anthropomorphisme était un grand
nions tous les deux les dogmes im[iies d'Ori- obstacle a la paix. « La paix! s'écriait Jérôme,
gèue ». Celte courte réponse fit éclater les ac- il ne lient pas à nous qu'elle ne s'établisse par-

clamations el les riresderaudiloire.E[)ipliane faitement. Nousia voulons, nousaussi, et nous


cependant s'éloigna de Jérusalem, vint cher- rini|)lorons mais nous voulons la paix du
;

cher quelques consolations au berceau du Christ, la paix véritable, une paix qui ne cache
Christ, aujirès de ses anciens amis de la ville pas la guerre dans ses replis... Et depuis quand
éternelle transplantés sur les bords solitaires la tyrannie a-t-elle pris le nom de paix?
du Jourdain, et passa de là dans son monastère nous ne sommes pas assez enllés de
Certes,
du vitil Ad, aux environs d'Eleulhéropolis, cœur pour ignorer ce que l'on doit aux pon-
d'où, ne s'inspirant (juu de sou zèle contre l'er- tifes de Jésus Christ ; mais qu'a leur tour, lc3
s. Hi<r., «p. 38, t. 4, •» put, p. 3U. * s. Hiar., iiid., p. 330, tp. 38 ; TjUem., t. 12, p. 1S2.
398 HISTOIRE DE SÀliNT JEAN CIIRYSOSTOME.

pontifes de JésusClirist se contentent de rhom- sède. Par-dessus tout, je te demande de prier

mage qui leur est dû, et qu'ils sachent qu'ils beaucoup le Seigneur, afin que la victoire nous
sont des pères et non des maîtres '
! » reste ; car l'expulsion de quelques moines qui
Théophile ne répondait rien aux interpella- souillaient la pureté de l'Eglise a rempli de joie

tions de Jérôme. Mais, dès qu'il fut brouillé la ville d'Alexandrie et toute l'Egypte ' ».

avec Isidore et engagé d'amour-propre dans la Il n'en fallait pas tant pour enflammer le zèle
malheureuse affaire de Nitrie, il abandonna de saint Epiphane. Ivre de joie à la pensée d'un
Origène, et, avec sa dextérité ordinaire, il se nouveau triomphe de la vérité, il écrivit à son
fit de rOrigénisme une arme contre les pauvres ami Jérôme « Le Tout-Puissant vient d'arra-
:

moines qu'il voulait accabler. Convaincu qu'il cher du sol où elles se cachaient les racines
suffirait d'un appel à la foi d'Epipliane et de empoisonnées de l'erreur, afin que, frappéesà
lui signaler les Origénistes pour le déchaîner Alexandrie, elles sèchent dans tout l'univers.
contre les grands frères et contre Chrysostome Apprends, en effet, filsbien-aimé,qu'Amalec a
lui-même qui les accueillait, il se hâta de lui été détruit jusque dans sa source, et que le tro-

communiquer ce qu'il avait fait dans son con- phée de la croix est dressé sur la montagne
cile d'Alexandrie, et lui écriviten ces termes: de Raphidim. De même qu'Israël mettait en
Le Seigneur, qui son prophète Je t'ai
dit à : déroute ses ennemis pendant que Moïse tenait
placé an-desnis des royaumes tt des nations ses mains élevées au ciel, ainsi Dieu a fortifié

pour arracher et pour planter pour détruire et ,


son serviteur Théophile afin qu'il déployât l'é-

pour édifier, a fait à son Eglise de siècle en tendard contre Origène sur l'autel même de
siècle la même grâce, afln que l'intégrité de l'église d'Alexandrie... Tu verras, par la lettre

son corps ne fût jamais entamée et que les que je t'envoie, quelle grâce le Seigneur ac-
mortels venins de l'erreur ne pussent l'attein- corde à ma vieillesse, quand ce que j'ai tou-
dre. C'est ce que nous voyons, aujourd'hui sur- jours enseigné reçoit enfin l'approbation d'un
tout; car l'Eglise du Christ, qui n'a nitache, si grand pontife ' »,

ni ride, ni rien de semblable, a frappé du glaive Ame pure, ardente, généreuse, incapable de
évangéliquelesserpentsd'Origènequisortaient défiance, Epiphane crut ne céder qu'à sa noble
de leurs cavernes, et délivré Nitrie de la conta- et sainte passion pour la cause de Dieu, et suivit

gion. J'ai exposé succinctement ce qui a été fait l'insidieux conseil de son habile collègue. Réu-
dans une générale que j'ai adressée à tous
lettre nissant en concile ks évêques de son île, il con-
les évêques. C'est à toi, qui nous a précédés damna les livres d'Origène, et pressa l'évêque
dans ces sortes de luttes, de soutenir ceux qui de Constantinople d'en faire autant. Chryso-
sontengagés dans le combat, de réunir les évê- stome ne bougea pas. Certes, personne n'était
ques de ton île et d'envoyer des lettres synodi- moins suspect que lui d'Origénisme car, s'il ;

ques, soit à nous, soit à l'évêque de Constanti- connaissait les travaux de l'illustre exégète et
nople et aux autres que tu jugeras à propos, s'il leur fait plus d'un emprunt dans ses com-
afin qu'Origène lui-même nominativement et mentaires, il est vrai de dire que sa méthode
sacriminelle hérésie soientcondamnés partout d'interprétation sévère et littérale, suivant les
le monde. J'ai appris, en effet, que les calom- habitudes de l'école d'Anlioche, est aux anti-
niateurs de la vraie foi, Ammonius, Eusèbe, podes decellesdu docteur alexandrinqui pousse
Euthymius, pleins d'une nouvelle et furieuse jusqu'aux plus dangereuses hardiesses l'abus
ardeur pour le mensonge, se sont rendus dans desallégories. Nul, d'ailleurs, n'aprofesséd'une
la villeimpériale pour faire, s'ils le peuvent, manière plus explicite les véritéscontraircsaux
d'autres victimes et se joindre à ceux qui par- fausses doctrines imputées à Origène. Mais, soit
tagent déjà leur impiété. Prends donc soin qu'une pareille discussion dans un tel moment
d'instruire de tout cela les évêques de l'Isaurie, lui parût inopportune et plus nuisible à la cha-

de la Pamphylie et des autres provinces voi- rité qu'utile à la foi ; soit qu'il trouvât injuste
sines, et, si tu le trouves convenable, commu- de condamner d'une manière absolue la mé-
nique-leur ma lettre, afin que, réunis tous dans moire et les écrits d'un si grand homme mort
un même esprit, nous livrions, par la puissance dans la paix de l'Eglise à laquelle, malgré d'é-
de notre divin Sauveur, ces hommes pervers à tranges témérités et de regrettables erreurs, il
Satan, pour la mort de l'impiété qui les pos- avait rendu de glorieux services ; soit qu'il ne
/8. Hier., t. 4, a'.t. fart., p. 339, »p. 39. • ». Hier., t. », 2» part , p. 829. —' S. Hier., t. 4,2» pari., p. 59?
CHAPITRE TRENTE-QUATRIÈME. 399

conni'itpas la sanction donnée par le pape Ana- vénération, et plusieurs foisil le pria de pa-
slase auxanallièiiios Ac Tliéopliile, ouqu'ilcrùt raître avec dans l'assemblée des fidèles '.
lui

avec plusieurs autres que ce qui était blâmable Logé dans une maison particulière, Epiphane
dans les écrits d'Orijiène y avait été ajouté de- écartait les avances de Jean et refusait de le
jmis sa mort par des mains étrangères, ou enfin voir. 11 assembla les suCfragants de Constanti-
qu"il commençât à percer les noirs desseins iiojjle, leur lut son décret contre les livres
du patriarclie d'Alexandrie et qu'une intrigue d'Origène et leur demanda d'y souecrire. Quel-
odieuse et d'une lâche hypocrisie lui inspirât (|ues-uns adhérèrent à ce désir; le grand nom-
un insupportable dégoût, il ne répondit pas à bre résista.
l'évéque de Chy])re, n'assembla pas de concile, Saint Théotime fut le principal opposant.
et, s'abstenant d'intervenir dans une querelle Homme de Dieu, lui aussi, ses travux et ses
qu'il déplorait, il continua, sans s'y arracher succès avaient rendu son nom populaire, pres-
un instant, sa sainte mission d'édilier et d'in- que à l'égal du nom d'Epiphane. Sorti des
struire son peuple, de prêcher par la parole et écoles de la Grèce, dont les enseignements
par l'exemple la mansuétude, l'abnégation et la avaient longtemps captivé sa belle intelligence,
charité. l'ancien disciple de Platon conserva sous le
Epiphane, poussé par Théophile, accourut joug de l'Evangile un profond sentiment et
à Constantinople, et, prenant terre a l'Hebdo- comme un culte de reconnaissance pour la jdii-
nion, s'arrèla d'abord dans l'église de Saint- losopbie, le guide aimé de ses premières an-
Jean, où il présida unesynaxe et Ci une ordi- nées, et porta jusqu'à la fin de ses jours les
nationsansl'agrémentde l'ordinaire'. Le pieux cheveux longs et le manteau des philosophes.
vieillard, trompé par la pureté desesintentions Devenu évêque de Thomis dans la Petite-Scy-
elson ardentamour pourl'Eglise, ne sedoutait thie, son zèle s'élançait, au-delà de ces bornes
pas qu'il servait ainsi les mauvaises passions de étroites, à la conquête des Huns et des peuples
quelques intrigants de la cour et du sanctuaire, à demi-sauvages répandus le long de l'Ister. H
heureux d'humilier et de renverser, s'ils le s'asseyait sous leurs tentes, partageait leurs
pouvaient, un pontife dont la gloire et les vertus repas, les invitait à sa table et les gagnait à la
pesaient trop à leurs vices. Toutentier à pour- foi par ses cadeaux, par le charme de son lan-
suivre condamnation d'ouvrages où il ne
la gage et de ses vertus, par cette divine magie
voyait que les venins de l'hérésie, le trouble du nom de Jésus-Christ toute puissante sur ses
de cette préoccupation honorable luiôtaitune lèvres. Les Barbares ravis l'appelaient le Dieu
partie de sa clairvoyance, et faisait oublier au des Romains. On racontait de lui des mer-
plus charitable des hommes lessaintes prescrip- veilles. Un soldat qui le croyait riche, s'étant
tions de la charité et même les plus simples embusqué sur son passage, levait le bras pour
convenances. 11 n'avait pas discerné la calomnie lui jeter au cou le fatal lacet, quand il se sentit
sous le masque du zèle, et le plus vénérable de enchaîné lui-même d'invisibles liens et comme
ses collègues lui apparaissait comme un fau- foudroyé. Debout, le bras tendu, ne pouvant
teur incorrigible de l'Origénisme, un homme bouger, il implora le prêtre du Christ qui d'un
dangereux qu'il fallait mettre au ban de l'opi- mot lui rendit le mouvement et la liberté. Une
nion et traiter déjà comme ceux dont parle autrefois, dans une de ses longues courses à la
l'apôtre saint Jean, auxquels on doit refuser poursuite des âmes, l'intrépide apôtre tomba
même un salut. Chrysoslome, les yeux fermés au milieu d'une horde féroce de maraudeurs
aux jifocédés d'Epiphane, ne voyait que son et s'attendait à périr de leurs mains ses com- ;

âge, ses vertus et la charité. Il envoya au-devant pagnons se désespéraient et pleuraient. H des-
delui tout son clergé pour l'accueillirà l'enlrée cendit de cheval, se mit à genoux et pria. Les
de la ville, et le pressa de venir partager sa de- brigands passèrent sans le voir '.
meure. Son invitation fut repoussée; il eut la Th(jotime, [uessé par Epiphane de condam-
douleur de se voir traité dans sa propre église ner, non œuvres d'Ori-
les erreurs, mais les

comme s'il n'y était rien, ou qu'un jugement gène, répondit qu'il de flétrir était injuste
canonujue l'eût frappé de déchéance. Mais, s'ob- d'un tel aflront un si grand homme mort de-
slinanl dans sa bonté, il ne cessait de prodiguer puis tant d'années. En même temps il prit un
à l'évoque de Salamiue ks léaiuignagcs de sa des livres du célèbre docteur, en lutàl'assem-
' ti«z«B>., I, 8, c 14 i
Sua., I. «, «. 2. SozODi., I. 8, c. 14 ; Soa,, I. «1 c. 13. — ' iniom., i. 7, o, 2t,
iOO HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

blée quelques passnges dignes d'éloge, et s'é- courage que je suis par vos bonnes dispositions.
cria : NVsl-il pas absurde de réprouver de L'Ecriture, en effet, n'exige pas seulement la
pareils travaux, el cei'X qui le font ne s'expo- sagesse dans celui qui enseigne; elle demande
seiit-ils pas à condamner le bien avec le mal'? l'intelligence dans celui qui écoute. Je vous
Ces sages oliservalioiis restèrent sans eff.t. proclame donc heureux; je me dis heureux
Le saint évoque de Salamine, toujours dupe moi-même. Mais les autres où sont-ils? Aux
des intrigants qui l'entouraient et fout entier à soins de la fortune, au service de leur ser-
sa pensée ilominante, se monti.-'i 'nquejour vante, c'est-à-dire de leur chair : ils sont sur la
plus dur vis-à-vis deClirysosîoUi^, cuiédarait place publii|ue. Homme, que
Qu'y fais-tu là?
tout rapport impossible aveclui tant qu'il n'au- vas-tu ramasser? La fange, une boue infecte.
rait pas anathématisé les livres d'Origène et Viens ici tu recevras de moi de précieux par-
:

chassé Dioscore et les moines de Nitrie. Jean fums. Pourquoi rechercher toujours ces riches-
répondait à ces téméraires sommations par des ses fragiles, celte avarice, véritable tyran, ces
paroles pleines de sagesse. Prêt à condamner dignités qu'on perd si vite, cette abondance
l'erreur, de quelque nom qu'elle se couvrît, d'anjourd hui qui ne sera plus demain? Que
mais ne voulant à aucun prix conniverà l'in- veux- tu faire de ces fleurs sans fruit? Pourquoi
justice, quelque masque qu'elle portât, il de- couriraprès l'ombre et laisser la réalité? Pour-
mandait qu'on lui laissât le temps d'étudier et quoi désirer ce qui passe et négliger ce qui de-
de connaître la question sur laquelle il avaità meure? Toute chair est de V herbe, et toute
se prononcer, et à ne rien statuer sur les livres gloire de l'homme comme la fleur de l'herbe.
d'Origène, si ce n'est en concile, entouré des L'hvrbe sèche, la fleur tombe, mais la parole
lumières de ses collègues et après mûr examen. de Dieu demeure éternellement. Tu possèdes
Dominant du haut de sa conscience tout ce des trésors, qu'importe à ton âme? Elle est
bruit d'intrigues, recueilli dans sa charité d'autant plus pauvre que tu es plus riche. Paré
comme dans un sanctuaire inaccessible aux de feuilles, tu ne portes pas un fruit. Quel
passions qui s'agitaient près de lui, il char- avantage en revient-il? Cet argent, tu le quit-
mait, en l'instruisant, le peuple confié à ses teras. Ces dignités, elles sont pleines de périls.
soins et groupé avec amour autour de sachaire. Viens, et jouis de la philosophie de' nos dis-

Ses discours, moins étudiés qu'à Antioche, ti- cours : expie tes péchés; purifie ta conscience;
raient decetabandon même un attrait nouveau. élève ton esprit ; sépare-toi des choses visibles
Jamais il ne fut écouté avec plus d'empresse- pour t'attachera celles qui ne tombent passons
ment, jamais il ne parla avec tant d'onction. les sens monte au ciel, partage les plaisirs des
;

Nous citerons le discours prononcé à cette ang( s; place toi devant le grand et suprême
époque dans l'église d'Anasiasie, sur ces paro- tribunal, et dédaigne cette ombre, cette fumée,
les du Prophète A'e craignez pas IhjiiDie
: ces toiles d'araignée, car je ne trouve pas le
parce qu'il eut devenu riche et qu'il a augmenté nom vériiable d'un tel néant. Viens, montre
la splendeur de sa maison. que tu es un homme, et que ce n'est pas à tort
« C'est un plaisir pour le laboureur, quand qu'on t'en donne le nom ». '

il a travaillé son champ, tracé les sillons, ar- Ce préambule fini, Chrysostome revient au
raché les épines, de répandi'e la semence sur passage du Roi-Propiiète, et, par le souvenir
une terre où il ne reste plus de ronces ni da encore récent des catastrophes qui ont ému la
chardons qui puissent étouffer le bon gralu cité, il démontre la fragilité et l'impuissance
Plus grand est le plaisir de l'orattur quand il de la fortune. Pourquoi craindriez-vous le
«

sème les pensées de Dieu dans une assemblée riche, s'écrie-t-il? Peut-on craindre celui qui
attentive! Aussi je commence avec joie c? dis- tremble sans cesse, qui vit dans une perpé-
cours, parce que vous êtes à mes yeux u,ne tuelle terreur, dont l'âme est assiégée d'amer-'
terre bien préparée. Il estvrai, je ne vois pas tûmes? Un tyran invisible, l'amour de l'argent
vos âmes, je ne pénètre pas dans vos conscien- le suit partout et ne lui laisse pas un seul mo-
ces; mais vos regards tournés vers moi sem- ment de Tout le monde le jalouse. Ses
liberté.
blent me dire Répands la divine semence,
: parents, ses domestiques, ses amis eux-mêmes
nous la ferons fructifier. C'est pourquoi je m'é- sont des ennemis. On le flatte, on le loue, et
lève toujours à une plus haute doctrine, en- on le déteste. Dès que souffle le vent de l'ad-
' Socr., I. 8, c 2; Sozom-, 1. 8, c. li.
• Chcys., t. 5, p, 506, 5ft7,
CHAPITRE TRENTE QUATRIÈME. 401

versilé, les masques toinbenl, les faux amis se tourne pas; je te le conseille, bien que l'Evan-
découvrent, et lie toutes cesboucliesqui l'exal- gile exige de nous de plus hautes vertus; car il
taient il sort un cri Je réprobation Le mal- : est écrit Si votre justice n'est pas plus abon-
:

honnête homme ! le misérable le scélérat !...


! dante que celle des scribes et des pharisiens^
Quelle différence avec l'homme qui pratique la vous n'entrerczpas dans le royaume des deux*.
charité ! Celui-ci est cher à tous, morne à ceux Tâchez cependant d'atteindre jusqu'à Abra-
qui n'ont pas éprouvé ses bienfaits tous le bé- ; ham... Le voyez-vous?...Iltuele veau gras; il
nissent. C'est le père des malheureux, le bâton appelle sa femme: Pétris trois mesures de fa-
des vieillards, le port de ceux que poursuit la rine, lui dit-il; et Sara n'hésite pas; elle ne
tempête. Si une infortune le fra[)pe, on s'inté- dit pas : Me siiis-je donc mariée, moi si riche,
resse à lui, on prie pour lui, mille voix s'élè- pour pétrir et pour cuire le pain des étrangers ?
vent vers le ciel pour le recommander à Dieu. Non, cette pensée ne lui vient pas à l'esprit.
Mais quoi te voilà encore sur les riches
! Et !
— Unie à son époux, non-seulement par les liens
vous, encore sur les pauvres 1 — Oui, je suis du mariage, mais par une communauté de
contre les voleurs, vous contre ceux qui sont sentiments et de vertus, elle se hâte d'obéir,
volés. Vous n'êtes pas rassasiés de dévorer les car elle sait aussi le prix de la charité. Où sont
malheureux, de les opprimer; je ne le suis pas les femmes d'aujourd'hui ? Comparons-les à
de vous corriger et de vous gronder. Laisse- Sara. Sont-ce là les ordres qu'elles reçoivent ?
moi ma brebis, laisse-moi mon troupeau. Si Sont-ce leurs œuvres ? Montrez-moi la main
tu les attaques, peux-tu me faire un crime de d'une de ces femmes qui aiment tant les pa-
l'attaquer à mou tour ? Je suis pasteur ;
je fais rures. Elle est toute dorée au dehors ; au
la guerre aux loups non à
; je les repousse, dedans, qu'y a-t-il ? De combien de pauvres ne
coups de pierre, mais par la parole. Que dis-je ? porte-t-elle pas la dépouille? Elle est gantée de
je ne te repousse pas je t'appelle. Fais-toi bre-
;
rapines. Celle de Sarji n'était parée que de l'au-
bis; viens que je te reçoive dans mon bercail ! mône, de l'hospitalité, de la charité, de l'amour
« Quoi donc un riche peut-il être sauvé ?
! des pauvres. la noble main'!...»
Sans doute, car Job était riche, Abraham était Quelques jours après, le pieux orateur re-
riche. Vous avez vu dans l'Ecriture les ri- prenait le même texte dans la grande église,
chesses d'Abraham ;vous avez vu son hospita- et, avec ce mélange de sainte rudesse et de pa-

lité, sa bonté, son genre de vie. II était assis à ternelle bonté, il signalait de nouveau ce con-
midi sous chêne de Mambré trois hommes
le ; traste qui le choque tant de l'excessive misère
se présentent, il s'incline devant ces étrangers. des uns et du luxe insensé des autres. C'est
Si vous m'en trouvez digne, entrez sous mon toujours la même abondance d'images vives

toit. leur dit-il. Voilà ce qu'il faisait, le noble et fortespour retracer le néant de ces fausses
vieillard ! Il avait quitté sa femme, ses enfants, grandeurs dont l'orgueilleux étalage ne lui
ses serviteurs, et il était làhors de sa maison à semble que le coupable défi d'une poignée
jeter le filet de l'hospitalité. Il craint qu'un d'hommes aux souffrances de l'humanité.
seul voyageur lui échappe, et c'est pourquoi il L'ombre des corps, dit-il, grandit à mesure
ne s'adresse pas à ses esclaves dont il connaît que le soleil baisse elle diminue à mesure ;

la négligence il a peur qu'ils ne s'endorment et


; qu'il monte, et se réduit à rien quand l'astre
que l'occasion de faire du bien ne lui soit ravie. atteint midi. Ainsi les choses d'ici-bas : elles
Voilà Abraham, voilà le riche. Et toi, daignes- ne paraissent grandes que dans l'éloignement
tu regarder le pauvre? Daignes-tu répondre ? de la vertu mais à mesure que vous vous
;

Lui adresses-tu la parole ? Quand tu lui élevez dans l'amour du bien et que vous les
donnes quelquefois, c'est par la main de ton voyez dans la lumière des Saintes Ecritures,
serviteur. Ainsi ne faisait pas le juste.Exposé elles se rapetissent et se montrent ce qu'elles
au soleil,en plein midi, il était en quête de sont, vives, fragiles, de nulle valeur, aussi
bonnes œuvres, et le désir d'exercer l'Iiospita- passagères que l'eau du fleuve qui coule et ne
lité lui tenait lieu de fraîcheur et d'ombrage. revient plus... Que signifie donc tout cela? Est*
Comparez à cet homme les riches de notre ce qu'on est plus grand parce (lu'on a uua
temps. Où sont-ils à midi ? Ils dorment sous grande maison, ou un jardin, on un pré, ou
le poids du vin une foule d'esclaves, ou des vèlonicnts prii',

« Veux-tu imiter Abraham ? Je ne l'en dé« ' Malib., c. 5. — ' Chry»., ibiJ.

S. J.f'u. - Tou: I.
402 HISTOIRE DE SAINT JEAN f-HRYSOSTOME.

cieux? On admire l'art qui a construit ces jar- prit i|ue le Seign(>ur ton Maître a mnngé avec
dins, ces palais, qui a lissé ces étoffes. De tels les piiblicains, qu'il a conversé avec la péche-
ouvrages attestent le mérite de celui qui les a resse, qu'il a été crucifié entre deux voleiu's,
produits, non de celui qui les possède; sou- qu'il s'est mêlé au reste des hommes I L'orgueil
vent, au contraire, ils ne prouvent c|ne son im- l'égaré ju,~qu'à te faire perdre la nature hu-
moralité. Loin d'augmenter sa considération, ni tiiie I Ue là, parmi nous, le mrpris de la mi-
ils l'atraiblissent, et font dire à tout un public séricorde, la passion de l'avarice, la cruauté,
que le possesseur orgueilleux de tant de ri- l'inhumanité '.... »

chesses n'est qu'un homme cruel, inhumain, Tels étaient les enseignements (|uolidiens de
sordide, sans probité. Mais ceux qui passent Chryso4ome, simple? et pratiques. On n'y sent
leur vie dans la continence, la modestie, la pas contre-coup de-; querelles qu'on agitait
le

mansuétude, la charité, qui se sont dévoués à si près de lui. Il ne songe ni aux adversaires ni

Dieu' sans réserve, nous les admirons, nous aux admirateurs d'Origène; il prêche l'Evan-
les louons, nous les exaltons, car ce sont là gile et s'applique à le faire aimer. Pour lui, la

les vrais et principaux titres de la gloire de la charitéest la splendeur, l'attrait, le diadènie


l'homme. De ce qu'un homme se présente à de la vérité ; elle résimie dans son cœur la doc-
vous sur un char la tête haute, ne concluez pas trine et la loi du Christ, le Christianisme tout

que c'est un grand homme; les mules qui le entier. L'orgueil, régoïsme, la cupidité, l'amour
traînent ne peuvent pas l'élever au-dessus de des distinctions et de l'argent sont, à ses yeux,
vons : c'est la vertu qui élève l'homme et qui la pire espèce d'erreurs, et contre celles-là il

l'élève jusqu'aux cieux. El parce qu'un autre ne croit avoir ni assez d'arguments ni assez
monte à cheval, entouré de licteurs qui écar- d'anathèmes. Il les voit partout, il les combat
tent la foule devant lui, ne vons hâtez pas de à outrance. Invectives, raisonnements, prières,
dire que c'est un homme heureux. Pénétrez ironies,menaces, il n'est rien qu'il n'emploie
dans son âme, dévoilez les plis de son cœur, pour troubler la fausse paix des riches, pour
et vous prononcerez ensuitt'. En vérité, rien les arracher à leurs illusions, pour les ramener

n'est ridicule comme ce que nous voyons au- au sentiment de l'égalité et de la fraternité
jourd'hui. Je te demande, en effet, pourquoi chrétiennes. Il en blesse plusieurs, il sait qu'on
tu écartes la foule sur ton passage; pourquoi murmure contre lui, qu'il est l'objet des me-
étant homme, tu repousses les hommes loin naces delà haine d'un grand nombre, peu
et

de toi. Qu'est-ce donc que cette arrogance? Es- lui importe; il laisse passer tout cela comme

tu devenu loup ou lion, pour qu'a ton entrée on laisse passer un tourbillon de pou';sière, et
dans la ville tout le monde doive s'enfuir? En- il marche à son but établir le Christianisme
:

core, le loup ne chasse pas le loup, ni le lion chez les Chrétiens. Car Christianisme, ou dé-
le lion; ils respectent entre eux la communion vouement, abnégation, charité, dans sa pensée
de la nature. Et toi qni, outre la nature, as c'est tout un. Ce qui n'est pas charité, c'est ido-
tant de motifs et d'occasions démettre en pra- lâtrie. Charité, voilà sa science, sa foi, son
tique la douceur, l'humilité, l'égalité, pour- sacerdoce, sa vie, tout son être. Tout entier
quoi te montres-tu plus brutal qu'une brute et auxsaintes inspirations delà charité, ilnes'ia-
plus complaisant envers un animal sans raison quiète pas plus de ses ennemis que s'ils n'étaient
qu'envers tes semblables? Ton maître a élevé pas. Sesyeux ne regardent qu'en haut; et tandis
l'homme jusqu'au ciel, et tu rougis de parta- que l'orage gronde à ses pieds, il ne voit que
ger avec lui la place publique! Que dis-je jus- : le ciel serein au-dessus de sa tête, et n'entend
qu'au ciel? 11 l'a fait asseoir avec lui sur son dans le silence auguste de sa conscience, que
trône, et toi, tu le chasses des rues de la ville ! la voix de Dieu qui le console et 1 alTermil. Les
Tu couvres d'ornements inutiles ton cheval, autres se couvrent de son noble dédain pour
une bête qui ne dislingue pas l'or du plomb, pousser [>lus activement leurs manœuvres et
et tu vois le Christmourant de faim sans lui resserrer de plus en plus le cercle oîi leur
donner l'aliment nécessaire! Quelle excuse fe- haine brûle de l'étouffer.
ras-tu valoir? Quel pardon peux- tu espérer? Tu Dans ce moment, leur grande machine de
es homme comme les autres, et tu refuses de te guerrcétait le saint évêijue de Snlamirie. Théo-
méier aux hommes! Tu cherches la solitude phile exj.loitait avec une funeste dextérité la

au milieu descités, et il ne te vient pas à l'es- Chr^â., Soin. 2, sur le ps. 48,
CIIAPITRK Tni'NTR QUATRIEME. i03

noble L'I confiaiile siiniilicilé de celhomiiiede pour des jours si chers, Eudoxie cplorée re-
bien. 11 l'avait laïu'o comme une torche incen- courut à saint Epiphane et réclama ses prières.
diaire an milieu du c!erj,'é de Byzance, et sa L'évéque, absoilié dans une seule pensée et
perfide main en diritreait de loin tous le? mou- voulant saisir l'occasion propice, répondit à la

vements. Ainsi, sliinulé par les insinualionset mère affligée que son enfant mourrait si elle
les instances d'Alexandrie, le pieux vieillard ne cessait de favoriser Dioscore el les héréti-
s'abandonnait à l'ardeur impatiente de sou zèle ques. Celte dure réponse blessa le cœur de la
et hâtait de tousses efTorts ce ()iri! croyait être femme el la fierté de la souveraine. Eudoxie
le triomplie de la vérité. On finit par le pousser s'écria: a S'il plaît à Dieu de reprendre mon
à une résolution extrême. Il fut décidé (ju'il se fils, (]ue sa volonté s'accomplisse; c'est lui qui
présenterait au peuple un jour de synaxe, qu'il me l'a donné, il est le muîlre de le ravir. Mais
prendrait la parole du haut de l'amlionj et loi, si lu pouvais ressusciter les morts, lu n'au-
qn'ajirès avoir condamné les livres d'Origène, rais pas laissé mourir ton archidiacre ». Il

ainsi que Dioscore, Ammoiiius et tous les Ori- venait de perdre, en effet, un homme qu'il ai-
génistes, il infliger;.it un blâme public à Chry- mail beaucoup elqui avait toute sa confiance,
sostome lui-uième, comme à leur adhérent et l'archidiacre Crispion.
leur i)rolectear. On esjiérait ainsi décrier le Cependant l'impératrice n'avait pas refusé
pasteur dans l'esprit du troupeau l'on se : toute intervention dans l'affaire des moines.
trompait. Celle démarche n'était pas seule- Convaincue que la noble simpliciié d'Epiphaue
ment iirégulière coup ble, elle était souve-
cl élail le jouet d'une intrigue et l'aveugle ins-
rainement imprudente. Toucher à Jean en pré- trument de passions qu'il ne partageait pas,
sence du peuple qui l'adorail, c'était s'exposer elle conseilla aux grands frères de faire auprès

à d'immédiates et violentes repré ailles, c'était de lui une démarche dans le but d'expliquer
se perdre soi-même en croyiait le perdre. Heu- leur conduite et d'éclairer sa religion. Ils vin-
reusement l'évèiiue de Salamine fut assez tôt rent donc le trouver. Epiphane ne les connais-
averti pour conjurer ce scandale et ces périls. sait pas et demanda leur nom. — Nous sommes
Sérapion, cliargé de lui porter des remon- lesgrands frères, dit Ammonius, elje serais
trances trop nécessaires, le rencontra au mo- bien aise de savoir si lu as jamais vu nos disci-
ment même, oij, sortant de sa demeure, il se plesou nos écrits.— Jamais, répondit l'évêque.
pour exécuter
dirigeait vers l'église des Apôtres — Eh bien! reprit Ammonius, pourquoi nous
son dessein. Il le supplia respectueusemenlde condamnes-tu comme héréliques si tu n'as
ne pas ajouter cette faute aux autres. « Epi- aucune preuve de nos sentiments ? Je l'ai —
phane, disait Chrysostome par la bouche de ouï dire, poursuivit le vieillard. — Et nous,
son diacre, tu fais bien des choses contre les répli(iua nous avons autrement
le solitaire,
canons. Tu as célébré les saints mystères, or- procédé vis-à-vis de toi. Nous avons vu sou-
donné des ministres de l'aulel dans les églises vent tes disciples, et lu tes livres, entre autres
de mon diocèse, de la propre auturité, sans VAiic/iorat ; et connue plusieurs le blâmaient
tenir compte de la mienne. Invité par moi à et t'accusaient injustement d'hérésie, nous
nos assemblées, tu as refusé d'y venir; et avons pris ta défense et combattu pour toi
maintenant lu vas t'urrogor le droit de parler comme pour un père. Tu ne devais donc pas,
au peu [)le. Prends garde; car si la parole excite surun simpleouï dire, condamnerdes hommes
du trouble, ce ne sera pas sans p'ril pour toi '». que tu n'avais pas entendus, contre lesquels tu
Ces observations produisirent leur effet; Epi- n'avais rien de positif à alléguer, ni remercier
pbai'.e rentra chez lui. ainsi les panégyristes '.

Si le récit de Sozoïnène méiite foi, le saint Loin d'être blessé de ce langage, Epiphane se
honmie aurait imploré l'aide de lacourconlre radoucit tout à coup vis-à-vis des moines. Dieu
ses piéx'ndus adversaires. JLis la cour, pro- ne pouvait permettre qu'un tel homme fût
fondément hostile à Jean, portait de l'intérêt plus longtemps victime des artifices de Tliéo-
aux exilés de Nitrie elle refusa de les livrer.
; [ihile. 11 counnençait à s'ajiercevoir ()u,; de
Or, jeune fils de l'cmpeieur. Théodose,
le mauvaises passions se uiêlaient au zèle allècté
tomba malade sur ces entrefaites. Tremblant près de lui et compromellaienlson nom. D'ail-
leurs, l'admirable exemple de moùo>atiuu et dQ
* Socr , I. 6, c. 13, n/i'U 1 1 ; So?ocn., I 8, c. 14 ; Socralc djt (jua
Uial b^ pt.4.ifi biait dcja dant i é^..,«. • Soicn , 1 8, 0. 10.
404 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

charité donnait son collègue faisait im-


que lui gâta, la mer devint affreuse. II annonça que la
pression sur un cœur comme
le sien, capable tempête durerait deux jours et deux nuits, et
plus qu'un autre de comprendre une noble et rassura l'équipage; mais, se sentant mal, il se
grande vertu. II était à Constantinople depuis coucha, plaça sur son cœur le livre des Evan-
douze jours à peine, qu'il ne pouvait plus se giles et resta ainsi dans l'accablement et le si-

supporter dans ce foyer d'intrigues et de men- lence jusqu'au malin du troisième jour. Le
songes. S'éloignant avec tristi^sse et dégoût des soleil se levait : le noble vieillard parut se ra-
adversaires de Jean, il reprit le chemin de son nimer sous son regard. Il demanda de l'en-

île qu'il regrettait d'avoir quitléeet qu'il trem- cens, le fit brûler par ses prêtres et leur dit :

blait de ne pas revoir. Le bruit s'était répandu Prions, mes enfants; et, sans cesser d'être
que, dans le palais d'Arcadius, il avait con- couché, il pria longtemps avec eux. Puis il les

seillé le bannissement de Chrysostome. Sur embrassa en leur disant Adieu, soyez heu- :

quoi, celui-ci lui écrivit ce peu de mots Sage : reux; vous ne verrez plus Epiphane dans cette
Epiphane, est-il vrai que tu as consenti à mon vie ; et il rendit le dernier soupir.
exil?— Athlète du Christ, répondit le vieil- Les deux disciples se jetèrent en larmes sur
lard, sois éprouvé et triomphe'! — Et il le corps inanimé de leur maître : a La nuit

partit, le cœur plein des pressentiments de sa s'est faite pour nous, disaient-ils, nous tom-

mort prochaine '. Je m'en vais, dit-il aux évè- bons dans les ténèbres » Plusieurs miracles !

ques dont la fausse piété l'avait entouré de accomplis immédiatement augmentèrent la


pièges et qui l'accompagnaient jusqu'au bord vénération de tous pour cette mémoire bénie.
de la mer: j'ai hâte de sortir d'ici. Je vous Trois jours après, le navire déposait à Salamine
laisse le palais, la ville et le théâtre. les reliques du pontife, lesquelles, reçues avec
Le vaisseau qui le prit ne devait apporter à les plus grands honneurs, furent ensevelies
Constanlia' qu'un cadavre. Assis sur le tillac, dans l'église contrairement à l'usage du temps.
immobile sous le poids des ans et de la souf- On ne tarda pas à dédier à Epiphane un ora-
france, Epiphane racontait à deux prêtres qu'il toire, où fut placée son image avec celles de
affectionnait et qui ne l'avaient pas quitté dans plusieurs Saints. Augustin, Jean Damascène
ses derniers voyages, les épreuves et les com- et autres l'appellent un docteur catholique et
bats de sa longue vie. Sur le soir, le temps se rempli de l'esprit de Dieu. II est impossible de
ne pas souscrire à ces éloges mais il est diffi- ;
• Op. Epiph. BB., t. 1, Vit. Sancti, p. 319, etc.
* D'autres racontent que, pour toute réconciliation, il aurait dit à
cile de ne pas convenir que la sainte loyauté
Chrysostome dans la chaleur de la discussion n J'espère que tu ne
:
de cet homme de Dieu ne fut pas toujours ac-
mourras pas cvéque » A quoi Jean aurait répondu
. Je pense que
;

tu ne mourras pas dans ton pays o. Rien n'est moins vraisemblable compagnée de discernement, et que son zèle,
qu'un tel coUO'iue entre de tels hommes. Socrate ne le rapporte
si pur qu'il fût, troubla quelquefois sa charité.
qu'en hésitant. Baronius le rejette comme une fable ; Stilting en
foit autant. —' Salamine, plus tard Famagousta.

CHAPITRE TREiYrE-CINQUIÈME

Théophile à Constantinople. — Conciliabule du Chêne. — Déposition de Chrysostome.

Mais déjà, etiongtempsavant l'arrivée d'Epi- demandaient : 1° que le pontife persécuteur,


phane à Constantinople, les proscrits de Nitrie, cessant de s'abriter de sa dignité pour faire im-
assurés que l'évèque Jean ne pouvait rien pour punément le mal, reçût l'ordre de se présenter
eux, avaient pris le parti de s'adresser à l'em- devant Giirysostome pour expliquer sa conduite
pereur. Après avoir exposé, dans un long mé- et être jugé 2° que ses émissaires, leursaccu-
;

moire, It'urs griefs contre les envoyés de saleurs, fussent contraints de prouver leurs
Théophile et contre Théoi)hilo lui-uiêiiic , ils allégations devant les magistrats de la cité, et.
CHAPITRE TRENTE-CINQUIÈME. 403

à défaut, de subir les peines terribles portées nienne, dédiée aux Apôtres, fut consacrée par
par la loi contre les calomniateurs. Ce mémoire, un grand nombre de prodiges. On assure que
les solitaires désolés et poussés à bout, le pré- Théophile lui-même pleura l'humble cénobite
sentèrent eux-mêmes à l'impératrice dans l'é- dont il avait été le persécuteur, et déclara que
glise de Saint-Jean-Baptiste, à l'IIcbdomon. le siècle n'avait pas produit d'ascèle compara-
Eudoxie, qui avait entendu parler de leurs ble à celui-là'. Du reste, l'accusation d'Origé-
vertus et de leurs soulTiances, reyut le |)lacet nisme portée contre ces pauvres solitaires avait
de leurs mains, promit que justice serait faite, si peu de fondement, qu'on n'en parla plus dès
et, avec un accent d'alVecliieuse vénération : qu'il fut question de Chrysostome. Le patriar-
pour moi, pour
Priez, dit-elle, pour l'empereur, che rendit sa communion aux proscrits de
nos enfants et pour l'empire. J'aurai soin de Nitrie, sans exiger ni désaveu ni profession de
convoquer un concile et d'y mander Tévèque foi ; et ceux de ces infortunés qui avaient sur-
d'Alexandrie '. vécu à l'orage reprirent avec joie, sous la con-
Avait-elle alors un secret motif d'humilier duite d'IIiérax, la route du désert, patrie de ces
Théophile, ou cédait-elle à une généreuse ins- nobles âmes pour qui le séjour des villes était
piration de justice et de pitié? Quoi qu'il en une prison et le bruit du monde un supplice.
soit, lacour se hâta de faire droit à la requête Les haines longtemps accumulées et dissi-
des moines. Un officier du palais ex[)édié en mulées allaientenfinéclater et triompher.Saint
Egypte, invita le patriarche à se rendre à Con- Epiphane, sans le vouloir, les avait ralliées et
stantinoide; et, de leur côté, les magislrals encouragées. On avait su qu'il venait à Con-
sommèreut les accusateurs de faire la preuve stantinople, à la prière de Théophile, pour pré-
de leurs assertious. Les malheureux ne purent parer de concert avec lui, la déposition de
rien prouver. Convaincus de calonmie, la peine Chrysostome. Tuus les jaloux, tous les mécon-
de mort les attendait; mais ils rejetèrent tout tents de la cour et du sacerdoce le saluèrent
sur Théophile, l'accusant d'avoir surpris leur donc comme un
drapeau. Déconcertés un ins-
bonne foi et dicté lui-même le déplorable fac- tant par son brusque départ,
ils se tournèrent

tum qui retombait sur leurs tètes. On se con- avec une audacieuse confiance vers l'évêque
tenta de les mettre en prison, quelques-uns y d'Alexandrie, dont la colère, les désirs et les
trouvèreut la mort; les autres, rendus plus espérances n'étaient plus un mystère pour per-
tard à la liberté, ne furentcondamués, gràceà sonne. On s'appliqua surtout à irriter Eudoxie
l'orde leur maître, qu'au simple exil dans contre son pasteur, pour lequel elle avait déjà
de Proconèse. Nous verrons les ennemis
l'île tant d'éloignement, et l'on exploita dans ce
de Jean porter l'impudence jusqu'à lui repro- but, avec un art perfide, les deux discours qu'il
cher le sort trop mérité de ces misérables dont venait de prononcer et que nous avons cités au
une lâche complaisance avait fait des instru- chapitre précédent. Ce qu'il avait dit de l'abus
ments de mensonge et d'iniquité. des richesses et du faste insolent de certains
Mais tandis que les émissaires de Théophile riches fut présenté comme une attaque indi-
mouraient dans leur cachot sous le poids de la recte contre la cour et la princesse. Il ne sor-

honte, ses victimes mouraient dans la proscrip- tait pas un mot de


bouche de l'orateur, qu'on
la
tion sous le poids de la douleur. Isidore suc- ne le signalât à l'impératrice comme une allu-
comba le premier; l'évêque Dioscore, l'un des sion blessante contre son gouvernement et sa
grands frères, ne tarda pas à le suivre; ils lais- propre dignité. On monta si haut son cour-
sèrent tous les deux une mémoire sainte et roux, que, ne se contenant plus, elle pressa
unanimement vénérée. Ammonius, qui leur Théophile d'arriver au plus vite, non plus pour
survécut très-peu, mourut à Chalcédoine, au être jugé, mais pour juger et déposer Chryso-
moment où le faux concile du C'/i^/ie commen- stome. Théophile était donc le chef naturel de
çait àprocéder contre Chrysostome. Les der- cette conspiration ourdie contre son collègue,
nières paroles du vieillard furent pour annon- et qui comptait [larmi ses plus actifs agents les
cer que l'Eglise allait être agitée d'une furieuse personnages déjàconnus:Séverien de Cabales,
tempête, déchirée par un schisme, et que les qui avait sur le cœur la magnanimité de Jean,
auteurs de cesmaux périraient presque tous et brûlait de se venger du pardon qu'il avait
misérablement. Sa tombe, dans î'éghse Iluli- reçu, Acace de Bérée, vanité inquiète, médio-
Pillads, c. 8, p. 2;i ; Sozom., I. 8, c. 13. • SozeiD., I. 8, c. 17.
m HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

crité intrigante, caractère ombrageux, impla- préjiaratoire eut lieu sous sa présidence; les
cable, qui, n'ayant trouvé chez son illustre meneurs de Constantinople et une foule de pré-
confrère que l'hospitalllé d'un saint, quand il lats tiavaillés par la faction, y prirent part. On
prétendait à celle d'un gran 1 seigneur, lui y traita des moyens les [ilus sûrs d'arriver au
avait voué une haiuc éternelle Anliuclius de ; but la déchéance de J an son nom chargé de
: ;

Ptoléniaïs, trafiquant mitre de la parole de calomnies tut voué à lexécralion unanime. Cy-
Dieu Cyrinus de Chalcédoine, le compatriote
; rinus se surpassa lui-même en vrolence, et la
et la créature de Tliéo|)hile un abbé syrien, ; hardiesse de ses affirmations entraîna les évê-
du nom d'Isaac, colporteur renommé de men- ques encore indécis. On regretledo trouver là
songes infâmes; deux diacres, dont les scan- Marulhas, l'heureux et saint apôtre de la Perse,
dales avaient attiré les justes sévérités du pon- pontife selon Jésus-Christ, mais que ses vertus
tife; qi'.eKiues officiers de la cour, dont les mêmes etsadroitire exposaient à tomber plus
débaucliesetle brigandage étaient mal à l'aise vite dans les pièges de l'intrigueet du mensonge,
devant cette éloquente vertu ; les trois veuves car il eût donné son sang plutôt que d'attribuer
qui affectaient de regarder l'ennemi de l'orgueil à ses collègues dans le sacerdoce une déloyauté.
et du vice comme leur ennemi personnel, L'évêque d'Alexandrie prolongeait son séjour
femmes détestables et délestées pour leur inso- à Chalcédoine, tant pour poser à loisir les fils
lence, leurs prétentions ridicules et l'abus de sa trame et donner aux retardataires de son
qn'elbs faisaient de leurs immenses richesses, parti le temps de le rejoindre, que pour atten-
fruit des rai)ines et des concussions de leurs dre les navires (ju'on lui expédiait d'Egy|ite
mais. On se réunissait chez Eugraiibie,laplus avec de l'or, des bijoux, des aromates, de ri-

méchante des trois: c'est là qu'étaient concer- ches étoffes, des produits recherchés de l'Ethio-
tés les mensonges, les calomnies, les trahisons, pie et de l'Inde, toutes choses sur lesquelles il
toutes les manœuvres jiroprcs à ébranler la comptait pour lever au besoin les derniers scru-
haute position, à précipiter la chute du redou- pules de l'impératrice et emporter toute résis-
table adversaire. Il fut convenu qu'on [iresse- tance. Les navires arrivés et toutes ses disposi-
rait l'arrivée de Théophile le plus possible. tions prises, il traversa le détroit et mit pied à
Le cauteleux patriarche, après bien des hési- terre,un jeudi à midi. Les matelots égyptiens,
tations, assuré maintenant qu'il n'avait rien à toujours nombreux à Constantinople, avaient
craindre de h justice deshonnnesct savourant été payés pour se trouver là, et lui firent une
déjà !a vengeance, partit enfin d'Alexandrie. espèce d'ovation tumultueuse et tout à fait di-
Il répétaitàqui voulait l'entendre qu'il se ren- gne d'eux. Précédé de cette tourbe grossière,
dait à la cour pour accuser et déposer l'évêque escorté des évêijuesde la faction, il traversa la
Jean, et il entraînait avec lui, chemin faisant, cité en triomphateur plalôt qu'en ministre de
tous les prélats dont il pouvait façonner les Jésus-Christ, passa devant l'église sans y entrer,
convictions et manier les volontés. Plusieurs et vint s'établir, hors dos remparts, dans la villa

lui appartenaient, car il les avait achetés au Placidienne ([ui appartenait àl'empereur. Chry-
poids de l'or. De leur côté, les conspirateurs fostome avait préparé des logements pour son
de Byzance ne perdaient pas un instant. A col'ègueet pour sa suite, et il mita faire agréer
peine avaient-ils connu convocaiioa imi)é- la son hospitalité, la plus aimable insistance. Ses
riale, qu'il s'étaient mis à écrire lettre sur jiieuses avances furent durement repoussées :

lettre pour appeler au concile quiconque, pour Théophile refusa de le voir, de lui parler, de
un motif ou un autre, ils espéraient embraser prier avec lui, de luidonner aucun signe de
de leurs propres passions. Ils se gardèrent communion pendant ;trois semaines que
et,

d'oublier les simoniaques dégradés à Kphèse. limplacable patriarche passa dans la demeure
Le prétexte de l'invitation élait la condamna- impériale, il ne vint pas à l'église une seule
tion d'Origène ; le vrai motif, la déposition de fois, bien qu'il y fût sans cesse invité par Jean,
Jean. etque celui-ci, poussant à l'excès la condescen-
Théophile se rendit par terre à Chalcédoine, dance et l'humanité, le suppliât de ne pas con-
et fut reçu par son digne ami Cyrinus, homme tinuer vis-à-vis de lui une attitude hostile que
sans mesure et sans probité, dont le cœur élait rien ne justifiait et qui était pour le peuple un
aussi pourri que le corps '. Une conférence scandale. L'Egyptien ne répondait pas, n'é-
' Pallïd., dial., c. 17, p. 62 ; Sozom., 1. 8, c. 16. coutait pas : il s'enivrait de sa haine.
CHAI'IIHE Tftl^NTE-ClNUlJiEME. -iU7

Cependant les moines de Nitrie demandaient ces pauvres solitaires à Conslantinople em-
justice, cl leurs |irok'cli'ius, leurs auiis, Arca- brouillait la sitiialion et dèlounuail la pensée
diuilui-inèuie,qui éluilde bonne loi tlans i'in- de (]uel(|ucs-uns du but poursuivi par les au-
téièliju'il leur tcinoignait, pressaient l'éNique tres, on résolut de s'en débarrasser, n'importe
deConstaiitino|ileile i-tunniciicer la procédure à quel prix. La cour, à la protection de laquelle
contre Tlieophile, accusé de simonie et de jdu- ils avaient eu la faiblesse de croire, leur mé-

sieurs crimes. CLrjsoslome déclina péremploi- nagea une espèce de rapprochement avec le
renienl celte mission, lanl par égard |)our un persécuteur, qui leur ouvrit ses bras et leur
frère dans le sacerdoce que jiar resi)cct pour rendit sa communion; et ainsi, moyennant
les canons, aux termes desquels les causes ec- quelques paroles vagues de respect et d'obéis-
clésiaslii|nes ne doivent étie jugées que dans sance, n'ayant rien rétracté, n'ayant rien ob-
leurs [iroviuces. l'eul-élre était ce porter un tenu, ils reprirent, découragés et décimés, le
peu loin le scrupide de la légalité; car, si l'é- chemin de leur solitude.
véque de Bjzauce n'avait pas juridiction sur Eudoxie, Théophile, Acace et la tourbe ser-
l'évéque d'Alexandrie, peut-ondirequeceiui-ci \ile de leurs adhérents, désormais certains du
ne pût être juge à (Ainstaalinopk' jiar un con- succès, ne cachaient plus leur dessein ; et l'on
cile général de l'Orient, tel qu'on sem-
avait, ce disait tout haut et partout que l'évêque de Con-
ble, la prétention de le convoquer? Jean ne se stantinople, pressé naguère par l'empereur de
posa pas cette question ; la cliarité était sa pru- procéder contre le patriarche d'Alexandrie, al-
dence. D'ailleurs, son religieux et profond res- laitcomparaître lui-même sous le poids des
pect pourla prééminence du siège de Pierre lui plus graves inculpations, devant le concile
eut fait comme une usurpation sacri-
redouter qu'il eût dû présider. On ne parlait de l'ien
lège l'ombre mètne d'une comparaison entre le moins que de le chasser de son siège et, s'il ;

pouvoir spirituel de la seconde Rome et le su- faut en croire Pallade, en cela peut-être em-
prême pouvoir, les divines i)rérogatives de la porté au-delà des bornes par un légitime res-
première. 11 se souvenait de la lettre de Tliéo- sentiment, Théophile ne songeait pas seule-
pliile, et la conduite actuelle du patriarche lui ment à la déposition de Jean, il en voulait à sa
prouvait assez que l'orgueil de cet ne bomme vie '.Cependant ce n'était pas chose aisée que
£6 soumettrait jamais au jugement d'un con- d'attaquer un homme en face d'un peuple
tel

cile présidé par un autre que lui; et, quelque qui l'aimait comme un père, qui le vénérait
disposé qu'il tut à trouver partout sa propre comme une vivante image de Jésus-Christ, et
loyauté, ne pouvait se faire illusion sur les
il de formuler une accusation contre une vie
vrais sentiments de la cour à son égard et l'ap- dont la splendide sainteté confondait d'avance
pui trop visible qu'elle portait à son adversaire. toutes les calomnies. Des émissaires du parti
11.-.'obstina donc dans son immobilité si sage et rendus à Antioche pour s'y livrer à de
s'étaient

si digne, et refusa toute participation à une af- minutieuses perquisitions sur les antécédents
faire i/ù il ne voy.iit que périls et scandales. du pontife et fouiller avec les yeux de la haine
Tbéopliile n'en devint que plus hardi. Ins- tout son passé, espérant qu'on y trouverait au
tallé princièrement dans la \ illa Placidia, il te- moins une faute de jeunesse, un acte quelcon-
nailgrande table, répandait l'argent, prodiguait que qu'on pût lui jeter au visage pour le souil-
les cadeaux, caressait et recrutait tous les mé- ler. Leurs démarches n'avaient abouti qu'à la

contents cléricaux et autres, visitait fréquem- désesiiérante glorification d'une vertu sans ta-
ment l'impératrice, fomeulail ses colères, flat- che. Battus de ce côté, les meneurs s'adressent
tait sa cupidité, et, a force d'or, de pierreries, à deux diacres dégradés, l'un pour cause de
de prostcrnaiiuns, de men^onges, il lit d'elle meurtre, l'autre pour cause d'adultère et par ;

l'instrunitiil le plus actif et le plus dévoué de la promesse de les réintégrer dans leur ordre,
la faction. La cause dus moines de Nitrie, motif promesse qui fut tenue, ils les décident à se
ou prétexte de cette cou\ocation tle prélats, faire ks accusateurs de leur évêque. Théophile,
avait perdu son ini|iorlance. L Iigy|)ticn n'y que la passion aveuglait jusqu'à lui ôter tout
songeait plus; il laissait gémir et crier les vic- scnliinenl d'honnêteté, dicta lui même le mé-
limesde ses fureurs, et, dédaignant de si petits moire infâme ', qui, lu d'abord chez Eugra-
adver.-aires, il visait de se? calomnies une tète phie, en présence et aux grands applaudisfe-
plus haute. Toutefois, comme la présence de '
Pallad., di3l., c. 8. — ' Jbid.
i08 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

nients d'Anliochu?, de Séverien et consorts, fut pelle des pasteurs pervers, des hommes pestilen-
ensuite présenté à l'impératrice et par elle à tiels, mus par la jalousie, dominés par Vesprit
l'empereur. 11 n'y eut qu'à le mettre sous les du mal, qui avaient mis de côté toute crainte
yeux d'Arcadius pour l'indisposer à jamais con- de Dieu '
; et saint Isidore leur inflige le titre

tre Jean et obtenir ce que l'on voulait, la mise d'apostats *. Chose triste à penser 1 Un homme
en jugement du prélat. Sans se préoccuper le de Dieu, un saint, l'apôtre de la Perse, Maru-
moins du monde de l'indépendance de l'Eglise à côté d'un Géronce de Nicomé-
thas, était là 1

et de l'honneur de ses pontifes, sans se donner die,d'unMacairele calomniateur d'Héraclide,


la peine de regarder à ce tissu de mensonges des Faustin, des Eugnomonius, les misérables
absurdes et dégoûlants, le slupide fils de Théo- simoniaques convaincus et déposés au dernier
dose ordonna de faire comparaître devant le synode d'Ephèse. On regrette d'y rencontrer
concile, et au besoin par la force, l'homme il- aussi un homme éminent à bien des titres, Cy-
lustre aux pieds duquel son père se serait res- rille d'Alexandrie ; mais neveu de Théophile,

pectueusement incliné comme aux pieds d'un élevé sous ses yeux,habituéàle vénérer comme
autre Ambroise. Ainsi, les intrigues de Théo- un père, il eût cru l'univers entier coupable de
phile et son or avaient réussi au-delà de ses es- tous les crimes plutôt que d'attribuer une fai-
pérances. Mandé à Constantinople pour avoir à blesse à son oncle sa piété filiale aveugla son
;

s'y défendre, y élaitàpeinedepuisvingtjours,


il jugement.
que, par un revirement complet, d'accusé il Photius nous a conservé, avec les actes du
devenait juge il avait:acheté la cour, acheté le faux concile du Chêne % les chefs d'accusation
clergé, acheté l'impératrice elle-même et par énoncés contre Jean et justement traités par
elle l'empereur. Socrate de calomnies ridicules. Le mémoire
Toutefois, il parut prudent aux chefs de la des deux diacres en renfermait vingt-neuf, aux-
faction de prendre place sur un autre terrain quels d'autres furent ajoutés sur la requête, en
que celui de Constantinople, dont le peuple dix-huit articles, du moine Isaac, le plus hai-
dévoué à son pasteur pouvait éclater d'un mo- neux et le plus vil des instruments de la ligue.
ment Les
à l'autre et les écraser de sa colère. Ainsi, Chrysostome était accusé :

assises de convoquées
l'iniquité furent à Chal- 1° D'avoir dégradé et chassé de l'église le
cédoine, de l'autre côté du détroit, au faubourg diacre Jean, l'un de ses accusateurs, pour le
du Chêne, dans la grande église bâtie par Rufin seul fait d'avoir frappé son propre domestique.
et dédiée aux saints apôtres Pierre et Paul. 11 On se gardait de dire que le domestique était
s'y trouva trente-six prélats, dont vingt-huit ou mort sous les coups qu'il avait reçus.
vingt-neuf de la province d'Egypte '. Contrai- 2° D'avoir ordonné qu'un solitaire, du nom
rement au principe qu'il avait posé dans sa de Jean, fût battu, mis en prison, enchaîaé
lettre à Chrysostome, lettre oîi il faisait un comme un démoniaque.
crime à son noble collègue d'avoir prêté l'o- C'était l'un des solitaires envoyés à Constan-
reille dans un but de conciliation et de paix tinople par Théophile pour accuser les grands
aux plaintes de quelques pauvres proscrits, frères, et qui, convaincus de calomnie, avaient
Théophile, au mépris de toutes les lois de l'E- été condamnés par les magistrats civils à subir
glise, au mépris de toute pudeur, osa présider la peine des calomniateurs.
le concile '. Il eut pour assesseurs Cyrinus, 3° D'avoir vendu des choses précieuses ap-

Acace, Séverien, Paul d'Héraclée, Antiochus partenant au trésor de l'Eglise, et les marbres
de Ptolémaïs, tous ennemis déclarés et calom- préparés par Nectaire pour orner Sainte-Ana-
niateurs connus de celui qu'ils avaient l'infa- stasie.
mie de citer à leur tribunal. L'histoire, que les Jean pouvait s'avouer coupable de ce crime
triomphes de la force n'enivrent ni ne corrom- le luxe à la charité ;
étrange d'avoir sacrifié
pent, ajugé, à son tour, ces prétendus juges et crime commun aux Ambroise, aux Augustin,
donné à leur brigandage son véritable nom. aux Exupère, à une foule de Saints qui ven-
Saint Nil, qui les avait vus à l'œuvre, les ap- daient les vases sacrés pour nourrir les pauvres.
Cependant il est vrai de dire qu'il n'avait pas
' C'est par erreur que Photius en compte quarante-cinq j Fleury
répète cette erreur. ' s. Nil, ep. 199 et 279, 1. 3. — ' S. tsid. PeluB., ep. 152.
' Paul d'Héraclée, qui avait abandonné Chrysostome pour se livrer '
que Baronius en conteste l'authenticité, admise avec
C'est à tort
à ses ennemis, paraît, selon Fieury, avoir présidé quelques séances ; raison par Tillemont, Moatfaucon, Stilling. (D. CeiUier, nouvell»
TUlemoat nt le p^nse pa«. (T. 11, p. 592.) édit. t. 7, p. 746.)
CHAPITRE TRENTE-CINQUIÈME. 409

disposé d'un seul objet appartenant à l'Eglise ;


des prêtres, plusieurs sans attestations, sans té-
et son innocence à cet t'Kard, si elle avait besoin moins, sans le consentement du clergé, et fait
d'être prouvée, le fut d'une manière t'clataute quatre évêquus dans une seule ordination.
par l'inventaire de tout ce que possédaitSaiiite- Accusations sans fondement Chrysostome I

Sophie en or, en arjjont, en tentures, en vête- connaissait aussi bien qu'un autre les pres-
ments sacenlotaux, inventaire lait au déiKirldu criptions de l'Eglise, et il avait l'habitude de
Saint et à l'inslallation de son successeur, par les respecter un peu mieux que ses adver-
les soins des diacres Cassien et Germain, sons saires.
les yeux du pi'éfet de la ville, du préfet du 10° D'avoir élevé à la prêtrise Sérapion,
prétoire, de l'intendant des trésors impériaux quoicju'il fût alors sous le coup d'une grave
et de plusieurs notaires. accusation et qu'il ne se fût pas justifié, et à
4" De maltraiter de paroles les ecclésiastiques répiscoi)at Antoine, convaincu d'avoir volé des
et de les a|)peler gens vils, corrompus, prêts à tombeaux.
tout faire, ijui ne valaient pas trois oboles, et Le zèle ardent du pontife pour l'honneur de
d'avoir publié contre eux un livre plein de ca- l'Eglise et du sacerdoce nous sont une garan-
lomnies. tie suftisante qu'il n'ouvrait pas aux indignes
Il est vrai que Jean s'élevait avec force dans les portes du sanctuaire. Ainsi, le crime attri-
ses discours contre les clercs et les
moines in- bué à cet Antoine, d'ailleurs parfaitement in-
dignes de leur profession mais personne ne
; connu, est pure calomnie; et, quant à Séra-
fut plus doux, plus indulgent que lui dans ses pion, le Héau des mauvais prêtres, son seul
relations avec son clergé personne ne pro-
;
crime fut l'amitié de son évêque.
fessa pour le prêtre un respect plus i)rofond. 11° D'avoir fait évoques des esclaves non af-
Le livre calomnieux qu'on lui attribue, c'est franchis, malgré leurs maîtres et les accusa-
son livre contre les sœurs ado|>tives. Le zèle tions qui pesaient sur eux.
éloquent d'un homme de Dieu pour l'honneur Calomnie sans prétexte 1 A moins qu'on ne
de l'Eglise et du sacerdoce était un crime aux fasse allusion à l'ordination du prêtre Tigrius;
yeux de ces hommes aveuglés par la passion mais Tigrius était libre depuis longtemps
ou dégradés par le vice. quand ses vertus, sa charité et l'estime publi-
5° D'avoir appelé saint Epiphane un radoteur que le désignèrent au choix de Chrysostome.
et un petit démon. Sa Qdélité courageuse au devoir et au malheur
Calomnie pure Chrysostome porta jusqu'à
! l'a fait mettre au nombre des Saints. D'ailleurs,

l'excès la condescendance et la vénération pour l'ordination des esclaves n'était ni prohibé ni


saint Epiphane. sans précédents dans l'Eglise. Saint Paul avait
G° D'avoir tendu des pièges à Séverien et sou- ordonné Onésime, et sur la prière d'une ville
levé contre lui les duyeiis. de Cappadoce, saint Basile et saint Grégoire
C'est le contraire qui était vrai. La conduite avaient consacré évêque l'esclave d'une femme
de Séverien vis-à-vis de Jean n'avait été qu'hy- nommée Simplicia, même sans lui en deman-
pocrisie, déloyauté et trahison. der la permission '.

en présence du clergé réuni,


7° D'avoir dit, 12° De donner de l'argent aux prélats qu'il
que Acace, Edaphius et Jean, lui
trois diacres, ordonnait, afin de les gagner à ses desseins
avaient dérobé son pallium.s'enquérant d'eux contre le clergé.
s'ils ne l'avaient pas employé à d'autres usages. Jean, qu'une vie austère et toute d'immo-
Cette façon de procéder ne ressemble guère lation rendait plus riche que d'autres, répan-
à Chrysostome. dait ses libéralités au-delà de Byzance sur les
8° D'avoir fait connaître aux soldats, dans églises pauvres, et venait en aide à leurs pas-
une sédition militaire, la retraite où se cachait teurs privés de toute ressource et découragés.
le comte Jean. Quel crime impardonnable! Si, d'ailleurs, il

Mensonge infime Le comte Jean était ce fa-


1 recherchait de préférence, pour les mettre à la
vori de l'impératrice que la cour avait livré à
Gainas avec Aurélien et Saturnin, et que le ' Saint Paul avait sollicité la permission du maître d'Onéalme.
Saint Basile et saint Grégoire n'avaient pas demandé celle de Simpli-
pontife, au péril de sa vie, arracha des mains cia. lîllu réclama vivement, et saint Basile ûnit par l'apaiser; mais

du Barbare. après la mort du Saint elle renouvela ses instances. Saint Grégoirg
lui otfnt le prix de eoo eiclave, et lui rappela dans sa lettre les
9° D'avoir ordonné sans autel des diacres et ventée cliréiicnncs c|ui aurai«ni di lui BufSt«. (Greg. t^U., <2>. 79.)
410 HISTOIRE DE SAINT JEAN llîlRYSOSTOME.

tôle d'un diocèse, les hommes qui enlraient mis tout en sang, d'être monté à l'autel pour
dans ses vues et pouvaient lui être un appui offrir le sacrifice.

dans les réformes qu"il croyait nécessaires, Fairesaint orateur un homme de voies
du
n'était-ce pas >on droit et même
sou devoir ? de de coups de puiug, c'est dépasser la
fait et

13° De shaliiUer et de se déshabiller sur son mesure de l'absurde! Nous avons vu, d'ail-
liône, et d'y prendre des iiaslilles. leurs, que le moindre trouble de la pensée
C'est la seule cliose vraiedans ce long fac- écartait de l'autel le picux et timoré pontife.
tum: Clirysoslome n'avait pasà s'en défi;nd.e. 19° D'avoir fait vendre par Tliéodule la suc-
L'usage pratiqué et conseillé par lui de passer cession de Thècle.
quelque clioie à la bouche après la commu- Si cela est vrai, c'est que Tiiècle avait légué
nion par respeci pour les saintes espèces, a SCS biens à l'Eglise ou aux pauvres.
prévalu, sous une autre l'orme, dans l'usaf^e 20" De cacher à tout le monde ce que de-
des ablutions. Celui de prendre des vêtements viennent revenus de l'Eglise.
les
spéciaux pour le ministère de l'autel existait Accusation incompréhensible contre un pré-
dès lors; mais (leut-être était il moins ordi- lat qui fit succéder l'ordre et l'économie les

naire (l'opérer dans l'église même ce change- plus sévères au déplorable gaspillage signalé
ment de costume. sous la léthargique administration de Nectaire,
14° U'avuu' montré un mépris coupable pour qui supprima toutes les dépenses d'ostentation
des hommes en comnumion avec l'univers et de luxe, réduisit sa maison à la plusévangé-
chrétien, à ce point qu'emprisonnés par son lique simplicité, et ne prenait pas une obole de
ordre et morts en prison, il n'avait pas daigné la part qui lui était assignée sur les fonds du
faire rendre à leurs corps les honneurs de la clergé. Noble et saint dilapidateur, qui dissi-
sé|)ulture. pait tous ses revenus en aumônes, en fonda-
11 encore des malheureux émissaires
s'agit tions d'hôpitaux, en créations admirables I

de Tliéophile punis pour avoir calomnié leurs 21° De s'être approprié par la violence les
frères. Ils appai tL-iiaient à la ju?tice du pré- dépôts confiés à d'autres mains qu'aux siennes.
teur; mais quelqu'un les a oubliés dans
si Cette hideuse caloninie venait du moine
leurs souOrances, ce n'est pas le charitable Isaac ; elle était digne d'un tel personnage.
pasteur, qui Uiutluit la visite cî le soin des pri- 22° De faire chauffer le bain pour lui seul,
sonniers entre ses |)reiniors devoirs. et d'en interdire l'entrée quand il se baignait.
d5° D'avoir fait affroul au tiès-saint évoque Modestie criminelle, en effet!
Acace et refusé de lui parler. 23° De manger toujours seul et de vivre à la
Mauvaise querelledece vieillard orgueilleux façon des cyclopes.
et méchant, qui ne trouvait pas l'hospitalité Nous savons quelle était la vie de Chryso-
évangéliquede Chrysostome assez somptueuse stome, et dans quel noble but de recueillement
poui lui I et de charité il s'était obligé à ne faire, à ne re-
lb° D'avoir livré à Eutrope le prêtre Por- cevoir aucune invitation. II vivait à la façon
pliyrepour le faire bannir, d'avoir livré aussi des espiits plutôt qu'à celle des hommes.
d'une manière indigue le prêtre Vénérius. 24° D'avoir dit dans l'église que la table était

Mensonge dégoûtant personne n'a regretté


I pleine de furies.
et combattu plus vivement que Chrysostome H semble qu'il ait dit quelque chose d'ana-
l'intervention de l'Etat dans l'Eglise et le re- logue, mais à propos de l'intempérance et de
cours de l'Eglise à l'Etat. Nous ne savons ce Quel mal y a-t-il?
l'ivrognerie.
qu'était Vcnérius; mais la conduite de Por- De prononcer souvent du haut de l'am-
25°
phyre, prêtre d'Antioche, ne donnait que bon des mots comme ceux-ci J'aime, je suis :

trop de prise sur lui. hui's de moi.


17° D'avoir été juge, accusateur et témoin Ce sont là, en effet, des expressions fami-
dans de l'archidiacre Martyrius et de
l'affaire lières à l'orateur veut exprimer sa
quand il
Proërèse, évèque deLycie. joie, ses pieux transports. Personne ne s'élai*
Celte indigne assertion n'a pas plus de trompé, ne pouvait se tromper sur leur sens
fon-
dement que les autres. véritable. Explosion naturelle d'une âme de
16" uuiiue un coup de poing à
1^ ttVoii Mem- feu, elles sonnaient coii;me un blasphème aux
uyu dans l'Eglise des Apolres, et, après l'avoir oreilles de ses ennemis. Ces cœurs égo'isles,
CHAPITRE TRENTE CINQUIÈME. 411

glacés par la haine, étaienl-ils susceptililes de mier ministre de l'empire, au préfet Porphyre
coiiipreiulre la langue sacrée de l'enlhou- pour être hanni '.
siasinc? La cour et limpéralrice savaient mieux que
26° De favoriser dans les pécheurs leur pen- personne ce qu'il en était, et quels périls avait
chant au mal, en leur disant: Si vous ave/ pé- courus le généieux pontife, quels courroux
ché une seconde fois, repentez-vous une se- il avait hravés |)our conserver le hénéfice du
conde fois ; et toutes les fois que vous aurez droit d'asile à l'eunuque disgracié et sauver la
péché, venez à moi, je vous guérirai. lêle d'un misérable voué au trépas par ceux-là
Enseignement vraiment évangélii|ue, et que mêmes qui la veille encore se prosternaient à
les Nuvatiens seuls avaient le droit de repro- ses pieds.
cher au ministre de la miséricorde et du par- En dehors de ces chefs d'accusation formulés
don ! dans leurs requêtes par le moine Isaac et les
27° D'avoir enseigné du haut de la cliaire que deux diacres dégradés, le vénérable prélat fut
le Christ n'avait pas été exaucé dans ses prières accusé d'avoir appelé l'impératrice wieJézabel,
parce qu'il ne priait pas comme il faut. crime de lèse-majesté qui entraînait la peine
Calomnie insensée La liaine délire.! de mort; et, en effet, on ne pailait de rien
28° D'avoir rtçu dans TE-çIise et de protéger moins que de lui faire expier par le dernier
des païens autrefois persécuteurs acharnés des supplice les saintes audaces de sa parole '. Il

disciples de Jésus-Christ. nous apprend lui-même, dans sa lettre à Cy-


Mais, à ce compte-là, Paul ne fût jamais de- riaque, qu'on lui reprochait, en outre, d'avoir
venu un vaisseau d'élection. Ce serait donc un administré le baptême après avoir mangé, et
crime de propager la foi et de ramener à la donné la communion à des personnes qui n'é-
vérité les esprits ennunis! taient pas à jeun. «Si je l'ai fait, dit-il, que mon

29° D'envahir les droits des autres évêques, nom du catalogue des évêques, que
soit rayé
et d'avoir fait des ordinations hors de sa pro- je ne compte plus parmi les fidèles, et que le
vince. Christ, notre maître, me chasse de son ber-
Allusion maladroite aux affaires d'Ephèse, cail M » On ne s'en tint pas d'ailleurs à de sim-
où Jean n'était intervenu que sur la prière réi- ples insinuations sur sa vie privée et la pureté
térée du clergé de cette Eglise, où rien n'avait de ses mœurs. La calomnie osa contre lui ce
été fait que par le concile de la province et se- qu'elle avait osé contre Athanase, ce qu'elle a
lon les prescriplions canoniques '.
fait toujours contre le prêtre que l'on redoute
30° De recevoir des femmes dans samaison, et que l'on veut perdre. Longtemps après, le
et de rester seul à seul avec elles, après avoir souvenir d'une imputation siodieuse troublait
congédié tout le monde. encore la paix de son âme au fond du désert,
Il en est de cette assertion comme des pré- et lui arrachait des cris de douleur amère et
ccdenles. Il suffit de lire le livre de Jean contre d'indignation. « Dépouillez mou corps, disait-
lessœurs adoptives, pour voir quelle était sa il, vous verrez l'état où il est réduit ' » Les
et !

pensée à cet égard et quelle sévère prudence austérités de sa jeunesse, les flammes de sa
présidait à toutes les relations de sa vie. Les pensée avaient tué chez lui le sens du plaisir.
règles qu'il prescrivait aux autres, il les sui- Selon Photius, treize séances furent em-
vait plus rigoureusement lui-même. ployées par le concile à discuter ces mensonges
31* De ne prier à l'église ni en entrant ni impudents et atroces. D'après Pallade, l'œuvre
en sortant. d'iniquité fut bâclée en un jour. L'assemblée
Et l'on osait dire cela de l'homme qui avait avait le vertige, et ne s'inquiéta pas de voiler,
rallumé dans la cité
rétabli les veilles sacrées, même par une apparence d'impartialité, le vice
de Constantin l'antique ferveur de l'âge d'or radical qui annulait d'avance toutes ses opéra-
du Christianisme d'un homme dont la vie
; tions. Tout y fut passion, emiiorlement, vio-
était un colloque intime et incessant avec Dieu, lence, fureur. Les témoins ne déposaient pas,
une extase perpétuelle Si piété ne se doimait
1 ils déclamaient ; on enregistrait les diatribes de
pas en spectacle, mais, près de lui, tout le
Voir aux Pièces justificatives.
*

monde en éprouvait la douce et sainte in- Fdllad.,c. 8, p. ::;.


' —
' Chcys., t.
3, p. 608. B. B.
Lhiys., p. (ib9. L'aulhenUcile de la letlre à Cyiiaiiue a été con-
'
fluence.
teelée par Jaan Haies et le P. SulliDg ; Tillemoiii, Monlfaucon et
32° D'avoir livre Eulrope, le palrice, le pre- auue» b'hcaiteot [>aa a l'aUnidlue.
m HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME,

la haine comme des faits acquis à la procédure. dont on le chargeait, fût venu avec une nom-
On quittait Jean quelquefois pour passer tantôt breuse escorte d'évêques, et eût réussi à chan-
à Héraclide d'Ephèse, tantôt à Pallade d'Hélé- ger si promptement l'esprit des princes et des
nopole, coupables tous les deux d'une grande magistrats, à pervertir presque tout le clergé.
affection pour le Saint ; on revenait à lui sans Jean, interrompant ces propos, nous dit: i
rien approfondir, sansrien conclure. Ses enne- a Priez, mes frères, et, si vous aimez Jésus-

mis, admis seuls à parler, ne se bornaient pas Christ, qu'aucun de vous n'abandonne son

à raconter des faits plus ou moins absurdes, ils Eglise à cause de moi car je suis près d'être
;

demandaient avec instance qu'on se hâtât de immolé, et le temps de ma mort approche; et,
.'
frapper; et ces réquisitions incroyables par- comme Paul, à qui j'emprunte ces paroles, je
'
taienl de prêtres haut placés, tels qu'Arsace et vois bien que je quitterai la vie après avoir subi
Atticus, qui s'assirent plus tard sur ce siège de grandes tribulations. Je connais, en effet,
épiscopal de Byzance d'où ils précipitaient le les machinations de Satan ; il ne peut plus sup-

plus illustre comme le plus saint des pontifes. porter le poids de mes attaques. Ainsi, puissiez-
On n'avait de témoins que de celte espèce, ac- vous obtenir miséricorde, et souvenez-vous
cusateurs acharnés plutôt que témoins. Théo- toujours de moi devant le Seigneur 1 »
phile manda l'archidiacre de la grande église, Saisis d'une extrême douleur à ces mots,
«

comme si déjà le siège était vacant, et avec lui les uns fondaient en larmes, les autres, se le-
tous les prêtres fidèles de la ville, menacés vant pour sortir, baisaient les yeux du pontife,
d'excommunication ne se rendaient pas.
s'ils sa tête sacrée et sa bienheureuse bouche si
Caresses et violences, tout fut employé pour les éloquente, et nul ne pouvait étouffer ses san-
détacher de l'obéissance de leur chef légitime glots. Jean les pria de rester, et nous dit « As- :

et leur arracher une déposition contre lui. En seyez-vous, mes frères, et .cessez de pleurer
attendant, les églises demeurèrent sans service, afin de ne pas accroître mon affliction. Jésus-
et la cité s'émut nouveau crime dont il fallut
: Christ est ma vie, et mourir m'est un gain ».
charger grand criminel. L'abbé Isaac, en
le — Car le bruit s'était répandu qu'on devait lui
effet, ajouta un nouvel article à sa requête, et trancher la tête à cause de la liberté de ses dis-
accusa l'évêque de soulever le peuple et de l'ir- cours. —« Rappelez-vous, poursuivit-il, ce que

riter contre le synode. On ne pouvait insulter je vous ai toujours dit que la vie présente est
:

plus indignement la vérité. L'essentiel, néan- une route où joies et peines, tout passe vite;
moins, eût été de faire arriver Jean lui-même c'est un marché: nous achetons, nous vendons
devant ses prétendus juges, c'est-à-dire de l'ar- et nous partons. Sommes-nous de meilleure
racher du milieu de son troupeau qui lui fai- condition que les patriarches, les prophètes
sait un rempart de son affection, et, suivant et les apôtres, pour jouir ici-bas d'une vie sans
le mot d'un contemporain, de l'emmener hors fin? »
de comme im autre Abel, pour le frap-
la ville, « Un des assistants s'écria Nous pleurons
:

per traîtreusement '. Tout était concerté pour de nous voir orphelins, de voir l'Eglise veuve,
s'emparer de sa personne s'il venait à se pré- les lois méprisées, l'ambition triomphante, les
senter, et le jeter chargé de fers sur un navire pauvresabandonnésetle peuple privé d'instruc-
qui l'eût emporté sur une plage inconnue et tion. Mais Jean, frappant avec l'index de la main
lointaine où il serait mort d'abandon et de droite dans la paume de la main gauche comme
faim. il faisait d'ordinaire quand il rêvait profondé-
Tandis qu'à Chalcédoine tout allait au gré de ment, arrêta l'interlocuteur: « Assez, mon
Théophile et de la ligue, de nombreux prélats frère, n'en dites pas davantage mais souvenez-
;

réunis à Constantinople entouraient Chryso- vous de mon conseil, n'abandonnez pas vos
stome de consolations et d'hommages. « Nous églises. La prédication n'a pas commencé avec
étions quarante, écrit l'un d'entre eux, et, assis moi et ne finira pas avec moi. Est-ce que Josué
avec Jean dans le triclinium de l'évêché, nous n'est pas venu après Moïse, David après Samuel,
nous demandions les uns aux autres, avec un Baruch après Jérémie, Elisée après Elle, Timo-
profond étonnement, comment il s'était fait thée après Paul?» —
Eulysius, évêque d'Apa-
que Théophile, mandé à comparaître seul de- mée en Bythinie, répliqua Si nous gardons
:

vant la cour pour se justiOer des crimes affreux nos églises, on nous contraindra de communi-
' Pallad., dial., jj. 27. quer avec tes perséeuteurs et de souscrire à
CHAPITRE TRENTE CINQUIÈME, i\3

ta déclii^ance. — « Communiquez, répondit récuse Théophile, que je convaincrai d'avoir


l'homme de Dieu, pour no pas diviser l'Eglise ;
dit à Alexandrie et en Lycie : Je vais à Constau-
mais ne souscrivez pas, car ma conscience ne tinople déposer Jean ; ce qui est si vrai que,
me reproche aucune faute qui mérite qu'on depuis son arrivée, il n'a voulu ni me parler
me dépose ». '
ni avoir aucun rapport avec moi. Je récuse de
A ce moment les portes s'ouvrirent et l'on même Acace, parce qu'il a dit Je lui prépare :

annonça des envoyés de Théophile c'étaient : son bouillon. Je n'ai pas à parler d'Antiochus
deux jeunes prélats lybiens, nouvellement or- et de Séverien Dieu leur fera bientôt justice,
:

donnés par le patriarche. Ils présentèrent une et les théâtres eux-mêmes chantent leurs ex-
assignation ainsi conçue Le Saint Synode : ploits. Si donc vous voulez effectivement que
réuni au Chêne, à Jean. Nous avons reçu con- je comparaisse à votre tribunal, écartez ces
tre toi des mémoires qui contiennent une in- quatre hommes du nombre de mes juges, et
finité d'inculpations. Viens donc, et emmène qu'ils ne figurent que comme mes accusateurs.
avec toi les prêtres Sérapion on en et TÎQrvis : Alors j'irai, non-seulement devant vous, mais
a besoin. La seule suscription de ce message devant un concile général. Etsachczque, quand
étaitune grave injure, car elle dégradait Jean vous m'appelleriez dix mille fois, vous n'au-
de son titre d'évêque. Ses amis répondirent à riez pas d'autre réponse ».
lasommationinsolentedu C/iè«eparcette lettre La députation n'était pas de retour, qu'un
que trois évoques, Lupicius, Démétrius et courrier et un notaire de l'empereur se pré-
Eulysius, avec deux prêtres. Sévère et Ger- sentèrent de sa part et insistèrentauprès de Jean
main, furent chargés de porter à Théophile : pour qu'il eût à se rendre devant l'assemblée
a Ne bouleverse pas l'Eglise, ne la livre pas au du Chêne. Au rescrit impérial qui lui portait

schisme pour elle Dieu s'est fait homme. Mais


;
cette injonction, était jointe une lettre de Théo-
si, foulant aux pieds les canons de Nicée, tu phile, suppliant Arcadius d'intervenir par la
crois pouvoir juger les causes ecclésiastiques force et de contraindre l'évêque pénitent à venir
hors de ta province, viens ici, dans cette ville, se faire juger et condamner. Les employés de
où la protection des lois est assurée, n'attire l'empereur reçurent la même réponse que
champs à la façon de Gain ;
pas Abel dans les ceux du concile. Celui-ci insista; deux prêtres
viens,nous avons à t'entendre tout d'abord. de Constantinople, le moine Isaac, signataire
Car on nous a remis contre toi des requêtes d'un des factum contre le pontife, et Eugène,
avecsoixante-dixchefs d'accusation très-graves, récompensé depuis par l'évêché d'IIéraclée,
et, par la grâce de Dieu, notre concile est plus portèrent à Jean cette nouvelle sommation :
nombreux que le lien. Vous n'êtes que trente- « Le concile te l'a déjà ordonné parais devant ;

six de la même province, nous sommes qua- nous, et viens te justifier' ». Jean répliqua par
rante de provinces diverses, et nous comptons ces quelques mots a Quel ordre suivez-vous
:

parmi nous sept métropolitains. Or, les conve- donc dans cette procédure? Vous voulez que
nances et les canons veulent que le moindre mes ennemis soient mes juges, et vous vous
nombre soit jugé par le plus grand et le plus servez de mes propres clercs pour me citer » !

digne. Nous avons, d'ailleurs, la lettre par Et il envoya ce billet par d'autres évêques.
laquelle tu déclares à notre frère Jean qu'on ne Mais le concile avait perdu la tête c'était :

doit pas juger hors des limites de sa juridic- moins une assemblée de prêtres qu'une ca-
tion * D. verne de furies. Les messagers de Chryso-
Jean ne crut pas que cette réponse collective, slome furent accueillis avec des violences qu'il
si sage et si ferme, le dispensât d'une réponse semble impossible d'admettre de la part des
personnelle. Il écrivit aux évêques du Chêne: personnages auxquels ils s'adressaient. On se
t J'ai ignoré jusqu'à ce jour qu'on eût quelque jeta sur eux,on déchira les vêtements de l'un,
chose à me reprocher. Mais si une accusation on accabla l'autre de coups; un troisième,
a été |iortée contre moi et que vous vouliez que chargé des fers préparés pour Jean, fut jeté
je me justifie devant vous, excluez de votre dans une barque et envoyé on ne sait où.
réunion mes ennemis déclarés, et je ne dispu- Le concile essaya d'une quatrième citation
du lieu où je dois êlre jugé, quoique
terai pas et n'oblint pour réponse (jue le silence. Ce
assurément ce dût être dans celle ville. Or je silence même, lattilude de Cbrysoçlçme, soi)
' P»ll»d., diil., p. 27. — PâlUd., dial., p. 28. • Sozoït)., U 8; ['allad. ibii.
4li HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

inipertuibable sérénité embarrass;>.ient Théo- paraître devant ses juges, et nous l'avons dé-
phile. Quel que fût chez lui l'aveuglement He posé conformément aux lois. Mais on lui im-
ia haine, il sentait que
au Clihie
la position pute, en outre, lecrime de lèse-majesté, duquel
3tait fausse, le terrain brûlant, et que d'un nous n'avons pas à connaître. Que votre piété
instant à l'autre une émotion populaire pou- ordonne donc qu'il soit chassé de son siège
vait tout changer. La discussion se traînait à et puni comme criminel envers le chef de

travers le mensonge et l'absnrde et n'abouUs- l'Etat'».


saitpas. On décida de brusquer la conclusion, Or, le crime de lèpe-mnjesté entraînait la

et, passant outreauxdiverschefsd'accusation, peine de mort. Mais la tète de cet homme était

de ne faire valoir contre l'inculpé que la con- prendre au milieu d'un peuple qui
diffici'e à

tumace. Paul d'Hi'raclée parla dans ce sens et l'adorait: la h:iine recula devant le péril, sans
demanda qu'on fût aux voix. L'évèque Gymna- reculer devant le forfait. l>'ailleurs, le faible fils
sius vota le premier et Théophile le dernier. de Théodose, borné, sans di?cernement, esclave
Jean fut déclaré coupable de révolte contre le de Jézabel, mais doux et bon n'était pas ,

concile pour avoir refusé d'y paraître, et l'on homme à [lorter sur son évoque une main par-
prononça sa déchéance. Puis l'assemblée, , ricide; il refusa de verser à ses ennemis le

heureuse de son triomphe, se hâta de com- sang dont ils avaient soif, et se contenta de
muniquer le jugement au clergé de Cons- leur octroyer l'exil du Saint. Jean reçutl'ortlre
tanlinople et à l'empereur. La lettre à celui- de quitter au plus tôt et de se retirer à
la ville

ci est rédigée avec un art perfide a Jean, : Hiéron, à l'embouchure de l'Euxin, en atten-
sous le poids de graves accusations, sentant dant une destination plus lointaine.
qi\'il ne pouvait se justifier, a refusé de com- < Pallad., dial., p. 30.

CHAPITRE TilENTE-SIXlÈME.

Jean [imtc^te et sn -léf-iile à p'irfi'-. — Ci'Vc 'în friiplp oir'tro la conr. — Tromb'emeiil de ferre. — Lettre d'Euclnie à Jean.
— Retour de Jeau. —
Son entrée triompliiile à Cni!slaii'iM'i|ile —
tiiscoiirs du pontife. — Départ et fuite de ses ennemis. —
Théophile et Nilanimon. •- Le pape indigné des procédés de Théophile.

Cependant le peuple de Constantinople ten- rien emporter. Ainsi, ce que le monde a de


dait l'oreille vers Chalcédoineet coniiueiiçait terrible, je le méprise autant que je me ris de
à se préocciiper des bruits qui venaient de là. ses biens. Je ne crains pas la pauvreté, je n'am-
Inquiet, agité, menaçant, il entourait la de- bitionne pas les richesses, je ne redoute pas la
meure de son évoque, veillait à ses portes, mort, et je ne désire vivre que pour le progrès
remplissait la grande église. Jean s'efforçait de de vos âmes Je prie donc votre charité d'a-
le contenir en rassurant.
« Les Qots sont
le \oirconfiance,nutne pourra nous séparer. Car
soulevés, tempête gronde; mais
disait-il, la s'il est dit à propos du mariage : Ce que Dieu

nous ne craignons pas d'être submergés, car a uni, l'homme ne peut le désunir, à plus forte
nous sommes établis sur la pierre ferme. Que raison l'Eglise ne peut être séparée du pas-
la mer s'abandonne à ses fureurs, elle n'ébran- teur B Et s'adressant par une vive proso-
lera pas le rocher que les vagues bondissent
;
popée à ses adversaires a Vous croyez n'atta-
:

et menacent de briser tout, la barque de Jésus quer que moi, s'écrie-t-il,vousattaqui'zrEghse.


ne sombrera pas. Je vous le demande Que : Eh bien! vous me rendrez plus illustre, et
puis-je craindre? La mort? Mais Jésus-Christ vous épuiserez vos forces en pure perte ainsi :

est ma vie, et mourir m'est un gain. L'exil ? les flots se brisent contre le rocher et se rédui-
Mais la ttrre avec toute son étendue appartient sent en écume. Homme, sois-en siir, rien n'est
au Seigneur. La perte des biens ? Mais nousn'a- plus puissant que l'Eglise. Fais la paix avec
Yons rieu apporté ici-bas, et nous u'ea pouvons elle, ne déclare pas la guerre au Ciel. Si lu
CnAPlTRK TRENTK SIXIÈME. A\n

t'aliaquos à riiomnip. il y a égale oliance de moi que craindrai-je ? les flots soulevé-, le
:

vaincre on d'olre vaincu. Si c'est a l'Eglise que courroux de la mer, la fureur des princes, ne
tu t'en prond'i. tu ne si-ras jamais vain(iucur ;
sont pas [dus à mes yeux que des toiles d'arai-
car Dieu est (dus fort que toutes les créatures gnées. Si votre charité ne m'avait retenu, je
ensemble. Voulons-nous rivaliser avec le Sei- n'aurais pas hésité à partir aujourd'hui même;
gneur ? Lui sommes-nous supérieurs en
'
car je dis toiijoin's Seigneur, que votre volonté
:

quelque chose? Ce qu'ilaélabli et.itl'ermi, «jui soit faite ! Oui, je ferai, non ce que veut un tel

tentera de l'ébranler? // regarde laterre, etson ou un tel, mais ce que vous voulez. Voilà le
regard In fait trembler. Il ordonne, et ce qui bâton qui ne vacille pas dans mes mains voilà ;

tremblait s'atVermit. N'est-ce pas lui qui a dit: la pierre inébranlable sur laquelle je suis établi.
Tu es Pierre, et sur celte pierre je bâtirai mou Que ce que Dieu veut s'accoin|)lisse: s'il veut
Eglise et les portes de Venfer ne prévaudront que je reste ici, je lui rends grâces ;
partout où
pas contre elle ? Vois combien de tyrans ont il me mènera, je le bénirai.
essayé de l'opprimer Combien de chevalets,
I « Que personne ne vous trouble : va(|nez à
comliicnde bûchers, combien de bètes féroces, la prière. Le démon a voulu vous y arracher,
combien de glaives aiguisés! ils n'ont abouti à mais il n'a rien gagné ; au contraire, je vous
rien. Où sont ces ennemis si nombreux, si puis- trouve plus fervents. Demain, j'irai avec vous
sants ? ils sont oubliés à jamais. L'Eglise, où aux car là où je suis, vous
litanies solennelles ;

est-elle? Plus que le soleil, elle resplendit.... êtes, etoù vous êtes, je suis aussi nous ne ;

Donc, mes amis, que ce qui arrive ne vous faisons qu'un corps, et la tète n'est point sé-
trouble pas. Accordez-moi la grâce de rester parée du corps ni le corps de la tête. Les dis-
inébranlables dans votre foi. Souvenez-vous tances n'empêchent pas la charité de nous
de Pierre marchant sur les flots le moindre ; tenir unis, et la mort elle-même ne peut
doute l'eût exposé à périr. Sont-ce des calculs rompre notre union. Si mon corps meurt,
humains qui m'ont fait arriver ici ? Est-ce mon âme vivra et se souviendra de mon peu-
l'homme qui m'a élevé sur ce siège, pour que ple. Comment pourrai-je vous oublier? Vous

l'homme m'en précipite? Si je parle ainsi, ce êtes ma famille, vous êtes ma vie, vous êtes
n'est ni vanité ni jactance, àDieu ne plaise! Je ma gloire... Pour vous je suis prêt à répandre
cherche a affermir ce qui hésite en vous. La mon sang, et en cela je ne fais qu'acquitter
ville était calme, le démon a voulu troubler une dette car le bon pasteur donne sa vie
:

l'Eglise. pervers, ô méchant! Tu n'as pu faire pour ses brebis. Qu'ils m'égorgent, qu'ils me
tomber nos remparts, et tu veux renverser tranchent la tête une telle mort est un gage
:

l'Eglise ! L'Eglise ne se compose pas de mu- d'immortalité, de telles embûches sont une
railles, mais de fidèles: un seul d'entre eux source de sécurité. Est-ce à cause de mes ri-
suffît àdéjouer tes efforts. As-tu oublié les chesses ou de mes péchés qu'ils veulent me
martyrs et les coups qu'ils t'ont portés? Sou- perdre? S'il en était ainsi, je devrais en gémir le
vent une jeune fille délicate et faible a lullé premier. Je suis persécuté, parce que je vous
avec toi et t'a vaincu. Tu déchirais ses flancs, aime, parce que je ne néglige rien pour votre
sans lui ravir sa foi ; la chair succomb ût, l'âme bonheur, pour qu'aucun étranger n'envahisse
dé|)loyait un courage viril, la piété restait in- le bercail, ne ravage le troupeau. Le motif de

vincible. Et toi qui n'as pu abattre une simple l'épreuve est déjà une récompense. Que ne
femme, un peuple comme
tu te flattes d'abattre soulfrirais-je pas pour vous ? Vous mes êtes

celui-ci Le Seigneur ne l'a-t-il pas dit: Là où


1 concitoyens, mes parents, mes mes fils,
frères,

deux ou trois sont assemblés en mon nom, je les membres de mon corps, la lumière de mes
suis au milieu d'eux ? Et il ne serait pas an yeux, quelque chose de plus doux que la lu-
milieu d'une multitude si nombreuse, unie mière elle-même. .. Depuis plusieurs jours vous
par les liens de la charité J'ai sa parole, j'ai ! veillez, et rien n'a ébranlé votre courage, ni la

dans mes mains son écriture voilà ma force : longueur des heures, ni les craintes, ni les me-
et ma sécurité. Tout l'univers serait ébranlé, naces. Vous vous êtes montrés pleins d'une
je lis les saintes lettres, je lis ces mots Voif/i : ardeur admirable. Que dis-jc? Ce que j'avais
que je suis avec vous tous /e? Jours jusqu'à la toujours désiré, vous l'avez fait vous avez :

consommation des siècles. Jésus Christ est avec méprisé les choses du monde, vous avez dit
'Ad Coriiil/l-, 1,1:. 10, ». 4. adiei à la terre, vous vous êtes affranchis de^
416 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHKYSOSTOME.

liens du corps pour vous élancer vers notre piété, il soignait moins ses trésorsque ses
divine philosophie. Voilà de quoi me consoler armées, il n'était pas assujéti au bon plaisir
et me soutenir ; voilà l'huile de l'athlète, le dosa femme '....»
gage de la victoire, le titre de l'immortalité '
». Mais déjà l'œuvre du Chêne était accomplie
Ces paroles contenaient peuple sans l'apai-
le et la sentence prononcée. La triste nouvelle
ser. L'insulte faite à son évèque le saisissait au arriva le soir même à Constantinople. En un
cœur et semblait le réveiller de son long abais- instant le peuple est debout; étonné, indigné,
sement: car il aimait dans Chrysostome son il se porte en masse à la demeure de l'évêque,
éloquence, sa charité, sa vie austère, sa fer- à celle de l'empereur, à Sainte-Sophie, deman-
meté invincible qui contrastait avec le servi- dant à cris redoublés qu'un concile plus nom-
lisme de tous, ses luttes hardies et saintes breux soit appelé à réformer aussitôt l'inique
contre les abus de la fortune et du pouvoir. Il jugcmentd'unconcileimpieetmaudit.Malheur
s'était habitué à voir dans ce grand homme un aux juges pervers qui ont osé condamner un
protecteur sacré, un ange tutélairequi le cou- Saint Malheur à quiconque oserait l'approcher
I

vrait de sa parole, de son courage, de ses vertus, avec des intentions hostiles Les émissaires du 1

et la crainte de le perdre lui rendait un mo- palais se présentent etsont repoussés. Le peuple
ment de redoutable énergie. Il se pressait au- veille, il entoure son pontife, il ne souffrira
tour du pasteur et gardait avec soin toutes les pas qu'on le ravisse à son amour. Chrysostome
avenues de sa demeure. Les uns remplissaient lui-même ne crut pas devoir obtempérer tout
tour à tour le rôle de sentinelle, et, comme d'abord aux ordres précipités de la cour. Il
dans une ville assiégée, veillaient jour et nuit protesta contre la sentence qui le frappait,
contre une surprise ; les autres parcouraient sentence radicalement nulle, puisque, étran-
la ville avec des chants pieux et menaçants; gers à sa province, les juges n'avaient pas qua-
un grand nombre entouraient l'autel et la lité pour le juger. Il sentait d'ailleurs qu'il
chaire, heureux de recueillir quelques ac- devait quelque chose à l'afléction d'un tel
cents encore d'une voix qu'ils n'entendraient peuple, et s'il fallait s'en séparer, il voulait
plus. Jean parut plusieurs fois à l'ambon pour du moins le remercier, le consoler, apaiser sa
consoler son troupeau, s'efforçant de commu- colère et l'amener peu à peu à ces sentiments
niquer aux autres la sainte résignation de son de noble résignation dont il leur donnait
cœur. Mais l'indignation du peuple le gagnait l'exemple.Il monta plusieurs fois en chaire au

par moments lui-même, et lui arrachait quel- milieu d'une effervescence que sa voix ne pou-
ques paroles amères qui envenimaient les ran- vait toujours dominer. « Que le nom du Sei-
cunes de la cour et fournissaient à la faction gneur soitbéni, disait-il, qu'il le soit à jamais.
une arme de plus. Si nous avons reçu les biens de sa main divine,
« Savez-vous, disait-il, pourquoi ils veulent pourquoi ne pas accepter les maux quand il les
me déposer? Parce que je n'ai pas tendu ma envoie « ? »
maison de riches tapisseries, que je n'ai pas D'autre part, secrètement stimulée par Théo-
voulu me vêtir d'or et de soie, que je n'ai phile et Séverien, la cour enjoignait à Chryso-
pas eu assez de complaisance pour la glou- stome de hâter son départ. 11 répondait que, le
tonnerie de ces gens-là. La race de l'aspic jugement porté contre lui étant une violation
fleurit encore la semence de Jézabel n'est pas
: flagrante de foutes les formes de la justice et
éteinte; mais la grâce combat avec Hélie...Le de toutes les lois de l'Eglise, une usurpation
temps présent, poursuivait-il, est un temps de évidented'hommesennemis et passionnés, sans
larmes tout court à l'infamie '. Il n'y a plus
: titre pour le juger, il ne quitterait pas volon-

que l'or qui donne la considération. Que de- tairement son troupeau et ne céderait qu'à la
vient donc cette parole de David : Si l'or afflue, cour dans une
force. Ces paroles jetaient la
n'y attachezpas votre cœur? Celai qui tenaitce indicible perplexité ; elle brûlait d'employer la
langage n'occupait-il pas le faîte de la royauté? violence pour en flnir, et tremblait, avec rai-
Mais il ne songeait pas à s'enrichir par la ra- son, que la violence ne tournât contre elle. La
pine, il ne songeait pas à la destruction de la piété de Jean vint à son aide. 11 pouvait tout
en ce moment, la ville entière était dans ses
• Chrys., t. 3, 415. B. B.
Ces paroles navTor sU àS-j^ia.-» iitiplxi' parurent
: offrir un jeu '
Chrys., t. 3., p. J18 ; voir aux Pièces justificative!,

(le mott insoUant pour Eudoiie. '


Voir aux Pièces Justificatives.
CHAPITRE TRENTE-SIXI1>ME. 417

mains ; un mot de sa bouche décliaînait la sauver à la hâte. Théophile, de son côté, se mit
mulliludc et forçiil IVmporour à reculer; la à la tête de (|Uel(iues hommes armés et se pré-
justice de sa cause était évidente; quarante senta à l'église pour en chasser les amis do Jean.
évèiines l'appuyaient de leur autorité; cin- Celte inconcevable témérité faillit tout perdre.
quante mille cliréliens le couvraient de leur On répondit à la violence par la violence : le
dévouement, prêts à repousser la force par la sang coula. La protestation d'un peuple pieux
force et à mourir pour un pasteur vénéré. Il allait devenir une insurrection formidable. Une

préféra donner l'exemple de l'abnégation. La foule immense assiégeait le palais et demandait


pensée d'une goutte de sang versée à son occa- à grands cris que son pasteur lui tût rendu.
sion lui faisait horreur il n'eût voulu à aucun ; Les ennemis de la cour, les mécontents de
prix entretenir rai;itation du peuple devenir , toute espèce exploitaient la circonstance, et,
un prétexte de sédition dans la cité ou de mèlésà la multitude, excitaientet envenimaient
schisme dans l'Eglise. La charité semblait d'un son courroux. Don nombre même, parmi les
ordre supérieur.! la justice il s'immola. Ayant
: adversaires du pontife, passant tout à coup d'un
donc acquitté le devoir de sa charge par une sentiment à un autre, blâmaient tout haut l'en-
protestation suffisante , le troisième jour, vers têtement d'un aveugle pouvoir qui compromet-
midi, il profita li'un moment où les fuièles, tait par un caprice d'orgueil l'ordre public et
comme assurés de leur triomphe, faisaient une le bonlieur de tous. Les portes du séjour impé-
garde moins sévère, et, s'échappant de l'église rialne pouvaient que céder sous le poids d'une
par une porte dérobée, il courut se remettre masse irrésistible, et l'impératrice éperdue
aux si)ires de la cour dans une maison voisine commençait à songer qu'elle avait acheté sa
où lui mém; donné rendez-vous '.
leur avait vengeance un peu cher. Le ciel lui-même parut
Mais la disparition à peine connue fut le si- intervenir : une vive secousse du sol ébranla la
gnal d'une épouvantable tempête. Les menaces ville et fut plus particulièrement sentie dans
du peuple commencèrent à monter plus haut lachambre d'Arcadius. Eudoxie n'y tint plus ;

queTbéophileetses complices. On tremblait au la remords


superstition et la peur aiguisant le
château mais on s'obstinait. Jean crut tout
, dans cette âme altière, elle se jeta aux genoux
sauver en s'éloignant et, le soir même dès ; , de son mari et demanda tout en pleurs le rap-
que l'ombre eut enveloppé la ville, escorté de pel de Jean. « de nous, disait-elle,
C'en est fait
quelques soldats et d'un officier de police, il se et de notre puissance, s'il tarde à revenir».
rendit à la Corne dorée où tout était prêt pour Elle écrivit à l'exilé de sa propre main « Je :

son départ. secrètement qu'on eût mené la


Si prie ta sainteté de croire que ce qui s'est fait
chose, on ne put tromper la vigilance de tous; conlre elle a été fait à mon insu. Je suis inno-
reconnu de quelques fidèles, le noble captif cente de ton sang. Des hommes méchants et
fut bientôt entouré d'une foule qui grossissait. pervers ont tramé ce complot. Dieu voit les
A grand'peine il atteignit le navire qui devait larmes que je répands et que je lui offre en sa-
l'emporter et qui, remontant le Bosphore à la crifice. Je me souviens, d'ailleurs, que mes en-
faveur de la nuit, se dirigea vers leportd'Hié- fants ont reçu le baptême de tes mains ' ». La
ron, à l'entrée de l'Euxin, d'où le vénérable nuit même, un courrier partit pour porter cette
proscrit devait être conduit à Prénète, dans lettre et l'ordrede l'empereur; d'autres cour-
l'intérieur de la Dilhynie. riers le suivirent.On envoya dé|iiitalion sur dé-
M lis l'holocauste du pasteur ne conjura pas putalion. Le Bosphore était encombré de bar-
l'orage. Les regrets du peuple que sa voix ne ques et d'officiers courant à la poursuite de
contenait plus prirent le lendemain un ca- l'exilé et tremblant de perdre sa trace. La cour
ractère effrayant. Le présomptueux Sévcrien, craignait d'arriver trop tard jiour conjurer le
ayant osé se montrer sur une des chaires de double orage de la colère du ciel et du peuple.
Dyzance pour essayer ime justification de l'œu- Drison, eunuque de Pinipératrice et notaire
vre du C'/têne, fut interrompu dès les premiers de l'empereur, quiconciliait avec ses fonctions
mots, oblige de quitter la tribune sacrée au à la cour un grand dévouement pour le pon-
milieu des malédictions de la foule et de se tife, eut le bonheur de le trouver à Prénète et
' SocrXeei .Sozomint le font p»rtir i mli)l ; CTtrynostime parle de le ramener. A la première nouvelle de ce
du Ceui-là di*«nt qiiM «e livra TOlûiiUirement; celui-ci raconta
viiT.

qu'oa l'emmena du (urco au |K>rl, Teul est coocilie pat Tillcmoat,


retour, le peuple ivre dejoie courut au port la ;

doDt sftiu avcoa adopté le récit. CbryL, t. 3, p. 42S ; Sozom., I. 8, c. 18.

S. J. Ch. — To.ME l. 37
418 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

mer se couvrit de bateaux : les femmes elles- sion, béni soit Dieu qui me ramène I Béni soit

mêmes s'embarquaient avec leurs enfants dans Dieu qui déchaîne l'orage, béni Dieu qui soit

les bras. Chacun voulait être le premier à sa- l'a calmé Puissé-je vous apprendre à le bénir
I

luer son pasteur, à recevoir sa bénédiction. toujours Dans les épreuves, bénissez-le, vous
1

Déjà plus de trente évoques avaient été rejoin- les abrégerez ; dans la prospérité bénissez-le, ,

dre l'exilé Dès qu'il mit


au-delà du détroit. vous la rendrez durable. Job lui rendait grâces
pied à terre, une foule innombrable l'entoura dans l'opulence, il le glorifia dans l'adversité.
et le suivit avec des cierges allumés et des Il ne fut ni ingrat dans l'une, ni blasphémateur

chants de joiequ'interrompaitde temps à autre dans l'autre. Au milieu des conjonctures les
une immense acclamation. Arrivé au faubourg plus diverses, la disposition de mon âme est
Mariana, auquelun palais de l'impératrice don- restée la même ; le courage du pilote n'a été ni
nait son nom, le prélat s'arrête et refuse d'aller amolli par le calme ni brisé par la tempête. J'ai
plus loin ilvoulait, disait-il, avantde remonter
: béni le Seigneur, et quand je me suis éloigné
sur son siège, purger sa condamnation dans un de vous, et quand je vous ai retrouvés. Le dé-
concile plus nombreux que celui du Chêne. part et le retour étaient dansles desseins de la
Mais peuple qui soupçonnait partout les ar-
le Providence. On m'a séparé de vous corporel-
de Théophile et ne comprenait rien à ces
tifices lement, mais mon âme ne vous a pas quittés.
scrupules de légalité, ne voulut pas entendre Voyez à quoi ont abouti les embûches de mes
à ce retardement, et commença à se répandre adversaires elles ont accru votre affection pour
:

de nouveau en imprécations et en menaces moi et le nombre de mes amis. Autrefois les


contre l'empereur et l'impératrice. Jean, con- miens seuls m'aimaient, aujourd'hui les Juifs
traint de céder, n'entra en ville que malgré aussi m'honorent.... Autrefois nous n'avions
lui '. En quoi d'ailleurs avait-il besoin de se d'auditoire que dans l'Eglise, maintenant la
protéger contre le jugement de Chalcédoine, place pubhque continue l'église, et du fond de
nul de plein droit, dérision impie des lois et de la place jusqu'ici on dirait une seule tête. Nul
la justice? L'instinct du peuple ne le trompait ne commande le silence, et tous sont silencieux
pas il conduisit son évêqueà travers des rues
: et recueillis y a des jeux au cirque, et
Il

jonchées de fleurs, parées de festons, au milieu personne n'y va; on se précipite vers la maison
des cantiques d'allégresse jusqu'à l'église des de Dieu comme un torrent. Ce torrent, c'est
Apôtres, oix l'on entra. Là, soit qu'il succombât votre zèle ; le bruit des eaux, ce sont vos voix
à la fatigue d'une émotion prolongée, soit nou- qui font monterjusqu'au ciel le témoignage de
veau scrupule, il répondit à ceux qui le pres- votre filiale tendresse. Vos prières sont pour
saient de parler au peuple, qu'il n'en ferait rien moi une plus belle couronne que tous les dia-
jusqu'à ce que les prélats qui l'avaient con- dèmes.... C'est pour cela que je vous ai réunis
damné l'eussent solennellement absous. Mais dans l'église des Apôtres. Bannis, nous venons
de nouvelles instances le forcèrent à paraître près de ceux qui furent bannis avant nous ;

sur cette chaire, oîi l'écho de ses derniers ac- nous venons près deTimothée, cet autre Paul,
cents vibrait encore. Il s'exprima ainsi : près de ces corps sanctifiés qui ont porté les
« Que dirai-je? Quels mots [mis-je avoir sur stigmates de Jésus-Christ. Ne craignez jamais
mes lèvres? Que Dieu soit béni 1 Je le disais à l'épreuve vous avez une âme intrépide c'est
si :

mon départ, je le redis à mon retour, et là où ainsi que tous les Saints furent couronnés.
je suis allé, je ne cessais de le répéter. Vous Plus ils souffrirent dans leur corps, plus la paix
vous souvenez que le dernier jour je vous ai de leur cœur fut parfaite. Et plût à Dieu que
rappelé l'image de Job et ces paroles Béni soit : nous fussions toujours dans l'affliction Le pas- !

le nom du Seigneur dans les siècles. C'est le teur se réjouit quand il souffre pour son trou-
gage que je vous ai laissé, c'est l'action de peau. Mais que puis-je vous dire? Qu'ai-je à
grâces que je rapporte. Béni soit le nom du faire?... Au milieu d'une moisson si belle, pas
Seigneur dans les siècles Lus situations sont ! une ronce au milieu de tant de brebis, pas un
;

différentes, l'hymne est le même. Exilé, je bé- loup. Les bêtes malfaisantes ont disparu, elles
nissais revenu de l'exil, je bénis encore. L'hi-
; ont pris la fuite. Qui les a chassées? ce n'est
ver et l'été ont une même fin, la fertilité de la pas moi, berger : c'est vous, brebis. Oh 1 les
terre. Béni soit Dieu qui a permis mon expul- nobles brebis ! En l'absence du berger, elles ont
• Sozom., 1. 8, c. 18 ; Socr., 1. 6, t. 16. mislesloupsen déroute. Oh ! la belle, la chaste
CHAPITRE TUENTE-SIXlftME. 4id

épouse î En l'absence du mari, clic a repoussé peau combat le capitaine n'y est pas, et les
;

les adultères. Comment les as-tu repoussés? soldats prennent les armes. Non-seulemeut
Par la grandeur de ta vertu. Tu n'as pris ni l'Eglise a eu son armée, mais la ville entière
lance ni bouclier : tu leur as montré ta beauté, est devenue l'Eglise. Les rues, les places, l'air
ils n'en ont pas soutenu la splendeur. Où sont- lui-même ont été sanctifiés; des hérétiques,
ilsmaintenant? La honte les accable, et nous des juifs se sont convertis ; et tandis que les
triomphons. L'empereur et l'impératrice, les prêtres nous avaient condamné, les juifs ve-
princes sont avec nous. Que dirai-je donc ? Que naient à nous en louant le vrai Dieu. Ainsi fut-
le Seigneur répande sa bénédiction sur vous et il au temps de Jésus-Christ : Caïphe l'attacha à
sur vos enfants, et rendons grâces à sa bonté la croix, et le larron confessa sa divinité; des
infinie. A lui louange et gloire dans les siècles pontifes mirent à mort celui que les mages
des siècles 1 Amen' ». avaient adoré. Que tout cela ne trouble pas
D'unanimes applaudissements couvrirent ses l'Eglise sans ces épreuves, les trésors de vos
;

paroles. Les officiers de la cour, mêlés à la cœurs n'eussent pas été connus... Les mé-
foule, partageaient l'ivresse générale, et le soir chants ont tendu des embûches, ils ont déclaré
même, Eudoxie envoya complimenter le pon- la guerre, et ils ont été vaincus ! Comment ont-

tife. «Mes vœux sont exaucés, fit-elle dire, j'ai ils fait laguerre? Avec des bâtons. Comment
obtenu ce que je voulais. J'ai rendu au trou- ont-ils été vaincus? Par des prières. Malheu-
peau son pasteur, au vaisseau son pilote. Voilà reux! tu entres dans l'église avec des bâtons ;
une couronne qui me plait plus que mon dia- tu veux la prendre d'assaut ; tu portes la guerre
dème' B. dans le séjour de la paix, sans respect pour la
Le lendemain de bonne heure l'église était sainteté du lieu ni pour la dignitédusacerdoce.
comble; on voulait revoir Chrysostome, on Le baptistère a été rempli de sang. L'empereur,
voulait l'entendre. 11 prit de nouveau la parole, quand il met le pied sur le seuil sacré, se dé-
et, dans une homélie plusieurs fois interrom- pouille du diadème et du bouclier, de tous les
pue par les acclamations du peuple, il compara symboles de la puissance toi, tu t'es armé de
;

l'Eglise de Constantinople à Sara tombée un massues, tu as pris pour entrer ici les symboles
moment au pouvoir de Pharaon, et rappela en de la guerre. Mais tu n'as pu faire aucun mal à
la flétrissant, l'indigne conduite de Théophile. mon épouse;sa beauté intacte resplendit àtous
a Ce qu'un Egyptien a fait contre le saint pa- les mes amis, je me réjouis dou-
yeux. Aussi,
triarche, un autre Egyptien, dit-il, l'a fait blement de votre victoire, parce que vous avez
contre moi. Mais le premier ayant connu sa vaincu, et vaincu sans moi. Présent, j'aurais
faute s'en repentit; le second, après avoir com- été quelque chose dans votre triomphe par ma ;

mis crime, y a persisté. Malheureux ht as


le ! retraite,il est à vous tout entier. Mais cela aussi

péché, arrête-toP; n'ajoute pas un forfait à un est une gloire pour moi, j'ai ma part de tous
forfait... Tu as chassé le pasteur, pourquoi dis- vos succès, parce que je vous ai élevés de telle
perser le troupeau? Tu as éloigné le pilote, sorte que, loin de votre père, vous montrez la
pourquoi briser le gouvernail? Tu t'es jeté sur noblesse de vos âmes, comme les athlètes, loin
lesmonastères, et l'on a cru assister à une in- du maître qui les exerce, déploient toute leur
vasion de Barbares. Mais tout ce qu'il a fait n'a vigueur. Qu'estil besoin de mes discours? Les
servi qu'à faire éclater votre vertu, à montrer pierres crient, les murailles parlent. Où que
qu'il un pieux bercail dont Jésus-
y avait ici vous vous entendez louer le peuple de
alliez,

Christ est le chef... Nous n'osons rien dans la Constantinople. peuple généreux, si attaché
ville, disaient-ils forcez-le d'en snrtir.
;
Eh — à ton docteur Peuple aimant, plein do ten-
1

bien 1 cha«sez-moi de la ville, et vous saurez ce dresse pour ton père Ville heureuse, non de
I

que c'est que l'amour de mon Eglise, la géné- tes colonnes et de tes lambris dorés, mais de
rosité de mes enfants, leur courage, leur force, la vertu !.... De quelle jore vous me comblez !
leur patience invincible,la Heur de la liberté; Je savais bien auparavant quelles étaient mes
vous apprendrez la gloire de leur triomphe et richesses, aujourd'hui je les admire encore
l'humiliation devotre défaite. chose nouvelle plus... Que je vive ou que je meure, rien ne
et étonnante Le berger est absent, et le trou-
1 peut plus me toucher voilà le résultat de cette
:

épreuve. Que puis-je faire pour répondred'una


' Chtyi,, t. 3, p. 421. B. B. — ' Cliiyi., t. .1, p. 430. — ' Genis.,
e>4. manière digne à votre afl'cction ? Digne, c'egt
i20 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

impossible Mais je vous aime tant, que je suis


I tamment de nuit et regagna son pays. Une
prêt à versermon sang pour vous. Aucun père circonstance déplorable hâta d'ailleurs son dé-
n'a de tels enfants, aucun pasteur un tel trou- part. Les marins d'Alexandrie, témoins de
peau ». '
l'ovation faite à Jean, risquèrent contre le bien-
L'orateur retrace ensuite les circonstances de aimé du peuple quelques paroles injurieuses,
son retour, séparant avec soin de ses enne-
et, lesquelles entendues et relevées devinrent le
mis l'impératrice, qui avait demandé sonrappel signal d'une rixe sanglante. y eut des blessés
Il

et qui était là vis-à-vis de lui comme pour té- et des morts ', de saisir
et déjà l'on parlait
moigner de son repentir et s'associer à la joie Théophile et de le jeter dans le Bosphore. Mais
publique, il parle à son auditoire de la lettre, le vaisseau qu'il montait déploya ses voiles et
des félicitations qu'il en a reçues , des larmes gagna le large. Le mauvais temps l'ayant forcé
qu'elle a versées; il exalte sa piété, et par les de relâcher à Gères, petite ville de la côte d'E-
éloges qu'il lui donne, par la reconnaissance gypte à deux lieues de Péluse vers la Palestine,
qu'il lui exprime, il s'efforce de reporter sur les fidèles, qui venaient de perdre leur évêque,
elle une part de la faveur populaire dont il est le prièrent de mettre à la tête de leur église un
l'objet. Le peuple comprit la délicatesse deson saint vieillard, cher à toute la contrée, qui vé-
intention et répondit par des applaudissements nérait en lui le plus austère , le plus saint des
répétés. Quelques mots en faveur de ses enne- anachorètes. Nilammon, — c'était le nom du
mis terminèrent le discours du pontife. Il avait solitaire , — dès de ses
qu'il sut les intentions
flétri leur conduite, il voulut couvrir leurs concitoyens, de sa cellule. En
mura la porte
personnes et y réussit. vain le patriarche se présente et demande qu'on
Mais déjà la plupart d'entre eux avaient pris ouvre, en vain il signifie à l'homme de Dieu
la fuite. Il est vrai que, se doutant peu de ce qu'il croit être l'ordre du Ciel. Celui-ci,
l'orage qui s'amassait sur leur tête, après avoir derrière sa porte fermée, demande un jourpour
prononcé la déchéance de Jean, ils s'étaient quelques dispositions nécessaires, ce qui lui est
tournés contre Héraclide, son disciple et son accordé. Le lendemain Théophile reparaît et
ami, et ils avaient
consacré à son procès une somme Nilammon d'obéir. Père, répond le
nouvelle session Mais les cris de Byzance re-
*. reclus, j'ai besoin d'une heure de prière, priez
tentirent à Chalcédoine, et l'évêque d'Ephèse, avec moi ; et des deux côtés on se mit en orai-
au moment de partager le sort de son protec- son. Mais l'heure était passée, le jour baissait;
teur, trouva tout à coup dans la lâcheté de ses le prélat impatient interpelle l'anachorète qui
juges un appui qu'il n'attendait pas. Le retour ne répond plus. On abat la muraille qui bou-
triomphal de Chrysostome acheva leur disper- chait la cellule, et l'on ne trouve qu'un cada-
sion. Presque tous prirent à la hâte le chemin vre. Le pieux vieillard, dit Tillemont, aima
de leurs diocèses; un petit nombre, Séverien, mieux obtenir de Dieu la grâce de mourir que
Antiochus, quelques autres demeurèrent ca- de recevoir l'ordination épiscopale des mains
chés, soit à Chalcédoine, soit dans les environs, d'un persécuteur de ses frères.
ne voulant pas s'éloigner du théâtre de leurs Ceci se passait au commencement d'octo-
intrigues, et résolus d'y reparaître à la première bre 403. Rentré dans sa ville épiscopale, Théo-
occasion et de se venger '. phile n'y reçut qu'un froid accueil. Il publia,
Théophile essaya d'abord de se maintenir en dans les premiers mois de 404, une nouvelle
face de son adversaire mais celui-ci ayant de- ; lettre pascale que saint Jérôme traduisitet loua.
mandé, dès sa rentrée, la convocation d'un Ce ne fut qu'à la Pâque de la même année,
concile, pour se justifier et confondre ses accu- qu'il écrivit au pape Innocent, non pour sou-
sateurs, l'Egyptien effrayé s'embarqua précipi- mettre à sa haute juridiction la scandaleuse
procédure du Chêne, mais pour lui dire qu'il
• Chrys., t. 3, p. 427 et suiv.
" Sozomène (c. 19) setrompe en faisant tenir cette session quel-
avait prononcé la déchéance de Jean, sans en-
ques jours après la nouvelle inslallatioD de Jean sur son siège. Ce trer d'ailleurs dans aucune explication sur les
n'est pas vraisemljlable.
' Socrate et Sozomène disent que tous les membres du Chêne motifs et les circonstances d'un acte aussi
avaient pris la cependant Cbrysostome, dans sa lettre au
fuite ;
grave'. Cette étrange façon de procéder indi-
pape Innocent (apud Pallad., p. 7), assure que les Syriens, c'est-à-
dire Antiochus, Séverien et les autres n'avaient pas quitté les lieux.
Tout se concilie en supposant qu'ils s'étaient contentés de s'etfacer ' Sozom., ibid., c. 19. Socrate raconte le fait avec quelques dilTé-
e: (le -c radier en attendant que l'orage fiit calmé et que L'beure
de rences (l. 6, c. 15.)
la veijgcai.ce souuàt tStilUug, n. %ï ; Tillem., p. 6UJ.J Pallad., dial., p. 4 et 91
CHAPITRE TUENTE-SEl'llEWE. 421

gnale chef de l'Eglise, que, du reste, des lettres il reprit ses travaux avec une ardeur nouvelle,
eldes envoyés de Conslaiilinople ne tardèrent et sembla devenu |)lus éloquent. Les inlriyues
pas à éclairer sur le vérilalile état des choses et de la faction n'avaient fait (jue le rendre plus
a saisir de celle j,"raiKle atlaire. Uuanl à Jtian, cher à sou peuple ; lu haiuo avait exhaussé le

le souille populaire avait balayé sus ennemis ;


piédestal de l'amour.

CHAPITUE TRENTE-SEPTIEME.

Jean liemamle pour sa i"sl firali.in 5iilrnnpl!i' la cnnvoralinn d'un concile. — Délais cl mauvais vnuloir de la cnur. — Slatue
d'I^udoue. — Nouvelle biouillerie avec If |iaUis. — L'iiM|iciatr;i'e mpiielle Sécrii-'n el cousoUs et les lance de ikjihimu
contre Jean. — L'cujpereur ue veut plus parailic à l' enlise laiit qu'il y sera. — Il interdit aux officiers du palais it de la
milice d'assister aux réunions présidées par le pontire. — Il ordonne à Jean de quitter l'église. — Réàistauce et ptoteslatioa
de Jean qui est enlevé de force et consigné dans sa maison.

La paix entre le pontife et la cour, solennel- échapper à d'une procédure qui met-
l'affront
lement jurée sur Taiilcl aux acclamations du trait à nu mauvaise foi, (jne
ses intrigues et sa
peuple, ne fut (ju'une courte trêve entre deux pour prolonger l'embarras de son illustre col-
combats, un armistice trompeur employé dé- lègue, le placer, s'il le pouvait, dans de nou-
loyalemeut par l'une des (larties à se recruter velles et inextricables difficultés. Cependant
et à s'armer pour une lutte nouvelle. Reveime plus de soixante prélats accourus de la Thrace,
de sa frayeur et rendue à elle-même, Eudoxie du Pont, de l'Asie, et réunis dans la ville im-
retrouva au fond de son cœur sa haine tou- périale, avaient unanimement déclaré et dé-
jours vivante et envenimée encore par le sou- cidé que, l'assemblée du Chêne étant en très-
venir de sa déftile et du triomphe de Jean. grande majoritécomposée d'évcques étrangers
Nous avons vu que celui-ci, dès son entrée à la province et dépourvus de toute juridiction
à Mariana avant de remonter sur son siège,
, sur l'accusé, tout ce qu'elle avait fait était non-
avait demandé la convocation immédiate d'un seulement illégal, mais nul de plein droit;
concile, où il put répondre en présence de ses qu'ainsi, la sentence de déposition prononcée
ennemis aux yriefsdu Chêne, et faire éclatera contre Jean n'avait pu l'atteindre, et qu'il n'é-
la face du monde leuriniquité et son innocence. tait besoin en aucune façon d'un nouveau juge-

Au premier veut de celte résolution, le patriar- ment pour lui rendre une autorité qu'il n'avait
che égyptien avait pris la fuite. Mais Chryso- pas perdue.
stome insistant pour une révision solennelle pour lever ses
Cette décision suffisait à Jean
des actes de Chalcédoine dans une assemblée scrupules mais elle n'atteignait pas le but qu'il
;

d'évé(|ues nombreuse, imposante et d'une au- poursuivait avec ardeur, une justilication so-
torité incontestable, Arcadius se rendit à ses Il voulait un autre concile, où ses
lennelle.
vœux et convoqua dans sa capitale tous les ennemis fussent présents, leurs inculpations
prélats de l'Orient et en particulier Tliéophile. discutées, mises à néant, les calomniateurs
Celui-ci allégua l'émotion non encore apaisée confondus, les intrigues dévoilées, et ses amis,
du peuple Byzantin et la vive affection de celui son peuple, sa iiro|)re conscience consolés et
d'Alexandrie que son absence, disait-il, alllige- vengés par un triomphe éclatant de la vérité et
sedispensad'obtempérerauxordres
rait trop, et de la justice. 11 lit donc auprès de l'empereur
plus ou moins sérieux de l'empereur. La der- une troisième démarche, demandant avec in-
nière excuse n'était qu'un mensonge mala- stancequ'ondaignàlluicommuniquerenfinlcs
droit, personne n'ignorant la déplorable situa- pièces déposées contre lui, et (ju'à défaut de
tion que son orgueil et sa rapacité lui avaient Théophile qui fuyait la lumière, on sommât
créée dans son diocèse et dans toute l'Egypte. Antiochus, Séverien et quelques autres de ses
Mais il était résolu à ae pas bouger, taat pour complices qui étaient sur les lieux, de compa*
HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

raîtredevant une grande assemblée de prélats, Mies méchants et pervers qui sont les auteurs de
afin les accusations formulées pussent être
que tout le mal, et déjà elle faisait appel à la mé-
débattues contradictoirement et sérieusement chanceté, à la perversité de ces hommes, ins-
appréciées. truments méprisés de mauvaises |)assions,
ses
La cour mettait à faire droit à ces demandes et la lutte contre le saint pontife recommençait

une perfide lenteur. Evidemment, sa récon- plus ardente et plus haineuse que jamais. Du
ciliation avec le pontife n'avait été qu'un expé- haut de son âme, Jean voyait l'orage se former
dient de la peur, une hypocrisie ajoutée à tant à ses pieds et dédaignait de le conjurer. Mais
de lâchetés etd'hypocrisies.Eudoxic ne se con- quelques mots partis de sa tribune et répercu-
de ses larmes le triom-
solait pas d'avoir acheté tés en longs échos par les applaudissements du

phe d'un ennemi. Elle brûlait d'effacer de son peuple allaient, de temps à autre, jeter l'épou-
diadème, n'imporlecomment, l'affront qu'elle- vante dans le camp de ses ennemis. S'il faut en
même un moment de re-
lui avait infligé par croireSocraterépétéparSozomèneetbcaucoup
pentir, de faiblesse ou de piété. La vengeance d'autres, il aurait ainsi commencé l'un de ses
ajournée et condensée dans son cœur n'y bouil- discours Hérodiade est encore en fureur ; elle
:

lonnait que plus fort. ne manquait pas d'ail-


Il danse encore , elle demande une fois encore la
leurs autour d'elle de courtisans et de valets tête de Jean '.

pour en attiser la flamme. Une circonstance De son côté, l'impératrice ne gardait plus de
inattendue la fit éclater. mesure. Les prélats compromis dans l'iniquité
L'empereur, voulant associer la ville et l'em- du Chêne arrivaient à la hâte, prenaient ses
pire il son admiration pour l'impératrice, or- ordres et s'apprêtaient à frapper cette fois un
donna qu'une statue d'argent fût élevée en son coup Théophile seul se faisait attendre.
décisif.

honneur au milieu de la grande place, entre Il avait conservé de sa fuite honteuse un sou-

le Sénat et Sainte-Sophie. L'inauguration de venir trop amer à son orgueil pour oser se
culte statue, qui surmontait une haute colonne montrer encore dans la métropole de l'Orient.
de porphyre, fut accompagnée de jeux, de «Viens, lui écrivaient ses anciens amis, et sois
danses, de chants profanes dont le retentisse- encore notre chef contre Jean, ou si la crainte
ment allait troubler jusque dans le sanctuaire du peuple t'empêche de marque-nous
venir,
le service divin. Jean se plaignit respectueuse- ce qu'il faut faire et par où nous devons com-
ment, adressa de sages remontrances et ne fut mencer ». L'habile Egyptien préféra le dernier
pas écouté. Indigné, il tonna du haut de l'am- parti, et s'empressa d'envoyer au secours de ses
bon, avec toute la puissance de sa parole, con- complices, avec ses conseils et ses instructions,
tre des divertissements scandaleux qui corrom- trois évoques choisis non à la vertu, mais au
paient le peuple et insultaient le temple de vice, et dignes en tout de la mission qu'il leur
Ditu, surtout contre une cérémonie empruntée confiait*. Sahaine agissait àdistanceetdirigeait

au polythéisme et qui rappelait trop l'apothéose sans péril la nouvelle machination dont il avait
des Césars païens '. Dans cette homélie, qui ne dans sa main tous les fils. C'est lui qui imagina

nous a pas été conservée, Eudoxie vit une pro- de faire revivre contre Chrysostome les canons
tebtalion contre le culte de son image et sa forges contre Athanase dans le concile d'Antio-
propre majesté; elle ne se contint plus, jeta le che en 341.
masque et pressa la convocation du concile, Le quatrième et le douzième combinés dé-
non plus pour absoudre le grand orateur, mais clarent déchu de son siège, sans espoir de réta-
pour l'abattre et l'écraser. Au sifflement de la blissement, tout évêque qui, déposé par un
vipère les serpents accoururent. Antiochus, concile, reprendrait ses fonctions deson propre
Acace, Séverien, tous les sycophantes mitres chef ou par l'autorité impériale, avant d'être
qu'un regard du peuple avait mis en fuite, sor- réhabilité par un concile plus nombreux '.

tirent de leurs ténébreuses retraites et rempli- Maisd'abord, rien n'était plus contesté et plus
rent la ville d'intrigues, de calomnies, de me- contestable que
valeur de ces canons et de
la
naces. Deux mois à peine s'étaient écoulés l'assemblée qui les porta. Convoqué par l'em-
depuis que épouse d'Arcadius, l'astu-
l'altière pereur arien Constance sous prétexte d'inau-
cieuse élève d'Eutrope, écrivait à son évoque : gurer la grande église d'Antioche, et dirigé
Je suis innocente de ton sort; ce sont des honi' ' Socr., 1. 6, c. 18 ; Sozom., I. 8, c. 20 ; voir aux Pièces justificom
' Suit., 1. 6, c. Ib; Sozotû., 1. 8, c. 20. lives. — • fallad., lOid., p. 30. — * Jbid. ; Labb., t. 2, p. 564.
CHAPITRE TRENTE-SEPTIÈME. 423

sons ses yeux par le chef de l'Arianisme, l'usur- voquait-il ces malheureux décrets d'un malheu-
pateur ilii siège de Dyzauce, le foui be el iulri- reux concile ?Sa mauvaise foi, trop évidente,
gaut Eusèbe, ce concile, auquel prirent part, pouvait-elle leur donner la valeur qu'ils n'a-
avec unecint|uantained'lioniiiiessans lumières vaient pas? Souillés dans leur origine, crimi-
et sans énergie, prêts à signer tout ce qu'on nels dans leur but, nuls dans leur autorité, ces
voudrait, quarante prélats dévoués à la secte canons auxquels il recourait dans le désespoir
et signalés coryphées ce concile,
parmi ses ; desa cause, n'étaient qu'une de ces hypocrisies
dis-je, s'était proposé pour but principal d'in- légales à l'usage des [larlis pour couvrir d'une
firmer par un nouvel artifice la foi dcNicée, et apparence de justice l'arbitraire, la vengeance
surtout d'abattre et d'écraser Athanase'. Les et le crime.

vieilles calomnies de Tyr, tant de fois confon- Mais en supposant à ces prétendus canons une
dues, furent remises sur le tapis enrichies de source moins suspecte et une autorité plus cer-
quelques mensonges nouveaux, el l'illustre dé- taine, en leur donnant tout à coup ce qui leur
fenseurdelaConsubstanlialité se vitcondamné manquait, le caractère et la force d'une loi de
et déposé sans être entendu, au moment où sa l'Eglise, il n'y avait pas lieu de les applitpier à
cause était pendante au tribunal souverain du Jean; car l'assemblée qui l'avait déposé n'était
pape Jules. On se hâta île lui donner un succes- pas un concile. Un manque radical de pouvoirs
seur, et l'indigne Grégoire fut installé à main frappait de nullité tous ses actes. L'évèque de
armée sur Celte chaire éminenle d'où le grand Constantinople n'était pas justiciable d'une
docteur était contraint de descendre une se- trentaine de prélats lybiens, sans qualité pour
conde La faction qui pressentait et redou-
fois. s'immiscer dans les affaires de sa province, et
tait lejugement de Rome, voulut prévenir une qui n'avaient pu se constituer ses juges qu'au
glorification par une flétrissure. Ue là ces ca- mépris de toutes les lois canoniques et de toute
nons inventés pour justifier une sentence ini- pudeur, parla plus flagrante et la plus coupa-
que, et rétroactivement appliqués par une ini- ble usurpation. Un pontife illustre, digne de la
quité plus grande. Mais, eu vérité, pouvait-on vénération dont il était l'objet, avait été con-
donner le titre de concile à cette audacieuse as- damné, dégradé par une réunion d'hommes
semblée, où tout fut passion, violence, usurpa- violents, la plupart ses ennemis avoués, sans
tion manifeste; où l'Arianisme, fier d'avoir à qu'on lui fît connaître les charges qui pesaient
son front le bandeau de l'empereur, n'écrivit sur lui, sans être entendu dans ses explications
ses décisions qu'à la pointe du sabre, et se et défenses, sur simple défaut, quand on n'a-
déshonora autant par l'hypocrisie de ses for- vait aucun droit de le mander, et que cepen-
mulaires qucparses calomnies infâmes contre dant, par la forte conviction de son innocence,
Athanase et l'ordination non moins infâme de il offrait de comparaître pourvu que ses adver-
Grégoire ? Nul évoque d'Occident n'y avait paru^ saires déclarés nefussent pas ses juges. On n'a-
nul représentant du Saint-Siège, sans te con- vait pas même songé à lui signifier sa condam -

sentement duquel, dit Socrate lui-même',?/ nation, et il n'avait quitté son siège que par
n'est permis de rien ordonner dans l'Eçjlise. Ses ordre de l'empereur et contraint par la force,
actes, le quatrième canon en particulier, annu- ce qui lui laissait toutentierledroitde revenir
lés i>ar le concile de Sardique, d'une autorité dès que la contrainte cesserait ou qu'un nouvel
si grande dans tout le monde catholique, fu- ordre de cour aurait annulé le premier. Tout
la
rent aussi réprouvés par le souverain Pontife était donc iniquité, mauvaise foi, usurpation
comme l'œuvre de l'hérésie et de la méchan- de pouvoirs, insolent mépris des formes les
ceté', comme faits d'ailleurs sans sa participa- plus sacrées de lajustice, tout était nullité dans
tion, sans qu'il eût été consulté, contrairement les actes de Chaloédoine. Et, d'ailleurs, avait- il
à l'usage et à la règle, d'où ces |)aroles du pape tenu à Jeanque les canons d'Anlioche, bons ou
Jules aux évêques qui avaient tenu l'assemblée mauvais, ne fussent observés à son retour ? En
d'Anlioche: .Ne sa\iez-vous pas qu'il faut nous remettant le pied sur le sol de sa ville épisco-
écrire tout d'abord, etquec'està nous à décider pale, n'avai!-il pas réclamé un concile et la dis-
ce qui est juste* ? Ue quel droit Théophile in- cussion au grand jour, la discussion en pré-
sencedesesennemiset de ses accusateurs? Et,
•Socr., I. 2, c. 10 ; S'.zotn., I. 3, c. 5. — ' Socr., 1. 2, c. 8, 15,
en attendant ce jour désiré où la vérité devait
17 ; Smom , 1. 3, c. 6, 8, 10. — ' EpUI., Innoc, ap. Cbryi., t. 3,
p. 5^1; Pall»/!., iti-/., p. 31. — ' AlluD,, I. 1, p. 153. triompher de la calomnie, une réunion vénq-
m HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

irable de soixante-cinq évêques n'avait-elle pas par Chr ysostome. Certes, il s'en était hautement
déclaré que, la sentence du Chêne étant nulle expliqué ; mais la sainteté de sa vie paraissait
et de nul effet, celui qu'elle avait voulu attein- aussi redoutable à ses ennemis que la puis-
dre n'avait perdu aucun de ses pouvoirs et n'a- sance de sa parole, aucun prix ils n'eussent
et à
vait pas besoin d'en recevoir de nouveaux ? voulu d'un procès qui leur préparait une so-
Comment Théophile, si plein des canons d'An- lennelle défaite. Aussi, laissant de côté les
tioche, pouvuil-il oublier ou méconnaître à ce vieillescalomnies du Chêne elœl échafaudage
point les canons de SarJiiiue et celte ancienne d'ubsurdités difficiles à maintenir, ils se bor-
loi de l'Eglise, en vertu de laquelle tout cela est naient à évoquer traîtreusement les canons
nul qui se fait sans le consentement de l'évêque d'Anlioche. C'était une attaque sans péril, un
de Rome'? En présence des protestations de triomidie sans combat. Ayant repris son siège
Jean et de son appel léiléré au concile, ne de- et exercé l'épiscopat, disaient-ils, après avoir

vait-il pas en référer au successeur de saint été déposé par un concile et avant d'être réha-
Pierre, soumettre àsahuute juridiction lesactes bilité par un autre, il est déchu, déchu pour
du Chêne, et attendre de son tribunal souverain toujours, sans qu'on ait ni cause à instruire ni
ou qu'il les validât définitivement ou qu'il en jugement à prononcer; il suffit de l'expulser et
ordonnât la révision ? Le cauteleux Egyptien de le remplacer. C'est ce que firent valoir avec
ne s'y décida que plus lard, quand un nouveau une honteuse habileté Léonce d'Ancyre et Am-
coup eut frappé son noble collègue et que le monius de Laodicée en Pisidie, émules renom-
cri de l'indignation publique eut retenti jus- més deThéophileen mensonges eten intrigues.
qu'à la métropole du monde chrétien. Enfin, si L'or de la cour mit tout le monde de leur avis.
le jugement de Chalcédoine n'était pas encore Hâtons-nous de le dire, on se tromperait
révisé et cassé, la faute n'en était pas à Jean, beaucoup si l'on jugeait le clergé d'Orient à
mais à la cour, qui, en ayant l'air de presser la cetleépoque par cet afireux échantillon de quel-
convocation du concile, n'avait fait que l'éloi- ques hommes sans foi, sans honneur, sans con-
gner indigne calcul d'Eudoxie pour tenir for-
: science, profanateurs éhontés du plus auguste
cément le pontife qu'elle détestait dans une ministère. A côté de ce dégoûtant spectacle de
fausse position, où il serait plus facile de l'a- bassesse, de corruption, de vénalité, dans cette
baltre Quoi qu'il en soit, les canons d'Antio-
1 fange du servilisme, de forts caractères, de
che furent le mol d'ordre de la conspiration. hautes vertus se montrent en grand nombre et
AcaceetSéverien, accourus les premiers à la vengent l'Eglise. Théodore de Tyanes, sage et
voix de l'impératrice, se hâtaient d'appeler à grave personnage célèbre dans l'histoire de
Constanlinople le plus possible d'évêques dé- saint Grégoire de Nazianze, dès qu'il eut percé
voués àlacourel capablesd'en secondera tout les noirs desseins de la cabale, s'en retourna

prix les vues et les désirs. De secrètes ins- chez lui indigné en disant un éternel adieu à
tructions de Théophile dirigeaient habilement la ville impériale età cette cour, repaire de tant
toutes leurs démaiches. Il eutsoin de leurfaire de lâchetés et de hideurs. D'autres, plus nom-
éviter le tort qu'il s'était donné lui-même, en breux, accoururent au secours de la vérité op-
se séparant avec éclat delà communion de son l)riméeet protestèrent parleur courage contre
adversaire. Chacun d'eux vint saluer celui qu'il l'abaissement de leurs misérables- collègues.
allait trahir el lui donna le baiser de Judas. Menaces, promesses, rien ne les ébranla. On
Eudoxie, imiiatienle de vengeance, ne vil là en comptiit quarante-deux, auxquels on fit

qu'une faiblesse regreltible et se décida, pour expier le crime de leur piété par la prison, par
son compte, à une rupture éclatante. L'empe- l'exil, par toute sorte de vexations et d'insultes.
reur, que la fêle de Noël appelait à l'église, fit Entouré de leur dévouement, fort de l'affection
déclarer au pontife qu'il s'abstiendrait d'y pa- de son peuple, plus fort de sa conscience, Jean
raître et n'aurait plus de communion avec lui poursuivait avec sérénité ses travaux apostoli-
tant qu'il siégerait sans être absous des crimes ques. Jamais sa parole n'avait été plus lumi-
qu'on lui avait imputés. Dérision impie! men- neuse, sa voix n'avait jamais eu déplus beaux
songe lâclie et hideux puisque la cour elle-
! accents ; la tribulation donnait à cette grande
même avait fait obstacle à cette justification si âme plus d'essor; le vol du génie montait plus
souvent demandée et réclamée à grands cris haut dans la tempête, et libre et fler planait

Sozom., 1. 3, c. 9. dans les régions les plus sublimes de la pensée


CHAPITRE TRENTE-SEPTIEME. 423

et lie la foi. La faveurde son amlitoire auj;inen- mais chassé et enlevé par un officier de la
lail aussi en (nopoilioude la rureur de ses eu- cour; et s'il est rentré, ce n'est pas de lui-
neniis. Un iulaillible pressentinienl avertissait même, mais sur un ordre de ta piétéque lui ap-
le peuple que c'était là les diinicrs clianls porta dans son exil l'un de tes secrétaires. Ces
du cygne, et il se pressait pour les entendre au- canons, d'ailleurs, nous établissons qu'ils sont
tour de cet anibon bientôt muet de Sainte-So- l'œuvre des hérétiques. Ses adversaires se —
phie, avec une aflluenee pieuse et loucbante. récriant et s'emportant, le pieux vieillard se tut
Un édit de l'empereur détendit aux ol'ticiers du un instant et reprit avec le même calme:
palais et de la milice de se mêler aux conven- Prince, sans fatiguer plus longtemps ta pa-
ticules séditieux, c'est-à-dire aux assemblées tience, faisons ceci : Que nos frères Acace et
que présidait le poutile, sous peine de perdre Autiochus déclarent par écrit qu'ils professent
cUarges et biens. la même foi que le concile par eux invoqué,
L'altitude de Cbrjsostome embarrassait ses alorsla discussion sera finie. — Rien n'est plus
adversaires car ; il demandait hautement à être convenable, dit le monarque en souriant. —
mis en présence de ses accusateurs ; il défiait Acace et Anliochus stupéfaits promirent de
leur audace, et ce défi les épouvantait. Ils se faire la déclaration demandée et se retirèrent.
hâtèrent de répondre que toute discussion était Cette promesse n'étaitqu'un expédient ils se ;

inutile etque le seul fait d'avoir repris l'admi- gardèrent de la tenir, et ne furent que plus
nistration deson Eglise, sans y être préalable- acharnés à poursuivre leur but l'expulsion :

ment autorisé par un concile, constituait un de Jean '.


tel délit qu'il entraînait à lui seul sa déchéance Plusieurs mois s'étaient écoulés on appro- ;

définitive. Jean répliqua: Soixante évèques ont chait du grand jeûne que Pallade appelle le
approuvé ma conduite et m'ont mis en posses- printemps des Chrétiens. Le synode ' assemblé
sion de mon siège. Sur quoi, Léonce d'Ancyre contre Chrysostome et composé de ses ennemis
du CArâe qui avait
osasoutenir que l'assemblée ne se prononçait pas; on se passa de lui. Les
prononcé plus nombreuse
la déposition était meneurs avaient besoin d'en finir au plus vite,
encore. On ne pouvait mentir plus impudem- car un plus long relard pouvait les perdre ; ils
ment. L'évèque de Coustantinople confondit le craignaient, d'ailleurs, que le faible et mobile
mensonge et flt remarquer qu'on alléguait Arcadius ne se réconciliât avec le pontife pour
contre lui des canons sans autorité, œuvre célébrer la pâque, et que, venant à l'église oîi
coupable des Ariens et toute empreinte de leur il verrait de ses propres yeux l'ardent amour

fureur, etquelesadmettre ce n'était rien moins du peuple pour son pasleur, il ne les prît eux-
que flétrir Athanase lui-même cette assertion
: mêmes en flagrant délit de mensonge et de fé-
ne fut point réfutée. La ligue sentit qu'elle se lonie, car ils n'avaient cessé de lui peindre
perdait en s'engageant sur le terrain de la dis- leur adversaire comme un homme détesté et
cussion. Elle préféra s'adresser à l'empereur. délaissé de tout le monde pour
emporte- ses
Acace, Séverien, Léonce prièrent Arcadius ments son orgueil. Antiochus donc elles
et
d'évoquer la cause et de mander en sa présence chefs delà cabale se présentèrent à l'empereur
dix évêques du parti de Jean pour y conférer en audience secrète, et comme si l'archevêque
avec eux du point qui les divisait. Ils étaient était juridiquement convaincu et condamné,
siirs de la pensée du prince puisqu'ils avaient ils demandèrent que, par respect pour la so-
celle d'Eudoxie. Les amis de Chrysostome ac- lennité pascale qui approchait, on le chassât
ceptèrent la conférence et parurent devant l'em- de la maison de Dieu insultée et profanée par
pereur. Elpidius, l'un d'entre eux, évêquo de sa présence. L'imbécile époux d'Eudoxie
Laodicée en Syrie, ancien confesseur de la foi disposé par elle à les croire et n'admettant
pour laquelle il avait été proscrit sous Valens, pas qu'un prêtre du Christ pût mentir, se ren-
et que ses cheveux blancs et ses vertus ren- dit à leurs vœux; et l'ordre fut intimé à Jean
daient vénérable à tous, prit la parole et dit d'avoir à quitter son Eglise.
avec douceur Tu ne peux permettre, Seigneur,
:
Il répondit J'ai reçu mon Eglise de Dieu
:

que Jean soit arraché à son Eglise, comme ou pour le salut du peuple, el je ne puis l'aban-
le '•eut, sans être jugé et entendu. Les canons donner. Mais s'il te plaît de m'en arracher, et
alléguésconlreluineluisoulpoiiilapplicables;
• Pallad., dial., p. 32. — ' Théod., I. 5, c. 31; Socr., I. 6, «. 18;
car il n'avait pas élu dépose par un concile, Soiom., I. 8, c. 20.
426 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

tu en es le maître puisque le gouvernement de moins honteuse et plus facile, si elle était né-

la ville l'appartient, tu dois recourir à la force, cessaire.

afin que ton despotisme soit mon excuse devant Jean ne tint pas compte de la consigne. La

le Seigneur'. — Cette réponse déconcerta l'au- cour réitéra ses ordres et lui enjoignit une
un ministre de l'Evan- seconde fois de quitter l'Eglise elle reçut la
tocrate. Faire violence à ;

gile, au pasteur d'un nombreux troupeau, l'ar- même réponse. La conscience d'Arcadius se

racher à main armée de l'autel répugnait à sa révoltait contreun nouvel emploi de la force,
nature timide et pieuse. Mais l'impératrice la veille même
d'une fête qui appelait tous les
avait parlé et il dutobéir. Les sbires de la cour Chrétiens aux pieds des autels dans une com-
saisirent le pontife dans le saint lieu et le con- mune effusion de joie et d'amour ; il hésitait
signèrent chez lui; on n'osait davantage pour le devant cette double profanation que Dieu ou
moment. Ce qui s'était passé lorsde son premier les hommes pouvaient punir à l'instant même.
exil était trop récent dans le souvenir de tous, Mais ayant exprimé ses perplexités aux saints
pour ne pas commander une certaine circon- évoques Acace et Antiochus ceux-ci l'affermi- ,

spection. On craignait également le courroux rent contre ses terreurs qu'ils traitèrent de vain
du ciel et celui du peu|)le, et l'on voulait, à scrupule. Je crains que vos conseils ne soient
tout événement, avoir l'évêque sous la main pas bons, leur dit-il, et ne sais que faire. — Ils

pour conjurerla tempête si elle venaità éclater. répondirent : Prince, nous prenons sur notre

Les remords et la peur faisaient tâtonner la tête la déposition de Jean. — Et Jean fut saisi

haine ; elle n'avançait que pas à pas, comme de nouveau dans le sanctuaire, arraché à
sur un sol miné, afin que la volte-face fût l'autel etenfermé dans sa propre demeure
' Pall., diil,, p. 33.
devenue sa prison.

CHAPITRE TRENTE-HUITIÈME.

Dernière tenlalive des évêques dévoués à Jean. —


Désordrci et mallieuis de la nuit et du jour de Pâques. Jean commande —
la résiînaiion. —
Tcnlalives d'assassinat sur sa per»oiine. —
Api.el au pape. —
Primauté du Saint-Siège, fondement nécos-
saire de la liberté de l'Eglise et de la dignité du Sacerdoce.

Le pape Innocent !«'. —
Son intervention dans la cause de
Chrysostome. —
Joanniies. —
Persécutions exercées contre eux. —
Adieux de Jean aux évêques et aux diaconesses. Soa —
départ. — Incendie de Sainte-Sopliie. — Lettre du pontile banni aux évêques et aux prêtres emprisonnés pour sa cause.

On était arrivé au grand samedi, veille de Rien n'ébranla l'auguste furie altérée de ven-
Pâques. Les quarante prélats dévoués à Jean geance. Les évêques se retirèrent consternés ;
voulurent tenter un dernier effort. Ils se pré- leur pressentiment ne les trompait pas.
sentèrent à l'empereur, au moment où en En peuple, qui se sentait outragé
effet, le

compagnie de l'impératrice il visitait un des dans personne de son saint protecteur, mais
la

oratoires consacrés à la mémoire des martyrs. que les prières de celui-ci, ses recommanda-
Les larmes aux yeux, ils le supplièrent d'avoir tions réitérées et le respect de la fête empê-

pitié de l'Eglise, de lui rendre un pasteur vé- chaient d'éclater, s'abstint de paraître à Sainte-
néré, de ne pas convertir en deuil public la Sophie, 011 la faction étalait dans le vide la joie
plus belle solennité, surtout de ne pas retarder sacrilège de son triomple. D'autre part, les
le bonheur de tant decatéchumènes impatients prêtres fidèles avaient convoqué les candidats
de recevoir le baptême après une longue pré- au baptême dans thermes de Constance,
les

paration. On eut l'air de ne pas les entendre. préalablement disposés pour la synaxe de la
Alors l'un d'entre eux, Paul de Cratia, éleva la nuit, et la foule s'y précipita'. Jamais l'assem-
voix, et dit avec force : Eudoxie, crains Dieu ; blée chrétienne n'avait été si nombreuse ni si

songe à tes enfants, et garde-toi de violer par fervente ; on y comptait trois mille catéchu-
l'effusion du sang la sainteté de ce grand jour. '
Voir aux Pièces justificativts.
CHAPITRE TRENTE-HUITIÈME. 427

mènes dans un recueillement solennel. Le brutale pourchasse les fugitifs de rue en rue à
cbanl des psaumes, la lecture des saints livres, coups de bâton, et, se précipitant avec la même
les prières touchantes de la liturgie, l'oblation fureur sur les diverses églises de la cité, dis-

de riioftie divine, les symboli(iues cérémonies perse les fidèles, insulte les autels, pille les
du sacrement de la régénération, les grands vases sacrés, jette partout la consternation et
souvenirs rappelés par cette auguste nuit con- l'épouvante. C'étaient le désordre et l'horreur
solaient les âmes attristées de l'absence du pas- d'une ville prise d'assaut; la nuit enveloppa
teur. Mais les chefs de la cabale craignirent que dans ses ombres des saturnales sanglantes
l'empereur, qui devait se rendre à l'église, la d'impiété '.

trouvant déserte, ne vit dans cette solitude Le jour dé Pâques se leva triste et morne sur
inattendue une |irotestatioa du peuple contre en deuil. Tous les temples du Christ
la ville

les actes qui frappaient son évèque, un témoi- étaient fermés; Sainte-Sophie seule fut ouverte

gnage non équivoque de sa vive affection pour et resta vide. Les fidèles, irrités plutôt qu'abat-

celui qu'ils avaient représenté connue haï par tus, furentconvoqués et se réunirent pour cé-
la ville entière. Ils s'adressent donc au martre lébrer la grande fête dans les champs, au
des offices, et lui demandent des troupes pour Pempton, vaste polygone que Constantin avait
disperserune réunion séditieuse. Celui-ci ayant fait terrasser et comme un
clore de palissades,
observé que l'emploi de la force au milieu des cirque, pour lesmanœuvres de la cavalerie.
ténèbres et dans une foule compacte ne pou- Des évêques, des citoyens du premier rang,
vait aboutir qu'à d'à Cfreu.\ désordres, Acace in- des femmes de haute naissance se mêlaient au
sista. L'empereur, dit-il, doit venir à l'église, peuple. A part les blessés, les malades et les
et s'il la en sera blessé; épar-
trouve vide, il salariés de la cour, toute la cité catholique

gnons-lui cette douleur. Anthémius céda à re- était là. Le concours, l'émotion de la nuit, les

gret, et donna quatre cents scutaires de la enseignements du jour, le sentiment de la si-


garde,commandés par un officier païen nommé tuation présent à tous les cœurs, donnaient à
Lucius, mais avec l'ordre formel de s'abstenir cetteréunion une solennité touchante. L'idée
de toute violence. Lucius se présente au peuple du martyre planait visiblement sur cette scène.
thermes pour se
et veut le décider à quitter les Autour d'un autel improvisé, trois mille néo-
rendre à Sainte-Sophie; il n'est pas écouté, et phytes, vêtus de blanc, célébraient leur nais-
revient rendre compte à Acace delà multitude sance spirituelle avec cette joie douce et triste
etde la résistance qu'il a trouvées. On fit briller des confesseurs de la foi, dans les cirques ou

l'or et les promesses, et guidé, encouragé par dans les prisons, vis-à-vis d'un trépas glorieux.
quelques clercs vendus à la ligue, le chef des Un beau soleil d'avril faisait resplendir leurs

scutaires se porte de nouveau sur la pieuse as- robes sans tache : c'était le soleil du Thabor
semblée, résolu cette fois à employer la force dans une brume de sang.
si l'on ne cède à la persuasion. En ce moment l'empereur passait à cheval à
On était à la seconde veille de la nuit. Les la tête de son escorte. La masse, la blancheur
catéchumènes, rangés autour de la piscine à ayant attiré de loin son regard Ce sont les : —
côté des diacres et desdiaconesses, attendaient hérétiques, s'écrièrent les courtisans, — c'est
le moment de la régénération, et, suivant l'u- ainsi que l'on désignait à la cour les vrais fi-

sage des temps, se déshabillaient pour des- dèles, — et aussitôt de courir sus à la multi-
cendre dans le bain sacré, quand tout à coup, tude recueillie et prosternée. Ce fut un spec-
les satellites de Lucius tombent, l'épée au tacle douloureux et sublime ; car, dans cette
poing, avec d'horribles vociférations, sur cette foule compacte, électrique, où la foudre pou-
multitude sans défense, frappent à tort et à tra- vait s'allumer soudainement au seul contact
vers, renversent, foulent aux pieds vieillards, des hommes entre eux, il n'y eut pas un cri,
prêtres, enfants. Le sang coule et rougit l'eau pas une menace : elle s'écoulait à pas lents,
baptismale ; le saint chrême est jeté à terre ; les calme et digne. Mais cette altitude si noble,
divins mystères sont profanés ;lesfemmess'cn- cette haute protestation du silence, qui devait
fuient demi-nues ; les vierges du Seigneur, les faire réfiéchir Arcadius, irrita celte âme faible
vêtements en lambeaux, échappent à peine à et vaine. On se jeta sur les femmes, on leur
l'insolence des soldats. Emportée par l'ivresse arracha les voiles, les manteaux, les bijoux, les
du désordre et de son lâche succès, la horde Pallad., dial. jClirys., t, 3, p. S18 ; Scz«Dl., 1. 8, c. 21,
m HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

oreilles mêmes avec les boucles d'oreilles; domestique du prêtre Elpidius, ennemi déclaré
quelques-unes durent prendre les vêlements de Sérapion et de son noble protecteur, fait ir-
de leurs esclaves pour fuir avec moins de ruption dans la demeure du pontife on lui de- :

péril. Le fils de Théodose contemplait d'un mande te qu'il veut, il répond par un coup de
air hébété ces scènes de sauvages. On saisit slylet. On on se jette sur lui; il perce
accourt,
en sa présence, on garrotta comme des mal- de son ou quatre de ceux qui
fer acéré trois
faiteurs des magislrals, des prêtres, des pon- l'approchent; l'un d'eux tombe mort à ses
tifes. Les prisons furent remplies de serviteurs pieds on ne parvient à le désarmer et à le lier
;

de Dieu jour où les empereurs chrétiens


le qu'à grand'peine. Il portait sur lui trois poi-
avaient l'habitude de les ouvrir mêmeauxcri- gnards et cinquante pièces d'or qu'il avait re-
n)inels. Les captifs chantaient l'alléluia etcélé- çues pour tuer l'évêque. Le préfet se contenta
braiunt les saints mystères dans les cachots. d'arracher ce misérable aux mains de la foule,
Chassés d'un lieu, les fidèles se réunissaient mit en liberté. De ce jour, le peuple fit la
et le

dans un autre, et les réunions entravées deve- gardeautourdela maison épiscopale. Cette con-
naient plus nombreuses. Un calme admirable stance, cet infatigable dévouement désespé-
répondait aux provocations de cour '. la raient lacour, qui pour les vaincre ne recula de-
Ce n'est pas qu'il n'y eût chez ce peuple ainsi vant aucune violence. Elle afficha des édits
outragé dans sa conscience et sa dignité un terribles, employa les amendes, la prison, les
ressentiment profondet redoutable qui pouvait tortures même. Des hommes considérables fu-
faire explosion d'un moment à l'autre. Même rent chassés de la ville. Le despotisme et la
dans ce temps d'affaissement et de lâcheté, dans haine s'en donnaient à cœur-joie Julien n'au- :

cette ville façonnée de longue main à la servi- rait pasmieux fait que l'austère Acace et ses
tude, ces scandales, ces orgies d'un pouvoir en dévots amis '.
démence, qui ne savait plus qu'insulter ce qu'il Dans cette grave situation, Jean se souvint
devait protéger, auraient reçu un châtiment de Paul, son prédécesseur de sainte mémoire,
immédiat et terrible, si Jean, lamain sur le et, comme lui, sous le coup d'une sentence ini-

cratère, n'eût contenu les bouillonnements que, en butte aux colères d'un gouvernement
de subjugué toutes les colères sous
la lave, insensé et d'ennemis sans honneur. Il tourna
l'autoritéde sa parole et de sa vertu. Du fond ses regards avec assurance vers cette grande
de sa demeure changée en prison, il ne cessait Eglise, la mère, la nourrice, la maîtresse des
de recommander la patience comme la preuve autres, l'école des Apôtres, la métropole de la
assurée du dévouement qu'on lui portait et jjiélé, avec laquelle il est nécessaire que toute
l'éclatante justification de son ministère et de église s'accorde, la chaire unique, source de
sa doctrine. Certes, il eut de la peine à faire l'unilé, racine et moule de l'Eglise catholique,
partager, à faire comprendre sa mansuétude à faîte de l'épiscopat, d'où part le rayon du gou-
celte multitude poussée à bout, qui recevait vernement et se répand le droit sacré de la
d'en-haut l'exemple de toutes les violences. communion, où sont les fondements de l'ortho
Mais son seul nom exerçait un empire absolu. doxie, où s'assied l'évêque des évêques, celui à
Maître de la situation, il pouvait déchaîner la qui le Seigneur adonné le suprême pouvoir
tempête, engloutir la cour : il ne songea qu'à de paître son troupeau et le soin de tous les
la sauver. Cinquante mille hommes, brûlant pasteurs, duquel on peut affirmer que là où est
de venger l'affront de leurs femmes et de leurs Pierre là est l'Eglise *.

enfants, de venger leur honneur, n'attendaient Quoi qu'on ait pu dire, alors comme aujour-
qu'un mot de sa bouche. Sa bouche com- d'hui, comme à l'aurore de l'Evangile, l'Eghse
manda la paix. romaine était bien, dans l'esprit des pontifes
Cependant il faillit plusieurs fois être asssas- autant que des peuples, le centre, le foyer, le
siné. Un le démoniaque s'in-
misérable jouant pôle du Catholicisme, la haute gardienne des
chambre un poignard à la
troduisit dans sa doctrines, l'oracle infaillible de la vérité, le tri-
main. Arrêté au moment de consommer le bunal supérieur auquel étaient déférées en der-
crime et livré aux magistrats, il fut relaxé sur nier ressort toutes les grandes causes du monde
la demande de Jean. Quelques jours après, le • Sozom., lib., c. 22 ; Socr., 1. dial., p. 34 et
6, c. 18 ; Pallad.,
55.
S5,
i. — Sozom.,
' >)Ozom I. 3, c. 8 ; 3 ; S. Cyprian.,
Ireo., adu. hœr., 1. 3, c.
Socr., 1. 6, c. 16, alias 18; Clirys., t. 3, p. 519. B. B.; Pall., ep.
,1. 52, ep.
ei,. 45, et de Unit. Eccl. p. 389; Opt. Miiev. de Sdlim.
45,
.. D. 34, ilntt 1. 9
âlal., p. .11. Ùon., 1. £.t/>
2, etc., etc.
CHAPITRE TRENTE-HUITIÈME. ag
chrétien, les cames ???ff/e?/;w, l'incomiplible concerne l'Eglise d'Alexandrie? Ignorez-vous
témoin île la foi, l'ininiorlelle personnification que c'est l'usage de recourir à nous d'abord,
de cette parole divine: Tu es Pierre et sur cette et puis de décider conformément à la justice' ?»

vierreje bâtirai mon Eglise. Et quand le con- Il agissait selon les prérogrrtives de son siège,

cile de Sardiqne, où se trouvaient près de trois dit Sozomène '; il se conformait au canon ec-

cents prélats orthodoxes, établit, dans ses célè- clésiastique, dit Théodoret ' le canon ecclé- ;

bres canons, pour les évèques condamnés le siastique, poursuit Socrate, ne permet de rien
droit d'appel au Saint-Siège, pour le Saint- décréter dans les Eglises sans le consentement
Siège le droit de réviser les procès des évè- de l'Eglise de Rome '. « En supposant, ajoute
ques de juger souverainement, il ne fait que
et Jules, qu'il y eût des soupçons contre l'évêque
préciser et formuler dans la législation écrite d'Alexandrie, il fallait commencer par en don-
la coutume antérieure de rinlervcnlion des ner avis à notre église. Et maintenant, ceux
papes dans les causes èpiscopales, le droit par qui ne nous ont laissé prendre aucune part à
eux toujours exercé et qui est le corollaire évi- ce qui a été fait, et qui ont agi d'après leur
dent de rèminente dignité de leur chaire, de seule et arbitraire volonté, ceux-là nous de-
la haute juridiction donnée par Jésus-Christ à mandent d'adopter leurs arrêts. Ce ne sont pas
saint Pierre et aux successeurs de saint Pierre là les ordonnances de Paul, ce n'est point la
sur tous les pasteurs et tous les fidèles de l'uni- tradition de nos pères c'est une nouvelle :

vers, d'où cette solennelle parole de Jules I" : forme de conduite Moi, je vous déclare ce
La loi qui régit la hiérarchie sacerdotale dé- que j'ai appris du bienheureux apôtre Pierre,
clare nul tout ce qui est fait sans le consente- ce que tout le monde connaît d.
ment de l'évêque de Rome '. Ainsi pensait Athanase, ainsi pensaient Paul
Ainsi pensait Cyprien, le grand martyr de de Conslantinople, Asclépas de Gaza, Marcel
Carthage, quand il écrivait au pape Etienne : d'Ancyre, Lucius d'Andrinople, et cette foule
Envoie à nos coévêques des Gaules des lettres de prélats de Tlirace, de Syrie, de Phénicie,
très-amples, pour qu'ils ne laissent plus insulter de Palestine, lesquels opprimés, dépossédés de
notre corps par l'orgueilleux et rebelle Marcieu, leurs sièges par les Ariens, venaientdemander
l'ennemi de la piété divine et du salut de nos à Rome, non pas asile et compassion, mais jus-
frères Ordonne à la province et au peuple tice et un arrêt souverain qui vengeât leur in-
d'Arles de le déposer et de mettre un autre nocence et les rendît à leurs Eglises '.

pasteur à sa place, afln que le troupeau du Saint Basile était animé de la même convic-
Christ, par lui ravagé et blessé, puisse être tion, lorsqu'il proposait à l'illustre docteur
guéri et sauvé '. d'\lexandrie, comme le plus sûr remède aux
Ainsi pensaient les fidèles et le clergé d'A- maux causés par le concile de Rimini, l'inter-
lexandrie et le pontife qui les gouvernait, vention de l'évêque de Rome. « Il m'a paru
quand ceux-là déféraient à Rome le livre de très à proposde lui écrire, disait-il, afin qu'il
leur évêque pour quelques expressions qui examine ce qui se passe, et qu'usant de son au-
étonnaient leur orthodoxie, et que celui-ci se torité, il envoie des hommes doués d'un esprit
hâtait d'adresser au chef vénéré de l'Eglise ro- conciliant, qui corrigent ceux qui sont détour-
maine l'explication de son langage et la jusli- nés du droit chemin, prennent toutes les me-
Dcalion de sa foi '. sures nécessaires et soient revêtus de pleins
Ainsi pensait le grand pape Jules quand il pouvoirs pour mettre à néant ce qui a été fait
ordonnait aux Eusébiens de se rendre à Rome, à Riinini ' ».
où d'autre part il appelait Alhanase pourse dé- Du reste, cette haute prérogative du ponti-
fendre et être jugé, et qu'il écrivait aux prélats ficat romain était déjà si éclatante dès les pre-
réunis à Antioche ces mémorables paroles « Si : miers siècles chrétiens, que les historiens du
celui que vous avez condamné eût été réelle- polythéisme eux-mêmes la proclament témoin :

ment couiiable, il fallait [irocéder à son juge- Ammien Marcellin quand il raconte ce que fit

ment selon la règle et non comme vous l'avez l'empereur Constance pour décider le pape Li-
fait dans votre conciliabule... Pourijuoi ne pas bère à condamner saint Athanase; car, dit-il,
nous consulter, surtout dans une cause qui

Ep. Jtil., np. Alhnn., npolog. 2, n. 35, t. 1, p. 153. — Sozom,,
'
'
Sozom., 1. 3, c. 9, alias
ilias 10. — '
S Cypr., ep. 67.
S. — '
Atban., I. 3, c. 7. — ' Théod., 1. 2, c. 4. —
' Socr., I,
2, c. S, — SoCf,,*

it ml. S. ùyon., u. 13,


). I.
t, 1, D. 232.
1. p. 252, 1. 2 ; Sozom., 1. 3. — Bu,, ep. 53, alias 69.
430 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

quoiqu'il vît sa haine satisfaite, il désirait ar- gardien de ses libertés et des droits de la cons-
demment faire confirmer la condamnation par cience humaine, le chef visible de l'empire des
l'autorité dont jouissent les pontifes de la ville âmes et du monde spirituel juge de ; il le fait
éternelle '. ses travaux, juge de la situation, et lui de- il

Ln pensée de Jean était celle de saint Atha- mande d'intervenir avec son autorité souve-
nase et de saint Basile, et lui aussi il avait pro- raine pour mettre un terme à l'oppression de
fessé la haute juridiction de l'Eglise romaine. l'Eglise et à tant de maux.
« Pourquoi, écrivait-il dans son livre du sacer- « A mon seigneur le vénérable et très-saint
doce, pourquoi Jésus-Christ a-t-il versé son évêque Innocent, Jean salut dans le Seigneur.
:

sang? Pour acheter ses brebis qu'il a confiées à «Je ne doute pas que votre piété n'ait appris,
Pierre et aux successeurs de Pierre'». Lors avant l'arrivée de ces lettres, ce que l'iniquité
donc qu'au milieu des épreuves qui l'accablent, a osé faire ici. L'audace de ses entreprises est
il s'adresse au pontife éminent qui occupe la telle, qu'il un coin du monde
n'y a pas peut-être
chaire de Rome, ce n'est pas seulement un cri qui n'en entendu parler et le bruit de ces
ait ;

de détresse qu'il fait entendre, c'est un appel tragiques événements porté partout a excité
qu'il relève d'un tribunal inférieur au tribunal partout la même douleur. Mais, comme il ne
suprême del'évèque desévêques; c'est lahaute suffit pas de gémir et qu'il faut porter remède

reconnaissance et la solennelle proclamation au mal, trouver un moyen d'apaiser cette grave


de cette primauté sous laquelle il se courbe tempête, nous avons cru nécessaire d'engager
avec un pieux respect^ dans laquelle il fait con- nos vénérables seigneurs et pieux évêques Dé-
sister la vigueur immortelle de l'Episcopat et métrius, Pansophius, Pappus et Eugène, à
la liberté de l'Eglise. Soldat illustre, placé à quitter leurs Eglises, à traverser les mers, à
l'avant-garde de l'armée sainte, dans cette faire un long voyage pour courir près de vous
grande et longue guerre du sacerdoce et de et vous instruire de tout, afin que vous ne lais-
l'empire, de la dignité de la conscience et des siez pas se prolonger plus longtemps un pareil
usurpations de la force, son mot de ralliement, état de choses. Nous leur avons adjoint les ho-
celui de tous les champions de la même cause, norés et chers diacres Cyriaque et Paul, et
c'est iîome; en tombant il le crie à ses ennemis, nous-même no«s allons raconter à votre cha-
en mourant il le lègue à ses successeurs, et du rité, en peu de mots, ce qui s'est passé ».
jour oîi ceux-ci l'ont oublié, la pauvre Eglise Et, en effet, il raconte sommairement les faits
de Constantinople, si petite et si flère sous Gré- déjà connus du lecteur, les intrigues de Théo-
goire de Nazianze, si grande et si belle sous phile, le brigandage du Chêne, son exil, son
Jean Bouche d'or, n'a plus été qu'un chef d'eu- retour, ses vaines instances pour obtenir la con-
nuques à la cour dégradée du Bas-Empire ou vocation d'un concile et un jugement, les nou-
une esclave vénale et méprisée au seuil d'un velles trames ourdies par ses adversaires, leurs
sérail. Lui, il a lutté pour
de toute elle, lutté perfidies, les violences horribles qui viennent
l'intrépiditéde son âme, de toute la force de de profaner et d'ensanglanter le baptistère et
son talent et de sa vertu, pour maintenir l'in- l'autel, son enlèvement de l'église, sa captivité,

dépendance du principe religieux et moral en mauvais traitements infligés


les affronts, les
présence du pouvoir temporel, avide et jaloux, aux prélats, aux prêtres dévoués à sa cause,
toujours disposé à envahir et à opprimer; et l'oppression qui pèse sur tous les fidèles de
quand celui-ci, à l'aide des honteuses compli- Constantinople, et il continue ainsi :

cités qu'il a achetées ou que de viles passions a Ce qu'il y a de plus triste, c'est que tout
lui ont ménagées dans le sanctuaire, est venu cela n'est pas fini et ne finira pas encore. Le
à bout de le désarmer de sa parole, de le pré- mal s'accroît tous les jours. Nous sommes de-
cipiter de sa tribune, de l'arracher à l'autel,
de venus un objet de risée pour beaucoup, ou plu-
le tenir captif et muet dans sa demeure, en tôt un objet de pitié car, en présence d'une
;

attendant de l'envoyer languir et mourir dans méchanceté si inouïe, personne n'a envie de
un lointain exil, il s'adresse naturellement, rire, et les plus pervers eux-mêmes nous plai-
sous l'inspiration de sa foi, à celui qu'il regarde gnent. Qui pourrait dire le trouble jeté dans la
comme la plus parfaite personnification du Sa- plupart des Eglises? Le désordre ne s'est pas
cerdoce et de l'Eglise, l'auguste et infaillible arrêté à la métropole; il a gagné tout l'Orient.
,' Amm., 1. 15, c, 17. - ' De Sacerd., 1. 2, c. 1, Le venin delà maladie s'est communiqué de la
CHAPITRE TRENTE-HUITIÈME. 431

lôtc aux cxtrômilés. Partout les clercs s'in- les évêques nos frères comment tout s'est passé,
surgent contre les évèque? les évèiiues se sé-
;
veuillez, nous vous en prions, nous porter
parent les uns des autres; la division se met l'aide qu'ils viennent implorer, et ainsi vous

dans le peuple et ga^Mie de plus en plus c'est : rendrez service non-seulement à nous, mais à
le bouleversement du monde, une elTrayante l'universalité des Eglises, et vous mériterez la
menace de maux encore plus grands. Donc, récompense de Dieu, qui fait tout pour la paix
vénérables et pieux seigneurs, une fois que de son peuple. Porte-toi bien toujours et prie
vous serez instruits de tout, déployez le zèle et pour moi, seigneur révérendissime et très-

la force nécessaires pour réprimer l'iniquité. saint '


».
Car, si la coutume vient à s'établir iiuc chaque Les quatre évoques et les deux diacres char-
prélat peut s'immiscer dans d'autres diocèses gés de porter à Rome cette lettre avaient la
que le sien, même à de grandes distances, et mission d'en présenter deux autres avec celle-
chasser de sa propre autorité, tel de ses con- là l'une des quarante prélats dévoués à Jean,
;

frères qu'il voudra, sans donner à sa puissance l'autre du clergé de Constantinople, ou du


d'autres bornes que son bon plaisir, tout pé- moins de la partie saine de ce clergé. Mais
rira une guerre sourde désolera l'univers, et
; Théophile avait pris les devants : lui aussi, il

l'on ne verra partout que des évêques occupés sentait le besoin d'exposer sa conduite au chef
à chasser leurs frères ou chassés par eux. C'est de l'épiscopat, et de se couvrir, s'il l'avait pu,
pourquoi, afin qu'une telle anarchie ne gagne de cette grande autorité. Un lecteur d'Alexan-
pas tous les peuples, écris, je t'en conjure, que drie avait remis de sa part au souverain pon-
tout ce qui a été fait ici avec tant d'injustice tife une lettre étrange, où il se vantait d'avoir
par une partie en l'absence de l'autre, quand déposé Jean, sans dire ni comment ni pour-
nous ne déclinions pas d'être jugé, est nul et, ; quoi. Innocent trouva cette façon de procéder
en effet, en soi ce ne peut être que nul. Que plus qu'inconvenante et ne répondit pas.
ceux qui ont trempé dans cette iniquité su- D'ailleurs, cette triste affaire commençait à s'é-
bissent les peines décernées par les lois de bruiter dans la capitale du monde chrétien, et
l'Eglise. Quant à nous, qui ne sommes ni con- y une impression d'étonnement
produisait
vaincu, ni condamné, ni coupable, donnez- douloureux. Un diacre de l'Eglise de Constan-
nous de jouir de vos lettres et de votre charité, tinople, alors à Rome pour
y traiter d'intérêts
et de conserver avec vous, comme avec tous les ecclésiastiques, se présenta au chef de l'Eglise
autres, les mêmes relations qu'autrefois. Si nos avec une requête où il le priait de ne rien pré-
adversaires, a(irèstoutceqn'il3 ont fait, veulent cipiter, convaincu que sous peu de jours des

nous imputer encore des crimes par eux forgés renseignements précis le mettraient à même
nous ont injustement chassé,
et pour lescjuels ils de percer à fond cette criminelle intrigue. En
sans nous donner acte de l'accusation, sans effet, trois jours après, Pansophiuset sescom-
nousfaireconnaîlrelesaccusateurs, qu'on noUs [sagnons arrivèrent et remirent leurs lettres,
assigne des juges intègres, nous comparaî- ajoutantde vive voixlesdétails qui manquaient.
trons, nous plaiderons nous-même notre cause Innocent, qui gouvernait l'univers catholi-
et nous nous montrerons innocent, comme que depuis la mortd'Anastase, c'est-à-dire de-
nous le sommes en effet, de tout ce qu'ils nous puis deux ans, avait reçu du Ciel une âme égale
imputent. De leur part, au contraire, il n'y a à sa mission. Esprit élevé, cœur intrépide,
eu (jue violation de toutes les lois, mépris de trempé pour les épreuves les plus fortes et les
toute hiérarchie: Que dis-je ? Il n'y a pas de tri- plus rudes combats, homme éminent par le
bunal païen, de tribunal barbare où l'on se savoir, par la sainteté, par l'énergie, doué
permît de telles énormités. Chez les Scythes d'une volonté souveraine comme son pouvoir,
mêmes, chez les Sarmates, on n'a jamais vu d'un regard aussi vaste que son empire, d'ime
un homme condamné sans être entendu, en main à porter sans fléchir le poids du monde
son absence, quand il récuse, non pas ses spirituel, défenseur vigilant de la dignité du
Juges, mais ses ennemis déclarés, quand il de- sacerdoce, de l'indépendance et de l'unité de
mande justice à grands cris, et qu'il est prêta rEgli?e, unissant une charité tendre, une pru-
repousser les accusations et à démontrer son dence consommée à la fermeté la plus invin-
innocence à la face de l'univers. Donc, lors(|ue cible, le génie de Jules à l'âme d'Anastase, il
vous aurez apjiris de mes très-pieux seigneurs • Cliryi., t. 3, p. 515 et «uiv.
432 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

était digne de personnifier le Catholicisme, pables intrigues, au-delà de cette violation ré-
dont le drapeau, vainqueur des hérésies, reçut voltante de la justice et des lois, quelque chose
de son enseignement et de ses vertus, même qui l'affligeait plus encore, de misérables pas-
dans la chute de Rome, même dans le triom- sions, de hideuses jalousies appeler l'interven-
phe des Barbares, une gloire nouvelle et une tion des princes dans le sanctuaire, encourager
autorité plus grande. Victrice de Rouen, Exu- leurs empiétements et leur audace, livrer à
père de Toulouse, DécentiusdeGabio, Alexan- leur hypocrite ambition l'Eglise et le sacerdoce.
dre d'Antioche, les évèques de Macédoine, Avec haute prudence de son Siège et de son
la

d'Afrique, une foule d'autres le consultaient caractère, il essaya d'abord de jeter sur cette

sur la foi, sur la discipline, réclamaient son flamme menaçante quelques mots de concilia-
assistance dans les besoins de leurs troupeaux tion et d'apaisement, et écrivit aux deux partis
et les embarras de leur ministère, lui expo- des lettres de communion, où, tout en blâmant
saient leurs doutes, leur conduite, s'adressaient la conduite de Théophile, il indiquait comme
à lui comme au père commun des fidèles et le vrai remède de la situation un grand con-
des pontifes, au pasteur universel à qui in- cile, composé d'Orientaux et d'Occidentaux,

combe la sollicitude de toutes les Eglises, et il lequel, dans une pleine indépendance d'affec-
répondait à tous avec une sagesse admirée de tion et de haine, prononcerait entre les deux
tous; il écrivait à Augustin, à Jérôme, à Jean adversaires et terminerait par une décision ir-
de Jérusalem, à Thessalonique, à Constantino- récusable ce trop funeste différend '.

ple, à Alexandrie, aux conciles de Tolède, de Cependant le charitable pontife répugnait


Carthage, de Milève, et, ratifiant au nom du encore à admettre comme vrais lestorts imputés
Siège apostolique les décisions de ceux-ci, il à Théophile; mais deux envoyés de celui-ci, un
ajoutait « Nous n'avons d'autre but que de
: prêtre d'Alexandrie et un diacre de Constanti-
suivre les traces de l'Apôtre de qui dérive l'é- uople, étant arrivés peu après avec des lettres
piscopat même et toute l'autorité de ce nom... de sa part et une espèce de procès-verbal des
A son exemple, nous savons à la fois et con- séances du Chêne, Innocent se convainquit, par
damner le mal et approuver le bien... Vous ne la lecturemême de ces pièces, que tout dans
pouviez rien faire de mieux ni de plus digne cettemalheureuse assemblée avait été fait con-
de votre zèle pastoral que de consulter, dans trairement à la justice et aux saints canons ;

des choses si difficiles, les oracles de la chaire que, sur trente-six prélats qui siégeaient à Chal-
apostolique, qui, par-dessus ses affaires parti- cédoine, vingt-neuf appartenaient à la province
culières, étend ses soins à toutes les Eglises.Ea d'Egypte que Jean avait été déposé sans être
;

cela vous avez suivi la pratique ancienne que convaincu, sans être entendu, sur des calom-
toute la terre a toujours observée, comme vous nies infâmes ou ridicules. Assuré, dès lors, que
le savez aussi bien que moi,... et ce qui fut dé- les plaintes contre le patriarche d'Alexandrie
crété par nos pères, par une résolution non n'étaient que trop fondées, il blâma haute-
pas humaine mais divine, savoir que rien de : ment sa conduite, et lui écrivit en ces termes :
ce qu'on traite dans les provinces n'est fini « Mon frère Théophile, nous vous tenons dans
avant d'être porté à la connaissance de ce Siège, notre communion, toi et notre frère Jean,ainsi
afin que son autorité plénière confirme ce qui que nos précédentes lettres te l'avaient déclaré.
aurait été justement prononcé, et que de là, Rien n'est changé sous ce rapport dans nos ré-
comme de leur source primitive et incorrup- solutions. Aussi nous t'écrivons encore et nous
tible,découlent dans toutes les régions de l'u- t'écrirons toujours la même -chose toutes les
nivers les eaux pures de la vérité • ». fois que tu t'adresseras à nous, savoir qu'à :

Un tel homme, à coup sûr, ne pouvait être moins d'unjugement équitable qui intervienne
indifférent aux souffrances de ses collègues, en ceci, nous regardons comme dérisoire ce qui
aux outrages infligés à l'épiscopat dans un de a été fait contre Jean, et nous ne consentirons
ses plus illustres pontifes. Le cri de Jean, le pas à nous séparer sans motif de sa commu-
cri d'une grande Eglise opprimée, implorant nion. Si donc tu as confiance à la justice de ta
l'Eglise romaine, retentirent profondément cause, présente-toi au concile qui se tiendra,
dans son cœur. L'orgueil de Théophile le ré- Jésus-Christ aidant, et là tu feras valoir tes
volta. Il voyait, d'ailleurs, au-delà de ces cou- griefs sous le témoignage des canons de Nicée,
* Innoc, ep, 28 et 29. • Pall., dial., p. 9} Sozom., 1. 8, c, 26.
CHAPITRE TRENTE-HUITIÈME. 433

car l'Eglise romaine n'en admet pas d'antres. suffisamment protesté contre ces infamies et
C'était repousser péreinptoireinentlcscanons ces sacrilèges. Il déclara de nouveau qu'il ne
d'Anlioche, odieusement invoqnéscontreCliry- cédait qu'à la force, aj'ai demandé à êtrejugé,
sostome, et ruiner d'un seul mot tout l'éclia- dit-il on me refuse ce qu'on ne refuse pas aux
;

faudage d'artifices et de mensonges bùti par voleurs, aux adultères, aux homicides. Toutes
Théophile et consorts. « Le Pape remit cette les lois sont méconnues à mon égard et sacri-

réponse aux deux envoyés d'Alexandrie après ;


fiées à la violence, d Puis setournant vers les
quoi, il commença des prières et des jeûnes évêques qui l'entouraient, il leur dit a Venez, :

pour obtenir de Dieu qu'il daignât rétablir la prions, etdisonsadicu àl'angedecette église»;

paix et la charité fraternelles dans son Eglise. et il descendait avec eux de son appartement
Hais encore partie que la
la lettre n'était pas dans le lieu saint, lorsqu'un homme considé-
cabale triom()hante avait consommé l'œuvre rable et dévoué à sa cause vint l'avertir que des
impie. Revenons à Constantinople et reprenons soldats embusqués dans le voisinage, sous les
le récit de Pallade. ordres de l'insolent et brutal Lucius, épiaient
Depuis les scènes sanglantes de la nuit et le moment de se jeter sur lui pour l'enlever de
du jour de Pâques, la situation n'avait fait vive force ; mais que le peuple, soupçonnant
qu'empirer. La police impériale ne laissait qu'une col-
l'intention, s'agitait et grondait, et
aux amis de Jean ni liberté ni repos. Pour- lision terrible était imminente. Cette circon-
suivis, traqués, sous le nom de Joanniles, stance le confirma dans sa résolution de brus-
comme des gens sans aveu et de vils malfai- quer son départ et de le cacher. Il embrassa
teurs, ils ne pouvaient se réunir pour les exer- l'un après l'autre les évêques qui l'entouraient,
cices du culte sans s'exposer à l'amende, à la mais l'émotion et les larmes l'empêchant de
prison à toute sorte d'avanies. Leur patience, si
, continuer, il lui fallut se dérober à leurs
grande qu'elle fût, avait atteint sa dernière li- adieux, a Demeurez ici, dit-il, je vais me re-
mite. L'évèque sentait la tempête monter et le poser un instant.» Cependant il entra dans le
déborder. Mais ni les ordres de l'empereur, ni baptistère, où il appela Olympiade, qui ne
les violences de la faction, ni la crainte de l'as- quittait pas l'église, ainsi que les diaconesses
sassinat n'avaient pu le décider à quitter un Pentadie, Procula et Sylvine. « Venez, mes
peuple qui l'aimait à ce point et souffrait tant filles, s'écria-t-il, etécoutez. Tout est fini pour
pour lui. Se flallait-il d'un retour de justice moi, à ce qu'il paraît. J'ai achevé ma course,
dans l'âme du prince ? Ce qu'il n'espéraitguère, et peut-être ne verrez-vous plus mon visage.
ses ennemis le craignaient, et ils étaient pressés Je ne vous demande qu'une grâce c'est qu'au- :

d'en finir. Ils tremblaient que levaincu de la cune de vous ne se relâche de son affection
Teille ne devint une autre fois le vainqueur du pour l'Eglise. Si quelqu'un, sans en avoir
lendemain. Cette voix de la Bouche (/'or, quoi- brigué l'honneur, est chargé malgré lui de
quesilencieusedepuisdeuxmois,vibraitencore l'épiscopat du consentement de tous, courbez
à leurs oreilles, et il leur semblait que d'un in- la tète, et obéissez comme à Jean lui-même, car
stant à l'autre elle allait tonner et les foudroyer. l'Eglisene peut rester sans évêque. Et comme
Donc, quelques jours après les fêtes de la Pen- vous voulez que Dieu vous fasse miséricorde,
tecôte, qui celte année (404) tombait le o juin, souvenez-vous de moi dans vos prières».
Acace, Séverien, Antiochus et Cyrinus se pré- A ces mots, les saintes femmes tombent à ses
sentèrent au faible fils de Théodose et lui di- pieds et fondent en larmes mais il fit signe à ;

rent « C'est Dieu qui t'a fait empereur. Ton


: un prêtre de les relever et de les emmener hors
pouvoir souverain ne relève de personne et du baptistère, leurs cris pouvant être entendus
doit être obéi île tous. Tu peux tout ce que et donner l'éveil au peuple. Alors il sortit de
tu veux. Prétends-tu surpasser les prêtres l'églisepar la porte orientale, tandis qu'à l'oc-
en mansui tude et les évêques en sainteté? cident, sous le grand portail, on tenait par son
Nous te l'avons déjà dit nous prenons sur : ordre son cheval sellé et bridé, pour donner le
notre tète la déposition de Jean. Fais en sorte change à la foule et l'attirer de ce côté. Et, ea
que ta pitié pour un seul ne soit pas la perte effet, personne dans le premier moment ne se

de tous * >. douta deson départ. Lui, en compagnie de deux


L'attitude du pontife jusqu'à ce jour avait évêques, se livra aux sbires de la cour, et par
• PiUtd., du) , p. 35. des rues solitaires et détournées gagna le port
S. J. '-.a. — To-.ii; I. S8
434 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

à la bâte. Une petite bnrqiie l'attendait, prête à ses gardes etchanger une proscription en triom-
partir, et l'enleva aussitôt. L'ange de Constan- phe ? Faut-il en accuser le païen Lucius et ses
tiiiople partit avec lui '. satellites goths, la plupart ariens, dans l'infer-
A peine quittait-il le rivage, que le peuple nale pensée de faire de l'église un bûcher et de
attroupé devant Sainte-Sophie, se doutantqu'on détruire d'un seul coup les adorateurs du Christ
le trompait, se précipita vers la Corne durée : et son temple? On n'ose s'arrêter à une si hor-
c'était trop tard. Le frêle esquif qui emportait rible supposition, néanmoins trop vraisembla-
à jamais l'illustre proscrit, fuyait sous le vent ble.Quoi qu'il en soit, quand cette masse de
à toute vitesse, et c'est à peine si les dernières gens se vit enfermée sans issue dans l'enceinte
acclamations de la foule arrivèrent à travers sacrée qu'elle remplissait, il y eut un moment
les flots jusqu'à l'oreille de Jean. Assis entre les de panique et de désordre inexprimables. Cha-
deux prélats qui se dévouaient à son exil, il cun court aux portes, on se pousse, on s'é-
gardait le silence, les yeux fixés sur cette image crase. Une épaisse fumée sortant du sanctuaire
déjà lointaine d'une ville aimée, à laquelle il et de la chaire pontificale aggrave la terreur
adressait du fond de son cœur un éternel adieu par l'imminence d'une mort affreuse. Des gé-
et sls plus ferventes bénédictions. Le sombre missements, des cris lamentables se font enten-
avenir de de Constantin se dressa-t-il
la cité dre. Enfin, les portes assaillies par mille bras
devant son regard consterné ? Eut-il en ce mo- à la fois tombent brisées sous le poids de la
ment comme une soudaine et lugubre révéla- multitude qui s'écoule. Mais déjà l'incendie
tion des siècles d'abaissement et de servitude gagnait les lambris et la toiture de l'édifice, et

que lui empe-


préparaient ses pontifes et ses l'enveloppait tout entier. Tout s'abîma dans le
reurs' Du moins, s'il vit du milieu du Bos- feu, tout périt en quelques heures, hors une
-pliore cette énorme colonne de flamme et de petite sacristie conservée miraculeusement, dit
fumée qui montait dans les airs à une grande Pallade, pour confondre d'infàmescalomuies '.
hauteur et couvrait le ciel sur une vaste sur- De là, soulevée par le vent de la Propontide,
face comme
d'un nuage livide et sinistre, de la flamme s'élança au-dessus de la place et,
quel pressentiment cruel son âme dut être op- sans toucher à rien d'intermédiaire, vint s'a-
pressée ! battre et commes'arc-bouter sur le dôme même
En effet, un incendie terrible -venait d'éclater du palais du sénat attenant à celui de l'empe-
dans la grande église et avec une affreuse rapi- reur. Ce beau monument, couvert de plomb,
dité dévorait ce vaste édifice et le du
palais magnifiquement décoré, entouré de colonnes
sénat. Voici ce qui s'était passé. L'immense d'un grand prix, tout plein de statues et de
attroupement qui stationnait sur la place de chefs-d'œuvre antiques, brûla trois heures du-
Sainte-Sophie pour s'opposer à tout prix au rant, sans qu'on pût sauver le moindre débris.
départ de l'évêque, après quelques moments Les fidèles regardèrciitcetévénement comme
d'attente et de menace, vit tout d'un coup les une vengeance céleste plusieurs parmi eux ;

portesdu temple s'ouvrir, ettandisque les uns soupçonnèrent leurs ennemis d'avoir voulu
plus aviséscouraient au port, les autres se pré- détruire dans un accès de haine sauvage la
cipitaient en masse dans le saint lieu, soit qu'ils chaire du pontife, son éghse et son peuple.
crussent que Jean y était encore, soit pour y Les schismatiques, au contraire, les ariens, les
chercher les dernières traces du pasteur bien- idolâtres, tous les dissidents accusèrent les
aimé et comme un dernier écho de sa voix. amis du proscrit. Le parti qui tenait le pouvoir
Mais les portes traîtreusement ouvertes se fer- et que personnifiait l'impératrice, trouva dans
mèrent aussitôt sur cette foule sans défiance. ce fatal incendie le prétexte d'une nouvelle et
Qui donna l'ordre de les former ? Sont-ce les plus horrible persécution con\,ve\e%Joannites.
chefs de la cabale, dans la crainte que le flot On tomba sur eux. De nobles et saintes femmes,
populaire se jetant tout entier du côté du port des évêques furent arrêtés et mis aux fers.
n'y arrivât assez tôt pour arracher le captif à L'accusation osa monter j usqu'à Jean lui-même.
•Fleury dit que la mère de Jean vivait encore, qu'elle était dia- Acace et consorts ne rougirent pas de trans-
conesse de Sainte-Sophie (t. 5, p. 211) et que dans sa douleur elle mettre au Souverain Pontife ces infâmes soup-
trouva de nobles paroles dignes d'une telle mère et d'un tel fils. Il
ae fonde sur une lettre qu'il attribue à Chrysoslome. C'est une er- çons, qui n'avaient pu venir qu'à de tels cœurs
teur celte lettre est non de l'évêque Jean, mais du prêtre t^onstan-
:
ou se formuler que sur des lèvres aussi men-
à sa propre mère. Hermant a induit Fleury en erreur. La mère
tiiifl

de notre Saint n'était plui de ce monde à goa départ d'AQtioche. •


Sozom , I. 8, c. 52 ; Pall., p. a-? ; voir aux Pièces jualifieativei.
CHAPITRE TRENTE-NEUVIEME. m
Icuses. Oa courut en toute hâte à la pour- suspect comparaissait devant le iiréfet de la
suitedu banni, on resserra sa eaplivité. Gardé ville, {|ui l'obligeait à dire anathcmcà Jean, à
à vue comme un malfaiteur, il se vit me- conspuer son nom, faute de quoi on l'accablait
nacé du dernier suiiplice. La mort l'inquié- d'insultes, d'amendes, de coups, on le chargeait
peu
tait mais la pensée qu'un crime atroce
;
de cliaînes, on le jetait en prison pêle-mêle
imputé à un prêtre du Clirist remplit son
était avec les voleurs et les assassins. Les prisons Jie

âme d'indignation et d'horreur. «Refusez-moi suffisaient plus aux victimes.


justice sur tout le reste, écrivait-il, je me ré- Jean,prisonnierlui-même,nesongeailqu'aux
signe; mais, sur ce chef du moins, qu'il me douleurs de ses amis, martyrs de leur dévoue-
soit permis de me défendre et de mettre à ment. Il leur écrivit, pour les consoler, cette
néant la calomnie, et (jue le monde sache enfin belle lettre où palpite l'enthousiasme de l'amour
si le pasteur d'un grand peuple n'est qu'un divin dans ces lignes brûlantes qui semblent
vil incendiaire ' ». Cette protestation fut non couler de la plume de Paul : aVous habitez un
avenue. Au lieu de l'écouter, on lui arracha cachot, vous êtes chargés de fers en compagnie
les deux prélats qui l'avaient suivi, Eulysius et des plus vils, des plus sales des hommes. Ne
Cyriaque on ; les conduisit enchaînés à Chalcé- vousen plaignez pas. Que pouvait-il vousarriver
doine, on les mit au secret, et ils n'en sortirent de plus heureux? Une couronne d'or autour du
que longtemps après, sans qu'on eût découvert, front vaut-elle une chaîne de fer autour des
on le pense bien, le moindre indice accusateur. mains pour l'amour de Dieu ? Les splendeurs
Les amis deChrysostome que la fuite ne déro- d'un magnifique palais sont-elles comparables
bait pas aux persécuteurs, devinrent l'objet des à ces ténèbres, à cette infection, à ces souf-
traitements les plus barbares. La cour, aussi frances acceptées pour la cause de Dieu ? Donc
cruelle que lâche, en fit mettre plusieurs à la réjouissez-vous, livrez vous à de saints trans-
question quelques-uns périrent dans les tor-
;
ports, car vos misères d'à présent vous présa-
tures on n'arracha d'aucun l'aveu désiré. La
: gent un bonheur immense pour l'avenir. C'est
persécution prit un telcaractèred'acharnement, la semence qui promet la moisson, la lutte qui
elle s'exerça sur une telle échelle, que Tliéo- prépare navigation qui assure les
la victoire, la
doret et Socrate lui-même, peu sympathique à gros bénéfices. C'est pourquoi, pieux et véné-
notre Saint, refusent d'en retracer les horreurs rables seigneurs, pensez à cela et ne laissez
par pudeur pour l'épiscopat, dont quelques passer aucun jour sans louer Dieu, sans porter
misérables compromettaient la dignitédans ces au démon quelque nouveau coup, sans aug-
saturnales impies et sanglantes. Etre Joannite menter par des sacrifices nouveaux la récom-
fut le crime des crimes, et quiconque en était pense qui vous attend au ciel '... »
• PiUad., dial., p. 37. ' Chrys., «p. 118,

CHAPITRE TRENTE-NEUVIÈME.

Arsjce. — Arrestations et supplices. — Eiitrope et Tigrias. — Olympiade devant le préfet. — Penfadie. — Nicarète, --
Proctila, etc.
Procédure de rincendic abandonnée. — L'agitation de Conslanliuople gagne tout — Porphyre d'Anliocùe. — Mort
l'Orient.
d'Ëadoxie. — Lettre de saint Nil à renipereur.

La cabale triomphait; mais, craignant tou- jours tout au plus après le départ de Jean,'
jours qu'une tardive résipiscence d'Arcadius Eudoxie fit consacrer et installer sur la chaire
vînt lui ravir le fruit de tant d'iniquités, elle éi'iscopale, quine vaquait pas, l'archiprétro
schàlade donner un évêijue à Conslanlinople. Arsace, frère de l'ancien patriarche Nectaire.
On mit les règles de côté, et, sans se préoccuper Vieillard plus qu'octogénaire, l'âge avait tout
des canons de Sardiipie et de l'appn] inferjfté, énervé chez lui, excepté l'ambilion; car, pour
sans életion préalable, dès le 20 juin, cinq atteindre à cette dignité patriarcale, le rév«
436 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

et la convoitise de sa vie entière, il ne re- une sentence inique et violemment arraché de

cula ni devant le crime de l'intrusion, ni son siège, avait fait appel à l'Eglise romaine,
devant la prostitution de sa conscience , ni avant le jugement de laquelle il était défendu
devant ses serments violés sans hésitation. de pourvoir au remplacement d'un évêque,
Appelé, en effet, du vivant de son frère à l'évè- même justement condamné dans le concile de
clié de Tarse, la patrie de leur famille, il l'avait sa province. On était encouragé dans l'opposi-
refusé, non par modestie mais par calcul, pour tion, non-seulement par les lettres de Jean où
être plus à portée de succéder à Nectaire, dont iltraite Arsace de ravisseur et d'adultère*,

il attendait la mort avec impatience. Celui-ci non-seulement par celles du pape Innocent
perça l'intention, blâma l'ambitieux, et lui fit déclarant avec une autorité souveraine que
Jurer qu'il renonçait pour toujours à l'épis- personne n'a le pouvoir d'ordonner un nouvel
copat '. Néanmoins l'élection de Clirysostome évêque à la place d'un évêque vivant, mais en-
fut un chagrin pour Arsace. Il y vit l'anéantis- core par l'exemple des prélats de la Carie, de
sement de ses espérances, et ne pardonna la Palestine, de la Phénicie, d'une partie de la
jamais au grand orateur d'occuper un poste Lycie, de laThrace et de l'Asie, celui de Thes-
auquel il avait songé pour lui-même. Aussi salonique, d'une foule d'autres en Orientet de
commença-t-il de bonne heure à saper son tous ceux de l'Occident sans exception ces der- ;

autorité, à lui créer des embarras et des résis- niers ne voulurent jamais de la communion
tances, à se mêler activement à toutes les intri- d'Arsace*. Vainement le parti se mit en quête
gues ourdies contre lui. Antiochuset Séverien décomposer à l'intrus un troupeau d'adeptes;
l'adoptèrent comme un allié fort utile, Eudoxie il resta seul dans le temple avec les prêtres de

et la cour comme un instrument précieux. Il la faction et les valets de la cour. Personne, dit
parut au conciliabule du Chêne, et non-seule- Pallade ', ne venait écouter son silence.
ment il porta faux témoignage contre son évo- Les Joannites célébrai ent leurs synaxes tantôt
que, mais il osa presser sa condamnation Sa mé- . dans une maison, tantôt dans une autre, quel-
diocrité arrogante avait donc un titre puissant quefois dans les champs, dans les bois. Tous
aux faveurs de l'impératrice. Le trône pontifical les lieux leur semblaient bons pour prier en
fui la rémunération de seshauls services; etd'ail- commun le Dieu de leur cœur, excepté les tem-
leurs, son parjure connu le mettait aux pieds ples que souillait l'intrusion. L'orgueil du vieux
de l'altière princesse, heureuse d'avoir devant Arsace n'y implora l'aide de la
tint plus : il

elle, non plus un prélat redouté, mais un es- cour, et le pouvoir séculier fit avec bonheur
clave complaisant et muet de tous ses caprices. une nouvelle irruption dans le sanctuaire. Une
Sous dehors d'une politesse exquise et d'une
les cohorte marcha, officiers en tête, sabre en
piété mielleuse, Arsace cachait une âme hau- main, contre une paisible réunion de femmes
taine, rongée d'envie, pleine de fiel, capable pieuses et d'hommes sans armes, occupés à
de se porter aux plus grandes violences. Esprit chanter des hymnes sous la présidence d'un
borné, sans culture, ne sachant pas dire deux prêtre. Les enfants furent foulés aux pieds, les
mots en public, n'ayant d'autre talent que hommes chassés à coup de bâton, les femmes
celui de l'intrigue et du mensonge, frivole insultées et dépouillées de leurs mantaux, de
malgré son grand âge, vieillard sans tenue et leurs voiles, de leurs riches ceintures, de leurs
sans consistance, type ridicule de la fatuité en braceletsd'or*. De nouveaux prisonniers furent
cheveux blancs, prenant l'entêtement et la entassés dans les prisons déjà pleines, oii plu-
colère pour la fermeté, d'une réputation dou- sieurs trouvèrent dans un air méphitique une
teuse, il devait à l'indulgence, dont il couvrait prompte mort^Ces hideuses brutalités étaient
chez les autres les impuissances et les vices de applaudies à la cour et glorifiées comme des
sa propre nature, un certain renom de douceur exploits; mais les violences des oppresseurs
et de bonté qu'il ne tarda pas à démentir. Chry- profitaient à la cause des opprimés, et l'on s'at-
sostonie l'appelle un loup couvert d'une peau tachait davantage au pontife absent en raison
de brebis '. des efforts pour le rendre odieux. Et toutefois,
La masse des catholiques fidèles à la com- laprudence commandait aux prêtres de Jean
munion de Jean tint Arsace pour intrus, et de ne plus exposer les fidèles à de si cruelles
avec raison car le pasteur légitime, frappe par
;
'
Chrys., fjt. 125. — • Théod., I. 5, c. 34. — ' Pallad., ibid.,
• PJiod., dial., p. 38. - 'Chrji., jg. OU. — '
&vi(iai., 1. S, c. 23, — ' Clirys., ep. 17 el iï5.
CHAPITRE TRENTE-NEUVIÈME. 437

nvanies. On supprima les grandes réunions qui âme grande et forte dans un corps délicat,
attiraient l'allLMition de l'ennemi, et il n'y cul d'une douceur etd'une modestie délicieuses.
plus de synaxe générale que de loin en loin Chaste comme un ange, sa piété souriante ré-
dans quelques endroits rectilés de la ville ou pandait sur son visage une fleur de beauté cé-
de la campagne. On se conlenla de se réunir leste. Les dissidents eux-mêmes louaient ses

par groupes furlifs dans de petits oratoires im- vertus, et le rigide évêque des Novatiens •,

provisés pour la cireonstance, et l'on s'abstint Sisinnius, le tenait pour le jibis homme de bien
plus que jamais de paraître aux assemblées qu'il y eût dans la cité. L'auréole des saints se
schismaliques, en sorte que les églises vides mariait sur son front à l'auréole de la jeunesse.
semblaient porter le deuil du pasteur et pleurer Jean l'avait distingué, et ce fut, avec le culte
leur veuvage. pieux qu'il professait [lour son évê(jue, le crime
La cour crnt venger en faisant revivre
se qui le conduisit à la mort. Amené devant le
avec éclat l'alTaire éteinte de l'incendie. Le préfet pour dire ce qu'il savait de l'incendie, il

préfet de la ville tut ordre de pousser la procé- déclara ne rien savoir ; sur quoi, le bourreau
dure avec la plus grande vigueur ; et certes il s'empara de lui. Il fut battu de verges^ déchiré
n'avait pas besoin d'y être excité, car, en sa avec des grifl'es de fer on |)romena des torches ;

qualité de païen, toute occasion d'inuiiilierles enflammées sur les departies les plus sensibles
adorateurs du Christ lui sond)l;iit une bonne son corps. Il mourut en bénissant
de le nom
fortune. Il se mil donc à l'œuvre et mena l'ins- Jean. Les prêtres d'Arsace, après avoir joui de
truction avec un raflinement d'arbitraire et de son supplice, l'enterrèrent secrètement au mi-
violence (|ui rappelait les anciens proconsuls lieu de la nuit, comme s'ils eussent pu ense-
du polythéisme. Des vierges consacrées au ser- velir avec la victime le souvenir du forfait.
vice des pauvres et des autels, de pieux soli- Mais Dieu, dit Pallade, glorifia la mort de son
taires, des prêtres vénérés, des jeunes diacres, serviteur ; car, au moment où il rendait le der-
des dames de haut rang, des honunes considé- nier soupir, on entendit les anges qui chan-
rables, mandés à son tribunal sans qu'il y eiit taient dans heureux d'accueillir dans
les airs,
contre eux ni charge ni soupçon, étaientsoumis leurs phalanges une âme si belle '.
à un interrogatoire outrageant, attachésauche- Plus rudement encore fut traité Tigrius. U
valet, fouettés, déchirés avec les lanières et les était Barbare d'Origine mais la guerre l'avait ;

crocs de fer, comme de vils malfaiteurs. Les fait tomber, encore enfant, au pouvoir des Ro-
riches s'en tiraient avec de grosses amendes, mains, et, vendu comme esclave, il était de-
car l'avarice de la cour était sa pitié. LesJoan- venu la propriété d'un riche seigneur de By-
niles, montrer nulle part sans
ne pouvant se zance. Son instruction et ses vertus lui valurent
Vagora et
être insultés, fuyaient les thermes et la liberté, qu'il s'empressa de consacrer à Dieu
ne sortaient presque plus. Quelques uns se re- dans le sanctuaire. Ministre de l'Evangile, il en
tirèrent dans les montagnes, au milieu des posséda surtout la mansuétude et lacharité. Nul
ascètes, pour y attendre en paix des temps plus que lui n'aimait les pauvres. Le souvenir
meilleurs; plusieurs prirent le parti de quitter des abaissements et des souffrances de sa jeu-
à jamais Constantinople et s'exilèrent volontai- nesse le pénétrait d'un plus tendre intérêt pour
rement dans de lointaines cités; beaucoup vin- lesesclaves. Cultiver leur intelligence, les pré-
rent chercher leur refuge à Rome, auprès du parer au bienfait du baptême, les rendre dignes
Pasteur des pasteurs, qui de son côté recueillait de l'allranchissement qu'il implorait de leurs
de leur bouche avec douleur les navrantes nou- maîtres, et achetait quelquefois, ce fut son
velles qu'ils apportaient de l'Orient '. La rage œuvre de prédilection son ; elle absorbait toute
des Arsaciens dépassait tout ce qu'on pouvait existence. Esprit sage, de bon conseil, homme
attendre d'ennemi» sans loyauté et sans cœur. prêtre séraphi(iue, d'une humilité égale à son
Ni larmes rti sang ne pouvaient l'assouvir. mérite, il était vénéré du peuple, aimé du
Au premier rang, parmi les nobles martyrs clergé. Jean l'apprécia et l'admit dans son inti-
du devoir et de nous devons
la fidélité à l'Eglise mité. Cette grande amitié lui coûta la vie. Lq
citer Tigrius et Eutrope. Ce dernier était un préfet, n'obtenant de lui ni révélation ni aveu,
jeune lecteur de Sainte-Sophie, d'une naissance le fit dépouiller de ses vêtements et fouetter en

patricienne, d'un esprit élégaut et orné, d'une


* Sozoœ., 1. 8, c 21. — * Pallade, dial,, c. 8, (>. n; 3o>4|n.| l, S,
• Paliid., (liai., p. U et 38. C.21.
m Hi^TOiUE m mm jean chkysostojië.
public de la main du bourreau. Tigrius ne dit Dans quel but, dit le préfet, as-tu mis le feu à
pas un mot, ne fit pas entendre un soupir. l'un des plus beaux monuments de la ville?
Ecartelé sur le chevalet, disloqué et brisé, il — Olympiade répondit : Je n'ai pas vécu de
survécut aux tortures et fut jeté tout sanglant façon à être classée parmi les incendiaires.
au fond d'un cachot. Refusant toujours la com- Après avoir dépensé ma fortune à bâtir des
munion d'Arsace, condamné à l'exil,
il se vit églises, je ne les brûle pas. Je connais ta —
traîné en Mésopotamie, et mourut en y ar- conduite, reprit le magistrat avec une ironie
rivant '. A martyr l'Eglise a donné,
l'esclave insolente. —
Alors, dit la noble femme, des-
sur sa tombe, des de haute noblesse, et
lettres cends de ton siège et de juge deviens accusa-
son nom inscrit aux fastes des Saints figure teur. —
Rappelé par ces mots à la pudeur de
avec celui d'Eutrope à côté des plus grands son devoir, le préfet s'efforça de persuader à la
noms. sainte accusée que c'était folie à elle de s'ex-
Stimulé par l'impératrice et l'intrus, heureux poser à tant d'inimitiés et d'ennuis, quand,
d'assouvir ses vieilles haines de païen contre pour les éviter, elle n'avait qu'à adhérera Ar-
les disciples de l'Evangile, le brutal préfet sace. D'autres, ajouta-t-il, ont compris cela et
ne fit pas plus de grâce aux femmes qu'aux n'ont eu qu'à s'en féliciter. — Olympiade ré-
hommes. Nous n'hésitons pas à le dire : dans pUqua : Je suis devant ton tribunal pour subir
cette cruelle épreuve, les femmes se montrèrent ta sentence et non tes conseils. Tu m'as fait

aussi grandes, plus grandes peut-êtreque les arrêter et conduire au milieu de tout un
ici

hommes. Un écrivain célèbre a remarqué qu'en peuple sous le poids d'une calomnie infâme, et
thèse générale, les femmes ont un sentiment maintenant que tu n'as à articuler contre moi
plus profond et plus vif du Christianisme, et aucune espèce de preuve, tu te places sur un
qu'à toutes les époques, quand l'orage de la autre terrain. Je demande à être jugée sur le
persécution a grondé sur l'Eglise, si l'on a faitde l'incendie et que mes avocats soient en-
compté des faibles, si l'on a déploré des déser- tendus. Mais sache bien que, si tu veux m'o-
tions même parmi lesélusdu sanctuaire, même bliger, sans en avoir le droit, à communiquer
parmi les pontifes du Christ et les guides sacrés avec Arsace, je ne ferai jamais une chose si
des consciences, presque jamais on n'en vit contraireà ma conscience. —
Le préfet feignant
parmi les femmes elles n'ont pas eu d'apostats,
: la modération, la renvoya comme pour lui
dit-il, elles n'ont eu que des martyrs*. Ce que donner le temps de préparer sa défense.
nous rapportons ici prête à la vérité de celte Olympiade se retiradanslamodestedemeure
observation une force nouvelle. Il est certain qu'elle avait adoptée près de Sainte-Sophie, au
que, dans cette courte mais furieuse tempête sein d'une pieuse communauté fondée et diri-
suscitée aux églises de Constantinople et de gée par elle; et là, bien qu'en proie à la mala-
l'Orient par les ennemis d'un Saint, Dieu fit die et à toute sorte de vexations, elle écrivait à
échoir aux femmes la plus belle part de la lutte l'exilé des lettres pleines d'une vénération af-
et d'illustres palmes. Olympiade ne pouvait être fectueuse, où, parlant de ses propres souffrances
oubliée dansée partage providentiel; car, plus et des persécutions dont elle est l'objet, elle
que personne, elle avait droit, par son dévoue- traite tout cela de bagatelle ". Jean, de son côté,
ment et ses vertus, à souffrir pour la vérité. courage qui, dans un corps
la félicite de son
Devenue depuis le départ de Jean le point de délicat etmalade, a fait d'elle le soutien et la
mire des haines fanatiques du schisme, pour- force d'une grande cité, où, sans sortir de sa
suivie par Antiochus etSéverien, naguère pros- chambre, sans paraître en public,elle enflamme
ternés à ses pieds pour implorer ses largesses, de son propre héroïsme les défenseurs de la vé-
avec un acharnement égal à sa bonté pour eux, rité. Mais bientôt elle quitta, non pas volontai-
elleeut à comparaître, elle aussi, devant le rement sans doute, mais par ordre de la cour,
préfet sous la prévention de complicilé dans sa maison, ses saintes filles, ses nombreux amis,
l'incendie de la grande église. La calomnie et se réfugia à Cyzique. Ramenée à Constanti-
croyait frapper plus sûr en visant plus haut et nople, elle eut à reparaître devantle préfet, re-
déshonorer le parti tout entier dans un de ses fusa de reconnaître Arsace, fut condamnée à
plus illustres représentants elle se trompait. ;
— payer au fisc deux cents livres d'or, vit ses biens
conflsquésetvendusà l'encan, sa chère commu-
'Sojom., 1. S, c. 24; Pallad., dial., 77; BoUand., 12 janv.
' TeDlura, La Femme catholique, t. 2, p. 483. ' Chrys., ep. à Otymp, 6.
CHAPITRE TRENTE-NEUVIÈME. 439

nnuté dispersée et bannie, et ses propres servi- et relevé le courage de ceux qui combattent et
teurs, ceux (lu'ellc avait coml)lcs do bienfaits, souffrent pour la cause juste... Telle est la force
se tourner contre elle et payer d'oui iaj,'L's sa cUa- de la vérité, (jne peu de mots lui suffisent pour
rité. Après de nombreuses elcriiellesvicissilu- nittlre à néant les sycophantes. Le mensonge, au
des, après avoir erré dedivers côtés sans savoir contraire, a beau s'envclop|)er d'artifices, il est
où posersatète, exilée enllnàNiconiédie, elle plus faible qu'une toile d'araignée. Livrez-vous
y mourut couronnée des glorieux opprobres donc à une joie sainte; continuez d'agir avec
qu'elle avait endurés pour l'aniour de Jésus- celle virilité de cœur, et, toujours plus ferme,
Clirist et de son Ej^lise. « Une seule de vos af- riez de tous les pièges où ils essaient de vous
flictions, lui écrivait Jean, eût suffi pour com- faire tomber. Leur fureur, qui ne iieut vous at-
bler votreâme de richesses spirituelles ». ' teindre, se retourne tout entière contre eux ;
La persécution s'appesantissait de préférence ainsi le flot soulevé par la tempête, loin de bri-
sur les femmes d'une position plus haute et ser le rocher, se brise contre lui et retombe en
d'un plus grand nom. Penlailie, la noble veuve écume. Que les menaces de nos ennemis ne
du consul Timase, après s'êlre vu arracher par vous épouvantent jamais Eh que n'ont ils I

un double crime son fils et son mari, n'ayant pas fait pour vous épouvanter? Us ont em-
échappé elle-même aux fureursd'Eutrope qu'en ployé la calomnie, le faux témoignage, le meur-
se n fugiant aux pieds des autels, se reposait des tre. Le fer et le feu ont détruit de nobles et

douloureuses épreuves de sa vie dans les tra- jeunes vies, des torrents de sang ont été versés,
vaux de la charilé, sous la protection de Jean. des hommes considérables ont subi la torture.
Sa cellule, la demeure des pauvres et l'église, Vous, comme un aigle au vol audacieux, vous
elle ne connaissait que cela depuis longtemps. avez rompu les filets des méchants et gagné,
L'exécuteur forcené des vengeances d'Eudoxie, par l'essor de votre vertu, le faite de la li-
l'infâme préfet la fit saisir par ses sbires et berté *
».

traîner chagée de chaînes à son tribunal. Procula,Amprucla,Asyncrilie,céIèbresalors


Traitée d'incendiaire, elle aussi, un sourire de par leur charité, devenues immortelles depuis
pilie fut sa seule réponse aux accusateurs. On par leur courage; Nicarèle, la vierge admirable
se donna l'aCfieux [ilaisir de mettre à la ques- qui .s'efforçait vainement de cacher des vertus
tion, de tourmenter sous ses yeux plusieurs que tout le monde bénissait, se virent insultées,
amis du proscrit; leur sang jaillit sur les vête- emprisonnées, dépouilléesde leurs biens, chas-
ments de la sainte femme. Rien n'ébranla ce sées de Conslantinopîe. Quelques-unes devan-
mâle courage. En quelques mots elle ferma la cèrent la sentence des juges et les ordres de la
bouche auxcalomniateurs, etdémontrajusqu'à cour en s'expatriant elles-mêmes d'une ville
l'évidence que le crime imputé aux Catholi- souillée par tant d'hypocrisies et de sacrilèges.
ques n'était qu'une invention atrocement ridi- Pentadie eut la pensée de les imiter mais une ;

cule de la haine. On continua néanmoins à la lettre de Jean la retint au-chef-lieu de la persé-

menacer et à la persécuter; m;iis forte de sa cution pour y être l'appui des persécutés *,
confiance en Celui qui l'avait délivrée tant de La fureur de l'intrus ne respecta rien. L'in-
fois des plus grands périls, elle ne cessa de violabilltédes saints autels fut méconnue, l'asile
s'immoler pour la vérité. Son invincible con- des vierges saccagé; les vierges elles-mêmes,
stance ranimait l'énergie des fidèles découra- les pieux ascètes chassés, disperses, jetés au
gés. Jean, que ces éclatants témoignages d'une fond des plus affreux cachots pour y mourir de
fidélité supérieure à toutes les épreuves, con- faim. Cependant la procédure de l'incendie dut
solaient des tristesses de son exil, félicita par être abandonnée. De tant de perquisitions, d'in-
ces nobles paroles la généreuse diaconesse : terrogations, de tortures, il ne sortit pas une

« Je vous loue, je vou£ admire. Mes amertu- charge, pas un indice contre les fidèles. Un res-
mes sont bien adoucies par ce que j'apprends crit impérial constate que les auteurs du dé-
de vous, de votre force, de votre inébranlable sastre sont restés inconnus, etordonne que les
persévérance, de la sagesse et de la liberté de clercs emprisonnes seront rendus à la liberté.
votrt langage, de celle fermeté sublime par la- Mais, du reste, punir le crime n'était qu'un
quelle vous avez confondu et couvert de honte prétexte; on n'en chercha jamais les auteurs
nos ennemis, porté au démon un coup mortel, dans les rangs où ils pouvaient être, où la TU'
'Cbr;!., ad Olymp. tp. 3. * Clujs., «p. 94. — Cbr^i., leUrt 101,
4;o HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOMË.

jneur publique les signalait. Le vrai but pour- faute ; les collèges des artisans devaient ré«
cour et par la faction, tantôt sous
suivi par la pondre, au même point de vue, de leurs
un masque transparent, tantôt à front décou- membres, sous peine d'une amende vraiment
vert, toujours avec un acharnement implaca- énorme '.
ble, était de terrifier, de ruiner ce qu'on appe- 11 semble que de telles mesures allaient

lait le parti Joannite, d'établir l'autoritéd'Arsace courber tout le monde sous la houlette d'Ar-
en effaçant la mémoire de son prédécesseur, et sace. Il n'en fut rien; l'opinion qui le réprou-
surtout d'assouvir l'auguste et insatiable ven- vait, presque unanime à Constantinople , le
geance d'Eudoxie.A cedernier pointde vue,le devenait de plus en plus dans les provinces, et
succès obtenu pouvait paraître suffisant; car la persécution dut s'étendre de la capitale à tout

l'impératrice avait joui, à son aise, des tor- l'Orient, a Que les gouverneurs des provinces
tures et de l'agonie de ses sujets ; elle avait pu soient avertis, écrit Arcadius le 1" novembre
savourer les alTronts et le sang des amis les plus 404, qu'ils doivent regarder comme illicites et

dévoués, des plus saintes filles du pontife. Ravir empêcher toutes lessynaxes d'orthodoxes qui
à Jean sa popularité, le faire oublier à Coustan- dédaignent les saintes églises pour s'assembler
tinople était un résultat vivement ambitionné ailleurs; et que tous ceux-là soient chassés de
sans doute, mais dont on était encore très-loin. leurs sièges qui sont séparés de la commu-
Il y eut bien ça et là quelques âmes qui faibli- nion des vénérables pontifes de la loi sacrée,
rent' Arsace recruta de temps à autre quelques
;
Arsace, Théophile et Porphyre. S'ils possèdent
poltrons,quelques pauvres disciplesdécouragés des biens, ces biens doivent être confisqués ».
qui reniaient le maître; mais, chose étonnante, Ces décrets étaient appli(iuésavec une rigueur
à une époque d'asservissement où le niveau des extrême; aussi la plupart des églises étaient
courages était si fort descendu, et qui prouve veuves ou occupées par des intrus. Les vrais
combien Chrysostome avait pris d'empire sur évêques, ceux qui portaient, avec un titre légi-
son peuple, combien il en avait retrempé le ca- time, un nom honoré dans l'épiscopat, avaient
ractère aux sources de l'esprit chrétien, la masse été expulsés de leurs chaires. Les uns, nous l'a-
des catholiques persévéra dans la communion vons dit, s'étaient réfugiés à Rome, les autres
du vrai pasteur, et lui garda jusqu'à la fin, gémissaient dans les fers ou erraient d'asile en
malgré l'absence et l'éloignement, ce culte tou- asile.Sérapion, l'intrépide diacre de Jean, plus
chant et périlleux de reconnaissance et d'amour redouté que lui des prêtres impurs et de la ca-
en face de la persécution. Et certes, ce ne fut bale, et depuispeu évêque d'Héraclée dans la
pas une tempête de quelques jours, une de ces Thrace, avait trouvé une retraite qu'il croyait
rapides épreuves dont le souffle allume un en- sûre dans un monastère de Goths catholiques
thousiasme d'autant plus vif qu'il est [ilus appelés Marses; mais, découvert, il fut traîné
éphémère. Le décret, qui clôture le procès comme un criminel devant un tribunal où il
avorté de l'incendie, est chargé de mesures ne trouva que des ennemis pour juges, et con-
impitoyables contre les partisans de l'évêque damné à expier dans les tortures l'amitié du
déchu. « Nous voulons, y est-il dit, fermera la grand pontife qui avait distingué son courage
sédition toutes les portes, en chassant de cette et ses vertus. Sous un empereur chrétien, fils
ville sacrée tous les clercs et tous les prélats qui de Tliéodose, un évêque du Christ est livré au
ne sont point transcrits sur le rôle des ci- bourreau, fouettéjusqu'ausangjjusqu'àceque
toyens. S'il est des maisons qui continuent à ses dents brisées tombent sous les coups, puis
leur donner asile après la publication de ces banni de Constantinople et placé en Egypte sous
édits et l'ordre de notre sérénité, elles seront la surveillance et à la discrétion de Théophile.
confisquées en sera de même de celles où
; il Un méchant prêtre, Eugène, reçut l'évêché
les prêtres de auront tenu des réunions
la ville d'Héraclée pour prix de sa coopération ardente
hors de l'église '. » Quelques jours après, un aux intrigues de la faction. Héraclide, homme
nouveau rescrit de l'empereur porte que les éminent par le savoir et la vertu, cher à Chry-
maîtres dont les esclaves assisteront aux con- sostome dont il avait été le diacre, dont il res-
venlicules —
c'est ainsi qu'on désignait les as- tait le disciple et l'ami, accusé comme lui
semblées de fidèles, —
auront à payer trois devant l'assemblée du Chêne, fut déposé,
livres d'or pour chaque esclave surpris en chargé de fers, jeté dans un cachot où il lan-
• Cbrye., ef. 1 et ej>, 125. — ' Cpd. Tiéod., 1. 16, lit. 2, 1. 37. .' C«d. Théod., 1. 16, lit. 4, 1. 5,

ï
CHAPITRE TRENTE-NEUVIÈME. m
guit quatre ans. On lui donna pour successeur cale que féconde, s'imposant de fréquentes et
un misérable sans mœurs, sans dignité, perdu rudes pénitences à l'intention des affligés et
de réputation, usé de débauches, conspué du dans le but d'attirer sur eux, à force d'immo-
peuple, ridicule s'il n'eût été infâme. Partout lations, quelques gouttes au moins de rosée cé-
la dépouille des proscrits devenait la récom- leste ;
prêtre admirable, brûlant d'amour pour
pense des Judas qui vendaient leurs frères. Les la vérité et pour l'Eglise, son âme se reflétait
six prélats simoniaques justement dégradés à dans son regard ouvert, dans sa physionomie
Epbèse, remontèrent effrontément sur ces imposante, dans la noble beauté de son visage
chaires dont ils étaient le déshonneur. La cour grave et recueilli, mais toujours affable au mi-
mettait une espèce d'orgueil cynique cà fouler lieu même des souffrances. Ajoutons qu'il avait
aux pieds les lois et les convenances dans les mérité et qu'il cultivait pieusemeut l'aQection
élections épiscopales. A défaut des Qdèles et du de Chrysostome, et que ses lettres, ses visites,
clergé qui s'abstenaient, on faisait voter lesco- son dévouement courageux et empressé, furent
médiens et les juifs ; on achetait les voix ; on pour l'illustre exilé une source de consolatious
gorgeait de vin les électeurs ; le candidat et au.xquelles il attachaitun grand prix.
l'élection tout était scandale. Jean, dont la A côté de cette vertu si pure, vivait alors à
charité pèse et mesure d'ordinaire toutes les Anlioche un prêtre appelé Porphyre, originaire
paroles, ne peut contenir son indignation et de Constantinople, mais attaché à l'église de
déplore le sort des Eglises Uvrées à des brigands, Flavien, sur laquelle il pesait depuis longtemps
à des bourreaux sous le nom de pasteurs '. par sa mauvaise renommée et sa déplorable
de telles gens, s'écrie Pallade,
C'est sur la tète conduite. Son nom avait'tristementretentidans
qu'on n'eut pas horreur de poser l'Evangile 1 le procès du Chêne. Prêtre sans foi, homme

Mais, sans contredit, le plus funeste, le plus sans conscience, redouté du clergé, odieuxau
honteux de tous les choix fut celui de Porphyre peuple, il passait sa vie loin du sanctuaire à
pour la chaire d'Antioche. Flavien venait de cabaler contre ses collègues, à manger avecles
mourir, au moment oij son flls dans le sacer- histrions, les cochers du cirque, les danseuses
doce, le grand orateur dont il avait dirigé et du théâtre, sa société habituelle. Protecteur
béni les premiers travaux, succombait aux ardent de tout ce qui était vil, accusé d'abomi-
coups de l'intrigue et partait pour l'exil. Mieux nables débauches, ses relations, ses allures, son
que personne il connaissait le fils d'Anthusa, langage, n'autorisaient que trop à croire tout
ses vertus plus belles encore que son génie, et ce qu'on disait de lui. La chasteté, s'écrie Pal-
ce qu'il apprit, avant de fermer les yeux, des lade, lui est aussi odieuse qtie lesparfums aux
haines auxquelles cet homme supérieur était vautours '. gravement soup-
Plus tard, il fut
en butte et du triomphe de la calomnie, attrista çonné d'avoir vendu les vases sacrés pour ache-
beaucoup les derniers moments du vieillard. ter l'appui des magistrats et leur coopération à
Il protesta vainement contre la condamnation ses haines. Dans le moment, toutes ses pensées
de son véritable ami sa voix ne parvint pas à
: étaient tournées vers la succession de Flavien;
se faire entendre. Flavien descendit dans la il voulait, à tout prix, devenir évéque d'An-
tombe après avoir gouverné l'Eglise d'Antioche tioche; connaissant l'inclination du peuple
et,
vingt-trois ans. Jaloux de lui donner un digne pour Constantius, il commença, pour s'en dé-
successeur, peuple jeta les yeux sur Constan-
le barrasser, à le représenter à la cour, à l'aide
tius. Homme de bien, la loyauté de son carac- des ennemis de Jean qui étaient ses amis,
tère, la pureté de ses mœurs, sa piété aimable, comme un esprit inquiet et hostile, comme un
lui avaient concilié de bonne heure l'estime et séditieux. en effet, un ordre de l'em-
Il obtint,
l'affection de ses concitoyens. Indulgent pour pereur qui exilait dans l'oasis de Lybiececon^
les autres, sévère à lui-même, il menait au current redouté; mais, averti à temps, Cons-
milieu du monde des ascètes. Esprit sé-
la vie tantius s'était mis par la fuite hors de toute
rieux, réservé dans ses jugements, condamnant atteinte, et le haineux Porphyre avait pris sa
peu, excusant beaucoup, oubliant volontiers les revanche en faisant arrêter deux prêtres dé-
injures, dédaigneux des intérêts d'ici-bas, mo- voués à Chrysostome, Diophante et Cyriaque.
dèle de douceur et de modestie, naturellement En même temps il avait appelé aux bords do
éloquent et persuasif, d'unecbarité aussi déii- rOronte et tenait cachés, pour ses desseiO»,
: Oarjt., ItUrt 2* à Otymp, ' l'iillid., dial., p. 96.
443 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME,

Acace, Séverien, Antiochiis, les misérables et dans tout l'éclat de sa beauté, elle mourait
prélats que nous sommes sûrs de rencontrer subitement en mellant au monde un enfant
dans toutes les mauvaises choses d'alors. II prit mort. Après elle vint Cyrinus, le promoteur
son temps, et un jour que le peuple d'Antioclie ardent de la conjuration, l'un des quatre qui
s'était porté en masse au faubourg de D;ipliné, avaient demandé à prendre sur leur tète la
pour assisterauxjeux publics qu'on y célébrait mort de Jean il périt misérablement d'une ;

tous les quatre ans à l'imitation des jeux olym- blessure que lui avait faite involontairement
pi(|ucs, il entra dans l'église suivi de ses trois l'évêque Maruthas en lui marchant par mé-
complices et de quelques clercs vendus à ses gaide sur le pied, le jour de celte conférence
intérêts et fut ordonné à huis-clos , avec tant préparatoire du Chêne où il s'était si violem-
de hâte qu'on n'acheva pas les prières de l'or- ment emporté contre son noble collègue il :

dination après quoi, les dignes consécrateurs fallut lui amputer une jambe, puis l'autre; et,
;

se sauvèrent au plus vite dans les montagnes. le mal montant toujours, il expira dans des

La nouvelle de cet escamotage impie émut la tortures atroces. Presque tous les chefs de la

cité; le peuple se jeia sur la maison de Por- faction périrent de mort funeste l'un se brisa :

phyre pour la brûler, et il ne fallut rien moins le crâne en tombant du haut d'un escalier ; un

qu'une armée entière, celle qu'on avait réunie autre jeté à terre par son cheval mourut sur le

en Orient contre les Isaures, pour disperser la coup ; un autre perdit la parole et resta per-
foule et sauver de la justice populaire ce cyni- clus au point de ne pouvoir porter la main à
que voleur de l'épiscopat. Les soldats furent ses lèvres ; un autre, ayant la langue si enflée

chargés d'installer le nouveau pontife, et pen- qu'elle remplissait la bouche, fut obligé de
dant longtemps, au lieu de courir aux fron- recourir à ses tablettes pour écrire sa confes-
tières menacées, ils n'eurent d'autre emploi sion ; un autre fut paralysé des quatre doigts
que défaire la guerre aux fidèles qui refusaient dont il avait souscrit la condamnation du Saint;
la communion de l'intrus. Mais ces violences, un autre mourut d'une mort plus honteuse
au milieu desquelles l'image vénérée de la encore que cruelle, rongé par les vers avant de
Croix fut profanée et foulée aux pieds, n'atti- mourir ; d'autres se croyaient poursuivis la
rèrent pas à Porphyre un adepte de plus. Le nuit par des chiens enragés ou des fantômes
clergé d'Antioche célébrait les synaxes dans les menaçants, et s'éveillaient avec des cris la-
champs ou ailleurs, avec la partie la plus qua- mentables. D'autre part , d'affreux désastres
lifiée et la plus riche des catholiques delà cité. accablaient l'Orient et consternaient les imagi-
Ce qui désespérait le cupide pi'élat, ditPallade, nations. Tantôt une grêle d'une grosseur pro-
c'est que par la désertion des femmes pieuses digieuse détruisait en un clin d'œil arbres et
les ressources pécuniaires étaient amoindries ; moissons; tantôt les tremblements de terre se
et il lui fallait beaucoup d'argent tant pour as- répétaient avec les circonstances les plus sinis-
souvir ses passionsque pour acheter les instru- tres. La nuit du i" avril 406, la moitié de la
ments de ses haines. Tels étaient les pasteurs ville impériale s'écroula, les vaisseaux furent
en faveur desquels le gouvernement d'Arcadius brisés dans le port, et le lendemain, du côté
faisait des lois de proscription, l'emplissait de l'Hebdomon, le rivage se trouva couvert de
l'Orient de troubles et de terreur, et s'affaiblis- cadavres. Ici, le Nil refusait le tribut néces-

sait, se perdait lui-même en croyant se forti- saire de ses eaux ; là, d'épaisses nuées de sau-
fier aux dépens du pouvoir spirituel et de l'E- terelles obscurcissaient l'air et dévoraient les

glise de Jésus-Christ. récoltes; les Isaures, et de nouveaux Barbares


Cependant le Ciel semblait se charger, aux plus féroces que tous les autres s'avançaient,
yeux des peui)les, delà vengeance des Saints ; les pieds dans le sang, la torche à la main

du moins il donnait aux schismatiques de so- jusqu'au cœur de l'empire. A plusieurs reprises
lennels et terribles avertissements. Le 6 octo- le feu du ciel tomba sur Byzance; la peste

bre 404, Eudoxie comparaissait tout à coup au vint en aide à la famine : tous les fléaux étaient
tribunal de Dieu. On eût dit que la joie de son déchaînés '.

triomphe l'avait tuée. A peine, en effet, y avait- Le peuple voyait la main de Dieu dans ces
il trois mois que sa main sacrilège avait arra- lugubres événements, etmaudissait un pouvoir
ché à son Eglise un pontife du Christ, que,
Zosim., 1. 5; Sozom., 1. 8, c. 25 et 27; Socr., 1. 6, c. 19; S.Nil,
frappée elle-même au milieu de son bonheur ep. 265, 1. 2 ; BaiOD., ad ann. 404, § 76, etc.
CIIAPlTRfc: TRENTE-NEUVIÈME. 443

dont les fautes accumulées attiraient sur tout dans l'Etat. Politique mal avisée 'qui, pensant
le monde les terribles représailk'S du Ciel. Ar- agrandir le pouvoir par une suprématie sans
cadius lui-uième en était troublé et consul- contrôle, prépare les renversements dont il
tait saint Nil, le solitaire illustre qui avait tout sera la victime, et les malheureux excès où
quitté, furtunc, dignités, bonheur domestique, s'emportent ks peuples quand, n'apercevant
pour chercLer au désert la paix de Dieu
aller plus cette digue spirituelle qui les protégeait
et la liberté de ses enfants. A l'empereur qui contre le despotisme, ils ne demandent qu'à
lui demandait ses prières, Nil répondait avec leurs passions déchaînées et à la violencele soin
cette fermeté propre aux hommes généreux de leur dignité I Etrange prétention de ces mi-
qui n'espèrent et ne craignent rien d'ici-bas. sérables Césars de Ryzance, impuissants à gou-

J
« De quel droit prétends-tu que la ville im[)é- verner l'empire et voulant gouverner les âmes,
' riale soit délivrée des tremblements de terre voulant porter dans leurs débiles mains la
l
qui la désolent, tandis qu'il s'y commet tant terre etlescieux! Etabli sur les ruines delà foi
: de crimes, que l'iniquité , avec une audace et de la vertu par l'amoindrissement et l'abais-
inouïe, y est érigée en que l'on a banni
loi, et sement du principe religieux nécessaire au
la colonne de l'Eglise, la lumière de la vérité, monde, un pouvoir pareil, sans règle et sans
la trompette de Jésus-Christ, le bienheureux frein, mais sans force réelle, s'affaisse dans son
évêque Jean? Comment veux-tu que j'accorde impuissance sous le faix qui l'écrase, ou s'é-
mes prières à celle malheureuse cité ébranlée croule honteusement au premier choc qui lui
par la colère du Ciel dont la foudre menace de vient du dehors. Le pouvoir le plus illimité est
tout détruire, moi qui suis consumé de tris- aussi le plus fragile. Non moins dangereux à
tesse, qui me sens l'esprit agité, le cœur dé- manier qu'à subir, il participe à l'avilissement
chiré par l'excès des forfaits accomplis main- des âmes par lequel seul il se maintient. Le
tenant sous tes yeux contre toutes les lois '
? » plus bel édifice, s'il n'est fondé que sur la boue,
Dans une autre lettre au flls de Théodose, fond et disparaît dans la boue. Mais quel que
l'intrépide cénobite parle avec la même éner- soit le gouvernement qui régit une société,

gie : f Tu as commis une injustice en bannis- fùt-elle, par malheur, privée d'institutions et
sant la grande lumière du monde , le saint de garanties et livrée au hasard des pensées
évêque de Conslantinople tu as cru trop faci- ; d'un maître, elle porte en elle-même un contre-
lement à des prélats d'une extrême légèreté et poids à son abaissement, une force contre la-
d'une mauvaise conscience. Après avoir privé quelle se brisera le despotisme, si sa cons-
l'EgUse d'un enseignement irréprochable et cience chrétienne lui reste, si cette conscience
pur, garde-loi de passer ta vie sans regrets'». s'appuie au roc inébranlable de l'Eglise, à
Mais rien n'égalait la faiblesse et l'ignorance ce pouvoir , si doux et auquel la
si fort,
d'Arcadius, si ce n'est son enlètement. Il garda Vérité divine a dit Je suis avec vous jusqu'à
:

ses remords et persévéra dans sa faute. Jean, la consommation des siècles, et qui, de son
d'ailleurs, n'avait pasété sacrifiéseulement aux trône tremblant et vermoulu, voit passer les
rancunes d'une femme, aux mauvaises passions empires et les peuples, les rois et les dynasties,
de quelques prêtres, mais à la politique jalouse les révolutions et les siècles, invincible
dans sa
d'un gouvernement appliqué de bonne heure à faiblesse,jeune dans sa caducité, et ne répon-
saisir toutes les occasions de mettre la main sur dant aux efforts conjurés du monde pour le dé-
le sacerdoce, et, par un travail sourd mais in- truire que par de paternelles et saintes béné-
cessant, àsubjuguerl'Egliseen la faisant passer dictions,
• & HU, qi. 2fl5, 1, 2, - Ji., ef. i79, 1. 3i 'Bossuet, Paoég. de S. ThomaB de Cantortiéry.
m HISTOIRE 1)E SAINT JEAN CHIWSOSTOME.

CHAPITRE QUARANTIÈME.

Voyage de Jean. — Séjour à Nicée. — Mission de Phénicic. — Cucuse Isaure', — Séjour i Césarêe^ — Déloyasté de Pha-
et les
rétrius. — Jean à Cucuse. — Sa correspondance. — refuse cadeaux de ses amis. — Lettre de Conslantiua à Porphyre.
Il les

Nous devons revenir sur nos pas et suivre sentir, parler de Jésus-Christ et combattre les
dans sa roule le grand exilé. Parti de Constan- idoles. Quelques progrès qu'eût fait le Chri-
tinople le 20 juin, il fut débarqué, le soir même stianisme, quelle que fût sa puissance sous
ou le lendemain, dans le golfe d'Astacè ne, sur les empereurs chrétiens, il y avait encore des
la Propontide, et immédiatementacheminé sur contrées de l'Orient qui se dérobaient en tout
Nicée. Il n'avait pas atteint celte première étape ou en partie à sa divine lumière une foule ;

de l'exil, qu'où lui enleva ses compagnons de de villages étaient dans ce cas. Or, entre les
voyage, et que sa captivité, entourée d'abord de corps expéditionnaires de la foi employés à de
respects et de soins, devinttoutà couptrès-sé- lointaines conquêtes, celui de Phénicie occu-
vère ; il fut mis en prison. Toutefois , ces ou- pait surtout le pieux proscrit. Un homme d'un
trageantes rigueurs durèrent peu, et dès le 28 grand cœur, d'un dévouement à toute épreuve,'
ou le 29 il était rendu dans la capitale de la d'un mérite éminent qui rehaussait sa mo-
Bithynie, où les ordres .ultérieurs de la cour destie, Conslantius, commandait en ce mo-
et sa destination lui devaient être signifiés. Sa ment cette petite troupe d'apôtres au milieu
,

santé toujours chancelante, mais plus ébranlée de fatigues, de périls, de vicissitudes de toute
encore par émotions de ces derniers ii ois
les espèce. Jean l'avait établi , au nom de son
et les fatigues d'unvoyage à pied sous un ciel amour pour les âmes et de son zèle pour la
brûlant rendait indispensable un repos de
, gloire de Dieu, supérieur général des missions
quelques jours. L'air de Nicée, sur un beau de la Phénicie et de l'Arabie; et au moment
lac, au milieu d'une plaine vaste et fertile, lui même où succombait à Byzance sous les
il

fit du bien. Cette ville, d'ailleurs , avait des coups de la calomnie et du despotisme, à la
souvenirs religieux qui parlaient à son cœur. veille d'être arraché à son troupeau, il songeait

L'âme d'Athanase dut apparaître à la sienne et à Constantius, à lui procurer en hommes et en


relever son courage ; car, lui aussi, il souffrait argent le plus de secours possible. Les tristes
pour la vérité, il était immolé pour elle, et, loisirs de l'exil lui laissant plus de liberté pour
plus que jamais recueilli dans la pensée de son pensera ces églises nées d'hier qui donnaient
Dieu, il se félicitait d'étancher au calice du déjà de si belles espérances, il se mit à recru-
Seigneur et des Saints sa noble soif de souf- ter des ouvriers évangéliques, qu'il expédia à
frir. Il ne resta en Bithynie qu'un petit nombre son ami avec ces recommandations :

de jours, et les employa à écrire à ses amis 8 Devant quitter Nicée le 4 juillet, j'adresse

pour les consoler, surtout à activer par ses à ta piété cette lettre pour t'exhorter, comme
lettresune œuvre qu'il affectionnait singuliè- je n'ai cessé de le faire, à poursuivre sans in-
rement la conversion de la Phénicie.
: terruption, malgré la tempête qui gronde elle
Au temps de sa puissance, la propagation de courroux des flots, l'œuvre confiée à ta sagesse :

l'Evangile était une de ses grandes sollicitudes : je veux dire l'anéantissement de l'Hellénisme,
il eût voulu qu'aucun lieu de la terre ne restcât la construction des églises et le salut des âmes.

dans la nuit de l'erreur. Sans arrière-pensée En effet, quand la mer est plus fu-
ce n'est pas
d'ambition, brûlant du feu le plus pur de l'a- rieuse que abandonne
le pilote le gouvernail,

postolat, il aimait à étendre sa charité jus- ni au plus fort de la maladie que le médecin

qu'aux limites de l'empire et son cœur ; ,


s'éloigne de son malade; c'est alors au con- ,
',

quoique tout entier à ses ouailles embrassait traire, qu'ils déploient l'un et l'autre toutes les
l'univers. Des prêtres animés de son esprit ressources de leur art. Toi aussi ,
pieux et vé-

allaient ça etlà, partout où le besoin s'en faisait néré Seigneur, tu dois montrer, à cette heure,
CHAPITRE QUARANTIÈME. 445

la plus grande énergie. Que la vue de ce qui se une gorge du Taurus, son climat rigoureux et
passe ne te dccoura^'c point; car nous no ren- malsain, et surtout le terrible voisinage des
drons pas compte du mal qu'on nous fait. Loin Isaures. Race sauvage, indomptable, habituée
de là, nous y trouverons un litre à la récom- à vivre de brigandage, les Isaures étaient tou-
pense. Mais si nous négligeons notre tâche, si jours prêts à s'abattre, comme l'ouragan, du
nous restons inactifs, nous n'aurons pas d'ex- haut de leurs montagnes sur les vallées et sur
cuse dans la grandeur des maux qui peuvent les plaines où ils portaient la dévastation et la
nous assaillir. Est-ce que Paul emprisonné mort. Us n'occupaient qu'un petit district delà
ne remplissait pas son office d'Apôtre? Plein Lycaonie, et cependant ils avaient tenu en
de ces pensées, cher seigneur, occupe-toi sans échec, au plus beau temps de la puissance de
relâche des églises de Pliénicie, d'Arabie, de Rome, les armées triomphantes de la ré|)U-
tout l'Orient, et sois convaincu que ta cou- blique. Leur audace n'avait fait que s'accroître
tonne sera d'autant plus belle que tu rencon- par les malheurs de l'empire. Rattus quelque-
treras dans l'accomplissement de ta mission jamais soumis, ils sortaient à l'improviste
fois,
plus d'obstacles. Ecris-moi souvent Je sais de leurs repaires, iuterceptaient les routes,
maintenant que je ne suis point envoyé à rançonnaient les voyageurs, saccageaient et
Sébaste, mais à Gueuse, où il te sera plus facile pillaient les villes, égorgeaient sans quartier
d'être en relation avec moi. Fais-moi connaître tout ce qui résistait : puis, au moindre péril,
le nombre des églises bâties tous les ans, regagnaient avec la vitesse du cerf leurs rocs
les hommes dévoués qui viennent te joindre élevés, inaccessibles, d'où ils défiaient toutes
et les résultats importants que tu auras les colères et tous les soldats de Bjzance et de
obtenus. J'ai trouvé ici un pieux solitaire au- Rome. L'empire avait désespéré de les réduire,
quel j'ai persuadé de venir se mettre à ta dis- et s'était borné à les enfermer dans une cein-
position; je désire savoir s'il est arrivé. Sa- ture de forteresses, souvent insuffisantes à les
lamine,dans l'île opprimée par
de Chypre, est contenir. Héraclius perdit deux cent mille
l'hérésie des Marcionites; m'en oc- j'allais hommes dans ses expéditions contre eux, et
cuper, et j'aurais conduit cette affaire à bonne l'on vit plus tard les enfantsde cette race re-
fin si l'on ne meut chassé. Si tu sais que l'évè- doutée et proscrite s'asseoir sur le trône de
que Cyriaque est à Constantinople, écris-lui à
'
Constantin. Au temps d'Arcadius, la faiblesse
ce sujet, et il te prêtera un concours efficace. méprisée du gouvernement leur avait permis
Exhorte tout le monde, et principalement ceux de multiplier leurs incursions et d'étendre
qui ont confiance en Dieu, à prier assidûment leurs ravages. Leur nom inspirait autant d'ef-
et beaucoup afin que cette horrible tourmente froi que celui des Huns.
s'apaise. En effet, d'intolérables malheurs ont Los amis du Patriarche, ceux du moins que
fondu sur l'Asie et sur une foule de villes et la persécution n'avait pas encore atteints ou
d'églises ; les énumérer serait trop long je ne ;
qui conservaient à la cour quelques aboutis-
te dis qu'une chose : il faut prier assidûment sants, faisaient tout pour changer cette desti-
et beaucoup '. o nation et obtenir à l'exilé une résidence moins
Le bruit s'était répandu que le noble proscrit lointaine et surtout moins redoutable. La grâce
devait être déporté en Scythie puis, on. avait ;
sollicitée étaitde celles qu'on ne refuse à per-
parié de Sébaste, la ville des quarante mar- sonne. Mais la cour imi)itoyable ne voulut en-
tyrs, dans la petite Arménie; enfin, l'ordre tendre à rien, résolue qu'elle était de se dé-
était venu de le conduire à Cucuse, dans cette barrasser à tout jamais d'un homme qui lui
partie de la Cappadoce qu'on appelait Cataonie. faisait peur, et de le déporter si loin, dans ua
Paul, l'un des prédécesseurs de Jean, avait été coin tellement ignoré du monde, que l'oubli
exilé àCucuse et y était mort, étranglé par les l'y ensevelît tout vivant, en attendant sa mort
Ariens. Outre ce lugubre souvenir, celte ville que climat et les Isaures ne manqueraient
le
chétive et qui n'était guère qu'un misérable pas de hâter. Eudoxie elle-même avait désigné
bourg, avait contre elle sa situation isolée dans Cucuse, et en cela sa haine l'inspirait bien.
Mais le Ciel trompa sa vengeance, et le bour-
* C« Cyriaqae est •otia qus celai de Syonaclei, qui avait voulu reau mourut avant la victime.
partager de Jean et qu'on lui avait arraché pour le cooduiie et
l'eiil
Celte nouvelle dureté, bien qu'elle ne pût
VeœpnioDner à Cbalcédoiae. V. Tillem., oote 68.
' Cbrjl., l.
3, p. 721. (étouner de la part d'un gouvernement sans ao;
4i6 HISTOIRE DE SAINT JEAN CIIRYSOSTOME.

blessecomme sans courage, affligea vivement quelques jours à Ancyre, métropole de la Ga-
Chrysostome et lui arracha fies plaintes injustes latie; mais l'évéque du lieu, le fougueux
contre ses amis, que cet échec attristait plus Léonce, que nous avons vu figurer à Constan-
que lui sans doute. « Comment expliquer, tinople parmi les plus ardents suppôts de Théo-
écrit-il à Théodora de Constantinople, qui avait phile, le repoussa brutalement, osa le menacer
déployé dans celte circonstance le plus grand de mort, et force lui fut de poursuivre sa route
zèle, comment expliquer qu'avec tant d'amis à pied, malgré la chaleur, la fièvre et une crise
puissants et riches, avec une santé affaiblie et violente de gastralgie. Enfin, après un mois de
un corps brisé, avec la terreur que répandent marche, il arriva à Césarée, en Cappadoce, ex-
partoutlesisaures, je n'aie pu obtenir une grâce ténué, anéanti, plus mort que vif. «Non, écrit-
insignifiante, et qu'on accord"e aux plus crimi- il, les malheureux condamnés aux mines ne
nels, celle d'un exil moins lointain, sous un souffrent pas plus que j'ai cependant
souffert ;

ciel moins rude? Vous ne cesserez de le repro- me voici à Césarée comme


dans un port, et
cher et d'en faire honte à ceux qui nous ai- quoique ce port n'ait pas la vertu de me guérir
ment». Mais il resta peu sous ce coup, rendit à encore, je commence à reprendre des forces.
ses amis lajustice qu'ils méritaient, et remercia J'ai du pain qui n'est pas moisi, de l'eau qui

Dieu de lui ménager dans une épreuve nou- n'est pas bourbeuse, je puis me baigner ail-

velle une nouvelle moisson pour le ciel. «Non, leurs que dans un tronçon de tonneau et me
dit-il à Olympiade, ne faites point de reproche coucher dans un lit.... Des médecins célèbres
à Cyriaque ni aux autres à i)ropos du lieu où me prodiguent leurs soins et me font du bien,
je suis envoyé. Sans doute, ils n'ont pu ce qu'ils moins par les remèdes qu'ils ordonnent que
ont voulu : gloire à Dieu en toutes choses I par l'affection qu'ils me témoignent. L'un
Quoi qu'il puisse advenir, je ne cesserai de le d'eux veut m'accompagner jusqu'au terme de
dire ' ». Et en effet, ce mot sur ses lèvres était mon voyage».
l'infaillible apaisement de toutes les peines. Césarée, en effet, ville éminemment chré-
Il mourut en le prononçant. tienne et toute pleine des souvenirs de saint
Il fallut partir et se mettre en route le 4 juil- Basile, se montrait heureuse d'accueillir dans
let. Une escouade de prétoriens était chargée ses murs l'illustre martyr d'une grande cause,
de conduire et de surveiller le captif, qu'on l'émule admiré du génie et de la sainteté de
avait contraint à ne prendre avec lui aucun son grand pontife. La maison du proscrit ne
domestique; mais les soldats respectueux, désemplissait pas de visiteurs. Les prêtres, les
leurs officiers surtout, se disputaient l'honneur magistrats, le peuple, les chefs militaires, les
de le servir. Les témoignages de la vénération philosophes eux-mêmes, tous accouraient, tous
publique l'accueillaient partout sur la route. voulaient le voir,lui exprimer leurs sympa-

Le peuple, les cénobites, les vierges accou- thies, l'entourer d'hommages etde bons offices.
raient pour le saluer. Mieux vaudrait, di- Ces soins, ces témoignages imprévus d'une
saient-ils, que le soleil perdît ses rayons, que affection sincère et touchante, la pensée de

la bouche de Jean sa parole. Du reste, les lar- saint Basile, plus présente à son cœur dans
mes qu'il vit couler bien des fois lui disaient ces lieux qui l'avaient vu naître et qu'il avait
mieux encore de quelles sympathies il était illustréspar son courage et ses vertus, com.
l'objet, et quelle profonde douleur causait aux mençaient à produire sur la santé du pauvre
âmes chrétiennes la persécution suscitée à l'E- malade un heureux effet, quand de nouveaux
glise dans sa personne. Sa santé, passable au ennuis lui vinrent tout à coup du côté où il
moment du départ, ne tarda pas à s'altérer. devait moins les attendre.
Les gardes avaient ordre de le faire marcher Pharélrius occupait la chaire de Césarée j

jour et nuit, et leur religieuse pitié ne pouvait mais ni talent, ni piété, rien ne survivait de
rien changer à leur consigne. On allait à pied, son glorieux prédécesseur dans ce misérable
par une chaleur accablante on manquait de ; prélat. Cœur bas et jaloux, l'accueil fait à son
tout, même d'eau. Jean ne dormait plus la ; hôte le rendit malheureux ; il y vit un outrage
fièvre s'empara de lui, et la pensée de ses amis personnel de se venger. D'ailleurs,
et résolut
en butte aux fureurs de la cabale ajoutait à ses il avait trempé dans les intrigues d'Acace et de

souffrances. Dans cet état, il eût voulu s'arrêter Théophile, et, sans être venu de sa personne à
• Chryi,, <p. 13. Constantinople, il avait écrit aux meneurs qu'il
CHAPITRE QUARANTIÈME.

approuvait d'avance toul ce qui serait fait par Ne voyant à celte situation aucune issue et ne
eux. 11 acquittait donc sa dette à la faction, en pouvant m'engager à parlir, car c'était aller à
troublant traîlreusoinent l'iiospitalité que la la mort, nia rester, caria ville n'était pas plus
ville était lière d'accorder au noble captif. sûre que la campagne, il fit prier l'évêiiue de
Mais laissons parler Jean lui-même : m'accorder un délai de quelques jours tant à
a Au moment où je quittais la Galatie pour cause de ma santé que des brigands qui infes-
entrer dans laCappadoce, écrit-il à Olympiade, taient les routes. Sa
démarche eut ce résultat,
plusieurs personnes accourues à ma rencontre que les moines reparurent à ma porte le lende-
me diront : Pliarétrius t'attend avec impatience, main avec plus de fureur. Les prêtres, dès lors,
il désire de t'enibrasscr, de te prouverson affec- n'eurent plus le courage de me visiter, car tout
tion, et c'est pour cela ([u'il met en mouvement le monde regardait Pharétrius comme l'instiga-
tous les monastères d'hommes et de femmes, teur de toutes ces indignités, et ils en éprou-
afln que tu reçoives partout un accueil digne vaient tant de honte, qu'ils n'osaient plus pa-
de toi. J'écoutais, sans le croire, ce qu'on me raître nulle part, même chez moi quand je
disait; les antécédents de Pliarétrius me dispo- réclamais leur aide. Enfin, je pris le parti de
sant à penser de lui tout le contraire; mais je m'en malgré
aller, et le péril imminent et la
m'abstins d'exprimer mon o[>inion. Enfin, j'ar- perspective d'une mort presque certaine, mal-
rivai à Césarée dans un état pitoyable, dévoré gré la fièvre qui ne cessait de me consumer,
de la fièvre et presque mort. Les clercs, les cé- je me jetai dans une litière et partis. C'était
nobites, le peuple, les médecins me visitèrent l'heure de midi :le peuple m'entouraiten pleu-
affectueusement; on me prodigua tous les soins rant, et dévouait à la colère du Ciel l'homme
possibles, etpeu à peu je me trouvai mieux. capable d'une pareille dureté. Quelques clercs
Pharétrius ne paraissait pas, et moi, sentant vinrent me faire leurs adieux après que je fus
mes forces revenir, je songeai à reprendre la sorti de la ville ils disaient à mes gardes
; Ne :

route de Gueuse, impatient désormais d'arriver voyez-vous pas que vous le menez à la mort?
au terme de mon voyage pour goûter enfln un Mais l'un d'eux qui me témoignait grand atta-
peu de repos. chement Va, me dit-il, je t'en supplie,
:
et
Tout à coup on annonce que les Isaures tombeaux mains des Isaures, pourvu que tu le
ont fait irruption dans le territoire de Césarée, sauves des noires. Quelque péril que tu puisses
qu'ils ont incendié un grand bourg et qu'ils se courir, est moins grand que
il celui de rester
livrent partout à leurs habituelles férocités. A avec nous.
cette nouvelle, le tribun dessoldats se meta leur Cependant une noble femme,
« la veuve de
tète et s'élance à la poursuite de l'ennemi. Rufin, était venue me prier de m'arrêter chez
Toute dans l'alarme les vieillards
la ville était : elle, dans une de ses villas, à cinq milles de Cé-
eux-mêmes montaient la garde sur les rem- donné des hommes sûrs pour
sarée, et m'avait
parts. Mais voilà qu'au milieu de la perplexité m'y conduire. La haine de mes ennemis devait
générale, une cohorte de moines, je ne puis me m'attcindre même là. Pharétrius, en effet, n'eut
servir d'une expression plus juste, s'abat sur pas plutôt vent de l'hospitalité qui m'était of-
la maison que j'habitais, et menace d'y mettre ferte, qu'il en témoigna à Séleucie son indi-
le feu et de se porter contre moi aux dernières
gnation et lamenaça de toutes ses vengeances,
violences si je ne quitte aussitôt le pays. Ni les comme je l'ai su depuis. Mais alors et quand
barbares répandus dans la campagne, ni l'état j'entrai dans sa demeure, j'ignorais cette cir-
où ils me voyaient, aucune considération ne put constance; car, venue à moi pour me rece-
les fléchir. Leur fureur était telle, que les pré-
voir, la faible veuve ne m'en dit rien; je
toriens qui m'accompagnaient en furent ef- l'avais entendue recommander à son inten-
frayés car la bande forcenée parlait de se jeter
;
dant de se mettre tout entier à ma disposi-
sureuxaussi, etde leur infliger l'outrage qu'ils tion et, dans le cas que des moines turbulents
se vantaient d'avoir fait subir à d'autres. Mes vinssent encore à m'inquiéter, de réunir les
gardes viennent donc me trouver et me sup- paysans des fermes voisines et de repousser par
plient de les arracher à ces bêtes fauves, dus- la force une insolente aggression. Elle m'enga-
sions-nous tomber aux mains des Isaures. Ins- même
gea à m'établir dans une autre de ses
truit du péril où j'étais, le |)réfet accourut à terres où était une forteresse imprenable. On
mon aide : son intervcutiou ne servit de rien. ne put me décider, etje restai dans la villa sans
4i8 flISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

me douter le moins du monde de ce qu'on crainte d'humilier et de blesser les prêtres de


tiamuit contre moi. Césarée, qui l'avaient si cordialement accueilli
a Au milieu de la nuit, une alerte terrible et qui, plus que personne, déploraient la dé-
vint m'arraclier à mon illusion. Séleucic, ef- loyauté de leur évêque. Enfin, Gu- il arriva à
frayée des menacesde Pharélriusqui réclamait euse, soixante-dix jours après son départ de
mon expulsion immédiate, et n'ayant pas la Constantinople, c'est-à-dire à la fin d'août 404.
force de résister là sesimportunités, recourut à La fièvre qu'il avait gardée plus d'un mois, la
un mauvais expédient pour me faire compren- marche, la chaleur étouffante, la crainte des
dre qu'elle subissaitune indigne contrainte, ce Isaures, les préoccupations de son cœur à l'en-
qu'elle eût trop rougi d'avouer, et nie fit dire droit de son église et de ses amis, l'avaientmis
que les Isaures étaient là. Le prêtre Evélhins se à deux doigts de la mort. Il en
se sentit revivre
précipite dans ma chambre au milieu de la touchant au terme de son voyage. Cependant
nuit, et simulant une grande frayeur Lève- : Cucuse, ainsi que nous l'avons dit, n'était
toi ! brigands arrivent ils sont à
s'écrie-t-il, les ; qu'une pauvre petite ville, si peu importante
deux pas! On —
peutimaginer l'impression que qu'on n'y trouvait ni marché ni médecin elle :

ces paroles firent sur moi. Qu'avons-nous à avait pourtantun évêque. Ala frontière de l'em-
faire, dis-je à Evéthius, puisque nous ne pou- pire, à l'extrémité de cette terre sauvagequ'en-
vons rentrer dans la ville, plus dangereuse ferme la chaîne du Taurus, entre la Cilicie, la
pour nous que les Isaures? — Pour toute ré- Cappadoce et l'Arménie, à cent lieues de Sé-
ponse il me contraignit de partir. baste, à soixante de Mitilène, fort loin de la
a 11 était minuit : [mint de lune au ciel, pas route qui menait de Constantinople à Antioche,
une étoile ; un brouillard épais couvrait la entourée d'une multitude de brigands indomp-
terre. Personne pour me venir
en aide tout le : tables dont le nom seul faisait trembler au loin
monde s'était sauvé. La crainte de la mort, qui toute la contrée, ce triste séjour avait surtout
me semblait imminente, me rendant des forces, un inconvénientfâcheuxpourunhomme d'une
je quitte mon lit malgré l'accablement de la poitrine délicate et malade, né sous le soleil de
fièvre et fais allumerdes flambeaux; Evéthius la Syrie : l'hiver y était long et froid, l'été brû-
les éteint aussitôt. Il ne faut pas, dit-il, révéler lant.On eût dit que la cour assignait au proscrit
notre marche à l'ennemi. Nous avancions au une tombe plutôt qu'un exil. Cucuse, d'ailleurs,
milieu des ténèbres, par des chemins affreux, nousl'avons déjàremarqué, avait des souvenirs
quand mulet qui portait ma litière s'abat et
le particulièrementémouvants pour un évêque de
me jette à terre si rudement que je faillis être Byzance. C'est là qu'était mort l'un des plus
tué. Je me relève néanmoins, et le prêtre Evé- illustres d'entre eux, victime de sa foi et des fu-
thius me donnant la main, je continuai ma reurs de l'Arianisme. Enfermé dans un noir
route avec peine, me traînant ou plutôt rampant cachot, privé de toute nourriture, il faisait peur
dansces sentiers difficiles, au milieu des mon- encore à ses ennemis ; ne trouvant pas que la
tagnes, au bord des précipices, tremblant de la faim le tuât assez vite, ils l'étranglèrent. Ce
fièvre et croyant voir à chaque instant les Bar- souvenir avait quelque chose d'un pressenti-
bares fondre sur nous, carj'ignorais encore de ment, et se dressaitcommeunfantôme sinistre
quelle mystification j'étais l'objet. Pensez-vous, surlaroute de l'exilé, dont le pied, à son entrée
Olympiade, que de tels ennuis, même seuls, ne dans la petite ville, semblait glisser dans le sang
suffisent pas à couvrir bien des fautes?... Et de son prédécesseur.
pourrais-je dire tous les périls, toutes les peines Néanmoins, la fatigue et la maladie l'avaient
qui m'ont assailli dans ce voyage? Maintenant tellement brisé, qu'il parut ne comprendre et
leursouvenirme remplit dejoie;c'estun trésor ne sentir d'abord qu'une chose le repos. Les :

caché dans mon cœur. Je vous prie seulement plus riches de l'endroit étaient accourus à sa
de garder tout ceci pour vous etde n'en parler à rencontre, le priant, à l'envi les uns des autres,
personne. Sans doute les prétoriens qui m'ac- d'agréer leur hospitalité. Mais Dioscore avait
compagnaient et qui ont partagé mes dangers, pris les devants, et ses serviteurs, envoyés jus-
rempliront toute la ville de ces détails. Du qu'à Césarée, avaient demandé en son nom et
moins qu'on ne sache rien par vous * ». obtenu la préférence. Il avait poussé la délica-
Le motif de cette recommandation, c'est la tesse jusqu'à se retirer lui-même de sa maison
* Ckrys., à Olymp. U. afin de la laisser toute à Jean. Tous, du reste;
CIIAPITUE QUARANTIÈME. 419

dans ce pauvre séjour de Cucusc, s'ingéniaient vous inquiétez pas davantage tre la rigueurdu
de leur mieux pour en faire oublier la Irislesse climat. J'habite un appartement commode, où
à leur bote et rivalisaient d'attentions et de toutes les précautionssont prises contrel'hiver.
bons ofOces, en sorte qu'il ne manquait de rien Si l'on peut juger de l'année entière par ces
dans un pays qui manquait de tout'. Cette premiers jours, notre ciel est aussi beau que le
lutte d'affection et de générosité existait surtout ciel d'Antioche. G'estla même température, le
entre Dioscore et Adelpbius, i'évêque du lieu, même air tiède et pur. N'allez pas vous repro-
dont Jean goûtait la conversation et qui lui eût cher l'insuccès de vos démarches et mon séjour
tout abandonné, même sa chaire et son Eglise, en ce lieu. Ne vous aije pas prié, dans mes
si Jean eût pu accepter '. Le ciel, d'ailleurs, précédentes lettres, de ne rien faire pour m'ar-
avait ménagé au saint proscrit une surprise racher d'ici ?.... Quant aux Isaures, il n'y a
douce à son cœur. Une sœur de son père, la pas non plus à vous alarmer; ils sont rentrés
diaconesse Sabinienno, était accourue à la pre- dans leurs montagnes, grâce aux efforts du
mière nouvelle des malheurs de son illustre gouverneur, et je suis plus en sûreté dans celte
neveu, décidée, malgré son grand âge, à le petite ville qu'à Gésarée' ».
suivre jusqu'au fond de la Scythie, s'il l'avait Au fond, le désert, le silence, ce repos inat-
fallu elle arriva à Gueuse le même jour que
;
tendu ne pouvaient déplaire à cette âme re-
lui, et les soins dévoués de celte autre mère cueillie et méditative, fatiguée de luttes et
ne servirent pas peu à rétablir une santé gra- toute meurtrie encore d'un naufrage récent.
vement compromise '. Le prêtre Constantius Après dix-huit ans de travaux sans relâche, elle
l'y avait devancée, etdéjàdepuisquelque temps reprenait, non sans quelque satisfaction, la
il y attendait son maître bien-aimé, auquel jouissance d'elle-même et son essor vers la
toutefois il avait demandé la permission de contemplation, attrait et bonheur de ses pre-
faire ce voyage, car il avait l'habitude de ne mières années. Rien n'allait plus troubler l'in-
rien entreprendre sans son aveu. II venait lui timité de ses entretiens avec Dieu, ni la dou-
porter le témoignage d'une filiale tendresse, ceur de ses relations avec ses amis ! Leur écrire,
partager ses douleurs, et chercher consolation exciter leur courage, compatir à leurs peines,
et appui dans sa propre infortune, car la haine bénir leur dévouement, était dans son exil une
de Porphyre le poursuivait à outrance et l'obli- consolation qu'il se donnait volontiers. Nous
geait à se cacher. avons de lui, datées de Gueuse, un grand nom-
Jean fut surpris de trouver son exil aimable bre de lettres dans lesquelles il se révèle tout
et sembla s'y attacher. Dans plusieurs lettres, entier. On y respire, même dans l'abandon de
du moins, il supplie ses amis de ne plus songer ses plaintes, même dans la plus libre effusion
à une autre destination, de ne faire dans ce de ses sentiments, cette majesté de caractère
sens aucune démarche. «S'ils veulent me rap- qui s'attendrit quelquefois, qui ne s'amollit
procher de la mer, dit-il, et me transférer à jamais. On dirait que la persécution a pénétré
Cyzique, par exemple, ou non loindeNicomé- l'héroïsme de cette âme d'une dose plus forte
die, je le veux bien. Mais hors de là, je préfère de surnaturel. Gette seconde phase de son exis-
rester ici. J'y trouve un grand repos d'esprit tence moins occupée et moins orageuse a quel-
et de corps, et deux jours m'ont suffi pour que chose de plus touchant et pour ainsi dire
effacer les traces funestes démon voyage'....» de plus auguste. Un calme céleste repose son
Onétaitalorsenautomne,et l'admirable beauté regard et ses traits. Son front rayonne, l'auréole
de la saison lui montrait Gueuse sous son as- des élus entoure sa tête.
pect le plus favorable, o Vous regrettez pour On ne connaîtrait pas Ghrysostomesil'onne
moi la solitude de ce lieu, mande-t-il à Olym- connaissait ses lettres. Exilé, captif au fond
piade, et pourquoi? Rien n'est plus doux. Avec d'un désert, il est la pensée et
préoccupation la
un calme par-
la solitude, j'ai le repos, la santé, du monde chrétien tout entier. Des fidèles, des
Qu'importe qu'il n'y ait ici ni agora ni
fait. prêtres, des pontifes accourent pour le visiter,
marché? Tout abonde dans ma demeure. L'évc- lui écrivent pour l'interroger; et sa parole est
que et Dioscore n'ont d'autre pensée, d'autre portée avec ses lettres dans toutes les églises,
souci que de me rendre la vie agréable Ne jusqu'aux dernières limites de la terre civilisée,
a Violent et faible, dit M. Villcmnip, l'empire
• Cliryn., ep.Ua tp. 13. — • là., tp. 125, p. 671. — '
IJ., ep. 3
It 13. — '
M.,tf. 13, 173 et 231. • Chry»., fp. H.

S. J. Cn. — TcME I.
450 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHUYSOSTOME.

se dissolvait de toutes parts. Mais la sociélé grande paix, et me remets peu à peu des fa-
chrétienne, unie dans sa dispersion, ne rele- tigues et des souffrances d'un long voyage.
vant que d'elle-même et plus forte que toutes Ecris-moi souvent, et parle-moi de ta santé, de
les souiîrances, que tous les schismes, s'enten- tes affaires, de ton bonheur : tes lettres me se-
dait, se parlait, s'animait du même zèle sur ront, dans mon isolement, une précieuse con-
tous les points du monde. Chrysostome écrivait solation' ».
en Orient aux évêques de Jérusalem, de Césa- S'.iJrossant de nouveau aux évêques, aux
rée, de Scythopolis, d'Adana, de Corinthe, de prêtres persécutés: «Vous êtes heureux, leur
Thessalonique et d'une foule d'autres villes, à écrit-il, trois fois heureux d'être en prison, de

des moines de Syrie, de Phénicie, d'Egypte ; porterdeschaînes Vous vous êtes concilié tous
1

en Occident à l'évêque de Carthage, Aurèle, les cœurs; dans les pays les plus lointains vous

qui fut le protecteur d'Augustin aux évêques ; avez des amis. On ne parle partout que de votre
de Milan, de Brescia, d'Aquilée, de Salone, et fermeté, de votre courage, de votre noble ca-
à beaucoup de prêtres de Rome ;
partout à des ractère. Rien n'a ébranlé votre résolution : ni
femmes de l'Eglise,
illustres, ferventes alliées le tribunal, ni le bourreau, ni
menaces, ni les
sentant croître leur enthousiasme par les mal- les tortures, ni le juge furieux, ni vos adver-
heurs de l'éloquent pontife, et placées si haut saires frémissants qui vous entouraient d'em-
dans sa conflance, que c'est à une d'elles, Olym- bûches, ni les noires calomnies, ni les accusa-
piade, qu'il adresse l'exposé le plus complet de tions atroces, ni la mort elle-même que vous
ses souffrances et de sa foi Image de ses aviezsousles yeuxtous les jours.
Il n'y a qu'une

souQrances et de sa fermeté, les lettres de Chry- voix pour vous louer et vous exalter vos en- :

sostome sont éloquentes comme ses discours'» nemis eux-mêmes, les auteurs de vos maux,
Il instruit, il console, il encourage; rarement vous rendent justice au fond du cœur. C'est
il se plaint, presque toujours il exalte le prix le propre de la vertu, que ceux quila combattent
surnaturel qui s'attache aux épreuves sainte- sont obligés de l'admirer; et c'est le propre du
ment endurées. Il parle de l'Eglise avec amour, péché, que, tout en s'y livrant, on le condamne.
de ses amis avec effusion, de ses ennemis avec Voilà oij vous en êtes sur la terre; ce que vous
réserve, de l'empereur avec respect. Une fois méritez pour le ciel, qui pourrait l'expliquer?
ou deux, la méchanceté du vieux Arsace, l'hor- Vos noms sont inscrits au livre de vie vous :

rible déloyauté de Pharétrius, lui arrachent comptez parmiles martyrs. Je le sais avec cer-
quelques paroles sévères et d'une amertume titude, non que je sois monté dans le séjour de
trop justifiée par l'affreuse conduite de ces deux Dieu, mais je l'ai appris des divins oracles. Car,
hommes'.Hors de là, son langage ne trahit ni si Jean, le fils de la femme stérile, le citoyen

aigreur, ni rancune, ni trouble, et l'on ne sait du désert, est réputé martyr et le premier des
ce qu'il faut le plus admirer de sa charité que martyrs parce qu'il a été emprisonné et mis à
rien n'altère, de son abnégation que rien n'é- mort pour avoir blâmé le crime qu'il ne pou-
tonne, ou de son courage que rien n'abat. Mar- vait empêcher, vous, qui défendez les consti-
tyr d'une grande cause, il en a la grandeur. Il tutions de nos pères que d'autres foulent aux
semble parler du bord éternel de la vie à tra- pieds, et le sacerdoce que d'autres envahissent
vers le tombeau. et souillent, vous qui souffrez pour la vérité et
« Tu m'as rempli de courage et de joie, écrit- pour faire cesser d'infâmes calomnies, quelle
il à Pœanius, lorsque, après m'avoir annoncé récompense n'aurez-vous pas ? // ne fest pas
de tristes nouvelles, tu as ajouté ce mot qu'il permis d'avoir la femme de ton frère, disait le
faudrait avoir sans cesse à la bouche Que Dieu : magnanime Prophète. Vous, vous avez dit :

soit glorifié en toutes choses ! Ce mot porte au Nous voilà, livrez-nous au supplice, épuisez
démon un coup terrible dans quelque péril; contre nous tous les genres de tortures, nous
qu'on se trouve, il donne de la sécurité. Il suf- ne pouvons mentir nous préférons mille fois
;

fit de le prononcer pour dissiper les nuages de la mort Sans doute, vous n'avez pas été déca-
!

la tristesse. Ne cesse donc de le redire toi-même pités mais vous en avez souffert davantage.
;

et de le recommander aux autres.... Quant à Perdre la tête en un clin d'œil est moins affreux
ma résidence, que personne ne s'en occupe. que de lutter si longtemps avec les menaces,
Gueuse est un désert; mais je jouis d'une la terreur, les cachots, les bourreaux, les laa-,
• VUlem., Tabl. de rél.„iuen-e, p. 207. _ '
Chrjs., ep. 1:5 et 204. • Chrys., ep. 193.
CHAPITRE QUARANTIÈME. 4SI

giies (les sycophanles, leurs moqueries, leurs teiups, et ([ue tu me gardes encore. Je n'ignore
quolibets, leurs outrages Donc réjouissez- pas, pieux et vénérable seigneur, tout ce que
vous, tressaillezd'allégresse. Soyez fermes, son- tu as dit et fait tant de fois pour notre cause. Si
gez au bien qu'a produit votre exemple. Ayez cela n'a point abouti, il n'en est pas moins vrai
sans cesse à la bouclie celte parole de l'Apolre : que Dieu demeure le débiteur de ta charité, et
Les souffrances de la vie présente n'oyil aucune que tu as droit à ses récompenses. Mais moi,
proportion avec la qloirc qui doit wi jour écla- je t'ai voué une reconnaissance sans fin, et je

ter en nous. Atlemlez, l'épreuve va finir, la dé- ne cesse de louer ta piété devant tout le monde;
livrance aura lieu. Priez pour moi; car, bien conserve moi toujours les mêmes sentiments.
que de grandes distances nous séparent, et de- Condamné à vivre dans ce désert, j'éprouve
puis longtemps, je baise vos tètes vénérées, une grande consolation à posséder dans la Ci-
j'ouvre mes bras pour vous accueillir comme licie un si grand trésor, tant de richesses ca-

des vainqueurs déjà couronnés, et j'attends chées : je veux dire l'attachement d'une âme
pour moi-même, de notre mutuelle affection, aussi clairvoyante, aussi généreuse que la
le plus grand avantage. Or, s'il est permis d'as- tienne D.
pirer à la récompense parce qu'on aime, à quoi Tantôt il écrit à Jean de Jérusalem, à Théo-
ne pouvez-vous aspirer, vous que tantde com- dose de Scylhopolis, à Euloge de Césarée en
bats ont rendus illustres '
? » Palestine, à Ruffin de Rhodes, à Anatole d'A-
Tantôt au gouverneur de Césarce
il écrit dana en Cilicie, aux évêques Bassus, Porphyre,
pour le remercier de ses bons offices « Gueuse : Uibicius, Maris, Moïse, à une foule d'autres,
est un lieu bien solitaire mais cette solitude ; pour remercier de leur dévouement, leur
les
m'allrisle moins qu'elle me récrée par la paix demander des lettres, les exhorter à la persé-
que j'y goûte et que rien ne vient plus trou- vérance dans leur horreur pour le schisme,
bler. Je suis ici comme dans un port, je respire dans leur zèle pour une cause qui est celle de
et me répare peu à peu des souffrances de mon l'Eglise et de la justice '. « Je te rends grâces,
voyage. En le parlant ainsi, je suis sûr de te dit-il à Lucius, l'un d'entre eux, je fais sans
faire plaisir, car je ne puis oublier tes généreux cesse ton éloge; car, au milieu de tant d'é-
efforts pour écarter de coupables agressions et cueils et de naufrages, tu n'as pas quitté le
me procurer quelque sécurité. Je le dis partout droit chemin, et l'on t'a vu blâmer les choses
où je vais, et je t'en conserve une reconnais- qu'il fallait blâmer, éviter les hommes qu'il
sance non médiocre. Seigneur digne de toute fallait éviter. Nous t'engageons à
dans persister
affi'ction. Accorde-moi comme une grâce qui cette volonté énergique, et à montrertoujours
me rendra heureux, non-seulement de m'ai- plus d'ardeur pour la cause juste. Ta sais, en
mer, mais de me faire jouir de tes lettres ' ». effet, quelle sera votre récompense, quelles
Tantôt c'est à l'évèque Théodore, celui de couronnes vous attendent, si, tandis que les
Mopsueste sans doute ',1e vieil ami de ses pre- autres tombent, vous marchez d'un pas ferme
mières années, celui que, jeune lui-même, il dans la bonne voie, appliquant ainsi aux maux
avait arraché aux enivrements de la jeunesse, présents le meilleur des remèdes car, bien ;

qu'il adresse ces paroles «S'il m'eût été pos- : que vous soyez en petit nombre, la vigueur
sible d'aller te joindre et goûter près de toi le que vous avez déployée vous assure la victoire.
bonheur de ton amitié, je me serais hâté de le Rien n'est plus fort que la vertu unie au zèle
faire; je veux du moins suppléer par mes let- pour les intérêts de l'Eglise; rien n'est plus
tres à ce que je n'ai pu obtenir autrement. propre à attirer le secours divin. Faites donc
Quoique relégué aux limites du monde, je n'ai ce qui est de votre devoir, et vous serez comme
point oublié cette affection si vraie, si sincère un rempart inébranlable pour toutes les Eglises
que tu m'as témoignée dès le début, il y a long- du monde ' d.
« Puisque
ta charité, qui embrasse l'univers,
• Chry»., l. 3, p. 526. B. B. — ' M., ep. 236. écrit-il à Elpidiusde Laodicée, veut aussi s'oc-
Chryt., ep. 112. Le P. Sflting (p. 621 «'efforce de prouver que

j

!• Tbcodor» en question ent celui de Tyanea en CapijaJoce, non cuper de moi et savoir où je suis, ce que je fais,
celui de Btfop«ue^tt en Cilicie. Set raisons ne manqnenl pan de va. quelles sont les personnes ijui forment ma so-
leur i cependant l'opinion contraire, soutenae par Tillemoot et par
&iof)t>aucon, nous semble s'ailjpler beaucoup iiii>:ux au texte d<: la ciété,.... je vais te le dire pour te faire plaisir...
lettre. Théodore fie Ty.ines avait embrassé le parti de Jean, mail
Je suis relégué à Cucuse, dans un désert mais :
avec nr.c cer aine frcjifinir, p'ii'qii'jl nv^ail luit qu'apparaître à Con-
•Un.iuoplc et t'était aussitùl rente. ' Cbrys , «p ««, 87, C8, 89, iO«, lOP, 110, etc. . es.
452 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

ce désert ine plaît, j'y trouve paix et sécurité ; d'un tel homme les aimables reproches qu'il
tout le monde m'entoure de bons offices. Grâce fait à son ami, l'évêque Cyriaque. « Puis-je
à tes prières, toute trace de maladie a disparu. donc le supporter? Est-ce tolérable? Auras-tu

Les Isaiires nous laissent tranquilles; je jouis l'ombre d'une excuse à fournir? Privé de toi
avec délices d'un repos parfait. J'ai près de moi depuis longtemps, je vis dans le deuil et le
les vénérables prêtres ConstantiusetEvéthius, trouble, et tu n'as pas daigné m'écrire un fois.

et j'espère que les autres, délivrés de leurs Moi, je t'ai adressé plusieurs lettres restées sans
chaînes, vont accourir bientôt. Et toi, pieux réponsc,ettu penses n'avoir qu'une petite faute
seigneur, continue à prier pour moi, à qui tu à le reprocher quand tu pousses l'ingratitude

es si cher, et à m'écrire souvent ' », si loin I Tu me causes une vive perplexité par
Tantôt il gronde paternellement les prêtres ton silence, que je ne m'explique pas, alors
de Constantinople qui négligent d'assister aux surtout que je pense à cette affection si sincère
synaxes et d'instruire les fidèles, o Je n'ai pas et si vive dont tu m'as donné la preuve. Je ne
été médiocrement afQigé d'apprendre que le peux accuser ta paresse, car je connais ton ac-
prêtreThéophile et toi vous vous relâchiez. Je tivité ; ni la peur, car je sais ton courage ni ; la
sais, en effet, que l'un de vous n'a fait que cinq maladie, car d'abord elle ne suffirait pas à l'ar-
homélies jusqu'au mois d'octobre, l'autre au- rêter, et j'ai appris d'ailleurs que tu jouis d'une
cune. Rien ne m'a été plus pénible depuis que snnté parfaite. Qu'est-ce donc? Je ne puis le
je vis dans cette solitude. Si je suis mal informé, dire; je sais seulement que je souffre de ton
hâtez-vous de me détromper. Si la chose est silence. Enlève-moi ce chagrin, car, après cette
vraie, portez-y remède. Réveillez mutuelle- lettre reçue, ne pas te hâter de m'écrire, c'est
ment votre zèle, car vous me causez une me livrer en proie à une extrême douleur • ».
grande douleur, quoique j'éprouve pour vous Il écrit à Chalcidie d'Anlioche, la sœur de

une vive affection. Mais ce qui est autrement Constantius: « Je connais l'affection que vous
grave la nonchalance où vous vivez, la négli-
: m'avez vouée depuis longtemps je sais qu'elle ;

gence de vos fonctions appellent sur vos têtes vit toujours dans votre cœur, et que l'absence,
le jugement de Dieu. Et qui donc pourrait loin de raffaiblir,n'a fait que l'embraser.... De
vous excuser, vous, si, tandis que les autres mon côté, je vous porte toujours dans mon
sont persécutés, exilés, vous abandonnez à lui- âme, comme si votre image y était gravée, et
même ce peuple battu de la tempête, sansson- rien ne peut vous effacer de mon souvenir,
ger à le secourir par votre parole, même par bien que je vous écrive rarement faute de cour-
votre exemple ' ? » riers. Puisque vous ne l'ignorez pas, donnez-

tJuel affectueux abandon dans ces quelques moi de temps à autre des nouvelles de votre
lignes adressées à Herculius 1 « Ce n'est pas la santé. Et quoique je fasse mille questions à
peine de chercher des excuses à ton silence et ceux qui viennent de là-bas, je n'en éprouve
d'alléguer la rareté des courriers, honorable pas moins le perpétuel désir de recevoir des
seigneur digne de toute affection. Que tu lettres de vous ' ».
écrives ou que tu te taises, rien ne peut chan- Quelle douce et sainte philosophie Quel pro- !

ger l'opinion que j'ai de ton amitié. Tu l'as fond sentiment de l'immortalité dans cette let-
assez prouvée par les faits, et toute la ville sait tre au préfet Studius qui pleurait la mort de
quel amour ardent
et presque insensé tu pro- son frère a Doué, comme tu l'es, d'une haute
:

fesses pour moi. Je désire cependant recevoir sagesse, tu n'as pas besoin de mes paroles pour
de ton excellence quelques détails sur ta santé. supporter avec résignation le départ de ton
Si être assuré de la mienne est pour toi, comme frère je dis départ parce que je ne veux pas dire
:

tu le dis, un dédommagement de notre sépa- mort. Cependant, pour acquitter ma dette, j'ex-
ration, tu dois comprendre de quel prix est horte ton excellence, honorable seigneur, à te
une pareille assurance pour un homme qui montrer dans cette circonstance digne de toi-
sait aimer, toi qui aimes si bien. Aussi n'ai-je même non que tu doives l'interdire toute af-
;

rien tant à cœur. Accorde-moi donc celte grâce: fliction tu ne le pourrais pas, car lu es homme,
:

ce sera dans mon triste exil une grande con- ton âme habite un corps, et tu viens de perdre
solation ' » le meilleur des frères ; mais ta douleur doit
^a aime à trouver sur les lèvres austères avoir ses bornes. Tu sais, en effet, la fragilité
• Cbrys., e/,. 111. _ ' /,f., rp. 203. — 'W., ep. 201. « Chrys., ep. 102. — ' Jr!., ep. 39,
CHAPITRE QUARANTIÈME. 433

des choses humaines qui passent comme l'eau dans ce désert, jusque-là sans nom, regardé
du lleuve, en sorte que ceux-là seuls doivent maintenant comme le sanctuaire de la vertu
être censés heureux qui ont fini dans une bonne persécutée, le temple d'un martyr vivant. Prê-
espérance cette triste vie. Ce n'est pas vers la tres, laïques, hommes, femmes, chacun tenait

mort qu'ils s'acheminent, mais vers la récom- à offrir par lui-même l'hommage d'une affec-
pense après combat, vers la couronneaprès
le lueuseadmiration; chacun voulait voir le noble
la lutte, port après la tempête. Que ces
vers le proscrit, recueillir un mot de sa bouche, être

pensées soutiennent ton courage! Nous, dans béni par lui, emporter au fond du cœur un
notre douleur qui n'est pas légère, nous son- écho de sa voix, un reflet de son visage.
geons aux vertus de cet homme de bien. Leur Aiirès l'avoir vu, on voulait le voir encore;
souvenir qui nous console doit ùlre uu grand tout visiteur devenait un ami. Ceux à qui le

adoucissement à ta peine. Si celui qui nous a voyage de Gueuse était impossible, sollicitaient
quittés eût été un méchant, couvert de crimes, comme une faveur quelques mots de la main
il faudrait pleurer et se lamentermais tel qu'il ; de Jean. « vue des yeux
Je ne vous ai jamais
était et que toute la ville l'a connu, modeste, du corps, écrivait-il à Sévera mais l'œil de ;

doux, rigide observateur de la justice, d'une mon âme vous contemple, et pour celui-là
franchise et d'une loyauté parfaites, d'une âme il n'est point de distance ». Les évoques qui '

grande et forte, plein de dédain pour les choses n'avaient pu le visiter s'en excusaient par let-
d'ici-bas, il faut te réjouir et te féliciter toi- tres, el se faisaient représenter près de lui par
même d'être précédé dans une vie meilleure quelqu'un de leurs prêtres, o Etre aimé de la
par un frère comme celui-là, qui a placé dans sorte et par des hommes comme vous, répon-
un asile sûr et inviolable les biens qu'il possé- dait-il, ce n'est pas une petite consolation pour
dait au sortir de ce monde. Garde-toi donc, celui qui est l'objet de tels sentiments. Je re-
seigneur bien-aimé, de te laisser abattre par garde votre amitié comme un trésor, comme
ton deuil. Ne sois pas inférieur à toi même, et un amas de richesses inestimables ' ». On se
daigne m'apprendre que ma lettre t'a fait du disputait l'honneur de lui venir en aide dans
bien '
». sa pauvreté; car, après avoir été si longtemps

Nous ne savons s'il faut demander pardon au le père et le soutien des pauvres, il n'avait em-
lecteur d'avoir accumulé sous ses yeux tant de porté de Constantinople que le plus complet
citations. H nous a semblé ()ue ces extraits de déaùment. Mais son indigence abondait de
la correspondance intime d'un grand homme tout, et il bien des personnes en re-
affligeait
étaient plus propres à le faire connaître que nos poussant les cadeaux d'une affection trop gé-
discours et nos réflexions. L'orateur est des- néreuse à ses yeux.
cendu de sa tribune, le pontife a déposé son vous saviez, mandait-il à Cartérie, quel
a Si
bâton pastoral, l'homme nous api)araît lui- droit vous acquérez à ma reconnaissance en
même dans l'abandon de ses pensées. Et si m'écrivantfréquemment, en répandantsurvos
nous découvrons tout ce qu'il y a de tendresse lettres le miel de votre charité, vous feriez tous
cachée au fond de cette vie austère, nous sen- vos efforts pour m'écrire tous les jours. Je ne
tons toujours, même dans ses paroles les plus crois plus habiter Gueuse ni vivre au désert,
familières, connue la trace lumineuse des com- tant vos lettres me font de plaisir Mais quelle I

munications divines. marque de bienveillance et do sollicitude ne


Du reste, parmi les lettres de Chrysostome, m'avez-vous pas donnée en décidant mon sei-
beaucoup sonlà l'adresse d'Antioche, et témoi- gneur et bien-aimé frère Libanius à se mettre
gnent des souvenirs qu'il avait laissés dans sa en route, à entreprendre ce voyage ? Je m'en
patrie. La ville s'était crue frappée elle-même réjouis, j'en suis heureux. Rien, en effet, no
dans la personne de son plus illustre enfant. peut être comparé à une véritable affection.
Accouru près de lui le premier, Libanius • Vous me demandez de vous conserver toujours
lui porta les condoléances et les sympathies les mêmes sentiments qu'autrefois; moi Je
de ses concitoyens. Bientôt on les vit arriver ne puis me contenter de celte mesure, et jo
en foule près de l'exilé. Gueuse devint un but m'applique tous les jours à les augmenter ; en
de pèlerinage. De tous les points de la Cilicie cela je me rends service à moi même car jo :

el de la Syrie, d'Antioche surtout, on affluait ne cesse de me représenter dans ma pensée !a


' i-h.^.., r^i. a;. — ' Id., ep. 232. '
Cbr>8., fp. a2.\ - =
/J; ep. 27.
454 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

noblesse de votre âme, voire sincérité, voire quoi nourrir autour de lui une foule d'in-
<l( licatesse, votre bonté, votre caractère loyal, digents, racheter aux Isaures de nombreux
ennemi de toute dissimulation, et ces souve- captifs, et secourir efficacement les missions
nirs me causent une grande joie. Assurée de de la Phénicie, de la Perse, de l'Arabie, et de
mon attachement, ne vous fâchez pas si j'ai quelques pays occupés par les Goths.
renvoyé ce que votre vénération m'avait Mais ces cadeaux, ces hommages, cette af-
adressé. Je l'ai reçu cependant et j'en ai joui fluence de visiteurs attestaient autre chose
par cœur; mais, ne manquant de rien, je
le que ou l'admiration d'Antioche. C'é-
la pitié

vous ai priée de garder cela pour un autre tait aussi une manière de protester contre la

temps. Si jamais j'éprouve les rigueurs del'in- tyrannie de Porphyre et ses infâmes men-
digence, vous verrez avec quelle liberté je ré- songes car le sacrilège usurpateur ne se bor-
;

clamerai ce que je repousse aujourd'hui ;cene nait pas à appeler la violence au secours deson
sera, d'ailleurs, que vous obéir. Vous me di- intrusion. Ayant adopté comme le meilleur
siez, en effet, à la fin de votre lettre Montrez- : moyen de prosélytisme les amendes, la prison,
moi votre confiance en usant de ce qui est à la confiscation, et se trouvant trompé dans son

moi comme de votre bien propre. Donc, — attente, il en conçut plus de haine contre les

puisque vous voulez que je sois dans cette dis- amis de Jean dont le nom, qui lui semblait
position et que je regarde ce qui vous appar- l'âme de cette résistance, résonnait sans cesse
tient comme m'appartenaut, envoyez-moi ce à ses oreilles comme une accusation et une me-
que je demanderai, quand je le demanderai, nace. Delà, son acharnement à les poursuivre
el non lorsque je n'en ai nul besoin. C'est la de ses fureurs, et surtout à calomnier ce grand
meilleure manière de prouver que j'entre dans nom par eux vénéré. C'est à ces calomnies
vos vues; el vous me témoignerez votre charité qu'ils répondaient par leurs visites à Cucuse.
sincère et votre respect, en me pardonnant Quant à Jean, il se borna à laisser écrire par
mon refus et m'écrivant au plus tôt que vous son ami Constantius cette lettre où respire
n'en êtes pas blessée. Jusque-là je serai dans toute la douceur d'une âme vraiment sacer-
une grande inquiétude, par la crainte devons dotale.
avoir fait de la peine.... 11 est bon que vous sa- « Votre piété eût dû ne pas se laisser sur-

chiez que je n'ai pas cherché à m'excuser au- prendre par les paroles qu'on vous a dites,
près d'autres qui avaient pour moi les mêmes mais chercher avec attention la vérité dans ce
procédés et qui étaient fort de mes amis. 11 m'a flot de mensonges : car si l'on prend pour des
suffi de refuser ce qu'ils m'envoyaient. Mais je faits tout ce qui se débite dans le public, il n'y
tiens à me justifier à vos yeux, et je vous prie a pas de réputation qui ne soiten péril si, au;

en outre de ne pas vous fâcher c'est le lan- : contraire, c'est par les lois el parles tribunaux
gage que je ne cesserai de tenir, jusqu'à ce que qu'on veut arriver à connaître la vérité, je
vous m'ayez rassuré et si je reçois une lettre
; m'offre volontiers à être jugé par vous, pourvu
selon mes vœux,jecroiraiavoir reçu mille fois que la calomnie ne lance pas contre moi de
plus que ce que vous m'avez offert ». '
nouveaux traits. Je crains, en effet, après la
La bonté de ses amis le condamnait à renou- manière dont vous m'avez traité, je crains les
veler tous les jours ces refus -. L'un d'entre eux ombres mêmes et les fantômes. Des amis ont
ayant insisté pour ne pas reprendre ses ca- trahi l'amitié, et les ennemis ont aiguisé le
deaux, Jean les expédia aux missionnaires de mensonge. Vous avez tout fait pour que je fisse
Phénicie par le messager même qui les lui naufrage au milieu du port. Mais, quoique
avait apportés et qu'il enrôla dans la milice chassé de la ville et arraché de mon Eglise, je
évangélique de Constantius. A Olympiade seule suisrésoluàtoutsouffrir, mêmeles plus grands
était réservé le privilège de pourvoir à ses be- supplices, plutôt que de m'écarter de la modé-
soins; et, quoique proscrite, quoique privéede ration évangélique et de manquer de patience;
ses biens, elle le faisait avec une prodigalité car je sais, d'une manière certaine, que la so-
touchante qui tournait au profit des malheu- litude est plus sûre que
que les bêtes
la ville, et
reux car le pieux exilé trouvait, dans le su-
; fauves sont plus douces que certains amis ». '

perflu d'une existence extrêmement sévère, de


Chrys., ep. 233. C'est le P. Stilting qui attribue cette lettre à
• Chry»., ep. 232— Id., ep. 50, 51, 61 et 35. Coastautius, attribuée par d'autres à JeaD,
CHAPITRE QUARANTE-UNIÈME.

ClIAPÎTRE QUARANTE-UNIEME.

Les évêques persécutés recourent à Rome. —


Lettres du
f ape à Jean et à l'Eglise de Constantinople. —
Lettres d'Honorius à
(OU frère. — Mort d'Arsace. — Election d'Atlicus. —
Députés du papo indiniiciueut traités. —
luûoceut rompt toute comoiu-
nioa avec les Oricnlaui ennemis de Jean. —
Litire de Jtau au Souverain l'ontife.

Eudoxie n'était plus, mais son esprit lui sur- de quinze, de vingt-cinq, de quarante évêques,
vivait. Du fond (.le sa tombe, elle meiiaitencore de tout le clergé d'Antiocho, de tous les prélats
l'intrigue qui menait son mari. Aussi violent de Carie, et les décrois impériaux qui frap-
que Arcadius
faible, aussi entêté (|u"ignoraiit, paient du bannissement et de la confiscation
exagérait dans ses rescrilslts colères de la fac- quiconque recevait dans sa demeure un clerc,
tion. La proscription do Jean, accordée à regret un simple fidèle de la communion de Jean,
aux instances de sa femme, l'avait jeté dans l'hisieurs s'étaient munis de documents au-
une espèce de trouble qui se traduisait en me- tliouliques devant lesquels tombaient les ab-
sures arbitraires et cruelles contre lesamisdu surcltscalomnies débitées contre le saint arche-
proscrit. Toute sjinpatbie en faveur du i»onlifc vêque dont iasagesse administrative, démontrée
lui semblait une révoltecontre l'empereur. Le avec évidence, égalait la charité. Le nombre de
nom du grand exilé redit sans cesse autour de ces réfugiés, parmi lesquels des hommes émi-
lui l'i m porlunaitconmie un reproche de sa cou- nonts, tels que Cyriaque deSynnade, Eulysius
pable faiblesse, comme une protestation de l'E- d'Apamée, Palladed'Holcnople,VallagasdeNi-
glise opprimée. Il eût voulune plus l'entendre, sibo, Cassien, célèbre depuis par ses travaux,
et faire disparaître avec le dernier doses parti- croissaitde jour en jour. Rome ouvrait ses
sans tout souvenir d'un homme qui était à ses bras aux pieux fugitifs, et leur faisait en souve-
yeux la personnification et le drapeau de l'indé- raine du monde les honneurs de l'hospitalilé.
pendance du Sacerdoce. Cherchant à étourdir Car, déchue de ses gloires antiques, dépouillée
le remords d'une injustice par des injustices d'une puissance longtemps redoutée et dé-
si

nouvelles, il proscrivait parce qu'il avait pros- dans sa mission chrétienne


testée, elle puisait
crit, et multipliait les victimes. Jamais, peut- une grandeur supérieureà toutes les grandeurs
être, même
aux [)lus mauvais joursde'V'alens et qu'elle avait perdues. Elle n'avait plus dans ses
deConstance, l'Eglise d'Orient n'avait subi plus mains le glaive vainqueur qui courbait à ses
rude épreuve. La mer était couverte de fugitifs. pieds rois et peuples, mais elle avait reçu du
Evèques et prêtres, tous ceux qui pouvaient se Ciel le sceptre des âmes, elle régnait sur le
dérober par lafuite aux fiiroursde la cour, cou- monde de la pensée, etplus que jamais la terre
raient à Rome implorer justice et appui. De si- était soumise à ses lois. Vers elle se tournaient
nistres nouvelles y arrivaient avec eux, et rem- les regards comme vers ce sommet sacré dont
plissaient de douleur et d'indignation la ville parle le Prophète et d'où tout secours doit venir.
éternelle. Ils racontaient avec d'émouvants dé- Elle était l'asile et le port de tous les grands
tailsl'enlèvement de Jean, sa déportation à naufragés, le suprême recours desgrandes vic-
Gueuse, les souffrances des fidèles, l'audace des times de la tyrannie et de l'injustice. En elle
intrus, les sacrilèges insultes faites aux jjrèlros, palpitaient toutes les espérances de l'humanité;
aux ponlifeseux-mèmescbargés déchaînes, fla- elle était lecœur et la tête de l'univers. Les
gellés, torturés, entassés dans les cachots pêle- amis de Jean, les martyrs de sa cause furent ac-
mêle avec les voleurs elles assassins. A l'appui cueillis chez Pinien, le mari de Mélanie la
de ces tristes récits, quelques uns montraient Jeune; chez Proba, veuve de l'illustre Anicius,
sur leur corps meurtri les traces encore ré- la plus noble des dames romaines; chez Ju-
centes du fouet et de la question d'autres pré-; lienne, la mère de Démétriade; chez Italica,
sentai jiil de; lettres, dts prolcslalioûs signées louée par saint Jùôinc et suiulAusitSjlin, dau^
m HISTOIRE DE SAINT JEAN CIIUYSOSTOME.

les maisons les plus puissantes de la ville impé- fois répétée de votre récit m'a fait comprendre
riale. Us faisaient de l'état de l'Eglise en Orient à quelles épreuves, àquelles difficultés était en
des peintures lugubres. butte la foi. Detels maux ne peuvent être adou-
Ces tristes nouvelles affligeaient surtout l'au- cis que par la patience: car notre Dieu mettra
guste chef de l'épiscopat. Dès qu'il connut le bientôt fin à de si graves afflictions, et il sera
départ de Jean et sa dépoitalion en Arménie, bon de les avoir subies. C'est le sentiment que
il lui adressa ces nobles paroles, dignes de ces vous avez vous-même exprimé au commence-
deux grandes âmes, dignes de la sainte ma- ment de votre lettre, et j'ai donné des éloges à
jesté de l'Eglise romaine : cette piété courageuse qui s'excite à la patience
« A Jean, notre frère bien-aimé, Innocent. paf les témoignages des Ecritures, et qui a
a Quoique l'iionime innocent doive attendre prévenu, en m'écrivant, les consolations que
tout bien et implorer de Dieuseul miséricorde, vous deviez attendie de moi. C'est une grâce
cependant nous qui conseillons la résignation, que Notre-Seigneuraccorde d'ordinaire à ceux
nous l'adressons cette lettre par le diacre Cy- qui le servent, qu'au plus fort de leurs épreu-
riaque, de peur que l'injustice n'ait plus de ves ils peuvent se consoler eux-mêmes, en pen-
force pour opprimer que la bonne conscience santque tout cequ'ils souffrent, les Saints l'ont
pour faire espérer. Ce n'est pas à toi, le doc- souffert avant eux. Nous-même, nous puisons
teur et le pasteur de tant de peuples, qu'il faut des consolations dans vos paroles; car il s'en
apprendre que les hommes les plus vertueux faut bien que nous soyons étranger à votre
sont toujours éprouvés, afin de montrer s'ils douleur, puisque nous sommes persécuté en
persévèrent dans leur courage ou s'ils succom- vous. Et qui pourrait tolérer de tels attentats
bent à l'affliction, et que la conscience est un de la part de ceux-là mêmes qui devraient avoir
appui inébranlable contre les malheurs immé- plus de zèle pour la paix et l'union? Aujour-
rités. Qui ne sait pas les dominer par sa fer- d'hui, par le renversement de tout ordre, ou
meté donne de lui-même une mauvaise opi- chasse de leurs églises des prêtres irréprocha-
nion ; car celui-là doit pouvoir tout supporter, bles, et tout d'abord notre frère et coopérateur,
qui se confie d'abord à Dieu, puis à sa con- votre évêque Jean, condamné sans être en-
science. Le juste peut être exercé à la constance; tendu, sans qu'aucune accusation ait été por-
il ne peut être vaincu, parce que son àme est tée ou même connue. Quelle est donc cette cri-
prémunie par lesdivines Ecritures. Et, en effet, minelle pensée? Pour ravir à un évêque tout
ces livres sacrés que nous expliquons aux peu- moyen d'obtenir ou de réclamer justice, on
ples sont remplis d'exemples qui attestent que l'arrache à son siège, et, vivant encore, on lui
presque tous les Saints ont été diversement donne un successeur ; comme si l'épiscopat
persécutés, passés en quelque sorte au creuset, inauguré par l'intrusion pouvait avoir ou faire
et à ce prix ont obtenu la couronne de la per- jamais quelque chose de légitimel Nous ne
sévérance. Qu'il console donc ta charité, très- voyons pas qu'on ait osé rien de pareil au
cher frère, ce témoignage de l'âme qui dans les temps de nos pères; au contraire, tout cela a
tribulations est le soutien de la vertu. Car sous été interdit, personne n'ayant reçu le pouvoir
les regards du Christ, notre maîlre, la con- d'ordonner un nouvel évêque à la place d'un
science purifiée jettera l'ancre dans le port de é\êque qui vitencore; car l'ordination réprou-
la paix ' ». vée de l'un n'enlève pas à l'autre sa dignité, et
Cette lettre au pontife exilé fut suivie d'une celui-là n'est pas évêque qui usurpe l'épiscopat.
autre au troupeau qui [ileurail son pasteur. Quant à l'observation des Canons, nous disons
«Innocent, évêque, aux prêtres, aux diacres, qu'il faut uniquement obéir à ceux de Nicée,
à tout le clergé et au peuple de l'église deCon- les seuls que l'Eglise doive suivre et recon-
stanlinople, ses frères bien-aimés, qui sont naître. Si l'on en produit d'autres qui diffèrent
soumis à l'évêque Jean, salut. des Canons de Nicée et soient l'œuvre des héré-
Par les lettres de votre charité que m'ont tiques, les évoques catholiques ne peuvent que
apportées le prêtre Germainet le diacre Cassien, les rejeter, car il permis de mêler les
n'est pas
j'ai appris avec une sollicitude pleine d'anxiété inventions de l'hérésie aux canons catholi-
les choses lamentables dont vous avez mis le ques.... Et non-seulemeut de tels Canons ne
tableau sous mes yeux; et la lecture plusieurs doivent pas être adoptés, mais nous disons qu'il
• Clirys., t. 3, p. &22i SoïSIB., 1. 8, c. 26. faut les cuudumuer avec les enseignements
CHAPITRE UUARANTE-UNIÉME. 481

hérétiques et schismatiques, comme l'ont fait humain, par une profanation tncffable, a souillé
avant nous clans le concile de Sardiciue les lesacrement des cieux. A ces nouvelles, je l'a-
évèques nos prédécesseurs. Il vaudrait mieux, voue, nous avons été profondément ému. Qui
frères Irès-honorés, condamner ce qui a été pourrait,aprèsdetelsatteiitats, ne pas redouter
bien fait, moindre autorité à
que de donner la la colère divine ? Qui pourrait croire qu'il n'y
ce qui a été fait contre les canons. Mais que a pas là un péril suprême pour le monde ro-
ferons-nous, quant à présent, pour remédier main pour tous les hommes, lorsque le Dieu,
et
aux maux que vous signalez? Lejugement d'un fondateur de notre empire et chef tout-puissant
concile est nécessaire , et nous avons exprimé de l'Etat qu'il nous a confié, est poussé à bout
déjà le désir qu'il fût assemblé lui seul, an ; par une conduite funeste et exécrable ? S'il y
effet, peut apaiser de pareils orages. En atten- avait entre les évèquesun différend en matière
dant et pour l'obtenir, abandonnons-nous à la de religion, le jugement devait rester épisco-
volonté de notre grand Dieu et de son Clirisl, pal... Admettons que la sollicitude souveraine

notre maître de lui nous devons tout espérer


;
de l'empereur eût à intervenir dans des ques-
avec une confiance inébranlable; et, n'en dou- tions mystiques et catholiques, fallait-il pousser
tons pas, ces troubles suscités par la jalousie l'emportement jusqu'au bannissement des prê-
du démon, pour l'épreuve des fidèles, auront tres,jusqu'au meurtre des hommes? Fallait-il
un terme. Quant à nous, nous songeons aux que dans ces lieuxconsacrés aux chastes prières,
moyens de réunir un concile œcuménique, aux effusions de l'âme, aux sacrifices spirituels,
afin que par la grâce du Ciel toutes ces agita- on vît briller leglaive, qu'avec peine il fautlever
tions soient calmées. Donc, attendons un peu, même sur des têtes coupables? L'événement,
et, forts de notre patience, comptons que le du que pense sur tout cela la
reste, dit assez ce
secours divin fera tout rentrer dans l'ordre ». Majesté divine. Puisse cette manifestation de son
Ces nobles et saintes paroles, pieusement re- courroux être aussi la seule ... J'apprends q ue
'
1

cueillies, versaient dubaumesur des plaies trop cette église sainte où tant d'empereurs avaient
saignantes et rendaient du courage aux cœurs laissé des preuves de leur munificence, queleur
abattus. Mais ce concile, objetdes vœux d'Inno- piété avait rendue si auguste, a été la proie des
cent, indiqué et attendu comme legrand re- flammes, et que ce grand flambeau de Constanti-
mède à la situation, n'arrivait pas. Le mauvais noplen'estplusquecendreetfumée,Dieuleper-
vouloir de la cour de fci^'zance faisait tout mettant ainsi pour montrer combien il abhorre
échouer. Le porteur des lettres papales, le ces criminelles profanations... Il n'a pas voulu
moine Etienne, fut arrêté, batt i de verges, mis que les vœux adressés à sa miséricorde partis-
à la question. On lui proposa la communion sent d'un autel ensanglanté... Souvent offensé,
d'Arsace pour prix de sa liberté. II préféra la je devrais me taire; mais la voix de la nature
prison et l'exil. C'est Souverain
alors que le est plus forte que le ressentiment, et c'est pour-
pontife, dans sa haute sagesse, crut devoir em- quoi je donne à un frère bien-aimé, mon col-
ployer l'intervention fraternelle d'IIonorius. lègue sur le trône, ce fidèle avis. Je lui conseille
Sur sa demande, l'empereur d'Occideut écrivit et le supplie de corriger tout cela, s'Use peut,
à son frère : par un changement de conduite, et d'apaiser,
a II est venu à notre connaissance qu'à Con- autant qu'il est en lui, par d'incessantes prières
stantinople, le saint et vénérablejour de Pâques, le Ciel irrité... Il y avait entre les évêques un
au moment où la piété réunissait dans un même débat, qu'un concile devait vider. Chaque parti
lieu les peuples des villes voisines pour une avait envoyé sa députation aux prêtres de la
célébration plus solennelle des saints mystères, ville éternelle et de l'Italie; on attendait de

on a tout à coup chassé les fidèles de l'église et l'autorité de tous une décision qui serait deve-
jeté les piètres dans les en sorte qu'à l'é-
fers; nue règle de discipline. Jusqu'à ce que décision
poque même oîi par la clémence souveraine fût rendue, rien ne devait être entrepris; et
s'ouvrent les cachots des criminels la prison , voilà qu'une précipitation extrême a tout gâté.
s'est fermée sur les ministres de la loi sainte et Sans attendre le jugement sacerdotal cfue leg
de la paix, les divins mystères ont été troublés deux partis avaient invoqué, sans aucun exai-
par l'invasion de la force armée, des hommes
* AlluiioD aux divers événements malheureux qui venaient
tués dans le sanctuaire, des évêques arrachés d'afSi»
gcr l'Orient, len tremhlcmenla de terre, l'iQvaBioQ des Huds... peut*
à l'autel pour être traînés en exil, et le sang cire dUbtii ta uioiL d'l£udijxie.
i38 HiSTOmE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

mon ''es choses, des prélats ont été bannis et présidence, un peu nombreux sans
concile,

livrés au glaive Je la loi avant d'être canoni- doute ' , mais où se trouvèrent Vénérius
de
quernent jii^és... Que peut-il résulter de là, si Milan, disciple et successeur desaint Ambroise,
ce n'est de funestes décliircments pour la foi Gaudenlius de Brescia, Chromacius d'Aquilée,
catlioliiiue, si ce n'est des hérésies ennemies de Emilius de Bénévent, les plus hautes, les plus
l'unité qui vont naître de ces discordes? Com- pures illuslralions de l'Italie Il catholique.
y
ment reprocher au peuple de se laisser diviser fut décidé qu'avant tout Jean devait être rendu
par les SL'Cles, quand l'autorité publique fournit à son église, l'examen de sa cause ne pouvant
les éléments de ces divisions et devient elle- avoir lieu qu'après celte condition remplie '.

même le foyer des troubles et des disputes '


? » Les Pères partageant l'opinion du Pape sur
L'amour-propre d'Arcadius etsa politique se l'opportunité et la nécessité d'un concile uni-
révoltèrent également contre ce langage. Dans versel, en réclamèrent la convocation à Thessa-

une démarche de conciliation et de piété, il lonique,rendez-vouségalementcommodepour


vit une prétention de son frèreàsubalterniser les prélats d'Occident et pour ceux d'Orient, et

l'empire d'Orient à celui d'Occident. Son des- prièrent Ilonorius de tout faire pour la procu-

potisme mal avisé, qu'elTrayait l'ascendant per- rer. Une députation choisie par Innocent et

sonnel desévèquesdeConstantinopIe, redoutait composée de cinq évoques, de deux prêtres et

plus encore l'ascendant catholique des évoques d'un diacre de l'Eglise romaine, fut chargée de
de Rome, et n'osaniraltiquer de front, tâchait se rendre à Byzance pour porter à l'autov.rate

de l'éluder. La lettre d'Honorius resta sans ré- une nouvelle lettre de son frère et une du sou-
ponse ctlesvœuxdel'Eglise romaine, regardés
;
verain pontife où les vœux de tous, c'es* à-dire

comme un outrage à l'indépendance de la cour les vœux de la religion et de la justice Haient


Byzantine, n'aboutirent qu'à attirer sur la tète exprimés avec plus d'instance que jam us.
de Jean de nouvelles rigueurs. Cependautily a Voici la troisième fois, disait HoLorius à

avait alors d'autres périls à conjurer que l'as- l'empereur d'Orient, que je m'adresse à ta clé-
cendant de l'Eglise et les vertus de ses pontifes. mence, la priant de réparer ce qui s'est fait
Tandis que les chefs de l'empire perdaient le parcabale contre l'évêque Jean n'ayant encore ;

temps à tracasser les femmes, à proscrire des rien obtenu, je t'écris de nouveau, dans mn
prêtres, à installer des intrus , tandis qu'ils se sollicitude pour la paix de l'Eglise, d'où dépend
livraient à de stupides et sacrilèges efforts pour celle de notre enqiire, afin que tu daignes or-

asservir ce qui ne peut l'être, les Huns pas- donner aux évêques de l'Orient de se réunir à
saient i'ister et ravageaient la Thrace ' , les Thessalonique car ceux de notre Occident ont
;

Isaures, sortis de leurs montagnes, couvraient fait choix d'hommes d'un cœur ferme, inacces-

de sang et de ruines tout le pays, du Taurus sible au mensonge,etontenvoyéversvous cinq

jusqu'au Pont-Euxin; leurs bandes avaient tra- d'entre eux avec deux prêtres et un diacre de la
versé la mer et pénétré dans l'île de Chypre. grande Eglise romaine. Je désire que tu les re-
D'autre part, les Maziques et les Austuriens ve- çoives avec tous les égards qui leur sont dus,
naient de se jeter dans la Lybie, désolaient la afin que si on leur démontre que Jean a été
frontière d'Egypte, assiégeaient Cyrène; et le justement chassé, ils me décident à me séparer
commandant des troupes romaines , habile à de sa communion, ou qu'ils te détournent de
pressurer province pour en tirer de l'argent,
la celle des Orientaux, si les Orientaux sont con-
n'avait su que prendre la fuite à la première vaincus d'avoir agi déloyalement. Quant au
apparition des Barbares :AlaricoccupaitrEpire, sentiment des Occidentaux à propos de Jean,
et n'attendait que Stilicon pour marcher sur tu peux les connaître par ces deux lettres que
Byzance; les Alains, les Suèves, les Vandales, j'ai choisies entre plusieurs qu'ils m'ont adres-
suivisdesBurgundes, s'apprêtaient à franchirle sées, l'une de l'Evêque de Rome et l'autre de
Rhin et à porter à travers les Gaules, jusqu'aux celui d'Aquilée. Mais par-dessus tout, je sup-
Pyrénées, la dévastation et la mort; on enten- plie ta clémence de faire arriver au concile, bon
dait mugir et s'avancer le flot diluvien qui gré mal gré, Théophile d'Alexandrie, car on
allait engloutir l'univers. l'accuse d'être le principal auteur de tous ces
Indigné de la tyrannie et de la mauvaise foi maux ' ».

d'Arcadius, Innocent réunit à Rome, sous sa — — ' PaU.,


' Brev. rom., 27 januat., II. 6. " Pallad., dial., p. 13.
' Cbrjs , t. 3, p. 521. B. B. - '
Id., 1. 6, c. 25, diat., p. 12 ;
i/din
So^um., L i^,
I.
. M. c.
r. '2S.
;. 2S.
CHAPITRE QUARANTE-UNIÈME. 459

Sur ces entrefaites, A rsace mourut, et le trône Atticus avait une haute idée de lui-même et
épiscopal, disputé quatre mois entre un grand s'appliquait à la faire partager. Tout chez lui,
nombre de concurrents, éctiut enfin au prêtre actes et paroles, était étudié et calculé pour
Atticus. Cette élection, qui eut lieu le iO mars l'effet; il posait toujours. Tandis qu'il inspirait
406, était l'œuvre de la cour, aux yeux de la- à l'empereur des mesures sévères contre les
quelle l'heureux candidat avait un mérite de hérétiques, il prenait vis-à-vis d'eux des airs
premier ordre, sa haine contre l'exilé. 11 est de tolérance et de protection. On lui parlait
certain que personne peut-être n'avait mis au d'exclure de l'enceinte des villes les assemblées
service de la cabale plus d'ardeur et d'habileté. desNovatiens; il s'écria Ne savez- vous pas ce
:

Doué d'un talent d'intrigue supérieur, Atticus qu'ils ont souffert et quel témoignage ils ont
en déploya toutes les ressources pour miner la rendu à la foi, sous Valens et sous Constance,
position et abattre l'autorité de son évèque. alors que nous étions nous-mêmes persécutés?
Originaire de Sébaste en Arménie, il avait, tout Il demandait un jour à un évêque novatien de-
jeune encore, embrassé la vie monastique sous puis combien d'années il l'était, et celui-ci
des maîtres qui appartenaient à la secte des Ma- ayant répondu depuis cinquante;
: tu es —
cédoniens et lui en firent partager les erreurs. heureux, répliqua-t-il, d'avoir rempli si long-
Plus tard, il abjura l'hérésie et s'attacha iné- temps de si augustes fonctions. Je ne puis ap-
branlablementàlafoi catholique. Elevé au sa- prouver les Novatiens, mais je loue Novat de
cerdoce, il se fit remarquer dans le clergé de n'avoir pas voulu communiquer avecceux qui
Constantinople pur la pureté de ses mœurs et la sacrifiaient aux idoles, et j'aurais fait comme
dignité de sa vie; mais il cachait une grande lui. —Ses paroles, aussi retentissantes que ses
ambition sous le manteau de la piété. Son es- aumônes lui revenaient en échos flatteurs
,

prit orné, la distinction de ses manières, l'amé- pour sa vanité. Quant à sa modération, plus ap-
nité de son langage, la bienveillance de son parente que vraie, elle faisait bientôt place à
accueil,une réputation de bienfaisance cultivée l'emportement dès qu'il s'agissait de lui-même,
avec soin, lui avaient attiré de nombreuses et de son autorité. Il suffit de la résistance pas-
sympathies. Cependant ces dehors aimables et sive des amis de Jean pour faire de cet homme
un perpétuel sourire sur les lèvres ne dissimu- si sage et si doux le persécuteur acharné de ses

laient qu'imparfaitement un caractère jaloux, propres ouailles. Il arma son bâton pastoral de
dominateur, qui ne supportait pas la contradic- rescrits impériaux, et se maintint parla pros-
tion. Dévoué à ses amis, impitoyable à ses ad- cription sur cette chaire de Constantinople,
versaires, il semblait se faire un jeu d'écraser d'où ses coupables manœuvres et ses calomnies
de son courroux quiconque ne marchait pas avaient précipité le légitime pasteur. Nous ver-
avec lui. Il aimait le faste et l'éclat, même dans rons qu'après l'avoir flétri, vivant, pour avoir
la charité. Un prêtre deNicée reçut de luitrois sa dépouille, il le glorifia, mort, pour garder
cents pièces d'or avec cette lettre, rendue pu- sa succession.
blique « J'apprends qu'il y a dans votre ville
: Le zèle d' Atticus et la fermeté de sa foi ont
des malheureux qui meurent de faim par l'a- été vantés. Un ouvrage qu'il avait adressé à
bandon des gens dévots; mais puisque j'ai reçu Pulchérie, et dans lequel il réfutait d'avance
la richesse de Celui qui dispense ses dons à qui l'hérésie de Nestorius, mérita l'insigne hon-
sait les bienemployer, etque d'ailleurs la souf- neur d'être avec éloge dans le concile œcu-
cité
france des pauvres met en évidence la dureté ménique de Chalcédoine. Deux papes, saint Cé-
des riches qui ne leur viennent pas en aide, toi, lestiu et saint Léon, rendent hommage à son
mon frère bien-aimé, reçois ces trois cents enseignement et célèbrent la vigueur avec la-
pièces d'or pour les employer, comme tu vou- quelle il s'était opposé aux Pélagiens. Saint Cé-
dras, au soulagement des nécessiteux. Il con- lestin l'appelle un évêque de sainte mémoire,
vient de secourir de préférence ceux qui rou- un docteur de la foi catholique, un digne suc-
gissent de mendier, et non ces misérables qui cesseur du bienheureux Jean. Cependant Atti-
passentleurvieà trafiquer honteusement del'in- cus avait peu de doctrine. Ses études super-
digence; mais ne fais aucune exception de reli- ficielles s'étaient tournées du côté des lettres
gion ou desecte,etoccupe-toid'uneseulechose, humaines. Il passait les nuits, ditSocrate, à lire
de donner des aliments à ceux qui ont faim ». '
les anciens, et il avait puisé dans cette lecture
' Soci., 1, 7, e, 2âi une érudition dont il faisait volontiers parade,
460 HlSTOiliE DE SAINT JEAN CIIRYSOSTOME.

A une mémoire heureuse il joignait un esprit chercha d'abord, avec son habileté connue, à
délié, une grande pénétration; sa conversation ramener à lui les esprits irrités; il promit, ca-
était fort goûtée. Mais
causeur agréable n'é- le ressa, fit mille avances à ses collègues de la
tait un chaire qu'un orateur guindé, qui débi- connnunion de Jean, et n'obtenant rien, il re-
tait dans le vide des harangues apprises par courut à la violence. On recommença de plus
cœur. Uni; fois évêque, il s'enhardit à impro- fort à destituer, à confisquer, à bannir. Deux
viser et devint plussimpleetplus naturel, sans édits furentrendus par l'empereur. Le premier
d(!venir plus éloquent. Ses discours, dit le portait Si un évêque refuse de communiquer
:

même historien, ne sont pas de ceux qui se avec Théophile, Porphyre et Atticus, qu'il soit
gravent dans le souvenir des auditeurs, ou chassé de l'Eglise et dépouillé de ses biens. Le
qu'on juge dignes d'être transmis à la postérité. second s'adressait aux simples fidèles, et les
Rien ne lui a survécu, si ce n'est un petit nom- menaçait, en cas de persévérance dans leur
bre de lettres et un fragment de sermon sur éloigiiement de l'intrus, de la perte de leurs
lequel on ne peut le juger. Alticus étendit à grades et emplois, s'ils étaient militaires ou
son siège l'ambition qu'il avait pour lui-même. constitués en dignité ; de fortes amendes, de la
Il cour pour agran-
profiiadesonintluenceà la prison, de l'exil même, s'ils appartenaient au
dir les prérogatives et la juridiction de l'Eghse peuple et à la classe des ouvriers *.
de Byzance. Une loi deThéodosele Jeune, ren- Mais le schisme ainsi armé des rigueurs
due à son instigation, défendait de consacrer de la loi devint plus hideux, sans devenir
aucun prélat dans l'ilellespont, la Bithynie et plus puissant. On gagna tant bien que mal
une grande (larlie de l'Orient, sans le consen- quelques prélats plus fidèles à la fortune qu'à
tement de l'évêque de Constantinople. Là ne la conscience. Quelques pauvres laïques se ren-
s'arrêtèrent pas ses empiétements; il obtint du dirent de lassitude. Mais la plupart des pontifes
fllsd'Arcadius une autre loi qui soumettaità sa persécutés restèrent inébranlables; sacrifiant
direction suptrieure toutes les provinces de tout au devoir,ils se sauvèrent les uns à Rome,

riUyrie orientale. Conçue en termes ménagés les autresdans les monastères éloignés et dans
et équivoques, la loi n'en dépouillait pas moins les montagnes. La masse du peuple ne montra
l'évêque de Thessalonique de l'autorité qu'il pas moins d'énergie, et continua à faire le vide
avait sur ces provinces, comme vicaire du autour de l'usurpateur, tenant les synaxes dans
Saint-Siège, et laissait i)ercer cette prétention les champs, en plein air, oîi l'on pouvait,
inconnue jusqu'alors d'établir entre les deux comme on pouvait, par amour du Sauveur qui
Eglises de Rome etde Constantinople la même a dit : Je suis la voie et la vérité, et encore :

égalité d'honneur et de juridiction qui subsis- Ai/ez confiance ; j'ai vai7icn le monde.
tait entre les deux emi'ires. La fermeté vigi- Cependant les délégués du pape faisaient
lante du Souverain Ponlifu fit échouer cette voile vers Constantinople. Ils portaient les let-
tentative orgueilleuse et criminelle; mais il tres d'Innocent, d'Honorius, de Chromace d'A-
n'en persévéra pas moins, avec l'opiniâtreté de quilée, de Vénérius de Milan, de tout le concile
l'orgueil, dans cette voie funeste où il donne de Rome. Emilius de Bénévent, que Paulin
les mains à Michel Cérulaire et à Photius. C'est son ami regrettait de ne pas voir au tombeau
bien lui qui eut les premières velléités de cette de saint Félix ', l'illustre évêque de Brescia,
coupable suprématie qui devint la pierre d'a- saint Gaudence et Cythégius, faisaient partie de
choppement et le malheur de l'Eglise grecque ;
la députation, à laquelle s'étaient réunis quel-
et peut-être doit-il à ces essais ambitieux plus ques réfugiés orientaux, tels que Cyriaque et
qu'à ses vertus d'avoir été inscrit par elle au ca- Pallade. Elle devait toucher à Thessalonique
talogue des Saints. Chrysostome l'appelle un pour s'entendre avec Anysius, dont on savait le
prêtre dépravé, plus cruel qu'un loup '. zèle pour la cause de Jean et l'honneur de l'E-
L'élection d'Atticus consterna les amis de glise. Mais laissons parler l'un des voyageurs.
l'exilé : ils y virent le présage et le signal d'une Nous longions les côtes de la Grèce pour
nouvellepersécution, et ce triste pressentiment nous rendre à Athènes, quand nous fûmes ar-
ne les trompait pas. Le cauteleux patriarche rêtés par un tribun des soldats, lequel nous
plaça aussitôt sous la garde d'un centurion et
* Chrys., ad eos qui icandal. sunt^ c. 20 ; Sozom., 1. 8, c. 27 j nous défendit d'approcher de Thessalonique,
Socr., 1. 6, c. 20 el I. 7, c. 2. 25 et 2S ; Pallad., dial., p. U, 13 et
38 'f
Thcod., ep.j l4j, el dial. il j S. Léo, ep, 106. • PallaJ., dial., p. 58. — ' S. Paul, in Natal. 13.
CHAPITRE QUARANTE-UNIÈME. 4C1

ofi nous avions des lettres à ronieltrcà l'évoque nous jeta sur une mauvaise b,>rque, avec une
Anysiuj.Ou nous dislrihiia dans doux lian]no3 vingtaine de soldats, et nous chassa d'Alhyra.
et l'on nous fit partir. L'austor soufflait avec On assure que le maître de la barque avait été
violence; nous traversâmes en trois jours, sans payé d'avance pour la couler et nous ensevelir
prendre aucune nourriture, la nier Egée et les sous les flots. Ce|)endant, après plusieurs stades
détroits, et le troisième jour, vers la douzième de nagivation, près de périr, nous fûmes jetés
heure, nous arrivions en vue de la ville impé- sur la côte de Lamsaque. Là nous avons ,

riale, près du faubourg de Victor. Là, nous changé de navire, et c'est ainsi qu'après vingt
fùmesabordéspir les gardcsdu port, et obligés, jours de mer, nous sommes arrivés à Hydrionfe
par l'ordre de qui, nous n'en savions rien, de en Calabre, ne sachant rien ni de Jean ni des
revenir sur nos pas. On nous conduisit et en- évoques Cyriaque , Eulysius et autres oui
ferma dans une forteresse maritime de la étaient partis avec nous '
»

Tlirace, appelée Atlvjra\ Les Romains furent Le sort de ces quatre prélats fut longtemps
emprisonnes tous ensemble dans une même un mystère sinistre. Le bruit courut d'abord
chambre, Cyriaque et ses compagnons en des qu'on les avait noyés. On sut plus tard que,
cachots séparés, sans un valet pour les servir. déportés aux confins de l'empire, en diverses
Dans cet élat, on vint nous demander les lettres régions barbares, ils y languissaient dans la
\ dont nous étions porteurs, et nous refusâmes misère et l'abandon, sous la garde d'esclaves
de les livrer. Comment se fait il, répondîmes- publics Cyriaque à Paimyre sur la frontière
:

nous, que députés vers l'empereur, nous ayons de la Persej Eulysius dans la forteresse deMys-
à remettre à d'autres que lui les lettres de son phas, près des terres des Sarrasins Pallade à ;

frère et d'une assemblée d'évèques?On ne tint Syènes, sur les confins de l'Ethiopie; Démé-
aucun compte de notre observation, et comme trius en Lybie, à l'oasis des Maziques. Les pieux
nous persistions dans notre refus, on nous en- captifs avaient été livrés par la cour à la bru-
voya le notaire Patricius, puis d'autres person- talité des prétoriens chargés de les conduire.
nages, enfin un certain Valérien, chef de co- Dépouillés du peu d'argent qu'ils pouvaient
horte, qui se jeta violemment sur nous pour avoir, on les fit voyager sur de sales montures
s'emparer de la lettre marquée du sceau impé- et à marches forcées, leur accordant à peine un
rial et des autres, et les arracha avec tant de peu de rt pos et quelques bouchées d'une nour-
brutalité des mains de l'évèqueMarianus, qu'il riture malsaine. D'iufàmes propos, des chants
lui foula le pouce. Le lendemain, nous vîmes obscènes retentissaient sans cesse à leurs oreil-
arriver de nouveaux émissaires de la cour ou les, et quand le soir venu, on croyait devoir
de l'intrus, nous n'avons pu le savoir, qui nous s'arrêter quelques instants, c'était dans d'igno-
offrirent trois mille pièces d'argent, en nous bles hôtelleries toutes pleines de femmes per-
priant de communiquer avec Atticus et dépas- dues. Ces nobles vieillards ainsi outragés, se
ser sous silence l'affaire de Jean. Nous repous- disaient les uns aux autres : Pourquoi nous
sâmes la propo-ition, et, à notre tour, nous de- affliger de ces logements? Il ne dépend de
mandâmes, puisqu'il n'était plus question de nous ni de les choisir ni d'éviter cette indé-
concilialion et de paix, qu'on mît fin à cette cence. Dieu n'est-il pas glorifié en tout ceci ?
conduite inhumaine vis-à-vis de nous et qu'il Combien de malheureuses femmes qui
ces
nous fût permis de regagner sans péril nos avaient oublié Seigneur ou ne l'avaient ja-
le
Eglises. Notre divin Sauveuravaitdaigné nous mais connu ont été portées à penser à lui en
faire connaître en | liisieurs révélations le sort voyant nos souffrances, et sont devenues peut-
qui nous attendait. S lint Paul, apparu au diacre être meilleures ou moins mauvaises? Saint
du vénérable Emmélius, lui avait dit Prenez : Paul n'a-t-il pas dit Nous sommes la bonne
:

garde de marcher, non comme des imprudents, odeur de Jésus-Christ, et pour ceux qui périS'
mais comme des sages, caries jours sont mau- sent, et pour ceux qui seront sauvés ?
vais. Ce songe nous prémunissait contre les Il y eut pourtant quelque chose de plus amer
perfides manœuvres, les obsessions, les ca- pour eux que les mauvais traitements et les in-
resses avec les(iuelles on voulait corrompre la suites de leurs gardes : ce futrinhospitalitéet
vérité. Valérien , nous trouvant intraitables, labarbarie de leurs collègues de la commu-
nion de Théophile, dont ils traversaient Icj
'
A r«niboiichur« du petit ûejve «le ce nom, sur la Propontide.
(Ptbléœ., 1.3, c. 11 et lit. 9.) '
Pallad.jdial., p. 13.
462 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

villes. Non-seulement ces indignes minisires aux lois de Dieu en repoussant la communion

du Dieu de charité refusaient la porte à leurs des pasteurs illégitimes. Armé des édits qu'il
frères, mais ils empêchaient les l.iï(]ues de les avait provoqués, le sage Atlicus n'épargnait
recevoir, et payait les soldats pour les em- personne. Quiconque attirait son attention par
mener au plus tôt et redoubler de brutalités. une sympathie trop visible à la cause de Jean,
On a conservé les noms de ces misérables '. était impitoyablement livré aux rigueurs delà
A quoi bon, et pourquoi grossir sans fin le loi. La peur amena de nouvelles défections. Il
canon de la félonie? Citons plutôt quelques y eut des prélats qui se décidèrent à commu-
noms obscurs, à peine visibles dans l'aui-éole niquer avec le successeur d'Arsace, et que
de Chrysostome, qui rnppellent le courage celui-ci fit transférer de leurs diocèses lointains
modeste, le dévouement généreux, la fidélité à d'autres plus rapprochés, dans la Thrace,
constante au devoir, au malheur, à l'amitié, pour les avoir sous sa main, songeant moins,
trop rares exceptions à la commune bassesse aux canons de l'Eglise qu'à do-
dit Tilleniont,

pour ne pas être signalées. Certes, l'humanité miner sur rhéritage du Seigneur '. Cependant
a de grands noms à prononcer dont elle est la persécution, qui dévoila des lâchetés inatten-
fière à bon droit; il en est d'autres qu'elle dues et fit des apostats, grossit, au lieu de l'é-

ignore, des noms sans écho, qui lui appren- teindre, le parti des vaincus. Ce qui restait de
draient mieux que les plus illustres le respect fierté virileau fond des âmes, se redressa sous
d'elle-même et sa dignité. Nommons entre les cet affront fait à la conscience chréiienne au
évêques Sérapion, dont nous avons raconté
: nom d'un misérable amour-propre. De frivoles
lesépreuves Hilaire, vénérable vieillard, re-
: disciples de l'Evangile, abandonnés jusque-là
légué à l'extrémité du Pont, après avoir été aux folles joies du cirque, sentirent leur foi se
battu de verges, non par les bourreaux et sur réveiller avec leur indignation. La piété devint

l'ordre des juges, mais parle clergé des intrus; une protestation, et l'hurreur de la tyrannie
Antoine, contraint de se tenir caché et comme un élan de la piélé. On compta, dans la foule

enseveli dans les cavernes de la Palestine ; Hé- des indifférents et des tièdes, de nombreuses
raclide d'Ephèse, gardé dans les fers à Nico- conversions. L'Eglise retrouva dans le feu de
médie ; Sylvain et Brisson, réduits à vivre du l'épreuve la ferveur des premiers jours. Ce que
travail des mains Elpide et Pappus, prison-
;
la parole de Chrysostome n'avait pas obtenu
niers dans une haute chambre de leur propre en des temps meilleurs, la persécution l'obte-
maison, dont ils ne descendirent pas l'escalier nait du peuple opprimé de Byzance. Les sy-
de Timothée, Jean, Grégoire, Lam-
trois ans; naxes tenues en plein air, en dépit des prohi-
pétius, Anatole, Alexandre de Basilinople, dis- bitions, étaient extrêmement fréquentées; nul
persés par la tempête aux quatre coins de l'em- pontife n'y présidait, mais l'âme de Jean sem-
pire, dans la Macédoine, dans la Lybie, dans blait les animer et les gouverner.
les Gaules. Parmi les prêtres et les diacres : Telle était la situation religieuse à Constan-
Tigrius, déjà nommé; Philippe, qui mourut tinople et dans tout l'Orient : le sacerdoce
en exil; Salluste, Théophile, Sophronius, en- écrasé, les évêques proscrits, l'iniquité glori-
fermés dans un cachot au fond de la Thébaïde; fiée, l'intrusion et la violence partout. Les vœux
Paul, diacre d'Anastasie ; Jean, fils d'Ethrius, du Saint-Siège étaient repoussés, son autorité
fondateur d'un monastère à Césarée; Etienne, méconnue, ses députés insultés, et ses efforts
déporté en Arabie et délivré par les Isaures, pour faire prévaloir la justice et les canons n'a-
moins barbares que ses confrères. On cite en- vaient abouti qu'à déchaîner sur les vrais pon-
core un simple soldat, de la garde de l'empe- tifes du Christ et le peuple fidèle une affreuse
reur, à qui son dévouement pour le pontife tempête. Tout échouait contre cette protection
exilé, valut d'abord la question, puis le ban- hypocrite octroyée par les Césars de Byzance à
nissement ; broyé par les tortures, couvert de l'Eglisegrecque et subie par elle avec une com-
plaies, on l'envoya mourir à Pétra en Arabie*. plaisance aveugle et funeste. Une fois intervenu
Une foule de personnages pieux, de tout dans les choses du sanctuaire, l'Etat trouvait
ordre et de tout rang, expiaient dans les fers, mille prétextes pour y intervenir encore et s'ar-
dans l'exil, dans l'indigence, le crime inouï roger le droit de contrôler et de gouverner.
d'honorer la vertu dans un proscrit et d'obéir Son respect apparent était la mesure de sa ty-

; P«U^d., dial., p. 79. - • Pallad., p. 77, etc. •TlUem., t. ll,p. 328.


CHAPITRE QUARANTE-UNIÈME. .Î63

rannie réelle. Il pc?ail sur los élections ecclc- el les déclara exclus de sa communion jusqu'à
ou tlcfaisait à son gré les évê-
sinsti(iucs, faisait ce que le concile par lui demandé fût tenu et
qiios, convo(]uait ou ciiiprtliait les conciles, Jean réhabilité'. L'Occident tout entier, l'Illy-

érigeait le schisme en loi de lenipirc, divisait, rie elle-même, quoique soumise à Arcadius,
brouillait, corrompait, et ne s'abstenait même une foule de prélats en Orient, adoptèrent avec
pas de toucher au dogme, bien qu'il ne sût ou bonheur la ligne de conduite tracée par le chef
ne pût que l'altérer ou l'ensanglanter en y tou- de l'épiscopat. Et cela seul, n'était-ce pas la jus-
chant. En possession de protège* Dieu, il le tiûcation de Chrysostome, la confusion de ses
rançonnait. Chaque bienfait de l'einporeur coû- ennemis? Le jugement d'un concile n'eût pas
tait a l'Eglise une liberté. Eu la couvrant de été plus significatif que ce jugerncnt muet de
pourpre il l'étreignait de chaînes; il l'étontl'ait l'Eglise romaine. En retirant sa communion
en l'embrassant. Elle en était réduite à regret- aux auteurs et aux complices de la déposition
ter, avec saint Hilaire, les temps de Néron et de de Jean, elle les frappait du blâme le plus so-
Décius'. Alors, du moins, ses ennemis se po- lennel qui pût les atteindre, elle les condam-
saient en face d'elle le fer à la main ils ne ; nait et les flétrissait à la face du monde chré-
s'agenouillaient pas à ses pieds pour la frapper tien*.
au visage; ils n'affectaient pas de l'hononr pour Le pontife exilé apprit, à Gueuse, l'intérêt
\ l'asservir; ils proscrivaient ses ministres pour que sa cause excitait à Rome et les efforts ten-
la détruire, non pour la protéger; ils coupaient tésen sa faveur. II put croire un instant que le
les têtes avec le glaive et ne tuaient pas les terme de ses maux approchait. Néanmoins, sa
âmes avec Vor^; ils égorgeaient les prêtres, jjremière pensée, à ces nouvelles, fut moins
ilsne les imposaient pas. Et elle, indépendante pour que pour ces amis inconnus qui lui
lui
dans sa pauvreté, invincible dans ses épreuves, venaient en aide de si loin avec une générosité
d'autant plus confiante en son Dieu qu'elle at- si touchante. 11 eut hâte de leur exprimer sa

tendait moins des hommes, choisissaitses pon- gratitude et d'épancher son âme dans la leur.
tifes, promulguait ses lois,
tenait ses conciles, De là, ses lettres à Chromacius d'Aquilée, à
et ne demandait le congé de personne pour vi- VénériusdeMilan,àAnysiusdeThessalonique,
vre de sa vie et remplir le monde de son esprit. à Aurélius de Carthage, à Hésychius de Salone,
Et, sous un empereur chrétien, sous le fils du à Alexandre de Corinthe, aux évoques d'Italie
grand Théodose, on ne lui permet pas de dé- en général, lettres qui se ressemblent pour le
fendre un illustre et saint prélat, victime de son fond et respirent toutes le même noble aban-
zèle intrépidepour la cause des pauvres et de don à la volonté de Dieu, la même piété rési-
pour la grande cause de Jésus-Christ.
la justice, gnée et sereine. 11 remercie ses frères; il loue
Jean déposé sans être accusé demande vaine- la fermeté de leur langage, la grandeur de leur
ment des juges, et, du haut de sa grande chaire. charité, leur dévouement infatigable à une
Innocent réclame un concile sans être entendul cause qu'il appelle avec raison la cause de toutes
Certes, ce n'étaient ni le courage, ni l'éner- les églises. 11 implore de leur bonté la consola-
gie, ni la prévoyance, ni l'amour ardent delà tion de quelques mots, et les supplie dene pas
vérité, ni la grandeur d'âme, ni le sentiment permettre au découragement de gagner leur
profond de sa haute responsabilité et de son cœur, en présence des difficultés nouvelles et
pouvoir souverain, qui manquaient au succes- toujours plus grandes qui surgissent à chaque
seur de saint Pierre. Il n'avait pas dissimulé sa instant. « L'Orient tout entier, leur dit-il, a les
sympathie pour la cause de l'e-xilé, laquelle à yeux sur vous; vous êtes l'objet de ses vœux et
ses yeux était la cause du Sacerdoce et de l'E- de son amour. Songez que la juste indignation
glise; mais l'inconcevable affront fait à ses dé- qu'inspirent tous ces crimes, d'innombrables
légués lui montrait jusqu'à l'évidence, s'il eût hommes la partagent avec vous'.... Evoques,
pu douter encore, de quel côté se trouvaient la prêtres, laïques frappés par la tempête, tous
mauvaise foi et l'iniquité, et mettait le comble
à la mesure de patience et de douceur gardée
' Pallad., dial., p. M el 85j Théod., I. 5, e. 34.
' Honorius isBulté dans la personne des légats italiens protesta
jusqu'alors. Les voies de la conciliation épui- contre conduite de son frère. Je ne sais si l'on peut
l'inqualifiable
regarder comme authentique la lettre que, d'après Georges, l'empe-
sées, Innocent rompit toute relation avec Atli- reur d'Occident aurait écrite à celui d'Orient, lettre citée par Baro-
cus, Théophile, Porpliyre, Acace et les autres, nius {ad ann. 407). Mais il est probaibU que C9t ftffroQt qq fut pat
dévoré en silence.
Hilu. Piciav., ad Constant., 1. 1, c. 4. - Jd., c, S. • Cbrys., tp. ISS,
^64 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

s'unissent à moi pour vous bénir. Recevez les nés à ta personne, comme si j'avais le bonheur
actions de grâces de tous'.... Quelque mal que de vivre à tes côtés. L'ardeur de ta charité, je
nous aient lait nos ennemis, nous ne le sen- ne sais quel parfum qui émane de la liiierté de
tons plus en présence de cette bonté parfaite, ton langage et de ta piété, arrive jusqu'à nous,
de celte charité si vraie qui viennent nous con- dans ces confins de l'univers. Je te rends de
soler dans notre exil ' ». grandes actions de grâces, je te bénis, en te
Sareconnaissance, à qui rien n'échappe, pou- voyantprendretantde peine, et, parles fatigues
vait moins encore oublier les envoyés du pape que tu t'imposes dans l'intérêt de toutes les
Innocent, venus d'Italie pour hâter la convoca- églises, mériter les plus belles couronnes du
tion du Nous avons plusieurs de ses
concile. citl.Persévère dans ce noble combat; car, si
lettres aux évoques, aux prêtres qui compo- venir en aide à un homme opprimé donne droit
saient la députalion ', une en particulier à celui à une récompense ineffable, quelle sera la
qui en était saintGaudence de Brescia*.
le chef, tienne, toi qui prends la défense de tant d'égli-
Il s'y montre profondément touché des fatigues ses persécutées et t'efforces de leur rendre la
et des périls qu'on affronte pour lui. « Que paix'! »
d'ennuis, que de peines! Quel voyage! dit-il : Cette lettre n'arriva pas à son adresse. Jean
mais ce n'est pas pour des intérêts caducs et apprit presque en même temps le départ des
fragiles que vous travaillez, c'est pour le bien légats du pape pour Constantinople et l'infâme

des églises; et Dieu, dans sa bonté, vous ré- guet-apeus dont ils venaient d'être victimes.
serve des récompenses plus grandes encore que Ce fut une grande amertume à son cœur. Le
vos services. C'est pourquoi l'admirable zèle but qu'il croyait toucher la fin du schisme et:

qui vous anime est une égale consolation pour de son exil, s'éloignait plus que jamais. Ses
vous et pour nous pour vous, parce qu'après
: espérances étaient confondues. Il retomba dans
avoir entrepris ce combat glorieux pour la paix de sa solitude. Mais le deuil de son
la tristesse

de tant d'églises, vous recevrez les plus belles âme ne de sa sainte énergie ; on la
lui ôte rien

couronnes; pour nous, car il nous montre de retrouve tout entière dans cette lettre remar-
quelle affection, de quel intérêt nous sommes quable qu'il adresse au chef de l'Eglise :
l'objet de la part de tant d'hommes si considé- « A Innocent, évêque de Rome, Jean, salut

rables. Et quoique par le corps nous soyons si dans le Seigneur.


loin les uns des autres, vous nous avez saisis, « Le corps n'occupe qu'un lieu, mais la cha-

vous nous tenez attachés par les liens les plus rité a des ailes qui la portent partout. Quoique

étroits de la charité. Nous vous rendons d'im- séparés par une si grande distance, nous ne
menses actions de grâces, nous ne cessons sommes pas loin de votre Sainteté, mais nous
d'exalter votre dévouement. Les choses sans communiquons sans cesse avec elle, et nous
doute parlent assez d'elles-mêmes, mais nous voyons des yeux de la charité la fermeté de
voulons que notre parole vous loue aussi sans votre âme, la sincérité de votre affection, votre
interruption. Si c'est la pi'emière fois que nous constance à toute épreuve, et tout ce que vous
vous écrivons, cela vient, non de notre négli- faites pour nous procurer dans nos maux une

gence, mais du complet isolement où nous consolation puissante. Plus les flots sont soule-
sommes ici. Maintenant que nous avons trouvé vés et les écueils nombreux, plus la tempête se
ce pieux et vénérable prêtre qui part pour vos déchaîne, plus s'accroîtvotre vigilance. Ni l'é-

pays, nous sommes heureux de vous offrir par loignement, ni le temps, ni les difficultés n'ont
lui nos hommages, et nous vous prions de attiédi votre zèle. Vous imitez les bons pilotes
l'accueillir lui-même avec la charité qui vous qui veillent surtout quand ils voient les vagues
caractérise. Par son retour, veuillez nous en- monter et gronder et une épaisse nuit envahir
tretenir de votre santé, de laquelle nous dési- le jour. Aussi nous vous rendons des actions de
rons beaucoup avoir des nouvelles ' ». grâces multipliées, et nous voudrions, pour
a Dieu écrit-il à l'évêque de Carthage, Auré-
1 nous satisfaire nous-mêmes, vous écrire très-
lius, l'ami de saint Augustin, Dieu! qu'un souvent. Mais comme la solitude de ce lieu nous
cœur généreux est une grande chose A la 1 prive de cet avantage, et que des contrées éloi-
distance où nous sommes de toi, tu m'enchaî- gnées ou même voisines on arrive difficilement
jusqu'à nous, sur ces frontières reculées et à
'Chrys., ep. 152. — Id., ep. 153. — Id., ep. 157,
' '
158, 159,
161, 1G5, 160, 18J. — Id., ep. 181, — Id., ep. 161.
' ' ' Chrys., ep. 149.
CHAPITRE QUARANTE-UNIÈME. 46?

travers les bandes de brigands qui couvrent les glaives des Isaures, nous trouvonsun grand et
routes, nous vous supplions de ne pas nous doux soulagement dans votre constante bien-
imputer notre silence à reproche, maisd'y voir veilluice, dans votre généreuse et sincère af-
un nouveau motif de nous plaindre. Et la fection. C'est là notre rempart, c'est là notre
preuve qu'il n'est pas le fait de notre négli- sécurité, le port sans tempêtes, le trésor qui
gence, c'est qu'après nous être tu si longtemps, renferme mille biens, la source d'une mer-
dès que nous avons trouvé l'occasion de notre veilleuse joie ; et, dussions-nous être chassé de
cher et vénéré seigneurie prêtre Jean et du ce lieu dans un autre plus désolé, nous puise-
diacre Paul, nous nous sommes empressé de rions dans l'intérêt que vous nous témoignez
vous faire cette lettre, à laquelle nous nemet- le courage de supporter tous nos maux, et nous
trions pas fin, non plus qu'à l'expression de partirions sans regret'».
notre reconnaissance pour l'affection plus que Nous n'avons pas la réponse à cette lettre ;
paternelle que vous nous témoignez. Il n'a pas mais nous savons que, malgré l'insuccès de
tenu à vous que les scandales n'aient disparu, ses premiers efforts, malgré l'obstination de la
que ne jouît d'une paix profonde et
l'Eglise cour de Byzance et les intrigues de Théophile
vraie, que les constitutions et les lois de nos et d'Atticus malgré les graves et nombreuses
;

pères ne fussent vengées du mépris qui les sollicitudes qui incombaient au chef de l'E-
foule aux pieds. Mais puisqu'il n'en est pas ainsi glise, malgré le trouble et les luttes qu'excitait
et que les auteurs de tant de maux y mettent le Pélagianisme naissant, malgré les malheurs

le comble par de nouveaux forfaits, je ne veux qui fondirent sur l'Italie et la chute de Rome,
entrer à cet égard dans aucun détail; un pareil Innocent ne cessa de poursuivre jusqu'à la fin
récit dépasserait les bornes d'une lettre et la réhabilitation de Chrysostome.il devait l'ob-
même d'une histoire. Seulement nousfaisonsà tenir, et il l'obtint. Mais, hélas ce ne fut que I

votre vigilance une quoique ce> gens-


prière, et sur la tombe de l'illustre proscrit. Dieu avait
là aient mis le désordre partout, elque les pas- couronné son élu dans le ciel, avant que l'E-
sions dont ils sont travaillés paraissent incura- glise eût vengé son martyr sur la terre.
bles et inaccessibles an repentir, nous vous Quoi qu'il en soit, on ne peut pas ne pas re.
supplions de ne pas reculer devant les maux marquer ce zèle déployé par un Pontife Ro-
^ dont vous avez entrepris la guérison, ni de main en faveur d'un évêque de Constantino-
TOUS laisser décourager par la grandeur de ple. Quand on voit toutes les démarches d'In-
l'œuvre, car vous combattez pour l'univers nocent et avec quelle autorité il pose, comme
presque tout entier, pour les Eglises désolées, première condition de la paix en Orient, que le
pour les peuples dispersés, pour le clergé per- nom de Jean sera rétabli dans les dyptiques
sécuté, pour lesévéques bannis, pour les cons- d'Antioche et de Byzance quand on voit les ;

titutions de nos pèresoutrageusement violées. évèqnes persécutés de la Thrace, du Pont, de


; C'est pourquoi nous vous réitérons notre prière l'Asie, recourir à lui comme à un juge et un
de montrer un zèle d'autant plus grand que la père, en même temps que l'Espagne, l'Afrique»
; tempête est plus forte. Espérons de l'avenir les Gaules invoquent sa décision, comme uq
quelque remède à la situation mais, s'il en ; oracle, dans les questions difficiles qui surgis-
arrive autrement, votre couronne n'en est pas sent, il faut nécessairement reconnaître que le
moins prête dans le sein du Dieu des miséri- successeur de Pierre est le chef et le centre du
cordes, et ceux que poursuit l'injustice n'en monde chrétien, et qu'alors, aussi bien qu'au-
recevront pas moins de la ferveur de votre jourd'hui, l'Eglise de Rome se regardait, et
charité une précieuse consolation. Voici la étaitregardée par tout l'univers, comme la
troisième année qu'exilé ici entre la faim, la mère, la maîtresse, le guide suprême de toutes
peste, la guerre, de continuels assauts, dans la les églises ".

solitude la plusaffreuse,exposéchaquejour aux •


Chryt., t. 3, p. 521. B. B. — ' Hist. d« S. Paulin, p. 472.

S. J. Ch. — Tome I. 30
iCQ HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSO^TOilE.

CHAPITRE QUARANTE-DEUXIÈME.

Jean se relire k Arabisse. —


Nouvelles lettres à ses amis. Retour k Cucuse. — —
Il publie «n écrit sous ce titre : Que rien ne

peut nuire à celui qui ne se nuit pas à lui-même. —


Cet écrit est suivi d'un autre A ceux qui sont scandalisés. : —
Preuves de la Providence.

Le climat de l'Arménie n'était pas aussi doux, grande consolation dans le souvenir et le sin-
à beaucoup près, que Jean l'avait cru d'abord. cère attachement de mes amis. Vous le savez
Les brusques variations de l'atmosphère et la tous ne vous fatiguez donc pas de m'écrire.
:

longueur des hivers faisaient de Cucuse un sé- Quoique la distance qui nous sépare soit
jour fâcheux et malsain pour un homme d'une grande, nous n'en sommes pas moins unis par
poitrine déhcate et délabrée. La fièvre repre- les liens les plus étroits de la charité. A toi, je
nait souvent le pauvre proscrit, et dévorait à dois de particulières actions de grâces, de ce
vue d'oeil, avec une effrayante rapidité, les no- que tes propres embarras ne t'empêchent pas
bles restes de cette grande vie. Le calme qu'il de songer sérieusement à la Phénicie. S'il y a
comptait trouver dans la solitude, comme une là quelque chose de nouveau, ne néglige pas
compensation de l'exil, était sans cesse troublé de me l'apprendre. Personne n'ose se risquer
par les incursions des Isaures. En décembre 403 à venir ici, car toutes les routes sont intercep-
ils étaient maîtres de toute la contrée, du pied tées. Mais, quoique nous écrire souvent soit
d(,s montagnes jusqu'à la mer. La milice ro- chose difficile, fais-le, je te le demande, toutes
maine, misérablement occupée à soutenir les fois que tu le pourras, et, en me parlant de
l'intrusion et le schisme à Antioche, leur avait ce qui se passe là-bas, donne-moi des nou-
abandonné tous les postes ils incendiaient ; velles de votre santé, au sujet de laquelle j'é-
les campagnes, ils rançonnaient les villes, ils prouve beaucoup de sollicitude' ».
faisaient esclaves tout ce qu'ils pouvaient La vie de cet homme semblait s'être retirée
prendre d'enfants et de femmes : il n'y avait tout entière dans son cœur, et ce cœur, dont
plus de sûreté nulle part. chaque battement était un acte d'amour pour
Cucuse, mal défendue, pouvant d'un instant Jésus-Christ et pour l'Eglise, ne semblait plus
à l'autre tomber en leur pouvoir, Jean résolut vivre que pour souffrir. Cette consolation épis-
de s'éloigner, et parvint, non sans beaucoup tolairesi désirée lui manquait le plus souvent.
de fatigues et de périls, à se réfugier, à \ingt Un temps horrible et les Isaures rendaient
lieues de là, dans la petite ville d'Arabisse, pro- toutes relations impossibles d'une villeàl'autre.
tégée par sa situation et par une bonne cita- Jean ne communiquait plus avec ses amis qu'à
delle '. Mais d'autres l'avaient précédé dans travers le ciel par la prière. « Je n'ose, écrit-il
cet asile et en grand nombre, qu'entassés
si au diacre Théodote, t'attirer ici. De nouveaux
dans un espace sévèrement bloqués,
étroit et malheurs ont fondu sur l'Arménie sa situation ;

les habitants d'Arabisse manquaient de tout et est affreuse. On ne voit que torrents de sang,
mouraient de faim, a Ce séjour, écrit à l'un monceaux de cadavres, maisons en cendres,
des siens l'évêque de Constantiiioiile, est pire villes renversées. Nous-mêmes, quoique parais-
qu'une prison. Nous avons tous les jours la sant hors de péril dans cette citadelle, qui nous
mort à nos portes, puisque les Barbares nous sert en quelque sorte de prison, nous ne pou-
entourent et détruisent tout par le fer et le feu. vons goûter la moindre tranquillité au milieu
La famine nous menace de ses horreurs. Elle de ces craintes quotidiennes, de ces rumeurs
est imminente.... Cependant, au milieu de tant pleines de massacres, de ces incessantes me-
de contrariétés et de maux, je trouve une naces des Barbares, et des maladies contre les-
* Pallade dit qu'il y fut transféré sur la demande de les ennemis. quelles j'ai à lutter depuis si longtemps'... Je

sais, lui mande-t-il une autre fois, que tu se-


Pour concilier Fallade et Clirysoslome, il faut admettre avec Tille-
mont deux voyages à Arabisse ; l'un au fort de l'hiver de 106,
l'autre au cococ&eucemeDt de l'été de 407, [Tillem., not. 97, p. 613.) ' Chrys., ep. 69. — ' Id., ep, 68,
ciiAnïRE quarante-deuxième; 467

rais venu me voir si les Isaures ne favaient par une température à tout geler, sont morts,
fermé la route; car, si l'iùver avec ses glaces, non sous le glaive des Isaures, mais de froid,
si la neige qui couvrait tout n'a pu l'arrêter, au milieu des neiges !... Voilà où nous en som-
qu'y a-l-il qui t'arrête maintenant (pie le prin- mes..., tellement délaissés de tous, que je n'ai
temps est levé et que le cielest sans images? Je pu trouver personne qui consentît à partir pour
connais, en bonté, ton obligeance, ton
effet, ta là-bas'... »
dévouement sincère, ta générosité sans égale, Ces alarmes répétées, ces secousses, ces an-
et c'est pourquoi je m'afflige de la longue ab- goisses de tous les jours portaient leur fruit. Le
sence, et je sens un orage de tristesse fondre réfugié d'Arabisse tomba malade et fut aux
sur moi dans la saison la plus douce et la plus portes du tombeau. Mais Dieu voulait savourer
belle de l'année. Si je pat le de la sorte, ce n'est le saint holocauste de cette vie. Il fallait d'ail-

pas pour te demander une visite à laiiuelle, leurs au grand naufragé une autre tempête
quand même tu l'aurais projetée, je m'oppose pour le jeter au port. Ses amis purent donc
de toutes mes forces. Le glaive de l'ennemi est apprendre sa guérison en même temps que sa
partout... Nous sommes dans notre citadelle maladie. II écrivit à Olympiade: «J'échappe
comme dans un piège , investis et bloqués d'une grave maladie dont je porte encore les
chaque jour d'une manière plus étroite. Une traces. Nous avons ici d'excellents médecins,
bande de trois cents Isaures s'est jetée sur la mais le manque des choses les plus nécessaires
ville au milieu de la nuit, au moment où l'on rend leur science inutile. Non-seulement nous
y songeait le moins, et a failli nous prendre. sommes privés de médicaments et de tout ce
La main de Dieu a écarté de notre tête un péril qui est propre à rétablirla santé, mais la peste

que nous n'avons su qu'au jour, quand il n'y et la famine nous menacent. Nous devons tout
avait plus de crainte à. avoir' Un autre, cela à la crainte perpétuelle des brigands qui
ajoutait-ildans une lettre à Polybe, se plain- ravagent le pays et interceptent les routes. An-
drait de la rigueur intolérable de l'hiver, de dronicus, tombé dans leurs mains, ne s'est
cette affreuse solitude, de.ses souffrances et ma- sauvé qu'en leur laissant tout ce qu'il portait.
ladies pour moi, je ne me plains que de notre
;
Aussi je vous demande de ne plus m'envoyer
séparation,pluspénibleàsupporterque l'hiver, personne; car il serait possible qu'un pareil
que la solitude, que la maladie. La mauvaise voyage exposât à mort celui qui l'entrepren-
la
saison augmenie ma tristesse en me privant de drait et si ce
; malheur avait lieu, vous savez
la seule consolation qui peut l'adoucir, le com- quelle douleur j'en éprouverais. Si vous con-
merce de vos lettres. La neige tombée en abon- naissez quelqu'un d'une fidélité assurée, que
dance ferme toutes les roules; personne ne peut d'autres affaires conduisent donnez-moi ici,

sortir d'ici, personne ne peuty venir. Ajoutez par lui des nouvelles de votre santé mais que ;

à cela la crainte des Isaures, qui écarte et met personne ne vienne à cause de nous en parti-
en fuite tout le monde. Nul n'est resté chez soi, culier et dans notre intérêt personnel* ».
chacun a quitté sa maison et s'est sauvé oîi il a Ce ne fut pas la seule fois que les amis de
pu. Les villes ne sont plus que des murailles Jean eurent à trembler pour ses jours. La ma-
vides, les antres et les bois ont remplacé les ladie dont il parle dans cette lettre était une
villes. Semblables aux bêtes fauves, aux lions rechute, un nouveau paroxysme d'une mala-
et aux léopards, qui trouvent leur pins grande die continue. Naguère encore il avait écrit à
sûreté au désert, nous, malheureux habitants Olympiade a Je vous adresse cette lettre des
:

de l'Arménie, nous émigions d'un lieu à un portes du trépas, d'où je reviens à peine, et je
autre, comme des nomades et des Ilamaxo- me félicite que vos gens ne soient arrivés ici
biens, sans pouvoir nous arrêter avec confiance que lorsque déjà je touchais au port; car,s'ils
nulle part, tant le brigandage de ces Barbares m'avaient surpris au plus fort de la tourmente,
remplit tout lie tunuilte et de confusion Ils 1 il m'eût été difûcile de tromper votre piété en

massacrent, ils incendient, ils emmènent en vous donnant de bonnes nouvelles pour de
esclavage. La seule terreur de leur nom chasse mauvaises. L'hiver, en effet, plus rigoureux
des villes une foule de gens, ce qui est aussi les que de coutume, s'est acharné plus violem-
tuer. Cond)ien de jeunes hommes obligés de ment sur mon estomac. J'ai passé deux mois
quitter tout à coup leurs demeures, la nuit. dans un état semblable à celui des morts, oii
'
Cbrys , tp. 127. — ' M., ep. 15, irabiss. ;
nnn. 406.
46S HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

pire encore; car je ne jouissais du bénéfice de besoin de prêcher pour convertir; sa vie, plus
la vie que pour sentir les maux qui m'acca- éloquente que ses plus beaux sermons, était ut
blaient. Du reste, tout était nuit pour moi; le apostolat. Ni les vicissitudes de l'exil, ni de
malin comme le milieu du jour, je ne quittais fréquentes maladies, n'avaient pu le distraire

pas leVainement j'essayais mille moyens


lit. de l'étude des livres saints, et il continuait à
de me garantir du froid je restais glacé. J'avais
,
en expliquer la profondeur et la beauté, non
beau allumer du feu, vivre dans la fumée, me plus en public devant les foules émerveillées,

charger de cent couvertures, je ne laissais pas mais dans un petit cercle d'amis heureux de
de souffrir beaucoup. J'étais en proie à de vives l'entendre. De là, ces recommandations au lec-

douleurs de tète, à de fréquents vomissements, teur Théodore, l'un de ses disciples privilégiés:

au dégoût de toute nourriture, à une conti- « Tout le loisir qui t'est laissé, emploie-le à
nuelle insomnie. La nuit me semblait d'une lire les Ecritures divines. Donne-leur autant

longueur sans fin.... Le premier souffle du de temps que la faiblesse de les yeux le per-
printemps a tout dissipé mais je demeure ;
met, afin que, l'occasion se présentant d'en
astreint à un régime sévère. Ce dont j'ai le découvrir le sens à ta noble intelligence, je
plus souffert, c'est de la pensée que vous étiez puisse le faire plus aisément. Sois assuré que
vous-même en danger... Et toutefois des nou- cette lecture ne te sera pas d'un [letit secours
velles rassurantes et vos lettres sont venues me pour te préparer à saisir la doctrine cachée
délivrer de ces alarmes... Laissez-moi vous fé- sous la lettre '
».

guérison et de cet in vinciblecou-


liciter de votre
George d'Alexandrie raconte que, dès son
rage qui vous fait regarder vos propres souf- arrivée à Gueuse, Jean frappa l'attention par un
frances comme de pures fictions... Je ne sens grand miracle : la guérison instantanée d'un
plus les ennuis de ma solitude ni la maladie ;
paralytique, et que la seule vue de ce prodige

qu'heureuxen pensant à votre opéra parmi les idolâtres une foule de conver-
je ne suis et fier
grandeur d'âme, à tant de victoires remportées, sions. Le témoignage de George a peu d'auto-
rité mais on peut dire que, là comme ail-
non dans un intérêt personnel, mais dans l'in- ;

térêt de celte grande et populeuse cité dont leurs, le plus aulhentk]ue et le plus beau sans

vous êtes le rempart, le portetla citadelle ». ' doute des miracles de notre Saint, ce fut sa
Le printemps de 406 fondit les neiges, et charité. La fan.ine, en effet, ravageant le pays,
il sut, lui pauvre exilé, nourri des largesses
permit à la milice impériale de reprendre les
postes qu'elle avait perdus et de refouler les d'Olympiade, nourrir, à son tour, une infinité
Isauresdans leurs montagnes; le pays respira. de pauvres et multiplier le pain matériel avec
la même profusion que celui de la vérité *. Son
Jean revint à Gueuse; mais partout sa bonté,
sa résignation, sa charité toujours prête au sa-
nom béni était dans toutes les bouches. La per-
crifice, la bonne odeur de Jésits-Christ qui sécution propageait sa gloire, comme la tem-

s'exhalait de ses discours et de ses œuvres, fai- pête ces fleurs dont elle emporte au loin les dé-

saient sur les populations, même païennes, une bris. Sous le coup de l'ostracisme, à l'extrême

profonde et sainte impression. Ons'élonnait,en frontière de l'empire, perdu dans ces froides

le voyant de près, de le trouver plus grand et lointaines montagnes, nous l'avons dit, il

que sa renommée; l'admiration se changeait était la pensée de l'Eglise. Sa cause émouvait

vite en attachement. Bien qu'il eût refusé, en l'Occident. D'Epbèse, d'Antioche, de Gonstan.

arrivant en Arménie, la chaire épiscopale de tinople, de nombreux visiteurs accouraient

Gueuse, où l'évêque voulait l'installer à sa pour saluer, une fois au moins, le grand mar-
place, il ne laissa pas d'opérer, soit par la pa- tyr de la liberté évangélique et de la charité.

role, soit par l'exemple, de nombreuses cou- Lui, indifférent à son propre sort, il ne s'oc-
quêtes spirituelles '. Du reste, il n'avait pas cupe que de l'Eglise, de ses amis et des pau-
vres: trois sentiments qui n'en font qu'un dans
' Chtys. ep. 6. son cœur. Ausculté à travers ses lettres, s'il est
* Pallad., dial., p. 38. In exilio Chrysostomi increffibile est
quanta mala perpessus sit et guam muUos ad Jesu Christi fi'iem
eonverterit. {Ofjic. Sti. in Brev. roman. ^ 27 januar.) Kien sans fait leP. Stilting {§ 83, n. 1337), que Jean ait prêché en Artnénie,
doute n'anton&e ce que dit George d'Alexandrie, que le saint doc- c'estdonner un démenti gratuit à Pallade (dial., p. 38), qui parie
teur expliqua publiquement à Cucuse le Psautier et autres livres dei expressément du bien que fit notre Saint par l'aumOne et par ta
Ei^.'ii'ires;mais nous iûfercns de la lettre de Jean {ep I3G) au lec- parole, ainsi qu'au Bréviaire romain qui célèbre les nombreuse»
teur Ttieodole, que ce qu'il ne faisait pas eu chaire, il te faisait en conveis'.ons opérées par le noble exilé.
particulier dans un cercle de disciples et d'amis. Nier, coiome U ' Cbrys., ep. 136. — ' Pallad., dial., p. 3».
CHAPITRE QUARANTE-DLLXIÈME. 46d

permis de le dire, ce cœur ne reml qu'un son: compense immortelle dont il jouit par avant-

aimer II aime Jésus-Clirist, ilaimel'E^^iise, il


1 goût dans la fermeté de son espérance. Le creu-
aimi' le< àiues, il ;uiiu' riimiiiiDik' dans Josus- set (le l'ad versiléafline l'orde ses bonnesœiivres
Chiist et Josus-Clii ist dans riiumaiiilé. Sa vie et le fait resplendir sous le regard de Dieu. Le
est là tout entière. Quant à ses souffrances, il vrai chrétien est comme le diamant que le
s'en félicite plus qu'il ne s'en plaint car son ; marteau ne (leut briser ; il défie les démons et
âme grandit et munie, comme la palme, sous le moiule de lui nuire, s'il ne le veut. Son âme
l'étreinte de l'infortune. Disciple de Paul, il ne succombe que pour s'être abandonnée et
éprouve comme son maître le sublime besoin trahie elle-même. Elle seule fait son bonheur
de souffrir. La doctrine de la Croix respire et ou son malheur.
vit eu lui; il eu est le commeiitaire eu action, Le second de ces deux écrits, plus étendu que
écrit d'enthousiasme, en traits de flamme. le premier, n'a d'autre titre que cette sim|)le
Toute la pliilosopluedet^lirysoslomese réduit suscription : A ceux qui ont été scandalisés.
à cette formule: Soutl\ir a\ec Jésus-Clirist C'est un traité sur Providence. Ce qui se
la

pour être heureux avec Jésus-Christ. passait depuis deux ans à Constanlinople et
Ce grand et fécond enseignement, qu'on re- danstoull Oiient, la proscri|)tiondesplus saints
trouve cent fois dans ses discours, il le déve- évoques, letriiiinpheimpiedes intrus, l'oppres-
loppe plus explicitement dans deux ouvrages sionde l'Eglise, l'acharnement d'Arcadius et de
composés à Gueuse, vers la fiu de son exil et de sa cour contre tout ce qui était vénérable dans
sa vie, et, pour ainsi dire, au duuhle llambeau le clergé, dans les fidèles, dans les femmes con-
de l'adversité et de l'immurtalité. Ecrits puur sacrées à Dieu, les souffrances d'une foule
Olympiade et pour un petit nombre d'amis, ils d'honnêtes gens victimes de leur constante
entêté pieusement con-ervés en faveur des af- fidélité au devoir et à lajustice, avaient fini par
fligés de tous les pays et de tous les siècks. Les troubler bien des âmes. De là, des murmures
derniers sortis de sa plume, ils sout comme contre le Ciel, le découragement, le doute, et
le testauientde Sun génie, le dernier son d'une les épreuves salutaires aux uns devenues le
grande âme, le cri du phénix au moment où, scandale des autres. C'est pour ceux-ci ([ue le
secouant la cendre de ses ailes, il s'élance du saint orateur a pris la plume. « J'ai composé
bûcher dans les cieux. Il règne dans ces deux pour eux, dit-il, un antidote souverain, et je
livres une sérénité douce et saiute qui se com- veux le porter à leur connaissance, convaincu
munique au lecteur. On sent que le disciple du qu'en quelque lieu et dans quelque situation
Divin Crucifié a gravi, lui aussi, son calvaire, qu'ils soient, fussent-ils relégués aux limites
et qu'arrivé au faîte, il ne voit plus rien que du monde, fussent-ils plongés dans la dernière
d'en-haut, dans le repos d'un jour surnaturel. détresse, il leur rendra la santé, pourvu qu'ils
Le premier porte ce titre Rien ne peut nuire: veuillent prêtera mes iiarolesune bienveillante
à celui qui ne se nuit fias à lui-même. L'auteur et sérieuse attention ». Cet antidote merveil-
en recommande la lecture à Olympiade conmie leux, c'est la foi à la Providence, qui gouverne
un excellent remède à ses maux'. On y respire d'une maiu sûre, avec autant de sagesse que de
d'un bout à l'autre un grand sentiment de la puissance et de bonté, les choses d'ici-bas, tire
dignité de l'âme humaine, trop supérieur à le bien du mal, et, à travers ce chaos de vo-

toutes les choses d'ici-bas pour trouver dans lontés rebelles et de coupables pensées, marche
aucune son bonheur ou son malheur, lie nom- victorieusement à son but: le triomphe de la
breux exemples y meltenl dans une plus vive vérité sur la terre, le bonheur des élus dans le
lumière cette vérité connue que le vrai bien : ciel.

de l'homme, le seul digne de lui, c'est la vertu. Mais quelle est donc la cause de cesdoutes qui
Or, notre vertu ne peut recevoird'atteinleque s'emparent si vite de l'esprit de l'homme, de ce
denous-mêmes. Disgrâces, calomnies, perte de scandale auquel il succombe si promptement?
la fortune ou de la liberté, ces maux qui arra- Chrysostome la trouve dans cette orgueilleuse
chent a tant d'esprits faillies des plaintes insen- curiosité qui veut savoir la raison de tout, et
sées contre la Providence, aux yeux du vrai s'enhardit â juger Dieu lui-même et sa Provi-

sage constituent des expiations nécessaires, des dence incompréhensible, ineffable, infinie,
sources fécondes de mérite, des titres à la ré- a Qui fut plus sage que Paul? dit-il. N'avait-ii

'
Clii;9., ep. 4. pas reçu les plus belles grâces? N'avait-il pas
470 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

entendu des choses que l'homme ne peut expri- nèbres; non-seulement les fruits, mais les
mer? N'avait-il pas Jésus-Chrisl dans son cœur épines; non-seulement les hommes, mais les
qui lui parlait et l'instruisail? Dieu n'avait-il reptiles ; non-seulement le soleil et la lune,
pas confié à ses mains l'univers entier? Et ce- mais la foudre et les tempêtes; non-seulement

pendant, cet homme si grand, si puissant, dès les colombes, mais les vautours non-seule- ;

qu'il vient à méditer, non sur l'ensemble des ment mais les tigres; non-seulement
Its brebis,
œuvres de la Providence, mais sur une seule, les plantes utiles, mais les vénéneuses et parce ;

\oyez comme ils'élonne, comme il est pris de qu'il prévoyait que plusieurs de ces choses se-
A'ertige, comme il recule et avoue qu'il ne peut raient pour quelques-uns une pierre d'achop-
comprendre 11 ne s'euqiiierl pas de l'action de
1 peîuent et un prétexte d'hérésie. Dieu se plut
Dieu sur les Anges, sur les Archanges, sur les à louer dans les détails et dans l'ensemble tout
Chérubins et les Séraphins, ni comment il gou- ce qu'il avait fait ». C'est la même pensée que
verne le ciel, les astres, la terre, les plantes, les Dossuet exprime ainsi dans son magnifique
vents, les fleuves, les animaux; un seul point langage « Nous avons appris de Moïse que le
:

roccupe,laconduite de la Providence dans l'é- divin Architecte, à mesure qu'il bâtissait ce


lection des Juifs et des Gentils, comment elle grand édifice, en admirait lui-même toutes les
appelle les uns et rejette les autres ; et, s'aper- parties Dieu vit que la lumière était bonne ;
:

cevant qu'il a ouvert sous ses pas un abîme, il qu'en ayant composé le tout, il avait encore en-
demeure stupéfait, effiajé el s'écrie : profon- chéri, l'avait trouvé parfaitement beau : Et
deur des trésors de la sagesse et de la science de erant valde bona ; enda qu'il avait paru tout
Lieu! Que ses jugemenls sont incompréhensi- saisi de joie dans le spectacle de son propre

bles et ses voies impénétrables! Et presque aus- ouvrage. Où il ne faut pas s'imaginer que Dieu
sitôt Qui a connu les desseins de Dieu? ou qui
: ressemble aux ouvriers mortels, lesquels,
est entré dans le secret de ses conseils? ou qui comme ils peinent beaucoup dans leurs entre-
lui a donné le premier pour en attendre la ré- prises, et craignent toujours pour l'événement,
compense ? Tout est de lui, tout est pour lui, sont ravis que l'exécution les décharge du tra-
tout est en lui. A lui donc l'honneur et la gloire vail et les assure du succès. Mais Moïse regar-
dam tous les siècles ! Atne7i Si donc la sa- dant choses dans une pensée plus sublime,
les

gesse et la science de Dieu sont inQnies, si ses et prévoyant en esprit qu'un jour les hommes
voiessontimpénétrablespourPaul,pourPierre, ingrats nieraient la Providence qui régit le
pour les Vertus célestes elles-mêmes, n'es-lu monde, nous montre, dès l'origine, combien
pas insensé, toi qui prétends juger ton créa- Dieu est satisfait de ce chef-d'œuvre de ses
teur? Quelle peut être l'excuse d'une pareille mains; afin que, le plaisir de le former nous
témérité? Homme, qui es-tu? Boue, étant un gage certain dusoinqu'ildevaitpren-
cendre, poussière, fumée qui s'évanouit, herbe die à le il ne fût jamais permis de
conduire,
qui sèche, fleur qui tombe dès le malin Et douier qu'il n'aimât à gouverner ce qu'il avait
celui dont tu veux sonder et connaître les pen- tant aimé à faire, et ce qu'il avait lui-même
sées, c'esU'immorlel, l'immuable, l'élre qui est jugé digne de sa sagesse ' ».
si

toujours et de la même manière, sans comuieu- Celte pensée conduit Jean à démontrer la vé-
cement, sans fin, mille fois au-dessus de toute rité de la Providence par l'ordre et la beauté
intelligence, de toute pensée, l'inexplicable, l'i- de l'univers. Nous l'avons vu, c'est un sujet
neffable, l'incompréhensible non-seulement qu'il aime et sur lequel il s'arrête volontiers.
pour pour moi, mais pour les proj)bètes,
toi, Son imagiualion rajeunie semble puiser dans
pour même pour ces natures incor-
les apôtres, lacontemplation des merveilles de la Création
porelles et pures qui vivent toujours dans le quelque chose de leur splendeur, pour peindre
ciel 1 B et célébrer les magnificences et les délicatesses
a Moïse, poursuit le saint docteur, a réprimé de royale et divine hospitalité qui accueille
la
d'un mot cette insolente curiosité, et confondu l'homme dans son passage à travers le temps.
d'avance ceux qui devaient un jour trouver à a 11 y a des hommes de boue, écrit-il, des
reprendre dans les œuvres de Dieu. Dieu, dit-il, hommes esclaves de la chair, d'un esprit ob-
vit tout ce qu'il avait fait et le trouva parfai- stiné et rebelle. Prouvons-leur la Providence
tement bon. Or, entre les choses qu'il voyait, il par les œuvres qui l'attestent. Non que j'enlre-
y avait non-seulement la lumière, mais les té- ' Bjssuet, t. 12, p. iOl.
CHAPITRE QUARANTE-DEUXIÈME. 471

prenne de parcourir le théâtre entier de la na- imposantquele lui-même, paraissanttout


soleil
ture; à peine en puul-on saisir la plus minime à coup sur la scène du monde, illuminant de ses
partie, tant il est innnense, infini ! El les êtres rayons, qu'il lance partout, et la terreet la mer,
les plus petits aussi bien que les plus grands, et les bois et les montagnes, et l'immensité du

ceux que l'œil découvre comme ceuxciui éciiap- firmament III a débarrassé la nature du funèbre
pent aux regards^ rendent un égal hommage à manteau de la nuit, et il en dévoile à nos yeux
la Providence. luunmel celte harnumie ad- ravis toutes lesrichess'iS.Qui peutassez admirer
mirable des créatures, Dieu ne Ta faile pour la régularité de son corps immuable dans la
aucun autre que pour toi ! Pour toi seul il a viciss Inde de tant de siècles, et son ministère
créé celle nature si belle, si grande, si variée, non interrompu dans la création, et sa beauté
si riche,durable, si utile, qui fournit avec
si toujours florissante, et la splendeur, la pureté
tant de profusion soit à l'entretien de ton corps, de sa lumière qui se mêle à tout sans être
soit à l'instruction de ton làme , et te trace la souillée par rien? Ajoutez à cela la vaste et
route pour arriver à la connaissance de son au- salutaire influence qu'il exerce sur les plantes,
teur. Ce n'est pas pour les Anges que Dieu a sur les hommes, sur les quadrupèdes, sur les
fait cela n'en avaient pas besoin puisqu'ils
: ils poissons, sur la terre, sur la mer, sur tous les
existaient avant que cela ne fût. Dieu lui-même objets que notre vue peut embrasser, car tout
l'apprend à Job : Quand je créai les astres, tous a besoin de sa lumière : elle rend meiUeur tout
lesAnges chantèrent mes louanges à haute ce qu'elle touche, non-seulement les animaux
voix ', c'est-à-ilire qu'ils admirèrent avec trans- et les plantes, mais les eaux, les lacs, les fon-
port la niuUilude, la variété, la grandeur, taines, les fleuves, l'air lui-même, qui par elle
l'ordre, l'harmonie, la beauté, la splendeur, devient plus léger, plus transparent, plus pur.
la perfection de ces chefs-d'œuvre d'une main C'est pourquoi le Psalmiste, voulant exprimer
divine dont ilsont une connaissance bien su- la beauté de cet astre, son éclat immortel, son
périeure à la nôtre.... Qu'y a-t-il de plus beau inaltérable jeunesse, sa fleur, qui ne se fane
que le ciel éclairé par le soleil ou par la lune, pas, sa pompe, sa magnificence, la mission
ou tout rempli d'une armée innombrable d'é- qu'il remplitsi fidèlement, s'est exprimé ainsi :

toiles, qui sont comme autant d'yeux ouverts Le Seigneur a placé sa tente dans le soleil^ et
dont le regard plonge sur la terre et s'y attache le voilà qui s'élance comme un géa7it pour
pour indiquer au voyageur ou au
sa route parcourir sa carrière ; il part d'une extrémité
matelot? Celui qui sillonne la mer, debout à du ciel et porte sa course jusqu'à l'autre; rien
côté de son gouvernail, se confie aux caprices ne se dérobe à sa chaleur '.
des vents, à la fureur des flots, aux ténèbres a A moins que le lecteur ne soit déjà fatigué,

de la nuit, sûr que du haut du ciel les astres jemontrerai la Providence dans la formation
conduisent ses pas; bien qu'à une si grande des nuées, dans la succession des saisons, dans
distance au-dessus de sa tête, ils ont l'air, en les solstices, dans les vents, dans les flots, dans
eCTet, d'être près de lui, de veiller sur lui ; il les diverses espèces de reptiles, d'oiseaux, de
les interroge, et, sans parler, ils le conduisent poissons, d'amphibies, de quadrupèdes, dans
au port avec certitude... les sources et dans les fleuves, dans la terre
a Qu'y-a-l-il de plus doux à contempler que habitée et inhabitée, dans ces innombrables
le ciel déployé sur nos têles comme une ten- familles d'arbres, de plantes, de végétaux qui
ture éclatante, ou émaillé de fleurs comme naissent soit dans les lieux déserts, soit dans
une prairie et montrant sa riche couronne? les lieux cultivés, dans les plaines ou sur les
Non, le regard est moins charmé dans le jour montagnes, ou d'eux-mêmes ou par les soins
par la vue d'une belle prairie que la nuit par de l'homme...; dans la mort, dans la vie, dan?
la vue du ciel tout couronné de bouquets d'é- le travail auquel nous sommes condamnés;
toiles, bouquets qui ne se flétrissent pas, qui dans la joie, dans la tristesse, dans les alimenlr
étalent sans altération leur éternelle beauté 1 ou dans les breuvages qui furent mis à notre
Qu'il est délicieux à voir, le matin, quand, la disposition; dans les arts, dans les sciences;
le soleil pas encore levé, il se
nuit déjà partie, dans les bois, dans les pierres, dans les mines
pare d'un voile d'or qu'empourprent les pre- où se cachent tant de richesses; dans les îles,
miers feux de l'aurore Et quel spectacle plus I dans les ports, dans les rivages dans la vaste ,

• Job., c. 38. • P«. 18.


rîSTOIRE DE SAINT JEAN ClIRYSOSTOME.

surface et dans la profondeur de l'Océan ; dans meilleur un jour, et cela à cause de toi, selon
la naturedeséléments qui composentle monde; de l'Apôtre La créature sera dé-
cette parole :

dans l'harmonie de notre corps, dans la consti- de r asservissement à la cor-


livrée^ elle aussi,

tution de notre âme dans les services que nous


;
ruption, pour partager la gloire et la liberté
rendent les bêles, les plantes, toutes ces choses des enfants de Dieu\ Garde-toi donc d'une
créées pour notre usage, et même dans les curiosité téméraire et de vouloir scruter ce
êtres les plu? petits, les moins dignes de notre que tu ne peux comprendre Car, si Dieu nous !

attention. Qu'y a-t-il, par exemple, de plus a donné l'être, c'est pure bonté de sa part; il
qu'une abeille, de plus vil
chélif et de plus laid n'avait pas besoin de nous. C'est pourquoi nous

qu'une cigale ou une fourmi? Et pourtant ces devons l'adorer et le louer, non pas seulement
insectes eux-mêmes attestent d'une voix intel- parce qu'il nous a tirés du néant, ou qu'il nous
ligible la providence, la sagesse , la puissance a donné une âme incorporelle et raisonnable,
de Dieu. Et c'est pour cela que le Prophète à ou qu'il a voulu nous placer au rang de ses
qui Dieu avait donné si pleinement son esprit, créatures les plus excellentes et nous décerner
après avoir parcouru d'un regard la Création, l'empire sur tout ce que nous voyons, mais
bien qu'il n'en eût aperçu qu'un petit recoin, parce qu'il a fait cela sans que rien l'y déter-
ne laisse pas de s'écrier dans un profond éton- minât, si ce n'est sa bonté. Est-ce qu'il n'était
nement Que vos œuvres: sont grandes, ô mon pas en possession de sa gloire et de son bon-
Dieu! vous avez tout fait dans votre sagesse '. heur avant de nous donner l'existence, avant
Et toutes ces merveilles divines, homme, elles même de la donner aux Anges et aux Vertus
sont pour toi. C'est pour toi qu'il y a des vents, célestes? Ainsi, nous ne devons qu'à son amour

afin que leur souffle salutaire rafraîchisse ton le bienfait de la vie et tous les autres».
corps fatigué, chasse les miasmes funestes, tem- Mais d'autres preuves de Providence appa- la

père l'ardeur du soleil, donne aux semences raissent, aux yeux du saint orateur, dans la

la nourriture, aux plantes l'accroissement, t'ac- sollicitude de Dieu pour notre salut, dans la

compagne sur les mers ou te vienne en aide double révélation faite au genre humain, dans
dans les travaux des champs; car il donne à les sublimes abaissements et l'adorable immo

les vaisseaux la rapidité de la flèche, et tantôt lation du Verbe éternel. «L'enseignement qui
il balaie ton aire en séparant le grain de la ressort des créatures, dit-il, et par elles conduit

paille, tantôt gazouillant doucement dans le à Dieu, étant devenu inutile au grand nombre
feuillage des arbres, il t'invite à goûter sous des hommes par suite de leur excessive perver-
l'influence du printemps ou de l'été un déli- sité, la miséricorde divine a cherché d'autres
cieux sommeil, tantôt il ride le dos de la mer, moyens de nous apprendre la vérité, et nous a

la surface des fleuves, ou lance les vagues à donné de tous les biens,
celui qui est la source

une grande hauteur, charmant ton regard, en son Fils unique, son Fils bien-aimé. Ce Fils qui
même temps qu'il ventile l'eau et l'empêche de a la même nature que son Père, ce Fils qui
secorrompre par une perpétuelle immobilité. est Dieu , est devenu ce que je suis ; il a vécu
La nuit elle-même t'apprend à connaître la sur la terre, il a conversé avec les hommes, il

providence de Dieu, car elle récrée ton corps a souffert pour nous.... Qui donc n'est étonné
lassé et lui rend par un doux repos sa force de tant d'amour, d'un amour qui porteun Dieu
épuisée par les travaux du jour.Trève précieuse à livrer son propre Fils à la mort, à la mort
auxsoucis, aux chagrinsqui nous importunent, ignominieuse des scélérats? Si le Verbe fait

elle apaise les ardeurs de la fièvre , oppose le homme a été humilié, conspué, flagellé, alta-

sommeil à la maladie et porte un secours effi- ciié à la croix , c'est pour toi, homme, c'est

cace à l'art incertain de la médecine.... Je ne parce qu'il est plein de sollicitude pour ton
finirais pas si je voulais parcourir une à une salut, c'est pour t'arracher à la tyrannie du pé-

les scènes si variées de la Création. Je me ré- ché, pour restreindre l'empire du démon, pour
sume dans un mot : C'est pour toi, homme, effacer l'anathème antique ,
pour désarmer la
que tout a été fait ; les arts , les cités, les ha- mort, pour t'ouvrir les portes du ciel, pour
meaux, la nuit, le jour, la vie, la mort, le t'enseigner la patience et te rendre supérieur
monde entier, tel qu'il se montre à tes yeux, aux épreuves de la vie, aux injustices, aux ou-
tel qu'il doit être un jour; car il deviendra trages,aux calomnies; car il est passé par les
' V: 103,
• Ad Sont., e. II.
CHAPITRE QUARANTE-DEUXIÈME. 473

vicissitudes de notre existence, il est entré en prend pitié de ceux qui le craiqnent Et le Sau-. '
.

communion de douleur avec nous, et la vic- veur lui-même n'a-l-il pas dit Oit est l'homme :

toire remportée t'apprend à ne pas


qu'il a parmi vous qui donne une pierre à son fils
redouter les maux d'ici-bas. Ce n'est pas tout, quand il lui demande du pain, ou un serpent
et, après être remonté au ciel, il a répandu la quand il lui demande im' poisson ? Si donc,
grâce imCfible de l'esprit et suscité les ApiMres vous qui êtes mauvais, vous savez donner de
pour en être les ministres et les instruments. boimes choses à vos en faits, combien plus notre
Et si ces hérauts de la vie ont soulTert tant Père qui est dans les deux donnera-t-il de
d'injustices et d'affronts, la faim, la st)if, le bonnes choses à cnix qui les lui demandent !

fouet, les tortures, c'est à cause de toi qu'il a Ainsi parle le Maître des prophètes et de tout
permis qu'ils souffrissent ainsi. Pour toi, il a le monde, et par là il nous enseigne qu'autant
préparé le royaume des cieux, et ses biens iné- lalumière diffèredesténèbreset le bien du mal,
narrables, et ses demeures diverses, et ce bon- autant la bonté de Dieu pour ses créatures
heur qu'aucun discours ne peut expliquer. Et l'emporte sur toute affection, même celle d'un
quand sa Providence s'est manifestée par la père pour ses enfants. Encore faut-il ne pas
foule de témoignages qire nous fournissent s'enfermer dans la lettre de ses comparaisons,
l'Ancieu et le Nouveau Testament, la vie pré- mais sortir du langage humain, quand on veut
sente et la vie future, les faits journaliers et exprimer cet excès infini de la divine bonté
ceux qui sont réservés à la succession des siè- pour nous. Dieu lui-même n'a-t-il pas dit par
cles, le commencement, le cours et le progrès la bouche du Psalmiste Autant le ciel est au- :

des événements, l'organisation de nos corps et dessus de la terre, autant le Seiqneur affermit
l'économie de la religion, quand des milliers sa miséricorde sur ceux qui le craiqnent ; et
de voix la proclament de toutes parts autour de par la bouche d'Osée: Comment te traiterai-je,

nous, tu doutes encore Non, tu ne doutes pas ;


1 ô Ephraïm ? Puis-je te protéger, ô Israël ? Fe-
tu crois qu'il y a une Providence qui gouverne rai-je de vous ce que j'ai fait d'Adama? Vous
le monde et prend soin de toi tu en es con- ; rendrai-je semblable à Séboïml Mon cœur est

vaincu. Cesse donc tes vaines recherches, puis- ému en moi-même, il est agité de compassion ;

que tu avec certitude que lu as le bonheur


sais et par la bouche d'isaïe : Ainsi que l'époux se
d'avoir un Maître qui a pour toi pins de ten- réjouit en sa jeune épouse, ainsi le Seigneur se
dresse qu'un père, dont le cœur veille sur toi réjouit en toi ?U multiplie les images pour
avec plus de sollicitude qu'une mère sur son nous comprendre la vérité, la véhémence,
faire
enfant, qui t'aime avec plus d'ardeur qu'un la flamme de son amour. 11 nous aime comme

époux son épouse, qui fait ses délices de s'occu- un père et beaucoup plus comme une mère et ;

per de ton âme et ressent plus de joie de ton beaucoup plus, et rien sur la terre ne peut me-
salut que tu n'eu aurais d'échapper aux plus surer l'étendue de son affection !....»
grands périls Du reste, le sage n'a pas be- Le saint apologiste de la Providence ne pou-
soin de la démonstration tirée des œuvres di- vait écarter la grande question tant de fois
vines; il lui sufiit de l'afllrmalion de son Dieu agitée : Pourquoi les méchants sont-ils heureux
pour croire non-seulement à sa providence, etlesjustesafQigés? Pourquoi le mal? Il se la
mais à son amour infini pour nous. Et, en effet, pose donc, et la résout de la même manière
ce n'est pas d'une manière quelconque qu'il que dans ses livres à Stagyre et dans plusieurs
s'intéresse à nous, mais avec une affection de ses homélies. Et d'abord, dans l'ordre phy-
ardente, profonde, inextinguible. L'Ecriture sique, qu'est-ce que le mal? Ce mot sur nos
nous l'insinue par une foule de similitudes lèvres n'atteste que notre ignorance et la faible
tirées des choses humaines, dans lesquelles portée de notre vue. Si notre regard pouvait
néanmoins il ne faut voir que des exemples embiasser l'ensemble des choses créées, nous
imparfaits et bien au-dessous de la vérité. En- serions étonnés de voir que les plus disparates,
tendez le Prophète Une ftimme pcul-elle ou-
: les plus importunes ont leur utilité, leur beauté

blier son fils, le fruit de son sein ? Elle le fe- propre, et concourent admirablement à l'har-
rait que, moi, je ne t'oublierai jamais, Israël, monie du tout. Quant au mal moral, c'est
dit le Seifjneur '
/ Et ailleurs : Comme un ijcre l'œuvre de l'homme. Il n'existe sur la terre que
qui s'attendrit sur ses enfants, ainsi le Seigneur par le mauvais usage de uotre liberté. Dieu
' 11., «9. •
P«. 102, V. 13.
474 HISTOIRE DE SALNT JEAN CHRYSOSTOME.

n'eût pu l'empêcherqu'enrefusantàlacréalure mesure, tâchons plutôt de nous accommoder à


raisonnable le libre arbitre, son plus beau pri- lasienne et devenons éternels pour juger l'E-
vilège, le fondement de son mérite et de sa ternel '.

gloire. Mais il fait mieux que d'empêcher le « Si tant est, s'écrie l'éloquent écrivain, que
mal, il Ta contraint à devenir un instrument ton indiscrète curiosité veuille scruter la Pro-
de bien, et son infinie sagesse y a trouvé l'oc- vidence, attends du moins le dénouement, et
casion de déployer les prodiges de la grâce et ne te précipite pas dès l'abord dans la défiance
de verser sur nous des trésors d'amour. Le et dans les alarmes... Je suppose un homme né

juste peut-il se plaindre de ses souffrances, et élevé dans un vaisseau et ne connaissant que

quand par elles il entre dans une heureuse con- la mer déposez-le sur le rivage, et que là il
:

formité avec Jésus-Christ, son Sauveur et son voie le laboureur tirer de ses greniers bien
Dieu? A-t-il le droit d'appeler souffrances de fermés le blé qu'il y gardait avec précaution,
salutaires épreuves que le Ciel ménage avec le porter dans son champ, .l'y jeter et répan-

amour à ses élus les plus chers, soit pour ex- dre, l'abandonner en pleine terre à la discré-
pier leurs fautes s'ils ont péché, soil pour s'en- tion des allants et venants; bien plus, le couvrir
richir de plus hautes vertus s'ilssont restés sans de fumier et la merci de tout ce
de fange, à
reproche? Qu'y a-t-il de plus redoutable ([ue qui peut arriver première pensée ne sera-t-
; sa
certaines prospérités? Même à ne voir que les elle pas que ce laboureur est un insensé qui

choses du temps et ce qui se passe sur cette veut perdre son grain? Qui aura tort, du la-
terre, il est impossible de ne pas reconnaître boureur, ou de l'ignorant qui se hâte déjuger
dans le gouvernement de ce monde la main ce qu'il ne sait pas et ne prouve ainsi que son
souveraine d'un Dieu juste et bon. Il n'attend ignorance? Qu'il attende l'été, et retourne voir
pas le jugement final pour frapper le crime ou cette moisson ondoyante qui appelle lafaucille,
venger la vertu. Le terrible Manè, Thecel, ce blé jeté au hasard, abandonné, pourri dans
Phares, a glacé d'effroi plus d'un Balthazar la terre, maintenant rajeuni, multiplié, bien

dans l'ivresse de son bonheur, et l'histoire est vêtu, qui dresse fièrement sa tête au milieu
pleine de ces catastrophes exemplaires qui, d'une escorte nombreuse, et, après avoirréjoui
brisant tout à cou pie fragile échafaudage d'une l'œil qui le contemple, fera l'aliment et la ri-

coupable prospéiilé, rappellent aux rois et aux chesse du laboureur quel ne sera passon éton-
;

peuples qu'il y a un Dieu au ciel et qu'on ne le nement de voir que ce qu'il appelait une perte,
brave pas impunément sur la terre. La Provi- une ruine, a été le principe du merveilleux
dence intervient si souvent et si visiblement résultat qu'il a sous les yeux El toi aussi,
!

dans les choses humaines, (juMl est impossible homme, ne précii>ite pas ton jugement devant
aux moins attentifs de la méconnaître ou de la les œuvres de Dieu ; attends la fin de l'hiver,
nier; mais en même temps elle laisse à dessein ne t'embarrasse pas que le blé confié à la terre

dans son ouvrage, à côté d'un ordre parfait, ait à souffrir de la froide saison ; l'heure de la
un désordre apparent et une espèce de con- récolte viendra, il n'y a qu'à laisser faire le
fusion, pour nous tenir dans l'attente du grand divin cultivateur de nos âmes et du monde en-
jour de Télernité, qui mettra à leurs places par Et quand je parle de dénouement, je n'en-
tier.

un dernierjugement le juste et l'impie, clalors tends pas simplement ce qui regarde la vie
ce sera, suivant l'expression du sage, le temps actuelle, bien que souvent nos doutes s'éclair-

de toutes choses '. La pensée de ce jour est le cissent dès à présent, mais surtout ce qui est
mot de la grande énigme qui trouble tant réservé à la vie à venir ; l'économie de l'une et
d'âmes impatientes et faibles, le mystère du de l'autre s'enchaîne à une même fin, noire
conseil de Dieu, la grande maxime d'état delà salut et notre gloire, et quoique distinguées
politique du Ciel'. Mortels ignorants et pré- par la différence des temps, elles se confondent
somptueux, dont l'existence et les vues sont dans l'unité du but. De même qu'ici-bas l'hiver
également limitées, nous voudrions enfermer et l'été se succèdent et concourent néanmoins
l'Eternel dans les mêmes boines que nous, et à un seul résultat, la maturité des grains de ;

nous ne songeons pas que, formés dans l'éter- même en est-il de la vie de l'homme considé-
nité, ses desseins ont besoin, pour se dévelop- rée dans les rapports du temps à l'éternité....
per, de l'éternité I Ne la léduisons pas à notre Ainsi, quand vous verrez une église opprimée,
» Eccl. 3, V. 7. — '
Scrm. sur la Provid., t. 12, p. 406 (Bosauet).
*
s. August., in pi. 91, q. 8.
CIlAPlTr.E QUARANTE-DEUXIÈME. 47£

en proie aux plus grands maux, ses personna- Croix brillera d'un éclat ineffable. splendeur
ges les plus illustres bitius de verges, traités des soulfranct^s du divin Maître gloire de la !

indignement, son chef banni, ne regardez pas Croix 1 Le soleil s'éteint, les étoiles tombent
seulement ces tristes choses, mais songez à ce comme les feuilles d'un arbre, la Croix efface
qui doit suivre, à la réinmiération, aux divines tous les astres et remplit les cieux.... La vie
couronnes, à la gloire immortelle.... Quel mal présente est un gymnase, une palestre, une
fut-ce pour Abcl dètre immolé par la main de fournaise ardente. L'orfèvre passe l'or au feu
son frère, de subir une mort violente et pré- pour le rendre plus pur; le maître de la pa-
matiuve? N'est ce point ainsi qu'il a gagné la lestre exerce ses élèves aux plus rudes travaux
plus belle des récompenses ? Joseph al-il beau- pour les rendre capables de la victoire.... Et
coup perdu à être calomnié exilé vendu , , Dieu exerce notre âme, la passe au creuset,
incarcéré, exposé à la mort ? Moïse est-il moins 1 éprouve par la tribulalion afin que sa vertu ,

grand ()arce qu'un peuple ingrat s'est révolté plus forte soit plus digne des biens éternels....
cenl fois contre lui ? Les Prophètes ne doivent- En vain Paul demande un moment de trêve;
ils pas une pai tie de leur illustration aux fureurs le Seigneur lui répond Ma grâce te suffit; la
:

des Juifs ? Les machinations du démon ont-elles force se perfectionne dans la faiblesse Ai nsi,
nui à Job, la fournaise ardente aux trois enfants loin d'accuser la Providence, les afflictions des
de Babjlone? Daniel ne fut-il pas condamné à justes en démontrent plutôt la tendresse pré-
perdre la liberté et la vie? Elle n'erra-t-il pas voyante et la paternelle sollicitude. Ce que le
dans les déserts sans secours et sans pain? monde appelle affliction, aux yeux des justes
David ne fut-il pas |)ersécuté [lar Saiil, attaqué c'est grâce et vertu. Dans lesépreuves d'une vie
par son propre tils? Jean fut décapité, les Apô- en apparence désolée, ils ne voient que le signe
tres périrent de divers supplices, les martyrs de la divine élection, les arrhes d'une immor-
ont perdu la vie dans les plus affreux tour- telle félicité. Plus rude est le combat, plus belle
ments tous ces grands hommes ne sont ils pas
: sera la récompense. D'ailleurs, ils ne combat-
devenus plus illustres en proportion des injures tent pas tout seuls le Dieu qui doit couronner
:

et des maux qu'ils ont courageusement endu- la victoire ne reste pas étranger à la lutte il y ;

rés?.... Quand l'Apôtre veut célébrer la gloire intervient par sa grâce , il communique au
de Jésus-Christ, son maître et le nôtre, il laisse pauvre champion qui se débat avec l'infortune
de côté le ciel, la terre, la mer, et tournant, une force surnaturelle, ilcombataveclui. Rien
retournant la Croix dans ses mains, il s'écrie : ne peut nuire à l'homme de bien, si ce n'est
Soyez dans le même setitirnent où a été Jésus- lui-même. La haine des méchants sert, à leur
Christ, qui, étant Dieu, s'est abaissé et rendu insu, ses intérêts éternels, comme elle con-
obéissant jusqu'à la mort et jusqu'à la mort de court par son impiété même à la gloire de Dieu.
/a cro/x... La Croix, voilà ce qui plaît à Paul, Le scandale de la Croix n'a-l-il pas été le triom-
ce qui le remplit de joie et le fait tressaillir de phe de la sagesse divine et le salut du monde?
bonheur. A Dieu ne plaise, écnl-ilsmx Calâtes, L'Eglise traînée sur les chevalets, dans les ca-
que je me glorifie en autre chose qu'en la croix chots, dans les amphithéâtres, n'a-t-elle pas
de Aotre-Seigneur Jésus-Christ /Et qu'y a-t-il conquis l'empire de l'univers?... Et même de
d'étonnant que le disciple pense ainsi ,
quand nos jours, combien parmi les fidèles qui ont
le Maître a dit, en parlant de sa mort sur le été battusde verges, enchaînés, exilés, dépouil-
gibet : Père, l'heure est venue, glorifiez votre lésde leurs biens Quelques-uns ont subi la
!

Fils?...Quedis-je?au grand etredoutable jour mort menaces supplices, rien n'a ébranlé
: ,

où le Verbe fait lionmie manifestera toute sa leur constance; on les a trouvés immuables
puissance, quand il viendra s'asseoir dans la comme le roc. Les femmes ont rivalisé d'intré-
gloire de son Père, sur ce tribunal suprême pidité avec les hommes et les ont peut-être sur-
devant lequel comparaîtront, jiâles et conster- passés. Les uns et les autres ont préféré tout
nés, tous les fils d'Adam, au milieu de.^ chœurs souffrir que de paraître unis aux auteurs de
des Anges, des Prophètes, des Apôtres, des tant de forfaits. L'Eglise y a gagné de nombreux
Vertus célestes, JcsusChrisltriomphout tiendra martyrs car ceux-là sont martyrs aussi qui
:

la croix dans ses mains : alors apparaîtra le s'exposent à la persécution et la subissent plutôt
signe du Fils de l'homme ; le soleil sera ob- que de déplaire à Dieu... Un peuple entiers'esl
scurci, la lune n'aura plus de lumière, mais la montre digne de ce titre par sa patience, par sa
476 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHUYSdSTOME.

douceur, par son courage. Sans autres armes mêmes. Mais à peine aperçue, la vérité leur
que sa veitu, il a vaincu ses ennemis, il a cou- échappe, et le rapide éblouissement qu'elle a
vert de confusion ses calomniateurs. Et tandis produit sur leurs yeux rend jdus épaisses les
que les persécutés , forts de leur conscience ,
ténèbres où retombent. Sénèque a écrit un
ils

jouissentde celte paix du cœur qui les suit par- livre sur la Providence, où il ne traite que du
tout, dans leurs maisons, sur la place publi- dcslin il y exalte le
; courage et ne conclut
que, dans les synaxes, les autres sont tour- qu'au suicide. Il serait curieux de mettre en
mentés par leurs remords j et, semblables aux regard le travail du philosophe romain et celui
flots qui se brisent contre le rocher sans l'é- du saint orateur de Constantinople. Quelle dis-
branler, ils ne sont parvenus qu'à se faire du tance de la concision prétentieuse de l'un , de
mal à eux-mêmes. Ils tendaient des pièges à sonstyle étudié qui étonne sans convaincre, qui
leurs fi ères, et ils ont creusé sous leurs pro- scintille sans éclairer, à la riche simplicité, à la

pres pas un abîme. Les premiers sont loués, pieuse éloquence, à la verve entraînante de
honores, bénis de tous ceux qui les connais- émue qui vient du cœur,
l'autre, à celte parole

sent ou en entendent parler; les seconds sont et va au cœur, sainte comme la vérité, belle

blâmés, condamnés, méprisés, dévoués à la comme l'espérance ! Et la di^tance entre les

colère de Dieu par tout le monde. Que sera-ce deux enseignements est mille fois plus grande.
dans l'éternité, et que dire des supplices qui La providence du docteur chrétien a le cœur
les attendent? Vous qui avez souffert, vous avez d'une mère : elle veille avec tendresse sur ses
acquis des droits à la récompense, non pas enfants, les suit pas à pas du regard, s'intéresse
seulement à une récompense proportionnée à à leurs peines comme à leurs joies, encourage
vos mérites, mais mille fois supérieure, à une et bénit leurs travauxcompte leurs soupirs,
,

récompense infinie ; car notre Dieu aime les recueille leurs larmes, etpour chaque douleur
hommes, et il au cen-
se plaît à leur rendre leur tresse une immortelle couronne. Le dieu
tuple ce qu'ils fontou disent de bien ». de Sénèque, sans entrailles comme sans puis-
C'est ainsi que, du fond de son exil, le saint sance, ne voit dans le juste qui soutTre qu'un
évoque console ses amis et soutient leur cou- gladiateur dans le cirque, dont les souffrances •

rage. Ses écrits, attendus avec impalience, pas- l'amusent, auquel il n'a ni pitié, ni secours, m
saient vite de main en main, àConstantinople, espoir à offrir. Pour justifier sa sagesse, il est
à Antioche, à Thessalonique, à Rome même, dit : : pourquoi
Les boîis perdent leurs enfants
où ils étaient lus avec une pieuse avidité. Chry- puisque eux-mêmes parfois ils les font
710)1,

sostome affectionnait comme orateur et comme mourir? Ils sont tués : pourquoi non, pidsque
écrivain ce thème magnifique de la Provi- eux-mêmes parfois ils se donnent la mort ' ?
dence : il l'a traité plusieurs fois avec un grand Pourquoi souffrent-ils certaines adversités?
bonheur de pensées et d'expressions. Bourda- Pour enseigner les autres à souffrir. Ils so?it
loue, Massillon, Bossuct, lui ont fait de larges nés pour l'exemple. Quel Dieu, d'ailleurs, qui
emprunts dans leurs admirables discours sur n'a que ces mots pour consoler sa créature af-
V utilité des afflictions, sur le mélange des bons fligée « J'ai pris garde à ce que nul ne pût te
:

et des méchants. Lui-même , il s'était inspiré retenir malgré toi. La porte est ouverte fuis ;

de ses devanciers. On voit qu'il a lu Grégoire si tu ne veux combattre. Tous les âges, tous les

de Nazianze ', mais il l'a surpassé. Sans doute lieux l'enseignent combien il est facile de di-
les considérations qu'il fait valoir appartien- vorcer avec la nature et de lui renvoyer son
nent au fond commun de la doctrine chré- présent. La vie n'est pas cachée en d'inacces-
tienne; on les retrouve dans tous les écrits sur sibles profondeurs. Il n'esl pas besoin du glaive
le même sujet, mais nulle part avec cette onc- pour la faire sortir, ni de fouiller dans les en-
tion pénétrante, cet abandon
doux à filial et trailles par de larges blessures. La mort est
la volonté de Dieu, qui passe de l'âme de sous ta main; je n'ai point fixé pour frapper un
l'écrivain dans celle du lecteur et appelle sur endroit circonscrit; mille moyens te sont of-
les lèvres l'action de grâces et la prière. Quel- ferts.Ce qu'on appelle mourir est trop court
ques-unes de ces considérations sont si saisis- pour qu'un mouvement si rapide puisse être
santes, qu'elles avaient frappé les païens eux- senti. Soit qu'un nœud t'étrangle, soit que

' Sen., de Provid., a, 2.


* Cûrm^ t. 2, p. 225 et 229, • Jbid., s. 6.
CHAPITRE QUARANTE-TROISIEME. 477

l'eau te suffoque, soit que tu te brises le crâne doctrine 1 Et l'on a essayé d'un parallèle entre
contre le sol, cela passe vile. Pourquoi balan- la philosopliie stoïque et l'Evangile l

cez-vous '
? p — Horribles mœurs 1 Exécrable * Sen., d< Provid., n. 8.

CHAPITRE QUARANTE-TROISIÈME.

lettre il Calcidie. — Italica. — Proha. — Julienne — Hémélriade. — Lellre ï Anlhémius, — à Théodora —


, à Tlii^ailo«e

Leltres k Olympiade.

Ce n'était pas seulement par ces deux écrits encore de brillantes couronnes dans l'avenir.
que Jean, en proie lui-même aux plus rudes Si cette épreuve est plus grande que les autres,

épreuves, venait en aide à la piété cruelle- c'estque la récompense sera plus belle aussi.
ment éprouvée de ses amis; ses lettres, et Dans cet espoir, ne vous laissez ébranler par
il en écrivait beaucoup, étaient comme les aucune des méchancetés dont vous êtes l'objet.
feuilles détachées d'un livre sans fin, qui por- Plus l'orage gronde, plus les flots menacent,
taient au loin et de tous côtés les grandes et plus grand sera le bénéfice de votre âme, plus
saintes pensées de son âme. Même, dans les magnifique le prix que vous attendez. Les souf-
plus courtes, dans les plus intimes, on le re- frances du temps no?it point de proportion
trouve tout entier avec cette majesté douce qui avec celle gloire future qui doit éclater en nous.
reçoit du malheur quelque chose de plus au- La vie présente, en effet, est un chemin où
guste. La clarté du Thabor resplendit sur son nous rencontrons sous nos pas les biens et les
front. Cette tète est transfigurée, cette parole maux mais ; ni les uns ni les autres n'ont rien
vient du ciel. de ombres qui se montrent
stable, ce sont des

Il écrit celle nouvelle lettre à la sœur véné- et disparaissent. Et comme


le voyageur ne s'a-

rée de son cher Constantius. o Que Dieu ré- bandonne pas à la joie quand il marche à tra
compense, et dès la vie présente et dans la vie vers les prairies, pas plus qu'à la tristesse quand
future, le respect, la confiance, la sincère af- il lui faut gravir des sentiers escarpés, mais

fection que vous professez pour moi. Ce n'est qu'il passe indifféremment par les uns et par
pas d'aujourd'hui que je connais vos senti- les autres, sachant bien qu'il voyage et que sa

ments. Aussi , quoiqu'une grande dislance demeure n'est pas là; de même devez-vous
nous sépare, quoique je sois en butte à bien marcher vers le terme de votre pèlerinage sans
des souffrances, dans la contrée sauvage où je être découragée par les ennuis, ni séduite par
vis, au milieu des dangers qui m'entourent et lescharmes de la vie. Soyez tout entière à votre
des fréquentes excursions des brigands, j'aime but et ne vous occupez d'autre chose que d'ar-
à me rappeler sans cesse votre bonté si parfaite, river enfin à la commune
patrie. Là seulement
et je sens vivreen moi avec la même ardeur est le bien solide et immortel; ailleurs herbe
l'amitié qui m'unit depuis longtemps à votre qui se fane, fumée qui s'évanouit, et moins
maison et à vous. 11 n'y a ni temps ni éloigne- encore '
».
ment qui puisse l'affaiblir, car la véritable cour s'était flattée d'éteindre l'influence,
Si la

amitié ne vieillit jamais. Au nom de votre pru- d'étouffer la voix du pontife, en l'arrachant à
dence de votre piété, je vous conjure de
et son peuple et à sa tribune en le reléguant aux ;

supporter avec un généreux courage les peines confins de l'empire, dans un désert sans écho,
qui fondent sur nous. Combien, de votre pre- ses indignes calculs l'avaient bien trompée. Du
mière jeunesse à ce jour, n'avez-vous pas subi fond de son exil, Jean parlait au monde. La
d'épreuves, et de tout genre Vous pouvez ! haine, la jalousie, leservilisme, toutes les pas-
donc remporter la victoire de la patience, sions unie.-; à toutes les bassesses pour le perdre,
comme vous l'avez fait d'autrve fois, et mériter ' Chiyt., ap. 109.
i78 HISTOIRE DE SAINT JEAN CIIRYSOSTOME.

n'avaient fait qu'étendre sa renommée, attirer demande la continuation de ses bons offices ;
à sa cause de plus hautes et de plus vives sym- et, dans sa personne, il s'adresse à ce groupe
pathies. Enfoui dans les gorges du Taurus, sa illuptre et pieux de dames romaines qui s'ani-
tête dépassait toutes les têtes et fixait tous les maient de la pensée et partageaient lezèkd'Ita-
regards. Les plus grandes familles, les plus émi- lica. «En dehorsdelareligion, écrit-il, l'homme
nents personnages, les plus illustres femmes et la femme ont leurs rôles et leurs travaux
de Rome s'honoraient d'accueillir et de patron- que leur sexe et leur caractère.
aussi distincts
ner ses envoyés, de proclamer l'admiration et Il que la femme ne quitte pas le
est d'usage
!e dévouement qu'il leur inspirait, de pouvoir foyer domestique, et que l'homme se charge
un mot, une bénédic-
lui écrire, d'en obtenir seul des affaires et de tout ce qui tient à la vie
tion, un pieux encouragement. publique. Mais dans les combats qui se livrent
Au premier rang entre ces généreux amis, pour l'Eglise, il n'en est pas ainsi, et il peut
qui l'aimaient sans l'avoir vu, sans le con- arriver que la femme déploie plus de courage
naître, et qui aimaient en lui surfout l'Eglise que l'homme. C'est ce que Paul insinue dans
et le sacerdoce de Jésus-Christ opprimés en lui, cette lettre qu'il adresse aux Romains et dans
on distinguait, outre Pinien, le mari de Méla- laquelle il donne à plusieurs femmes de grandes
nie la Jeune, Italica, Proba, sa bru Julienne, les louanges, parce qu'elles avaient travaillé à con-
familles Annia et Pincia, celle des Aniciens, vertir les hommes et à les ramener au devoir.
chez lesquelles tous ceux qui venaient en son Mais pourquoi vous rappeler cela? Afin que
nom, qui souffraient pour sa cause, étaient vous ne regardiez pascomme étrangère à votre
sûrs de trouver une hospitalité digne d'elles et sexe la sollicitude pour les intérêts de l'Eglise.
un puissant appui. ou par vous-mêmes, ou par d'autres
Faites tout,
en croire quelques auteurs,
Italica, s'il faut dont vous pourrez employer le concours, pour
était la femme du comte Gaudence et la mère emmener la fin de cette affreuse tempête qui

du célèbre Aétius, le vainqueur d'Attila. Nous bouleverse l'Orient. Plus l'orage est terrible,
ne savons autre chose de cette noble et sainte plus grande sera la récompense, si vous êtes
femme, sinon qu'elle fut honorée de l'estime décidées à ne rien négliger, à ne rien craindre
et de l'affection de saint Augustin. Deux lettres pour ramener la paix et rétablir toutes choses
nous restent du grand docteur à l'illustre ro- dans un état convenable ». '

maine, qu'il appelle sa fille vénérée en Jésus- Proba Falconia était la veuve de cet Anicius
Christ. La mort venait de lui ravir son mari : Pétronius auquel une immense réputation de
Augustin la console. «Nous ne perdons pas les justice et de probité valut le glorieux surnom
nôtres, lui dit-il, nous les envoyons au-devant àeProbus, et qui fut le plus riche propriétaire
de nous dans cette vie meilleure, où nous de- et le plus illustre magistrat de l'empire au
vons les rejoindre, oîi ils nous seront d'autant iv° siècle. Ammien, il est vrai, le traite assez

plus chers que nous les aurons mieux connus mal' ; mais il paraît incontestable que ses ta-
et que rien ne pourra plus nous en séparer'.... lents comme ses vertus, et surtout sa charité,

Je salue vos petits enfants, écrit-il une autre furent au niveau de son rang et de sa fortune.'
îois, je désire qu'ils grandissent pour vous en Claudien célèbre la noble profusion avec la-
Jésus-Christ » Et faisant allusion aux malheurs
. quelle il répandait sur les pauvres la surabon-
de Rome, en ce moment assiégée par Alaric, il dance de ses richesses, a Plus prodigue, dit-il,
ajoute : o Si jeunes qu'ils soient, ils ont déjà que la nuée féconde, il fait pleuvoir ses bien-

vu combien l'amour du siècle est périlleux et faits. Le peuple inonde son palais; il y entre

funeste Dieu que, tandis que ce qui


; et plaise à pauvre et en sort heureux ' ». Anicius Probus
est grand et ancien est si rudement châtié, ce était préfet du prétoire en Italie et consul ordi-

qui est jeune et flexible soit heureusement cor- naire. Il a du moins le mérite d'avoir signalé,
rigé'! » l'un des premiers, les hautes qualités et pro-
employée dans l'intérêt de Jean
Italica s'était phétisé la destinée d'Ambroise, encore jeune et
et pour le triomphe de sa cause, avec cette ar- catéchumène. On raconte qu'au moment où
deur d'une âme chrétienne que rien n'arrête le futur docteur de l'Eglise allait partir pour

quand il s'agit de la gloire de Dieu. Le noble rinsubrie et la Ligurie, dont il était nommé
exilé, en lui exprimant sa reconnaissance, lui
'
Chrys., ep. 170. — ' Amm. Marcell., 1. 27, c. 11.— • Claudlm.,
• s. Aog., ep. 92, t. 2, p. 2S7. - ' Id., ep. 99, t. 2, p. 269. Paneg, Olybrii et Probini,
CHAPITRE QUARANTE-TROISIÈME.' 479

gouverneur, Anicius lui adressa ces paroles, tremblait pour In veuve de son fils, Julienne, et
retrardées comme un présage : Agis, non pas pour sa petite-tille Dêni''riade, et préféra se
en jii',e, tyiaisen évêque. Il était si célèbre, que condamner elle-même à un exil éternel, que de
deux grands personnages de la Perse firent le subir chaque jour de si cruelles alarmes. Un
voyage de Rome pour le voir, comme ils avaient frêle esquif reçut à son bord ces nobles débris
fait celui de Milan pour s'entretenir avec saint d'un monde qui croulait et lesemporta sur les
Ambroise '. rivages de l'Afrique. L'illustre fugitive était ac-
Sa femme Proba descendait, elle aussi, d'une compagnée de sa famille etde quelques vierges,
illustre lignée, où l'on comptait autant de con- de queliiues veuves qui s'abandonnaient à sa
sulsqued'hommes.D'anliquesinscriptionsl'ap- direction et à sa fortunedu milieu des flots, ;

pellent la gloire des Anicius et des Pincins, le elle vit la fumée de l'incendie qui dévorait en-
renouvellement de la vraie noblesse, le modèle cordes restes de l'antique métrojiolede l'uni-

de la chasteté. Claudien, le poêle idolâtre, en vers. Mais de nouveaux malheurs l'attendaient


parle en ces termes Proba, l'ornement de
: a sur ce sol africain, oîi elle venait chercher un
l'univers, vous diriez la pudeurelle-niême des- peu de calme et de sécurité. Plus barbare que
cendue du ciel Jamais l'histoire dans ses les Barbares, le gouverneur delà province fai-
fastes, jamaisla poésie n'ont célébréde si belles sait peser sur elle la plus affreuse tyrannie.
vertus, une fenmie si incomparable * ». Saint Cerbère à cent têtes, dit saint Jérôme, rien n'é-
Jérôme a dit de Proba que, décorée du nom le chappait à son avarice, rien n'était respecté par
plus illustre de l'empire, elle l'avait rendu plus sa luxure. Les familles achetaient au poids de
illustre encore par sa bonté et sa sainteté, con- l'or lagrâce insigne de n'être pas déshonorées
nues de tout l'univers et vénérées chez les Bar- par ce monstre '. Proba, pour arracher à l'in-
bares eux-mêmes '. Elle avait aimé les lettres fâme Carybde les femmes confiées à ses soins,
et beaucoup lu les anciens. Onlui attribue un dut donner au nouveau Verres une partie de sa
centon sur les récits de la Genèse et sur l'his- fortune l'autre tut employée à racheter des
;

toire de Jésus-Christ, composé tout entier de mains des Goths de nombreux captifs, à secou-
vers de Virgile : bizarre et pieux effort qui rir lesgrandes infortunes de sa patrie, à se
prouve plus de mémoire et de patience que procurer à elle-même, suivant la parole de
d'imagination et de goût. Proba vit ses trois fils l'Evangile, des amis capables de lui ouvrir les

consuls, et les païens eux-mêmes applaudirent portes du ciel. Le solitaire de Bethléem qui ra-
à leurs vertus*; mais son mari et l'un de ses conte avec complaisance les charités de Proba,
enfants étaient morts quand la ville éternelle en prend occasion de s'élever avec sa véhé-
tomba au pouvoir d'Alaric. On a dit, nous ne sa- mence ordinaire contre « ces ministres de
vons sur quel fondement, que Proba elle-même l'Eglise, contre ces moines indignes de leur
en avait ouvert les portes à l'ennemi ' pour ter- nom, qui achètent des terres, quand la pre-
miner plus tôt les angoisses d'un peuple déses- mière illustration du monde romain vend les
péré. Prisonnière des Goths, elle pleura les siennes pour venir au secours des pauvres' ».
vierges chrétiennes arrachées de son sein ', et Mais la Providence, qui menait par ces rudes
ne sauva sa propre famille des Barbares qu'à épreuves l'héritière des Anicius, lui ménageait
force d'argent. Le second de ses tils venait de sur cette terre inhospitalière d'Afrique une pré-
mourir, enseveli dans le désastre de sa patrie. cieuse consolation tl'amilié de saintAuguslin.
Cette nouvelle blessure brisa le cœur de sa L'illustre docteur devint le guide et l'appui de
mère, sans ébranler le courage de la chré- cettenoble femme et desa famille. Il nous reste
tienne. Saint Jérôme lui appliqua ces vers du deux de ses lettres à Proba. L'une d'elles est un
lyrique latin : traité délicieux sur la prière et l'oraison domi-
S» fractus illabatur orbis, nicale. «Recevez, lui dit-il dans l'autre, l'hom-
Imjpavidum ferient niinœ. mage de ma reconnaissance pour le pieux in-
L'aspect de Rome devint odieux à Proba ; elle térêtque vous m'avez exprimé. Je supplie le
Seigneur de vous accorder les récompenses de
•TiUem.,Vilent.,atU18
• liuem., valent., atu i» et 19.— -uiauQuii.,
i».— 'Claudian., («c.cif.—
(«c. cit.— -o.
'S. uiei
Hier., la vie future et les consolations de la vie pré-
ep. &7, t. 4, ail. port., p. 787. — • Claud., ibid.

Procop-, de betf. Vand., l. 1 ; BjroDius ei Tilletnont regardeub
eut sente,
--- et je
, .
me recommande aux prières et a la
rasMrtloD de Procope âcet égard comme dénuée de roDdcmcot ett ds
Ttaiiemblaoce.^ baron., ad. ann. liO,§4IO;Tai«m.,Hoaoi.,uot.30}, S. Hier., ep. 97, t. 4, ail. pari., f. 1U. — * S. Bltr., ep. 97,
• 8. Hier., tp. 97, ibid., p. 787. l. *, p. 787.
4S0 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

charité de vous tous, dans le cœur de qui Jésus soutenir le regard d'une mère, et tu braverais
habite par la foi' ». D'autre part, le livre de la le tribunal des persécuteurs! Anime-toi du

Vi'lidté fut écrit par Augustin pour Julienne moins par l'exemple d'Agnès, la vierge héroï-
et à sa demande, piété de la jeune veuve,
i.a que, qui a vaincu et de son âge et
la faiblesse
louée par Chryfostonie • et par Innocent ', mé- la cruauté des tyrans pour donner à sa pureté
ritait bien cette complaisance du grand évoque. la consécration du martyre. Ne sais-tu pas,
Une mort prématurée avait ravi à sa tendresse malheureuse, quel est celui qui sauva ton hon-
le mari le plus digne d'elle Fils dévoué, : neur en ce jour néfaste où, tombée au pouvoir
homme aimable, maître clément et généreux, des Darbares, tu te cachais en vain, tremblante,
élevéau consulat dès son enfance, plus grand éperdue, dans les bras, sous le manteau de ta
par ses vertus que par ses dignités \ il eut le mère et de ton aïeule ? Captive, tu ne t'appar-
bonheur, s'écrie saint Jérôme, de quitter ce tenais plus la vertu n'était plus à toi. Sous tes
;

monde sans avoir vu la chute de sa patrie I De yeux, un ennemi brutal enlevait les vierges du
ce moment Julienne fil vœu de continence, et, Seigneur, et tu ne pouvais qu'étouffer tes cris!
tout entière à Dieu et à ses enfants, elle ne Ta ville, la reine de l'univers, est devenue le
songea plus qu'à marcher sur les traces de sa sépulcre du peuple romain. Et maintenant, fu-
belle-mère et à rivaliser de ferveur avec sa fille. gitive sur ce rivage lybien, tu vas prendre un
a Non, lui disait Augustin, ne rougissez pas mari fugitif comme toi Non,
non, ne balance
!

d'être l'émule de votre fille. Vous n'avez plus plus; un parfait amour bannit toute crainte.
toutes les deux qu'un mêmeépoux, roi immor- Pourquoi craindre une aïeule, jiourquoi crain-
tel des âmes; travaillez à qui mieux mieux à dre une mère, quand peut-être elles souhaitent
vous en faire aimer, à vous parer pour lui ce qu'elles n'osent dire, de peur que leurs sou-
plaire, elle par la pureté de la vierge, vous par haits ne soient pas les liens '
? s

la chasteté de la veuve, l'une et l'autre par cette Elle dit, et renfermant dans leurs écrins les
beauté spirituelle qui resplendit dans votre riches colliers, les perles magnifiques, les dia-
mère et ne vieillit jamais ' ». mants incomparables, elle vêtit une pauvre tu-
La fille de Julienne avait compris de bonne nique,un manteau plus pauvre encore, entra
heure le néant de ce monde, où tout s'écroulait chez sa grand'mère, sans être attendue, se jeta
sous ses pas, où son jeune regard n'avait ren- et, par ses pleui;s, par ses gémisse-
à ses pieds,
contré tout d'abord que le cercueil de son père ments, lui fit comprendre ce qui se passait dans
et les ruines fumantes desonpays. La catastro- son cœur. La noble veuve regardait sa petite-
phe de Rome avait rempli sonâme d'une indi- fille sous cet habitétrange et n'osait croire à ses

cible émotion. Toute grandeur terrestre n'était yeux. La mère accourt et partage l'étonnement
plus à ses yeux que mensonge Dieu seul l'at- ; de l'aïeule. Incertaines entre la crainte et la
lirait. Elle se réfugia dans l'Evangile et em- etrougissant touràtour, agitées
joie, pâlissant
brassa la pauvreté de Jésus-Christ. Anachorète de mille pensées, elles gardaient le silence.
sous le toit maternel,elle dédaignait les linges Tout à coup elles se jettent au coup de la jeune
fins, les lits de plume, couchait sur un ciliée enfant, la relèvent avec bonté, la couvrent de
étendu à terre et passait sa vie à servirles pau- baisers et de douces larmes, la félicitent d'une
vres ou aux pieds du Sauveur, lui demandant résolution qui comble leurs vœux, console
avec larmes la grâce d'accomplir ledessem leur exil etajouteà la noblesse deleurfamille.
qu'elle avait formé et d'y incliner les cœurs de bon Jésus! s'écrie saint Jérôme, quelle allé-
sa mère et de son aïeule. Bientôt l'heure de la gresse dans cette maison Quelques jours après,
!

marier arriva; on préparait la chambre nup- Démélriade recevait des mains de l'évêque le
tiale.Jérôme nous représente Démélriade se voile béni, symbole de sa consécration à Dieu,
levant au milieu de la nuit et s'adressant à elle- et son exemple entraînait une foule de vierges.
même ces vives paroles : a Que fais-tu, jeune L'Afrique, poursuit le grand docteur, s'étonna
flUe? Quoi, c'est ta chasteté que tu défends et applaudit; l'Italie quitta ses vêtements de
avec tant de faiblesse? Il faut du courage, il deuil, et Rome, à moitié détruite, crutretrouver
faut de l'audace. Si tu trembles ainsi dans la une partie de sa splendeur. Elle recommença à
paix, que ferais-tu dans le combat Tu I n'oses tout espérer de la bonté divine, en voyant dans

' s. Aug., «p. 131, t. 3, p. 395. — — l'une de ses enfants uoe vertu si parfaite. C'ér
'Chryt.. tp. 16». 'Concil.,
t. 2, p. 1265. — • S. Hier., iiid.,
p. 785. - ' S. Aug., t.
«, p. 382.

s. Hier., ibid., p. 785.

a&
CHATITRE QUARANTE-TROI<^IÉME. 481

tait la même joie


que si l'armée des Gotlis avait recommander des hommes qui me sont bien
été anéantie et que la foudre de Dieu eût écrasé chers, lo très-pieux prêtre Jean et le très-hono-
ces Barbares on tût dit la \icloire de Noies
: rable diacre Paul. Je les place sous votre |)ro-
après !e désastre de Cannes' ». tection, comme dans un portoùle péril ne les
L'évéque d'ilippone fut invité par la pieuse peut atteindre. Je vous demande, noble et vé-
famille à partager sa joie, et reçut les cadeaux nérable dame, de les accuillir avec votre bonté
qui accompagnaient d'ordinaire la consécration ordinaire. Vous savez quelle récompense elle

d'une vierge. 11 reniercia Julienne elProba, et vous vaudra ;et donnez-moi, aussi souvent ([ue

leur exprima avec eflusion son bonheur devant passible, des nouvelles de votre santé, àlaquelle
un beau miracle de la grâce. Mais Pelage,
si je porte un grand intérêt' ».
qui commençait à dogmatiser et voulait se ren- Jean s'adressa aussi à la belle-fille de Proba.
dre important, mêla sa voix traîtresse à celles La suscription de sa lettre porte A Julienne, :

d'Augustin et de Jérôme. Il écrivit à Démélriade et à ceux qui sont avec elle.

une grande lettre où, à travers' beaucoup d'é- « Plus terrible a été le châtiment infligé aux

loges et quelques bons conseils, il glissa le dan- auteurs de tous ces forfaits, plus grande sera
gereux venin de sa doctrine. Augustin le sut, voire récompense, vous qui avez pris tant de
et se balade signaler le jiéril'. Julienne ré- peine pour réparer le mal qu'ils ont commis.
pondit : Je le remercie de tout mon cœur pour Nous ne pouvons ignorer, en effet, ce que vous
ton pieux avertissement. A Dieu ne plaise que avez déployé de zèle et de générosité dans toute
je prête l'oreille à des hommes dont les dis- cetteaffaire, ni avecqueldévuoementvousavez
cours trompeurs altèrent la pureté de la foi*l accueilli et soutenu ceux que nous avons en-
Du reste, le docteur de la grâce en s'adressant voyés à Rome. Nous vous rendons, à ce titre,
à Julienne, le solitaire de Calcisen s'adressant bien des grâces, et nous vous prions non-seu-
à Démélriade, ne proiiosenl d'autre modèle que lement de persévérer danscelte louable ardeur,
Proba. Augustin veut qu'elle soit consultée par mais de montrer encore plus de courage et de
sa bru comme un saint oracle et Jérôme écrit fermeté. Vous appliquer, comme vous le faites,
r à sa petite-fille : « Que l'exquise
;

douceur de à apaiser cette horrible tempête, acceptermille


votre aïeule et de votre mère soit toujours dans ennuis pour porter remèdeà une pareille situa-
votre bouche : les imiter, c'est la plus belle tion, c'est, à coup sûr, une grande et noble
vertu '. D chose, et vous savez à quelle couronne elle
Telles étaient les nobles et saintes femmes vous donne droit' ».
qui, en Italie, avaient embrassé la cause de Citons encore la lettre du pontife à son ami
Jean et s'y dévouaient avec une généreuse ar- Anthémius, quivenaitd'étrefaitconsul. «D'au-
deur. 11 se plaît à correspondre avec elles, il est tres, lui mande-t-il, te féliciteront de ton con-
touché de leur sympathie, il loue leur charité, sulat, de ta préfecture moi, je félicite ces di-
;

il leur adresse ses amis et ses représentants au- gnités à cause de toi tu les honores bien plus
;

près du Saint-Siège, et leur demande de nou- qu'elles ne peuvent t'honorer. Telle est, en effet,
veaux dans l'intérêt de sa cause, c'est-à-
efforts la nature de la vertu, qu'elle ne puise son lustre
dire pour emmener la fin du schisme et le qu'en elle-même, et qu'elle donne de l'éclat
triomphe de la vérité. aux magistratures au lieu d'en recevoir d'elles.
11 écrit à Proba: « Bien que séparé de vous Je n'ajoute donc rien à mon amitié pour toi,
pas d'énormes distances, j'ai éprouvé lesellets parcequejene vois rien de plus en toi. Ce n'est
de votre charité si vraie et si fervente, comme ni le préfet ni le consul que j'aime, mais, mon
si j'étais en votre [irésence et que je visse de cher Anthémius, cet homme d'une prudence
mes yeux tout ce que vous faites; car, ceux qui consommée et d'une si haute pliilosophie. Ainsi,
viennent de Rome ici ont soin de m'a[>pren(lre je te félicite, non pas d'être monté au faîte des
sur votre compte ce que j'aime à savoir. C'est honneurs, mais d'avoir plus d'occasions de faire
pourquoije vous rends de nombreuses et vives briller ta sagesseet ton humanité. Je félicite en
actions de grâces; je m'enorgueillis et me féli- même temps ceux que l'injustice accable ou
cite de vos sentiments, et me permets de vous menace, car ils trouveront dans ton équité un
port excellent pour échapper au naufrage, un
• s. Hier, I. 4. ail. part., p. 7fl8. — '
/n I. 2 SU Aug.; Apptrnl.,
encouragement à naviguer encore avec con-
p. 5. - ' S. Aug., lom. a, p. 69-.>, ep. 188. — ' /</., toœ. 6, p. 3S8.
— • S. Bin., U 4, ail. part., p. 796. Ouyi., tp. IM. — ' Cbryi., êp. 169.

S. J. Ch. — Tome !. 31
483 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

fiance, même après avoir essuyé les tempêtes. demande une grâce, et une grâce de nature à
Vola pourquoi je nie réjouis de ton élévation. valoir de plus grands avantages à vous qui l'ac-
Je sais qu'elle est pour les opprimés et les nial- corderez, qu'à moi qui la sollicite. Il est venu à
lieureuv une fêle pulique; et moi, je célèbre mes qu'Eustathe vous avait offensée
oreilles
déjà cette fête par le plaisir que j'éprouve en et que vous l'aviez banni de votre présence et
songeant aux belles actions qui vont signaler chassé de votre maison. Quelle est sa faute, et
la vertu' ». pourquoi êtes-vous si fort irritée contre lui? Je
Les espérances de Jean ne furent pas déçues. l'ignore. Je sais seulement
qu'il n'est plus à
Petit-fîls de ce Pbilii)pe, d'affreuse mémoire, votre service. Or, écoutez ce que je vais vous
qui, préfet d'Orient sous Constance, avait étran- dire, moi qui porte à votre salut le plus grand
glé de ses propre mains dans la prison de Gu- intérêt. La vie présente n'est rien ; elle passe
euse l'évéque de l'onstantinople, montra il se comme du printemps, comme une om-
la fleur
toujours aussi juste, aussi généreux que son bre vaine; elle n'a pas plus de réalité qu'un
aïeul s'était montré violent et cruel. Ambassa- songe. Nous m'avez entendu dire cela bien sou-
deur en Perse, consul, patrice, préfet, il gou- vent, et vous-même vous ne cessez de méditer
verna l'empire pendant la minorité de Théo- sur le néant des choses humaines; aussi ma
dose, et ce fut à la sagesse, au talent, aux vertus lettre sera courte. Voici en deux mots ce que je
de cet hommede bien, que jeune princedut le vous dis. Sr Eustathe est victime d'une calom-
la gloire et le bonheur des premières années nie, vous devez à la justice de réparer le tort
de son règne. Anthémius se retira quand Pul- qu'on lui cause; s'il est coupable, vous devez à
chérie eut pris les rênes du gouvernement. Son la charité de vous montrer indulgente. La mi-
petit-fils,devenule gendre de Marcien, futjugé séricorde vousseraplus profitable qu'à lui. ...Ne
digne de s'asseoir sur ce trône impérial que le médites pas qu'il a fait ceci ou cela. Plus vous
grand-père avait affermi et honoré par son dé- insisterez sur ses fautes, mieux vous démon-
vouement et ses longs services. trerez la nécessité de le pardonner. Plus grande,
Mais quelle aimable bonté, quelle charité en effet, sera votre indulgence, plus vous vous
complaisante et douce, dans cette lettre où préparerez pour le siècle à venir de grâces et
Chrysostome plaide auprès de Théodora la de pardons. Calmez donc votre colère, si juste
cause d'un serviteur disgracié Théodora était 1 qu'elle soit étouffez votre ressentiment, of-
;

de Constantinople et du nombre de ces femmes frezen le sacrifice à Dieu et à nous aussi, à


;

pieuses qui professaient pour le saint exilé une qui vous êtes si chère, accordez cette grâce, et
vénération fihale. Celle-ci devait à Jean d'une que je sache jusqu'à quel point j'ai de l'empire
manière plus particulière son instruction reli- sur votre esprit. Octroyez-vous à vous-même
gieuse, et Jean prenait à son salut un intérêt ce précieux avantage de n'être plus dans le
plus paternel C'était, avec Oly
. m piade et Penta- trouble, de bannir de votre cœur une agitation
die, une des personnes sur le dévouement des- fâcheuse, et donnez-vous un titre qui vous au-
quelles il aimait le plus à compter. Il lui avait torise àdemander avec confiance au bon Dieu
écrit, en arrivant à Césarée, pour lui raconter l'entréedans son royaume éternel. Notre misé-
les péripéties de son voyage et se plaindre, non ricorde envers nos frères est la meilleure expia-
sans quelque injustice, de ce qu'il appelait la- tion des plus grands péchés. Si vous remettes
bandon de ses amis'. Les lettres de Théodora aux hommes leurs offenses, dit le Sauveur,
lui faisaient plaisir en être privé trop long-
: votre Père céleste vous remettra les vôtres.
temps l'affligeait; il avait à l'égard de cette Pesez donc tout cela, et qu'une lettre de vous
noble femme l'habituded'une confiance pleine m'apprenne au plus tôt que la mienne n'a pas
d'abandon. été sans effet. Maintenant, j'ai accompli moa
a Je vous écris rarement, lui mande-t-il cette devoir, j'ai fait ce que j'ai pu. J'ai averti, J'ai
fois, faute de trouver quelqu'un pour porter prié, j'ai demandé donné de salu«
grâce, j'ai

mes lettres mais je pense à vous moins rare-


; dans votre inté-
tuires conseils. J'agis surtout
ment, ou plutôt j'y pense sans cesse. Je suis rêt. Que ma démarche soit ou non couronnée
maître de ma pensée le reste ne dépend nul le-
; de succès, mon mérite est le même. Ce que je
ment de moi. Jusqu'à présent je me suis borné veux principalement, c'est de vous gagner à
àvous rendre mes devoirs; maintenant je vous Dieu par une noble action et de vous faire mé-
' Cbrys., ep. U7. - • Id., ep. 120, riter sans tio^) de peiae, p^r le§ honnç,? ceuvre»
CHAPITRE QUARANTE-TROISIÈME. 403

de celte vie, les biens immortels de l'autre » ' sance de ce qu'il appelle inforliine à nous
Nous l'avouons volontiers, ces citations sont rendre malheureux si nous ne voulons pas
trop longues, et cepcmlant nous ne pouvons l'être, sur le trouble et l'angoisse d'une con-

nous empêcher de citer encore. Où donc trouver science coupable devenue son propre bourreau
le portrait de Jean, si ce n'est dans ses lettres? et le plus impitoyable exécuteur des justices
Il luimênie sans y songer. Ailleurs,
s'y peint divines. Par le ton qui y règne, comme par
on peut admirer son talent; ici, on jouit de leur étendue, ce sont plutôt des traités que des
son âme et des trésors de délicatesse et d'amour lettres. On y trouve ces mâles conseils dignes

qu'on s'étonne d'y découvrir sous une physio- de deux âmes également intrépides et grandes,
nomie imposante et sévère. Il était près de et ce stoïcisme chrétien, si nous ]»ouvons dire
quitter ce monde quand il écrivait à Tliéodose, ainsi , né au pied de la Croix qui tire de
,

chef de la milice impériale', avec cette ravis- l'exemple etde la grâce de Jésus-Christ son in-
sante effusion a Tu as b;iisé ma lettre, dis-tu
:
;
vincible fermeté, et n'est pas un défi de l'or-
et moi, en recevant la tienne, ce n'est pas elle gueil au destin, mais la foi filiale de l'homme
que j'ai baisée, c'est toi, le père de la lettre; je àla Providence, sentiment doux et fort, sublime

t'ai seiré dans mes bras, je me suis attaché à dans sa modestie cipable d'élever jusqu'à
et

ton cou, j'ai baisé ta tète chérie, j'ai élc heureux. l'héroïsme les plus faibles courages. Ces pen-
Je ne me croyais pas en présence de ta lettre sées, tant de fois reproduites par la plume ou
seulement, il me semblait que tu étais là, et par la parole de Jean, reçoivent chaque fois de
que nous conversions ensemble. Telle est la na- l'abondance de sa conviction un éclat nouveau.
ture de la véritable amitié, qu'en versant ses Il faut voir avec quelle affectueuse piété il

douceurs, même par de simples caractères console Olympiade de sa propre absence.


nous représente vivement la source
écrits, elle « Vous vous affligez, lui écrit-il, d'être sé-

d'où ces caractères émanent. C'est ce que j'ai parée de moi, le plus chélif des hommes; vous
éprouvé moi-même, et ni la distance des lieux, vous en désolez; vous dites à tout le monde :

ni l'intervalle du temps, ni le poids des affaires Nous n'entendons plus sa parole, nous n'avons
et des soucis, rien n'a pu affaibliren moi cette plus ses enseignements nous sommes con-
;

douce impression », damnés au supplice dont le Seigneur menaçait


Entre nombreux amis dont Jean cultive
les les Hébreux, à la faim, à la soif, non du pain et

dont il aime et bénit le dévouement,


l'affection, de l'eau, mais de la doctrine et de la vérité.
dans l'âme desquels il se plaît à répandre son Je réponds à cela que, même en notre absence,
âme. Olympiade occupe le premier rang: elle a vous pouvez converser avec nous au moyen de
la plus grande part. Et nul, en effet, n'avait nos livres. J'aurai soin d'ailleurs, si je trouve
embrassé la cause du pontife exilé avec plus des courriers, de vous écrire souvent et de
d'ardeur et d'héroïsme, nul n'avait mis à son longues lettres. Et puisque vous tenez tant à
service un plus grand nom ni de plus hautes recevoir l'enseignement de mes lèvres mêmes,
vertus. Sa fortune, sa naissance, sa grande po- Dieu permettra peut-être que vous puissiez nous
que lui avait donnée sur le
sition, l'influence revoir. Que dis-je, peut-être? Certainement il le
peuple ses immenses charités, faisaient d'elle le permettra, n'en doutez point... Si l'attente est
point de mire des haines de la cour et des in- pénible, songez qu'elle n'est point inutile, et
trus. Elle devait être l'objet principal des pen- qu'au contraire, vous vaudra une belle ré-
elle
sées, de la reconnaissance, de la sollicitude compense au ciel, si vous savez être patiente,
paternelle de Jean. Il ne nous reste que dix-sept écarterdevotre bouche la plainte et tirer de l'af-
de ses lettres à Olympiade. Outre mille détails fliction même un motif de rendre gloire à Dieu,
précieux sur la vie de cette admirable femme, comme du reste vous le faites habituellement.
sur Chrysostome lui-même, ses voyages, ses Non, ce n'est pas peu de chose que de sufjporter
épreuves, ses travaux, elles renferment une le départ et l'absence d'un ami c'est plutôt une
;

foule d'éloquents et féconds enseignements sur grande épreuve, qui demande une âme forte et
l'intention de Dieu dans les afflictions de douée d'une sainte philosophie. Donnez-moi
l'homme, sur les avantages suréminents que le quelqu'un quisaclie aimer véritablement, quel-
juste puise dans l'adversité, sur le néant de ce qu'un qui connaisse par expérience la force de
que le monde appelle bonheur, sur l'impuis- la charité, et il comprendra ce que je dis. Et
• Oiryi., «p. 1 17. — Chryi , «p. 58. pour ne pas perdre de temps à chercher cà et là
484 HISTOIRE DE SAINT JEAN CIIRYSOSTOME.

unlel l)omme,car ilenestpeu, adressons-nous Paul, grand élève de la charité, qui nous
le

au bienheureux Paul il nous dira, lui, ce


: l'apiirend Séparés de vous, écrit-il à ses frères
:

qu'on souffre de la séparation d'un ami, ce qu'il de Thessalonique, de corps et non de cœur, de
faut de courage pour s'y résigner. Paul, qui pour un peu de temps, nous avons désiré avec
s'étaitaffranchi des lois de la chair, qui avait d'autant jilus d'ardeur de revoir vos visages.
en quelque sorte dépouillé son corps et voya- Moi, Paul, j'ai formé pi usiers fois le dessein de
geait comme un esprit pur à travers le monde, vous visiter. Mai s Satan nous en a empêché. Et
qui jouissait ici-bas, dans une âme exempte de c'est pourquoi ne pouvant soutenir plus long-

trouble et de tumulte, de la paix parfaite des temps cette privation de votre présence et
puissances incorporelles, et vivait sur la terre, vos nouvelles, jeme suis décidé à rester seid à
comme on vit au ciel, avec les Chérubins, au Athènes à vous envoyer Timothée.
et Quelle —
milieu de leurs mélodies mystiques, qui sup- force dans chacun de ces mots Que pré- 1 —
portait sans y prendre garde, et comme si cela tends-tu là, grand homme? Toi crucifié au
se passait dans un corps étranger, naufrages, monde et mort à toutes les choses delà chair,
prison, exil, lapidation, tous 1rs supplices; Paul, te voilà ramené par la charité elle-même sous
séparé d'un homme qu'il chérit, tombe dansun la loi de cette chair fragile et toute de boue I

tel découragement, qu'il quitte aussitôt la ville — Oui, dit-il, et je n'en rougis pas, je m'en
où l'ami qu'il comptait y voir ne se trouve pas. Ceux que j'aime, je désire
glorifie... les voir
Ve?iu à Troade, àii-U^pour l' Evangile de Jésus- pour leur parler, pour les entendre, je le désire
Christ, et la porte ni ayant clé ouverte dans le ardemment ;
je désire voir vos visages qui ont
Seigneur, je n'ai eu en moi-même aucun repos, des oreilles pour m'écouter, une bouche pour
parce que je n'y trouvai pas mon frère Titus; et exprimer vos pensées, des yeux où se peignent
c'est pourquoi je dis adieu au pays et partis pour les mouvements de votre cœur. Par là, en effet,
Za iVace'^/ome'. Que dis-tu, ô Paul? Emprisonné, on jouit bien mieux de la société d'un ami
enchaîné, portant sur ton corps les stigmates qu'on aime... cœuraimantet devenu la cha-
des verges et tout couvert de ton propre sang, ritéelle-même ! —
Pensez donc à tout cela, et
tu ne songeais qu'à donner le baptême, àinitier soyez assuré que plus notre séparation vous
aux saints myjtères, à offrir le sacriflce ! Un cause de peine, plus la patience vous donnera
seul homme à sauver te semblait une œuvre de fruits... Comptez que vous nous reverrez,
importante, que rien ne t'aurait fait négliger 1
que votreaffliction sera consolée, et qu'elle vous
Et maintenant, parti pour Troade, quand tu aura procuré cependant de précieux avantages
trouves une terre bien préparée, un accueil qui dans le présent et pour l'avenir... Montrez-moi
rend tout facile , tu laisses échapper de tes votre attachement, en donnant à mes lettres la

mains un tel avantage, et quoique l'intérêt même autorité qu'à moi-même; et si vous avez
seul de l'Evangile te fisse mouvoir, tu recules, à cœur d'adoucir les ennuis de ma solitude et
tu t'en vas? — Oui, dit-il ; car le chagrin a de me rendre un peu de calme, faites en sorte
fondu sur moi, il m'accable, et l'absence de que j'apprenne bientôt que vous avez chassé
Titus a brisé mon courage, à ce point que je loin de vous cette sombre tristesse et rétabli la
n'ai pu rester.... Voyez-vous. Olympiade, com- paix dans votre âme. C'est ainsi que vous ac-
bien c'est une chose difficile à accepter que quitterez voire dette envers moi; ce sera le
l'éloignement d'un ami, et quelle force il faut prix de mon affection pour vous ». '

pour une épreuve pareille?Vous en êtes là vous L'espoir de Jean ne fut pas réalisé dans ce
aussi. Mais plus grande est la lutte, plus belle monde il ne revit Olympiade qu'au ciel. Mais
:

sera la couronne. Consolez-vous de la longue jusqu'au dernier jour de sa vie il fut le conseil,
attente par ces pensées, et par l'espoir que je l'appui, le guide de cette généreuse et sainte
vous reverrai comblée des récompenses qui femme. On ferait, avec desextraits de ces lettres

vont être le fruit de voire vertu.... Ceux qui ai- à Olympiade, un beau livre, et si on l'intitulait
ment ne se contentent pas d'être unis par les le livre de l'espérance, il justifierait admirable-

liens de l'âme à l'objet de leur affection. Ils ment son titre. Qu'on nous permette d'en citer
tiennent à jouir de sa présence corporelle et ;
encore un passage l'écrivain démontre l'heu-

s'il faut y renoncer, c'est une grande part de reuse action de l'adversité sur l'âme cbfé-
bonheur dont ils sont frusti'os. C'est encore tienne.
• Ai Ccrlnlh. H, c 2. •Çbijs. ep. 2.
CIIAPiTRc: QUARANTL-TROISIEME. iëS

Ce n'est pas chose nouvelle ni siirpn nante


d tées dans la lutte, ou plutôt de la lutte elle-
qne île conlimielles épreuves vous aient rendue même! Car tel est le caractère de ces combats
plus firme et plus iiitrépiile, (jn'i'lles finissent que, même dans l'arène et avant la victoire,
intMuc par vous procurer du bonheur. Telle est ils ont en eux-mêmes leur récompense: le
l'aflliction.quand elle tombe suruneâme noble plaisir qu'on y goulu, les joies pures de l'âme,

cl forte. Comme le feu épure l'or, ainsi l'adver- la force et la paliencequ'on y puise, quelque
sité, en s'altuliant à des cœurs d'or, les rend chose rend invincible aux persécutions,
(jui

plus purs et meilleurs. De bi, ce mot de saint élève au-dessus des événements, vous place
P.iul L'a/piction produit la paiicvcect In pa-
: sur le roc inébranlable où les flots en courroux
tience iéprtiivc. C'est pourtiuoi je me réjonis, ne peuvent monter, et vous permet de naviguer
je sui.- lier de voire courage et j'y puise dans bcureusementà travers les tempêtes. Tels sont,
ma solitude de grandes consolations. Quand même avant le ciel et dès cette vie, les fruits
même des milliers de loups, quand une multi- précieux de Réjouissez-vous donc,
l'affliction...

tude de méchants s'acbariieraientà votre perte, et pour vous-même, pour ceux qui ont suc-
et
je ne crains rien. Sans doute, je demande à combé à un trépas glorieux, non dans leur lit
Dieu que vos épreuves actuelles finissent, qu'il ni dans leur maison, mais dans les chaînes et
n'en survienne i)as d'autres, et en cela je me les tortures. Pleurez seulement les auteurs de

conloime a te précepte du Seigneur ([ui nous ces iniquités cela aussi est digne de votre
:

ord<r(Mie de prier pour écarter de nous la ten- vertu. Quant à notre santé, qui vous préoccupe,
liluin. Cepi'udant, si malgré mes vœux il per- elle a triomphé de la maladie dont nous souf-

met 'jue l'orage gronde encore, je présume de frions naguère, et nous voilà dans un état sa-
votre belle iime qu'elle ramassera dans de nou- tisfai-iant, pourvu que l'hiverné nous apporte

velles épreuves de nouveaux trésors. Et com- pas de nouvelles souffrances. Pour le moment,
ment vos ennemis pourraient-ils vous intimi- nous sommes délivrés des Isaures ». '

der, eux qui voient retomber sur leurs tètes les Ces extraits, quelque longs qu'ils paraissent,
cou|is qu'ils vous portent? En confisquant vos ne donnent qu'une imparfaite idée de cette ad-
biens I Mais ces biens n'ont pas plus de prix à mirable correspondance entre Jean et Olym-
vt>s yeux qu'un peu de boue et de poussière. — piade. Là, plus qu'en tout autre écrit sorti de
En \ous chassaiitde votre patrie, de votre mai- sa plume, le grand Saint nous laisse lire au
son? Mais au sein des plusgrandes villes, vous fond de son cœur. La main pieuse de l'amitié
vivez aussi recu>;illie, aussi solitaire qu'au dé- soulève le voile du sanctuaire, et dans le demi-
sert, et depuis longtemps vous foulez aux pieds jour d'un abandon plein de réserve, nous dé-
le faste du siècle. —
Vous menacent-ils de la couvrons tout ce qu'il y a dans cette nature
mort ? Mais vous les avez prévenus en pensant transfigurée, de délicatesse, d'élévation, d'hé-
sans cesse à la dernière heure ; s'ils vous traî- roïsme, de calme auguste, de profond et géné-
naient au supplice, ils n'y trahieraient qu'une reux amour pour Jésus-Christ et pour les
victime immolée déjà par la pénitence. En mar- hommes en Jésus-Christ. Le sens des petitesses
chant toujours comme vous l'avez fait dans la terrestres manque à cet homme; sa vie n'est
voie étroite, vous vous êtes préparée aux plus ouverte qu'aux aspirations magnanimes; elle
difficiles combats.... Et maintenant, dans un n'est tout entière qu'enthousiasme, dévoue-
corps délicat et plus fragile que le fil de l'a- ment, charité, passion sublime des âmes,
raignée, vous vous riez de la rage impuis- hymne en action, hymne du génie etdu cœur,
sante de tant d'honmies courroucés et frémis- hymne de gloire et d'amour. Aimer et s'immo-
sants, disposée que vous êtes à souffrir plusde ler, il ne sait que cela, mais il le sait bien. Ces

maux qu'ils ne peuvent vous en infliger. Heu- deux mots le résument, ils sont tout lui.
reuse, trois foisbeureuie des couronnes méri- 'Cbrjj., ep. 17.
i8G HISTOIRE DE SAINT JEAiN CHUYSOSÏOME.

CHAPITRE QUARANTE-QUATRIÈME.

Le Christianisme en Pcr^e. - Marutlias — Nouveaux efTorls de Clirysostome pour la propagation de la foi. Les Gotha du —
B.iS[ihore Cimmérieu. — Unilas. — Mission de la Phénicie. — Letlres de Jean aux missionnaires —
Clirysostome apilre du
Liban.

Les jours, les ans s'écoulaient: l'exil ne finis- quêtes et les prodiges de la grâce dans son pays.
sait pas: Mais la cause de l'exilé était celle de Les plus hautes vertus de l'Evangile y brillaient
la vérité ut de la justice, la cause de l'Eglise de toute leur splendeur ses ascètes rivalisaient;

elle-niéiiie et d;' Jésus-Christ ; elle n'était pas d'immolation et de sainteté avec les plus illus-
et ne pouvait être perdue. La conviction de son tres de la Palestine et de l'Egypte ; et tel était
triomphe plus ou moins proihain remplissait le pieux renom de ses prêtres, de ses vierges,
l'âme de Jean d'un confiance qui respire dans de ses pontifes, qu'un célèbre anachorète, de-
ses lettres, et faisait de lui le consolateur de venu plus tard évêquede Nisible, saint Jacques,
ceux qui devaient plutôt le consoler. Cependant accourut de la Mésopotamie pour jouir déplus
l'inaction forcée de la solitude allait mal à ce près d'un spectacle si touchant, et enflammer
grand cœur que dévorait la soif du bien, et sa foi au sein d'une chrétienté à laquelle son
c'était là sa plus vive souffrance. Enchaîné à isolement du monde romain semblait conser-
son roc, l'aigle de Dieu portait ses regards au ver plus de vigueur et de pureté '.
loin, vers la Perse, vers la Phénicie, vers les La persécution commença, pour l'Eglise de
contrées oîi l'Evangile ne régnait pas et sur Perse, au moment où elle s'apaisait dans le
lesquelles il appelait de toute l'ardeur de ses reste de l'univers. Brouilléavec l'empire, Scha-
vœux le bienfait divin de la Rédemption. L'es- pour ou Sapor II vit dans chaque chrétien un
sor qu'il ne pouvait prendre, il l'imprimait auxiliaire de l'ennemi, et, confondant dans la
aux autres. Gueuse devint im foyer d'apostolat. même haine aveugle et furieuse lesdisciples du
La Perse, en particulier, préoccupa le zèle Christel lessollats de César, ilordonnala pros-
de Chrysostome. Cette grande nation, qui tint cription absolue de tous les chrétiens. Elle fut
en échec et balança si longtemps la toute-puis- poursuivie de longues années avecdes circons-
sance de Rome, s'obstinait à repousser la vé- tances atroces et des raffinements de barbarie
rité, qu'elle avait accueillie d'abord avec un qui surpassenttout. Ce fut une immense bouche-
admirable empressement. L'Evangile se levait rie. D'après Sozomène, le nombre des martyrs
à peine sur le monde, que Fes premiers rayons dont les noms et les actes furent recueillis s'élè-
éclairaient la Perse. Saint Simon, saint Jude, vent à seize mille ;d'autresle portent à deux cent
saint Thomas, accouraient y verser, au sortir mille, sans compter cette foule de victimes
du cénacle, la flamme vivifiante qui brûlait moins illustres dont le noble holocauste n'a été
sur leur tête, qui débordait de leur cœur. Saint connu et glorifié qu'au ciel. Le sang chrétien
Mathieu, saint Jean lui-même, vifilèrent la cessa de couler quand la source en fut tarie
Perse et y portèrent le nom de Jésus. Les dé- jusqu'à la dernière goutte et cette belle Eglise ;

buts de la foi furent heureux au pays des de Perse, si digne de ses augustes fondateurs,
mages. Avec une étonnante rapidité, elle pé- après avoir merveilleusement fleuri pendant
nétra chez les Parthes, chez les Mèdes eljus(iue trois siècles, fut ensevelie tout entière sous les
dans la Bactriane. De toutes parts s'élevaient cadavres amoncelés de ses enfants.
des églises, dont la ferveur et la charité repro- Les choses en étaient là, quand un prélat qui
duisaient les touchantes merveilles des plus nous est déjà connu, Maruthas, fut appelé au
beaux jours de Jérusalem. de Cons- Au temps siège de Tagrita en Mésopotamie, sur les confins
delà Perse étaient
tantin, la plupart des villes de le Perse '. Homme apostolique, unissant
Sozom., Theod., Vit. Patr.,c.
chrétiennes. Un évêque persan assistait au con- 2, c. 8, 9, 10, etc.; i.
• 1.

' Miafârtkin, dans la Soji/iène^ à dix lieues d'i^mida (Di«EbekiQ) €t


cile de Nicéc, et y raconta les brillantes con- à cinq lieues des sources du Tigro.
CllAlMTUK UIARANTE-UUATRIEME. 487

dans une âme ardenfe et généreuse une grande décider, qu'il vous di«c du moins ce qu'il a fait
science à une liaule piclé, sa douceur, ses ta- là-bas et ce (ju'il a l'espoir d'y faire à son re-
de sa parole, sa cliai ité, le fai-
lents, la jjràce tour. Pour tout cela, j'avais à cœur de le voir
saient vénérer et aimer de toutes les jKipula- et de m'eiitendre a\ec lui. Quoi qu'il en soit,

lions d'alentour, et, même au milieu dis infi- faites pour le mieux ut remplissez votre devoir,
dèles, son nom jouissait d'une incomparable dussent tous les autres donner tête baissée dans
autorité. A peine évèque, il se donna la tâche le mal' ».
pieuse et diflicile de recueillir dans sa ville Nous n'avons ni les lettres de Jean à Maru-
épiscopale les restes sacrés des martyrs Per- thas ni les réponses de celui-ci ; mais, par les
sans '
non-seulement il composa en leur
; et quelques mots que nous venons de citer, on
honneur des lijmnes que l'on trouve encore voit combien Chrysostome avait à cœur le re-
dans les missels maronites, mais il écrivit avec tour de la Perse à l'Evangile etavec quel le sol-
soin leur histoire, page précieuse et l'une des licitude il s'en occupait. Son âme dut être bien
plus belles de celte grande histoire ou plutôt consolée en apprenant que Maruthas, revenu
de cette sublime épopée des tenij)s héroïques auprès du roi Isdegerd, en avait été accueilli
du Christianisme. Chargé par Arcadius d'une comme un envoyé du Ciel, et que, par sa pa-
mission diplomatique auprès du roi des Par- role, par ses vertus, par les prodiges qu'il opé-
thes, Maruthas profita de cette heureuse cir- rait au nom de Jésus-Christ, il confondait les
constance pour fiayer à l'Evangile, à travers mages et rendait au Christianisme la gloire
les préjugés et les haines, la route d'un empire sainte et la puissance dont il avait joui dans un
dont le sol gardait encore les traces sanglantes pays maintenant si rebelle à sa lumière. Théo-
du courage de ses disciples et des fureurs de dose le Jeune honorait Maruthas de la même
leurs bourreaux. Apôtre et diplomate, il vit ses confiance que son père, et employa deux fois
négociations et ses efforts couronnés d'un suc- son intervention pour renouer ou pour raffer-
cès inespéré, et il venait en porter la bonne mir la paix entre la Perse et l'empire. Isde-
nouvelle à Constantinople, au moment où l'o- gerd, de son côté, professait une haute estime
rage grondait plus fort sur la tète de Jean. La pour le pontife négociateur et ne l'appelait que
loyauté de Maruthas fut prise aux intrigues l'ami de Dieu. Socrate raconte que les piètres
de Théoithile. Il crut à la piété d'Eudoxie, et du soleil, jaloux de l'ascendant que celui du
du Chêne. Ce fut pour l'il-
siégea à l'assemblée Christ prenait sur leur maître, et craignant qu'il
lustre condamné une cruelle aggravation de ne finît par l'entraîner à ses propres croyances,
ses amertumes. Cependant la vérité ne tarda d'autant plus qu'il l'avait guéri, par ses seules
pas à reprendre ses droits sur l'âme généreuse prières, d'une maladie qui avait résisté à tous
de Maruthas, victime un instant de sa noble leurs remèdes, eurent recours à l'imposture
simplicité. Chrysostome apprit à Gueuse que pour retenir le prince dans leur religion. Ils
l'évéque deMartyroiiolis venait de reparaître à firent cacher un homme sous le pavé du temple,
la cour. L'amour des âmes et la charité l'em- et quand Isdegerd y fut entré pour adorer le
portant sur toute considération, il lui écrivit feu perpétuel, cet homme cria que le roi avait
deux lettresqu'Olympiade était cliargée de re- encouru la colère céleste et méritait d'être
mettre. « Je vous prie, mandait-il en même chassé du trône pour avoir contracté une ami-
temps à la sainte diaconesse, d'entourer, au- tié impie avec le prêtre des Chrétiens. Le mo-
tant qu'il est en vous, l'évéque Maruthas de narque effrayé songeait à renvoyer Maruthas.
toute sorte de bons offices, afin de l'arracher à Mais le prélat lui dit Ne te laisse pas jouer, ô
:

l'abîme. J'ai grand besoin de son aide pour les roi par ces imposteurs. Retourne prier au
1

affaires de la Perse. Apprenez de lui, si vous le même lieu, et si tu entends la même voix, fais
pouvez, ce qui a été fait dans ce pays par ses fouiller la terre, tu trouveras l'artifice ; car ce
soins et son dévouement. Je désire savoir aussi n'est pas le feu qui parle... Isdegerd suivit ce
pourquoi il est venu dans la ville impériale, et conseil et découvrit tout. Furieux contre les
s'il a reçu les deux lettres que je lui ai adressées mages, il les fit décimer, et permit à l'évéque
par vous. S'il veut m'écrire, je lui écrirai de de Tagrila de bâtir deséglises partout où il lui
nouveau. Mais s'il a quelque répugnance à s'y plairait. De ce jour, le Christianisme s'étendit
de nouveau dans la Perse, et peu s'en fallut,
D'oli la nom de Marlj/ropolU qu'elle porta quelque temps chez
!•• Graca. ' Ctirji., leltr* à Olymp. li, a. i.
i38 HISTOIRE DE SAINT JEAN CIIRYSOSTOME.

ajoiile Socrate, que le roi lui-même ne se fît tomberont leurs suffrages, et les conséquences
chrétien'. d'un pareil choix ne sont que trop visibles.
La gloire de ces belles conquêtes était due à Ainsi, ne négligez rien pour empêcher ce mal-
la charité de Jean autant qu'au zèle de Maru- heur. Si Modarius eût pu secrètement et sans
Ihas. C'est Jean qui, par l'entremise d'Olym- bruit faire une excursion jusqu'ici, c'eût été
piade avait fourni au généreux apôtre les
, précieux. Dans tous les cas, faisons, du mieux
ressources nécessaires à sa pieuse expédition, que nous pourrons, tout ce qu'il est permis
inspiré et soutenu son courage. Maruthas était de faire ». '

le levier, main. De là cette


Chrysostome la , Ces quelques mots prouvent assez
le zèle de
assertion de saint Proclus: « Que Jean a semé Chrysostomepour le progrès de la foi. Mais pour-
chtT les Perses la parole de vie'» et celle-ci : quoi cette simple demande d'un délai? Lui
de Tliéodorct o Qu'il a blessé des flèches de sa
: semblait-il alors que son exil, qui commençait
prédication les Parthes, si habiles à lancer au à peine, allait bientôt finir? Croyait-il au pro-
loin les flèches de la mort, et contraint ces chain repentir de la cour débarrassée d'Eu-
hommes de fer à courber la tête devant le doxie? Espérait-il que l'intervention de Rome,
Crucifié ' » réclamée avec instance, amènerait incessam-
Avec la même sollicitude, le saint exilé s'oc- ment le triomphe de sa cause et son retour au

cupait des Goths, de ceux du moins dont nous milieu des siens? Quoi qu'il en soit, plusieurs
avons déjàparlé, qui avaientleur établissement lettres écritesdans le même sens témoignent
au-delà du Bosphore Cimmérien, sur le Palus- de sa sollicitude pour le salut des Goths et du
Méotide. Averti qu'ils inclinaient au Catholi- souci que lui donnait cette pieuse entreprise,
cisme, il leur avait envoyé, pour les instruire dont l'issue, du reste, nous est inconnue.
et diriger leurs premiers pas dans la foi, un Cependant ses perplexités apostoliques les
homme de leur race arraché naguère à l'Aria- plus grandes lui venaient de la Phénicie. Cette
nisme, et d'autant plus heureux dé le combattre mission, sur laquelle son œil et son cœur veil-
chez ses frères. D'un zèle que sa douceur et sa laient sans cesse, était en proie pour le moment
charité rendaient tout-puissant, Unilas c'é- — à une nouvelle et terrible bourrasque. Les
tait le nom de cet homme admirable fit au — païens, importunés de la présence des mission-
milieu de ces populations errantes et barbares naires, venaient de se jeter sur eux: ils en
des miraclesd'apostolat.Maisil venait de mourir avaientblessé, tué plusieurs*. De pareilles ava-
dans un renom immense de sainteté, et le roi nies n'étonnaient pas les ministres de l'Evan-
des Goths se hâtait d'expédier à Constantinople gile, familiarisés avec le péril et décidés à tout
le diacre Moduarius, afin d'obtenir pour ce souffrir pour gagner une âme au Sauveur. Mais
peuple de néophytes un nouveau pasteur digne cette fois, la tempête plus furieuse que jamais
d'Unilas. Jean apprit à la fois, en arrivant à menaçait de tout engloutir, et l'œuvre et les
Gueuse, la mort du saint apôtre et la démarche ouvriers. Le découragement régnait au camp
du chef barbare; il en fut consterné. La crainte des apôtres; les plus sages leur conseillaient de
que jeune chrétienté, tombant aux mains
cette secouer au plus vile la poussière de leurs pieds

des intrus, ne fût perdue à jamais, le détermina sur un peuple obstiné à se perdre, et de porter
à écrire à Olympiade, qui n'avait pas encore ailleurs leur dévouement et les bienfaits divins
quitté Byzance et conservait toujours quelque de la foi. Jean le sut et se hâta de leur écrire.
crédit. Je ne vois qu'un moyen de conjurer Il les console, il il les gronde, il
les rassure,

le péril qui nous menace de ce côté c'est de : les ramène au combat, L'émeute qui vient
o

gagner du temps. Il est certain qu'on ne peut d'avoir lieu contre vous fera dire à quelques
dans cette saison aborder le Bosphore Cimmé- personnes que vous devez abandonner la Phé-
rien il faut donc qu'on attende jusqu'à la fin
; nicie et vous retirer. Ne suivez pas ce conseil
de l'hiver. Voilà ce qu'il importe de faire com- trompeur. Au contraire, plus les difficultés se
prendre et d'obtenir. Je redoute par-dessus tout multiplient, plus vous avez d'oppositions et de
un évêque institué per de telles gens, dépour- colères à combattre, plus vous devez travailler,
vus de pouvoir et chargés de crimes. Vous savez veiller, déployer de zèle, pour qu'un si bel ou-
que ce n'est pas sur un homme de bien que vrage ne croule pas, pour que le fruit de tant
de sueurs ne soit pas perdu, et que \^\ de
Socr., 1. 7, c. 8. — • S. Ptocl., Oral. d. 31. — ' BoUaad., t. 4,
Sept. p. ees. * Cbrys,, «p, 14, k Olymp-, n. S. — * Cbtyg., <p, 119,
CHAPITRE QUARANTE-QUATRIEME. 489

choses entreprises dans rinlérèl des âmes ne à qui sera imputée une perte si déplorable !

deviennent pas inutiles. Dieu, en elTet, peut Pour que cela n'ait pas lieu, je vous en prie, je
ap.iiseree tumulte et vous décerner le prix de vousensii|iplie, laissez-vous conduire par moi
voiri; patience. Votre droit à la récompense qui vous aime sincèrement. Qliant aux choses
était bien moinsgrand que tout marcliait,
alors qui vous sont nécessaires, veuillez m'en écrire,
sans i)eine, au gre de vos désirs... Songez à ou, si vous prêterez m'envoyerquelqu'un, rien

tout ce que vous avez fait, à tout ce que vous ne vous sera refusé '.».
lavezenduré. Songez (lu'avecl aide du Ciel vous Mais les pieux ouvriers avaient besoin plus
fêtes veims à bout d'éteindre en grande partie que de conseils et d'argent; il leur fallait des
l'impiété que la situation de la Pliénicie est
;
au.xiliairus. Jean,dans son exil, s'occupe à leur
bien nuillcure qu'à vos débuts, que Dieu enlè- en trouver. Il écrit au prêtre Nicolas « Tu :

vera bientôt les derniers obstacles et récom- m'as rempli de confiance et de joie en m'ap-
pensera pleinement vos lO'orts. Restez donc, et prenant l'intérêt que lu prends à la Pliénicie,
persévérez. Menu- à présent, rien ne peut vous et que malgré la dislance qui te sépare d'eux,
manquer; car j'ai donné des ordres pour que tu ne cesses d'encourager par les lettres ceux de
vêten'ents, chaussures, aliments pour les frè- de nos frères ijui travaillent à la convertir. En
res, tout vous fût fourni avec la même abondance cela, ton zèle est vraiment apostolique; je ne
que par le passé. Si nous, dans celle solitude puis assez le louer et le bénir. Déjà tu as envoyé
de Gueuse, sous le poids de tant d'amertumes dans ce pays des moines pour l'évangéliser, et
eldc maux, nous prenons un si grand souci de maintenant, au milieu des graves difficultés
votre œuvre, que ne devez- vous pas faire pour qui surgissent, non-seulement lu ne les as pas
son succès, quand d'ailleurs vous avez tout à rappelés, mais lu les forces à rester Attache-
souhait?Que personne ne vous fasse peur. Déjà toi donc à tes propres traces, et dès que le vé-

les choses prennent une meilleure tournure.... nérable prêtre Géronce sera rétabli, presse-le
Et si vous demeurez fermes à votre poste, vous de parUr. Nous eussions désiré, nous aussi, de
verrez disparaître toutes les difficultés. Rien le voir; cependant, comme les affaires de la
n'égale la force de la patience; c'est le roc aux Phénicie réclament une grande célérité, pour
pieds duquel viennent se briser les vagues, ne pas perdre un temps précieux et ne pas être
c'est-à-dire les haines et les fureurs excitées arrêté plus tard par l'hiver, engage-le vive-
contre l'Eglise. Souvenez-vous des Apôtres, et ment, s'il est sorti de maladie, à se mettre en
connuent ils ont poursuivi l'œuvre de la pré- route aussitôt. Fais en sorte que le prêtre Jean,
dication à travers les périls et les embûches, cet homme délicieux et qui m'est si cher,
cruellement éprouvés par la faim, par la nu- s'adjoigne à lui. Tu sais que la situation de ce
dité, par l'exil, par la prison, par le fouet, par pauvre pays réclame d'autant plus d'ouvriers
toute sorte de souffrances. Même dans les fers, pour y porter remède, que le mal s'est étendu
ils n'interrompaient point leur saint ministère. plus loin. Songe à tout cela, songe à ce que
Paul enchaîné, couvert de blessures, inondé vaut le salut d'une âme souviens-toi de ce
; que
de son propre sang, continuait d;ms son cachot tu as déjà fait par ton zèle, et n'hésite pas à
ses fonctions de pontife et baptisait son geôlier. employer tes efforts, afin que, par toi-même ou
Rappelez- vous tout cela, et demeurez inébran- par ceux que lu pourras recruter, le bien qui
lables, vous gardant avec soin des mauvais existe soit maintenu et même, s'il se peut,
conseils, et altendant avec confiance le secours augmenté. Non, tu ne m'as pas fait moins de
de Celui qui peut tout. C'est pourquoi nous plaisir que ceux qui sont accourus ici. N'y es-tu
vous avons envoyé le prêtre Jean, homme très- pas venu par l'intention et le désir ? Absent, je
pieux, afin de soutenir votre courage et vous te vois des yeux de la charité et te porte dans
emix'cher de faiblir. Quant à moi, j'ai fait ce mon cœur. Un temps viendra peut-être où il
que je devais. Je vous suis venu en aide par me sera donné de jouir de ta présence mais ;

mes paroles, par mes conseils; j'ai fourni lar- aujourd'hui, au ])oint où en sont les affaires,
gement à tous vos besoins. Que si vous aimez quelque désir que j'aie de le voir et de l'em-
mieux, au lieu de m'écouter, ajouter foi à ceux brasser, je crois que lu dois rester là-bas, tout
qui vous trompent et voudraient vous donner faire pour remplir la Phénicie d'hommes in-
des ailes pour fuir, la faute n'en est pas à moi. trépides et encourager, fortifier de plus en plus
Vous savez sur qui tombera la condamnation. ' ÇUtj:, ep. U3.
490 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

ceux qui y sont déjà. Cherche-leur, dans les cette vie, à la fumée et aux orages qui pèsent
pays voisins, de généreux auxiliaires que tu sur nous, vous dont les âmes ont atteint ce ri-
pénétreras de ta propre ardeur ainsi, de loin : vage illustre d'une sainte philosophie, et qui
comme de près, tu rendras service à tous et ;
avez bonheur de changer les nuits en jours
le

puisses- tu ressembler à ces substances aroma- par vos veilles sacrées où les ténèbres ont plus
tiques dont le parfum se répand au-delà du lieu de splendeur pour vous que la lumière du so-
qui les renferme, et, même à une grande dis- leil pour les autres, vous nous devez, rien n'est

tance, embaume l'air de ses suaves émana- plus juste, l'assistance de vos prières.... Cepen-
tions '
1 » dant ne négligez pas de nous écrire et de nous
Nicolas appartenait au clergé d'Antioche. parler de votre santé. Bien des ennuis nous
Comme Diopliante, Cyriaque, Valère et tous les accablent : la solitude de ce séjour, la crainte

prêtres du Syrie, il professait, pour son illustre des Isaures,lamort que nous avons sans cesse
compatriote devenu évêque de Byzance, autant devant nous. Enfermés dans celte citadelle »

d'attachement (]ue d'admiration. Dès les pre- comme dans une prison, nous sommes en proie
mières épreuves de Jean, il embrassa sa cause à la maladie, à toute sorte de souffrances; mais
avec une chaleur qui lui valut les rancunes de nous trou vons dans votre charité une précieuse
la cour et des intrus. La haine de Porphyre consolation. Quoique j'aie vécu peu de temps
s'acharnant aux amis du proscrit, ils furent avec vous, votre bienveillance si vraie, si douce,
contraints, pour la plupart, de s'enfuir ou de si constante, témoignée de loin comme de près,
se cacher. Nicolas se retira à Zeugma, surl'Eu- est toujours présente à moncœur, et, quels
phrate, dans le célèbre monastère de saint Pu- que soient m.es maux, le souvenir de vos vertus
blius, formé, comme
de deux monas-
on sait, est un port où je goûte un repos assuré, votre
tères, l'un grec, l'autre syrien, séparés par affection un trésor sans prix ' ».
l'Eglise qui leur était commune, et où les deux A Zeugma, dans cet asile lointain de paix et
langues se succédaient pour chanter les louan- de piété, Nicolas bravait les fureurs et les ca-
ges de Dieu. Là vivaient sous la règle la plus lomnies de Porphyre, et correspondait à la fois
sévère et sous la direction de deux ascètes émi- avec Cucuse et la Phénicie, versant sur l'ung
nents, Théodole et Aphtonius, de nombreux les flammes qu'il puisait dans l'autre. C'était,

cénobites dontla ferveur et la charité, connues avec Constantius et Rufin, l'un des plus actifs
au loin, attiraient tous les jours à Zeugma une coopérateurs de Chrysostome dans cette œuvre
foule de pieux visiteurs. Chrysostome y était chère à son cœur la propagation de l'Evan-
:

venu dans sa jeunesse, et il avait gardé de gile. Dieu, d'ailleurs, se plaisait à bénir le zèle
ce pèlerinage une impression qui ne s'effaça et les efforts du pontife. Une foule de prêtres
plus. Une de ses grandes consolations à Gueuse dévoues, de généreux laïques associés à sa pen-
était de correspondre par lettres avec ces admi- sée, consacraient, les uns leur vie, les autres

rables solitaires, auxquels il écrivait: a Ceux leur fortune à la conversion des Gentils. Le
qui aiment, trouventdans la présence corporelle grand promoteur de cette entreprise, aussi belle
de l'objet aimé la meilleure consolation de leurs que difficile, comptait avec bonheur parmi ses
peines. Saint Paul le savait bien, lui qui portait auxiliaires les plus fervents, outre Jean et Gé-
dans son cœur tous les fidèles et n'en déposait ronce, le prêtre Siméon, discii)le de saint Mar-
jamais le doux fardeau, ni en prison ni au mi- cicn et chef d'un grand monastère dans le dio-
lieu des plus rudes fatigues, et qui néanmoins cèse d'Apamée ; Diogène, qui appliquait à la
désirait avec ardeur de jouir de leur vue.... phénicie les cadeaux refusés par le noble exilé;

J'éprouve aujourd'hui le même besoin,,... je Alphius, qui dépensait des sommes considéra-
voudrais que vous pussiez venir ici et qu'il me bles dans l'intérêt de la mission ; Cartérie,

fût donné de vous posséder. Mais tant d'obsta- Oiympiade, tous ses amis d'Antioche et de By-
cles s'opposent à mes vœux, que je n'ose, zance, heureux que leurs richesses déposées à
quant à présent, vous rien demander, que vos ses pieds leur permissent de devenir en quel-
prières, dont je sais la puissance auprès de que chose instruments de sa sublime ambi-
les

Dieu... Je les implore de votre charité comme tion. On Chrysostome à


voit par les lettres de

le plus grand des services... Vous qui êtes Nicolas, surtout par celle ci à Géronce, avec
échappés à celte mer périlleuse des affaires de quelle ardeur il pressait cette conquête si dé-
* ChrjB., ep. 53.
* Arabisse, en 406. — Chrys., ep. 70 et «p. 93(
CHAPITRE QUARANTK-QUATRIËME, 491

sirt^e cldisputée d'un pays plongé encore


si
heur, comme d'un ami intime ', c'était proba-
dans l'onihre de la mort « J'ai déjà écrit à ta:
blement un des cénobites des environs d'Apa-
piélé, dans la persuasion que tu étais en Piié- niée. Chrysostomese félicite de l'avoir acquis à

nicie, et maintenant je reviens te dire les l'œuvre de la mission. Mais l'homme sur qui
niênies chofes, à savoir : qu'il faut tout faire il semble le plus compter après Constantius,

et tout soutTrir pour qu'une moisson si belle ne c'est le prêtre Rufin. « J'apprends, lui écrit-il,

soil pa> perdue... Si Jacob, chargé de conduire que de graves malheursontéclaté en Phénicie.
des troupeaux sans raison, remplitquatorzoans La fureur des païens s'y porte à des excès dé-

les fonctions d'un vil mercenaire, supportant le plorables, et parmi les moines occu()és à leur
froid, le clnud, les veilles, que ne doivent pas conversion, plusieurs ont été blessés, d'autres
supporter et faire ceux à qui furent confiées mis pourquoi j'insiste de nouveau
à mort. C'est

di's brebis douées de raison, pour qu'aucune et plus que jamais pour que, sans différer da-
d'elle ne périsse ? Je t'en prie donc, plus l'o- vantage, tu voles au combat. J'ai la certitude
rage pronde, plus nombreux sont les obstacles que si tu parais là, tes prières, ta bonté, ta dou •

qu'on nous oppose, k s pièges qu'on nous tend, ceur, ta patience, la force d'âme et même ta
plus lu dois éprouver do zèle et en communi- seule présence, suffiront à mettre en fuite l'en-
quer aux autres, afin qu'ils s'associent à toi nemi, à contenir les infidèles, à rendre lecou-
pour une œuvre si belle et qu'ils partent le rage aux nôtres Aussi point d'hésitation ni
plus tôt possible. Entreprendre ce voyage, n'est- de délai dépêche-toi le plus possible, et que
;

ce pas plus méritoire (lue de rester oisif dans lesfaitsque je porte à ta connaissance te fassent
ta demeure? En effet, ce que tu pratiques chez redoubler de célérité Quand tout est tran-
toi, les jeûnes, les veilles, les saints exercices quille, le premier venu suffit à la lâche aisée

delà philiisophie cUrétienne, tu peuxles prati- d'instruire dans la foi quelques ignorants. Mais
quer ailleurs; mais tu n'obtiendras jamais cliez quand le démon furieux déclare la guerre avec
toi ce que tu peux obtenir en Phénicie, le salut plus d'audace, lui résister avec plus de force,
de tant d'âmes, la récompense de tant de périls lui ravir ses victimes, empêcher ses progrès,

bravés, le prix qui s'attache à une décision gé- c'est le propre d'un homme intrépide, d'une
néreuse et prompte.... C'est pourquoi dès (jue âme élevée et forte; c'est un exploit digne de
tu seras guéri, n'hésite pas à te mettre en route, mille couronnes et au-dessus de tout éloge ;

sans soucis de ce ijui t'est nécessaire ; car j'ai c'est l'œuvre d'un apôtre. Songe que le mo-
chargé le vénérable et très-pieux prêtre Con- ment est venu pour toi d'acquérir une grande
stantius de pourvoir largement, plus encore gloire et d'infinies richesses, et ne le laisse pas
que par le passé, à toutes les dépenses, soit de échapper. Hâte-toi donc El pourvu que j'ap-
construction des édifices, soit d'entretien des prenne que tu as mis le pied sur le sol de la
frères. Ainsi, ras?uré de ce côté et, ce qui est le Phénicie, mes craintes feront place à la con-
point capital, convaincu que tu vas faire une fiance. Je sais, en effet, ce qui s'ensuivra : tel

choseagréable à Dieu, pars sans délai, etqu'une qu'un général habile et d'une expérience con-
lettre de toi m'annonce bientôt ton arrivée au sommée, tu parcourras les rangs, relevant les
milieu des infidèles. Te savoir sur le théâtre de uns, soutenant.les autres, cherchant et sauvant
tes travaux, résolu âne rien négliger et à tout ceux qui se perdent, en déroute
et tu mettras
souffrir pour âmes, sera pour moi
le salut des les forces conjurées du démon. Car rien ne
unejoiesi grande, qu'en vérité je ne me croirai m'est plus connu que ton activité, ta pénétra-
plus relégué dans ce désert. Sans doute il m'eût tion, ta sagesse, ta prévoyance, ta fermeté. Je
été bien doux de l'appeler ici et d'y jouir de ta désire que tu m'écrives souvent, même durant
présence mais ce que je demande est plus né-
; le voyage, et j'ai été surpris que le [irêtre Théo-
cessaire, et c'est pourquoi je te prie et te presse dore soit arrivé ici sans m'apporter une lettre
de te hâter et de partir' ». de toi. Afin que je n'éprouve plus le même cha-
Géronce, comme on le voit, était un prêtre grin, écris-moi de chaque station, et que je
de mœurs austères, d'une piété ascétique, que puisse ainsi te suivre pas à pas et savoir cha-
les immolations habituelles de fa vie rendaient que jour le chemin qui te reste à faire. Je suis
très-propre à l'aposlolat. Quant à Jean, l'homo- en dans une grande perplexité, et j'ai be-
effet
nyme de notre Saint, qui en parle avec bon- soin d'être instruit exactement de ce qui se
Ciuj:, if, M. ' Çbryi., ep. 31 ot 53 el ep. 121.
492 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

passe Si les choses vont bien, j'en aurai rent les cadavres aux animaux immondes. As-
grande joie. Dans le cas où des empêchements calon. Emèse, Arétuse, imitèrent ces
Gaza,
seraient suscités, je m'appliquerai de tous mes atrocitésdont le souvenir déshonore l'histoire *.
moyens à les faire disparaître, et n'aurai de Les temps changèrent; l'esprit de ces contrées
repos qu'autant que par moi ou par d'autres, ne changea pas. Le paganisme en fit son der-
s'il se peut, la voie te soit aplanie. Fallût-il nier asile et le disputa pied à pied. Il semble
recourir cent fois à Conslantinople, cela même un seul chrétien à Héliopolis
qu'il n'y eut plus

ne m'arrêtera pas... Si tu penses que des frères dutempsdeValens, et c'est pourquoi les Ariens
poivent vous être adjoints, mande-le-moi. d'Alexai.driey faisaient reléguer de préférence
Quant aux reliques des martyrs, sois en repos. les prêtres catholiques, afinque leur isolement
J'ai vénéré prêtre Térentius à mon
envoyé le au milieu d'un peuple idolâtre fût pour les
très-pieux seigneur Olréius, évêque d'ArabiJse, exilés unsupplicede plus. Plus tard, un homme

qui en a beaucoup de fort authentiques, et sous de Dieu, Nonnus, le même qui ramena de se.*
peu de jours je te lesadresserai en Fhénicie... égarements Pélagie la Perle, s'était dévoué à
Hâte-toi de terminer avant l'hiver les églises être l'évêque ou plutôt l'apôtre de la malheu-

qui manquent de toit' ». reuse cité, et, par l'ascendant de ses vertus au-
Le pays que Chrysostome appelle Phénicie et tant que par la puissance de sa parole, y avait
à la conversion duquel il s'intéresse si vive- opéré des conversions nombreuses. Mais la
ment, n'était qu'une partie de la province de masse du peuple, dans les campagnes surtout,
ce nom celle qui s'étend du Liban aux envi-
:
se dérobait obstinément aux efforts de son zèle,

rons de Balbek. C'est là que le polythéisme lorsque, sur sa demande sans doute, l'évêque
avait bâti ses plus grandioses monuments ;
là de Conslantinople lui vint en aide. Ce dut être
qu'il étalait à la face du jour ses plus révol- pour une grande consolation
le saint vieillard

tantes hideurs que, se surpassant lui-même


; là d'avoir pu, avant de descendre au tombeau,
en immoralité, il avait poussé à ce point la lo- embrasser et bénir ces ouvriers évangéliques
gique du mal, que les plus infâmes dissolutions accourusde toutes parts, à la voix d'un collègue
faisaient partie du culte de la divinité et des que peut-être ils ne connaissaient pas, pour
vertus de l'homme. La prostitution des filles accomplir le plus cher de ses vœux et sauver
par leurs mères et la communauté des femmes de la mort éternelle un peuple aimé quoique
y étaient érigées en lois. On eût dit que le sens ingrat.
moral n'avait jamais existé pour cette portion Jean poursuivit jusqu'à sa mort cette grande
del'humanité. Un temple de Vénus sur un des œuvre, dont il avait fait, dans l'ardeur de sa

sommets du Liban, un autre dans l'enceinte charité, comme son affaire propre. Du fond de
mêmed'Héliopolis, étaient le rendez-vous sacré son exil, il la surveille, il l'active, il la gou-
et l'école publique des plus abominables dé- verne, frappant à toutes les portes, faisant ap-
bauches. Héliogabale sortit de là. Constantin, pel à tous les courages, eniôlant sous le dra-
ayant tourné ses regards verslaPhénicie, s'ef- peau de l'apostolat tous les dévouements, pour
foi ça de réprimer des désordres incroyables à achever plus vite par un concours plus puis-
force d'être monstrueux il ferma les temples, : sant une entreprise à laquelle se rattachent,
abattit les statues, écrivit aux populations du avec les intérêts divins de la vérité, la régéné-
Liban pour les appeler à la connaissance et au ration et le bonheur de tant d'hommes. Il se

culte du vrai Dieu, et, après avoir purifié le multiplie dans chaque ouvrier de 1 Evangile,

solde ses obscénités séculaires, il fit bâtir à et l'on peut dire que pas une conversion n'a
Balbek une église à laquelle il attacha un évê- lieu dans le Phénicie qui ne soit un enfante-
que et un clergé. Le règne de Julien galvanisa, ment de son cœur. Tant d'efforts et de sacri-
sans la ranimer, l'idolâtrie expirante. Les Phé- fices ne pouvaient être à jamais perdus la :

niciens idolâtres se portèrent à des excès de grâce brisa toutes les résistances, et l'idolâtrie
fureur sans exemple dans les annales de la disparut d'une terre qui avait été sa plus chère
cruauté humaine. Pour venger leur impudique possession et son berceau. Les Maronites d'au-
déesse détrônée du Liban par les ordres de jourd'hui sont les fils des néophytes de Chry-
Constantin, ils ouvrirent le ventre aux vierges sostome, le véritable apôtre du Liban.
du Christ, et l'ayant rempli d'orge, ils livrè- • S«cr.,l. 3, c. IS i
TWod., 1. 3, c. r i
Sozoœ., 1. 5, c. 3, 8, 9. 10.

• Chry«., «p. 126.


CHAPITRE QUARANTE CINQUIEME. 403

CHAPITRE QUARANTE-CINQUIEME.

Les ennemis de Jean obliennenl contre lui nu nouvel arrêt de déportation. —Résignation de Jean. — Se» —
souffrances. Il arrive
i Coniane. —
Sa mort. —
Concours à ses funérailles. —
Protestjtioo de saint Nil et de saint —
Isidore. de Atliiude l'Eglise

romaine. — Mort de l'empereur d'Otienl. —


Hésislance de Théophile aui vœux du Saint-Siège. — Pamphlet contre mémoire la

de Jean. ^Lettre de Synésius. —


Moil de Théophile.

Mais pendant que cette grande âme s'épan- de vie qui suffisait à les épouvanter. L'auguste
chait en flots de misérii orde et d'amour, même condamné reprit le chemin d'Arabisse', y tomba
sur des contrées barbares et des hommi.s in- de nouveau malade, mais ne mourut pas. Les
connus, la renommée du captif empècliait ses lettresde ses amis, à défaut de leurs visites,
ennemis de doi mir. Son nom, répété sans cesse vinrent le consoler dans sa nouvelle prison.

aux oreilles d'AlticusetdeSéverien, empoison- D'ailleurs, l'état du pays, ravagé par les bri-
nait leur triomphe impie. Ils savaient que, gands du Taurus qui traînaient tous les maux
malgré la distance et les Isaures, une foule de à leur suite, lui fournit une ample occasion de
pieux visiteurs arrivait tous les jours à Gueuse. dévouement et de charité. Ses vertus, plus que
Précipité de sa tribune, le grand orateur était ses paroles, firent de nouvelles conversions
encore l'oracle du monde. Sa parole, écoutée parmi de la contrée, en sorte que
les idolâtres

de loin, guidait dans les voies de Dieu les fi- de rigueur de ses ennemis ne lui
le surcroît

dèles d'Anfioclie, de Byzance, de toute l'Asie apporta qu'un surcroît de gloire. Ils en devin-
chrétienne. Les intrus avaient peur. Ils deman- rent furieux.
dèrent la translation du proscrit dans un coin La cour, sur leurs instances, donna de nou-
plus reculé de l'empire. On s'étonnait, même veaux ordres pour transférer le captif d'Ara-
dans leur parti, de leur acharnement, de cette bisse à Pityonte, dans le pays des Tzannes.
frayeur étrange qu'un prêtre déporté, malade, C'était la dernière ville de l'empire sur la côte
cassé par les ans et par les souffrances, près de de l'Euxin, vers le nord, entre le Pont et la
mourir, inspirait à des hommes puissants, ho- Colchide, dans une contrée sauvage, déserte,
norés de la faveur de César et disposant à leur abandonnée à peu près aux plus barbares des
gré de toutes les rich(s;es du Sacerdoce. Leur Barbares'. L'ordre de translation portait qu'elle
lâche vengeance ne pardonnait pas à la vertu aurait lieu sur-le-champ. On en confia l'exécu-
d'un Saint d'avoir plus d'éclat que leur bas- tion à deux prétoriens d'une brutalité reconnue,
sesse, plus d'attrait ([ue leurs vices. Ils eussent bourreaux plutôt que soldats, auxquels d'ail-
voulu, dans un exil pius lointain, lui faire une leurs une atroce consigne ne permettait ni
tombe anticipée. N'osant attenter à ses joiirs, complaisance ni compassion pour leur prison-
ilscomptaient enterrer vivant un homme qui nier. Le saint vieillard marchait à pied, tête
étaitdéjàen pleine possession de l'immortalité, nue, le corps brisé, l'âme haute. Consumé de
et pour lequel l'admiration du peuple avait travaux, d'austérités, de soutfrances, en proie
devancé l'heure de la |iostérité et l'apothéose. à la fiè\re qui ne le quittait plus, il se traînait
Ils obtinrent d'abord qu'il fi'it transféré dans le à peine. Les soldats le pressaientelle poussaient
château-fort d'Arabisse, séjour déjà connu de avec rudesse. Vainement ses amis accourus sur
Jean, et que, de lui-même, il avait pour
choi.-^i son passage essayaient d'adoucir ses gardes,
au moment delà plus forte irruption des
asile
• C'est l'opinion d'H^rmant et Je TiUemont, combattilepar Stilting ;

Isaures'. Dans leur pensée, les mauvais traite- elle seule ex[ilique snlfîsjmmenl le texte de Pallade et le met d'ac-
cord avec lui-mcine. (Tillem., 2, p.
t. 615. Stilting. p. 6ia.)
61:) cl.
ments et la rigueur duclimatdevaientachever D'ailleurs, le Saint nous apj.rend lui-même qu'il fut à Arabisse, r.ôft

d'un jour à l'autre celle vie défaillante, ombre par ordre, tuais de son prof^o mouvenient, pour i« aauvtr des liauraa
(ep. 6y).Ce premier vo};i.;e eut heu en hiirer,
'
PaUad., dial., p. 38; Th«od., I. 1, c. 34.
194 HISTOIRE DE SAINT JEAN ClIRYSOSTOME.

d'obtenir d'eux à force de supplications et d'ar- venir, comme on put, aux lieux qu'on avait
gent (|uelques égards pour une infortune au- quittés le matin. Rentré dans la chapelle du
guste, un peu de cette pitié vulgaire qu'on ne martyr, il déposa sa chaussure et ses habits de
refuse pas aux plus grands criminels. Ces dé- voyage, se vêtit de blanc, distribua aux assis-
marches repoussocs aboutissaient à un redou- tants ce qui lui restiit,et, étant encore à jeun,
blement d'outrages. Cruellement fidèles aux il demanda et reçut la communion; puis, il

instructions reçues, les deux prétoriens se pria quelque temps à haute voix. Mais, sa voix
croyaient assurés de leur avancement, si leur s'éteignant peu à peu, il termina sa prière par
pauvre captif, moitié mort, achevait de mourir ces mots qu'il avait ordinairement à la bouche :

en chemin, et ils faisaient de leur mieux pour Gh/re à Dieu en toutes choses! Et ayant fait
en finir au plus tôt. On était au plus fort de sur son corps le signe de la croix, il étendit les
l'été. Ils affectaient de se mettre en route au pieds, prononça le dernier Amen et s'endormit
milieu du jour, afin que cette noble tète, dans le Seigneur'. C'était le 14 septembre 407.
chauve et nue, reçût en plein les plus vifs L'illustre mort avait vécu soixante-trois ans,
rayons du soleil. Si un orage venait à éclater, dont six à la tête de l'Eglise de Constantinople
défense de chercher un abri; il fallait subir et trois dans l'exil.

sans se plaindre des torrents d'eau. Ils riaient Ses funérailles, plus triomphantes que funè-
de voir grelotter le vieillard. Leur unique at- un immense concours de céno-
bres, attirèrent
tention était de fuir les villes où un hommage de vierges, de prêlres, d'évêques, venus
bites,
de respectueuse pitié eût pu consoler cette du Pont, de l'Arménie, de la Cilicie, de la
grande agonie, et ils choisissaient à dessein, Syrie même. On se pressait pour voir une fois
pour y stationner, les lieux les plus déserts, encore, pour saluer d'un dernier regard, dans
particulièrement ceux où l'on manqnaitd'eau, son cercueil, le grand homme, l'intrépide dé-
afin de ravir à Jean le soulagement du Dain fenseur de l'Eglise et des pauvres, le sublime
auquel il semblait tenir. apôtre de la charité; pour contempler cette
Ce voyage, ou plutôt ce supplice, se prolon- bouche, maintenant fermée, d'où l'éloquence
geait ainsi avec d'horribles souffrances depuis avait tant de fois jailli comme un fleuve d'or.
trois mois, lorsqu'ils arrivèrent à Comane' Chacun voulait toucher ses vêtements, baiser
vers la mi-septembre. On traversa la ville sans ses pieds, prier devant la relique chaude en-
dans une église isolée
s'arrêter, et l'on prit gîte core de ce Saint, qui venait d'expirer sur la
au milieu des champs, où était le tombeau de tombe d'un martyr, martyr lui-même sous un
saint Basilisque', évèque, martyrisé à Nico- monarque chrétien. On ne priait pas pour lui,
médie, sous Maximin, avec saint Lucien d'An- on invoquait son nom. Son corps fut enseveli
tioche. Dans la nuit, Basilisque apparut à dans l'église où il était mort, près de saint
Chrysostome et lui dit Courage, mon frère
: Basilisque, en un tombeau tout neuf et trouvé .

Jean, demain nous serons ensemble. là par hasard'.


Le matin venu, le captif se sentant défaillir, A Antioche, à Constantinople, ce trépas fut
demanda qu'on retardât le départ jusqu'à la un deuil public. On maudissait hautement le
cinquième heure. Sa prière fut repoussée et pouvoir inepte et lâche qui n'avait pas hésité
l'on se mit en route aussitôt. Mais ses jambes d'immoler un pontife selon le cœur de Jésus-
tremblaient et s'affaissaient sous le poids du Christ à la jalousie fratricide de quelques prê-
corps trébuchait à chaque pas une froide
; il ; tres, à la vanité cruelle de femmes perdues, à
sueur baignait son visage. On le traîna ainsi une poUtique impie et funeste. On s'abordait
trente stades, c'est-à-dire une lieue et demie ; dans les rues, sur les places publiques, avec
après quoi, il se trouva si mal qu'il fallut re- des paroles d'indignation contre la cour, de
douleur sur cette fin malheureuse d'un si grand
' Voir aux Pii^ces justificatives.
Le P. Stiltiiig cherche à prouver que le texte de Pallade est fautif homme. On se racontait avec émotion les traits
•t qu'il s'agit ici, nom d'un évèque Basilisque, mais d'un simple soldat les plus connus de cette noble vie, si pleine,
de ce nom. Son grand argument, c'est le silence des ménologes grecs,
qui ne mentionnent qu'un seul Basilisque, martyr et soldat. Ses rai- si éprouvée, à laquelle un long et dur martyre,
sons nous ont paru entortillées et peu concluantes. Le texte de Pal-
lade est trop formel pour être Infirmé. Avec TiUemont (t. 5, p. 736),
venait d'ajouter une suprême consécration. Oa
11 faut distinguer deux saints du même nom l'un soldat à Amasée
: se disait que, jeune encore, son talent, à peine
et martyrisé à Comane, l'autre évèque de Comane et martyrisé à
Nicomédie avec saint Lucien. C'est l'évâqut martyr qui apparaît k Pallad.,dial.,p. 29. — ' Chronic. MarctU., ad ann.lOS; Tilltm.,
l'évéque Jean «t l'appelle son frère» t. U, p. 3i6.
CHAPITRE QUARANTE-CINQUIEME. 4'Ja

ébauché, cxcitîiit l'ailmiration de Libaniiis qui elle satisfaite par cotte mort ? Y aura-t-il devant
l'cnviail aux Chrétkus qu'ascMe à vingt ans,
;
cette tombe un peu de pudeur? Faut-il que la
il s'clail élevé du pieuiier bond de ses
vertus proscription s'acharne aussi à cette cendre sa-

aux plu? hautes rcginns de l'ascétisme et de la crée, et qu'on lui refuse une place au pied de
sainteté; (lue, chargé du sacerdoce en dépit de cette tribune que l'ombre du grand homme
son humilité, sa chaire avait été, quatorze ans remplit encore, au milieu de ce peuple qu'il
durant, l'oracle, l'orgueil, la consolation d'An- aimait et sur lequel il veille toujours du fond

tioche; que, ravi pir une trahison pieuse à du cercueil? Vont-ils frapper un cadavre et un
Tamourde SCS concitoyens et traîné malgré lui nom? Mais ce nom, ils peuvent le haïr, ils ne
'
sur trône épiscoi'al de Byzance, il y avait
le sauraient l'huiuilier ils peuvent l'cflacer des:

porte le zèle d'un apôtre, les vertus d'un saint, dyptiques, il vivra dans les cœurs 1

une charité qui ne fit défaut à aucune infor- Ces discours et mille autres couraient de
tune, un countge qui ne fit grâce à aucun dé- bouche en bouche et montaient jus(]u'au trône
sordre. Réformateur du clergé, censeur mo- d'Arcadius, répétés qu'ils étaient par d'énergi-
deste d'une cour dissolue et fyiannique, il ques échos, tels que saint Nil et saint Isidore.
rappela l'un au sentiment de la dignité, il eût Nous avons déjà cité quelques mots du premier
voulu arracher l'autre à sa honte. L'empire lui à l'empereur. En voici d'autres qu'il écrivait

devait son salut. Orateur el thaumaturge de la à un personnage considérable, ancien consul :

loi d'amour, jamais ne tut plus belle que


elle « Des évoques jaloux de la haute vertu de Jean
sur ses lèvres, si puissante que dans sa vie. Ht ont mis de côté toute crainte de Dieu pour
cet homme est tombé, victime de son génie et tramer la perte d'un saint, la lumière de l'uni-
de sa vertu, sous le coupd'une intrigue hideuse vers, et si bien fait, par leurs intrigues, que

ourdie par une princesse, de mémoire mau- l'empereur, pieux mais simple, trompé par
dite, qui s'enivrait des larmes de ses sujets ; leurs mensonges, a exilé cet homme céleste.

^>ar des évoques mondains et serviles, par une Donc, puisque le chef du peuple a prêté l'oreille
cour d'eunuques où tout est bassesse, poltron- à des pasteurs envieux et pestiférés, on peut
nerie et vénalité, par un patriarche indigne dire avec le Prophète : // a mis sa main dam
qui cache sous le manteau d'Athanase une âme lecomplot des méchants. Du reste, après l'exil
implacable et astucimise. Les voilà ceux aux- du juste, la plupart de ses persécuteurs ont
quels fut sacrifié le plus éloquent des orateurs, subi la peine de leur forfait, et confessé à haute
le plus saint des pontifes, le pasteur incompa- voix et avec larmes qu'ils avaient gravement
rable, le chrétien magnanime, redouté des péché contre un saint' ». De son côté, Isidore
méchants, secourable aux faibles, béni de tous écrivaital'un desesamis: a Tu réclames de moi
les malheureux, d'un cœur aussi grand que sa l'exposé fidèle delà malheureuse affaire de Jean,
foi, dont l'existence entière n'était que l'Evan- cet homme divin ;
je doute qu'il me soit pos-
gile en action. Pour le perdre, ils ont tout foulé sible de te contenter. De telles choses sont au-
aux pieds, la vérité, la justice, les lois, l'hon- dessus de ma pensée. Cependant écoute ces
neur, de la religion.
les intérêts et l'autorité quelques mots L'Egypte, notre voisine, sui-
:

Lui, banni avec violence, rappelé avec gloire, vant sa coutume, s'est indignement conduite.
proscrit une seconde et dernière fois, il a erré Autrefois elle repoussait Moïse et honorait Pha-
d'exil en de solitudes en solitudes, ac-
exil, raon, tUebâtissaitdesvilleset refusait le salaire
cablé d'outrages, consumé de soulIVanccs, mar- aux ouvriers;... ses sentiments sont encore
tyrisé dans chacun de ses amis, ne vivant depuis les mêmes de nos jours. Théophile, en effet,
trois ans que par un miracle du Ciel qui vou- avec sa manie des i)icrres et son idolâtrie de
.'
lait lui faire savourer goutte à goutte le calice l'or, s'est adjoint quatre complices de son
du Christ, et il est mort loin de son pays, loin apostasie , et a persécuté ouvertement un
de tous les siens, aux confins du monde, au homme saint, en possession de la vraie doc-
bord d'une grande route, dans un abandon trine. La haine qu'il portait à mon homonyme
misérable, entre deux soldats payés pour in- a servi d'aiguillon à ses nouvelles fureurs.
sulter son agonie, et cela sous un fils de Théo- Mais la maison de David prévaut, celle de
dose; tandis que Théophile étale son orgueil Saiil décline, comme tu le vois ; et le juste

sur le siège d'Alexandrie, et qu'Atticus occupe persécuté, api es avoir vaincu les tempêtes de
en paix une chaire usurpée I La haine sera-t- • 8. Nil, tp. 199, 1. 2, ad Sevtr.
496 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

celte vie, jouit au ciel d'une éternelle paix '


». sa personne, persécuté Jésus-Christ lui-même.
A mesure que se répandait la trisle nouvelle Je ne me lamente pas sur le sort de Jean, puis-
de cette mort, à Rome, à Milan, à Cartilage, à qu'il est entré en possession de son héritage
Thessalonique, partout une grande honte sai- avec les saints Apôtres dans le royaume de Dieu
sissait les âmes, et, la foi leur rendant le res- et de son Christ, —
et cependant la perte d'un
sort que la tyrannie croyait à jamais brisé, elles telhomme est un grand malheur; mais ce —
éclataient en murmures d'indignation et de qui me préoccupe plus que tout, c'est d'abord
vengeance. Le Sacerdoce se sentait profomié- le salut de vos âmes, ensuite le triste état de

ment outragé dans l'une de ses plus hautes il- tant de fidèles privés de direction et d'ensei-
lustrations il se sentait attaqué dans sa dignité,
;
gnement, et condamnés à mourir de faim par
dans son existence, dans ses droits les plus in- le manque de la parole de Dieu. Et ce n'est pas

violables et les plus saints. Le cadavre d'un seulement pour l'Eglise de Constantinople que
grand pontife, d'un grand docteur, d'un des celte admirable éloquence est perdue, l'uni-

champions les plus résolus et les plus éminents vers entier souffre de la mort de cet homme
de l'unité et de l'indépendance de l'Eglise, divin sacrifié à une femme C'est pourquoi,
frappé dans sa vie, dans sa tombe, dans son moi, à qui la chaire du grand Apôtre a été con-
nom, à la face du chef de l'épiscopat, de l'épis- fiée, malgré ma bassesse et mes péchés, je te

copattout entier, n'était-il pas aux mains de la sépare et te repousse de la participation des
cour un gage de sa funeste victoire sur le sanc- sacrements immaculés du Christ notre Dieu, et
tuaire, de la défaite éclatante de celui-ci ? Mais non pas toi seulement, mais tout évêque, tout
Innocent vivait et gouvernait le monde chré- clerc, de quelque rang qu'il soit, qui prendrait

tien, et avec cette noble ardeur que l'insuccès sur lui de te les administrer malgré nos pro-
ne pouvait abattre, avec la grandeur de son hibitions. Que si, abusant de votre pouvoir et
âme, de son siège, de la cause qu'il défendait, foulant aux pieds les saints canons établis
il demanda plus haut que jamais la réhabilita- par les Apôtres au nom du Sauveur, vous
tion de Jean, etdéclara de nouveau qu'avant de employez la violence pour obtenir des ministres
l'avoir obtenue, l'Eglise romaine n'aurait de de l'Eglise ce qu'ils ne peuvent vous accorder,
communion ni avec Théophile, ni avec Atticus, sache bien que cela te sera imputé comme un
ni avec aucun des Orientaux complices de cette péché considérable au jour terrible du juge-
grande iniquité. Car, disait-il, quoique le bien- ment, en ce jour où les titres et les dignités ne
heureux Jean dorme aujourd'hui d'un paisible pourront plus servir à personne '.... »
sommeil, cependantla vérité veille et ses droits Cette lettre, regardée comme authentique
ne peuvent périr '. par Baronius et autres, est traitée d'apocryphe
Nous croyons avec Baronius, contre l'opi- parTillemont, par le P. Stilting, par plusieurs
nion commune, que l'intrépide pontife ne s'en critiques qui ne manquent pas de raisons pour
tintpas à cette simple déclaration, etqu'il écri- étayer leur dire. Car d'abord, ni Socrate, ni
vit à l'empereur pour lui reprocher, avec la Sozomène, niThéodoret, ni Pallade, ne parlent
suprême autorité du vicaire de Jésus-Christ, de cette pièce que George d'Alexandrie a rap-
leségarements de son pouvoir, la proscription portée le premier, et l'on sait la confiance qu'il
d'un évêque, la mort d'un saint, et le retran- faut accorder à un pareil narrateur. D'ailleurs,
cher, lui aussi, de sa communion '. S'il faut la lettre, telle qu'il la donne, renferme une
en croire George, suivi en cela par le grand foule d'expressions qui n'ont pu se trouver sous
historien de l'Eglise, le Pape s'exprime ainsi : la plume du souverain Pontife, et qui sont

La voix du sang de mon frère crie à Dieu autant de preuves , sinon de supposition ,

contre toi, prince, comme jadis le sang du juste au moins d'altération. Elle parle d'Eudoxie,
Abel criait contre le fratricide Caïn. Ce sang comme vivant encore; et il est assez générale-

sera vengé. Etcen'est pas ton seul crime, mais ment admis qu'elle était morte dès l'an 404,

en pleine paix lu as suscité contre Dieu et son bien que Baronius le conteste et qu'il invoque
Eglise une violente persécution. Avant que sa à son appui de nombreuses autorités *. Toute*
cause fût jugée, tu as chassé de son trône épis-
'Georg. Aler., VU. SU; Niceph., Callixt., liv. 13, c. 31; Ba-
copal un grand docteur de l'univers, et, dans ron , ad ann. 407, loc. cit.; Analect. J. Ronllf., 25» livrais., p. 663.
'Socrate, Sozomène, la clironique d'Aleiandrie, celle do Marcel"
• s. I«ld., Pelu»., ep. 152 ad Symmaeh. — ' Pallad., «il. p. 8* lin, 6tc. font mourir Eudoxie en 404. Zonare, Nicéphoi» ptactol H
et 8S. — Bsioo., ai ann. 4S7, t. S, p. 2e2. mort après cells de JeaQ.
CHAPITRE QUARANTE-CINQUIÈME. 497

fois, il est difficile d'admettre (lu'iin pape tel contester qu'Innocent n'ait tout fait, comme
quTiiiiocont, dim dévouement si paii'.iil à l'E- chef de l'Eglise, pour donner raison au droit
glise, d'une ànie si intrépide en présence du opprimé dans la personne de Jean et réhabiliter
devoir, ait pu etoulïer dans son cœur l'indi- sa mémoire. Cependant Théophile, Porphyre,
gnation nu'il dut éprouver en appren int la Alticus restaient sourds à ces avertissements
mort de Jean, c'est-à-dire le crime odieux et solennels, et, malgré l'excommunication qui
lâche qui mettait le comble aux violences de la pesait sur eux, s'obstinaient à ne pas rétablir le
cour, et consommait dans le sang d'une ^naiule nom du grand pontife dans les dyptii|ues sacrés.
viclime impie de rusuii)alion et
le triomiilie Quelle fut l'attitude de l'autocrate de Byzance
de la force brutale sur le droit. Non, le chef su- en présence des lettres venues de Rome et de
prême du sacerdoce, oulratié dans l'un de ses ses propres remords? George et ceux qui le
frères, dans les propres prérogatives de son sui\ent prétendent qu'il reconnut sa faute et
siège, dans son autorité d'évè(iuedes évè(|ues, en implora le pardon dans une lettre à saint
le pasteur et le guide du monde chrétien, qui Innocent citée aussi parBaronius; mais celle
,

avait pris à tâche de venger la mémoire de Jean lettre porte avec elle de tels caractères de faus-
et refusait sa communion moins àTliéo|ihiie, à seté, qu'il est difficile d'y ajouter foi. On croit
que le nom du proscrit ne fût rétabli avec hon- plutôt que le malheureux empereur persévéra
neur dans les saints dypli^iues, n'a pu laisser, dans son aveuglement jusqu'à sa mort, qui ei!'^
sans l'avertir, sans lui reprocher ses empoite- lieu, peu de mois après celle de ChrysostoiE;

menls saciiléges, l'aveugle pouvoir qui avait le 1" mai -îOS '.

été l'instrument ou l'instigateur de la conjura- Rejeton infirme et rachitique d'un tronc \i^
tion contre Chryso'tome et contre l'Eglise, et goureux, il aval tlrenteet un ans et en avait régné
dans tous ies cas avait exploité à son bénéfice treize, ou plutôt
treize ans durant il avait laissé
l'iniquité. L'exemple d'Ambroise parlait assez ses favoris, ses eunuques, sa femme, régner
haut '
; Arcadius, d'ailleurs, était bien petit à sous son nom et déshonorer à qui mieux mieux
côté de Théodose ; et si le massacre de Thcssa- la majesté de l'empire et le monde. Fils d'ua
lonique inspirait une plus vive hoirenr, le grand capitaine, élève il'un grand s;iint, il n'eut
supplice de Jean à Comane avait, aux yeux de ni une étinv:Llle du sang de son père, ni un
l'Eglise, plus de signification et de por'.ée. Seu- reflet des vertus de son précepteur. Sa bêtise
lement la lettre de révé(]iie de Rome à l'em- égalaitsa laideur. 11 n'avait de saillantdans soc
pereur de Byzance, la même au fond que celle caractèrequ'unentêtementinvincible à l'appui
que nous avons citée, et commençant peut-être d'une ignorance sans égale. Couvert de pierre-
par les mêmes mot*, a été surchargée et altérée ries, doré de la tête aux pieds, il jouait au dia-
par le zèle ignorant des Grecs qui nous l'ont dème et au sceptre, espèce de poupaid emmail-
transmise. En tout cas, et telle qu'elle est, elle lotté de pourpre et d'or que Rufln, Eulrope,
prouve au moins une chose c'estqu'à l'époque : Eudoxie tour à tour tenaient as~is sur le Irône,
où George d'Alexandrie écrivait à sa façon l'his- et dont la main qu'ils dirigeaientn'était bonne
toire de Jean, c'est-à-dire deux cents ans avant qu'à couvrir du sceau de l'empire les biigan-
le schisme de Photius, les Eglises d'Orient dages et les turpitudes d'une cour sans hon-
avaient la jdus haute idée de l'Eglise Romaine, neur. Il ne fit qu'un acte de sagesse dans sa
de sa grandeur, de sa puissance, de sijuridic- vie, et ce fut le seul dont il se repentit. Il ap-
tioa souveraine, de son rôle divin, et profes- pela Jean d'Aiitioclie, et le bannit de Constaii-
saient sans détour la foi la plus explicite à sa tinople. Les Barbares, qui le trahissaient, eu-
suprématie sur le inonde chrétien tout entier. rent sa confiance, et il persécuta le grand
Une lettre d'Honorius à ;on frère accompa- homme qui l'avait sauvé des Barbares. Des in-
gnait la lettre du pape, et parlait avec plus de trigants initrés firent d'un prince pieux l'ins-
véhémence encore et de liberté. Le texte n'en trument de leurs passions haineuses, et des
est pas authentique sans doute *, mais le fond ministres mal avisés le rival et l'oppresseur de
doit en être vrai. Persunue, du reste, ne peut l'Eglise; et lui, orthodoxe zélé, qui portait des
lois contre l'idolàlrie et contre les hérétiques,
' SyDMius n'avait-il pas frappé d'excommunication Androoicu!), le

i
lOQTCiDcur de la PeDt3t>ole, en des termes plus sévères et plus ab-
qui transférait solennellement de la Palestine
•olos que ceux attribués au pape InDoceal 7 ^Voir Tillemout sur à Constantinople les reliques du prophète Sa-
S}ÛC9 ,1. 12 Fleury, I. VI, an. 45.
;

Cturg. Alex,, \<juL. \ Bacoo., (oc. cit., p. 263. ' Socr., I. 0, c. 21 ; Sciom., I. 9. c. 1.

S. J. Ch. — TOUB I. 32
HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

)muel' et bâtissait dis églises', il proscrivit les « voleurs. Emule de Dathan et d'Abiron, con-
pontifes du Ciirist, em|>risonna ses disciples, « damné au tribunal de Dieu, il a fourni un
fomenta le schisme, remplit les chaires d'in- a grand aliment aux flammes de l'enfer », et
trus, fît revivre les mauvais jours de Valens, et ces aménités sont suivies d'une foule de belles
devint finalement bourreau de celui qu'il de-
le choses du même genre, qui déshonorent la
vait bénir comme un père, et que la Provi- plume d'où elles émanent, sans atteindre celui
dence, dans sa bonté, avait placé près de lui qui en est l'objet '.
pour projeter sur son règne l'ombre de son Or, Hermant et Tillemont acceptent telles
génie de ses vertus. Il a laissé la mémoire
et quelles les assertions de l'évêque d'Hermiane,
méprisée d'un tyran niais, persécuteur à son et n'hésitent pas à laisser au compte de Théo-
insu d'une religion qu'il professait et qu'il ai- phile, déjà trop lourd, ce lâche pamphlet :

mait. Et tandis qu'il paradait à la tête de ses comme si la haine du patriarche égyptien
Arcadiens ' ou qu'il signait, sans y songer, la loin d'être désarmée par
mort de son ad- la
mort de Jean, Radagaise ravageait l'Italie et pé- versaire, avait puisé dans satombe, qu'entou-
nétrait jusqu'à Florence; Alaric marchait sur raient d'innombrables bénédictions, unefureur
Rome ; les Alains, les Vandales, les Suèves en- nouvelle! Ils ont même cru, sur le dire de
vahissaient les Gaules, où ils étaient suivis par Facundus, que saint Jérôme avait traduit
les Bourguignons et les Francs; les légions de complaisamment infâme ramassis de men-
cet
la Grande-Bretagne, en pleine révolte, se don- songes et d'injures, et l'avait envoyé à sesamis
naient un soldat pour empereur; Byzance, dé- de Rome pour l'y propager.
solée par un nouveau tremblement de terre, Le P. Stilting, avec raison selon nous, con-
était famine et
en proie au double fléau de la teste l'authenticité de cet horrible écrit.
de l'anarchie le pouvoir, impuissant à dé-
; Avouant, ce que d'ailleurs il serait impossible
fendre le peuple contre les Barbares, ne savait de nieren présence des affirmations de Pallade,
pas se défendre contre le peuple; les séditions que Théophile fut le calomniateur de Jean,
succédaientauxséditions;lesols'écroulaitsous d'Olympiade elle-même, il s'efforce de prouver
les pas des Huns ; tout était confusion et épou- que le libelle en question n'est pas et ne peut
vante, et l'on eût dit que
la mort d'un pauvre être l'œuvre du patriarche, et qu'il faut l'attri-
exilé donnait le signal de la destruction de buer arien, à un Juif, à un polythéiste
à un
l'empire et de la un prochaine du monde. peut-être, heureux de donner le changeau pu-
Malheureusement, endescendantau sépulcre, blic et de couvrir d'un grand nom catholique
Arcadius n'enterra pas le schisme avec lui. les outrages qu'il adresseà un ministre illustre
Théophile vivait toujours, au grand scan- et, de Jésus Christ. Son principal argument est
dale de tous les vrais chrétiens, il opposait son tiré du silence des contemporains de Sozo- :

entêtement et son orgueil aux décisions et aux mène, qui ne pouvait ignorer ni taire une
vœux de l'Eglise Romaine. Facundus d'Her- œuvre pareille de Socrate, qui enregistre avec
;

niiane, en Afrifjue, qui vivait plus d'un siècle bonheur tout ce qui peut amoindrir la gloire
après le patriarche d'Alexandrie, cite sous son de Jean de Pallade, de saint Nil, de saint Isi-
;

nom un déplorable écrit, peu propre à coup dore, peu disposés à épargnerThéophile,dont
sûr à honorer sa mémoire, si tant est qu'il soit ils relèvent avec indignation tous les torts.

vraiment de lui. C'est une diatribe odieuse Comment admettre que l'évêque d'Alexandrie,
contre Jean, « où l'illustre pontife est appelé homme prudent et cauteleux, qui soignait sa
meurtrier des Saints, compagnon de Judas, réputation et n'ignorait pas que l'opinion pu-
B homme impie, corrompu, agité de l'esprit blique s'était vivement prononcée en faveur de
« impur qui tourmentait Saùl. Blasphéma- son noble adversaire comment admettre, dis-
;

« teur », y est-il dit, o prince des sacrilèges, je,qu'untel homme, dansunetellesituation, se


a nouveau Balthazar, ennemi de l'humanité, soit décidé à jeter à la face du monde chrétien,
ses crimes surpassent en audace ceux des dévoué à la mémoire de Chrysostome, ce hi-
deux fuclum dont il ne pouvait attendre autre
* s. Hier. adv. Yigil., tom. 4, 2e pari., p. 283. chose qu'un redoublement de haine contre lui-
Entre autres l'église de Saint-Jean, appelée V Avcadienne.
'

Les Arcadipm^ qu'il faut distinguer d'un corps de troupes du


' même? Et s'il eût été l'auteur avéré d'une
même nom, étaient un choix de six mille citoyens qui lui faisaient pareille infamie, si dans un opuscule signé da
cortège dans les cérémonies publiques, et qu'il se plaisait à honercr
de ses plus grandes ravcurs. • Fm. Hiroi., I. 6, p. 258, cto.

.1:
CUAl'l 1 KE QU AUAM'KCiNQUlÈME. 499

son nom il tût poursuivi d'atrocos injures jus- ciens ? Si tu trouves que je me trompe, per-
qu'au-delà du lonibeau un boiiimu vénéré, mets-moi de me tromper avec de tels hom-
l'honneur de l'Episcopal, pense-t-oii que les mes ' I de 405 et dès lors,
B Or, cette lettre est ;

Pères d'Epliose, que le pape saint Léon, que le victime d'une odiouse intrigue, Chrysostome
patriarche saint Protère, que Vincent de Luriiis, avait été arraché à son siège et relégué aux
eussent parié de lui aussi honoraijlemeul qu'ils confins du monde. Si le docteur de Bethléem
l'ont fait? Le pape saint Gélase, énnmcranl les eût partagé contre lui les sentiments de Théo-
lisres qu'il approuve,dont la loclure est irré- phile, en eût-il fait cette mention ? Et s'il en
prochable ceux de Théophile et n'eu ex-
', cite avait alors cette haute idée, serait-il devenu
cepte aucun. Serait-ce possible, si celui qui quatre jours après l'ardent accusateur de sa
nous occupe eût figuré parmi les œuvres du mémoire? Nous croyons avec le P. Stilling,
patriarche et pesé sur son nom? qu'à cette époque déjà, Jérôme s'était éloigné
Mais qui donc avait intérêt à écrire ce mal- du patriarche égyptien. Onne trouve plus ves-
heureux libelle, el, Théophile mort, qui aurait tige de leurs relations après 40o. Quand on
songé à l'écrire, alors que la mémoire de Chry- songe d'ailleurs àcecuUe de vénération et d'a-
un objet de litige, jouissait
sostonie, loin d'être mour pour l'Eglise Romaine, que le grand soli-
de unanime vénération ? Et s'il fut pu-
la plus taire professait si haut, peut-on croire qu'il ait
blié du vivant de Théophile par un calomnia- hésité entre Théophile et Jean, entre un nom
teur subalterne caché sous un nom imposant, cher à l'Eglise-mère qui en poursuit la réhabi-
comment se fait-il qu'aucune voix ne se soit litation avec un zèle infatigable, et un pontife
élevée pour protester en faveur du patriarche obstiné dans ses rancunes, auquel le Pape
eirabsoudred'untelforfait?Leslyle, d'ailleurs, refuse sa communion, et qui refuse lui-même
ne permet guère d'attribuer celte pièce à un d'incliner son orgueil devant les vœux et l'au-
juif ou à un hérétique, encore moins à ua toritédu Pape ? N'est-ce pas Jérôme qui adres-
païen. saitàsaint Damase cesbelles paroles si connues :

Ces observations laissent à l'opinion du sa- « Moi, qui ne veux marcher qu'à la suite de

vant Bollandiste toute sa probabilité. Ici, du Jésus-Christ, je me tiens uni de communion à


reste, le moindre doute oblige au silence. Im- ta béatitude, c'est-à-dire à la chaire de Pierre.
puter à un homme éminent par son caractère Je sais que l'Eglise a été bâtie sur cette pierre.
et sa position une œuvre qui le déshonore, Qui mange l'agneau hors de cette maison est
sans avoir la certitude qu'il en estl'auteur, se- un profane; qui n'est pas dans l'arche de Noé
rait d'une révoltante injustice; ce serait ra- sera victime du déluge Je ne connais pas
baisser l'histoire au rôle du pamphlet. Les ju- Vital, je repousse Mélèce, j'ignore Paulin. Qui-
gementsde l'histoire sont trop souverains pour conque ne recueille pas avec toi, disperse ; c'est-

qu'il leur soit permis d'être téméraires. à-dire, celui qui n'est pas du Christ est de
Quant à saint Jérôme, rien n'autoriseàcroire l'antcchrist ' » . Devant ce langage, l'affirmation
qu'il ait propagé par la traduction un écrit de Facundus tombe à plat. Théophile, persévé-
aussi détestable. Sans doute, une commune rant dans sa résistance au désir du Saint-Siège
opposition à rOiigénisme l'attacha d'abord à et séparé de sa communion, n'était plus aux
Théophile. Est-ce au point d'en épouser les yeux de Jérôme, qu'un profane, un disciple,
préventions et les haines, de se faire le com- non du Christ, mais de l'antcchrist; et l'oa
plice ou l'écho des plus absurdes calomnies conçoit qu'au lieu de l'aider de son talent à
contre un pontife que l'opinion publi()ue avait propager le plus mauvais de ses ouvrages, il
placé au rang des Saints? Le caractère de Jé- s'en soit séparé de toute la distance de la foi
rôme, si droit et si ferme, repousse une pareille filiale à l'entêtement schismatique.
suiiposition. Dans une lettre à saint Augustin, On allègue une prétendue lettre de saint Jé-
à propos du reproche de saint Paul à saint rôme à Théophile, lettre où l'illustre évêque de
Pierre, il s'exprime ainsi :« Que dirai-je de Constanlinople est fort maltraité. Mais une sim-
Jean qui gouverna comme évêque l'Eglise de ple lecture de cette pièce démontre à l'œil Is
Ccnslantinople, lequel, traitant longuement moins attentif qu'elle n'est passorlietoutentièra
ce sujet, a suivi l'opinion d'Origène et des an- dclamêmeinain.Onydislingucsanseffortdeux
trop disparates pour être confondues. La
lellrt'S
' Ubb. tom. 4, col. 12M ; Tillem., i. 1 1, p. 496 ; Slilt., loc. cil.,

f. 674. • s. Hier., t. 4, ait. pari., p. 620. — • S. Hier., ep. H, atiat IT»


500 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

première, qui a trait à Chrysostome, est évi- thynie, alors que la division n'avait pas éclaté
demment do Tliéophile, dont le style obscur et entre les églises. Depuis que ces différends ont
tendu tr;inclie avec la simplicité incisive et lu- eu lieu, il est resté l'ami de celui qui l'avait or-

mineuse de Jérôme. Dans la seconde, on re- donné, et s'est attaché inébranlablementàson


trouve véritablement celui-ci ,11 s'excuseauprès parti.... Je n'ai pas besoin d'entrer en de plus
de l'évêque égyptien de n'avoir pu lui envoyer longs détails, vis-à-vis d'un homme qui sait

plus tôt la traduction d'un de ses livres, proba- aussi bienque toi ce qui s'est passé et y a pris
blenientd'unedescs lettres pascales. Un copiste une si grande part. Il m'est tombé entre les
mal avisé a uni bout une suscrip-
à bout, sous mains un livre très-judicieux et très-sage que
tion ridicule, ces deux œuvresétonnéesde leur tu as écrit sur ce sujetau bienheureux Atlicus,
rapprocbement, et dont le contraste et l'origine je ne me trompe, pour le portera recevoir les
si

diverse n'ontéchappé ni à ValoisniàTillemont. hommes de ce parti Dois-je tenir ou ne


Aussi, en dépit des savants bônédiclinsquiont pas tenir Alexandre pour évêque ' ? »

maintenu la confusion, l'édition de Vérone sé- Synésius ne comprenait rien à la fermeté


pare les deux lettres et rend à chacun sa res- d'Alexandre; mais habitué de longue main à
ponsabilité. vénérer Théojihile, il se fût bien gardé d'ap-
L'allégationde l'évêque d'Hermiane,àpropos peler bienheureux un homme que celui-ci eût

du grand docteur de l'Eglise latine, est donc une traité de blasphémateur et d'impie.
erreur. Bien que le cœur humain soit exposé Théophile mourut le 15 octobre /il2, non
à d'étranges illusions, et que les plus nobles sans déplorer les agitations de sa vie. Il abor-
natures n'en soient pas exemptes, on verrait dait la mort avec effroi, et s'écriait en pensant
avec douleur un homme tel que le solitaire de à ces pieux solitaires dont il avait goûté dans
Bethléem tremper, même de bonne foi et par sa jeunesse le recueillement et la paix : Que
un entraînement de zèle, dans une accusation vous êtes heureux, abbé Arsène, de n'avoir ja-
odieuse contre un vénérable pontife, défendu mais oublié cette heure suprême! Saint Jean
par le vicaire de Jésus-Christ, et victime de ses de Damas rapporte, sur l'autorité d'un diacre,
vertus et de son dévouement à l'Eglise. Heu- Isidore, qui n'est pas autrement connu, que le

reusement il n'en est rien. Jérôme n'a pris au- patriarche, avant de quitter ce monde, déplora
cune part aux fautes de Théophile et Théophile ; ses torts vis-à-vis de Chrysostome. En proie,
lui-même peut être absous, avec beaucoup de dit-il, à une cruelle agonie et ne pouvant plus

vraisemblance, d'une iniquité qui flétrirait à vivre, il ne pouvait mourir. Alors il demanda

jamais sa mémoire. le portrait de Jean, etl'ayant respectueusement

Et ceci rend plus facile à admettre ce qu'on a baisé, il rendit le dernier soupir '. Mourut-il

dit, que, dans les derniers temps de sa vie, il dans la communion de l'Eglise romaine? Fleury
se serait radouci à l'égard des amis de Chry- l'affirme et le conclut des titres honorifiques
sostome. C'est du moins ce qu'on peut inférer que lui donne le pape saint Léon *. Tillemont
d'une lettre de Synésius. Le célèbre évêquede le nie. // avait mérité, dit-il, cette excommu-
Ptolémaïs, s'adressant à Théophile, le consulte nication par ce qu'il avait fait contre saint Jean
sur la conduite à tenir vis-à-vis d'un prélat ' dé- Chrysostome, et il s'en alla, chargé de ce poids
pouillé de son siège pour refus de communion terrible, rendre compte de ses actions à la jus-
avec les intrus: «Alexandre, lui mande-t-il,né tice de Dieu, qui lui fut peut-être d autant
à Cyrène d'une famille de sénateurs, embrassa plus rigoureuse, que s'il a fait quelque bien,

jeune la vie solitaire, et méritad'être élevé plus il semble en avoir été récompensé en ce monde,

tard au diaconat et au sacerdoce. Une affaire et par le crédit qu'il a eu durant sa vie, et par
l'ayant conduit à Constantinople, il fut connu l'estime qu'on a témoigné faire de lui aprèssa
du bienheureux Jean. (Nous lui devons ce titre mort *.

d'honneur puisqu'il est mort que toute ini-


et En tout cas, nous n'avons aucune preuve
mitié doit cesser avec la vie) . Jean lui imposa les directe de sa réconciliation avec le Saint-Siège.
mains, et le fit évêque dt; Basilinopolis eu Bi- Toutefois, puisqu'il est certain, nous l'avons
' Alexandre de Basihnople, en Bithyoie. Nitif de Cyrène, il s'y
était relire pendant l'orage qui dispersa tous les amis de Jean. Syné- * Syo., ép. 66 ; Synésius écrivit dans le même sens une seconda
ÎUB lui relusail loute couimuaion a l'bl^ùse et le recevait avec res- lettre [ep. 67] qui resta, comme la première, uns réponse (Robrba«
pect dans sa maison. Il désira sortir de cette contradiction avec lui- cher, 1. US, t. 7, p. 488).
même, et savoir s'il fallait, oui ou DOû, traiter Alexandre commt * S. Joan. Damas., de imagina p, 4lOk o * Bist< «C<L> L 9%
£r«que. H ne parait pai qua Tbéophil* ait npoudu à Mit* Itttr*. •rt. M. — • Tille»., «. a. p. 49».
CHAPITRE QUARANTE-SIXIÈME. SOI

déjà dit, que nnn-spulemcnl Théophile est loué l'écorce elles faits, estcondamnée vis-à-vis de
par une fiuilc- irOiiciilaux it cité dans le con- lui àune douloureuse sévérité. Ilisloriquement
cileilEphèse avec le litre de Irès-saintévèiine, parlant, la gloire de Chrysostomcest le supplice
mais i|ne saint Léon Ini-niéiiie le compte, avec de Théophile.
saint Atliana-e et saint Cyrille, entre les plus Du reste, cette année 412 apporta de grands
excellents paslenrsiju'ait eus 1 K^lise d'Alexan- changements dans la situation religieuse de
drie ', qu'il l'appelle un pontife de sainte mé- l'Orient, moins peut-être par la mort du pa-
moire, et que pape Gélasc, approuvant ses
le triarche d'Alexandrie que par colle de Por-
écrits, lui donne la qualification de bienheu- phyre, qui le suivit de près au sépulcre. L'in-
reux, il faut en concliu'e, ou qu'il était rentré digne évèque d'Antioche mourut en 413, dé-
avantde mourir dans la communion du souve- testéde ses ouailles, méprisé de ses collègues,
rain pontife, ou que son zèle et ses travaux repoussé du Saint-Siège. Théodoret nous dit
pour la défense et le triomphe de la vérité « qu'il laissa des marques sensibles de la ten-

calholiciue lui ont valu de la part de l'Eglise- dresse de sa charité et de la sagesse de sa con-
mère le pardon de ses torts, et l'oubli de sa mal- duite ». Un excès d'indulgence et de bonté
'

heureuse et coupable résistance aux vœux d'In- inspire au pieux historien des paroles contre
nocent. lesquelles proteste toute la vie de Porphyre.
Quoi qu'il en soit, la pureté de sa doctrine a Et, en son ordination subrcptice, les
effet,

mérité généralement obte-


les éloges qu'elle a violences dontil appuya son pouvoir usurpé,

nus. Personne n'a plus vaillamment combattu l'acharnementaveclequel il |)oursuiviilesamis


pour la foi mais la beauté de sa vie n'a pas ré-
; de Chrysostome, tout nous oblige à voir en lui
pondu à la beauté de ses enseignements. Nous un de ces malheureux pasteurs que Dieu inflige
sommes obligé de le redire, l'histoire le repré- quelquefois aux peuples pour les châtier, ou
sente comme un prélat hautain, jaloux, vindi- pour montrer au monde que seul il gouverne
catif, avare; et il fautconvenirque sa conduite son Eglise, sans avoir besoin ni du génie des
vis-à-vis d'Isidore et de Jean est peu |)ropre à hommes ni de leur vertu, et que, inajçié les
l'absoudre de ces tristes accusations. Dieu, qui scandales des uns, les doctrines perverses des
connaît le secret des cœurs et juge les actions autres, elle n'en est pas moins, et à. jamais, la
sur les intentions, l'a reçu peut-être dans sa colonne et le fondement de la vérité.
miséricorde '; mais qui ne voit que
l'histoire,
que l'Egliêe honore d'un culte public, o On ne trouve pas, dit Tille-
•s. Léo, ep. 68, 77,9», 134. mont, qu'ils aient éié autorisés ni suivie par aucune Egl.&e, EOit da
' Pierre de Nalalibus [Calalog. Sanel. S mars, fol. l'Orient, sou de l'Occident >. (Xillem., t. Il, p. 196.)
47), et d'tutrei
prit lai, oot placé le nom de Tbéoptiile parmi let soma de> Salnti ' Tbéod., 1.
5, c. 35.

CHAPITRE QUARANTE-SIXIÈME.

Théodose II. — Alexandre succède à Porpbyre. — Cyrilleà Théophile. — Fin du schisme d'Antioche. — I.a méiiioiie de Chry-
sostome rétablie dans les églises d'Orient. — Une en son honneur,
fêle à Cunstautinople. —
instituée Proclus. — Discours
prononcé par lui le jour de la fête de Jean. — Les reliques de Jean sont reçues solennellement dans la ville impériale, —
Appel i l'Eglise grecque. — Appel en faveur de l'Orient.

Les années qui suivent la mort de Chryso- terrible descrises! 11 est vrai qu'à côté de ce pau-
etomesont peut-être les plusagitéesde l'histoire. vre petitempereur était un homme de bien etde
Un enfant de sept ans venait de s'asseoir sur le talent, ancien ami deChrysoslome, et heureuse
trône de Constantin singulière ressource pour
: exception dans une cour frivole et abrutie. An-
un empire démantelé et branlant que le génie thcmius —
c'était son nom —
rétablit les finan-
de Tliéodose aurait eu de la peine à soutenir, ces, réprima les scandales, releva le pouvoir,
dansunmomcnloùrhumanitétraversaitlaplus fit reculer les Huns; puis il s'effaça devant
802 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

Pulchérie, appelée à quinze ans à prendre la et lui, il opposait des traîtres à des traîtres, et
tutelle de son frère et les rênes de l'empire. se consolait de sa couardise en faisant exposer
S-'ule entre les pauvres descendants du grand aux portes de Carlhage les têtes coupées de ses

empereur, Pulchérie eut quelque chose du gé- rivaux vaincus. Les pirates infestaient les mer.s
nie et du courage de son aïeul. A une rare et venaient insulter jusque dans l'IIellespont la

beauté elle unissait un esprit pénétrant, un ju- flotte de l'empire. Les Gaules, l'Espagne, l'Afri-
gement sûr, une volontj ferme et les vertus que, avaient succombé. Tout était ruine, anar-
d'une sainte, a Sage dans les conseils, promiite chie sanglante, horrible chaos. On eût dit que
et décillée dans l'action, elle dirigeait, dit Gib- le monde sombrait dans un naufrage suprême.
bon, toutes les affairesdel'Elatsans ostentation « Seigneur, sauvez-nous, s'écriait saint Jérôme,
comme sans bruit, et en rapportait tout l'hon- nous périssons » '
!

neur à son frère ». Rien ne fut négligé par


'
Calme et digne au milieu de ces hontes et de
elle pour faire du jeune Théodose un monar- ces terreurs, l'Eglise poursuivait, les yeux fixés
que accomiili. Le résultat ne répondit pasàses sur la Croix, son but divin. Innocent, qui la
espérances. Aussi beau que son père était laid, gouvernait, semblait n'avoir pas même entendu
le fils d'Arcadius possédait une grande partie le fracas de ces grands écroulements, et, avec

des qualités qui font les bons princes. Instruit, l'inaltérable sérénité des élus dans le ciel, il
spirituel, aimable, généreux, d'une physiono- remplissait son ministère de pasteur des pas-
mie ouverte et confiante, d'une noble simpli- teurs, soutenait \iigustin, condamnait Pél.ige,
cité dans sa tenue et dans ses manières, voulant proclamait la vérité du haut de sa chaire su-
le bien, aimant la justice, ennemi du faste, prême, etdemandaità l'Orient la réhabilitation
avare du sang, sobre, modeste, irréprochable de Chrysoslome. Partout sa voix fut écoutée et
de mœurs, maître de lui-même, modèle d'ur- sou autorité prévalut.
banité et de patience, dédaigneux de venger Porphyre venait de mourir après Théophile.
ses injures, il lui manquait pour être à la hau- La Providence, comme pour consoler Antioche
teur de son rôle l'âme virile et le grand carac- d'un pontificat abhorré, lui donna pour pasteur
tère de sa sœur. Malheureux à la guerre, tou- Alexandre. Sur cette chaire souillée par l'in-
jours battu, il acheta des Barbares une paix trusion et, quoi qu'en dise Théodoret, par la
honteuse au prix de six mille livres d'or et d'un violence et la tyrannie, Alexandre portait avec
tribut annuel. Sous son règne, Attila couvrit un beau talent des vertus encore plus belles.
du débordement de ses hordes tout le pays, du Homme d'abnégation et de charité, il continua,
Pont-Euxin à l'Adriatique, et s'avança jus- étant évêque, les austérités et la pauvreté vo-
qu'aux portes de Constanti nople, dont un trem- lontaire qu'il avait pratiquées dans la vie mo-
blement de terre avait détruit une partie des nastique. Esprit éclairé, cœur généreux, ora-
nuu'ailles et cinquante tours. Eht-il une ville, teur éloquent, sa parole écoutée avec bonheur
une forteresse dans V empire, è'écïiiiiVmioïiini tirait sa principale force de la pureté de sa vie.
ravageur, qui puisse subsister, si fai résolu de Pontife digne de sa mission, cher à son peuple,
la détruire? Théodose, ajoutait-il, est mon objet d'une confiance unanime, ceux mêmes
esclave puisqu'il tne paie tribut ;mais c'est un qui ne l'aimaient pas admiraient la liberté
esclave perfide qui veut se défaire de moi par sainte de son langage. Mais sa plus grande
la trahison. gloire fut d'avoir aimé la paix, et de l'avoir re-
Etpendantce temps-là l'Occident s'écroulait cherchée avec une ardeur qui plut à Dieu et
dans les flammes. Rome, après avoir acheté au qu'il daigna bénir.
poids de l'or deux jours d'une misérable ago- Les premières pensées, les premiers efforts
nie, tombait aux mains d'Alaric. Un chef de de son zèle, en s'asseyant sur la chaire antique
Barbares, emportant dans ses bagages la sœur de saint Pierre et de saint Ignace, eurent pour
d'Ilonorius, en faisait son épouse, et la fille de objet la fin de ces tristes divisions qui affli-

celle-ci, la petite-fille de Théodose, envoyait geaient depuis quatre-vingts ans l'église d'An-
son anneau au roi des Huns pour réclamer sa lioche. Par ses pressantes exhortations, par ses
main. Une foule de misérables compétiteurs démarches conciliatrices, par l'ascendant que
disputaient au César caché dans les boues de luidonnaient sur tous sa douceur, ses vertus,
Ravenne les lambeaux de sa pourpre souillée; son talent, sa charité, il vint à bout de réconci-
Gibb., Bist, de la décad., c. 32, ' Hier., tn Isai., 1. 13, prœfai.
CIIAl'lTRE QUARANTE-SIXIÈME. 803

lier les Eustathiens, qui n'avaient plus Jévêque grâces au Seigneur, et reçu la communion de
ilepnis Evagre, avec ceux ((u'on appelait encore votre Eglise, heureux de pouvoir dire que les
le-i Méléciens, c'est-à-tlire avec le reste desCa- condisciples dii Siège apostolique ontouvertles
tlio'iijues l'entrés depuis Ioiii;teni|)S, p;irla mé- |>remiers la voix de la paix, dans laquelle une
dialion de Clirysusloine, dans la counnuiiion fois établis, la bonté de Notre-Seigueur Jésus-
de l'Ef^lis Koniaine. Ce fut un beau jour pour Christ nous embrassera et nous unira, vous et
la métropole de la Syrie lorsque Alexandre, nous, de telle sorte que rien ne pourra plus
portant la condescendance à son dernier terme, nous séparer • d.

vint, à la tète de tous les siens, clercs et laïques, Et comme


Acace de Bérée, l'ardent promo-
trouNer les Eustliatieus dans le lieu de leurs sy- teur de la condamnation de Chrysostome, s'é-
naxes. Un hymne entonné par les chantres tait servi d'Alexandre pour entrer en relation

qu'il avait amenés à dessein, et redit i)ar toutes avec l'Eglise Romaine, le Pape ajoute « La :

les bouches à la l'ois, retentit au loin comme lettre d'Acace étant avec les vôtres, je la reçois

une immense explosion de joie et d'amour; et de peur que le repousser,.... ce ne soit vous
toute cette multitude,où les deux [larlis s'é- vous-même. Etcependant, nous
fiire alTront à
taient confondus dans une seule conuuLiuion, avons assez expliqué dans les pièces que nous
se diiigea verslagrandeégliseenlonfreant l'O- vous adressons et que vous aurez soin de lire
ronte et formant, dit Théodoret, un lleuve vi- attentivement, de quelle manière vous devez
vant plus majestueux que celui qui arrose la agir avec lui, afin que, s'abandonne à vos s'il

riche cité. Jamais, poursuit le pieux narrateur, conseils et conforme sa conduite à la vôtre
qui
fêle pareille ne s était vue^. Alexandre reçut est si sainte, ce vieillard obtienne, par vous, si
dans son clergé tous ceux qu'avaient ordonnés vous le jugez convenable, la grâce de nos let-
Evagre et Paulin, et conserva à chacun son tres et de notre communion * ».
rang et sa dignité. Ainsi finit, par ses soins, le La lettre du souverain pontife à Acace, lettre
malheureux schisme qui datait de l'exil de saint confiée à la sagesse d'Alexandre, qui doit la re-
Euslhale, c'est-à-dire de l'an 329 à peu près '. mettre ou la garder, suivant les dispositions où
Tout entier à l'œuvre de paciûcalion heureu- il trouvera son collègue, est ainsi conçue:
sement commencée, ne croyant avoir rien fait « Nous apprenons par ta lettre que ta fraternité

encore tant qu'il n'avait pas réconcilié son liglise s'est réjouie de la réunion des clercs et du

avec r Eglise-mère, l'évêqued'Anlioche envoya peuple d'Evagre et de Paulin, et du rétablisse-


des députes à Rome pour cominuniciuer au ment de Pappus et d'Elpidius, et nous voyons
Saint-Père, comme le faisaient exactement tous que, l'arrachant à l'esprit de discorde, tu im-
les patriarches,son élévation à l'épiscopat et plores, quoique bien tard, la grâce de la paix.

detnander sa communion. Innocentexigea que Aussi nous adressons celte lettre pour toi à
le nom de Jean lût rétabli dans les saints dypti- notre excellent frère et coévêque Alexandre,
ques et leurs sièges rendus sans examen aux afin que, si tu as chassé de ton cœur toute ini-
évêquesElpidiusde Laodicéeet Pappus ce qui ;
mitié, toute haine contre Jean, l'admirable
fut fait. Informé par un nouveau message de pontife, et contre ceux de sa communion, tu
l'accom plissement de ses vœux, il félicita le reçoives, frère bien-aiiné, ce témoignage d'al-
successeur de Flavien, d'abord par une lettre liance entre notre Eglise et la tienne, pourvu
particulière pleine d'eiïusiou, où il l'insiteà qu'accédant a tout ce qui a été résolu ici, tu en
lui écrire souvent pour réparer, dit-il, la |)erte lasses la déclaration de ta propre bouche à notre

du passé; ensuite, dans une autre plus solen- aimable médiateur Alexandre. Car, autant nous
nelle que lui portaient le prêtre Paulet le diacre désirons l'union et la charité, autant nous vou-
Nicolas, lettre signée de vingt-quatre prélatset lons qu'il n'y ait rien de suspect et de faux dans
dans laquelle le souverain pontife s'exprime les cœurs ' ».

ainsi : « J'ai examiné avec une grande sollici- Ainsi, l'Eglise d'Antioche, qui, la première,
tude, sur les pièces qui m'étaient soumises, si avait encouragé admiré les vertus
les travaux,
dans
l'on avait satisfait à toutes les conditions, du fils première aussi, entre
d'Anthusa, fut la

la cause de Jean, ce pontife vraiment digne de les églises d'Orient, à venger et à honorer sa

Dieu et ayant reconnu que toutes les asser-


;
mémoire. Mais le triomphe de la justice et de
tions de tes envoyés étaient vraies, j'ai rendu
Baron., ad ann. M8, g 33, 34. — * Bkroo., ad ann. 408, § 33,
•TSéod., I. 5, c. 35. — 'Socr ,1. 7.c. 15; Soid., in «erb. Bypal. 34. — '
M-, iliid.
SÛ4 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME;

la vérité était le triomphe propre de l'Eglise Ro- nous devoir trouver un jour, obligés que nous
maine il ; était dû tout entier à la nojjle persé- sommes d'acquiescer par nécessité à ce qui va
vémnce, à la vigueur de ses efforts, et son le moins à nos sentiments et de préférer l'uti-

auguste chef était iieureux d'annoncer ce ré- lité à la justice. D'ailleurs, nos propres pensées
sultat longtemps désiré au prêtre Boniface, qui nous inclinant à la concorde, nousne portons
le représentait, comme légal, à Constautinojile, aucune alteinteuux canonsdenos pères, quand
et devait être pa|ielui-même. « Lesdeux sœurs, nous préférons à leurs termes précis et à la ri-
lui disail-ii, filles d'un même père, sont enfin gueur de la lettre la paix de l'univers. Saint
réconciliées. J'ai voulu te l'apprendre aussitôt, Paul s'est accommodéaux circonstances, quand
et je désire que tu on informes ceux qui s'em- il s'est agi d'ét.iblir des règles pour le gouver-
])loientd'ordinaire auprès de toi en faveurd'At- nement de l'Eglise, et en cela
il a montré sa

ticus ' ». haute sagesse. Je que notre père


sais aussi
Nous voyons par ces derniers mots et nous Théop'iile, ce saint homme qui tenait le rang
savons par Tliéodoret'qu'Allicus aussi sollici- des Apôtres, voyant les païens fomenter une
tait la communion de l'Eglise-mère.Unévêque sédition, préféra pour quelque temps la paix
de Macédoine, dévoué à la cause de Jean, Maxi- publique à la stricte observation des lois. Car,
mien, agissait auprès du Saint-Père, en laveur de même que les grandes cités ressemblent à
de l'évêque de Constanlinople; le Saint-Père une mer Iiouleuse dont les vagues s'élèvent
répondit: «La communion interrompue est ré- selon les caprices des citoyens, ainsi ceux qui
tablie avec ceux qui prouvent que les causes ont tày exercer quelque autorité, les gouvernent

pour lesquelles ils en étaient privés n'existent moins par la uniforme et inflexible des
sévérité

p!u*. et qu'ils ont satisfait aux conditions de la règlements que [lar des mesures adaptées, dans
paix. Or, Atlicus n'en est pas là, et personne l'inlérêl de la concorde et de la paix, aux con-

n'est venu de sa part, ni vers vous ni vers nous, jonctures où ils se trouvent. Ta Sainteté con-
déclarer et établir qu'il eût faitce que nous naît, pourl'avoirvu de ses yeux, quels troubles

demandons, comme l'a fait notre frère et co- ont agité cette ville où la foi et la piété ont failli
cvêque Alexandre d'Antioche... Ainsi, nousat- périr,où le peupleétaittellementdivisé, qu'une
tendons, frère bien-aimé, que ledit Atlicus nous grande partie fuyait les églises et s'assemblait
fasse voir qu'il a rempli toutes les conditions dans les champs. Que dis-je? Les prêtres eux-
par nous imposées, et qu'en nous demandant mêmes, évêques nos confrères, en se sépa-
les

convenablement notre communion, il nous rant de la communionles uns des autres, ont

prouve qu'il la mérite; alors seulement nous contribué à détruire presque entièrement la di-
la lui rendrons ' ». vine plante de Jésus-Christ, c'est-à-dire le bien
Cependant l'exemple d'Alexandre, les em- de la paix. A force de soins et de peines, le mal
barras toujours croissants de son ministère commençait à s'assoupir, lorsque Alexandre
dans une ville que remplissaient les amis de d'Antioche vint à Constantinople,et, avec une
Jean, le sentiment de son impuissance s'il res- grande liberté de parole, il excita le peuple à
tait séparé de l'Eglise romaine, la pression du placer, malgré nous, le nom du bienheureux
peuple et snrtoutla sainte infiexibilitédu Pape Jean dans nos tables mystiques. Je t'ai fait part
Innocent, finirent par vaincre son entêtement de tout cela. Un certain temps s'est écoulé, et,
et lesrépugnances de son orgueil. Il courba la accablés que nous sommes par les sollicitudes
tête et, bon gré mal gré, il se décida à voir de notre charge, nous ne pensions plus à ce
figurer dans les dyptiques deson Eglise, entre reste de schisme et de division, lorsque le très-
ses prédécesseurs, celui qui fut, sans contredit, pieux évêque Acace nous écrivit pour nous dire
Je plus illustre de tous. que le nouveau patriarche de Syrie, Théodote,
Nicépliore etBaronius citent une lettre d'At- avait été contraint de placer le nom de Jean
ticus, laquelle, si elle était authentique, infir- dans les dyptiques, et qu'il nous priait de l'ex-
merait singulièrement le mérite de son obéis- cuser pour un acte que la nécessité seule lui
sance et donnerait une tiiste idée de son carac- avait arraché. Mais le prêtre, qui portait cette
tère, a Nous sommes tombes, écrit-il a Cyrille, pieuse de|iêche en a divulgué le contenu et
dans une situation où nous ne pensions pis faii connaître avec le but de son voyage, nos
seiitimeuts à ce sujet. Alors, peu s'en est fallu
• Biron., ad am. 40t, § 33, etc. — ' Tbéod., 1. 5, c. 34, in fin.
m i MivB. let. «if. qu'une sédition n'ait éclaté dans la ville impé-
CHAPITRE QUARANTE SIXIÈME. 808

riale. Au milieu du trouble où j'étais, et crai- ne se résigna que de mauvaise grâce à l'accom-
gnant les emporleiiRMits il u |)en|)!(', j'ai consul lé plissement de ce grand devoir, c'est l'attitude
notre très-pieux empereur et conféré avec lui que gardèrent \is-à vis de lui ceux qu'on appe-
des moyens de procurer la tranquillité publi- laitencore les J(,anni(cs. Loin d'être touchés
que. 11 a trouvé qu'il n'y avait ni péril ni in- d'un a( te (|ui devait coûter quelque peu à son
convénient à inscrire dans les fastes do notre amour-propre, ils n'y virent qu'une concession

Eglise le nom d'un mort, si ce devait être un hypocrite à ses propres intérêts, et les plus
page de paix et de bon ordre. Je me suis rendu chauds d'entre eux continuèrent à ne |.as vou-
à cet avis, la situation ne pern\eltant i)as d'en loir d'un pasteur ([ue sa longue intrusion et sa
suivre un autre, de peiu- d'abandonner à la coniiilicilé dans les violences de la cour sem-
nuiltitude les choses de la religion et d'habituer blaient rendre indigne à jamais de l'épiscopat.
la ville à se gouverner parunedéiuo-
Iai>ser une étrange prétention de leur
Certes, c'était
cratie tnrb dente. Je )ie crois avoir péché ni part de vouloir surpasser en sagesse l'Eglise
contre les saints canons, ni contre le jugement Romaine mais ce tort, si grave qu'il fût, trou-
;

de nos pères; et, du reste, il ne s'agit ici que vaitune espèce d'excuse dans la conduite anté-
d'une mention sur le catalogue des morts, évê- rieure d'Atlicus, laïuclle ne justifiait que trop
ques, prêtres ou iaïiiues... Les honneurs rendus cette défiance. Cependant la majeure partie des
à la tombe de Saiil n'ont pas nui à la puissance amisdeJeansuivitl'impulsionqui venait d'en-
de David, et lamémoire des saints Apôtres n'a haut, et accepta la conununion d'un évêque
pas sonfTerl [)arceque l'arien Eudoxeaété en- que Rome admettait à la sienne. De son côté,
seveli à côté d'eux sous le même autel. Evagre Rome se montra satisfaite de cette amende ho-
et Paulin, les auteurs du schisme d'Antioche, norable à une mémoire vénérée, et attendit le
n'cnt-ils pas été inscrits depuis leur mort dans reste de Dieu et du temp?. Au surplus, l'Eglise
lesdyptiques de cette Eglise?... Par tous ces de Byzauce venait Ai proclamer une fois de
motifs et dans l'intérêt de la paix, tu feras bien plus, sur la tombe d'un de ses pontifes, la haute
d'ordonner à toutes les églises d'Egypte de juridiction et le pouvoir souverain de l'Eglise
placer dans li^urs tables le nom de ce mort.... Romaine sur toutes les églises.
Je suis persuadé que tu me feras, sur ce sujet, 11 n'y avait plus que l'Egypte en dehors de la
la réponse que tu dois, et que tu t'empresseras réconciliation grnérale. Nous l'avons dit Théo- :

de déférer à l'opinion unanime de nos collè- philo, qui venait de mourir, futremplacé, après
gues. Je salue les frères qui sont avec toi, et trois joursd'une élection très-orageuse, par son
ceux qui sont avec moi font la même chose' ». propre neveu, de sa sœur'. Cyrille unis-
le fils

Le premier,arévoqucen doute
P. Stilting, le sait à une grande doctrine de hautes vertus, et
l'authenlicilé de cette lettre
*, et nous serions fit briller sur la chaire d'Alexandrie un reflet

heureux que ses raisons de douter, qui ne man- du génie et de l'intrépidité d'Athanase. Méfions-
quent pas de valeur, en eussent assez pour dé- nous à son égard des récits de Socrale et des
charger, aux yeux de tous, d'un écrit odieux et calomnies des païens'. Malgré la pompe inusi-
lâche, la mémoire déjà trop chargée d'Atlicus. tée de son installation, sa modestie et son dé-
Comment admettre qu'un homme, dans une sintéressement contrastèrent toujours avec le
position si haute, ose écrire efTrontément à l'un de son oncle. Mais la science,
faste et la cupidité

des membres les jikis considérables de l'épis- le zèle, le courage qu'il déploya pour la défense
copat, qu'ayant agi contre sa conviction, sous de la vérité contre l'hérésie de Nestorius, ont
la pression du peuple, il lui conseille d'en faire faitsapius grande gloire. Ses écrits, adojptés
autant? Et dans quel but, d'ailleurs, pourquoi par l'Eglise comme règle de doctrine, lui ont
eiit-il passé sous silence les vrais motifs de sa

détermination, motifs légilimesetavouablesà la ' D'après laiot laidore de Peinte («p. 310), Nicéphote dit que Cy.
d'un frère de Ttiéopbile.
rille était fils
face du monde, c'est-à-dire son désir de rentrer ' Un des prenniera actes de Cyrille en arrivant au patriarcat fut
en grâce avec l'Eglise Romaine, et l'inébran- l'expulsion des Novatiens : de la, les rancunes de Socrate, qui nous
reodroot justement suspect tout ce qu'il dit à propos des démêlés
lable résolution de celle-ci de ne se réconcilier entre l'évéque et le gouverneur d'Alexandrie (I- ~, c. 7 et c. 14;. Les
qu'avec les prélats qui auraient replacé dans païens ne méritent pas plus de créance, quand ils accusent Cyrille
de complicité, par jalousie, dans le meurtre d'Hyuaiia. Le caractère
les dyptiques le nom de Jean? et U conduite de Cyrille pruiesteni hautement contre une assertion

Si quelque chose peut faire croire qu'Atlicus qui D'à d'autre garantie que la parole d'ennemis acharnés. (Voir U
Vie d'Hypalia, pat l'aUbé Gouget daai lei Mém. de .
Uuix, da
• Hlctph., I. U, c. 26. — > Statlng., p. 6S1. f, Dssasitw, I. &, put. 1, p. 139.)
506 HISTOIRE DE SAINT JEAN CIIRYSOSTOME.

valuVinsigne honneur d'être appelé docteur de gnité sacerdotale a été ravie ? Je crois que ta
l'Incarnation, comme AujAUslm docteur de piété en est pltinement convaincue. Délivre-
la Grâce. Le pape saint Célestin le qualitie les, et nous aussi, de celte cause de chagrin.

d'Iionime aiiostoliqne et de docteur nniverfei, Il e>t sage, sans doute d'accommoder sa con-

et saint Xiste 111 dit qu'il surpassait tout le duite aux circonstances, pourvu loulefuis qu'il
monde en toutes choses, et qu'autant il était n'en résulte pas d'inconvénients. Ainsi, quoi-
grand, autant étaient grandes les obligations que nous désirions aulemment d'accroître le
de l'Eglise envers lui. Son nom indignement troujieau de JésusClnist, nous nous gardons
outragé a été inscrit par elle aux fastes des d'y admettre les hérétiques, à moins qu'ils
Saints, et elle se plaît à l'honorer et à l'invo- n'aient abjuré leurs erreurs ; etnous ne devons
quer parmi les plus illustres. pas, poussant à bout la condescendance, faire
Le seul tort reprochable à sa mémoire fut la paix avec des hommes que nous avons à

son retard à répondre aux vœux de l'Eglise combattre. Cependant, il est quelquefois néces-
Romaine en réliabililant le nom de Jean. Ceux saire, pour éviter de grands maux, de se relâ-
qui croient vraie la lettre d'Atticus à Cyrille, cher un peu d'une cerfaine sévérité... Voyons
n'hésitent pas à regarder comme authentique si, dans le cas actuel, il n'y a pas plus de mal

la réponse de celui-ci, réponse où l'on trouve à craindre que de bien à espérer.


sans doute l'inflexible droiture et l'énergie de « Plusieurs années se sont écoulées depuis

son caractère, mais tellement déclamaloire et que ta iiiété est montée sur le trône épiscopal.
pleine d'allégations odieuses et fausses, qu'il Or, personne ne fuit les réunions que tu pré-
semble difficile de l'attribuer sérieusement à sides, et, s'il y eut d'abord quelques dissidents,
un homme de cette valeur. la grâce du Christ les a ramenés. Parmi les ma-
Voici cette pièce : « Par les lettres que m'a- gistrats, en est-il un qui ne vienne écouter ta
dresse ta piété, j'apprends que le nom de Jean parole ou qui reste scjaré de l'Eglise à cause
a été inscrit dans les tables sacrées de l'Eglise, de toi? Certainement, pas un seul. Quels sont
et des personnes venues de Constantinople doue ceux que tu veux ramener au salut et aux
m'assurent qu'il l'a été, non avec les laïques, assemblées légitimes, au risque d'affliger l'E-
mais parmi les évêques. Or, je me suis de- gypte, l'Arcadie, la Lybie, la Thébaïde, la Pen-
mandé si en faisant cela, on a suivi les canons t.jpole?Qui veux-tu gaguer, puisque leSauveur
de Nicée et, portant le regard de mon esprit
;
divin a gagné tout le monde ? Je m'en rapporte
sur cette grande assemblée, j'ai cru voir ce à tes propres enseignements. Ne va pas donner
collège auguste de saints Pères improuver cette delà célébrité et de l'éclat à des hommes qui
conduite et me détourner énergiquement de se sont éloignés par un esprit d'opposition et
lui donner mon approbation. Comment placer n'acceptent jamais, si juste qu'il soit, un juge-
au rang des prêtres de Dieu un homme qui fut ment porlésureux. Ta piété me croit- elle assez
déposé du sacerdoce? Peut-on mettre dans la lâche ou assez indifférent pour n'avoir aucun
liste des ministres de l'Eglise celui qui fut souci de tarenommée, ni du troupeau du Sei-
chassé du sanctuaire? Si notre profession n'est gneur? Le devoir des évêques est le même,
pas un vain nom, et si, au contraire, quelque quelle que soit la distance qui les sépare,
chose de grand sépare le prêtre du peuple, ne Pour éviter des longueurs et ne pas affecter
confondons pas ce qui ne doit pas être con- des sentiments trop conti aires aux tiens, ad-
fondu, mais conservons à chacun son rang et mettons qu'il y ait encore quelques séditieux
l'honneur auquel il a droit. Pourquoi donc capables de compromettre leur salut pour la
mettre un laïque au rang des évêques, ou malice d'un seul homme. Mais combien n'y a-
compter parmi les vrais pontifes un homme t-il pas d'églises qui tiennent à maintenir les
qui ne l'est pas? mesures prises contre cet homme! De quel
«Honore, je t'en conjure, ceux qui ont pour côté faut-il incliner? Qui sont les plus agréables
eux le témoignage illustre des grandes choses à Dieu, de ceux qui parlent en faveur de Jean,
qu'ils ont faites, et n'outrage jias l'assemblée après tout ce qu'il a lait, ou de ceux qui ont été
de tant de Songe à ceux qui vi-
saints Pères. d'avis de le punir, lui q;i ne se fit jamais scru-
vent encore n'auronl-ils pas lieu de dire qu'on
: pule d'affliger les auir(S?Si la pais des églises
les accable de douleur, en plaçant sur la même est un objet de si haute importance, fais dispa-
ligne avec eux un personnage auquel la di- raître ce qui les divise. Remets ton glaive au
CHAPITRE QUARANTE-SIXIÈME, 807

fourreau commande qu'on efface le nom de


;
et qu'on pousse au désordre. Tu possèdes plei-
Jean du catalogue dos évêquos. Est-ce donc une nement don des divines Ecritures, et je ne
le

chose insignifiante? Alors nous eussions vu doute pas que tu ne persuades à nos princes
sans regret le traître Judas figurer dans le col- très-pieux de se soumettre aux sacrés canons,
lège des Apôtres au même rang qu'eux. Mais, comme ilsontloujours fuit; et puisqu'ils aiment
Judas inscrit au nombre des douze, quelle place Noire-Seigneur Jésus-Clirist, ils permettront
donner à Mathias? Donc, puisqu'il n'y a per- que les églises soient gouvernées par leurs
sonne qui voulût effacor le nom de Matliiasdu propres lois; émules de la vertu de leur père,

catalogue des Apôtres pour y placer celui de ilsen imiteront les exemples.
Judas, conservons le second rang, après Nec- a Donc, que Jéchonias, exclu de la liste des

taire de célèbre mémoire, à l'illustre Arsace, prophètes, ne figure pas à côté de David et de
de peur qu'en cédant ainsi à la contrainte, tu Samuel, et s'il a plu à quelques-uns de mettre
ne flétrisse la mémoire d'un saint pontife les restes d'Eudoxe au lieu oîi tu m'écris qu'on
« Il n'est pas juste que les discoursetks op- l'a fait, ce n'est pas une raison pour nous de
positions de quelques personnes nous portentà placer indistinctement le profane avec le sacré
renverser de fond en comble les prescriptions dans nos catalogues... Si nous parlons ainsi, ce
de l'Eglise, à ce point de placer le nom d'un n'est pas pour insulter à un homme tombé et
laïque sur la même liste et au niC-me rang que mort, ni pour nous réjouir des maux de nos
les plus éminents du sacerdoce. Une telle con- frères: que Dieu nous en garde !... IVlais l'in-
duite, au lieu de préparer à la concorde, ne térêt de l'Eglise doit l'emporter sur nos sen-
produirait que la division. Pour moi, je pense timents personnels, et nous ne connaissons
que la paix, une paix non pas seulement nomi- rien qui soit préférable à l'observation des ca-
nale, mais réelle, ne peut avoir lieu qu'auîant nons ',... »
qu'on respectera les sentiments et les canons Si cette lettre était authentique, et il est
des saints Pères. Que si le bienheureux Alexan- permis d'en douter, ce serait là un étrange lan-
dre, homme d'une parole trop confiante, d'a- gage dans la bouche d'un saint, et ilfaudrait dé-
près ton propre récit, a trompé par la beauté plorer plus que jamais cette faiblesse humaine,
menteuse de ses discours quelques-uns de nos qui, même dans les natures les plus élevées, est
vénérables frères les évêques d'Orient et les a sujette à de si lourdes méprises soutenues avec
entraînés à approuver sa manière d'agir, il ne une obstination que sa sincérité même rend
faut pas que celte maladie se propage et altère plus funeste. En tout cas, nous ne devons pas
l'œil de l'Eglise mais nousdevons travaillera
;
oublier que lamère de Cyrille était la sœur de
la combattre partout où elle se montre.... Théophile le sang pouvait égarer la charité.
:

« J'ai reçu moi-même des lettres d'Acace, En repoussant la mémoire de Jean, il croyait
cet ami de Dieu, heureusement arrivé à la plus protéger celle de son oncle. Habitué dès l'en-
extrême vieillesse, dans lesquelles il m'affirme fance à l'honorer comme un maître, à l'aimer
que le très-pieux évèque d'Antioche n'a cédé comme un père, l'affection respectueuse qu'il
qu'à la contrainte en faisant réciter le nom de lui portait l'empêchait de soupçonner les pas-
Jean dans les mystères divins; et il ajoute que sions de l'homme dans le zèle du pontife. Jeune
ce même prélat en est profondément affligé, encore, avait assisté à l'assemblée du Chêne,
il

qu'il cherche les moyens de se tirer d'em- où les assertions de tant d'évêques avaient diî
barras, et qu'il désire être encouragé par nos lefrapper et l'impressionner contre le pasteur
lettres à lutter contre les influences qui s'agi- de Bjzance, représenté à ses yeux comme ua
tent autour de lui.... Je m'étonne d'ailleurs Origéniste obstiné , un homme ivre de lui-
qu'Alexandre n'ayant pu, malgré sa parole même, dont l'orgueil foulait aux pieds les ca-
abondante et persuasive, amener personne à nons et le respect dû à ses frères, et il ne pou»
son sentiment, un messager, porteur de sa vait sepersuader qu'un prélat condanmé et
lettre, ait réussi à soulever le peuple, comme réprouvé par son oncle pût être autre chosa
on dit qu'ill'a fait, et à rallumer si vite un in- qu'un grand coupable.
cendie éteint depuis tant d'années. C'est par- Il fallut à la vérité bien du temps encore pont
faitement incroyable mais serait-ce vrai, je
; traverser cette couche épaisse de préventions.
sais combien la piété est éloquente. Ju ensei- Mais Dieu eut pilié d'une âme noble et pure et
gneras leur devoir à des Uomnies qui l'oublient • Nlccph,, I. U, c. 27.
808 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

lui ouvrit lesyeux. Nicépbore raconte que Cy- d'un saint. Isidore, de son côté, écrivait fré-
rille eut une vision dans laquelle il lui sembla quemment au patriarche, soit pour l'exhorter,
que Jean, suivi d'un nombreux cortège de soit pour le reprendre, et toujours avec cette

Saints et lançantdes regards indignés, s'apprê- force qu'une foi profonde et le zèle de la gloire
tait à le chasser de l'église, tandis que la Mère de Dieu donnent souvent aux plus humbles.
de Jésus-Christ, touchée du zèle que le pa- « Une trop vive affection, lui écrivait-il, altère
triarche déployait déjà pour sa gloire, intercé- lavue de l'esprit, la haine l'éteint. Si tu veux
dait pour lui et demandaitson pardon. « Cyrille échapper à ce double péril, abstiens-toi de ju-
pensif ruminoit en son esprit cette vision,et se gements violents, et que chaque cause soit
condamnoit de s'estre formalizé contre ce saint jugée avec justice. Dieu, qui sait tout événe-
personnage parquoy depuis s'eslant allié à
: ment avant qu'il n'ait lieu, voulut s'assurer, en
l'église de Chrysoslome, il le loua grandement, la visitant lui-même, de l'étatdeSodome, pour

et beaucoup se repentitd'avoir par son impru- nous apprendre à ne rien faire qu'après un
dence tant esté irrité contre luy ». Mais tout * mûr examen. Plusieurs de ceux qui sont réunis
ceci n'est appuyé que de l'autorité tort peu im- à Ephèse t'accusentde poursuivre la vengeance

posante d'un auteur grec du ix° siècle'. Ce qui de tes propres injures plutôt que les intérêts de
dut avoir sur les résolutions de l'évêque d'A- Jésus-Christ. C'est le neveu de Théophile, di-
lexandrie une influence aussi heureuse que sent-ils, et il veut l'imiter de même que celui- ;

décisive, ce fut une lellre de saint Isidore de ci s'abandonna à une coupable fureur contre

Peluse. Ascète éminent et regardé comme la Jean, cet homme divin, si cher à Dieu; ainsi,
règle vivante de la perfection monastique, il lui, il cherche à se faire valoir aux dépens des

gouvernait, sur les bords du Nil, un grand autres ' ».

monastère où sa science et sa sainteté attiraient Dans de Chrysostome, l'obstination


l'affaire

une foule de visiteurs de tout ordre, empressés de Cyrille scandalisait Isidore. Il finit par lui
à le consulter comme le plus sûr oracle de sa- adresser celte lettre aussi touchante que har-
gesse et de vertu que l'Orient possédât alors. die : « Les exemples de la Sainte Ecriture jettent
Les lettres qui nous restent de lui, éloquentes mon âme dans une telle frayeur, que je suis
dans leur pieux laconisme, attestent assez que contraint de t'écrire suivant le besoin que tu
la confiance publique ne s'était pas égarée dans en as. Car, si je suis ton père, comme tu le dis,
sa prédilection pour cet homme de Dieu. On dit je dois craindre d'attirer sur moi le supplice

qu'il avait été disciple de Chrysostome peut- : d'Héli, si terriblement châtié pour avoir né-
être l'avail-il connuà Antioche; en tout cas, il gligé la correction de ses enfants ; et si je suis

professaituneardenteadmirationpourlegrand ton fils, ce que j'aime mieux, puisque je vois


pontife qu'il appelle VœU de l'Eglise, dont il en loi le représentant du bienheureux Marc, je
exalte les discours au-dessus de tous les chefs- tremble en pensant au sort de Jonathas, qui
d'œuvre de l'antiquité, et des ouvrages duquel attira sur sa tête la colère duCiel, pour n'avoir

il rend ce témoignage remarquable, qu'ils pas détourné son père Saûl de consulter une
étaient déjà connus et goûtés de la terre en- magicienne... Fais donc cesser ces querelles,
tière, heureuse de d'un pareil trésor.
jotiir afin que je ne sois pas condamné, et que Dieu

Nous avons vu, avec quel zèle il


d'ailleurs, ne prononce pas contre moi un jugement ef-
avait embrassé la cause du noble proscrit, dé- froyable. Ne cherche pas pluslongtemps la ven-
fendu son nom indignement calomnié, f\ com- geance d'une injure particulière et domesti-
ment il traitait Théophile et ses complices *. que, qui est comme une espèce de dette natu-
Or, Cyrille partageait la vénération unanime relle ciiniractée par la succession des morts.
de ses contemporains pour l'illustre cénobite ;
Ne la fais pas peser sur l'Eglise toujours vi-
îl aimait à le consulter, et recueillait ses pa- vante, et ne te couvre pusd'iin prétexte de piété
pour y entretenir une division éternelle '».
roles avec le respect d'un fils et la modestie
Cyrille se sentit vaincu ; la vérité reprit son
'Nicéph.,

1. 14, c. 2S.
David. 11 a écrit une biographie de saint Ignare, pa-
Nlceias
empire sur ci tir âme droite et pure. Il n'.ivait

triarche de CoiiRtannnople (Dupin. H'bnoïk. ixe siècle,. ^,ei-i ten- (i'aiil. uisauc m aiiln- moyi^n il'ubliMiir la com-
drait à différer jusqii'a[iiès le concile d'Iiplièse le chaiipeu eni de
lainl Cyrille par rapport à saint hrysoslome. Or, il esl ceiiain que.
i
niunum si dé^irLed.; rh^l'ï^eR .niuiue*. Ajuiit
dès l'an 419, le nom de celui-ci était rétabli dans les dupliques de
toutes les églises d'Egypte. ' Isid. Peins., ep. 310. — ' Isid. Pelus., I. 1, ep. 370.
* Voir aux Pièces Justificatives.
' Tillem., 1. 15, p. JIU; Isid. Pelus., ep. 152, 156, 42, 221, 33, -îlO.
CHAriTKE QUARANTE-SIXIÈME. 509

doncassomblélcsévêqncsdcson patriarcat, il NéàCoastanlinoplo, Proclus fut ordonné lec-


inscrivilsolcnnellenieiitlenoiiKleCliiysostoine teiu' dès sa jeunesse. Après avoir étudié avec
dans les sacrés iiy|)tii|ues, et, à ce prix, rentra succès les lettres humaines et l'art de bien dire,
en grâce avec ieSaint-Siége. Tout porte àcroire il devint le secrétaire de Jean; et telle était,

que ce fut en .117, du vivant mènie d'Innocent'. selon George et Nicéphore, l'ardente admira-
Ainsi, avant de descendre au lomlK-au, l'intré- tion du jeune lecteur pour son évéque, qu'elle
pide pontife eut cette haute satisfaction, pre- le rendit plus d'une fois indiscret, c'est-à-dire
mière récompense de sa noble fermeté, d'avoir qu'elle le portait à passerdes heures entièresà
vengé l'innocence et ajouté à la divine pri- la porte du saint Pontife, l'œil collé sur la ser-
mauté de sa chaire un lustre nouveau. La rure, pour le contempler à l'œuvre et surpren-
grande mémoire du martyr de Comane rayon- dre le secret du génie. Il lui arriva, disent ces
nait désormais de toute sa gloire, et l'on avait pieux narrateurs, de voir Paul lui-même assis
vu la main d'Acace, qui avait signé la déposi- à côté de Jean, lui expliquant les passages les
tion de Jean, placer son nom
dans les fastes plus difficiles de ses épîtres, tandis que l'ora-
sacrés. Ce nom était déjà l'objet d'un culte pu- teur écrivait sous la dictée de l'Apôtre. Si ce
blic que le mondeluidécernaitd'entraîuement, futla conviction de Proclus, il dut écouter avec
et auquel s'associaient sans hésitation les en- plus de respecteld'amour la voix de son maître.
fants d'Eudoxie et d'Arcadius. Cyrille, le der- Aussi cette voix résonnasi profondément et si

nier représentant des erreurs et des passions du puissamment dans son âme, qu'elle en garda
Chêne, exprimait tout haut maintenant sa vé- toujours comme un saint écho.
nération pour le grand défenseur de la vérité. Socrate' nous le montre, dans un âge plus
« Es-tu plus éloquent que Jean ? » disait-il à mûr, assidu auprès d'Atlicus, qui l'instruisait,
Nestorius ; et Nestorius accusaitCyrille d'hono- dit-il, des lettres sacrées et se servait de lui pour
rer à regret et malgré lui les cendres vénérables écrire ses sermons. Ce tut Atticus qui l'éleva
de Jean '. au diaconat, puis au sacerdoce. Telle était déjà
Atticus, cependant, après vingt-un ans d'é- sa réputation de savoir et de vertu, qu'à la mort
piscopat, comparut au tribunal de Dieu. Son de ce dernier, on parla de lui pour la chaire de
successeur ne fit que passer sur le siège de Constantinople. Sisinnius, qui lui fut préféré,
Byzance et mourut. Nestorius, arrivé d'Antio- témoigna de son estime pour son rival en lui
che avec une grande renommée d'ascétisme et conférant l'évèché de Cyzique, métropole de
de talent, plut d'abord parce qu'il était le com- l'Hellespont. Mais l'église de Cyzique n'enten-
patriote de Jean et l'avocat de sa mémoire. Son dait pas recevoir ses pontifes de celle de By-
maintien recueilli et sévère, l'austérité de ses zance, et s'était donné elle-même un autre pas-
maurs peinte sur son visage pâle et décharné, teur. Restéévêquesansévêché,Proclusse livra,
la pauvreté de ses vêtements poussée jusqu'à non sans succès, au ministère de la parole.
la saleté, une voix magnifique, une parole A l'élection qui suivit la mort de Sisinnius, son
imagée, éloquente, qui tournait facilement au nom réunit de nouveau un certain nombre de
pathétique, le don de l'improvisation, un cer- suffrages. Ce fut Nestorius qui l'emporta. Mais
tain savoir plus apparent que solide, un zèle l'évêque nommé de Cyzique ne quitta pas la
ardent contre les hérétiques, et l'éloge de Chry- ville impériale,où le Ciel semblait lui donner
sostome toujours sur ses lèvres, lui concilièrent la mission de démasquer de coupables ensei-
la faveur publique. Mais on s'aperçut bientôt gnements, et de prémunir l'ancien troupeau
qu'il apportaitdela villedu grai; 1 orateur, non de Chrysostome contre des erreurs qui osaient
pas son génie inspiré par la charité, mais l'or- se protéger de son nom. Invité par Nestorius à
gueil amer d'un hérésiarque, et les troubles prêcher dans l'église de Sainte-Sophie un jour
que l'erreur entraîne avec elle. Trois ans d'un de fête de la Sainte Vierge, il exposa avec au-
épiscopat funeste aboutirent à une déposition tant d'exactitude que d'éloquence le dogme at-
méritée. M iximien lui succéda et ne tarda pas taqué par l'hérésiarque, et, dès le début, donna
à mourir. Alors les vœux de la cour et du à Marie le titre de mère de Dieu. Il montra que
peuple appelèrent Proclus sur un siège qu'il ce titre lui était dû, et que son Fils n'était ni

était digne d'occuper. seulement Dieu, ni seulement homme, mais


Emmanuel, Dieu et boinme s^QS CQDfusion,
fiubli pu Stiltlog, p. «80 «t (ulT. — * NMUt M'IO» 13> "t^
llw. Mtrutot., édit. da Migaa , p. 832.
vo HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

Dieu fait homme sans altération. « Tous les sant transférer de Comane à Constantinople
iionimes, engagés au péché i)ar la cliute
dil-il, vénérés de son ancien maître. Le se-
les restes
d'Adam, élaieiit la p oie de la murt élernelle, crclairedpJean, devenu sonsuccesseur, n'avait
s'ils n'étaieîit r.iclictés par une victime émi- abordé qu'en tremblant cette chaire éminente,
nente qui égalât la grandeur de la dette par la oîi tant de fois son regard timide avait contem-
grandeur de la rançon. Nul homme ne pouvait plé dans sa gloire la personniticalion des plus
être C'tte victime, car tous les hommes avaient hautes vertus. Sonélévation lui parutunmoyen
besoin d'un Sauveur. L'ange ne le pouvait pas providentiel d'acquitter envers le grand pon-
davantage, car son immolation n'éiait pas d'un tife,son [irédécesseur et son père, la dette de \
prix suffisant. Il fallait que Dieu même se livrât la cité et Jasienne par un hommage solennel.
à la mort pour nous racheter. IMais Dieu, de- Nous l'avons remarqué, la plus complète
meurant Dieu, ne pouvait mourir il a donc ; réaction s'était opérée à la cour de Byzance en
été nécessaire qu'il se fît homme
pour sauver faveur de l'illustre mort, et dès l'an 428 elle
les hommes, et qu'il devînt tout ensemble et célébrait le 26 septembre la fête de Jean, dans
notre victime en donnant son sang et sa chair ce même palais où furent signés les cruels
au trépas, et notre pontife en offrant à son Père édits qui dépouillaient, qui exilaient ses
amis,
en notre faveur une hostie aussi grande que qui renvoyaient mourir lui-même aux confins
lui '... L'exemple de Proclus porta son fruit. du mondt Pulchérie, qui gouvernait l'empire
.

De vives protestations s'élevèrent de toutes au nom de son frère, croyait devoir à Dieu et
paris du milieu des fidèles comme du sein du à l'Eglise cette éclatante expiation des fautes de
clergé contre des enseignements impies et fu- sa famille. Le peuple, dans ce souvenir reli-
nestes, et l'église de Constantinople traversa, gieux consacré à un homme qui l'avait aimé,
sans en trop souffrir, une épreuve périlleuse. qui avait souffert pour lui, pour lequel il avait
L'hérésiarque lutta par l'astuce et par la vio- souffert lui-même, voyait un hommage rendu
lence, succomba. Après sa déposition à
et d'en-haut à sa droiture et à sa justice ; et la sa-
Ephèse, quand il fallut lui donner un succes- tisfactiond'un légitime orgueil se mêlait dans
seur, le nom de Proclus fut une troisième fois son cœur à la piété. Tous ceux dont les passions
prononcé et écarté. Maximien succéda à Nesto- conjurées avaient contribué à la ruine de Jean
rius mais il gouverna deux ans son Eglise et
; étaient descendus au tombeau. Son nom, dé-
mourut. Ce fut alors qu'un ordre de l'empereur gagé de tous les nuages, vainqueur des pré-
fit introniser Proclus sur la chaire de laseconde ventions et de la haine, ne projetait que splen-
Rome, à la grande satisfaction de saint Cyrille deur, n'obtenait que bénédiction. L'exil même
et du Pa|)e saint Céleslin. de ses cendres ajoutait à son culte un prestige
Proclus ne tarda pas àjustifier les espérances de plus. C'était son martyre prolongé au-delà
qu'on avait mises en lui. A une orthodoxie in- de sa mort; et même dans son cercueil, à Co-
flexible, à une doctrine profonde, à un zèle in- mane, il semblait souffrir encore pour l'Eglise

trépide pour la vérité, à un talent remaniuable et pour Dieu. Ceux qui l'avaient connu par-
d'orateur, il joignait la modération et la sa- laient avecbonheur de leur pontife bien-aimé;
gesse d'un administrateur habile, la charité et, l'amour du passé se mêlant dans la vieil-
d'un vrai pontife de Jésus-Christ, une bonté et lesse au sentiment de la vérité, ils n'avaient
une douceur qui ravissaient tout le monde. II pas assez de paroles pour célébrer cette élo-
avait reçu du Ciel une onction toute particu- quence, dont rien ne pouvait donner l'idée si
lière pour ramener les hérétiques et les pé- on ne l'avait entendue cette charité si tendre
;

cheurs. Mélanie la Jeune vint à Constantinople dans un homme si austère, et qui avait porté
pour travailler à la conversion de Volusien, son si loin la vertu divine du Christ, que, lui
oncle, grand seigneur romain, que rien n'avait mort, elle semblait morte avec lui. Ceux qui,
pu décider jusqu'alors à embrasser le Christia- trop jeunes encore, n'avaient pas connu l'ora-
nisme. A la prière de sa nièce, Proclus le vit teur à la bouche d'or, regrettaient d'autant
et l'entraîna. Volusien ne cessait de dire que si plus l'ostracisme qui pesait sur sa tombe. Ils
Rome avait trois hommes comme Proclus, il voulaient posséder le grand homme dans ses
n'y resterait pas un païen. cendres sacrées, et ils en réclamaient le retour
Proclus honora surtout son épiscopat en fai- à grands cris. C'était le trésor de Constanti-

f PkkLj apud lin. Mercat., édit. de Mig»e, p. 777, nople : abandonné à la terre étrangère , i] ac^
CIIAI'ITRE QUARANTE-SIXIÈME. 511

cusaità la face de l'univers l'ingratitude de la adresser le baiser de paix, et il vous crie: Vous
cité; rapporté dans ses murs, il en serait l'é- êtes mon ouvrage dans le Seigneur.
gide et roit;iioil. a Jean, dnns ses discours, est la perle pré-
Proclus se fit 1 organe de ces pensées et de cieuse de la prédication, la bibliothèque sans
ces vœux. La fêle de Ji-nn lui permettait d'en taches de l'écriture inspirée de Dieu, le trésor
renouveler c!);i(|ue année l'expression. A la divin de la science,la faulx tranchante entre des
pieuse allégresse du peuple dont il était l'écho, mains zélées pour abattre l'avarice des grands,
il mêlait les effusions personnelles de son ad- un déluge impétueux qui submerge les héréti-
miration et de sa reconnaissance pour l'homme ques; nouveau Joseph, il n'a point redouté l'E-
qu'il avait servi, qu'il avait aimé, et qui du gyptienne, il n'a redouté ni les caresses des
haut du ciel était son modèle et son guide. puissants ni leurs fureurs. Mais je crains de
Olympiade avait quitté ce monde dès l'an 420 faircnaufrageau milieu dudiscours, ma barque
pour aller ri joindre d ms le sein de Dieu son trop petite ne pouvant porter de si grandes
illustre ami. Pentadie, Sylvine,Nicarète, Pro- choses. Personne, en effet, ne louera Jean d'une
cula, ces nobles et saintes femmes si dévouées manière digne, à moins qu'il ne soit un autre
à l'Eglise aux légitimes pasteurs, n'étaient
et Jean. Sur la mer, quand les flots se pressent et
plus. La mort avait enlevé, l'un après l'autre, s'accumulent, il est impossible de les compter ;

tous ceux que Chrysostome avait admis dans ainsi, dans cette abondance de doctrine pro-

son intimité. Proclus restait seul à peu près de fonde, il est impossible de signaler les enseigne-
cette société d'élite que le grand pontife hono- ments qui débordent, les rayons qui jaillissent.
rait d'une plus particulière afï'ection. 11 en était Par l'un, le soleil de la vérité resplendit de tout
la voix, et cette voix semblait retentir du fond son éclat par l'autre, l'erreur est confondue
; ;

de ces tombes bénies à travers son cœur. par l'un, néant des idoles paraît à tous les
le

Nous ne connaissons les discours prononcés yeux par l'autre, les mœurs des orthodoxes
;

en cette circonstance que par un fragment dé- sont corrigées par l'un, l'impuissance de la sy-
;

couvertet publié par Baronius'. La rhétorique nagogue est mise à nu par l'autre, l'édifice de ;

en est lourde et prétentieuse. On y voit combien la loi nouvelle se montre dans sa beauté ;
par
la chaire chrétienne et lit vite déchue de la vi- l'un, on voit les conversions opérées par la force
goureuse simplicité de Chrysostome , mais delà parole; par l'autre, les épreuves de la terre
aussi quelle admiration elle faisiit éclater dès et la couronne de la grâce qui brille au ciel.
lors pour celui qui en fut sans contredit la plus prêtre dont lezèleagagnéautantd'âmesquela
grande gloire. bouche a répandu de fleurs! nom dont tant
a Oui, s'écriait Proclus, nous devons de par- de vertus justifient la gloire ! Nom qui fait ap-
ticulières actions de grâces à Dieu, frères bien- paraître aux yeux l'image de sa vie langue !

aimés, de ce que, par une grâce ineffable, nous plus élevée que le ciel ! enseignements évan-
vivons paisiblement et sans combats dans sa géliques qui lançaient des tonnerres! Voilà
maison, dans cette maison où la trompette sa- deux Jean, l'un prédicateur, l'autre trompette
crée a retenti, où la lyre aux mélodies suaves éclatante : l'un inébranliible, l'autre incapable
attirait les foules attentives à ce théâtre spiri- de connaître la servitude ; l'un vierge, l'autre
tuel, où l'hirondelle évangéli(|ue a chanté et défenseur de la chasteté ; l'un baptisant au
rempli de fleurs le porl de l'orthodoxie. La mé- désert, l'autre prenant la ville dans ses rets;
moire de Jean est un filet qui enveloppe la cité l'un qui reprochait son crime au prince adul-
et tous les fidèles, elle filet des pécheurs ne tère, l'autre qui accusait en face les rapines des
pritjamais tant de poissons que cette solennité grands; l'un qui eut la tête tranchée, l'autre
consacrée à Jean n'entriînede fidèles. grâce qui n'eût pa^; hésité à livrer la sienne ; l'un em-
qui franchit lus limites et du lcmp< et des lieux! prisonné, l'a'itre exilé et déporté. Plus les com-
Son amour a vaincu le temps, sa mémou'e in- bats ont été répétés, jilus nombreusis sont les
vincible a vaincu toutes les oi)p(isilioiis :aucun couronnes. Et maintenant, Jean crie avec Paul:
lieu n'enferme ses miracles. Il gît dans une Nous sommes la donne odeur de Jésus Christ,
bourgade du Pont, et il est loué dans tout l'u- Il n'est pas de lieu qu'il n'aildélivréde l'erreur.
nivers. De loin, il étend la nijui pour vous A Lphèse, il dévoila la fraude de Midas. En
l'liiygic,il laissa sansenfants celle qu'on appe-
BaroD., ad atn. 438, § 2, i, 6 ; Oper. SU. Prçcl., paj. 567
Stilting, p. «67.
;
lait la mère des dieux. A Césarçei il ferma e^

:^ .
5i2 HISTOIRE DE SAIMT JEAN CHRÏSOSTOME.

dépouilla des temples qui n'étaient que des «Au docteur de l'univers, au bienheureux
lieux d'infamie. En Syrie, il cliassa des syna- Jean, son père spirituel, Tliéodose.

gogues les blasphéiiiateurs du vrai Dieu. En «Nous avions cru, vénérable père, que ton
Perse, il sema la parole de la piété ;
partout il a nioitcomme meurent les autres, et
cor|)sélait

déposé les racines de la vraie foi. Par ses dis- nous désirions de le transférer ici près de nous,
cours, il a rempli le monde de la connaissance suivant l'usage des fils qui tiennent à l'auteur

de Dieu. Il a éci il des livres ; il a jeté les filets de leurs jours. Mais, parce que dans cette cir-
du salut. Avec Jean, il a exposé la tliéolugie du constance nous ne l'avons pas rendu un hom-
Verbe avec Pierre, il a établi le fondeniint
;
mage humble, nous arrêtant trop peut-
assez
d'une confession sainte avec Paul, il a consacré ;
être au faste de l'étiquette impériale, en des

ses travaux à répandre l'orthodoxie. Jean ta ! choses auxquelles nous devons attacher plus de
vie fut éprouvée, ta mort glorieuse, etmainte- prix qu'à la dignité de l'empire, nous avons vu

nant ta tombe est bénie, comme ta récompense notre espoir frustré. Père, le plus vénérable des
est immense dans la grâce et la miséricorde de pères, car nous te parlons comme à une per-
Jésus-Christ' 1 » sonne vivante, aie plus d'égard à l'ardeur de
A ces mots, les acclamations del'auditoire in- nos vœux qu'à ta propre résolution, et par-
terrompirent l'orateur; il ne put compléter sa donne-nous, toi qui as enseigné mieux que
pensée*. Toutes les bouches à la fois deman- personne l'efficacité de la pénitence et nous
daient à grands cris que le corps du saint pas- as vaincus. Tu nous as suffisamment punis
teur fût enfin rendu à sou troupeau. d'une erreur que nous regrettons, en nous re-
Le fils d'Eudoxie céda aux prières réitérées fusant jusqu'ici la grâce de ton retour. Je t'en
de Proclus et du peuple. Latranslalion fut or- supplie, daigne te rendre à nos désirs. Un plus
donnée. 11 n'y avait plus à vaincre que la ré- long retard serait indigne de ta bonté et nous
sistance de Comane, fière du dépôt que la mort beaucoup. Nous sommes impatients
affligerait

avait mis dans ses mains, et qu'elle regardait de posséder ton corps et tes cendres, et il n'est
comme son trésor et sa gloire. Les ordres ab- pas jus(iu'à ton ombre que nous ne désirions

solus de l'empereur l'obligèrent à s'en des- ardemment de voir ' ».

saisir. Celte lettre fut respeclueusementdéposéesur


Nicéphore et Baronius racontent, d'après un la poitrine du mort, et l'on passa la nuit en
manuscrit de Cosme le Vestiaire, que les séna- prières ; après quoi, l'on essaya de lever les
teurs députés par Tliéodose pour aller réclamer saintes relii^ues et l'on réussit. Elles furent pla-

à Comane le corps du Saint et l'escorter jusqu'à cées dans une magnifique châsse, don de l'em-
Constantinople, après avoir remis les rescrits pereur, et les prêtres ayant chargé sur leurs
du souverain aux magistrats de la ville, pro- épaules le fardeau sacré le portèrenteux-mêmes
cédaient à l'exécution de leur mandat. Quelle jusqu'à Byzance. Une multitude de solitaires,
fut leur surprise en voyant le riche cercueil de vierges, de fidèles, un peuple immense ac-
qui renfermait les saintes reliques rester im- couru de toutes parts sur la route, faisaient
mobile à sa place, quelque effort (ju'on fît pour cortège en chantant des hymnes. De Comane
le soulever et l'enlever 1 On revint plusieurs à Chalcédoine, ce fut une marche triomphale
fois à la charge, on échoua toujours. Rapport telle qu'on n'en vit jamais.
fut fait à l'empereur, qui consulta Proclus et Le 27 janvier 438, un grand événement met-
se décida à écrire à l'illustre mort, comme s'il tait en émoi tout Constantinople. La foule en

vivait encore, la lettre suivante' : habits de fête courait au Bosphore, couvert,


du côté de la Propontide, d'une innombrable
• Biblioth. maxima Pair., t. 6, p. 612.
quantité de bateaux parés et illuminés. La ville
• Baron., ad ann. § 6. -138, —
Ce discours dut être prononcé en attendait son pasteur, revenu pour la seconde
437, Socrate, et Nicéphore après lui, attribuent la conduite de Pro-
fois de l'exil. Proclus était là. Le fils d'Arcadius
clui au désir de faire cesbur its dissensions de son église. (Socr.,
1. 8, c. 44 ; Nicéph., 1. H, c. 43.) Cette supposition est aussi gra- et sa sœur Pulchérie y étaient aussi. Ils avaient
il n'y avait plus de
tuite que maligne de la part de Socrate ; car
été au-devant de Jean jusqu'à Chalcédoine, elils
dlTision dans l'église de Constantinople depuis la mort d'Allicus,
•urtout depuis la fête instituée en l'honneut de Chrysostome. le ramenaient sur les flots en triomphe. A

Cosme le Vestiaire est un auteur assez éloigné du siècle de l'asiiect de la trirème impériale qui [lortait le
Chysostome, qui n'est, dit Tillemont (t. Il, p. 350) ni fort authenti-
que ni fort célèbre parmi le» doctes. Ce récit n'a donc pas une pieux trésor, une immense acclamation monta
gtiode autorité Tillemont le passe sous silence, Stilting le r«(jetta
;

(a. 1462). Nou; a'avODi pu cru dtvoii le luppiinitr.


• BwoD., loe, vit,; Stilting, loe. citi
CHAPITRE QUARANTE SIXIÈME. il 3

jusqu'au ciel, suivie d'un moment de silence ivresse de leur joie. Hs baisaîent à plusieurs re-
et de saisissement solennel. Cent mille hommes, prises, sous la riche enveloppe qui la couvrait,
à genoux sur le rivage, seiiibièrent courber la la poussière de ce grand cœur qui
les avait
tête tous à la fois sous la bénédiction du mort. aimés; leur semblait que leurs baisers al-
il

Les restes '


sacrés étant mis à terre, l'empereur laient réveiller cette cendre ; et le bruit courut
s'approcha du précieux reliquaire, le baisa res- que le mort avait parlé, et qu'on l'avait entendu
pectueusement puis, élevant la voix, il pria
;
du fond du sépulcre bénir encore le peuple et
pour son père et pour sa mère, demandant à lui dire comme autrefois : La paix soit avec
celui qu'ils avaient persécuté par ignorance de vous !
leurobtenir grâce et pardon devant le Seigneur. Ce jour fut grand et beau pour la ville de
Une nouvelle acclamation de la foule répondit Constantin. Heureuse d'acquitter une noble
à cette prière. Le peuple triomphait: la mé- dette, elle crut inaugurer une ère nouvelle.
moire de Jean était vengée. Alors cette grande Hélas ses empereurs se chargèrent trop tôt de
!

masse s'ébranla. Hommes, femmes, enfants, la détromper. Son dernier soleil venait de se
diacres et prêtres, tous ayant à la main des coucher derrière la tombe glorieuse de Jean.
flambeaux allumés, et chantant des cantiques, Après lui, tout décline: un pâle crépuscule
défilèrent devant l'auguste cerceuil, porté sur retarde à peine de quelques heures la nuit qui
le plus beau char de la cour et tout couvert de vient à grands pas. Bientôt tout s'éteint dans le
riches étoffes comme un autel. L'évêque, le schisme et la servitude Séparée de Rome,
!

prince, sa sœur, tous les officiers du palais, centre de l'unité, source de la vie chrétienne,
tous les magistrats de la cité, suivaient à pied cette pauvre Eglise grecque, foulée aux pieds
dans un recueillement mêlé de joie. On con- des Barbares, déshonorée par son propre sacer-
duisit les saintes reliques dans cette même doce, n'a rien su garder de ses gloires antiques,
"iglise des apôtres où, trente-cinq ans avant, le pas même la cendre des morls. Jean s'est levé
pontife rentrant de l'exil s'arrêtait pour remer- de sa tombe pour fuir la terre de la révolte et
cier et bénir son peuple '. Nicéphore, sur l'au- de l'esclavage. Il est venu choisir sa demeure
torité de Cosme, raconte qu'arrivées là, Proclus auprès de cette grande Eglise qu'il invoquait,!
les lit placer à son côté sur la chaire épiscopale, comme mère dans les épreuves de sa vie ;'
,

aux cris répétés du peuple Reprends ton trône, : qui le défendit, le vengea, et depuis treize siè-
ô Père! Dans cette foule émue, plusieurs cles, a placé son nom entre les plus beaux qui
avaient connu et entendu Jean ils l'avaient ap- ; forment sa couronne immortelle. Sa place était
plaudi , ils l'escortaient au moment de son là. Il dort, en attendant le jour de Dieu, sous la

départ. On les avait emprisonnés, flagellés, tor- voûte auguste de Saint- Pierre, non loin de la
turés à cause de lui, pour leur arracher un poussière vénérée de saint Paul, qu'il avait tant
anathème contre son nom. Ils n'avaient pas souhaité de toucher et d'embrasser, à laquelle
rais le pieddans l'église occupée par les intrus ; la sienne est mêlée à jamais !

et maintenant ils y rentraient en triomphe Mais quoi du haut des cieux, où il siège
I

avec lui, et les honneurs rendus à l'immortel entre les apôtres et les martyrs, près du trône
proscrit étaient un hommage à leur propre de Jésus-Christ, n'a-t-il pas un regard de pitié
fldélité. On les reconnaissait entre tous aux pour cette Eglise de Byzance, qu'il appelait sa
larmes qui coulaient de leurs yeux, à la pieuse couronne et sa joie, pas une prière pour celte
chère Antioche qu'il était si heureux d'arracher
' Niciphoro (loc cit.), sui le dire de Cosmo le Vestisite, raconta
qu'tu moment où les cendre» de Jean traversèrent le Bosphore, un au courroux de Théodose, et qui garde encore
coup de vent s'éleva subitement et dispersa ça et là les bateaux qui sous ses ruines la cendre bénie d'Anthusa ? Et
couvraient ta mer, mais qu'il poussa celui qui portait le sacré dépôt
vers le champ de la veuve de ThéognosCe, dont Chrysostome avait Grégoire, et Basile, et Athanase, ont-ils donc
défendu Ici intérêts contre la rapacité d'Eudoxie. c Adonc en tant
effacé de leur cœur tout souvenir de cet Orient,
qae faire se peut le navire brisa le roch et fut fait un miracle, lequel
encore cejourd'hui est veu en témoignage beaucoup plus illustre que berceau de leur génie, théâtre de leurs nobles
quelque orateur qui soit... Ce faict de rechef le serain te monstra, etc.»
Au fond de l'anse, où vint échouer le bateau, coule une fontaine qui
combats de ces belles Eglises, maintenant dé-
;

porte le nom du saint Docteur et qu'ombrage un laurier souvent dé- chues, où tant de siècles d'esclavage abrutissant
pouillé de ses feuilles par les pieux visiteurs.
' Nicépbore et la chronique de Marcellin disent que le corps fut
n'ont pu détruire leur mémoire? N'est-ce pas
déposé dans l'église des Apôtres le 28 janvier. Socrate, témoin
ocu- assez d'oppression et de misère comme cela?
laire, parle du 27. .Stllting pense que les relique» arrivèrent le
27, et
que ce lui le lendemain M
qu'elles furent promenées triomphalement
Le cri d'angoisse et de vengeance qui s'élève de
dâMl» Ville «l déposées dans l'église de» Apttres. (N. 1106etl4i8.) cette terre infortunée, doit-il ne jamais trouvçç

TOMB I.
3)
>14 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

ni la route des cœurs ni celle du ciel ? Ne son- sons la barbarie décrépite ; et quand elle ne sait

nera-t-elle pas un jour l'heure du pardon et de plus défendre sa propre agonie, ne lui permet-
la résurrection pour ces antiques chrétientés, tons pas de prolonger sans fin celle de nos frères.
si longtemps en grands
florissantes, si fécondes Un cri s'est fait entendre dans Ruma, un im-
hommes, consacrées par le sang de tant de mense gémissement ; Rachel pleure ses enfants^
martyrs, par les saintes immolations de tant et elle n'a pas voidu être consolée, parce qu'ils

d'anachorètes et de vierges, d'où le soleil de ne sont plus '. Hérode a déchaîné une fois en-
la foi prit son essor pour éclairer l'univers? core ses égorgeurs des sommets du Liban aux
;

Tant de larmes ont-elles coulé pour rien ? Tant plaines de Damas, le fils impur de Mahomet
de vertus et de sacrifices sont-ils perdus? N'y s'estbaigné à plaisir dans le sang chrétien ; des
a t-il plus dans le cœur de Dieu que des ana- horreurs qui semblaient à jamais impossibles
thèmes, un éternel anathème contre la plus ont épouvanté l'univers. Resterons-nous éter«
belle contrée du monde, contre le berceau de nellement dans cette politique de jalousie et
son Evangile? Reviens, fille ingrate et fugi- d'égoïsme, triste politique à l'ombre de laquelle
tive, reviens à ta mère, à cette grande unité un ennemi que nous laissons vivre ose nous
que tes ancêtres ont célébrée avec tant d'élo- insulter ? Refoulons dans les steppes les plus
quence et d'amour. Pauvre enfant prodigue, en lointaines de l'Asie la race funeste qui fut trop
poursuivant le fantôme trompeur d'une cou- longtemps le fléau de l'Europe, qui en estencore
pable indépendance, tu n'as abouti qu'à l'indi- le déshonneur. Affranchissons l'Orient. Ren-
gence, au délaissement, à la plus honteuse ser- dons à Jésus-Christ Sainte-Sophie, rendons-lui
vitude, à des maux qu'aucune pitié ne peut ces belles églises fondées jadis par saint André,
égaler I Lève-toi, tu es attendue, tu es désirée, par saint Marc, par saint Jean, par saint Pierre.
viens, et tu verras surgir de la poussière de tes Que la civilisation chrétienne, Chrysostome à
décombres de nouveaux jours de gloire et de la tête, rentre enfin dans la cité de Constantin
bonheur; viens, et les grandes âmes des Jean, purifiée et régénérée, qu'elle reprenne posses-
des Athanase, des Basile, tressailleront de joie sion de cet Orient qu'elle seule peut féconder
dans le ciel et s'inclineront pour te donner, à 1 Voilà un nouveau monde, ouvertà
et vivifier
de Paul, le baiser d'amour
la suite de Pierre et nos populations exubérantes, entassées sur un
et de paix. L'Eglise-mère t'ouvre ses bras, et sol qui ne peut plus les nourrir ; voilà une
dans son cœur des trésors de vie et de dignité 1 autre Europe à créer, avec ses arts, avec sa foi,
Et nous, peuples de l'Occident, peuples Catho- avec ses merveilles autour de ces belles mers,
hques , tendons la main à une sœur captive, sur ces magnifiques rivages, oîi la Providence
déchue, malheureuse. Brisons ses chaînes, ti- n'a pas accumulé tant de richesses et de splen-
rons-la de ce hideux asservissement dont rien deurs, pour qu'il plût au fatalisme et à la pa-
ne peut compenser ni la honte ni la douleur. resse, insultant à sa pensée, profanant son
C'est la honte de douleur
la civilisation, c'est la œuvre, d'en faire un désert 1

du Christianisme Après avoir écarté d'une


!

maia victorieuse la barbarie savante, repous- • Matth., c. 2, y. 12,

CHAPITRE QUARANTE-SEPTIÈME.

Culte de saint Jean Chrysostome. — Ses relique?. — Son portrait. — Parallèle de saint Chrysostome et de saint Basile,
saint Grégoire, saint Auguilin, saint Alhanase et saint Paul.

Un mot sur le culte de saint Jean Chryso- genouiller et prier de vaut les restes bé nis qu'elle
stome. Il date de sa mort. Sa tombe était à peine renfermait. A Constantinople, à Antioche, le
close, qu'elle fut entourée de supplications et nom du serviteur de Dieu était publiquement
d'hommages. On accourait de toutes parts s'a- iuvoqué. L'évê^ue de Korae, dans ses lettres,
CHAPITRE QUAnANTESEiriÈME. 51 î)

l'évêque d'IIippone, dans ses écrits, lui don- Des églises ont été dédiées, en plusieurs
naient de Saint
la quiiiillcation t't, nons l'a- '
; lieux, à saint Jean Chrysostome. Il serait à peu
vons dit, dès l'an -iiS, sous l'éiiiscopal de jirès impossible d'en rechercher le nombre.

Nestorius, deux ans avant la mort de saint Conslantinople en avait une dès le ix' siècle ',
Augustin, la métropole de l'Orient instituait Venise vers la tin du xi°, Rome lui a consacré
une fête en l'honneur de l'illustre mort tou- un autel dans la basilitjue du prince des Apô-
jours exilé. Saint Célestin gouvernait alors tres, et c'est là que ses cendres reposent.
l'Eglise de Dieu. A propos de ces cendres vénérées, ou pour
Fixée d'abord au 26 septembre, parce que le parler plus correctement de ce précieux trésor,
1-i était déjà consacré au glorieux souvenir de Baillet a écrit avec sa dédaigneuse prestesse :

laCroix, cette fête l'ut transférée plus tard aul3 « On prétend avoir son corps à Rome, où l'on
novembre,Dous ne savons trop pourquoi motif*, veut qu'il ait été apporté de Conslantinople au
et ce jour est resté, chez les Grecs de toutes lus temps du pape Zacharie. De plus, la ville de
communions, un des plus solennels de l'année Messine, en Sicile, se vante de posséder son
liturgique. Pour ces ardents admirateurs du chef dans le monastère de Saint-Sauveur. Ce
grand Saint, ce n'était pas assez. Ils ont célé- (jui n'empêcbe pas qu'on ne montre aussi à

bré la translation de ses reliques ; ils ont fait Paris dans l'église du collège des Bernardins
mention ' de sa promotion à l'épiscopat, de son un crâne qu'on soutient être celui de saint
premier et de son second exil et enfin, ils ont , Chrysostome, patriarche de Conslantinople'»,
voulu que sa mémoire fiit encore honorée le Baillet eût pu ajouter que Mayence, Bruges,
00 janvier avec celles de saint Grégoire de Na- Florence se disputent le même avantage, et
zianze et de saint BasileGrand. L'instilulioa
le que Venise croit avoir l'un des bras de Jean,
de celte troisième fête eut lieu sous Alexis tandis que plusieurs églises ont la prétention
Comnène, et le motif enest assez curieux. De de posséder l'autre.
grandes et vives disputes agitaient le clergé Quoi qu'en dise le dénicheur de Saints, une
grec, à propos d'une prétendue prééminence autorité un peu plus grave que la sienne, le
de savoir et de vertu à donner à l'un de ces Bréviaire romain, affirme de la manière la plus
trois personnages sur les deux autres. L'évêque positive que le corps du grand docteur est gardé
d'Euchaïles invoqua l'autorité d'une révéla- à Rome dans l'église du Vatican. Baronius,
tion. Jean, Grégoire et Basile lui étaient ap- dans son Martyrologe, et une foule d'auteurs
parus ensemble, disait-il, et lui avaient déclaré respectables le disent aussi. Le P. Janning,
qu'ils ne faisaient qu'un au ciel, et que de si cité par les Bollandistes, et Ciampini, dans son
puériles discussions à leur sujet étaient plus livre des édifices sacrés, décrivent l'autel
cou-
propres à offenser Dieu qu'à honorer ses servi- ronné d'un ciborium de marbre aux colonnes
teurs. Là-dessus on décréta la nouvelle solen- de porphyre sous lequel il était d'abord, et
nité commune aux trois Saints, et tout ce bruit marquent les diverses places qu'il a successive-
faitautour de leurs noms s'apaisa. ment occupées dans la basilique. Rome ' n'a
Dans l'Eglise Romaine, c'est le 27 janvier point de doute à cet égard. Il en est de cette
qui, de longue date, est consacré à la mémoire précieuse relique, comme de tant d'autres plus
de saint Jean Chrysostome. Depuis le pape précieuses encore, que possède la capitale du
Pie V, l'office de ce jour est du rit double. Mais monde chrétien. L'authenticité n'en est pas
à quelle époque l'Occident a-t-il commencé à contestable.
célébrer cette fête? Nous ne saurions le dire. Qu'importe que telle ou telle église prétende
Les missels, les bréviaires de France n'en font posséder une portion plus ou moins grande du
guère mention avant le xvi" siècle. pieux trésor? Plusieurs se glorifient d'avoir le
* Aog. cont. Jul., 1. I, c. 6. chef, lequel évidemment n'est que dans les
' croire qoe c'est le jour oh ses reliques par-
Le P. Stiliing semble
tirentde Coroancs. (N. 1186., Quant à Baillet, il se trompe évidem-
mains d'une seule, et il en est de même du
ment en disant que ce fut le jour de son retour triomphal àCoDstan- bras. Mais d'abord le titre de possession de ces
tiDOple après son premier exil car, selon les suppu'attons les plus
;

UTcrat>les à son système, le conciliabule de Cbalcédome eut lieu en églises est-il au-dessus de toute attaque ? Peut-
septembre. La déposition de Jean y fut prononcée à la un de ce mois, de l'Eglise-
il balancer en autorité la tradition
et son départ suivit immédiatement la déposition. Or, l'exil ne dura
qoe trois jours.
* Cette mention a lieu le 16 décembre. (Stiltlng, loc. cil., n. 1490.) • Ducang., Constant. Christ. Ut. 4, ch«p. 6, 52.— ' Balll., 'VU

C'est peut-être le jour de son arrivée à Cons'antinople en .*Î97; car, des Saint», 27 janv. — ' Baron.. 27 jan.; Ciamp. dt lacr, «di,

fdiu MO
otdmatioo, tUe o'tut lieu <)u'i la fia de («vriet 388. cbap. 4, aect. 13 ; StiUing, a. ues.
516 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

mère ? Ou ces églises ont attribué à Jean Bouche- tous. D'ailleurs, les traits qu'il lui donne se
(ïor les reliques d'un autre Saint, son homo- retrouvent à peu près dans les plus anciens
nyme ou en ; réalité elles possèdent, non la tableaux du Saint '.
non le bras entier, mais un frag-
tète entière, L'iconographie grecque aime à grouper
ment du bras ou de la tête. Leurs prétentions dans le même cadre les trois têtes de Jean,
rivales peuvent s'infirmer l'une l'autre ; elles de Basile et de Grégoire, comme pour con-
n'ôtent rien de sa force à l'assertion du Bré- centrer sous un seul regard, dans un seul
viaire romain. foyer lumineux, les plus belles gloires de
A quelle époque le corps de Jean fut-il trans- l'Orient chrétien. La splendeur de ces nobles
porté de Constantinople à Rome ? Rien ne l'in- visages se reflète de l'un à l'autre et semble les
dique d'une manière précise. Au x* siècle, les confondre tous les trois dans une même et ma-
restes racrés de l'illustre pontife étaient encore gnifique auréole. Cependant chacune de ces
dans l'église des Apôtres, où ils avaient été physionomies est tellement accentuée et em-
déposés à leur retour triomphal de Comanes, preinte d'originalité, qu'il serait difficile de sai-
et nous savons que près d'eux furent placées sir un rapport de complaisance entre elles, d'é-
alors les reliques de saint Grégoire de Nazianze, tablir un parallèle suivi entre Chrysostome,
afin, dit un auteur contemporain, que la par exemple, et l'un ou l'autre de ces illustres
même sépulture réwiît deux hommes qui compétiteurs au génie et à la sainteté.
avaient jeté tous les deux un si grand éclat sur Ils ont porté très-haut tous les trois l'austé-
la ville impériale, et défendu la religion, à rité des mœurs, lagrandeur de l'âme, l'esprit
travers les mêmes épreuves, avec la même d'immolation et de charité; mais la vertu de
gloire. Basile a quelque chose de plus imposant, celle
Stilting augure que les deux corps ont été de Grégoire de plus sévère, celle de Chryso-
enlevés ensemble, ensemble portés à Rome, stome de plus aimable. Ils ont exercé tous les
et que accomplie au xni*
la translation s'est trois la royauté de la parole le premier avec :

siècle, sous les empereurs Latins, dans le mo- plus de majesté, le second avec plus de pompe,
ment de leur grande détresse, alors que, vive- le troisième avec plus d'abandon. Basile est plus
ment pressés par les Grecs, ils imploraient à nerveux, il fait penser davantage, Grégoire est
grands cris le secours des Occidentaux. On l'a plus paré, plus brillant, sa méthode est plus
faitesans appareil, le plussecrètement possible, savante,il monte plus haut dans les régions

afin de ne pas se mettre sur les bras le peuple du mystère Chrysostome est plus simple, plus
;

de Constantinople ;etvoilàpourquoi vous n'en entraînant, plus populaire; avec moins d'élé-
trouvez la mention nulle part dans les monu- vation et de science, il frappe par un ensemble
ments de l'époque. En même temps, par un plus complet de qualités oratoires; sa voix a
•enliment facile à comprendre, on dut laisser plus d'écho dans les cœurs. Aucun des autres
à Byzance quelques parcelles du trésor qu'on ne l'égale, ni par le pathétique, ni par le mou-
lui ravissait: ce qui explique comment l'un vement, ni par mélodie de la parole, ni par
la
des patriarches de cette ville, Jérémie, a pu cette plénitude du discours, où la plus riche
donner un doigt de son illustre prédécesseur imagination est employée à faire aimer la
au pape Grégoire XIII '. vertu et prévaloir la charité, ni par ce calme
Nous avons dans une foule de peintures majestueux, cette auguste sérénité, cette sim-
byzantines l'image de saint Chrysostome, sans plicité sublime de l'orateur vraiment chrétien,
avoir nulle part peut-être son portrait. Si du génie inspiré par la foi que le sentiment de
quelque chose peut nous donner une idée vraie sa force et la possession certaine de la vérité
de sa physionomie etdesa personne, c'est plutôt dispensent de tout effort, et qui, semblable aux
la vision de Jean d'Euchaïtes, d'après laquelle corps lumineux par eux-mêmes, n'a besoin,
nous avons essayé de le peindre au commence- pour répandre des flots de lumière, que de
ment de ce livre. Il est probable, en effet, que laisser agir sa nature rayonnante. Chez Jean,
l'habile prélat, voulant imposer à ses contem- rien n'accuse le travail ;
pas la moindre ten-
porains l'autorité de cette vision, a rejjrésenté le sion de la pensée. C'est le fleuve de la parole;
grand docteur, qu'il fait intervenir et parler, il coule à pleins bords, sans qu'aucun soulève-
d'après un type traditionnel admis et connu de ment intérieur trouble sa transparence, sans
• Stilting, r. 1499. 'Stiltinï, n. 1495; Ducang., Constant. Christ , I. 4, p. 120.
CHAPITRE QUARANTE-SEPTIÈME. 517

qu'aucune colère le fasse déborder, sans que Christ, sa haute résignation, sa sainte flerté
rien n'annonce le roi des fleuves, si ce n'est dans les épreuves, sa douceur et sa modestie
la tranquille beauté de son cours et la riche avec cette audace éloquente, qui affronte les
fécondité des pays qu'il traverse. On sent que menaces des puissants et plie à la domination
plusieurs fleuves sortiraient de celui-là sans de la loi les dominateurs du siècle tout cela :

l'appauvrir. se reflète dans son langage de je


et l'empreint
Ni Gréfîoire ni Basile ne lui sont compara- ne sais quoi de varié, d'animé, de saisissant,
bles par l'étendue des travaux. Ceux de Jean qui corrige d'une manière heureuse cette
furent immenses. Sous ce rapport, il n'a été splendeur trop monotone et cette diffusion
surpassé ([iie par Augustin. On ne peut, d'ail- quelque peu asiatique qu'un goût sévère et
leurs, quoiqu'on ait essayé de le faire, établir pur aurait d'ailleurs à lui reprocher.
de rapprochement entre ces deux hommes Qui a rempli mieux que lui et avec plus de
admirables, qui ont jeté tous les deux sur succès ce grand ministère de la parole créé
l'histoire du Catholicisme un éclat si pur et si par l'Evangile, ce magnifi(|ue apostolat de la
beau. Entre leur génie rien d'analogue. Celui Rédemphon humaine perpétué dans l'Eglise à
d'Augustin, plus vif, plus élevé, plus vaste, travers les siècles? Augustin est aigle qui un
plus puissant, plane au-dessus des plus hautes fend les nues d'un vol sublime va droit à et
questions de la métaphysique et de la théolo- Dieu repaître sonregard des plus vivesflammes.
gie. Tout ce que Dieu peut laisser voir à l'œil Chrysostome est un vaisseau qui vient d'outre-
de l'homme ici-bas de son essence infinie ou de ciel chargé de richesses qu'il jette sur nos ri-
ses augustes pensées sur la créature, Augustin vages, non pour la satisfaction de notre es-
la vu au delà, il n'y a que le ciel et l'éternité.
; prit,mais pour les besoins de notre vie. L'un,
Hais si l'évêque d'Hippone est le plus grand réformateur austère, avec des paroles harmo-
penseur du Christianisme, celui de Byzance en nieuses, fait entrer la vérité dans les âmesqu'il
est le plus grand orateur. Quand il expose la embrase de cet amour divin, dont il estconsumé
moralede l'Evangile, quand ilexplique un texte lui-même l'autre, né dans le paganisme et
:

de saint Paul, il laisse loin de lui, en arrière, nourri de ces fables, même dans les effusions
tous les exégètes sacrés de tous les temps et de les plus ferventes de sa prière, même dans ses
toutes les langues. Nul n'a parlé comme lui, confessions les plus ingénues, ne dit pas un mot
Bossuet excepté. Mais sa vie fut plus éloquente qui ne soit un trait de lumière et n'éclaire un
que sa parole. Le pontifeet le martyr expliquent problème de l'humanité. L'un, pourécrire, s'é-
l'orateur et l'écrivain, et, nous l'avons dit bien loigne de la terre et se recueille au-dessus de
des fois, son génie jaillit de son cœur. La ten- nos têtes sur le Thabor ou le Sinaï, dans l'ombre
dresse du fiis, l'enthousiasme de l'ascète, le dé- lumineuse ou fulgurante qui enveloppe le mys-
vouement de l'ami, la loyauté de l'homme, le tère de Dieu ; l'autre, pour nous parler, descend
courage du réformateur, la passion des âmes, des sommets les plus élevés de la contemplation
l'invincible amour du bien, sa popularité sans et s'entretient avec nous comme l'un de nous.
tache, sa lutte intrépide contreune cour avide L'un rend les oracles de la foi, et l'Egliseécoute
;

et corrompue, contre des riches sans entrailles, l'autre s'abandonne aux inspirations de la cha-
contre des prêtres intrigants ou simoniaques, rité, et le monde La parole de l'un est
espère.
le dédain des intérêts terrestres, l'oubli de une inscription lapidaire
pour les siècles; celle
lui-même, la compassion des pauvres, qui re- de l'autre est un hymne qui s'écrit dans les
vêt dans son discours toutes les formes comme cœurs. Chez l'un, tout est médité dans le si-
elle se plaît dans sa vie à tous les sacrifices, lence du sanctuaire et le recueillement du
cette incomparable charité dont le feu semble génie ; dans l'autre, tout s'improvise au souffle
allumé d'hier au cénacle, entre les apôtres des grandes assemblées. La science de l'un
Pierre et Jean, son dévouement à l'Eglise, sa s'élève à la plus grande hauteur de l'intelli-
noble et sainte jalousie de la dignité et de gence humaine et au-dessus de l'intelligence
l'indépendance du Sacerdoce, sa magnani- humaine; la religion de l'autre se mêle effica-
mité, sa foi humble et tendre qui tourne ses cement et saintement à tous les sentiments du
regards vers la Chaire principale et le Pontife cœur humain. L'un sonde les abîmes adorables
Suprême, le culte de saint Paul, sa sublima du dogme; l'autre fait aimer les rigueurs né-
ambition de souffrir pour la cause de Jésus- cessaires de la morale. L'un, dans un langage
B18 HISTOIRE DE SAhNT JEAN CHRYSOSTOME.

concis et profond, explique la trinité, l'incar- Un hagiographe moderne a comparé Chry-


nation, la grâce; l'autre, en paroles ravis- sostome à saint Paul'. La comparaison est
santes, exalte la piété, la justice, l'abnégation, ambitieuse. Ce qui est vrai, c'est que Paul n'a
le sacrifice de soi, la tendresse paternelle du pas eu de plus fervent admirateur que Chry-
Créateur pour sa créature, et cette touchante sostome. Au seul nom de l'Apôtre, dès qu'il
fraternité des hommes dans le
entre eux vient à le prononcer, l'orateur est en extase.
cœur de Jésus-Christ. L'un est le docteur de « On m'offrirait, s'écrie-t-il, l'empire du
la grâce; l'autre le docteur de la charité. L'un monde que je préférerais un ongle de Paul.
est l'homme de la doctrine, l'autre celui de Je préférerais sa pauvreté à tout plaisir, sa
l'action. Tous les deux ont aimé l'Eglise; tous bassesse à toute gloire, sa nudité à toute ri-
lesdeux ont versé sur elle des flots de gloire, chesse, les soufflets qui outragèrent son vi-
etcontribué à donner à son enseignement sage à toute liberté, les pierres qui le lapi-
une incomparable grandeur. Mais Augustin a dèrent à tout diadème* Les astres, quand
connu par une expérience intime les naufrages ils furent créés, excitèrent l'admiration des

de la nature humaine, et ce qui fut un ins- anges ; mais Paul a ravi d'admiration Jésus-
tant le malheur de l'homme tourne à l'avan- Christ même, et lui a fait dire : Cet homme
tage de l'écrivain, et communique à tout ce est le vaisseau de mo7i élection. L'âme de Paul :

qu'il dit un caractère de douce et sainte tris- était plus belle que
Le ciel se couvre
le ciel.
tesse qui pénètre. Chrysostome a sur Augus- quelquefois de nuages; l'âme de Paul a gardé
tin un avantage que peu d'autres peuvent sa sérénité dans les tempêtes les plus vio-
balancer : il fut proscrit pour la cause de lentes, et le soleil, dans son midi, n'a pas plus
Dieu et si l'auréole du génie pâlit sur sa tête,
; d'éclat ni ne répand de plus beaux rayons 'I »
la palme du martyre resplendit dans sa main. Nous l'avons dit ailleurs, il n'y avait dans le
Mais les vicissitudes de sa vie, son grand cabinet du saint pontife à Constanlinople qu'un
caractère, la hauteur de son courage, les seul tableau, le portrait du grand Apôtre. Qu'il
liaines acharnées et les calomnies dont il fut méditât ou qu'il écrivît, il l'interrogeait du re-
l'objet, sa condamnation et sa déposition dans gard, comme pour monter son âme au ton de
un synode d'évêques, son appel à Rome, sa cette grande âme et, de même que le reflet
;

cause énergiqucment embrassée et soutenue lumineux d'un objet en imprime l'image sur
par le chef de l'Episcopat, l'amour entliou- le métal ou sur le verre préparé pour la rece-

siaste du peuple de Byzanceetd'Antioche, son voir, ainsi cette contemplation incessante du


triomphe entre deux exils, la proscription qui visage de Paul en avait gravé la ressemblance
le frappe, étendue à tout ce que l'Orient a de dans l'âme de Jean. Les traits de l'un étaient
plus noble et de plus pur, sa vieillesse con- reproduits et vivaient dans la vie de l'autre.
damnée à errer de désert en désert, l'Eglise C'est la même soif du martyre, le même amour
entière troublée de sa chute, émue de ses dou- de Jésus-Christ. Tous les deux, ils brûlent de
que dans sa défaite même il
leurs, les craintes mourir, pour aller plus vite à celui qu'ils
inspire à ses ennemis, et la puissance qu'il aiment. L'ivresse du maître a gagné le disci-

exerce encore du fond de l'exil, où il attire à ple ; et lui aussi, il est fou de la folie de la Croix.
lui tous les regards, toutes les pensées du Jean, comme Paul, embrasse l'univers dans sa
monde chrétien, lui donnent un air plus frap- charité; comme lui il s'immole au salut
, de
pant de ressemblance avec Athanase, dont la ses frères , et volontiers il se ferait pour eux
grande vie, présente alors à tous les esprits, anathème. Comme
heureux de souf-
lui, il est

dut être plus d'une fois l'inspiration et le calomnié, d'être proscrit, de porter
frir, d'être

modèle de la sienne. Mais Athanase vainqueur dans sa vie les stigmates adorés du Sauveur.
revint s'asseoir, après bien des épreuves, sur Comme lui, il défie les persécutions et les sup-

sa chaire pontificale et mourut en paix au mi- plices, il défie les démons, les anges eux-mêmes;
lieu des bénédictions de son peuple. Jean ex- il défie toute créature, si haute et si puissante
pira sur le bord d'une route, aux confins du qu'elle soit, de le séparer de la charité de Dieu
monde, entre deux prétoriens chargés d'in- en Jésus-Christ. Comme lui, il porte avec une
sulter son agonie, dans un dénûment misé- sainte audace le nom de son maître devant les
rable, après avoir vu ses amis outragés, em- ' Herm., livi. 12, chap. 14. — Hom. 13 sur U 1'» »ux Cotlath.—
'

prisonnés, déportés, mis à mort à cause de lui. ' Chrys,, Bom. 18, aux Rom. et Bom. 13 sur la l'o aux Cotinth.
CHAPITRE QUARANTE-SEPTIÈME. 819

rois et devant les peuple?. De faux frères ont que si Dieu n'avait suscité Jean pour expliquer

juré sa perle. Un autre aéropnge tremble à sa son Evangile, il eût fallu un autre avènement
parole. Un autre sanliéilrin le proscrit. du Christ sur la terre mais nous ne serons
;

Ne sont-ils pas vrais de lui, ces mots qu'il pas démenti, si nous affirmons que ses livres
écrivait i!o l'Apôtre : «i 11 était la lyre de l'Esprit- sont un foyer de doctrine autant que de piété,
Saint, la bouche de Jéfus-Clirist, le docteur de et que, si ses travaux et son génieen ont fait un
l'univers, plus puissant que les rois, plus élo- des plus vénérés oracles du Christianisme, sa
qu ntque les orateurs'.... Son âme invincible vie et sa mort lui assurent une glorieuse place
ne fut abattue par aucune tempête ' Mais il entre les apôtres et les martyrs de Jésus-Christ.
était affligé dans chaque membre de l'Eglise, Si nous avions à préciser en quelques mots la
comme s'il eût été lui-même l'Eglise univer- partd'influcncequiluirevientdansl'hisioiredu
selle ' B. Catholicisme, nous dirions qu'il est resté le type
Si le cœur de Paul, suivant une expression immortel de l'éloquence chrétienne, le guide
souvent répétée par son noble émule, était le le plus sage de l'exégèse sacrée, le modèle le
cœur de Jésus-Christ, ne peut-on pas dire, dans plus parfait des pontifes du Christ, et que,
une certaine mesure, que le cœur de Jean était donnant la main d'une part à saint Athanase,
le cœur de saint Paul? de l'autre à saint Grégoire Vil, il a inspiré de
Toute comparaison avec le grand Apôtre son exemple, animé de son courage les An-
écrase celui qui en est l'objet. Jean, d'ailleurs, selme, les Thomas de Cantorbéry, la phalange
n'a pas évangélisé les nations, il n'a pas versé illustre des grands champions de l'indépen-

son sang pour la cause de Dieu, il n'a pas été dance de l'Eglise et de la dignité du Sacerdoce,
ravi au troisième ciel, il n'a pas formulé, sous c'est-à-diredeladignitéetdel'indépendancede
l'inspiration immédiate du Seigneur, les grands l'âme humaine. Et s'il est vrai de dire du Chris-
dogmes du Catholicisme, sa parole n'est pas tianisme, comme
de Dieu, qu'il est charité, il
l'oracle infaillible des siècles; les Anges mais faut dire de Chrysostome qu'il est le docteur
l'entouraient à l'autel, mais mort dans il est par excellence du Christianisme, car il est le
l'exil en combattant pour l'Eglise, mais il a docteur de la charité.
poursuivi à outrance dans les cœurs les der- La dernière heure de l'empire avait sonné.
niers restes du paganisme, mais il se consumait OEuvre séculaire et prodigieuse de sagesse et
d'amour pour ses frères souffrants, et sa vie d'orgueil, cimentée des larmes et du sang de
comme son talent appartenaient aux malheu- tant d'hommes, et qui semblait avoir la Provi-

reux mais il
; a dépensé toute son existence dans dence pour complice de l'asservissement du
une lutte ardente contrefégoïsme et pour faire monde; maintenant, miné partout dans ses fon-
régner sur les âmes le précepte divin de la dations, envahi par cent brèches à la fois, il
charité, que saint Paul appelait la plénitude de menaçait d'écraser la terre sous ses ruines,
la loi mais, mieux que personne peut-être, il
;
comme il l'avait absorbée dans ses triomphes.
a compris et expliqué le grand Apôtre, et ses L'Evangile était apparu à propos pour changer
beaux commentaires, par leur clarté, leur cette catastrophe en espoir. Avec un dévoue-
étendue, leur éloquence, les fruits de piété ment que trois siècles n'avaient pu fatiguer, il

qu'ils renferment, les grandes idées qu'ils dé- s'efforçait de greffer une nouvelle vie sur la
veloppent, l'ont mis au premier rang entre les vieille tige humaine. Mais la greffe puissante

interprètes les plusillustres de nos saints livres. prenait mal sur ce tronc gangrené, d'oij ne
On a dit qu'il n'était ni savant ni profond : ce montait qu'une sève impure et appauvrie. Mal-
qui n'a pas empêché les exégètes et les orateurs gré la forte dose de surnaturel infusée tout à
sacrés de tous les siècles de moissonner à coup dans même à cause
ses veines, peut-être

pleines mains dans ses écrits. Un mot célèbre décela, le colosse expirait en se débattant. C'est
de saint Thomas d'Aquin montre le
et déjà cité pourquoi la Providence l'abandonnait à son
haut prix qu'y attachait l'ange et le docteur de sort. Résolue à refaire en sous-œuvre l'huma-
l'Ecole. Nous ne redirons pas à coup sûr cette nité, elle ouvrit les cataractes d'un autre dé-
emphatique ineptie d'un Grec du xi' siècle : luge des steppes de la Tartaric, des brumes
;

de l'Océant boréal, elle versa des torrents de


* Chryi., Eom. mr le tremblement d« tene et Lazare. —'Id., peuples. ..Qu'apportent-ils?. ..Le chaos. ..Oui;
Bam. 3, mr l'ép. lux Philipp., pajiim. — ' Chrji., Bom. 25, lut
l'ép. 2< aux Cormtb., fouim. mais au moment où le passé va disparaître sous
520 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

lecataclysme de sang, le Verbe créateur parle que de chétifs despotes emploient leur fragile
au chaos une fois encore Que la lumière puissance à décréter les dogmes , à fomenter
soûl.... Et Chrysostome
la lumière fut des hérésies, à briser des images, à martyriser
jaillit de cette parole, ou plutôt le Verbe lui- des moines, Rome et l'Italie leur échappent ;

même futeette lumière dont Chrysostome était Antioche , Jérusalem , Alexandrie, l'Egypte,
un rayon. Mais ce rayon, l'un des plus beaux l'Afrique, tombent aux mains d'un affreux
peut-être de l'astre divin, contribua puissam- vainqueur; Constantinople arbore le croissant;
ment à faire resplendir la loi d'amour de sa et cespauvres Eglises de la Syrie, de l' Asie-
beauté propre, à la révéler aux cœurs dansson Mineure, de la Thrace, de l'Orient, naguère si
grand et touchant caractère d'universelle fra- florissantes, maintenant détachées de l'unité
ternité, à la faire entrer plus avant, à travers oîi est la vie, croient racheter leur abaissement
les couches épaisses de préjugés et de passions et leur servitude sous un despotisme abrutis-
accumulées par le paganisme, dans la con- sant par leur insolence vis-à-vis de l'Eglise-
science humaine, à rendre celle-ci chrétienne, mère.
à la baptiser de l'esprit de l'Evangile, de l'esprit Tandis que de ce côté tout est confusion, im-
de dévouement et d'immolation, baptême so- puissance, ignominie, en Occident tout renaît,
cial, dont un monde mal avisé repousse la tout grandit ; la vie et la force débordent de
grâce, mais qui a laissé dans les âmes son toutes parts. On voit monter d'heure en heure
impérissable et divin caractère Charité I Cha- : l'astre de la papauté. Sous son influence vivi-

rité! fiante, le chaos se débrouille, la lumière se pro'


nous avions une épigraphe à inscrire à la
Si page; l'Evangile plie à son joug les têtes in-

tête des œuvres de notre Saint, et qu'elle pût à domptées des Saxons et des Francs, Charle-
la fois résumer ses travaux, caractériser sa vie, magne une civilisation nou-
paraît, et avec lui
synthétiser son enseignement, nous n'en vou- velle, âpre et rude encore, mais vigoureuse et
drions pas d'autre que ces mots de l'Apôtre : féconde, qui promet déjà les prodiges qu'elle
Pratiquer la vérité par la charité, pour croître doit accomplir la liberté et la monarchie chré-
;

en toutes choses dans Jésus-Christ, qui est la tiennes prennent naissance l'art sur les pas ;

tête et la vie de tout le corps ^ ! de la prière s'élance en des voies non frayées,
Chrysostome fut le suprême effort et la der- et ce sol tout jonché de ruines se couvre d'une

nière splendeur du génie chrétien en Orient. merveilleuse moisson de monuments incom-


Après lui la décadence est rapide ; il entraîne parables pour la grandeur, pour la majesté,
tout dans sa tombe, l'avenir avec le passé. Sans pour la hardiesse de hautes vertus, de magni-
;

doute, il y aura encore de belles lueurs de ta- fiques caractères, d'admirables institutionssur-
lent à signaler dans cette éclipse profonde, de gissent à chaque instant; la pensée catholique,
grands caractères à applaudir dans cette défail- animant tout, entraînant tout, marche triom-
lance universelle ; l'orthodoxie trouva encore, phalement à son apogée, et d'un bout de l'Eu-
dans la patrie des Basile et des Athanase, d'in- rope à l'autre un grand cri se fait entendre :

trépidesetsavants défenseurs :Proclus, Cyrille, Le Christ a vaincu, il règne, il commande. —


Jean de Damas ; et de même que les armes ro- Yicit, régnât, imperat.
maines, dans les mains des Narsès et des Béli- L'invasion des Barbares, qui parut aux plus
saire, ont pu jeter un dernier reflet de gloire fermes esprits le signe avant-coureur de la fin
sur l'empire croulant, ainsi l'Eglise grecque, prochaine du monde, et sous laquelle s'écrou-
à la veille de sa ruine, a pu placer aux fastes lait, en effet, le monde ancien, fut le salut de
des saints, à côté des noms les plus illustres, l'Occident. En se mêlant aux races vaincues, ces
ceux d'Ignace, d'Etienne, de Germain, de Nicé- farouches vainqueurs rajeunirent l'humanité.
phore, de Taraise. Mais la grandeur, la force, la Ils versèrent dans ses veines appauvries cette
féconditéjlegénieontdisparuavecChrysostome sève bouillante, ce feu de leur sang dont l'es-
de cette terre épuisée et dégénérée. Au faîte des prit chrétien avait besoin pour créer, suivant
pouvoirs publics, sur le trône même de Théo- les promesses d'en-haut, un autre univers. Ce
dose de Constantin, vous n'avez plus qu'une
et fut le malheur de l'Orient d'échapper à cette
suite à peine interrompue de trahisons, de lâ- submersion sanglante, dont la seule pensée gla-
chetés, d'assassinats, de bassesses ; et pendant çait d'effroi tous les cœurs, mais qui n'était,
• Ad Epk., c. 4, V. 15. dans les desseins de la Providence, qu'un grand
CHAPITRE QUARANTE-SEPTIÈME; 221

baptême de la rénovation du genre humain. Il des temples de Memphis et de Tentyra, dont


y eut un moment, où la destinée de ce vaste les profondes et mystérieuses retraites versè-
empire merci d'Attila. Au fond de sa
fut à la rent l'erreur sur genre humain. Pour celong
le

ville de bois, dans la Pannonie, il portait tour forfait , condamnée au dernier


l'Egypte est
à tour ses regards sur Rome et sur Byzance , supplice des nations l'ange de la souverai- :

hésitant entre ces deux proies et ne sachant neté a quitté ces fameuses contrées, et peut-
sur laquelle il se jetterait d'abord. Il se décida être pour n'y plus revenir. Qui sait si la Grèce
pour l'Occident, et prit son chemin par les n'est pas soumise au même anathème ?.... Je
Gaules, traînant à sa suite six cent mille hom- ne demande qu'à me tromper; mais aucun œil
mes, tous Barbares du Nord. L'Orient res-
les humain ne saurait apercevoir la fin du servage
pira se croyant sauvé, et il fut perdu. La Pro- de la Grèce ; et s'il venait à cesser, qui sait ce
vidence lui refusait la seule chose qui piit qui arriverait ? Plus d'une fois dans nos temps
raviver un grand corps vieilli et usé la trans- : modernes, elle a réglé ses espérances et ses pro-
fusion du sang. Il fut condamné à languir dans jets politiquessur l'affinité des cultes ; mais ,
une honteuse agonie. Le schisme a fait le reste. toujours destinée à se tromper, elle a pu ap-
En l'envahissant plus tard, l'Islamisme ne lui prendre à ses dépens qu'elle ne tient plus à rien.
porta rien, si ce n'est l'outrage et la servitude, Combien lui faudra-t-il encore de siècles pour
et n'en reçut rien. Une haine éternelle séparait comprendre qu'on n'a point de frères, quand
les vainqueurs des vaincus et rendait tout on n'a pas une mère commune ? » '

amalgame, tout contact impossible entre eux. Nous osons l'espérer, ces terribles appréhen-
Ils ne se mêlèrent ni par une pensée, ni par sions ne seront pas des prophéties. Non, la terre
une goutte de sang. C'étaient deux races juxta- qui donna à l'Eglise de si grands Saints n'est
posées, mais toujours ennemies, qui se cotitem- pas une terre mauaite. Non, son servage n'est
plaient en rugissant, dit Joseph de Maistre ', et pas éternel il n'a que trop duré. Non, la patrie
:

eussent pu se toucher pendant Véternité sans des Athanaseet des Chrysostome n'est pas con-
jamais s'aimer. Chacune s'est usée de son côté, damnée à rester seule, sans sœurs, sans frères,
et s'éteint dans son isolement. En vain les en- sans mère, à côté de la grande famille du
fants de Mahomet s'attachent convulsivement Christ. Au pied du trône des miséricordes ,
à une terre qu'ils n'ont su que profaner et Jean V Aumônier, Jean ZÎOMC^e-d'or implore sa
ravager, et qu'ils ne peuvent garder. Ni nos grâce, et il yeux sur lesquels
l'obtiendra. Les
armes, ni notre politique, n'empêcheront le pèsent depuis longtemps les préjugés du
si

souffle de Dieu de les balayer. Quant à ces schisme, s'ouvriront enfin à la vérité. Ce mur
infortunés chrétiens, nos frères, à qui leurs fatal élevé par l'orgueil tombera devant la
malheurs donnent
tant de droit à notre bonne foi et la charité. Du côté de l'Eglise Ro-
intérêt ,voyant tourner vers le Nord
en les maine, il n'y a ni aigreur ni rancune. Elle n'a
leurs regards obstinés nous ne pouvons , oublié ni Florence ni Lyon '. Elle peut, em-
que les plaindre d'avantage et trembler encore pruntant le langage de son divin fondateur ,

plus pour leur avenir. Le salut n'est pas là : dire à l'Eglise grecque Combien de fois ai-je :

il est dans un rapprochement sincère avec voulu rassembler tes enfants sous mes ailes ! Et
l'Eglise Romaine il est dans un mariage fé-
; tu ne l'as pas voulu ! Espérons que cette résis-
cond avec l'Occident. Toute conbinaison sur la tance trop longue ne sera pas invincible, et
base du schisme, outre qu'elle créerait une que les bras de l'amour ne seront pas tendus en
prépondérance que l'Europe ne peut subir ,
vuin àun peuple plus faible que coupable, qui,
n'aboutirait en définitive qu'à un changement marchant dans une voie fausse à la suite de
de maître, à une autre forme de servitude. ses pensées ', n'y trouve que l'abaissement et la
Le grand penseur que nous citions tout à souffrance. Puisse-t-il arriver bientôt ce jour
l'heure a dit : < Ezéchiel déclara, il y a plus de n'empêchera plus les enfants da
désiré, oii rien
deux mille ans, que jamaisrEg'jpten'ob/iirait se jeterdans les bras de leur mère, ni la mèro
à un sceptre égyptien ' et depuis Cambyse ; de presser sur son cœur des enfants long-
jusqu'aux Mamelucks, la prophétie n'a cessé de temps regrettés et toujours bénis ;
jour heu-
s'accomplir. Misraïm, sans doute, expie encore reux, jour magnifique, où la grande ombre dg
sous nos yeux les crimes qui sortirent jadis
' Du Papt, t. 2, p. Î43, «to. — • Du Prp», l. 2, p. 241. — '
li,
« Du Poft, t. 2, p. 211. — Eiech., c. 30, t. 13. c. es, y. 3.
hn HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

Chrysoslome rentrera triomphalement dans sa lence, mettez un terme à ce discours, resté


ville bien-aimée, comme lescendresd'Augustin mille fois au-dessous des louanges qui vous
sont rentrées naguère dans sa chère Hippone ! sont dues, mais qui était beaucoup trop au-
Alois, du Bosphore à l'Oroiite, de l'Adriatique dessus de nos forces. Puissiez-vous laisser
à l'Euphrate, une immense acclanjalion de re- tomber sur nous un regard propice ' » !

connaissance et d'amour saluera la Croix victo- Dans le séjour de la gloire où Dieu couronne
rieuse ; et Celui qui a dit : Je suis la résurrection votre foi, souvenez-vous de cette Eglise-mère
qui croit
et la vie ; , en moi , vivra étendra sa et maîtresse, que vous implorâtes dans vos
main puissante sur ces régions jadis si belles, épreuves, qui vengea votre nom et garde vos
maintenant désolées et changées en cimetière cendres, dont vous aimiez à célébrer la charité
par un despotisme brutal, et il s'écriera : Osse- qui embrasse l'univers^ ;
priez pour le succes-

ments arides, entendez le Verbe de Dieu!.... Et seur d'Innocent, pour ce magnanime Pie IX ,

les ossements arides tressailliront l'esprit de ;


dont généreuses intentions ont été payées
les

Dieu soufflera sur les morts, et un peuple nou- de tant d'ingratitude, dont le cœur est si dou-
veau, un grand peuple, se lèvera, plein de jeu- loureusementéprouvé; priez le divin pilote de
saisir le gouvernail de sa barque assaillie par
nesse et d'ardeur, au soleil de la liberté et de
l'unité une horrible tempête, de prendre en main la
en soit, on peut affirmer avec saint
Quoi qu'il cause de la vérité et de la justice, la grande
Jean Damascène que le nom de Chrysoslome cause de l'unité et de l'indépendance de l'E-
vivra autant que la porole divine, dont il fut glise, pour laquelle vous avez combattu jus-

l'un des plus fidèles, des plus puissants inter- qu'au dernier soupir à laquelle se rattachent
,

prètes '. Partout oîj sera porté l'Evangile , ce les intérêts les plus élevés de l'humanité !

nom sera porté aussi; et partout, et toujours, Pour nous, si ce n'est pas trop d'audace, quand
il rappellera l'éloquence, le courage, la gran- on s'adresse à celui qui fut le protecteur et
deur d'âme, la vertu magnanime, la charité ; l'ami des petits, Jean Bouche-d'or, nous vous

il sera l'une des gloires chrétiennes les plus supplions d'agréer et de bénir un travail que
dignes du Christianisme. nous avons entrepris pour procurer à un plus
Et maintenant, nous sollicitons humblement grand nombre d'âmes le charme saint et la con-
du grand Saint dont nous avons essayé de ra- solation de votre parole, pour faire un peu plus

conter la vie et d'analyser les travaux, la grâce connaître l'un des plus illustres témoins de
de déposer à ses pieds, si imparfait qu'il soit l'Evangile, des plus admirables apôtres de
ce livre consacré à sa mémoire et dont le seul Jésus-Christ, et, par lui, faire aimer davantage

mérite est de porter son nom ;


et nous osons Jésus-Christ Notre Seigneur, Fils de Dieu, par
lui dire, comme autrefois saint Grégoire de qui seul nous avons accès à Dieu, en qui sont
Nazianze au grand Alhanaseen terminant son renfermés tous les trésors de la sagesse et de
éloge a Tête sacrée, illustre pontife, qui pos-
: la science, qui est la voie, la vérité et la vie
sédiez entre tant de dons magnifiques une con- pour les nations aussi bien que pour les indi-
venance exquise dans la parole et dans le si- vidus.

^ Orai. pattigiir.y ». W. •Gt. Naz., OKI/. 21, D. 37, t. I,p. 41J. — ' Ckfjt,, ai Innoe.
PIECES JUSTIFICATIVES. t)£3

PIECES JUSTIFICATIVES.

Page i", enlonne 1, note 2 (A). que ce fut je ne sais quel Zenon de Jérusalem qui ordonna lec-
teur notre Saint, en l'absence de Mélèce; car Pallade affirme la
?e1oa Baronias, Jean serait né en 355 ; selon Blondel, Her- contraire, et il est autrement instruit et digne de foi que Socrata
mant, Tillemont, Baillet et autres, en 347. La première de ces (Pall., Dial., c. 5). C'est donc avant le bannissement de Mélèce,
dates est inadmissible, seconde souffre des difficultés.
la c'est-à-dire en 370 au plus tard que Jean devint lecteur, et s'il
Acceptant les données de Georges, Baronius croit quele Saint avait alors vingt-quatre ans, comme il est impossible d'en douter,
avait cinquaute-deui ans huit mois quaaJ il mourut, le 14 sep- nous devons placer sa naissance en 346.
tembre 407. C'est pourquoi il le fait iiailre en 355, quelques Celte date elle-même, plus convenable que celle de 347, est
mois plus lard que le grand évêque d'Hippone Au milieu de ces susceptible d'objections. Tillemont le sent si bien, qu'il voudrait
supputation.'; incer(aines, nous avons un point de départ incon- la remplacer par celle de 345 (t. 11, p. 548), et s'il ne s'arrêta
testé : c'est que Jean fut faitévéque de Conslantiuople en pas à cette opinion, c'est par re.^pect pour Hermant. Nous ne
février 398. Or, il n'est pas moins avéré qu'à celte époque il pouvons le suivre jusqiio-là.
avait rempli douze ans le ministère sacerdotal dans sa ville na- Remarquons, en eiïet, avec le P. Stilling, que ce fui avant
tale ;
qu'avant d'être prêtre, il était resté cinq ans diacre, et le départ de Jean pour la solitude, par conséquent avant 375,
qu'avant sa promotion au diaconat, il avait passé six ans dans qu'il fut question de lui pourl'épiscopat, fardeau redouté de sa
les montagnes de Syrie, au milieu des anachorètes qui les peu- modestie, auquel il eut de la peine à se dérober [de Sacerd., 1).
plaient. Donc, en supposant qu'il ne s'écoula aucun intervalle Ceux qui le font naître en 347 sont obligés de dire qu'il avait

I entre son retour du désert et son ordination comme diacre, il


faut placer son départ pour la montagm; au commencement do
alors de vingt-quatre à vingt-sept ans. Or,
Césaiée (en 314) avait défendu d'ordonner prêlre, même le plus
le concile de Néo-

l'année 373 ou à la finde 374. S'il naquit en 355, il n'avait alors digne des hommes, avant trente ans. Comment admettre qu'une
que vingt ans. .Mais ne nous apprend-il pas lui-même {ad vid. assemblée d'évêqnes tienne assez peu compte des lois de l'Eglise,
jun , t. 1, p. 340) que son père était mort deiiuis vingt ans, pour vouloir élever à la plénitude du sacerdoce un jeune homme
quand il commença à étudier sous Libanius? Après des travaux encore éloigné de l'âge canouiquenient exigé pour la piêlrise?
remarquables pour que le maître songeil à lui
littéraires assez Chrysostome devait donc avoir trente ans à cette époque, et
pour en son successeur (Sozom., liv. s,c. 2), après quel-
faire nous voilà ramenés à la date de 344, sagement adoptée par le
ques essais au barreau, il s'éloigna du monde, et, se pUçaut P. Stiltmg.
sous la direction de l'évêque Mélèce, il s'appliqua trois ans On objecte que le Saint, d'après Ini-oême {Hom. in Ad. 38),
durant à l'élude des saints livre.', avant d'é're attaché à l'église étaitun fout Jeune homme {//tstf.iixn-^] quand Valens sévissait à
d'Aulioche comme lecteur. Ainsi, en ne donnant qu'une année Antioche contre les adeptes des sciences occultes, c'est-à-dire
aux travaux httéraircs et au barreau, chose Jiflicile à admettre, en 374. Clirisostome, qui, dans notre supputation, avait alors
il y a quatre ans qui ne peuvent trouver place dans la suppu- trente ans, pouvait-il se traiter de tout jeune homme ? Nous
talinn qui le fait naître en 355. répondrons que, bien des années plus tard , élevé au sacer-
Il est vrai que Pallade {Dial., c. 5) nous le montre quittaut doce, et prêchant pour la première fois dans la métiopole delà
le monde dès dix-huit ans. Mais, outre que ce chiffre ne nous Syrie, il s'appelle lui-même un tout petit jeune homme, un ado-
fait gagner que deux ans quand
il nous en faut quatre, il est cer- lescent (/ïf (/!azi<!xos) ; et le moinsqu'il put avoiralois, dans tous
tain que Pallade se trompe. Jean lui-même nous assure qu'il les cas, c'était trente-cinq à trente-six ans. Il n'y a donc rien à
n'avait pas moins de vingt ans quand il commença de suivre les induire de l'emploi de ce mot, que Jean ne prend pas dans le
leçons de Libanius (Joe. cil.) donc une chose évidente
C'est sens rigoureux, contre la date de 344 à laquelle nous nous atta-
qu'il était âgé de vingt-quatre ans au moins en 375, quand il chons avec le P. Stilting. (Co//ec<. Bo/toirf., t. 4, sept., p. 422,
quiUa la ville pour aller partager au désert la vie des ascètes. D. 101.)
Ceci porte la date de sa naissance en 351.
Mais, dans celte supputation, Chrysostome eût été fait lecteur
en 375 Or, dit avec raison Tillemont, cela ne se peut ; car Page 20, eolonne t, noie 2 (B).
saint Mélèce, banni d'Antioche vers la Gn de 370 ou au com-
incnceraenl de 371, n'a pu y rentrer qu'en 378. On ne peut pas On a fait de savantes dissertations pour savoir si Jean avait
dire que ce fut à son retour de l'exil qu'il a fait Jean lecteur, profession d'avocat. Socrate
réellement exercé la (1. 6,c. 3) et
et qui ne laisserait que deux ans et quelques mois jusqu'à son Sozoraène (1. 8, c 2) disent qu'il se détourna du barreau au mo-
diaconat, quand nous savons qu'il s'en écoula six. On ne peut ment où il se préparait à y entrer. Pour les suivre, il faut dire
pas admettre noo plus c« que rapporte Socrale (liv. 6, c. 3), que rtiomme du aom de Jean, auquel écrit LibaDius , est uo
S24 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

autre que Jean Chrysostome. Il faut aussi tourmenter quelque le disciple dévoué de Mélèce tit béilt4 nn IniUnt entre Flavien
peu les exprcàsious de notre Saiul, quand il parle de son assi- et Paulin.
duité au barreau (de Sacerd., 1. 1, n. 4, t. t, p. 36:t) Voir
la Dote X du 1" livre de la traduction du Sucerdoce, par Gia-
comelli.
Page 2S, eoIonn« 3, note i (F).
( Voir la note précédente).

Page 20, colonne i, noie 5 (C).

Cett« production de Chrysostome n'est connue qne par quel- Page 77, colonne 1, ligne 15 (appel de not» oublU).
ques mots élogieui de Libanius, en sorte qu'on ne sait pas trop
de quels princes il était question dans ce discours. S'agit il de Antioche, pendant son diaconat, que Jean
Selon nous, c'est St

Constantin et de ses enfants? Alors le travail du jeune écrivain


écrivit ses livres à Stagyre. Nous avons suivi Hermant et Mont-
n'étaitqu'un pur exercice littéraire. Veut-on que ce fût un hom-
faucon, qui, eux-mêmes, ont suivi Socrate. (Socr., 1. 6, c. 3 ;
mage à Valenlinien l^'l Jeau dut composer sa déclamation en
Herm., 1. 1, c. 21 ; Montf., op. Chryst.t. l,p. 153). Toutefois,
367, au plus tard. Les jeunes princes loués ne peuvent être, dans
cette opinion n'est pas sans quelques difficultés. « Stagire, dit Til-
celle hypothèse, que Gratien, déclaré Auguste en 367, et Valen-
lemoDl, habitait une ville bien connue de Chrysostome, où il y
linien, dit le Galale, Bis de Valeus, né eu 366 et consul en 369. avait un hépital pour les malades, des bains, et hors la ville un
Mais tout ceci concorde assez mal avec ce que dit Libanius. autre hôpital pour les pauvres. (Chrys. à Stagyr., l. 2, n. 1 et 1. 3,
(VoirTillem., t. 11, p. 549.) n. 13.) 11 est difficile de croire que cette ville soit autre qu'An-
tioche et il n'est pas moins difficile de dire que le Saint fût
;

dans la même ville que Stagyre, puisque la faiblesse de son


corps et un mal de tête l'empêchaient de l'aller voir, en sorte
Page 21, colonne 2, note 2 (D).
qu'il lui était plus facile de composer trois grands livres pour le

consoler ; et parlant de ce qu'il avait appris de son état, il se


'
Àlde Manuce
l'a dit le premier, et on n'a cessé de le redire sans
sert Ondit; /'apprends par le rapport de ceux
de ces termes :
preuves. Moins qu'aucun autre païen, Aristophane devait être
qui viennent delà; ils ont touché ici beaucoup de monde par
goûté de Chrysostome. Comment la licence extrême du comique
ce qu'ils nous ont rapporté de votre état. Est-ce ainsi qu'on
grec aurait-elle plu à un homme qui n'eût pas supporté, dans
parle de ce qui se passe dans la même ville où l'on est? »
sa conversation, un mot s'écartant de la gravité chrétienne 7
(Till. t. 11, p. 555.)
(Pall., c. 19.) On a voulu voir un hémistiche d'Aristophane dans
La première difficulté n'en est pas une. Qu'y a-t-il d'extraor-
une ligne du chap. IV du second livre du Sacerdoce (p. 376,
dinaire à ce qu'une indisposition qui vous laisse la faculté de
t. 1). En admettant le fait, que prouverait-il? Une coïncidence
travailler vous prive de celle de sortir ? Chrysostome dit posi-
de hasard, ou tout au plus une réminiscence involontaire de
tivement que ses soufi'rances l'obligent à garder la maison :
jeunesse. On a allégué aussi la manière dont l'orateur sacré d'An-
oixoi /xEvtiv xxTVJx-/xxiyù\i . Stagyre eût vécu dans le voisinage
tioche attaque les vices et les ridicules de son temps. Autant vau-
de son ami, que celui-ci n'eût pu davantage le visiter (1. 1, c. 1 ).
drait dire que le ciel et la terre n'en font qu'un, que de voir
La deuxième difficulté parait d'abord plus sérieuse. Chryso-
une analogie entre la satire du saint prêtre, sérieuse, austère,
stome, en effet, parle des nouvelles qu'ilreçoit de Stagyre
souriant à peine quelquefois, et les plaisanteries si souvent obs-
comme si elles venaient de loin : Kal -/ùp tûv ixûSi-j ipxof^-
cènes d'un poète qui porte à l'excès toutes les licencesdu
viin àxoiiu. Conclure de la que les deux amis n'habitaient pas la
théâtre. Que Bengélius, Ménage et des critiques plus modernes
aient adopté (Fabric, Biblioth. greec, liv.
même ville, c'est peut-être forcer la conclusion.
2, c. 21, Artaud.
Antioche, en effet, se composait de quatre quartiers, dont
Arisloph.) sans examen l'assertion de Manuce, supposant qu'il
chacun était une ville avec portes et murailles. Que Stagyre ha-
n'avait parlé que sur le témoignage de quelque ancien auteur
bitât un quartier éloigné de celui de Jean, qu'il habitât la cam-
dont il nom, cela peut ne pas étonner. Mais comment com-
tait le
pagne, une villa suburbaine, ce que l'état de sa santé peut par-
prendre Le Vavasseur (rfe ludicrd dict.) quand il se fait
le P.
faitement faire admettre, et le langage de Chrysostome est ex-
l'écho de ces affirmations sans fondement et sans vraisemblance,
pliqué.
et qu'il va jusqu'à dire que Jean avait lu et étudié vingt-huit
Mais sur quoi se fonde-t-on pour affirmer que Stagyre résidait
comédies d'Aristophane, dont il ne nous reste que onze, qu'il
à Antioche ? Nous voyons qu'il avait quitté le désert et établi
tenait les œuvres de ce poète sous le chevet de son lit, et qu'il
sa demeure dans une cité qui possédait des thermes et deux
y avait puisé ce nerf et cette véhémence qu'il déploie dans la
bApitaux.
peintureet la censure des mœurs ? Le P. Le Vavasjeur connais-
Mais à combien de villes de Syrie ce signalement n'était-il pas
sait mieux Atistopbaae qus Chrysostome.
applicable ? Rien n'est donc moins certain que le séjour de Sta-
gyre a Antioche. Au contraire, il est probable que, forcé de
sortirde son monastère, le pauvre malade dût éviter avec soin
la résidence d'Antioche, où son père, auquel il voulait cacher
l
Pofe 25, eolonne 1, note 2 (E).
son étatj pouvait plus facilement en être instruit. Pourquoi, de
sa montagne, ne fùt-il pas descendu à Laodicée, par exemple,
Socrate prétend que Chrysostome évita la commuii»! de«
ou dans toute autre ville voisine de la métropole ? Il suffit que
Mélécieni, sans entrer dans celle de Paulin, et passa
trois ans
cette supposition ne soit pas invraisemblable pour Ater toute
dans une complète abstention. Rieo l'est moins admissible.
base à l'argumentation de Tillemont. Nous maintenons donc
Comment admettre, eu effet, qu'on homme de la ferveur de
avec Hermant et Montfaucon le dire de Socrate : que les Unes
Chrysostome, attaché en qualité de diacre au service des autels,
de Stagyre ont été écrits à Antioche, pendant le diaconat de
soit resté si longtemps sans participer à aucun sacrement,
Chrysostome.
vivant comme s'il n'y avait point eu d'église au monde 7
(Till., DOt. 11, p. 555.) Socrate, dans ce chapitre, en-
13, t.

tasse bévue sur bévue. N'est-ii pas absurde d'affirmer (Soc. 1. 6,


c. 3) qus Jean a été ordonné prêtre par Evagre, succestenr de
Page 84, eolonne 2, note i (l).

Paulin ? D'abord Paulin vivait encore en 386, époque de l'or-


dination de Jean, et, de plus, nous avons le discours que Jean Tillemont et le P. Montfaucon ont pensé, non sans rraisem-
prononça le jour de son ordination, en présence même de Fla- blance, que les neuf empereurs indiqués ici sont : Constantin te
vieo, «t k ea louange. Ce discours ne permet pas de croire que Grand, ses trois fils Coataatin, Constance et Constant, puis 1«
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 525

césar Galliis, Julien, Jo^ien, Valenlinien 1" et Valons. Conslant Page 92, co(o;me 2, ligne 39 [appel de note oublié).
fui mis à mort par Magnence ; Gallus, par ordre Je dinslance,
qui l'avait élevé à la pourpre ; Jovieii, par ses gariles, accusés Le docteur Ilermant voit, dans ce travail, une homélie prêchéo
par la rumeur du leinps et par quelques historiens d'avoir em- à Antioche, vers 386. Cette opinion, peu méditée, a contre elle
poisonné leur maître. Julien, Conslant, Valens péiircnl à la Baronius, Dupin, Tillemont (t. 11, not. 15), Montfaucon {Chrys.,
guerre, et mort de Valentinien pourrait passer, i la ri'.'ueur,
la t. '2, p. 510), et le P. Stilling (Boll., t. 4, sept., p. 440). La
pour une mort violente. Dans celle opinion, le livre de Jean i longueur de cette pièce indiipie assez qu'elle n'a pas été prèchée
une jeune veuve aurait été écrit en 382, avant la mort de Gra- et n'a pu l'être Jean dit positivement (n. t4), qu'i/ écrit pour
tieo, et les deni impératrices régnantes seraient Conslancia, la des témoins vivants. Il est vrai qu'en plusieurs endroits il parla
femme de celui-ci, et Flacilla, la femme de Tliéodose. Il est en orateur plutôt qu'en écrivain. Mais c'était son faire habituel,
Trai que l'écrivain parle Je neuf empereurs ai/(in( vécu de son et on n'en peut rien induire, surtout devant son aflinnation pré-

temps, et que Constantin était mort avant :ilV, époque présu- cise : -/poitu. D'ailleurs, ni le ton général du livre ni les phrases
mée de la naissance de noire Saint. Pour que l'ohiection fut sé- finales n'annoncent une homélie. Jean dit (n. 21) qu'il s'était

rieuse, il faudrait prendre les paroles de Cbrysostome dans un écoulé vingt ans depuis Julien et l'incendie du temple d'Apollon
sens très-rigoureui. à Daphné. Sans prendre ce nombre de vingt ans d'une maniera
Une autre opinion veut que le livre en question ait été écrit rigouroiisp, car en fait de nombres, Chrysostome se pique peu
en 38k on après. Par conséquent, les neuf empereurs auxqupis d'exactitude, ce serait faire fausse route que de ne pas tenir
il est fait allusion, seraient : Constance, Constantin et Constant compte d'une pareille donnée. Or, l'empereur apostat était k
ses frères ; Gallus, Julien, Jovieii, Valinlmieii I", Valens et Antioche en 362 c'est donc de 382 à 384 que le saint docleut
:

Grallen qui tous, Constance et Valentinien ejccplé?, ont péri aurait écrit son livre sur Bubylas contre let Gentili,
;

de mort violente deux impératrices seraient Flacilla, la


; les :

première femme de Théodose,


et Justine, mère Je Valenlinien II.
Mais d'abord, il semble que l'expression de l'écrivain, en par-
lant des deux impératrices, ne puisse s'appliquer qu'à deux
Page 97, colonne 2, ligne S [*ppel de note oublié).
épouses d'empereur (juvoixîi/aûv); ensuite, il dit assez clairement
qu'à l'époque où il écrit, les Gotlis étaieut menaçants et inso-
Pallade nous apprend que Jean, ordonné prêtre par Flavien,
lents, ce qui ne peut se rapporter qu'aux premiers temps de
brilla douzeansdans l'Eglise d'Antiocbe (Dial., c. 5). Or, d'autre
Théodose.
part nous savons qu'il fut fait évêque en février 393. Sa promo-
com-
L'opinion qui recule jusqu'à l'épiscopat de notre Saint
positioa de ce Uvre, nous parait insoutenable.
la
tion i la prêtrise remonte donc au commencement de 386. Il —
est certain, en outre, d'après ses propres paroles ( Cbrys.,
Hom. 16, au peuple (fjln^.) qu'il était dans la deuxième année
de ses prédications quand éclata la sédition d'Antiocbe, en mars
Page 86, colonne 2, ligne 11 [appel de note oublié). ou avril 387. Donc, encore, il a été ordonné prêtre dans les
premiers mois de 386, car il n'a jamais prêché qu'étant prêtre.
La suscription, la même dans tous les exemplaires, ne laisse — Celle date esladoptée par Baronius,Tillemout,Montfaucon,etc.
point de doute à cet égard. Il est vrai que les conseils renfermés Blondel et Hermant, qui préfèrent celle de 385, ont fait un calcul
dans ce livre s'appliquent d'une manière générale à toutes les fautif. Jean ordonné diacre par Mélèce en 381, passa cinq ans
veuves chrétiennts ; cela n'empêche pas que l'auteur ne les ail (Pall., id) dans le diaconat et douze dans la prêtrise, avant
écrits pour une d'elles en particulier. De ce que l'ouvragi; finit 398 ce qui nous ramène toujours
d'être appelé à l'épiscopat en :

par l'espèce de doxolngie qui termine habituellement les discours à l'année 38G, et aux premiers mois de cette année, d'autant

de Chrysostome, on a conclu que c'était une homélie pluliSt plus que nous avons des homélies prèchéespar lui au début du
qu'un livre ; mais cette doxolotiie n'existe pas dans tous les carême de 386 (t. 4, p. 644).
exemplaires, et peut n'être que l'addition d'un copiste, (jénéra-
lement, le ton de ce travail n'est pas celui d'une homélie, et ce
ton-la se monlrât-il dans un ou deux passages, on ne pourrait
rien en induire; car le Saint, en donnant au public cette lettre,
même
Page 105, fin du chapitre n [appel de note oublié).
a pu la retoucher et la remanier. On sait d'ailleurs que,
la plume à la main, Cbrysostume est toujours orateur.
Il parait qu'à Antioche il n'y avait guère qu'une assemblée pu-
blique en un même jour, tanISt dans une église et tantôt en
l'autre ; d'où vient, dit Tillemont (t. 11, p. 34), que saint Chry-
Page 87, colonne 22 [appel de note oublié.) sostome avait jusqu'à cent mille auditeurs. Mais le passage sur
2, ligne
lequel le docte critique appuie son observation ne la justifie pas
C'estropiniondeDupin(Bibl. eccl.,5osiècle,2«parl.,p.ll2), [Hom. 86, in Matth, t. 1, p. 810). Quant aux cent mille audi-
d'Hermant ( I. 2, c. 6 ), de Monfaucon ( in miniit. op., t. 1, teurs, inutile d'en démontrer l'impossibilité. « Par la grâce de
p. 267, et 13, p. 98), du P. Stilling (Boll., 4, sept., p. 437).
t. Dieu, dit Chrysostome, je pense que nombre de ceux qui se
le

Tillemont a objecté (not. 46, t. Il, p. 580) que Jean, dans ce réunissent ici peut s'élever à cent mille» :Tf tou ejoû x^'p"'
livre, prend un ton d'autorité (Chrys., t. l,rfe Virg., n. 9) qui iii ôty.x fjupici.^u-j dpi9/j.bv oT/xat tous ivT«u5a utjvayo/xs^^ovi
ne convient qu'à un évêque; d'où il conclut, contrairement à la TiJisiv .... Ce qui veut dire seulement qu'il y avait cent mille
déclaration formelle du Saint lui-même, qu'il l'a écrit à Conslan- Chrétiens dans la capitale de la Syrie.

tinople pendant son épiscopat. Mais, outre que dans le passage


allégné Jean fait parler saint Paul, on sait que, même à Antioche,
simple prêtre, avait l'habitude de s'exprimer eu homme in-
il

vesti par Flaviende tont pouvoir sur son troupeau, jusqu'à me-
Page 217, colonne 2, noM 9.
nacer d'exclure des saints mystères de l'église ceux qui refu-
saient d'obtempérer à tes avis. (Cbrys., t. 4, p. 42-768, et alib.
Celte homélie, que l'objection des Pélagiens a rendue célébré,
paitim.)
est intitulée Homélie aux Néophytes ou nouveaux baptisée.
Nous ne l'avons plus, au moins dans la langue origiuale; ce qui
nous en reste en grec a été donné par saint Augustin (t. 10,
p. 510). Tillemont semble croire que celte homélie eslaulhen-
lique (Tillemont, t. 11, p ?9.")). Beaucoup de critiques la rejet-
teui, à boa droit, comme apocryphe. ( Voir Tournoly, de peççal-,
326 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

pari. 2, c. 1, t. 3, p. 620. —
Cler. de Belliber , tract, de grat., Page 245, colonne 2, note 5.
secl. 1, 1. 2, art. 2, coUect. Migne, t. 10, p. 681.)
Nous suivons le P. Stilling. Photius incline à penser que ces
homélies ont été prêchées à Conslantinople ; un examen plus
attentif l'eût convaincu du contraire. Le commentaire de la Ge-

Page 22S, colonne 2, note 1. nèse a été sans aucun doute prononcé et publié à Anliocbe
(Chrys., t. 4, prœfat., § l.)Tillemont en mettrait volontiers la
On trouve dans plusieurs cours de théologie ce passage fort date en 395 ou 396 (Tillemont, t. H, p. 572). Monlfaucon vou-
eiplicile sur la coufessicn, cité comme étaut de Chrysoslome : drait une année plus rapprochée de 387. Le P. Stilling adopte
a Celui qui n'ayant pas rougi de pécher devant Dieu, rougit de avec raison l'année 388.
découvrir il l'homme son péché et de le confesser, sera traduit

au jour du jugement, non devant un ou deux témoins, mais en


présence de tout l'univers ». —
L'homélie d'où ce passage est
extrait est apocryphe. (Chrys., t. 8, inter spuria, p. 60, m Page 245, colonne 2, note 6.
Samarilanam.)
A propos du célèbre passage où il est dit (Genès., c. 6)que
les fi/s de Dieu épousèrent les filles des hommes, Chryso-
slome repousse vivement l'opinion qui veut voir des anges dans
Page 227, colonne î, note 5. ceux que l'Ecriture appelle ici fils de Dieu (Chrys., t. 4. p. 195).
On a prétendu qu'il était d'un avis contraire dans un discours
Dans l'explication du psaume 41, Cbrysostome s'écrie en par- sur la mort de saint Joan-Baptiste, discours où il est dit : ila
lant de David : « Vois cet homme plein d'ardeur, cet homme yuvxiy.hç TQui d-/-/s7ouî (3u^avô9ev xccréSake. Mais celte œuvre
enflammé. Sachant qu'en sortant de celte vie il verra Dieu, il pitoyable est apocryphe (Chrys. t. 9, inter spuria, p. 1 et 2).
s'impatiente de ce délai, il ne peut le souffrir et il dit : Mon Ce que dit le saint orateur de la conduite d'Abraham en Egypte,
âme Dieu jort ; quand vieyxdrai-je ?
altérée s'élunce vers te quand il s'agit de Sara, a donné lieu à un reproche absurde
quand parnilrai'je devant la face de Dieu 7 » (Chrys., sur le (Barbeyr., Mor. des Pères, c. 14). Il suffit de lire sans parti
psat. 41, n. 6.) pris l'homélie entière, pour voir, à travers quelques expressions
C'est donc à tort qu'on fait dire à Chrysoslome que le bon- malheureuses, que Chrysoslome n'a voulu louer dans le patriar-

heur des élus sera différé jusqu'à la fin des temps. Les témoi- che que la pureté de ses intentions et sa confiance en Dieu
gnages que nous avons produits et que nous pourrions multi- (Chrys. t. 4, p. 324 et suiv).
plier sont tellement clairs et formels, qu'ils nous autorisent à
entendre, et de la béatitude consommée qui se répandra à la
fois sur l'Eglise entière, et de la résurrection, ce passage de la
28" homélie sur l'épUre aux Hébreux : « Représentez-vous Page 247, colonne 1, note 4.
Abraham et l'apôtre Paul attendant la consommation de votre
bonheur pour recevoir alors leur pleine récompense, car le Sau- Incontestablement les homélies sur saint Matthieu furent prê-
veur leur a dit qu'ils ne l'auraient pas, sans que nous ne soyons chées à Anliocbe, puisque l'orateur y félicite son auditoire d'ap-
là pour l'avoir avec eux comme un père dit à ses enfants, qui
;
partenir à la ville privilégiée où le Christianisme a pris son nom
ont leur travail, qu'ils ne se mettront pas à table avant que
fini
H6),
(Chrys., t. 7, p. y parle à plusieurs reprises des
et qu'il
leurs frères ne soient venus. Et loi, lu t'affliges de n'avoir pas merveilles d'ascétisme dont montagnes voisines étaient le
les
encore touché ton salaire! Que fera donc Abel, qui a vaincu théâtre, chose qu'il n'eût pu dire à Conslantinople. Nul doute,
avant nous et n'a pas reçu la couronne? Que fera Noé, qui a d'ailleurs, que le commentaire de saint Matthieu n'ait précédé
vécu dans ces temps lointains et qui t'attend, toi, et ceux qui celui de la première épitre aux Corinthiens, qui porte évidem-
viendront après toi?... Dieu a délerminé une époque où nous ment la date d'Anlioche et dans lequel il cite lui-même ses ho-
serons tous couronnés ensemble. Admire sa sollicitude et sa mélies sur l'Evangile comme étant d'une lecture familière à ses
bonté.... L'Apôlre ne dit pas {ad Hebr., c. U, v. 40) : Afin auditeurs (Chrys., t. 10, p. 242). On objecte contre cette opi-
qu'ils ne fussent pas couronnés sans nous, mais afin qu'ils ne nion langage impératif pris quelquefois par l'orateur, langage
le
reçussent pas avant nous la cnnsommation de leur bonheur. qui ne semble convenable que dans la bouche d'un évêqne (Chrys.,
Dieu ne leur fait aucun tort et il nous fait un grand honneur. t. 7, p. 789). Mais il est digne de remarque que Jean prend le
Ils nous attendent sans impatience comme des frères. Si nous même ton d'autorité dans plusieurs autres discours que, de l'aveu
ne sommes tous qu'un seul corps, il y a pour ce corps plus de de tous il avait prononcés avant son élévation à l'épiscopat
plaisir à être couronné tout entier que par parties ». (Chrys., (Chrys., t. 2, p. 213). Ce ton qui, du reste, lui est habituel,
Hom, 28, tur i'Epit.aux Hibr , n. 1.) s'explique facilement par la confiance absolue de Flavien dont
il avait les pleins pouvoirs.

Pag. 228, colonne 1, note 3.


Page 247, colonne 2, note 1.
Sixte de Sienne {Bibl. sanct.,I. 6, annot. 311) croit que

les paroles de saint Chrysoslome doivent s'entendre, non des Nul douté que ce beau commentaire n'ait été composé à An-
prières particulières, mais des prières publiques et solennelles, tioche. Jeany parle d'un pasteur auquel l'orateur est soumis aussi
c'est-à-dire du chant des psaumes, du sacrifice de la messe, qui bien que l'audiloire (Hom. 8, t. 9. p. 508), el de la maison que
accompagnaient d'ordinaire les funérailles des Chrétiens ; et il saint Paul avait habitée, où il avait prêché, et qui, debout en-
dit qu'il était défendu alors de faire pour les catéchumènes de core, s'ouvrait à de nombreux visiteurs {Hom. 30, 1. 9, p. 743).
telles prières, en haine et en punition de l'insouciance qui en
portait plusieurs à différer leur baptême jusqu'au dernier mo-
ment de leur vie >. (Emery, Dissert. sur.... etc., § 2.)
Page 218, colonne 1, nolei.

La préface des homélies sur la 1" épitre ans Corinthiens ren-


ferme, en fait de citations scripturales, des erreurs indignes de
Chrysoslome ; ce qui a porté des critiques éclairés à la regarder
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 527

apocryphe (Tillfoi ,t. tt, p. 312, not. 31.


coffloie Monfauc, — Page 371, colonne % note 1.
in monil.,i. 10, §1). Le P. Slilting croil qu'elle a été ioler-
polée paraa éil:t«ur igaoraal (Stilt., n. 453).
Tillemonl qui s'est trompé en plaçant le voyage de Chryso-
stome en Asie dans l'année 401, se trompe encore en disant que
ce fut Séverien, en l'absence de Jean, qui baptisa le jeune Tliéo-
dosc. 11 est vrai qu'il citeletémoignaged'Adon{Chron., p. 157),
Page 3i8, colonne i, note 3. mais Adon n'appuie son assertion d'aucune preuve. Comment
concilier cela avec ce que dit Cliiysoslome ailleurs (t. 3, Hu7n.
A propos de la répréhension de saint Pierre par saint Paul, post. red.], qu'il a baptisé les enfanis d'Arcadius? Théophane
Chrysostome adopte l'opiuion d'Origène, de DiJyme et d'autres et Cosme assurent positivement que le baplême du
le Vestiaire
anciens interprilcs, savoir : iiue tout cela s'était fait entre les jeune prince fut administré par l'évêque Jean, et il ne pouvait
deui apitres, par une feinte pieuse et concertée entre eux, pour en être autrement était à
s'il Constanlinople. Or, il est impossible
guérir les Juifs trop opiniâtrement attachés à leurs cérémonies de placervoyage de Chrysosloine au-delà de l'hiver de
le
(Chrys., t. 10, p. B8C, 688. — Voir aussi t. 3, p. 362). Saint l'année 400. En dehors des raisons déjà données, le diacre de
Jérdoie se range de cet avis dans son commentaire sur l'épltre Porphyre nous apprend que son évêque et lui visitaient tous les
aux Calâtes (S. Hier., t. 4, p. 213), et s'appuie, contre saint jours le saint prélat pendant leur séjour dans la ville impériale ;
Augustin qui le combat, de l'autorité d'Origène et de Chryso- il ne dit pas unmotdeSeverien.il constant,
est d'ailleurs,
stome tS. Hier., ep. ^i ad August., t. 4, ait. part., p. 619 qu'alors Chrysostome était très-mal avec la cour et n'avait aucune
et 62f,\: relation avec elle au contraire, à l'époque de son voyage en
;

Asie et au relourde ce voyage, la cour intervient auprès du pon-

tife pour le réconcilier avec son collègue. Tillemonl, par suite


de la même
erreurde calcul, fait naître Théodose en janvier 401,
Page 2S7, colonne i, note 2. à dix mois à peine de ilale de la naissance de sa sœur Arcadia;
taiiilisqne Socrate, la chronique J'Alexamiiie, ce'le de Marcelliii
Les Grecs, dans leurs menées, placent au 15 décembre l'élec- et Théodore le Lecteur le font nailre le 10 avril (Socr., I. 6,
liOD ou le sacre de Chrysostome [iy.sipoTo^r.eii). L'épitome pu- c. 6. —
Théod , lect., p. 568, 1. 2. — Voir Stilting,
§ 50,
blié par Bigot (Chrysost , 1. 13, p. 90J donne au même événe- p. 552, et Tillem., Note sur 3. Chrys., t. 11, p, 584. et Notes
ment la date du 25 décembre. sur S. Porph , t. 10).

Mais 1» il y a erreur dans l'épitome, car le 25 décembre 397


tombait, non dans KindictioD 4, mais dans l'indiction )i. —
2» Les menées, dit Tillemonl, se détruisent de leur coté par une
faute visible. Elles disent que Chrysostome commença le 15 à cé- Page 384, colonne 2, note 1.
lébrer la Sauveur et la continua jusqu'au 25, d'après
nativité du
ce qu'il avait appris depuis peu de quelques Occidenlaux venus à Ce rapporté par George d'Alexandrie et par fempereui
fait,
Conslaiilinople, et qu'il en Gt un fort beau discours pour endonner Léon, adopté par Baronius {ad ann. 401, § 56-61) et par
est
la raison. Or, ce discours n'a pas suivi l'ordination de Jean ; il a le Bréviaire Romain (27 januar.) 11 nous semble impossible de
été incontestablement prononcé à Anlioche (Tillem., 1. 11, note ne pas l'admettre, du moins en substance.
43, p. 579. — Chrys., t. 2, p. 352).
Il vrai qu'Herraant le rejette {Vie de S. Chrys.., !. 4,
est
Socrate, quoiqu'il ne mérite pas toujours une entière confiance, c. que Tilleraont n'y croit guère (Tillem., t. 11, p. 180 et
12),
est ici plus digne de foi. 11 était contemporain et avait été peut- 590} et que Monlfaucon le mentionne à peine (FiV. Sti., 1. 13.
être témoin de l'ordination de Jean. 11 en fiie la date au 26 fé- — C.lirys., p. 142) Cependant, pour en infirmer la véri:é, on
George d'Alexandrie ( c. 20), Baronins
vrier 398. (L. 6, c. 2). n'allègue que deux choses : 1° le silence de Pallade et des con-
adann. 398,§ 81), Tillemont, Hermant, Montfaucon et Stiiling temporains ; 2» les circonstances étranges ou merveilleuses qui
ODt suivi Socrate. l'entourent.

Le P. Pagi a élevé une difficulté. Le 27 février 398 était un Mais d'abiird, Tillemonl lui-même reconnaît que le silence de
vendredi, et l'ordination d'un évêque ne pouvait avoir lien qu'un Pal'ade n'est pas un argument à faire valoir contre ce récit.
dimanche. En conséquence, pour accorder Socrate et les menées, Pallade, en effet, n'a pas dit tout ce qu'il savait, tout ce qu'il
ilsuppose que l'ordination et la prise de possession ont eu lieu à eùl pu dire de S. Chrysostome, et il est visilde surtout qu'il
des jours différents la première, le 15 décembre ; la seconde,
:
épargne benucoup Eudoxie (ï\\\imoa\., ibid.). Admirateur sin-
le 6 février. Mais d'abord, il n'est pis démontré qu'il n'y ait cère et ardent du grand pontife, il était aussi très-dévoué aux
jamais à celte époque aucune consécration épiscopale en de- enfants d'Arcadius ; et, pour ménager la mémoire de leur mère,
hors do dimanche ; en second lieu, les menées uous repré- il rejette volontiers tous les torts sur les évéques. (Néander,
sentent Chrysostome occupant la chaire de Constanlinople et Chrys., 2° part., p. 115, note.) Socrate et Sotomène taisent
exerçant son ministère de Pasteur dès le 15 décembre ; également une foule de choses qui nous eussent intéressés. Sous
enfin il faut torturer la phrase de Socrate pour en que la
tirer l'influence du même sentiment, ces deux historiens s'imposent
consécration et l'intronisation n'ont pas eu lieu le même jour. la même réserve que l'auteur du Di'il'gue. L'un deux, Sozo-

Comment admettre qu'élu on consacré le 15 décembre, Jean soit mène, n'a-t-il pas dédié son livre à Théodose 11 ? Théodoret,
resté sans prendre les rênes de son Eglise jusqu'au 28 février, qui professe un culte d'admiration pour saint Chrysostome, nous
lorsque tout lui faisait un devoir pressant de se dévouer sans délai à dit ingénument: o U ne m'est pas aisé de représenter avec
la sainte mission que le Ciel venait de lui confier? La distinclion du me trouve en cet endroit de mon bisloiie j
exactitude l'état où je
P. Pagi entre l'élection on la consécration et la prise de posses- car, lorsque j'entreprends d'écrire les injustices que ce grand
iiOD n'est donc pas justifiée, et il faut dire avec Socrate que Jean, homme a so .ffertes.je suis retenu par le respect que je dois à
tyaat été coaucré évêque, fot intronisé le 26 février. ceux qui ont commis ces injuslices; c'est ce qui m'obligera de
passer leur nom sous silence ». (Théod., 1.5, c. 3i.) S'il glissait
Bur les noms, l'évêque de Cyr glissait plus rapidement encore
sur les faits. Sa discrétion est la même, qu'U s'agisse de la cour
ou de ses collègues.
reste, il est faux qu'aucun des contemporains n'ait parlé da
Dn
faiten question. Marc, diacre et disciple de saint Porphyre da
Gaza, à qui nous devon» un»; eicelleute biographie de sonévêijue,
S28 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

raconte ce qui luit : « Arrivét à Constaotinople, nous eiposimes Chrysostome lui-même n'a-t-il pas célébri le emnii de saint
i Jean l'objetde noire voyage, et nous le priâmes d'intervenir Babylas, arrêtant aux portes de l'église et séque^iruot du corps
en notre faveur. Il se souvint que nous lui avions fait la même des fidèles l'empereur Philippe 7 N'a-t-il pas écrit à cette occa-
demande par lettres, et ni'ayant reconnu,
m'embrassa avec il sion ces remarquables paroles : « Par là, le saint Pontife appre-
bonté. Puis, il nous exhorta à compter sur la miséricorde de nait à tous qiiu dans l'Eglise de Jésus-Christ, quand il s'agit de
Dieu, et ajouta : Je ne puis parler à l'empereur, car l'inipé punition et de correction, les plus grands ne sont pas au-dessus
ralrice l'a irrité contre moi, à cause des reprodies que j'ai des plus |ietits,... et que le prêtre doit su laisser dépouiller de
M lui faire pour s'être emparée d'une terre gui luip/aisail et la vie plutôt que de renoncer au pouvoir qu'il tient de Dieul »
qu'elle a usurpéen. (Marc Porph., apuil Bollam!.,, m Vit. S. (Chrys , de S. Babyl., t. 2, p. 651.)
t.3, februar., p. 651.) Qu'importe que la veuve de Tliéognoste
Mais un fait de cette nature, dit-on, aurait en du retentisse-
ne soit pas nommée ici î Evidemment, il s'agit du même tait que
ment, et toutefois ni Socrate ni Sozomène n'en disent mot.
George rapporte, en le brodant peut-être, et auquel on a tort
Nous aimons à le répéter, le silence de ces historiens serait plus
d'opposer comme une fin de non-recevoir le silence des con-
significatif, si nous ne savions que le désir ou le besoin de plaire
temporains. Tillemont ajoule, avec raison : « Ce que Zosioie
à la cour eni-haliiaienl leurs plumes. Un sentiment de ce genre a
nous ditdu génie et du gouvernement d'Eudoxie revient assez
fait supprimer des fragments de discours, peut-être des discours
i ces histoires, et je ne vois point que les autres auteurs y
entiers de Chrysostome. Sans doute, le double miracle qui com-
soient contraires, puisque la bassesse et la fierté, la prodigalité
plète les récits de George et de pour garant que ces Léon n'a
et l'avarice, s'accordent fort bien dans le cœur corrompu des
narrateurs, et rien n'oblige à l'admettre. Serait-ce une raison
hommes, et surtout desgrands». (Tillem., ibid., p. 590 )
pour rejeter un fait qu'ils ont peut-être brodé, amplifié, mais
Quant aux circonstances mêlées au récit de George et de qu'ils n'ont pas inventé, et qui, seul, explique le récit de Marc,
Léon, on peut ne pas les admettre, sans que lenr négation les paroles de Proclus [orat., p. 2t) et la colère d'Eudoxie, dont
entraîne la négation du fait principal qui constilue le fond de la subite et violente explosion ne serait pas sans cela snfBsam-
leur récit et qui d'ailleurs est suflisamnient attesté pour être ment motivée.
cru. Existait-il réellement une loi d'après laquelle l'empereur et
« George d'Alexandrie, dit Néander, est un écivain peu digne
la femme qui partageait son trône n'avait qu'à mettre le pied sur
de ne voudrais pas raconter après lui ce qu'il dit de»
foi, et je
nne pour que celte terre leur appar-
terre, i en goûter les fruits,
contestations entre Chrysostome et l'impératrice. Pourlant,
tint, moyennant indemnité? «J'avoue, dit Tillemont (lAid), que
comme le récit de Marc, dans la biographie de l'évêque de Gaza,
je n'ai encone rien vu de celle loi tyrannique, ni qu'elle ait jamais
s'accorde avec ce qu'il dit de la vigne sur la montage arrachée
élé pratiquée ». Qu'il nous soil permis de le dire, le docle écri-
à la veuve de Théognoste, il pourrait y avoir quelque chose de
vain oublie le grand principe sur lequel reposait l'admiuistralion
vrai dans tout cela, quoique nous ne puissions déterminer jus-
romaine le territoire de l'empire appartient
: à l'empereur. Si
qu'où va le vrai.... Les raisons alléguées contre ce récit, ajonte-
donc la disposition législalive mentionnée tout à l'heure n'était
t-il, prouvent sans doute que tout n'y est pas vrai, mais non
point écrite dans les codes, elle certainement dans l'esprit
l'était
qu'il n'y a rien de vrai au fond de la narration ». (Néand. Chrys.,
des agents et surtout des adulateurs du pouvoir. Les juriscon-
2" part. p. 115. Note.)
sultes d'Eudoxie, moins timides et plus logiques peut-être que
d'autres, pouvaient affirmer à la rapace princesse qu'elle pouvait Ne monlre-t-on pas vis-à-vis de Constantinople le champ cé-
partout satisfaire sa royale avidité, conlcnler ses augustes ca- lèbre de la veuve, au fond de l'anse où fut poussé par un coup
prices, sans édicler de loi nouvelle, au moyen de la loi consti- de venl, le 27 janvier 438, la trirème impériale qui rapportait
tutionnelle de l'Etat. Toutes les époques ont eu des Jézabelet les bénis de l'illustre exilé (Nicéph., 1. 14, c. 41), à
restes
de» Achab ;
pourquoi le Bas-Empire en eùt-il manqué ? quelques pas de la Fontaine de Saint Chrysostome et du lau-
rier qui l'ombrage ? Ces indications, il est vrai, ne reposent que
« Que si celle loi était véritable et un usage ordinaire, ajoute
sur des traditions ; mais ces traditions sont très-anciennes, et, à
Tillemont {ibid.), saint Chrysostome pouvaii-il exiger avec jus-
notre avis, elles méritent un grand respect.
tice qu'Eudoxie, devenue maîtresse par cette voie de la terre
de Théognoste, la rendit à sa veuve, sans vouloir écouter les Quant à la lettre de l'évêque à l'impératrice, oa la trouve
offres qu'on lui faisait de payer en argent ou en échange ? »
la dans Galland (Bibl. veter. Patr., t. 8, p. 244.) Bandini l'avait
(Tillemont, ibid.) Ici, ce nous semble, le savant fait bon mar- déjà donnée dans \esMonuments anciens de l'Eglise grecque
ché du propriétaire. Les lois ont consacré l'expropriation pour (t. 2). Bongiovani, qui l'édile le premier, d'après un manuscril

cause d'utilité publique. Mais quelle est donc la loi qui a fait de de saint Marc, à Venise, la juge très-belle et digne de l'élo-

la fantaisie d'une femme une utilité publique 1 Depuis quand quence du saint Pontife. {Mem. persevire all'istor letere,t . I,

est-il juste, est-il lolérable que le prince qui décrète part. 3, p. 66.) « Je ne vois rien, dit le savant annotateur de
l'utilité,
qui exécute l'expropriation, puisse fixer, lui aussi, et à son profit D. Ceillier, qui eaipêche d'adhérer à ce jugement (t. 7, p. "/52).
personnel, sans intervention des
tribunaux et d'une m«nière Cependant, Fesseler la regarde au moins comme douteuse ».
souveraine, le taux de l'indemnilé qui doit rendre taisant celui (Fessel., Inst. Patrol., t. 2, p. 116.) <i Cette lettre, écrit
qu'on dépouille ? La veuve infortunée dont la cour venait de Néander, a bien le ton de Chrysostome. On y voit, il est vrai,
tuer le mari, à qui elle voulait ravir un chélif et dernier débris beaucoup de pensées qui se trouvent dans ses autres écrits ; ce
de fortude, avait donc raison de crier à la spoliation, à la ty- qui pourrait inspirer le soupçon qu'elle a été composée par an
rannie ;
et Chrysostome, invoqué comme pasleur, comme pro- lecteur zélé de Chrysostome. Mais comme, d'un autre côté,
tecteur naturel des opprimés et des malheureux, n'eût pas élé Chrysostome se répète souvent, ceci ne serait point une preuve
digne de lui-même s'il eût refusé son aide à la victime qui de non-authenticité, et pour être une compilation, cela n'etl pas
l'implorait, s'il n'eût pas prolesté de toutes les forces de sa possible : la couleur est trop vive >>. (Néand., Ibid.)
conscience , avec toule
du sacerdoce, contre nne
l'aulorilé
iniquité qui, couverte ou non d'un sophisme légal, ne rap-
pelait que trop le brigandage de Jézabel et l'immolation de
Naboth.

Qu'il ait fermé les portes du saint lieu k l'auguste spoliatrice,


Page 384, colonne 2, not* i.

qu'y a-t-il là La bru de Théodose


d'étrange et d'invraisemblable 7
en imposait-elle plus à un ministre de Jésus-Christ que Théodose A propos de ce Paulacius, George et Léon rappnrirnt qua
lui-même? Synésius, le célèbre évêque de Ptoléraaïs, après Chrysostome, intervenant directement entre la Teuve Callitrope
avoir frappé d'excommunication Andronicus, le gouverneur ou et son débiteur de mauvaise foi, fit enfermer celui-ci dans une
plutôt le tyran de la Pentapole, n'ordonna-t-il pas qu'on lui fermât prison attenant à la demeure épiscopale. Eudoxie courroucée
)uul«s les églises (Je la province? (Robrbactier, t. 7, p. 483.) envoya, disent-ils, pour arracher des mains de l'évSque le cou-
PIÈCES JUSTIFICATIVES. S'29

^te {ouvtriMar de \'B«ypl«, une Iroapt d'homines irnés ; el que Théophile ou enfin se montrer après iroir donné bien
mis c(QX-ci, au momenl d'accomplir leur mission, iperçurent de l'argent au préfet el i beaucoup d'autres, etc.... Telle quo
deui iiiges qui, l'épée i la mûa avec des regards épouian-
cl soit cette histoire, il nous suffit qu'on ne la trouve point
dans
lab'cs, Its riroèrcDt i reculer. ïaisij de lerreiir, ils retournèreat les auteurs
originaux, et que ceux qui la rapportent mcsient
vers la princesse, que leur récit Ul trembler i son tour et qui souvent vray el le faux dans leurs narrations. Mais, outre
le

M déciJi i resliiuer la somme injusteineot perçue. Sur quoi cela, puisque l'oslhumien dit que les solitaires dispersés
par la
TillemoQt fait la réfleiion suivante : Baroni'is vent qu'on re- 'erreur du préfet ne pouvoient s'arresler nulle part à cause des
arque beaucoup dans celle histoire que saint Chrysostome édils qu'on donnoit contre eux, propositis edictis, il
y a toute
ivail une prison dan; la maison é|>i>cnpale, et le droit d'y re- apparence que ce gouverneur, engagé une fois dans cette affaire,
hoir les personnes, même de la première qualité, malgré les ou par la séduction ou par les mensonges de Théophile, se fit
ordres précis et réitérés d'une impératrice, pour les obliger de un malheureux point d'hiuineur de persévérer d.tns son péché »•
paver leurs dettes. Mais c'est ce fjit mè ne qui nous rendra (Tillem., l. u, p. 633, n. 9 sur Théophile.)
toujours l'hislcire suspecte, jusqu'!) ce qu'on nous l'ait justiSé
par des preuves cijires et aulhenliques. L'ange qui parait l'épée
i la main contre les soldats qui venaient par ordre d'Eudoiia
tirer Paulacios des mains du Saint, ce peut qu'augmenter notre
loup.- Il ,.. (Tillem., l. 11, p 59i. Herm., p. 291, 2a9.) — Pagt il 1, colonne 2, nof* !
• I 1 .<iiiire de Théodoric, ajoute Tillemont, recevrnil moins
de difti. ullé si elle estoit sulîisamment autorisée II n'est pas A la li'lo des accusations for:r niées par Photius (Chrys., 1. 13,
Bianmoius aise de croire que sai'it Chrysostome lui ait laissé p. 280), nous avons ajouté celle-ci : d'avoir livré Eutrope,
donner presque tons ses oiens i l'Ëglise, après avoir empêché patrice, premier minisire de l'empereur, nupréfet Porphyre
l'impératrice de lui en oster une partie. C'esloit donner trop pour être banni. En cela, nous avons suivi Herinant (I. .5, c. 8).
de lien la plainte que tit Endoiie, qu'il ne les lui avoit con-
il Mais Herinant, qui traduit l'hoiius et place ce chef d'accusation
serves que pour en profiter lui-mesme sous le nom des pauvres au n° 21, n'a-t-il pas fait un contre-sens î II est difficile de le
Cette expression de l'Ei riiure : Comme hier et avant-hier, nier. Si nous avons maintenu le souvenir de celte inculpation à
tsi-eile bien naturelle dans une lettre d'Cudoxi>>?... Cruira- la suite des autres, c'est à cause de ce q'ie dit Sozomène (I 8,
t-on aussi qu'il ait vanté à l'impératrice la noblesse, les ri- c. 7) : Que les ennemis de Jean tirèreni avantage de son dis-
chesses et les dignités de ses ancestres? Que s'il veut dire, cours sur Eultope, et accuiirent l'évéque d'avoir livré l'ex-
comme il 7 a toute apparence, qu'il a souvent exhorté son père miniilr*.
tt sa o<ère i renoncer i leurs biens, on sait qu'il perdJ soa
père presque aussilost qu'il fut né. Ainsi, tout cet endroit ne
peut passer que pour une suite de fables que George nous
débile sur son père a. ITillem., t. Il, p. 591.)
Nous répéterons ici l'observation déjà faite, à savoir: que les Page 416, colonne^, note i.
objecti'ios de Tillemont et autres prouvent que tout n'est pas
vrai dans le récit de George et de Léon, mais non qu'il n'y a
Montfaucon a édile deux homélies attribuées à Chrysostome
rien de vrai. Ecartez, si vous le voulez, les circonstances au moment de son dépari pour l'eiil. L'une (t. 3, 115) dé-
p
étranges, peu croyables, que des écrivains amis du mervei leux
bute par ces mois : no"*)«Tà xù/j.xrx...; l'autre [ibid., p.
421)
«nt ajoutées i une narraiion qui leur semblait trop simple, et par ceux-ci : n«j>d,-
Nous parlons ailleurs
Vi/ilv b ïéxnf...
ne rejetez pas, quant au fond, des faits que l'avarice et le des-
de la dernière La première,
de George d'\lexandrie, est tirée
potisme d'Eudoxie, la corruption et la vénalité de sa cour, le ca-
aussi connue par une ancienne version laline. Toutefois, le texte
ncière de cette époque, les épreuves suscitées a Chrysostome grec présente une grande page de plus que la ve^^ion latine
ae rendent que trop vraisemblables. Une chuse est incontestable (liirf., p. 419). Celle-ci s'airéte à ce^ paroles : Voilà mon
et domine tous ces ou moins chargés, plus on moins
récits plus
appui, ma couronne, etc.; el comme si le discours était Bni là,
tntbenliques que l'évéque de Constaniiuople intervint
: c'est
elle ajoute : Et pour cela rendons grdces à Dieu, à oui la
plusieurs (ois pour protéger contre un pouvoir exécrable ceux gloire dans les siècles des siècles Amen.
qu'il se plaisait i opprimer et à dépouiller, et que, dans plus
Les paroles citées dans noire récit appartiennent aux denx
d'une circonstance, le charitable évêque dut reprocher i nne paragraphes qui mani|uenl à la versi'n latine, parjgraphes que
impératrice hautaine, nié< haute, ins.jliilile d'argent, sa rapacité Tilleiuoul(l. 11, p. 5M8) el Montfaucon (t. 3, p. 414) regardent
et les maux qu'elle faisait peser sur ses infortunés sujets [Socr., comme non aulhenliques Tout cela leur semble embrouillé,
I. 6, c. 5 et 18. — Sozom., I. 8, c. 8, 16, 20. — Théod., plat, indigne d'un si grand maître dans de par er. « Ce qui
I. 5, c. 28. — Procl., erat. panégyr., n. 21. — Albert y esi dii de Jézabel el d'Hérndiade (Tillem.,
l'art

i4i,y.) s'applique
Th., p, 91.)
trop clairement à Eudosie ponr convenir à modestie de saint la

Chrysostome aussi bien qu'a sa prudence, qui ne ponvoit pas luy


permettre de donner alors aucun juste sujet de prise i ses en-
nemis ». Si profond que soit notre respect pour de pareilles
aotoiités, nous osons avoir un autre
avis. Non, ce n'est pas 11
l'œuvre a d'un vray déclamaleur » (Tillem., ibid.)-
et pitoyable
Page 593, colonne I , li^ne 24 {apptl de not» ovilii). c'est bien le fende Chrysostome. Les jeux de mots, les expres-
sions vulgaires ne prouvent rien. On eutrouve autant dans plu-
sieurs discours dont l'authenticité est inconlestable. Il est évident
• George d'Alexandrie, remarque Ti'Iemont, et les antres qui que celui-ci n'a pas été revu par l'orateur, et que les sténo-
ont copié sur lui i'IiUtoirc de saint Chrysostome disent qu'a- gr.<phe3 eux-nièmes, pariat:eanl l'émotion de l'auditoire el de la
près le désordre f>it par Théophile a Niirie. Ammnne et ses ville, ne l'ont pas recueilli peut-être avec une parfaite exacti-
frères vinrent i Alexandrie, où le peuple s'emnl avec une telle tude. Quant aux paroles vives qu'on y trouve, gardoos-nous da
fureur contre Théophile et contre le préfet même, que Théo- les juger i notre point de vue moderne : ces temps ei les ndirei
phi e fat obligé de se cacher pour sauver sa vie, et que le ne se ressiuiblenl pas L'inirepide ministre de Jésus-Christ na
préfet n'apaia peuple qu'en jurant solennellemfni qu'il n'a-
le songeait guère i la prudence lorsque, dans la métropole de la
tait jamais prétendu dono' r un ordre contre les yratidi frères, Syrie, à propos d'un tremblement <ie terre, il uisait au peuple ea
iDai- que Théophile l'avjit trompé t-B ffigrianl n'en vouloir parlant des nclies: « Où sont mnntenant les chefs, les grands,
qu'a des héréiiques. Ils ajoutent que les grandi frères se re- les hauis protecteurs de la ciléT L'est vous qui en êtes le rem-
tirireot ensuite i I* prière da préfet, a&o de Snir la sAi\\m, part, les tours, la solidité, Eiu, par leur méchanceté, ils l'oul

S. J. Cn. - Tome \. 3V
à30 HISTOmE DE SAINT JEAN CimYSOSTOME.
mise à deui dnigis de sa perte vnns, par vos vertus, vous ; n'osons dire le contraire, il faut convenir que le langage da
l'atcz Sluvée. Qu'on di>maniie poiirqiMi la ville a treiub'é sur grand oraieur a été singulièrement déliguré. Citons quelques
ges fonilemenls, la réponse est dans l'esprit de tous C'est : passascs :
l'œuvre de l'avarice, de l'injustice, de l'orgueil, de la mauvaise « Nous prenons la parole avec joie dans une assemblée si
foi. De qui? Di'S riches. Qu'on demamle, au cnutraire, comment belle, imposante, vaste océan que n'agite pas la tempête;
si
elle a écliappé au péril, on rép'indra : P;ir les prières, par les car la mère de la paix est venue, et c'est elle qui calme la fu-
veilles pieuses, par les chants sacrés.De qui? Des pauvres. Ce reur des vents... Mes chers enfanis, veulent-ils me tuer' .(Ce
quia failli (lerdre Aniioche vient d'eux; ce qui l'a délivrée qui suit se trouve dans le di^-cours précé'lent)... Je vois les
vient de vous n. (Chrys., Hnm. post terrœ mot ,\,. 2, p. 720.) Dois courroucés, un violent orage; les glaives sont hors du four-
. I

N'oubliiins pas ces mois sortis de la bouche de notre Saint, aui reau. Hais pilole, au milieu de la bourrasque, je me tiens sur les
débuts même de son apostolat « Le sacerdoce est une royauté
: deux poupes du navire, c'esl-à-dire sur l'Ancien et le Nouveau
plus liaule que celle des princes, car le roi courbe la tête sous Testament, et j'écarte les vagues menaçantes avec mes rames qui
la bénédiction du prêtre. Et c'est pourquoi il fut dit à Ozias: ne sont pas de bois, ou plutôt avec la Croix adorable de mou
// n? Vest pas pp<mis de melire la main à l'encensoir.. Mdllre je clianpela tempête en sérénité.... Vais-je aiguiser ma
Voyez-vous celte hberlé invincible, celte âme incapab'e de ser- langue contre l'imiiératiice? Mais que dirai-je? Jézabel s'em-
vitude... Le Pontife dit an monarque: Je ne connais phis ton porte, et prophète
le fuit; flérodiade se livre à la joie, et Jean est
autorité dèsqu'elle viole la loi. Tu sors de les limites ; tu usurpes encliaiiié; l'EgypIienne meurt, et Joseph est mis en prison. S'ils
ce qui ne l'appartient pas, tn perdras ce qui t'appartient ». m'envoient en exil, j'imiterai Elle; s'ils me jellent à la mer,
(Chrys, Wom. 4, i)i Oz., t. 6, p. 127.) j'imiterai Jonas; s'ils me la|iilent, j'imilerai Etienne;.... s'ils me
Souvenons-nous aussi que Chrysostonie improvisait, et qu'il tranchent la têle, j'imiterai le saint Précurseur; s'ils me battent
improvisait au milieu d'un auditoire ému, dont l'émoiion le ga- de verges, j'imilerai Paul ;.. . s'il me coupent en deux avec une
gnait lui-même. Son cœur trop plein déborde ; sa douleur, son scie de bois, j'iiiiiteiai Isaîe condamné au
Et que ne puis-je être
indigualion éclatent par des paroles que réprouve le sentiment supplice du Prophète et jouir ainsi de l'amour de la Croix! Une
des convenances, tel que nous l'avons aujourd'hui. Mais, encore femme de chair attaque l'esprit; elle se livre aux délices des
nne fois, entre cette époque et la nuire quelle analogie Aucun ! bains paifums, aux einbrassements d'un homme xxi
et des
Grec des siècles postérieurs u'aurait eu la pensée d'aliribuer un fiiTy-yôpo; :rE,om),£zo//.Ev/i),et elle fait la guerre à l'Eglise pure et
pareil langage à l'éloquent évèque de Bjzance, s'il ne l'avait immaculée. Mais bientôt elle sera veuve, du vivant même de son
tenu.
mari, parce que tu es épouse et que tu veux rendre l'Eglise veuve!
Du reste, traduction latine ne porte pas les derniers pa-
si la
Bii r, elle m'appelait le treizième apôlre, aujourd'hui elle m'ap-
ragraphes du discours grec, c'est sans doule parce que les amis pelle Judas; hier elle s'asseyait p;ès de moi avec confiance,
de la cour s'étaient empressés de les supprimer, autant du moins aujourd'hui, comme une bêle féroce, elle se préiipile sur moi.
qu'ils l'avaient pu. Afin de ne pas blesser le fils d'Eudoxie en Mais le soleil serait éleint, la lune ne donnerait plus de lumière,
laissant circuler autour de
des paroles peu honorables pour
lui
avant que nous puissions oublier les paroles de Job. Job, qui fut
la mémoire de sa mère, on tronqua l'homélie île Jean ; elle ne en proie aux plus cruelles douleurs, ne disait autre chose, sinon :
resta entière que dans les copies qui purent échapper à l'œil des Que le nom du Seigneur soit héni dans les siècles! Quand
coutlisaas et de la police.
sa femme Parle contre Dieu et meurs, i\ répondait
lui criait : :

Pourquoi exprimer comme une i«se«see?0 femme ingrate!


t'

a /jii.lxy/j.x àôuva-j\ Quand tn souffr.ùs toi-même, ton mari t'a-


dressait-il un pareil langage? Ne t'a-t-il pas guérie par sesprières
et par ses soins? Tn n'avais garde de le traiter ainsi, alors que,
dans son palais, il vivait riche, puissant, entouré d'hommages; et
PageilG, oolûnnei,nole'2. maintenant que tule vois couché sur le fumier, rongé par la ver-

mine, Parlecontre Dieu et meurs! Que réplique le


tu lui dis:
saini homme? Nous avons reçu les biens de la main du Sei-

Noos avons plusieurs homélies avec ce litre: Avant départir gneur, pourquoi ne pas accepter les maux? . . Mais que veut
pour fexil, homélies prononcées, ou dans les deux jours qui elle femme méchanle, haïssable, cette nouvelle Jézabel?.... Elle
précédèrent immédiatement l'expulsion du Saint, ou peut-être m'envoie des consuls, d"? triliuns ; elle fait de grandes menaces.Que
pendant l'infâme pmcés du Chêne. La seconde, dans l'édition m'importe? Une araignée envoie des araignées Mais les épreuves
des Bénédictins (p. 419), dont on ne donne que la traduclion préparent la récompense, les combats préparent la couronne.

latine, est iocontestab'ement du grand orateur. La première Ainsi le disait saint Paul : J'ai combattu le bon combat , j'ai

(p 415), que nous l'avons dit, de George d'Alexan-


tirée, ainsi ac/ievé la course, j'ai conservé la foi; pour le reste, la cou-
drie, se compose, en quelque sorte, de deux discours l'un : ronne de justice m'est réservée, et le juste juge me la don-
exactement conforme à celui dont nous venons depailer ; l'autre, nera (Il Timolh , c. 4, v.7). A lui, la gloire et l'empire dans

à partir du N° 4, plus véhément et plus hardi, ce quia porté les siècles des siècles! Amen». (Chrys., t. 3, p. 421.)
d'éminenls critiques à doulerdeson aulhenlioité. Ces doutes, à
notre avis, s'évanouissent devant un examen atleniif, bien qu'il
«oit impossible de méconnaître que le lexle a été altéré par les
sténographes ou plus tard par les copistes. On trouve â la
pige 421 une antre homélie sous le même titre ; Montfaucnn l'a
éditée d'après un manuscrit du Vatican. A part le premier alinéa
qui reproduit mot pour mot le sermon précédent, le reste est Page ViH, colonne 2, note 1.

d'un ton peu dignes de Chrysostonie. Toutefois,


et d'un style

dit le dncle Bénédiciin, si informe que soit cette œuvre, quelque


cbose plaide encore en sa faveur. Nous savons, en effet, par Nous avons parmi les œuvres de saint Chrysoslome on dis-

Jean lui-même, qui le rappelle â son retour de l'exil, qu'avant cours qui commence par ces mots. Savile et les Bénédictins

de partir et dans ses adieux au peuple, il avait cité l'exemple l'ont rejetéparmi les i/;«na (t. 8, inter spur., p. 1.) «De quel
de Job et ses paroles Que le nom du Seigneur soit béni! Or,
: droit? » dit M. Albert (Thés., p. 116). D'ailleurs, le discours en
cet exemple et ces paroles >ont précisément dans le discours question serait-il réellement apocryphe, il ne faudrait pas ea
dont nous parlons. Mais quia voulu singer l'éloquent
le lllu^^dire conclure que les paroles célèbres par lesquelles il débute n'ont
pontife n'a-t-il pu glisser cela dans son travail pour donner le pas élé prononcées par l'illustre orateur. Le P. 974)
Stilting (n.

change au lecteur? Quoi qu'il en soit, si ce discours estauthen- incline à croire qu'elles lui ont élé imputées par ses ennemis
tiqu«, et maigri tout Dot^s iacliaons ï le croire oa plutôt aoas pont le rendre plus odieux ^ l'impératricei et que Socrate s'est
PIÈCES JUSTIFir.ATIVES. S31

fait le complalsmt écho do leur calomDie. S'il en était ainsi, reur", et qu'ils furent convoqués par lenrs prêtres aux thermes
les amis de Clirysostome D'auraieot-ils pas donné à Socratc un de Constance; tandis q e c^'iix des autres quai tiers se réunirent
solenoel démenti? Aq contraire, Sozomène répèle l'assertion dans leurs éu'Iises respeciives, où les satelliies de Luciiis, après
de son devancier, et personne ne s'inscrit en faux. On allègue leur horrible exploit des thermes, se porlèrent avec les mêmes
contre les deux historiens le silence de Pallidi". Mais encore , fureurs et commirent les mêmes excès. Si Jean ne meiilionne
une fois, Pallade, qui ménage visiblement les enfants d'Eudoxie, pas la réunion des thermes, c'est qu'il n'a d'autre but, dans sa
»e filt bien gardé de consigner dans son livre nne parole si bles- lettre au pape (t. 3, p. 51S), que de retracer d'une manière

aole pour la mémoire de lenr mère. Il a tu tant d'autres choses. générale la conduite iuqnaliliable de ses adversaires et l'oiipres-
Ed somme, Sulting et ceux qui partagent son opinion ne l'é- sion subie par
les liilèles. I.e mot <]'église^-, employé par lui,
taient pas do deux
d'arguments assez forts pour bal-inccr le iliro peut d'ailleurs s'enlendrc aussi bien de l'assemblée des lliermes,
historiens, dont l'autorité n'est pas immense sins doute, nuiis et Pallade, en eiïet, lui donne ce nom-là {iijul., p. 34) Quant
dont les réits ne peuvent être rejetés comme fjui tant qu'on à Sozomène, qui sans doute avait sons les yenx le ilialogne de
n'en peut établir la fausseté. 11 est vrai que le Impajîe prêté «u P.i'lade et la lellrc de Jean, il a cru que ces ^lenx réi ils avaient
grand évèque ^onne mal à nos oreilles. Kncore une fuis, rap- trail il deux actions différentes, et c'est ce qui l'a trompé. Il n'est
pelons-nous que des paro'es, iutulérables au point de vue de pas vraisemblable que deux scènes de celte nature aient eu lieu
nos convenances modernes, n'étaient alors qu'un acte de cou- dans la même nuit, à quelques heures l'une de l'autre, surtout
rage légitime de la part d'un pontife de Jésus-Chnst Ce que quand on songe que le maître des oflices , liomme grave et
Brtordaloue ne pouvait dire devant Louis XIV, Clirysostome pou- digne, n'avait donné des soldats à Acace qu'avec une e.\lrême
Tail le dire i la fille de Bauton , devenuo répou>e d'Arcadius. répugnance et la recommandalion expresse de s'abstenir de
Aux grands maux , les grands remèdes. En voyant rE;;lise in- toute mesure violente. Auiait-il soullerl qu'on métouiiiil ses
sultée, défiée par cette apothéose bruyante d'une femme, et ce 'mentions jusqu'à recommencer coup sur coup les mêmes orgies
malheureox retour aux céréniouies du paganisme, le ponlife de sacriiéi;es7 Comment admeltre que des enfants é|dorés, des
lésus Christ ne put contenir sa douleur, son indignation, et après femmes contraiules de se sauver demi-nues pour échapper aux
avoir essayé, s'en doutons pas, les remontrances elles prièies, brutaiilés d'une viel soldatesque, auraient gardé assez de calaie
il frappa le grand coup, il iiiOigi-a à la princesse coupable le et de sanï-froid pour se réunir imméJialement dans un aulie
chitiment qu'elle méritait. Les paroles dunt il se servit alors lieu public, où les inêines périls et les mêmes insultes devaient
ne sont pas plus hardies que celles où il compare Théophile à les atlerdre? Les Ihermes de Constance éiaienl-ils dis; osés à
Pharaon, quand il dit L'un l'Inil Egyptien, et l'autre aussi.
: recevoir inopuiément celte foule à une heure avamée de la
L'un avait des satellites, l'autre ries protecteurs. L'un s'at- nuit, et pour une cérémonie si sainte? Est-il cioyable que les
taquait à Sara, l'autre à l'Eglise. Mais le barbare connut soldats, acharnés à disperser, à poui suivreans les rues à cou[is
sa faute et se repentit; lui commet le crime et y persévère. de bâiou une niulliiude sans défense, l'eussent laissée s'installer
Malheureux ! tu ajoutes le péché au péché! (t 3, p. 4-7.) paisibleineul dans une autre enceinte, comme pour y braver
Au reste, dit Moulfaucon a propos de l'œuvre qu'il rejette leur fureur et continuer ce qu'ils voulaient em|iécher? On ne
inter spuria, celui qui a prétendu que cette homélie avait été comprend pas non plus pourquoi Acace et consoris auraient fait
composée par un Grec moderne s'est trompé. Anastase le Si- chasser le peuple de Sainte-Sophie, quand ils avaient tant d'ia-
naile, au vi« siècle, dans la question 59« de l'Kcriture : Pour- léièt i l'y retenir, et que son alisence remarquée de l'empe-
quoi r Apôtre a-t-il Je ne permets pas à la femme
dit : te.iii donnait un éclatant démenti à leurs assertions.

d'enseigner, cite mot pour mot, sous le nom de Cnr;(aOJti-ia=,


une grande partie de ce discours (t. 8, inter ipui., '^. I). a
n'est que trop probable que, sous le règne d'Arcadius et même
tons celui de son fils, on supprima les homélies de Jean que
l'on crut défavorables à la mémoire d'Euiloxie. Des fragments,
Page 4Ô4, colonne 2, noie i.

dérobés tant bien que mal à la destruction par les amis du pon-
tife, ont été putiliés plus lard, mais avec les dévelopremtnts et Théophile (Phot., c. 59) osa dire que Jean avait ëk„ aêpnsé
les fantaisies qu'il a plu aux éditeurs d'y ajouter. Il y a certai- pour avoir vendu les meub'es
et les vases sacrés Je son ég ise.
nement dans les spuria bien des choses qui appartiennent à L'innocence du pontife solennellement déuiontrée par l'in-
fut
saint Chrysosiome , mais qu'un déplorable alliage a altérées ventaire des objets trouvés dans cette sacristie inventaire qui ;

jusqu'il les rendre mécoaoaissabiej. se ht après l'oriiination d'Arsace et eut pour témoins le iirefet
de la ville, celui du prétoire, l'intendant du tré-or impéiial, le
questeur Eusthatins et plusieurs notaires Les meubles, les ten-
tures, les vêlements sacerdotaux, les vasis précieux, que Jeaa
avait vendus, selon ses ennemis, élaieni tous là : rien ne man-
quait. Ce furent CassienGermain, préposés jusque-là à la
et
garde des meubles et du trésor de l'église, qui provoquèrent
Page 12^, colonne 2, noie 1, cet inveniaire en quiltaut leurs fonclious, et en exigèrent pour
leur décharge une copie ceriiliée qu'ils apportèrent à Rome
l'année suivante, (l'allad., il/id , p. ll,c. 3j,
Nous Dous attachons de préférence an récit de Pallade {ibid,
p. 33). Soromène raconte les choses différemment {ibid.,c 21
ou 22). Il du que les fiuèles, réunis d'abord dans i\'glise, en
furent violemment expulsés par les soldats, qui reuipirent le
saint lieu d'outrages et de sang. Ce fut alors, selon lui, que la
Page 491, colonne 1, note 1.

pieuse assemblée se réunit dans les bains publics de Cnnsiauce,


où recommencèrent des scènes d'horreur et d'impiété. Pallade du Pont, aujourd'hui Tnkat (Sirab., 1. 12, § 23). fl y
Ville
et Cbrysiislome ne parlent que d'une seiile irruiiii"n de soldats; avait dans la Grande Cappadoce uue autre ville du méine nom

mais Pdllade place le théâtre de leurs brutalités dans les thermes, (Sirab., 1. 8, c. 12, § 5), que les Turcs appellent El liostun.
Chryjostome dans les églises. Ces deux récits sont moin- dif-
* Cetta opinion n'est point infirmée par ce que dit TboiQassin, qu'i
férenls qu'ils ne parai-seiit l'être au premier coup d'œil, et
Aleiandrie, ks jours de grande fclc, on di»ait uoe seule messie, dana
pour les concilier il suflit d'admettre, ce qui est très-probable, la plus grande eglis**; [Otiaii/tiie, I. t, p. bOti;. Cet usage, qui exis-
que les caiéchumènes et les tidèies du quartier de Samle-sophie tait aut^si ailleurs, n'étaii pas sans exception ; et ce n'tsi pas pour
s'abstinrent de paraître dans l'éiiUsede ce nom, où les ennemis rien que Chrysu>iome, dans sa leltïe au t'ape, paite de piusicuri
de Jean devaient présider U sjoaxe eu présence de l'empe- igi'ses profanées, ooo d'u^e seule*
S39 HISTOIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.
Elles possédaient l'nne et l'anlre un temple de Bellone (Sirab., séparation de l'Eglise Romaine, envoyèrent
ihid.). Pallade et
des députés au pape
Théndorel disent que Jean mourut ï Comane, Innocent pour obtenir la paix et l'obiinrent.
Bans (lire laquelle. ?oorate dit que ce fut à Comane
Or, nous savons
dansie Ponl- par Théodorel (1. i, c. 34) que l'Occident ne voulut pas rendre
Euiin eiprpssion imiiropre, mais qui désigne évi,lemment
:
la sa communion à l'Orient, sans que le nom de Chrysoslome fut
Comane poniique Snznmène dit que ce fut dans l'Arménie (I. rélabh sur
8, dypiiques. Celle réhabililalion eut donc
les
c. 28), où il veut désigner celle de Cappadnre, lieu du
parce qu'elle vivant d'innncent, et nous voyons en 418
le pape Z.izime com-
élait sur les confins de la Pelile-Arménie. Mais cette dernière muniquer aux Eplises de Constantinople et
était à 52 d'Alexandrie la
railles d'Arahisse et si Jean y est mort, c'est le troi-
;
condamnalion qu'il venait
de prononcer contre Pélase et Céles-
sième jour de son voyage ce qni ne s'accorde
:
pas avec ce que liiis Noris prétendu que la réconcilialion entre Rome
a
dit Pallade du voyage de trois mois. et
Proclus met la chose hors Alexandrie eut lieu seulement sons le pape Zozirae,
de doute, en disant que le corps du Saint repose dansie lequel/
Pont. renonçant aux exigences d'lnno.:ent, cessa de demander
Et Marcellin dans sa chronique {ad atm. 403), dési^-ne i'iuser
Comane lion du nom
de Jean dans les sainis dyniiques. Il esl parfaite-
|

d8DslePont(Tillem., t. Il, n. 102, p. 616.— Stilliug,


p.664). ment réfuté par Til emont (t. 0, p. 832, n. 1
6, sur S. Innocent)
et par Slilling {ib,d
, p 684). Ce dernier démontre très-bien
Page 508, colonne qu il n'y eut entre Rome, d'une part, et les Eglises
î. note 3. de Constan-
tinnple et d'Alexandrie, de l'autre,
Une aucune ommunion avant
lettre du pape Roniface aux évéques de la Macédoine et qu'liominage eût été rendu à la mémoire
de la Grèce dit formellemtD'.
de Jean.
que le» OrienUui, affligés de leur

FIN DES PIÈCES JfSTIFICATIVES.


TRADUCTION FRANÇAISE
DES ŒUVRES COMPLÈTES

DB

SAINT JEAN CHRYSOSTOME


EXHORTATIONS A THÉODORE
TOMBÉ'.

PREMIÈHE EXHORTATION.

ANALYSE.

Théodore mérite mieux larmes de saint Jean Chrysoslome, que tout le peuple des Juifs ne méritait celles de Jérémie.
les Déso- —
lation d'une irae tombée dans
le péclié.— Si bas qu'il soit tombé, un péilieur peut loujOurs se relever pourvu qu'il ne désespère

point. —
L'espérance est une chaîne qui nous allache au Ciel ; Sat.n s'efforce de la couper par le désespoir. Combien de —
Chrétiens qui, après avoir renoncé à JésuiCbnst, ont effacé le criirede leur apostasie et mérité par leur pénitence d'être cou-
ronnés avec les Saints.— Donnez-moi le pécheur le plus chdrjé de crimes et le plus abominable, je lui dirai: ne désespère point,
fais pénitence et Dieu te pardonnera ; car il ne se gouverue pas par passion, et t'est par bonlé et non par un esprit de vengeance
qn'il châ:ic. — Nabuchodonosor. — Achab. — Manassès. — Les Ninivites. — Le bon larnin. —
La pénitence ne se mesure
point parle temps, mais par la contrition. Elle peut tout effacer en cette vie — Il ne faut perdre l'espérance que lorsqu'on est
en enter — Le démon, qui sent que Dieu fait mi-éricorde à ceux qui se converlissent, met tout en usage pour jeter un pécheur
dans le — Toute pénitence,
désespoir. si petite qu'elle soit, trouvera sa récompense. — Les joies du paradis :1a plus grande c'est
la vue du — Les pemes de
Christ. l'enfer : la plus insupportable c'est la — Témoignages du jugement
privation Ju ciel. futur.
L'âme de Théodore est malade de l'amour d'Hermione. — Toute maladie de l'âme peut se guérir. — La voie de pénitence, la
qui parait iliftitile de loin, devient douce et aisée quand on y est entré. — Exemple du jeune Phénix. — Exemple d'un vieux
I moine. — 11 ne suffit pas d'accuser ses péchés, il faut que l'accusation soit faite dans l'intention et avec la confiance d'en
obtenir le pardon. — Ne pas négliger les petites œuvres. — Compter sur la miséricorde divine, mais ne pas la lasser.

i a Qui donnera de Veau à ma tête et à mes


. truction d'une ville, ni la captivité d'hommes
yeux une fontaine de larmes ? (Jérém. ix, i.) pécheurs que je pleure; c'est la désolation
Je puisdireaujouid'liui ces paroles avec autant d'une âme consacrée, c'est la subversion et la

et même jilus d'à piopos qu'auttefois le Pro- ruine totale d'un temple, qui était la résidence
phète Si jti ne pleure pas comme lui sur des
! du Christ.
\illes nombreuses, sur des tribus tout entières, Quand on a vu, dans tout son éclat, la beauté
je pleure sur une âme qui vaut, à elle seule, dont brillaitauparavant ton âme, cesornements
autant, sinon plus, que toutes ces tribus en- que le démon a maintenant anéantis et comme
semble. S'il est vrai, en effet, qu'uti seul qui réduits en cendres, comment ne pas fondre en
fait la volonté de Dieu, vaut mieuxqiiedixmille larmes, et ne pas emprunter les lamentations
qui la violent, tu valais donc mieux naguère de Jérémie, en apprenant que des mains bar-
toi seul que des myriades de Juifs. C'est pour- bares ont profané le Saint des saints dans ce
quoi nul ne saurait me blâmer, dussent mes nouveau temple, qu'elles y ont allumé un in-
pleurs couler plus abondamment, et mes gé- cendie qui a tout consumé, les chérubins, l'ar-
missements éclater avec plus de violence que che, le propitiatoire, les tables de pierre de la
ceux du Prophète. Non, ce n'est pas la des- loi, l'urne d'or? Car, sache-le, ton malheur est
plus grave que celui dont gémissait le Pro-
' C'est polir l« première foit, aataat que noat «acbioni, que les
4«ui eiborutioai à Théodore voient le jour en frauçaii. phète, et des symboles plus précieux que ceux-
836 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOMI.

gardés dans le sanctuaire deton âme.


là étaient
sont tombés. Ce sentiment perrers est cemmfi
Le temple de ton cœur était plus saint que le un joug pesant qui accable l'âme, qui la force
temple de Jérusalem. 11 resplendissait non de à se pencher toujours en bas, et l'empêche
l'éclat de de l'argent, mais de la grâce
l'or et d'élever ses regards vers son souverain maître.

de l'Esprit Saint; au lieu de l'arche et des ché- Il estd'un homme généreux de briser ce joug,
rubins, c'étaient le Christ et sonPère,et le Para- de repousser le démon qui nous l'a imposé
clet,qu'ilrenfermaitetqui demeuraient en lui. de sa main de bourreau, et de dire avec le
H n'y sont plus, hélas! mais il est désert, il Prophète Tels les yeux d'une servante sur
:

est dépouillé de cette beauté, de celte magnifi- les mains de sa mnîlresse, tels nos yeux vers

cence; ila perduses ornements divinset inef- le Seigneur notte Dieu,jif^qu'à ce qu'il prenne

fables,perdu toute sécurité et toute garde.Sans pitié de nous. Ayez pitié de nous. Seigneur,

porte ni barreaux de fer, il est ouvert à toutes ayez pitié de nous, parce qu'il y a longtemps
les lionteuses pensées, qui corrompent les que nous sommes abreuvés dhumiliatiom '..

âmes. Et si l'esprit d'orgueil, l'esprit de forni- Voilà l'enseignement divin, voilà les maxi-
cation l'rsprit d'avarice et d'autres pires encore
,
mes de la suprême sagesse. Nous sommes
voulaient y pénétrer, il n'y aurait personne abreuvés d'humiliations, ditie Prophète ; nous
pour les en empêcher. Autrefois, au contraire, avons ressenti une infinité d'amertumes; et
ton âme pure était aussi complètement fermée cependant nous ne nous lasserons pas de re-
à tous ces vices que le serait le ciel même. garder vers Dieu et jusqu'à ce que nous ayons
;

Peut-être ce que je dis paraîtra-t-il incroyable obtenu notre demande, nous ne cesserons pas
à quelques-uns de ceux qui voient présente- de le prier. Car c'est le propre d'une âme cou-
ment ta désolation et ta ruine. C'est précisé- rageuse de ne pas se laisser abattre, de ne pas
ment ce qui me fait pleurer et gémir, et je ne manquer de cœur en face des difficultés, quel-
cesserai pas de le faire que tu ne sois rétabli que graves et nombreuses qu'elles soient, de
dans ta première splendeur. Ce rétablissement ne pas renoncer à prier, même quand on n'ob-
peut paraître impossible aux hommes, mais à tient rien, mais de persister, jusqu'à ce que le

Dieu tout est possible. C'est lui qui tire rindi- Seigneur ait pitié de nous, selon la parole du
çent delà poussière, et relève le pauvre de dessus saint Roi.
le fumier, pour le faire asseoir parmi les prin- 2. Le démon nous suggère des pensées de
ces, parmi les princes de son peuple : c'est lui désespoir, afin de couper la céleste chaîne qui
gui rend celle qui était stérile, mère féconde et nous rattache à Dieu, l'espérance, ancre de sa-
heureuse de nombreux enfants qui l'environ- lut, soutien de notre vie, guide qui nous con-
nent dans sa maison '. Ne désespère donc pas duit sur le chemin du ciel comme par la main,
de ton retour au bien. Si le démon a eu le pou- refuge assuré des âmes perdues. C'est par l'es-

voir de te précipiter de ce faîte, de celte hau- pérance que nous sommes sauvés, dit l'Apôtre*.
teur de vertu jusqu'au fond du vice, â plus C'est elle, oui, c'est elle qui, chaîne solide,sus-
furie raison Dieu aura-t-il celui de te relever pendue et fixée aux cieux , soutient nos âmes
jusqu'à ce même
degré de perfection, et de te durant la traversée, hisse peu à peu, jusqu'à
rendre non seulement tel que tu étais, mais cette hauteur ceux qui s'attachent à elle forte-
même beaucoup plus accompli et plus parfait. ment, et nous enlève du tourbillon des misères
Seulement ne te laisse pas abattre, ne romps terrestres.
pas avec l'espérance, craint le sort des impies. Mais si quelqu'un , vaincu par la mollesse,
Car d'ordinaire ce qui jette dans le désespoir, lâche cette ancre de salut, il tombe aussitôt
c'est moins multitude des péchés, qu'une
la et se noie dans l'abîme qui l'engloutit. Sachant
certaine impiété naturelle de l'âme. C'est pour- cela, dès qu'il s'aperçoit que nous ployons
quoi Salomon ne dit pas simplement: Quicon- déjà sous le faix d'une conscience chargée de
que est descendu au fond du mal, méprise; crimes, le Mauvais intervient lui-même et
mais il dit V impie seulement '. Ce genre de ma- ajoute la pensée du désespoir, ce fardeau plus
ladie est le propre des seuls impies, quand ils lourd que plomb. Recevons nous cette sur-
le

sont descendus jusqu'au fond de tous les vices. charge, alors tirés en bas par son poids énorme
C'est elle qui ne leur permet plus de regarder et séparés violemment de la céleste chaîne, nous
en haut, ni de remonter au degré d'où ils tombons nécessairement au fond de l'abîme :
• P;. ciii, 7,9. — ' Pioverbcr, viii, 3. * PS. eiXII, 2 et 3. — ' Eom. vui, 34.
PREMIÈRE EXHORTATION A THÉODORE. 837

malheureux
tu es maintenant toi,
Un jeune homme, qui touchait déjà au ciel,
ïbtmeoù
du Mailre doux qui se riait des vanilés de la vie, qui voyait un
déserti'ur dt s comuianiioments
aujourd'hui le souple Instru- beau corps avec la même indifférence qu'une
ellumible ; toi,
caprices de celui i\u\ est la belle statue, qui méprisait l'or comme la boue,
ment de tous les
del'im- les plaisirs de toute sorte comme une bourbe
cruauté u)ème,du lyrau de notre race,
bonheur; toi, qui as infecte, nous l'avons vu tout à coup, saisi delà
I.lacable ennemi de noire
le fardeau lé^^er du fièvre d'une passion étrange, perdresasantéspi-
brise le joug suave, rejeté
place lecarcau de fer rituelle,son viril courage et toute sa beauté,
Seifineur pour nullreà sa
cncoreàtoucou une devenir l'esclave des voluptés. Et nous ne le
de l'ennemi, et suspendre
moulin. Où donc arrèteras-tu dé- pleurerions pas, dites-moi? et nous ne nous la-
meule de
cliulede plus en plus profonde dans menterions pasjusqu'àceque nous l'ayons re-
sormais la

tu prcci|Mlts ta uiallieuieuse âme, si couvré? Est-ce possible pour qui porte uncœur
laquelle
dans la nécessite de tomber toujours d'homme ?
tu le mets
La mort du corps est une nécessité dont on
plus b is ?
drachme, ne peut s'affranchir ici-bas, et néanmoins on
La fenmie qui avait retrouvé sa
part;iger sa joie Ré- ne laisse pas de pleurer sur ceux qui la su-
invitait ses voisines a :

moi bissent. Pour la mort de l'àme, au contraire,


jouissez-vous avec moi, leur disait-elle' ;
tous nos amis, les tit ns et c'est ici-bas seulement que l'on peut s'en sau-
aussi j'appellerai
Iléjouis- ver Dans l'enfer, dit la sainte Ecriture, qui
mil us, uiais je ne hur dirai pas
:
:
les
sezvuus avec nwi. Je leur dirai au coutraire: confessera ton nnm (Ps. vi, 6). Quelle dérai-

même deuil, son on pleure ordinairement la mort du corps


pleurez avec moi, comuienct.z le
!

Kémissemtnts. J'ai avec tant de douleur, bien qu'on sache que


faites entendre les mêmes
grande; non que j'aie les larmes ne ressusciteront pas celui qui n'est
fait la perte la plus
maiu tant et tant de ta- plu=, et nous ne montrerions pas un peu de
laissé tomber de ma
piene précieuse cette douleur, quand nous savons qu'il y a
lents d'or, ni telle ou telle
;

mieux que tout cela, toujours espoir de pouvoir rappeler une âme
j'ai perdu ce qui vaut
sur cette mer, sur morte à sa première vie ? On l'a vu de nos
celui (pii voguait avec moi
,

vaste mer de la vie ; je ne sais jours comme au temps de nos pères: beaucoup,
la grande et
précipité au fond après s'être écartés du sentier de la justice,
quelle secousse imprévue l'a
après être tombés dans les précipices qui bor-
de l'abîme.
la voie étroite, se sont ensuite si bien re-
3. Que personne ne tente
de me détourner dent
répondrais par les paroles levés, qu'ilsontcouvertleursprécédeutesfautcs
de mon deuil, je
amère- par leurs vertus ultérieures, remporté le prix,
du Prophète Laissez nwi, je pleurerai
:

de me con- ceint la couronne, figuré parmi les vainqueurs,


ment, ne vous mettez point en peine
que et prisrang dans l'assemblée des saints.
soler ». Tel est le malheur qui m'afflige,
de pleurer avec 4. Un pécheur, tant qu'il reste dans la four-
Ton ne saura.t m'accuser le

quand même Paul ou naise des passions, a beau avoir sous les yeux
excès ; il est tel que,
ma place, ils n'auraient pas des exemples semblables, un tel changement
Pierre seraient à
lui paraît toujours impossible. Au
accepter contraire,
honte de gémir et de se lamenter, sans
qui donnent des fait un pas pour sortir de cet état, il
a-t-il
aucuneconsolalion. 11 y en a
mort ordinaire et commune; ceux- avance ensuite constamment, laissant derrière
larmes à la
grande plus violent du feu. A mesure qu'il
raison de leur reprocher une
lui le
là, on a
marche, trouve devant lui un air toujours
pussillanimilé;mais, lorsqu'au lieud'uncorps,
il

plus frais, une voie toujours plus


commode. H
c'est àme qui est làetendue morte, percée
une ne pas re-
dans la mort faut seulement ne pas désespérer,
de mille coups, montrant encore,
douteux de sa belle na- noncer au retour. Quiconque ne remplirait pas
même, des signes non force im-
parfaite santé d'autrefois, de sa cette condition, fût-il doué d'une
ture, de sa
menseel d'une ardeur sans bornes, ne pourrait
beauté maintenant elfacéc qui serait assez ,

rien faire d'utile. La porte de la


pénitence fer-
truel et insensible pour proférer, au lieu de
pleurs et de gémissements, des paroles decon-
mée, l'entrée du stade murée, comment pourra-
t-il, condamné qu'il est
à rester dehors, faire
solation 7 S'il est sage de ne pis pleurer dans un
encore quehiue bonne action grande ou
petite ?
cas, il ne l'est pas moins de pleurer dans l'autre.
Mauvais emploie toute sa
Voilà pourquoi le
' Luc, iv, 9. — ' 11». UU, i.
53.^ TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JÏAN CHRYSOSTOME.

ruse pour faire naître en nous ce senliment. ments, soit qu'il les exerce, a pour but non
Après cela il ne lui faudra plus ni peine ni fa- de se venger, mais de nous attirer à lui. Un
tigue pour s'emparer de nous. Comment en médecin ne s'offense ni ne s'émeut des injures
faudrait il contre quelqu'un qui est étendu par des malades ne délire, et il ne néglige rien
ferre, frappé à mort, à qui il ne reste pas même pour les empêcherde s'avilir eux-mêmes, con-
]a volonté de résister ? Celui que ce lien n'aura sidérant, non son avantage personnel, mais le
pu retenir enchaîné, recouvrera sa force pre- leur :recouvrent-ils un peu leur bon sens et
mière, il combattra sans relâche jusqu'au der- leur calme, son cœur se remplit de satisfaction
nier soupir, et, dùt-il tomber mille fois, il se et de joie, il redouble de soins et de remèdes ;

relèvera toujours et finira par triompher. Au loin de tirer vengeance de leurs injures, il
contraire, le malheureux qui se laisse prendre ajoute bienfaits sur bienfaits, jusqu'à ce qu'il
dans les filets d'un irrévocable désespoir, ses achève de leur rendre la santé. De même Dieu,
forces sont aussitôt paralysées, et, dès lors, quand nous sommes tombés dans la dernière
comment pourrait-il vaincre, ou même résis- folie, sans songer à venger le passé, ne dit rien,

ter, lui qui fuit devant l'adversaire ? ne fait rien qui ne tende à nous guérir de notre
Ne m'objecte pas que cela n'est possible maladie. C'est ce que l'on peut voir aisément
qu'aux pécheurs ordinaires. Supposons un pour peu qu'on jouisse d'une saine et droite
homme chargé de tous les ciimes. Je veux raison.
qu'il ait commis tout cequi exclut du royaume cependant quelqu'un restait encore dans
5. Si

céleste qu'il sorte non du milieu des infidèles,


;
ledoute à cet égard, nous allons le convaincre
mais des rangs des amis de Dieu etde ceux qui par le témoignage de Dieu même. Qui fut ja-
ont sucé la foi avec le lait qu'il devienne en-
: mais plus coupable que le roi de Babylone ?
suite fornicateur, adultère, débauché, voleur, Après avoir éprouvé la puissance de Dieu, après
ivrogne, abandonné aux dernières infamies, s'être prosterné devant le prophète, jusqu'à

blasphémateur et le reste hé bien je n'admets


; ! vouloir lui offrir des dons et de l'encens, ce roi
pas qu'un tel homme désespère de son salut : reprit de nouveau tout son orgueil il jeta dans ;

non, eût-il continuéjusqu'à une extrême vieil- une fournaise ardente ceux qui ne le préfé-
lesse cette mauvaise et abominable vie. Si la raient pas à Dieu, et cependant ce personnage
colère de Dieu était une passion, je concevrais si cruel etsi impie, cette brute, dirai-je, plutôt
que l'on désespérât d'en pouvoir jamais étein- que cet homme, Dieu l'appelle à la pénitence,
dre la flamme allumée par tant de crimes. Mais Dieu ne cesse de lui procurer de nouveaux
comme la divinité est impassible de sa nature, motifs de conversion ; c'est d'abord le prodige
et que, lors même qu'elle punit et châtie, elle opéré dans la fournaise, c'est ensuite la vision
non-seulement sans colère, mais encore
le fait que le roi eut et que Daniel interpréta, vision
avec une tendre sollicitude et un grand amour capable de fléchirun cœur de marbre.
pour les hommes, il s'ensuit qu'il faut avoir Après l'exhortation en action, le prophète a
une confiance invincible et croire fermement recours au conseil C'est pourquoi, ô roi !
:

à la vertu de la pénitence. disait-il, agrée mon conseil, racheté tes fautes

Car est-ce pour satisfaire sa vengeance que par des aumônes, et tes iniquités par la coni'
Dieu étend sa main sur les pécheurs ? Nulle- passion pour les pauvres. Le Seigneur est si mi-
ment, puisque sa nature est au-dessus de toute séricordieux que peut-être il te pardonnera tes
atteinte mais il le fait dans notre intérêt, de
;
péchés. Que dites-vous, ô sage et bienheureux
peur que notre perversité ne devienne pire, Prophète ? Après une chute si profonde, y a-t-il
par notre persistance à le mépriser et à le encore un moyen de se relever ; avec une si
dédaigner. L'insensé qui s'exclut de la lu- grave maladie, une possibilité de guérir avec ;

mière, et se renferme dans les ténèbres, se une telle démence, un espoir de revenir au
fait beaucoup de mal lui-même sans en faire bon sens? Le roi ne devait plus avoir d'espé-
à la lumière. Il en est de même de celui qui rance : il avait rejeté volontairement de son
s'est fait une habitude de mépriser la Majesté cœur tout ce qui lui en restait, d'abord lors-
infinie; sans nuire aucunement à celle-ci, il qu'il avait méconnu Celui à qui il était rede-
ne réussit qu'à s'attirer à lui-même le plus vable non-seulement de la vie, mais de sa di-
grave de tous les malheurs. C'est pourquoi gnité royale, et cela malgré les miracles de
Dieu, soit qu'il nous menace de ses châti- providence et de puissance dont ses ancêtres et
PREMIÈRE EXHORTATION À THÉODORE. 539

liii-mf me avaient été les objets de la part de il permet que le feu atteigne et brûle les exé-
Dieu ; ensuite lorsciue, après avoir reçu ces cuteurs de la sentence royale, montrant ainsi
signes éclatants de la sagesse et de la prescience que c'était bien du feu que l'on voyait. En effet,
divine, vu de ses yeux les praliiiues de la un feu illusoire et fantastique n'aurait pas dé-
magie, de l'astrologie, tout l'jippareil des pres- voré le naphllie, l'étoupe et les sarments avec
tiges diaboliques rendu vain et publiquement plusieurs corps humains.
confondu, il n'avait pas laissé néanmoins d'en- Mais tout est souple quand Dieu commande,
chérir encore sur ses iniquités passées. et la nature soumise obéit docilement à Celui
En lui faisant explquer par un enfantcaptif, dont la parole l'a fait du néant à Tèlre.
passer
une vision que ksMages delà Clialdéo n'avaient C'est ce qui fut alors clairement montré la :

pu interpréter, qu'ilsavaient même déclarée au- flamme, en même temps qu'elle dévorait cer-
dessus des lumières de l'iionime. Dieu Pavait tains corps, en respectait d'autres comme s'ils
amené non-seulement àcroire en lui, maisà se eussent été incorruptibles, et rendait son pré-
faire le héraut et le prédicateur de la vraie foi cieux dépôt non-seulement sain et sauf, mais
par toute la terre. En sorte que, si même avant augmenté d'une nouvelle gloire. Les jeunes
d'avoir vu ce signe miraculeux, il était inexcu- gens sortaient de la fournaise avec la majesté
sable de méconnaître Dieu, il l'étaitdevenu bien des rois qui sortent de leur palais pour se mon-
davantage encore après ce prodige, ajirès sa trer aux peuples les regards delà foulene cher-
;

conf ssion et la publication qu'il en fit à tout chaient plus le roi: un spectacle plusadmirable
l'univers. Car s'il n'avait pas cru sincèrement les captivait. Ni le diadème, ni la pourpre, ni
que le Dieu de Daniel était le seul vrai Dieu, il toute la pom|)e royale n'intéressaient les infi-
n'aurait certainement pas rendu de si grands dèles autant que la vue de ces fidèles qui étaient
hommages à son serviteur, ni fait une loi aux demeuri's longtemps dans le feu, etqui en sor-
autres hommesde lui en rendre de semblaldes. taient comme s'ils n'y fussent entrés qu'en
Et néanmoins, après une confession si écla- songe. Ce qu'il y a en nous de plus frêle, la
tante, il retomba dans l'idolâtrie; et lui, qui chevelure, en cette occasion plus forte que le
s'était prosterné la face contre terre pour ado- diamant, avait surmonté la violence du feu.
rer le serviteur de Dieu, poussa l'égarement et Non-seulement ils étaient restés impassiblesau
la folie jusqu'à jeter dans le feu les serviteurs milieu des flammes, mais, chose plusétonnante
de Dieu, parce qu'ils ne voulaient pas l'adorer encore, ils y étaient demeurés sans cesser de
lui-même. parler or, tous ceux qui ont vu brûler des
:

Eb bien 1 Dieu se venge-t-il de cet apostat hommes savent que, pour résister tant soit peu
comme il le mérite? Nullement, mais pour le aux flammes, il faut tenir les lèvres fermées;
ramener à résipiscence ajirès cet acte de folie, pour peu qu'on ouvre la bouche, la vie s'enfuit
il lui donne des preuves plus grandes encore aussitôt du corps. El cependant de si grands
de sa toute-puissance. Et, chose plusélonnantel prodiges, qui remplissaient de stupeur ceux
de peur de f;iire naître rincrédulllé dans l'es- qui les voyaient, et ceux même qui en enten-
prit du roi par l'excès même des prodiges, il daient parler, ne changèrent point un roi qui
ne prend d'autre sujet de ses miracles que la s'était piqué d'enseigner la vraie religion aux

fournaise que le roi avait allumée pour les hommes son impénitence continua, et sa per-
;

jeunes gens, et dans laquelle il les avait jetés versité devint pire qu'auparavant. Dieu,néan-
tout enchaînés. Eteindre la flamme eût certes moins, ne le punit pas encore en cet état sa :

paru surprenant et mais pour


merveilleux : longanimité n'est pas à bout ; il redouble ses
inspirer plus de ciainte, pour produire une avertissements, soit par des songes, soit par la
plus grave terreur, comme aussi pour dissiper bouche de ses prophètes. Mais à la fin, voyant
tout aveuglement, ce Dieu bon fait quehjne que le roi ne s'amendait pas, Dieu a recours
chose de p'us grand encore et de plus merveil- au châtiment: il en use, non pour venger le
leux. Laissant brîiler lu fournaise selon la vo- passé, mais pour empêcher le mal à venir,
lonté du roi, il fait éclater sa puissance, non pour réprimer le progrès menaçant du péché.
pas en empêchant son adversaire d'agir, mais Encore la peine ne dura-t-elle pas jusqu'à la
en frappant d'inanité ses ciïoris et son action. mort du coupable; mais après quelques années
Et de peur(iu'en voyant les jeunes gens triom- d'une salutaire correction. Dieu rétablit le roi
pher .des ilammes, on ne crût à une illusion, dans sa di gnité première ; et loin de perdre à
640 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME

ce châtiment, le roi y gagna le premier des Ce mot aujourd'hui, on peut le dire toute la
biens, savoir de rester désormais fidèle à Dieu
: vie, et jusque dans la vieillesse. En effet, ce
et de pénitence de ses crimes.
faire n'est pas par lalongueur du temps que la péni-
estl'amourde Dieu pour les hommes:
6. Tel tence sejugc, c'est par la disposition du cœur.
jamais il ne repousse une pénitence sincère ;
Les Ninivites n'eurent pas besoin de beaucoup
quand même on aurait atteint la dernière li- de jours pour effacer leurs péchés: le court
mite du mal, si l'on se décide à revenir dans espace d'un jour y suffit. Le bon larron ne mit
la voie de la justice, il reçoit, il accueille; il pas longtemps à s'assurer l'entrée du paradis;
n'est rien qu'il ne tente pour faire revivre la Le temps de prononcer une parole, et tous ses
première beauté de l'âme. Et, charité encore péchés furent lavés cette courte épreuve lui
:

plus merveilleuse, quand bien même on ne valut le prix des vainqueurs qu'il reçut avant
montrerait pas une conversion entière si , les Apôtres. Vois les martyrs il ne leur faut :

courte et si faible qu'elle soit, il ne la rejette pas de longues années, mais seulement quel-
cependant jamais. Il la récompense, au con- ques jours, souvent même un seul, pourrem-
traire, largement. On en découvre la preuve liorter les belles couronnes qui leur sont ré-
évidente dans ces paroles d'Isaïe sur le peuple servées.
juif: Je l'ai conirMé à cause de son péché, je 7. Ainsi, ce qu'il nous faut avant tout, c'est
l'ai frappé, j'ai détourné de lai mon visage, et une ardeur qui ne se ralentisse jamais, une
il s'est affligé, il a marché tout chagrin, et bonne volonté constamment soutenue. Détes-
alorsjel'airelevé,jel'aiconsolé. (Isaïe, 57,xvii, tons nos fautes passées dans le fond de notre
xviu). Nous trouverions encore untémoindans conscience ;
jetons-nous dans la voie opposée
ce roi impie qui se livra au péché parle conseil avec l'ardeur et l'entrain que Dieu demande
de sa femme. A peine eut-il pris le sac de la et exige de nous, et la brièveté de la pénitence
pénitence, pleuré et détesté ses crimes, que la ne diminuera pas notre récompense, puisque
commisération divine fut émue, et les châti- beaucoup, entrés les derniers dans la car-
ments suspendus sur sa tête, détournés car ; rière, ont dépassé, même de très-loin, ceux
Dieu dit à Elie Tu as vu de quelle componc-
: qui les y avaient précédés. Le pire, ce n'est pas
tion Achat a été saisi devant moi ? Je ne lan- de tomber, c'est de rester par terre après la
cerai pas le châtiment pendant les jours de sa chute, et de ne faire aucun effort pour se re-
vis, parce qu'il a gémi devaiit ma face. (3 Rois, lever c'est, tandis que l'on croupit lâchement
;

XXI, XX, ix). dans le Uial, de dissimuler sous des sophismes


La même indulgence fut accordée plus tard inspirés par le désespoir, la faiblesse de sa ré-
à Manassès. (2 Ce roi surpassa
Parai. 33, xiii). solutiou et de sa volonté. Que les hommes ré-
tous les autres en en tyrannie; il
fureur et duits à ce triste état entendent la parole que
renversa le culte légal, il ferma le temple, il leur adresse le Prophète : Est-il impossible à
fit régner partout l'idolâtrie il fut, en un ; cehd qui tombe de se relever ? à celui qui s'est
mot, plus impie que tous ses prédécesseurs, et égaré de rentrer dans le droit chemin? (Jéré-
cependant la pénitence qu'il fitensuite le ran- mie, 8, iv.)
gea parmi les élus de Dieu. Si, frappé de la Veux-tu que je m'explique sur le compte des
grandeur de son iniquité, il eût désespéré de hommes qui, comme toi , seraient tombés
son retour à Dieu et de sa conversion, que se- dans le mal après avoir marché d'abord d'un
rait-il arrivé, sinon qu'il se serait privé des pas ferme dans le sentier du devoir? Sache
grands biens dontil jouit dans la suite? Pour que c'est à eux spécialement que s'applique
avoir considéré, non l'énormité de ses crimes, la parole que je viens de citer ; en effet, il

mais l'immensité de la miséricorde divine, il faut qu'on soit debout et non par terre pour
put rompre les filets du démon il se leva, il : tomber; mais rendons encore ceci plus clair,

combattit, et il termina la lutte par une vic- soit par des paraboles, par des faits réels
soit
toire. Aces exemples, par lesquels Dieu cherche ou par des raisonnements. Pour moi, ia brebis
à prévenir le désespoir des pécheurs, ajoutons qui s'est éloignée du bercail et qui revient en-
la parole du Prophète qui tend au même but, suite, apportée par le bon pasteur, ne signifie
lorsqu'il dit Aujourd'hui, si vous entendez sa
: autre chose que la conversion après la pré-
voix, que vus cœurs ne s'endurcissent point une brtbis non
varication. C'était unebrebis, et
comme au jour de l'irritation. (Ps.94,ix.) pas d'une autre bergerie, mais de cetle des
PREMIÈRE EXHORTATION A THÉODORE. Ml
quatre-'vîngt-dix-neuf qui restaient ; elle pais- encourager, ne restons pas dans le mal, ne dé-
sait sous la houlette du berger, et son égare- sespérons pas de notre conversion mais disons ;

ment n'était pas un égarement ordinaire, mais aussi nous-mêmes : J'irai vers mon père, et
elle errait sur les monts escarpés et dans les rapprochons-nous de Dieu car lui, il ne nous :

précipices, c'est-à-dire dans un lieu écarté et repousse jamais, c'est nous-mêmes qui nous
dans un chemin fort éloigné de la voie droite. éloignons. Je suis, dit-il, un Dieu qui se rap-

Le berger abandonna-t-il la brebis égarée? proche, et non un Dieu qui s'éloigne, [iérémle,
Nullement; il la ramena au bercail, dit la pa- XXII, 23.) 11 fait encore ce reproche aux Juifs

rabole, non pas en la chassant devant lui avec par labouche d'un autre prophète Ne sont- :

le fouet, mais en la portant doucement sur ses ce pas vos iniquités qui ont mis une séparation
épaules. De même que les meilleurs médecins entre vous et moi? (Isaïe, lix, 2.) Puisque
redoublent de soin envers leurs malades, en telle est la funeste barrière qui s'élève entre
proportion de la gravité et de la longueur des Dieu et nous, détruisons-la donc pour nous
maladies, et que, non contents de les traiter rapprocher de lui.
selon les règles de la science, ils cherchent en- Ecoute maintenant la preuve de la même
core parfoisà leur causer du plaisir ainsi Dieu, ;
vérité établie sur des faits : « A Corinlhe, un
loin de pousser avec une brusque violence à homme de marque avait commis un crime
corrompus et les plus vicieux,
la vertu les plus énorme, tel, que les païens mêmes rougissaient
les ramène au contraire doucement et petit à de le nommer : c'était un fidèle, un des fami-
petit, les portant pour ainsi dire tout le long liers du quelques-uns disent même
Christ,
du chemin, de peur que trop de sévérité ne qu'il était prêtre. Eh bien que fait Paul? dé- 1

rende la séparation encore plus grande, et clare-t-il cet homme irrévocablement déchu
l'égarement plus irrévocable. de sa part à l'héritage céleste ? Non mais il ;

Celte parabole n'est pas la seule qui insinue réprimande fortement les Corinthiens de ce
celte vérité il y a encore celle de l'enfant
: qu'ils n'ont pas soumis le pécheur à la péni-
prodigue. Notons que celui-ci n'était pas un tence. Et, pour nous montrer clairement qu'il
étranger : c'était un fils, c'était le frère de l'en- n'y a pas de péché qui ne puisse être remis, il
fant qui faisait la joie du père; il n'était pas disait au sujet de ce même homme plus cou-
tombé dans une dépravation ordinaire, maisil pable qu'aucun des païens Livrez-le à Satan :

avait connu l'extrême limite de la misère, lui pour la mort de la chair, afin que l'esprit soit
qui, de riche, de libre et de noble était réduit sauvé au jour du Seigneur Jésus-Christ. (ICo-
à un état plus misérable que les esclaves, que rinth., v, 5.) Il prononçait cette parole avant
les étrangers et les mercenaires. Malgré tout, que le pécheur eût fait pénitence, et après il
il revint à son premier état, il recouvra sa disait : Il suffit, pour un tel homme, dune
splendeur perdue. S'il eût désespéré ; si, suc- correction faitepar plusieurs. (II Corinth. ii, 6.)
combant sous de ses maux, il fût de-
le poids Puis il leur mande de le consoler, et de rece-
meuré sur la terre étrangère, aulieudes grands voir sa pénitence, de peur qu'il ne soit gagné
biens dont il lui fut donné de jouir, la faim et par Satan.
une mort déplorable eussent été son partage ;
Et la nation des Calâtes qui était tombée
mais il se repentit il ne se désespéra point
, après avoir reçu la foi, opéré des miracles et
et c'est pour cela qu'après une dégradation si triomphé dans maintes épreuves, soutenues
profonde, il revient à sa splendeur première, pour Jésus-Christ, est-ce que l'Apôtre ne la
revêt la robe la plus belle, et jouit même de relève pas de sa chute? Qu'ils eussent fait des
plus d'avantages que son frère qui n'avait miracles, il le montre par ces paroles Celui :

point failli. Depuis tant (Tannées que je te qui vous donne son esprit, et qui fait des mi-
sers, dit jamais enfreint tes
celui-ci, je n'ai racles parmi vous. (Gai. m, 5.) Qu'ils eussent
volontés et cepertdant tu ne m'as jamais
, beaucoup souffert pour la foi, ill'indique ainsi:
donné un chevreau pour me réjouir avec mes Vous avez beaucoup souffert pour rien, si tou-
amis; mais celui qui a mangé ton bien avec tefois c'est pour rien. Cependant, après de tels
des cotirtisanes, à peine est-il revenu, que lu progrès dans la foi, ils commirent une faute
as tué pour lui le veau gras. Telle est la force qui les éloignait de Jésus-Christ; faute sur
de la pénitence. laquelle l'Apôtre s'explique ainsi Voici que :

8. Après des exeioplessi bien faits pour nous moi, Paul, je vous déclare que si vous vous
542 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CIIRYSOSTOME.

faites circoncire, le Christ ne votis servira plus c'est là seulement que ce remède perd sa vertu
de rien ; et encore : Vous qui voulez être jus- et qu'il devient inutile; mais, tant que nous
tifiés par 'a loi, vous êtes déchus de la grâce. sommes en cette vie, il conserve, même appli-
(Gai. V, 2 et 4.) Et cependant, après une chute qué à la vieillesse, la plus entière efficacité.
si grave, il les reçoit en grâce, disant : 31<-s C'est pourquoi le démon fait tout ce qui dé-
petits e?ifants, je vous enfatite de mnivcni pend de lui pour que le désespoir s'enracine
jusqu'à ce que Jésus- Christ suit forniéen vous. dans nos âmes. Il sait que la moindre péni-
(Gai. IV, 19.) Il montre par là, que, même tence que nous ferons portera son fruit. De
après la dernière dépravation, il est encore même qu'ily a une récompense préparée pour
possible que le Christ soit formé en nous par qui donne seulement un verre d'eau froide,
le secours d'en-liaul : car il ne veut pas la ainsi l'homme qui se repent des crimes qu'il
mort du pécheur, mais qu'il se convertisse et a commis, quand même sa pénitence ne se-
qu'il vive. (Ezécli. xxxiii, il.) rait pas ég.ile à ses péchés, il en recevra néan-
9. Convertissons-nous donc, ô mon ami ! moins infailliblement le juste salaire. Aucun
accomplissonslavolontéde Dieu. Sou intention, bien absolument, pas même le plus petit,
lorsqu'il nous créa, lorsqu'il nous appela du n'échappera à l'aiiprécialion du juste Juge. Si
néant à l'être, ce fut de nous donner part aux l'enquête de nos fautes est à ce point rigou-
biens éternels, de nous procurer le ro'yauine reuse que nous devions porter la peine de nos
des cieux; non de nous jeter dans l'enfer pour paroles et de nos pensées, à combien plus
y être la proie du feu. Le feu de l'enfer ne fut forte raison nous tiendra-t-on compte de nos
pas pour nous, mais pour le démon. Nous,
fait bonnes œuvres?
c'estuu royaume que Dieu nous a préparé et Ainsi, quand même lu ne pourrais revenir
destiné dès le commencement. C'est ce qu'il à un genre de vie aussi parfait qu'autrefois,
faitentendre, lorsqu'il dit aux élus qui sont à quand tu ne ferais que te dégager un peu des
sa droite : Venez, les dénis de mon Père, pos- liens du vice et de la luxure, ce petit effort
sédez le royaume qui vous f?it préparé dès le ne serait pas infructueux. Commence seule-
commencement du monde: et aux damnés qui ment, ouvre seulement la lice où se livrent
sont à sa gauche Allez loin de moi, vous mau-
: les combats du salut tant que tu n'auras pas
;

dits,au feu éternel préparé, non pour vous, mis le pied dans cette arène, la victoire te
mais pour le diable et pour ses anges. Ainsi ce paraîtra d'une difficulté insurmontable. Toute
n'est pas pour nous que l'enfer a été fait, mais affaire, si légère et si aisée qu'elle soit, se
pour Satan et ses anges nous, c'est le royaume ; présente toujours, avant l'épreuve, comme
des cieux qui nous attend depuis la création du hérissée de difficultés ; mais à peine l'avons-
monde; mais prenons garde de nous rendre nous abordée résolument et hardiment, que
indignes d'entrer dans la chambre de l'Epoux. la plus grande partie de ces difficultés s'est
Tant que nous sommes en ce monde, eussions- déjà évanouie la confiance, survenant alors
;

nous commis une infinité de péchés, une sin- au lieu de la crainte et du désespoir, augmente
cère pénitence peut tout purifier mais une : encore la facilité et corrobore de plus en plus
fois sortis d'ici-bas, le repentir même le plus l'espérance.
fort ne nous servira de rien nous aurons ; Pourquoi le démon se hâta-t-il de faire sor-
beau grincer des dents, nous frapper la poi- tir Judas de ce monde? sinon pour ne pas lui
trine, pousser mille invocations, personne ne laisser le temps de faire ce premier pas si dé-
laissera tomber seulement du bout de son cisif dans la voie de la conversion, et par là

doigt une goutte d'eau, dans ce brasier, qui de revenir à son premier état. Et en effet, je
nous consumera. Nous recevrons la même ne craindrai pas de le dire, bien que la chose
réponse que le mauvais riche Uti grand : puisse paraître incroyable, le péché de Judas,
abîme demeure à jamais établi entre nous et si grand qu'il fût, aurait pu être effacé par

vous. (Luc, XVI, 26.) la pénitence. C'est pourquoi, je t'en prie et


Revenons donc à résipiscence, je t'en sup- je t'en supplie, rejettedetonâme toute pensée
plie, tandis qu'il en est temps encore, et recon- satanique et applique-toi le remède salutaire
naissons, comme il convient, la souveraineté de la pénitence. Si je voulais te faire re-
de Dieu notre Maître. Pour désespérer de la pé- monter, sur-le-champ et d'un seul coup, à Câ
nitence attendons que nous soyons en enfer : cosable de la perfection où l'on te voyait oa^
PREMIÈRE EXHORTATION A THÉODORE. 543

guère, tu aurais raison de t'en effrayer comme tes passions, et songe enfin à sortir de cette
d'une chose très-difficile. Mais si, pour le mo- fournaise. Il faut éteindre le feu des passions
ment, je me borne à demander que tu n'ajoutes ou tomber dans le feu de l'enfer : cette alter-
plus à tes misères présentes, que tu te relèves native est inévitable.
de ta chute et te retournes vers la voie oppo- Combien d'années encore comptes-tu jouir
sée à celle où tu marches maintenant, pour- de la vie? Encore cinquante ans, et tu seras, je

quoi hésiter, reculer, te cabrer pour ainsi dire? pense, arrivé à l'extrême vieillesse, ou plutôt
Tu en as vu mourir dans le sein des vo- c'est quelque chose dont nous ne pouvons être
luptés, dans les enivrements dans les diver-, certains. Nous, qui n'avons nulle garantie que
tissements, dans toutes les dissipations de cette notre vie durera jusqu'au soir, d'où nous vien-
vie où sont-ils aujourd'hui? Où sont ces fas-
: drait la certitude qu'elle se prolongera pendant
tueux qui s'avançaient sur la place publique tant d'années? Ignorants de la durée de notre
en si grande pompe, avec un si nombreux en- existence, nous ne le sommes pas moins des
tourage? Ces élégants, revêtus de soie, exha- vicissitudes auxquelles elle est exposée. Sou-
lant les parfums, nourrissant des parasites, vent en prolonge assez loin, mais
effet la vie se
toujours au premier rang et comme cloués les plaisirs s'arrêtent en chemin ils nous ont
;

sur lu scène du monde? Qu'est devenu tout visités, et aussitôt ils se sont enfuis. Mais sup-
cet étalage d'orgueil? Ils se sont évanouis les posonsquetu soisassuréde vivre tantd'années,
repas somptueux, les légions de musiciens, le nombre que tu voudras, et même de n'avoir
les adorations des flatteurs, les ris immo- à subir aucune perturbation fâcheuse qu'est- :

dérés, la nonchalance de l'âme, les coupables ce que cela comparé à la durée infinie et aux
abandons du cœur, la vie molle, relâchée et supplices affreux de l'autre vie? Ici, tout prend
luxueuse. Où tout cela s'est-il donc envolé? fin, les biens comme les maux, et très-vite; là
si em-
Qu'est devenu ce corps objet d'un soin au contraire, les uns et les autres se prolongent
une propreté si recher-
pressé, entretenu avec à l'infini de siècles en siècles et dire combien
;

chée? Vas au tombeau; regarde cette pous- les biens et les maux à venir surpassent ceux
sière, cette cendre, ces vtrs; contemple ce d'à présent, est chose absolument impossible.
spectacle hideux, etsoupire amèrement. Et plût 10. En entendant parler de feu, garde-toi de
à Dieu que le châtiment s'arrêtât à la cendre. croire que les flammes de l'enfer ressemblent
Mais maintenant du tombeau et des vers à celles que nous voyons : celles-ci détruisent
transporte ta pensée au ver qui ne meurt point, tout ce qu'elles touchent et en changent la na-
au feu qui ne s'éteint jamais, au grincement ture ; celles-là brûlent leurs tristes victimes
de dents, aux ténèbres extérieures, à la torture, sans les consumer jamais et pour ne plus finir:
à l'angoisse, à la parabole du pauvre Lazare et c'est pourquoi ce feu esldit inextinguible.il faut
du riche; ce riche, d'abord possesseur de tant que les pécheurs revêlent l'incorruptibilité non
de biens, et couvert de pou pre, puis ensuite pour la gloire, mais pour être l'aliment indé-
privé de tout, jusqu'à ne pouvoir se procurer fectible de leur propre châtiment. Ce qu'il y a
une goutte d'eau, et cela dans une si affreuse en cela d'horrible, le discours est impuissant à
nécessité. Non, les choses de ce monde n'ont le représenter, mais l'expérience des petites
rien de plus réel que les songes. Lorsqu'ils douleurs peut nous aider à nous former une
sommeillent un instant sous le poids de leurs certaine idée, quoique très-imparfaite, de ces
travaux, et pour ainsi dire au milieu des épines grands supplices. Si tu es quelquefois entré
de leur affreuse existence, les malheureux qui dans un bain un peu chaud, songe à ce que
sont condamnés aux mines, ou à quelque doit être le feu de l'enfer; si tu as ressenti les
peine plus dure encore, ont beau faire des rêves ardeurs d'une violente fièvre, transporte ta
charmants, songer qu'ils naj^ent dans les dé- pensée à cette autre flamme et tâche de t'en
lices et dans l'abondance de tous les biens; à former une idée. Si un bain et une fièvre nous
leur réveil, ils n'attachent aucun prix à ces causent une telle souffrance, un tel trouble,
beaux rêves il en est de
: même du riche qui lorsque nous serons dans le fleuve de feu, ce
a joui de ses richesses en cette vie comme en fleuve qui coule devant le tribunal terrible,
un songe, et qui se trouve condamné au sup- dans quel état nous trouverons-nous? Nos grin-
plice de l'enfer après sa mort. Médite sur ce cements de dents, au milieu de ces peines et
sujet, compare ce feu-là à l'embrasement de de ces douleurs, ne feront venir personne à
Ui TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

notre secours. Nous aurons beau gémir, beau encore venu pour de semblables discours, ce
nous lamenter, la flamme sévira avec une vio- sera pour le jour où tu seras capable de fuir
lence toujours nouvelle nous ne verrons per-
: la volupté. Maintenant, si je m'avisais de dire
sonne, excepté les malheureux compagnons de que la volupté est amère, la passion qui te
nos tortures, et l'afTieuse solitude qui nous possède prendre mes discours pour
te ferait
environnera de toutes parts I des contes puérils. Lorsque par la grâce de
Qui pourrait dire les terreurs que les ténè- Dieu tu seras guéri de ta maladie tu recon- ,

bres feront naître dans nos âmes? car ce feu naîtras parfaitement cette amertume.
n'éclaire pas plus qu'il ueconsume; autrement Réservant donc ces discours pour un temps
il n'y aurait pas de ténèbres. Le trouble qui se plus opportun, voici ce que je te dirai présen-
saisira de nous dans ces épaisses ténèbres, et le tement admettons que la volupté soit volupté,
:

tremblement, et la stupeur, et l'égarement, il que le plaisir soit plaisir; je veux qu'en tout
faudra les éprouver pour les com|irendre. Là cela il n'y ait rien d'amer ni de méprisable.
les tourments sont aussi nombreux que variés, Que dirons-nous de la peine réservée aux vo-
et des tempêtes de supplices fondent de tous luptueux? Quelles réflexions ferons-nous lors-
côtés sur l'âme; mais, dira quelqu'un, com- qu'il nous faudra payer par un châtiment réel
ment l'âme pourrait-elle suffire à cette multi- et éternel nos joies de ce monde, ou plutôt les
tude de châtiments, et subsister pendant des ombres apparences de nos joies, surtout
et les
siècles sans fin, toujours dans les supplices? lorsqu'un temps très-court nous eût suffi pour
Voyons ce qui se passe en cette vie combien : éviter ces affreuses tortures, et gagner les biens
y ena-t-il qui résistent à de longues maladies? éternels qui nous sont promis car Dieu, dans
:

Et, lorsqu'ils meurent, ce n'est pas parce que son amour pour les hommes, a voulu qu'après
l'âme s'est consumée dans la souffrance, c'est une dure un instant, un clin-d'œil,
lutte qui
parce que le corps n'a pu tenir s'il n'avait pas ; (la que cela en comparaison
vie présente n'est
cédé, l'âme aurait continué de souffrir. C'est de la vie future), nous soyons couronnés pour
pourquoi, lorsque l'âme aura repris son corps l'éternité. Une chose qui ne tourmentera pas
devenu incorruptible et indestructible, rien non plus médiocrement les réprouvés, ce sera
n'empêchera plus que lesuppliceneseprolonge de penser que, quand ils auraient pu tout ré-
à l'infini. Ici-bas la violence des peines ne peut parer, tout sauver en l'espace de quelques
se concilier avec leurdurée l'unede ces choses
: jours, ils se sont condamnés eux-mêmes, par
combat l'autre le corps étant d'une nature cor-
: leur négligence, à des maux sans fin. Pour
ruptible ne supporte pas leur concours; mais éviter ce sort, réveillons-nous donc, tandis
met fin pour toujours à cet
l'incorruptibilité que le temps nous est favorable, tandis que
antagonisme, et deux terribles maux s'em-
les luit encore le jour du salut, et que la péni-
parent puissamment de nous pour l'éternité. tence conserve son efficacité et sa vertu.
Non, l'excès des supplices ne détruira pas Les maux que je viens d'indiquer ne seront
notre âme ne nous berçons
: pas de cette espé- pas les seuls réservés à notre paresse, elle re-
rance; le corpslui-même sera exempt de des- cevra un salaire plus digne d'elle. Oui, il existe
truction. L'union du corps avec l'âme sera éter- encore des supplices plus insupportables que
nelle comme leur commun supplice. Quelles ceux-là. La déchéance des biens célestes sera
voluptés, quelle vie,longue soit-elle, veux-tu
si suivie, pour ceux qu'elle atteindra, d'une telle
mettre en balance avec ce châtiment et cette douleur, d'un tel serrement de cœur, d'une si

expiation? Je veux que tu vives cent ans, deux affreuse angoisse, que quand même aucune
cents ans, qu'est-ce que cela en comparaison de autre peine ne pèserait sur les pécheurs, celle-
l'éternité? Tel est un rêve dans toute une vie, là suffirait pour déchirer nos âmes d'une ma-

telle est la jouissance des biens présents, com- nière plus poignante et plus amère, pour les
parée à la durée des choses futures. Quel bouleverser plus violemment que tous les au-
homme, pour avoir un songe agréable, con- tres tourments de la Géhenne.
sentirait à passer le reste de sa vie dans les Représente-toi par la pensée l'état et la con-
tourments? Qui serait assez insensé pour ac- dition de la vie céleste je n'essaierai pas de ta
:

cepter cette compensation? Je ne discute pas la décrire, car nul discours ne saurait attein-
encore la volupté, je ne cherche pas à montrer dre à l'excellence de cette béatitude ; servons»
i'ninertume qu'elle recèle. Le temps n'est pa» nous cependant de ce que nous en eatendong
TREMIÈRE EXHORTATION A THÉODORE. S4S

dire, comme des données d'une énigme, pour des saints ; admirable concert de tous lescœurs
nous en former une ccrlaine idée, quoique unis dans les mêmes sentiments. Là, plus de
bien obscure. Là, dit l'Ecriture, plus de dou- diable à redouter, plus de démons dressant des
leur, de chagrins ni de larmes, plus rien de pièges, plus de menaces de l'enfer, plus de
ce qui trouble le bonheur, tel que la pauvreté mort, ni celle du corps, ni celle beaucoup plus
et les maladies. LJ, personne qui comniclte terrible de l'âme. Toute crainte de ce genre
l'injustice ou qui la soulTre, personne qui attise aura disparu pour toujours. Vois un enfant
la colère ou qui en éprouve les ardeurs, per- royal au commencement on a soin de l'élever
:

sonne qui ait do l'envie, qui brûle d'une pas- dans la simplicité et la modestie, sous l'in-
sion impure, qui soit en peine de se procurer fluence salutaire de la crainte et de la menace;
les choses nécessaires à la vie, qui se préoccupe une liberté prématurée gâterait son bon na-
de gouvernement ni de pouvoir public. A l'a- turel, et le rendrait indigne de l'héritage pa-
gitation de nos passions a succédé la tranquil- ternel ; mais lorsque le temps est venu pour
lité la plus parfaite; partout la paix, la joie, lui de revêtir la dignité royale, aussitôt ce mo-
les heureux transports, partout la sérénité et deste et simple état disparaît et fait place à la
lecalme, partout le jour, la splendeur et la lu- pourpre, au diadème, aune nombreuse escorte
mière, non cette lumière de maintenant, mais de gardes prend possession de son trône
; il

une autre plus éclatante, et devant laquelle la avec une noble assurance ; il a rejeté de son
nôtre pâlirait comme un chétif flambeau de- âme les sentiments de dépendance et de sou-
Tant le soleil. Ni la nuit, ni les nuages amon- mission, il en a pris d'autres plus convenables
celés ne la dérobent aux regards des bienheu- à son rang. Ainsi en sera-t-il des saints.
reux ; elle ne blesse ni ne brûle les corps. Ce Et pour que tu ne sois pas tenté de prendre
séjour ne connaît ni ténèbres, ni soir, ni fri- ceci pour un vain bruit de mots, allons sur la
mas, ni brûlantes chaleurs, ni aucune vicissi- montagne où se passa le miracle de la transfi-
tude de saisons. 11 jouit d'une inaltérable éga- guration voyons l'éclat dont brillait le Christ,
:

lité, telle que la comprendront ceux-là seuls qui cependant ne montrait pas encore toute la
qui s'en seront rendus dignes. Il ignore la vieil- splendeur du siècle à venir. Car il est évident
lesse et ses incommodités. Tous les éléments par les paroles mêmes de l'Evangéliste, que
de la corruption en ont été bannis l'incorrup- ; cette apparition de la gloire de l'Homme-Dieu
tible gloire y règne partout sans mélange; conserva le caractère d'une douce condescen-
mais ce qui surpasse encore tous ces biens, dance à la faiblesse humaine. Telles sont en
c'est de jouir de la présence du Christ, d'en effet ces paroles : // brillait comme le solciL

jouir éternellement en compagnie des anges, {Math.jXvu, Mais la lumière qu'envoient


2.)

des archanges et des puissances supérieures. les corps incorruptibles est tout autre que celle
Représente-toi le ciel renouvelé, la créa- qui émane du soleil, corps corruptible : celle-
lion tout entière transformée car elle ne res- ; de nature à être supportée par des
là n'est pas
tera pas ce qu'elle est maintenant elle devien- : yeux mortels, elle veut des yeux incorruptibles
dra beaucoup plus belle et plus brillante. Telle et immortels pour soutenir son éclat. Or, la
est la différence entre le plomb terne et l'or manifestation qui eut lieu sur la montagne
élincelant ; telle, et plus grande encore sera la fut adoucie dans la pourmesure qu'il fallait
supériorité de la création nouvelle sur l'an- ne pas blesser la vue des spectateurs: et néan-
cienne, selon ce que dit saint Paul, que la moins ainsi tempérée, ils ne la supportèrent
création elle-même sera affranchiedu joug de pas encore, mais ils tombèrent sur leurs visa-
lacorrupiion. (Rom., vni, 21.) ges. Dis-moi, si quelqu'un te conduisait dans
Car maintenant, en tant que sujette à la cor- un palais resplendissant, oïi tout le monde
ruption, elle éprouve toutes les défaillances serait assisen robe d'or si l'on te montrait ;

naturelles auxchoses corruptibles. Mais comme au milieu de l'assemblée un roi dont les ha-
alors elle aura secoué cette sujétion, elle ne bits et la couronne fussent tout de diamants
déploiera plus à nos yeux qu'une incorruptible et d'autres pierres très-précieuses, et qu'en-,
magnificence. Destinée à recevoir des corps in- suite on te promît de te faire prendre rang
corruptibles, il faudra qu'elle se transforme et parmi ce glorieux cortège, est-ce que tu ne
s'embellisse.Alorsplusdefactionsnidecombals ferais pas tout au monde pour obtenir l'effet
nulle part; grande harmonie dans l'assemblée de celle promesse ?

S. J. Cn. — To:,ii I. , 33
tSi6 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOMË.

Ouvre à présent les yeux de ton âme, tourne certaine une splendeur qui s'éteint si facile-
tes regards vers un autre théâtre occupé, non ment au souffle des guerres, des conspirations
plus par des hommes comme ceux-ci, mais et de l'envie, et combien encore, à part ces in-
par d'autres que ni l'or, ni les pierres pré- convénients, elle a peu de prix en elle-même.
cieuses, ni même les rayons du soleil, ni au- Et quand il s'agit du roi de l'univers, du sou-
cune splendeur visible ne seraient dignes verain, non d'une faible porlion de la terre,
d'orner théâtre occupé non-j;eulement par des
; mais de tout le globe, ou plutôt de Celui qui
hommes, mais encore par des êtres d'une na- tient toute la terre dans le creux de sa main,
ture supérieure: des Anges, des Archanges, qui mesure les cieux de ses doigts, qui sup-
des Trônes, des Dominations, des Principau- porte tout ce qui existe par la vertu de sa
tés, des Puissances. Quant au Hoi, on ne peut parole, devant qui toutes les nations de la
pas même dire quel il est, tant il s'élève au- terre sont comme rien, comme une salive inu-
dessus de toute parole humaine par sa beauté, tile que l'on rejette quand il ;
s'agit d'un tel

sa forme, son éclat, sa gloire, sa majesté, sa roi, nous n'estimerons pas que le dernier mal-
magnificence. Sont-ce là des biens dont nous heur, c'est d'être exclu de la cour qui l'envi-
devions répudier l'héritage, pour éviter des ronne, et nous bornerons nos désirs à éviter
souffrances d'un jour? Quand il nous faudrait le feu de l'enfer! Quoi de plus misérable et de
souffrir chaque jour mille morts, et l'enfer plus indigne d'une âme que de tels senti-
même, afin de voir le Christ s'avancer dans sa ments? Ce ne sera pas assis sur un
roi-là, il

gloire et d'avoir place dans l'assemblée des char d'or traîné par un attelage de mules
saints, est-ce que nousdevrionshésiter?Ecoule blanches; il ne portera pas la pourpre et le
ce que dit le bienheureux Pierre // nous est
: diadème lorsiju'il viendra pour juger la terre.
bon d'être ici. (Malth., xvn, 4.) Si cet Apôtre, Comment donc viendra-t-il? Ecoute les pro-
pour une obscure image des biens à venir qu'il phètes : ils le le diront, ils te le crieront avec
ne taisait (|u'entrevoir, était prêt à rejeter de tout ce que la voix de l'homme peut avoir de

son âme tout autre souci, pour se livrer tout force Dieu viendra d'une manière éclatante,
:

entier au [ilaisir que lui causait cette vision, dit l'un d'eux, et il ne gardera pas le silence ;
que dirons-nous lorsque nous serons en pré- le feuéclatera en sa présence, et autour de lui
sence de la réalité des choses, lorsque, les pa- une violente tempête; il convoquera le Ciel et
lais du ciel étant ouverts, il nous sera donné la Terre pour juger son peuple [?s. xlix, 34).
de contempler le roi lui-même, non plus au Isaïe nous met sous les yeux le supplice même
travers d'une énigme ou d'un miroir, mais par ces paroles Voici le jour du Seigneur qui
:

face à face, mais par lavue claire et immédiate. va venir, jour irrémédiabie de colère et de fu-
12.11 y a des hommes assez peu éclairés pour reur, qui fera de la terre entière un désert,
se (lersuailer que leurs efforts doivent se bor- qui détruira tous les pécheurs qui l'habitent. '

ner à éviter les ()eines de l'enfer. Quant à moi, Les astres du ciel, Orion, et tous ceux qui sont
il est un supplice que j'csHuie beaucoup plus l'ornement du ciel, ne donneront plus leur lu-
dur que tous les tourments de la Géhenne, je mière, et le soleil, à son lever, se couvrira de
parle de la privation de la gloire céleste. Celui ténèbres, et la lune néclairera plus; et je
qui en est déshérité doit moins se plaindre mettrai le comble aux maux du genre hu-
des souffrances de l'enfer que de cette lamen- main, et les impies recevront le prix de leurs
table déchéance. Ce châtiment surpasse tous crimes, et j'anéantirai l'orgueil des prévarica-
les autres. Lorsque nous voyons un roi en- teurs, et j'humilierai l'iiisolence des superbes,
touré d'une garde nombreuse faire son en- et les survivants seront plus rares que l'or
trée au palais: Heureux! disons-nous, ceux natif, que la pierre de saphir. Le ciel sera
qui approchent sa personne, à qui il adresse bouleversé et la terre tretnblera jusque dans
la parole et communique
ses pensées, et sur sesfondements, devant la colère du Dieu des
qui de sagloire! Quelque grands
rejaillit l'éclat armées, torque le jour de la colère sera venu
biens que nous ayons, nous nous jugeon (Isaïe, xiii, 9, 13).
malheureux, étant privés de cette faveur ; Et |)lus loin : Les cataractes des cieux s'ouvri-
tout le reste nous paraît insipide, loisquenotre ront et les fondei7ients de la terre seront ébran-
regard s'arrête sur l'éclat des courtisans. Nous lés; la terre sera troublée d'un grand trouble;
favons cependant combien est passagère et in- elle sera secouée, elle se renversera, le/léaude
PREMIÈRE EXHORTATION A THÉODORE. t»4I

la famine la désolera, elle sera agitée et chan- toute créature sera remplie de stupéfaction;
celante comme un homme ivre, elle se7-a se- d'horreur et de tremblement ; l'effroi s'empa-
couée comme une hutte à mettre des fruits, et rera des anges eux-mêmes, ainsi que des Ar-
elle tombera, et elle ne pourra se relever : des Trônes, des Dominations, des
chaiif,'('s,

parce que r iniquité a prévalu sur sa face; et Principautés, des Puissances. Les Vertus des
le Seigneur étendra sa main sur l'ornement du deux seront ébranlées (Miilth., xxiv, 29), à la
ciel i}ii ce jour-là et sur les royaumes de la terre; vue de ces créatures, enfants de Dieu corniiiCi
et il entassera leur assernôlée dans la prison, elles, obligées de rendre compte de leur via

et il la fermera pour qu'ils n'en puissent sortir. passée sur la terre.


(Isaïe, XXIV, 19, 22). Si le spectiicle d'une seule cité appelée au
Malaclue a entendre des accents sem-
fait tribunal de nos juges suffit pour glacer d'ef-
blables Voici venir le Seigneur tout-puissant,
: froi tous les cœurs, même de ceux qu'aucun
et qui soutiendra le jour de son entrée? Et qui danger ne menace lorsque toute la terre
:

subsistera dans la vision de sa majesté? H comparaîtra au tribunal du grand Juge, du


s'avance comme le feu d'une fonderie , et juge qui sait se passer de témoins et de preu-
comme l'herbe des foulons, et il s'asseoira pour ves qui, sans recourir à ces moyens, répan-
,

fondre et pour purifier, comme on fait de l'or dra le jour le plus complet sur les actions, les
et de l'argent. (Malacli.,iu,23). paroles et les pensées des hommes, et les pla-
Et plus loin : Il vient, le jour du Seigneur, cera, comme à l'aide d'un miroir, devant les
semblable à une fournaise ardente ; tous les yeux des coupables, comment toute vertu ne
étrangers et tous ceux qui commettent l'ini- serait-elle pas troublée et ébranlée? Quand
quité seront comme de la paille, et ce jour qui même un fleuve de feu ne coulerait pas devant
doit venir les embrasera, dit le Sngneur tout- le tribunal, etque des anges formidables ne
puissant, et il ne laissera ni racine nirejeton. que ce fait
se tiendraient pas à l'entour, est ce
(Malacb., iv, I). seul des hommes convoqués, les uns pour re-
Entendons aussi Daniel, l'homme des désirs: cevoir des éloges etune récompense, les autres
Je regardais attentivement, i}i\\.-'\\, jusqu' à ce pour s'entendre maudire et condamner à ne
que des trônes furent placés et que l'Ancien des jamais voir Dieu Loin d'ici l'impie, est-il dit,
:

jours s'assît : son vêtiment était blanc comme de peur qu'il ne voie la gloire du Seigneur !
la neige, et les cheveux de sa tête étaient comme est-ce que celte seule punition, cette privation
une laine pure; son trône était des flammes de de bienssi grands, nedéchirerait pas plus dou-
feu, et les roues de ce trône loi feu brûlant ; un loureusement les âmes des damnés que tous les
fleuve de feu et rapide coulait devant lui ; un tourments de l'enfer? Un tel malheur est au-
million d'anges le servaient, et mille millio?is se dessus de tout discours; mais alors, devant la
tenaient devant lui. Le jugement se ti?it et les réalité, nous ne le connaîtrons que trop claire-
livres funnt ouverts. (i)aLn.,\i\, 9, 10). Puis un ment. Pour compléter le tableau, ajoute encore
peu plus loin Je considérais ces choses, dit-il,
: des hommes non-seulement couverts de honte
da?is une vision de nuit, et je vis comme le Fils et la tête baissée sous le poids d'une immense
de l'Homme, qui venait avec les nuées du ciel : confusion mais traînés sur la route du feu,
;

il s' avança jusqu'à l'Ancien des jours, et ils le poussés au séjour des tortures, livrés aux Puis-
présentèrent devant lui; et la puissance lui fut sances de l'abîme, et cela pendant que seront
donnée ; et l'honneur, et le royaume, et tous les couronnés, proclamés amenés triomphale-
,

peuples, toutes les tribus, toutes les langues le ment devant le trône du Grand Roi, tous ceux
servent. Sa puissance est une puissance éter- qui ont pratiqué la vertu et fait des actions
nelle qui ne passera point, et son royaume ne dignes de la vie éternelle.
sera jamais détruit. Mon esprit frissonna, et 13. Quel jour terrible pour les uns et glo-
moi, Daniel, je fus terrifié dans tout monêtre, rieux pour les autres ! Mais quel discours
et les visions de mon esprit me troublaient. pourra décrire la suite le plaisir, le bonheur,
:

(Dan., VII, 13, 15). l'i\ lesse des élus dans la compagnie du Christ.

Alors s'ouvriront toutes les portes descélestes Une âme qui revient à sa noblesse originelle,
•voûtes ou plutôt le ciel lui-même disparaîtra qui peut contempler désormais librement son
du milieu de l'espace : // sera roulé comme un légitime maître, dire quelle jouissance elle
livre, dit le Propliùte. (Isaïe, xxxiv, 4). Alors éprouve, de quel Licuêlie elle se trouve coiij-
S48 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

blée, quellejoie elle puise non-seulement dans de notre volonté et de celle de Dieu. Dans sa
la possession des biens présents, mais aussi, bienveillance pour nous, notre souverain Maître
et surtout, dans la persuasion que ces biens a perm is, pour honorer d'autant plus notre race,
n'auront pas de fin, nul ne le pourra jamais. que les choses d'un moindre intérêt et d'une
IIy aura là une allégresse que le discours ne importance inférieure, et qui peuvent tomber
peut décrire, ni même l'intelligence, com- indifféremment de telle manière ou de telle
prendre. J'essaierai, néanmoins, delà faire autre, fussent soumises à l'aveugle empire de
entrevoir d'une manière obscure, et, autant la nature, tandis que, pour les beautés réelles
qu'il est possible, par les petites choses, de et vraies, il a voulu que nous en fussions nous-
donner une idée des grandes. mêmes les ouvriers volontaires. S'il nous avait
Considérons ceux qui jouissent des biens de rendus les maîtres de la beauté de notre corps,
la vie présente, de la richesse, de la puissance nous, y aurions apporté des soins excessifs, nous
et de la gloire; voyons comme le sentiment de aurions dépensé notre temps à des superfluités,
leur fortune les gonfle d'orgueil, comme il leur et laissé notre âme dans le plus grand abandon.
semble à eux-mêmes qu'ils ne sont plus sur la En l'absence de ce pouvoir que Dieu nous a
terre. Et cependant les biens dont ils se glori- refusé, nous n'épargnons, néanmoins, aucune
fient ne sont pas universellement réputés pour pratique, aucun effort; nous avons recours, à
des biens; ils ne sont pas stables au moins, défaut de la réalité, aux vaines apparences, aux
mais ils s'envolent avec la rapidité d'un songe ; fards, aux enluminures, aux frisures, aux ajus-
ce sont des biens dont la durée ella jouissance tements, aux couleurs appliquées sur les yeux;
s'arrêtent à la tombe, et qui ne peuvent suivre et à beaucoup d'autres falsifications et moyens
plus loin leurs tristes possesseurs. Si telle est artificiels de produire la beauté, que serait-
la joie à laquelle se laissent emporter les ce donc si nous avions la faculté d'ajouter à ce
hommes pourvus de ces misérables biens, que nous possédons déjà de beauté et, dans ;

quelle ne sera pas celle des âmes appelées aux notre assiduité à embellir le corps, quel temps
biens infinis des cieux, biens fixes, immua- réserverions-nous à notre âme et aux grands
en toute
bles, inaltérables, bienssi supérieurs, intérêts qui s'y rattachent? Si cette affaire nous
manière, à ceux d'ici-bas, que l'esprithumain concernait, nous n'en aurions bientôt plus d'au-
n'en peut même concevoir l'idée? tres toutes nos heures y seraient dépensées.
:

Maintenant nous vivons resserrés dans ce Sans cesse occupés à parer l'esclave, nous lais-
monde étroit, comme de
l'enfant dans le sein serions la maîtresse, plus négligée que la plus
sa mère, sans pouvoir comprendre la splen- misérable des servantes, croupir dans la mal-
deur et la liberté du siècle à venir; mais lors- propreté et l'ordure.
que le temps de l'enfantement sera venu, lors- Voilà pourquoi, nous affranchissant d'un
qu'au grand jour du Jugement la vie présente soin vil et bas. Dieu propose à notre activité
aura enfanté tous les hommes conçus dans son une occupation plus noble et meilleure ; et,
sein, alors les avortons passeront des ténèbres tel qui est dans l'impuissance de rendre beau
aux ténèbres, d'une angoisse à une autre an- son corps, de laid qu'il est, élèvera, s'il veut,
goissse plus douloureuse, tandis que les fruits son âme de la dernière laideur au faîte même
mûrs, les hommes qui auront gardé les traits de la beauté ; la rendra aimable et séduisante
de l'image royale, iront se présenter devant le jusqu'à provoquer les désirs non-seulement
Roi, et exerceront le même ministère que les des hommes de bien, mais encore du Roi
anges archanges devant le Dieu de l'uni-
et les suprême, de Dieu lui-même, selon cette pa-
vers. Prends donc garde, mon cher ami, d'ef- role du Psalmiste parlant de cette beauté de
facer entièrement ces traits dans ton âme hâte- ; l'âme Et le Roi sera épris de ta beauté, (Ps;
:

toi, au contraire, de les imprimer plus forte- XLII, 12).


ment et suivant un type meilleur : car, pour Les prostituées hideuses et impudentes sont
Ja beauté corporelle, Dieu l'a confinée étroite- rebutées par les gladiateurs mêmes, les esclaves
ment dans les bornes de la nature, tandis que fugitifs et les bestiaires ; au contraire, qu'une
la forme de l'âme échappe à celte loi de fata- femme belle, noble et pudique ait été pous-
lité et de servitude, étant de sa nature bien sée par le malheur à quelque extrémité fâ-
supérieure à la beauté du corps. cheuse, tu verras les hommes les plus bril-
Lu beauté du notre unie dépend entièrement lants et les plus haut placés ne pas rougir de
PREMIÈRE EXHORTATION A THÉODORE. 849

s'unir avec elle ; que si des hommes sont ca- n'imputant plus aux hommes leurs péchés ;
pables de celle commisération, de ce mépris et il a mis en nous la parole de la réconci-
de la renommée, jusqu'à tirer d'un honteux liation. Nous remplissons donc la fonction
esclavage et d'un mauvais lieu des personnes d'ambassadeur pour Jésus-Christ, et c'est Dieu
déshonorées pour les élever ensuite à la dignité même qui vous exhorte par notre bouche.
d'épouses, qu'est-ce que Dieu ne fera pas pour Nous vous conjurons au nom de Jésus-Christ
des âmes qui, déchues de leur céleste noblesse, de vous réconcilier avec Dieu. (Il Gorinth., v,
ont porté le joug de Satan, et sont tombées 19, 20.) Ces paroles, reçois-les comme si elles
dans l'antre de fornication de cette vie? avaient été dites pour Car une vie impure
toi.
Les comparaisons du genre de celle-ci rem- est aussi capable que l'incrédulité de causer
plissent les livres des Prophètes, lorsqu'ils s'a- cette funeste inimitié qui sépare de Dieu. La
dressent à Jérusalem Ezéchiel dit par exemple :
. sagesse de la chair, dit encore l'Apôtre, est
Les autres prostituées reçoivent; mais toi tu don- ennemie de Dieu. (Rom., viii, 7.) Détruisons
nais dessalaires. Tuaschangél'usagedesautres. donc cette barrière renversons-la; ; qu'elle dis-
(Ezéch., XVI, 33.) Un autre a dit : Tu t'es assise, paraisse et avec elle tous les obstacles qui retar-
attendant les faux dieux comme une corneille dent notre réconciliation, afin que nous rede-
solitaire. (Jérém., m, 2.) Et cependant cette Jé- venions les bien-aimés et les désirés de Dieu.
rusalem ainsi déshonorée par la fornication, \ 4. Je sais que, captivé parles charmes d'Her-

Dieu la rappelle encore à lui. Car la captivité mione, tu ne vois rien sur la terre qui soit
lui fut moins infligée comme un châtiment comparable à sa beauté; mais si tu le voulais,
qu'envoyée comme un avertissement de se con- mon cher Théodore, tu l'emporterais autant
vertir et de faire pénitence. Si Dieu n'eût voulu sur elle en grâce et en beauté, que k statue
que châtier son peuple, il ne l'aurait pas ra- d'or sur la statue d'argile. En effet, si la
mené dans son pays, il ne lui aurait pas rendu beauté qui se montre dans un corps, trouble et
son temple ainsi que sa ville plus grande et plus transporte à ce point les cœurs, quels ne doi-
splendide. La dernière gloire de cette maison, vent pas être son charme et sa puissance, lors-
dit le Prophète, l'emportera sur la première. qu'elle brille dans une âme? La substance de la
(Agg., II, 10.) beauté corporelle, qu'est-ce autre chose qu'un
Si Dieu n'a pas fermé la porte de la réconci- peu de chaleur, de sang, de bile, qu'une hu-
liation à la nation juive, tant de fois adultère, meur qui coule, qu'un suc provenant de la
combien plus facilement ouvrira-t-il les en- nourriture digérée? C'est à cette source que les
de sa miséricorde à ton âme, qui n'en
trailles yeux, les joues et les autres membres s'alimen-
est encore qu'à sa première chute? Quelque tent; pour peu qu'ils cessent un seul jour de
ardente passion qu'allume dans un amant la s'abreuver à ces ondes qui jaillissent du ventre
beauté d'un corps, jamais, non, jamais il ne et du foie, aussitôt la peau se fane, ks yeux se
brûle pour sa bien-aimée d'un aussi vif dé- creusent, et toute la beauté de la figure dispa-
sir,que Dieu pour le salut de nos âmes. On raît.Essaie seulement de te rendre compte de
peut s'en convaincre par l'expérience de tous ce qui est caché sous ces beaux yeux, sous ce
les jours, on le peut aussi par les divines écri- nez si bien fait, sous cette bouche et ces joues,
tures. Vois, au commencement de Jérémie et et tu seras le premier à dire que toute la beauté
dans beaucoup d'endroits des aulresprojjhètes ;
du corps qu'un sépulcre blanchi
n'est rien ;

vois ce Dieu, malgré le mépris et le dédain de tant elle recèle intérieurement de corruption.
sa créature la recherclier encore et courir
,
Que regards tombent par hasard sur un
tes

après ceux qui l'ont repoussé. linge souillé de ces humeurs dont je viens de
Il le déclare lui-même dans les évangiles parler, tu ne voudras pas y toucher du bout
lorsqu'il dit Jérusalem, Jérusalem, gui tues
: du doigt, tu ne pourras pas même y tenir les

les prophètes et qui lapides ceux qui te sont yeux attachés cependant c'est devant l'enve-
:

envoyés, combien de fois j'ai vouht rassem- loppe et le réceptacle de toutes ces choses que
bler tes enfants, comme une poule rassemble tu restes en extase. Telle n'était pas là ta beauté,
ses poussins sous ses ailes, et tu ne l'as pas à toi ; autant le ciel est au-dessus de la terre,

voulu! (Mallh., xxiii, 37.) Ecoute encore Paul autant surpassait-elle cette misérable beauté
disant dans sa seconde épîtreaux Corinthiens: corporelle le ciel : même
n'en égalait ni le prix
Dieu s'est réconcilié le monde en Jésus-Christ, ni l'éclat. Personne n'a jamais vu l'âme telle
S50 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CllRYSOSTOME.

qu'elle estenelle-niêmeetdépouilléeducorps : les embûches des parents, les douleurs à Toc*


j'essaierai cependant de le représeutersa beauté, casion des amis, la faim, le froid, la nudité,
et pour cela je la comparerai aux puissances les ardeurs de l'été, l'anxiété de ses propres
supérieures. Ecoule donc comment l'homme De tout cela
affaires et des affaires des autres.
des désirs fui ébloui de la splendide beauté de nous ne te demandons rien quant à présent :

celles-ci car voulant donner une idée de leur


: nous ne voulons que te voir, émancipé d'un
lorme, et ne trouvant aucun corps qui en ap- esclavage maudit, revenir àta liberté première,
prochât, il eut recours aux métaux précieux ; par la crainte des châtiments réservés au j^éclié
puis cette comparaison lui paraissant encore de luxure, comme par le désir de la réct m-
laible, il prit pour exemple l'éclair et la foudre. pense que méritait ta première vie. Que le
Au reste, si ces sublimes puissances n'ont ja- dogme de la résurrection laisse les incrédules
ïnais iaissé voir à aucun regard humain leurs dans l'indifférence, et ne leur inspire aucune
substances pures et nues, mais toujours fortc- terreur, rien d'étonnant; mais que nous, qui
obscurcies etvoilées, n'ont-idies pas assez
iTie ni sommes convaincus de la vérité des choses fu-
brillé cependant pour faire conjecturer avec que de la réalité des choses présentes,
tures, plus
vraisemblance ce qu'ellessont, tout voile écarté? nous vivions néanmoins dans la misère et la
Voici donc l'idée que l'on peut se former de honte du péché, sansqiie le souvenir de ce re-
la beauté des âmes. Elles seront sentblables doutable avenir puisse émouvoirnolre apathie,
aux anges, dit l'Evangélisle. (Luc, xx, 36.) et nous empêcher de tomber au dernier degré
Même parmi ceux qui sont d'une lé-
les corps, de l'insensibilité, c'est là, il faut l'avouer, le fait

gèreté et d'une subtilité plus grandes, et qui se d'une inconcevable folie.


ra[»proclienl davantage îles substances incor- Si nous qui avons lafoi, nous agissonscomme
porelles, sont beaucou|> plus admirables et plus ceux qui ne l'ont pas, ou même si nous sommes
b( aux que les autres. C'est ainsi que le ciel est pires que les infidèles, car les vertus naturelles
plus beau que la terre ; que l'eau
le feu, les ; ne sont pas sans jeter parmi eux quehjue éclat,
astres, que les pierres précieuses; et que l'arc- quelle sera noire excuse, comment espérer le
cn ciel offre à nos yeux un .•-iiLClacle plus ad- pardon? Que de marchandsfout naufrage, qui,
mirable que les violettes, les roses et toutes les loin de tomber dans le désespoir, recommen-
fleurs de la terre. Enlin, s'il t'était donné de cent le même voyage, et cela quand leurs pertes
voir, des yeux du corps, lu forme éclatanted'une viennent non d'un manque d'énergie de leur
âme, tu rirais de cescomparaisons matérielles, pari, mais du hasard el de la violence des tem-
si impuissantes à nous donner une idée, même pêtes! El nous, à qui rien ne doit faire perdre
obscure, de la beauté de l'âme. Ne négligeons l'espoir d'une heureuse
fin nous qui avons ;

donc pas un bien dans la jouissance duquel la certitude qu'aucun naufrage, aucune ca-
1 nous trouverons tant de bonheur; ne le négli- tastrophe ne nous frappera si nous ne le vou-
I
geons pas, surtout lorsqu'il est si facile d'y par- lons pas, nous ne reprendrons pas le cours de
!
venir par la voie de l'espérance. Le moment nos affaires, nous ne déploieions pas de nou-
I
si court et si rapide des afflictions que nous veau notre voile au souffle du venll nous res-
.'
souffrons en cette vie, produit un poids éternel terons oisifs et les bias croisés! Si encore là
- de gloire to7i jours croissante, pour nous qui re- se bornait notre folie; si du moins elle n'allait
gardons, non les chases visibles, mais les invi- pas jusqu'à nous rendre actifs pour notre perte 1

sibles. Caries choses visibles sont passagères, les Qui ne traiterait d'insensé l'alhlèle qui, ou-
invisibles sont inwiortelles. (11 Corinth.,iv, 17). bliant son adversaire, tournerait ses mnins
Paul aiipelle léger, set faciles à sup-
Si saint contre sa tête et se meurtrirait le visage? Lut-
porter lesafllictionsque tu connais, comment teur perfide, le diable nous a-l-il surpris et
oseras-tu prétendre que c'est un supplice in- terrassés? c'estle cas de nous relever et non
supportable de renoncer à la luxure ? Car je de nous laisser traîner pur lui où il voudra,
n'exige pas de toi que tu affrontes les (lérils encore moins de nous jeter nous mêmes dans
dunt parle l'Apôtre, les menaces quotidiennes le précipice, elde joindre nos coups à ses coups
de mort, les bâtons, les fouets, les fers, les re- pour mieux nous meurlrir.
buts du monde, l'inimitié des proches, les Le saint roi UaviJ avait fait une chute pa-
veilles succédant aux veilles, les voyages loin- reille à la tienne il en fil, coup sur coup,
:

tains, les naufrages, les attaques des voleurs, ui;e seconde à l'adultère il ajoutariiomicide.
:
PREMIÈRE EXHORTATION A THÉODORE. 9Î51

lît"; bion ! ilcmenrer par terre? Est-ce


le vois-tii nous en désespérons. Ainsi, quand la nature
qu'il ne se relève pas snr-le-cliamp, dans toute de nos maladies nous devrait faire désespérer
sa force, pour se mettre de nonvi au en parde de notre guérison, nous nous en occupons
contiv l'ennemi ? Oui, c'est ainsi qu'il agit, et comme si un grand espoir nous soutenait;
il lulta si vaillanimeul qu'il mérita de devenir, quand il est question au contraire de maladies
môme après sa mort, le protecteur de ses des- qui ne sauraient être désespérées, c'est alors
cendants. En itTet, loi?(]ue Salomoneut préva- que nous nous rebutons comme si elles étaient
riqué de la manière la plus yrave, jusqu'à mé- incurables, tant nous faisons plus de cas du
riter mille fois la mort, Dieu
néan- lui laissa corps que de l'âme. du moins nous pouvions
Si
moins son royaume tout entier à cause de par là sauver le corps, mais bien loin de là. Car
Da\'\â. Je coupe7-iu\ dit- il, /ou royatime en deux négliger la partie priuci|)ale pour soigner la
porls, et j'en donnerni une à ton serviteur, mais moindre, c'est le plus sûr moyen de tout dé-
je ne le ferai /ms de ton virant. Pourquoi ? A truire, de tout perdre. Au contraire, observer
cause de David ton / ère ; mais, cette |)art des- l'ordre et s'occuper d'abord de la partie la plus
tinée au servikur, je l'enlèverai de la main de noble et la meilleure, c'est travailler encore au
ton fils. [\\\ Rois, 11, il). salut delà partie inférieure; négliger le corps,
Plus tard Ezécliias se trouvant aussi dans un c'est le servir. Notre-Seigneur nous le donne à
péril exlrénie, biin (]u'il lui juste lui-même, entendre lorsqu'il dit : Ne craignez pas ceux qui
c'est incore en consi do ration de David, que Dit'U tuenl le corps, mais qui ne peuvent rien sur
lui promet de venir à son secours : J'étendrai l'âme : craignez plutôt celui qui peut perdre
lebouclier de ma pr<,tccli'n sur cet le ville, pour l'âme et le corps dans l'enfer. (Matth., x, 28.)
la sauver à cause de mai, et aussi à cause de Es-tu convaincu qu'il ne faut jamais déses-
m-m serviteur David. (IV Rois, xix, 3i.) Telle pérer des maladies de l'âme, puisqu'il n'y en
est la force de la pénitence. Si David se fût ima- a pas d'incurables? ou bien, faut-il encore
giné, comme toi, (|u'il ne pouvait plus espérer d'autres raisons pour te persuader? Tu déses-
d'apaiser D:eu, s'il se fût dit en lui-même : pérerais de toi-même mille fois, que moi je
Dieu m'a élevé à la plus haute dignité, il m'a n'en désespérerais pas ;
je me garderai bien
rangé parmi ses prophètes il a mis dans mes ; de tomber dans la faute que je reproche aux
mains le gouvernement de ma nation, il m'a re- autres; quoiqu'à vrai dire ce ne soit pas la
tiré de mille dangers et moi, comblé de tant de; même chose de désespérer de soi-même que
bienfaits, je l'ai offensé grièvement, j'ai donné de désespérer d'un autre. Le désespoir que l'on
dans les derniersdésordres.commentpourrais- conçoit pour autrui se pardonne aisément,
je après cela rentrer en grâce auprès de lui? mais celui que l'on conçoit pour soi-même est
S'il eût raisonné de la sorte, non-seulement il impardonnable. Pourquoi? parceque l'on n'est
n'aurait pas fait le bien qu'il fit ensuite, mais pas maître de la résolution ni de la conversion
encore il aurait anéanti ses mérites antérieurs. d'un antre, taudis que chacun dispose de la
45. U en est des blessures de l'âme comme sienne à son gré. Néanmoins je ne le répète, je

de celles du corps : elles causent la mort quand désespérerais pas de toi, lors en même que tu
on les néglige. Telle est cependant notre in- désespérerais. Il y aura peut-être :oui, il y aura
conséquence, que nous ne croyons pas pouvoir un retour, un changement; tu reviendras dans
trop soigner cflles-ci, ni tropnégiigercelles-là. la voie que tu as quittée. Ecoute un exemple :
Les njaladies du corps ne sont que trop souvent lorsque les Ninivites eurent entendu le Pro-
incurables, et néaruuoins rien ne peut nous phète leur annoncer d'une voix terrible des
rebuter; les médecins ont beau nous dire et châtiments certains Encore trois jours et Ni'
:

nous répéter que nos maladies sont sans re- nivoi'exislera plus (ionas, m, 4), les Ninivites
mède, nous ne laissons pas d'insister, d'im[)lo- ne perdirent pas néanmoins courage ils :

rer de leur art un soidagement quelconciue, si n'étaient pas sùrsde |)Ouvoir fléchirlacolèrede
petit qu'il soit. S'agit-il au contraire de l'âme, Dieu; ils ne pouvaient même que conjecturer
qui, n'étant [)as soumise aux lois falales qui le contraire, puiscjue l'oracle avait été émis
régissent la nature nulciiclli', ne connaît ()as sans condition, et comme une déclaration pure
non plus de maladie iuguirissal)le, alors , et simple : malgré tout, ils lassèrent éclater

cranuie si nos souffrances nous étaient étran- leur repentir. Qui sait, dirent-ils, si le Seigneur
guie.s, nous ne uous en occupons pas, oubico ne changera pas sa résolulio/i, s'il ne scluissera
S52 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

pas fléchir, s'il ne laissera pas tomber S07i cour- pour notre salut, lorsqu'il apprenti que aon
roux, si enfin il ne nous épargnera pas ? Et peuple, après des prévarications sans nombre,
Dieu vit leurs œuvres : il vit co77iment ils avaient veut rentrer dans la voie droite, il dit : Çui

quitté les voies du mal, et Dieu changea sa ré- leur donnera que leurs cœurs soie/it disposés d
solution, et il ne leur envoya pas le châtiment me crai7u(re et à garder 7nes coi77ma7ideme7itê
dont il les avait menacés, et il ne leur fit aucun tous les jours de leur vie, afi7i qu'ils soient
mal. (Ibid., ix, 10). heureux, eux et leurs durant Véter7iité?
fils

Des barbares, des ignorants ont su com- (Deut., V, 29). Et Moïse s'entretenant avec les
prendre cela, et nous ne le saurions pas, nous, Hébreux leur disait : Et 77iainte7ia7it, Israël,

instruits des révélations divines, nous qui qu'est-ceque le Seig7ieur Dieu demande de toi,
avons oui et vu une infinité d'exemples de ce sinon que tu craignes le Seig7ieur ton Dieu,
genre Car, dit le Prophète, mes conseils ne
! que tu marches da7is toutes ses voies et que tu
sont pas comme vos conseils; ni mes voies l'ai77ies? (Deuler., x, 42).

comme vos voies ; mais autant le ciel est au- Ce Dieu si jaloux de notre amour, qui fait

dessus de la terre, autant mes pensées sont tout pour se l'attirer, qui n'a pas épargné son
au-dessus de votre intelligence, et mes conseils Fils unique, qui désire ardemment notre con-
au-dessus de vos conseils (Isaïe, lv, 8, 9). Si version en quelque temps qu'elle arrive, com-
nous pardonnons à nos serviteurs des fautes ment ne pas nous accueillir, et ne
pourrait-il

même pourvu qu'ils


réitérées plusieurs fois, pas nous donner le baiser de paix si nous fai-

promettent de se corriger si nous leur ren-


;
sons pénitence? Ecoute ce qu'il dit par le Pro-
dons, si même nous augmentons les avantages phète : Confesse tes i7iiquités, afin que tu sois
et la confiance dont ils jouissaient auprès de parole dont le but évi-
justifié (Isaïe, xuii, 26) :

nous, comment peux-tu supposer que Dieu ne dent est d'augmenter la force de notre amour
soit pas encore plus généreux que nous? pour Dieu; car, lorsque celui qui aime ne
Pour avoir raison de désespérer, pour douter laisse pas éteindre l'ardeur de ses sentiments

de son salut, il faudrait admettre qu'il ne nous même par les injures qu'il reçoit de ceux qu'il
a créés qu'afm de nous tourmenter et de nous aime, et que, sans craindre des affronts publics,
faire souffrir. Que si au contraire c'est sa seule il ne se lasse pas de renouveler ses avances

bonté qui l'a poussé à nous créer, afin de nous amicales, quelle peut être sa volonté, sinon de
faire jouir des biens éternels, s'il n'a rien tant montrer toute la puissance de son amour, et
à cœur que iu)tre salut, si tout ce qu'il fait et par ce moyen provoquer en retour une affec-
dispose depuis le premier instant de notre tion plus étroite et plus forte?
existence jusqu'au dernier ne tend qu'à ce but, Si la confession que l'on fait de ses péchés
quellesraisons avons-nous encore pour douter procure tant de consolation, que ne doit-on pas
de la possibilité de notre salut? Serait-ce que attendre d'une justification qui y joint les
nous l'aurions offensé plus grièvement que ja- bonnes œuvres? S'il en était autrement, si
mais personne ne l'a fait? C'est au contraire tous ceux qui sont une fois sortis du droit che-
une raison pour sortir promptement de nos min en étaient désormais exclus malgré leurs
désordres actuels, de faire pénitence de nos efforts pour y revenir, le nombre de ceux qui
dérèglements passés, et de montrer un grand parviendraient au royaume des cieux serait
changement de vie. Car nos attentats anté- bien restreint et facile à compter
: mais, aucon-

rieurs sont encore moins faits pour l'irriter traire, nous n'en trouvons pas qui brillent plus
que notre refus de conversion. En effet, faillir par la saintetéque ceux qui se sont relevés après
est de l'homme, mais persévérer dans le mal avoir failli.

est quelque chose qui n'est plus de l'homme, Ordinairement, quand on a montré de l'é-
mais du démon. nergie pour le mal, on en montre une égale
Dieu, par la bouche de son Prophète, traite pour le bien n'est-on pas stimulé d'ailleurs
;

beaucoup plus sévèrement le délai de la con- par la conscience des dettes que l'on a con-
version que la chute dans le mal Et après : tractées. C'est ce que signifient les paroles
tous ces adultères, (de Jérusalem avec les dieux adressées par Notre-Seigneur à saint Pierre, au
étrangers), /aeûfii à Jérusalem: reviens à moi, sujet de la femme pénitente : Vois-tu cette
et elle 71 est pai revenue (Jérém., m, 7). Ail- femme ? Je suis entré dans ta maison et tu ne
leurs, voulant montrer de quel dégir il brûle m'as pas donné <feau pour icw&: pieds : mj
PREMIÈRE EXHORTATION A THÉODORE; £53

elle, ait contraire, a mouillé mes pieds de ses la folie; ceux que cette terrible maladie a
larmes, et lésa essttyés avec ses cheveux. Tu lie frappés ne savent plus ni craindre, ni rougir;
m'as pas donné jde baiser ; mais elle, deptiis ils osent tout,et,sans s'effrayer d'aucun danger,
qu'elle est entrée, n'a cessé de baiser mes pieds. ils sautent dans le feu, dans un précipice, dans
Tu n'as pas fait couler l'huile sur ma tête; la mer. Ainsi en de ceux que le déses-
est-il
mais elle, elle a répandu des parfums sur poir saisit et égare; rien ne les retient plus;
mes pieds. C'est pourquoi je te dis : ses nom- partout où ils voient le mal, ils s'y jettent tête
breux péchés lui seront remis, parce qu'elle a baissée. Il faut que la mort vienne mettre un
beaucoup aimé ; et celui à qui il est moins terme à leur fureur, à leur emportement, sans
pardonné aime tnoins. Puis il dit à la femme : cela ils se causeraient à eux-mêmes des maux
Tes péchés le so7it remis. (Luc, vu, M, 48.) inlinis.
C'est pourquoi, sachant que les plus grands Je t'exhorte donc de toutes mes forces, avant
coupables deviennent aussi, quand lisse con- que tu sois entièrement plongé dans cette
vertissent, les plus zélés pénitents, à cause de ivresse fatale, à revenir à résipiscence, à sortir
la conscience de leurs crimes qui les stimule, de ta torpeur, à repousser loin de toi cette
le démon appréhende-t-il vivement de les voir crapule satanique, sinon tout d'un coup, au
toettre lamain à l'œuvre de la pénitence. Une moins petit à petit. Pour moi, je te conseillerais
fois lancésdans cette voie, on ne peut plus les de débarrasser d'un seul coup de tous ces
te
retenir. Embrasés du feu de la pénitence, ils liens où tu es enlacé, et d'entrer résolument
rendent leurs âmes aussi pures que l'or le plus dans les exercices de la pénitence ; c'est le meil-
pur. Laconscienceetlesouvenirdeleursfautes leur parti. Toutefois, si ce moyen te semblait
passées, comme un vent violent, les pousse irré- prends celui que tu voudras pour re-
difficile,

sistiblement dans le port de la vertu. Ils ont venir dans la voie du salut ; seulement il est
un avantage sur ceux qui n'ont point failli, ils nécessaire d'y rentrer pour marcher ensuite
sont brûlés d'un plus grand zèle. Je le répèle, vers le bonheur éternel. Oui, je te prie, je te
l'important c'est qu'ils se meltent à l'œuvre. conjure par ta vertu passée, par ce généreux
Le pénible et le difficile c'est de mettre courage qui t'animait, fais que nous te voyions
le pied sur le seuil, de pénétrer dans le ves- encore une fois marcher d'un pas ferme sur
tibule de la pénitence ; c'est de repousser et de ces sommets élevés de la vie chrétienne. Aie
terrasser l'ennemi qui veille à l'entrée, respi- pitié de ceux dont le scandale de ta désertion a

rant la fureur. Vaincu une première fois et causé la chute, brisé le courage et ralenti la
culbuté de son poste le plus fort, il ne présen- marche dans le chemin de la vertu.

tera plus ensuite la même résistance et nous, ;


Aujourd'hui la honte estde notre côté ; la con-
celte première victoire nous donnera force et fusion fait baisser la tête à tous tes frères, au
courage, et nous continuerons la lutte avec plus contraire la satisfactionetlesrires éclatent dans
d'avantage et de facilité. A l'œuvre donc, et le camp des incrédules etdesjeunesdébauchés.

revenons, prenons notre course vers la céleste Reviens au bien, et les rôles seront changés :
cité, où déjà nous avons été inscrits sur la liste notre honte deviendra leur partage; et nous,
des citoyens où nous sommes appelés à vivre
; en te voyant le front couronné d'une auréole
et à exercer nos droits. nouvelle de vertu, dont la renommée augmen-
Tomber dans le désespoir n'entraîne pas seu- tera encore l'éclat, nous nous réjouirons, nous
lement pour nous le résultat fâcheux de nous triompherons à notre tour. De telles victoires

fermer les portes de cette cité, de nous faire ajoutentàlagloireetàlajoiede la vertu. Devenu
croupir dans une apathique lâcheté, mais en- un modèle proposé àl'imitationdetousceux qui
core celui de nous jeter dans une fureur sata- pourraient tomber comme toi, pour les porter à
nique. Car le démon n'est devenu tel que pour se relever et àse convertir,tu recevrasla récom-
avoirdésespéré d'abord du désespoir, il tomba
; pf nse, non-seulement de tes propres mérites,
dansune rage insensée. En effet, quand uneâme mais encore la récompense de la consolatioa
a une fois perdu l'espoir de se sauver, elle se etde l'encouragement procuré à tes frères.
précipite d'elle-même dansc'es abîmes toujours Ne méprise pas un si grand avantage. N'eu-
plus profonds; elle ne dit plus aucune parole, tnîne pas nos âu.es sur le chemin de l'enfer;
ne fait plus aucune action qui ne tende à ag- permets-nous de respirer laisse se dissiper le
;

graver sa cbule. C'est un état qui ressembk à nuage de découragement qui nous enveloppe.
C5i THADUCTIÔN FIIANÇAISE DE SAl.NT JEAN CimYSOSTOME.

MainfpnrîT5l, oubliant nos maux personnels, pour avoir abandonné trop tôt ses études, et'

no'is iilenrons ton désastre; mnis si lu voulais avant d'en pouvoir retirer aucun fruit, il so
redevenir sajie, ouvrir lesyeux, reprendre ton trouve incapable de gérer ses affaires domes-
rang dans la milice du Christ, alors non-seule- tiques.
ment nous délivrerais de notre affliction
tu Pendant que ces propos circulaient et cau-
prcsenti', mais encore d'une grande partie de saient un grand scandale, quelques hommes
nos pccliés. La pénitence peut donc redonner pieux, chasseurs habiles à ressaisir dans leurs
un grand et vif éclat à ceux qui la prati(|uent, filets 1(S âmes égarées, à (pii l'expérience avait
nous venons de le montrer par les saintes Ecri- appiis(ju'en CCS sortes il faut mettre
d'r.fiaires

tures. Le royaume des cieux peut devenir l'hé- sa confiance en Dieu et ne pas désespérer du
ritage des pulilicains cl des iiro>lilaé' s. Beau- succès, se mirent à l'observer constamment,
coup des derniers |)récèderûnt les prcniii-rs. et chaque fois qu'ils le voyaient paraître sur la

L'histoire que je vais te raconter est toute place publique, ils l'abordaient et lesaluaient. •

récente, tu pourr.iis en avoir été Icnioin. Con- Au commencement, il leur répondait du haut
iiais-lu Phénix, le llls d'Urbain, resté orphelin de son clieval, leur accordant à peine un re-
Irès-jeuneet maître d'une fortune considérable gard obliqueet dédaigneux telle élait son :

en argent, en esclaves, en fonds de terre? impudence. Cependant ces hommes de bien,


Nous l'avons vu tout à coup dire adieu aux sentant leurs entrailles émues de [litié et de
exercices des écoles, mettre de côté les riches compassion pour ne se rebutèrent pas de
lui,

habits, ainsi que tout le faste d'une existence ces affronts. Ils ne voyaient, ils ne se propo-
brillante, prendre un vêtement simple, se reti- saient qu'une seule chose arracher cet agneau :

rer dans la solitude des montagnes et montrer de gueule des loups; ce qu'ils firent à force
la

une sagesse au-dessus de son âge, une sagesse de patience. Dans la suite, rentrant en lui-
digne des hommes faits et desjilus admirables même, et revenant comme d'une longue ab-
ascètes. Enfin il fut iniiié aux mystères, après sence, il fui pénétré de honte en voyant leur
quoi ses progrès dans la vertu furent encore assiduité: c'est pourquoi aussitôt qu'il les aper-
plus grands qu'auparavant. Tous étaient dans cevait, il sautait en bas de sa mouture, et écou-

la joie, tous louaient Dieu de ce que, élevé tait leurs sages avis la tête baissée et en silence.
dans les richcsseset d'une naissance illustre, ce Avec le temps il leur témoigna des égards
jeune homme eût tout à coup, el si jeune en- et un respect de plus en jilus grands. Aidés
core, foulé aux pieds les vaines apparences de de la grâce de Dieu, ils le débarrassèrent ainsi
la vie, et fût parvenus! vite jusqu'au faîte des insensiblement des filets où il était pris; ils

biens véritables. finirent par le rendre à la liberté de la soli-

Il en du monde,
élaitlà, et faisaitTadmiralion tude et de la sagesse. Sa pénitence fut si écla-
lorsque des hommes, de corruption,
artisans tante, que sa première vie fut complètement
que les droits du sang luiavaientdonués pour éclipsée par celle qui suivit sa chute. L'expé-
curateurs, le ramenèrent dans le tourbillon rience lui ayant montré en quoi consistaient
d'où il était sorti. Le voilà donc qui abandonne la séduction et l'appât du péché, il distribua
tout, qui descend des montagnes, qui se pré- tous ses biens aux pauvres, s'affranchissant
sente sur la place publique,qui monte à cheval, ainsi des soucis des richesses et ôlant toute
qui s'entoure de nombreux domestiques, qui prise à qui voudrait encore le faire tomber
parcourt toute la ville en cet équipage, et ne dans le piège. 11 continua ses progiès dans la
veulplusdésormaisentendre parler desagesse. voie qui mène au ciel, et il a maintenant at-
Puislefeudela voluptévenantà s'allumer dans teintle but suprême de la vertu.
son cœur, il fut entraîné dans des amours dé- Mais celui-là du moins était encore jeune
réglées ; enlin, à voir l'essaim de flatteurs qui lorsqu'il se releva après être tombé. En voici
l'entouraient, sa situation d'orphelin, sa jeu- un autre qui n'est plus dans le même cas. II

nesse etsa grande fortune, il n'y eut plus per- avait habile le désert pendant longtemps,
sonne qui ne portât le deuil de cette âme. n'ayant qu'un seul compagnon; il avait sué,
Déjà les gens qui sont enclins atout blâmer il avait souffert, il avait mené la vie d'un ange
à la légère accusaient ceux qui avaient dirigé jusqu'à la vieillesse; lorsque, circonvenu par je
sa conduite dans le principe non-seulement,
; ne sais quelle ruse satanique, il se relâcha un
disaient-ils, il a perdu les biens spirituels^ mais peu et donna prise au i)/«Mt!fl/«; si bien que lui
rni:vif:!;E kmîoi'.ïaiion a t!;éoi)OUE.

qui, dopiiis qu'il était moine n'avnit jamais vu avaient été trompé:'. eurent de nouveau re-
Ils

de femme, fui toiilàioiip rii pioicaiiv tlammes conis à la prière, et dans une autre vision
de la convoitise cliarnello. Il commença par seuiblalile à la première, ils entendirent encore
demander a son comp'gnon de lui servir île la le même avertissement.
Tianile et du \in, le menaçant, s'il refusait, Alors revenant trouver le moine, ils lecon-
de descendre lui-même sur la place pulili pie. jiiicnl de leur montrer l'homme qu'ils clier-

Il parlait ainsi moins par le désir de se rassa- cliaient, parce qu'ils savaient qu'il n'était pas

sier de viande que pour trouver un prétexte mort. Le religieux comprend alors que le secret
d'aller à la ville. est pénétré, et il les conduit vers le Saint. On

A cette demande étrange, l'autre fut d'abord perce la paroi de la cellule dont il avait muré
fortembarrassé; mais, réfléchissaiitqu'nn refus l'entrée, les hommes se jettent aux pieds du
pourrait l'exposer à quelque grand malheur, solitaire, lui racontent ce qui se passe et le

il lui donna ce qu'il demandait. Voyant que sa supplient d'écarter famine qui est immi-
la

ruse n'avait servi de rien, notre liomme alors nente. L'humble anachorète résista d'abord, il
met de cote toute pudeur; il ne dissimule plus, était bien éloigné, disait-il, de mériter cette

il dit hautement qu'il va descendre à la ville, coiiliance et de posséder ce pouvoir son péché ;

il le faut, il y est obli;,'é.Son ami qui ne peut étaitencore devant ses yeux comme s'il venait
le retenir le voit enfui partir; mais pour ob- de le commettre. Les visiteurs insistent, ra-
server ce que signifiait ce voyage, il le suit content tout ce qui est arrivé et finissent par le
de loin; il le voil entrer dans un lieu de dé- persuader de se mettre en prière, et ses prières
bauche, il a|)prend qu'il est avec une pnisti. triomphèrent du fléau.
tiée. Il l'attend, et lorsque le malheureux, Quant à l'histoire du jeune homme qui, après
ayant assouvi son absurde passion, sort, il avoir été de saint Jean, devint chef de
le disciple

le reçoit dans ses bras, il l'enlace, il le couvre bi igands, fut ensuite ressaisi par la main pater-

de baisers chaleureux et sans lui reprocher :


nelle de l'Apôtre, et ramené par lui du fond

ce qu'il vient de faire, il l'engage seulement, d'une caverne de voleurs à la lumière de sa


maintenant (ju'il s'est satisfait, â revenir au vertu première, tu ne l'ignores pas, tu la sais

désert et à rentrer dans la cellule. aussi bien que moi plus d'une fois, je m'en
;

douceur confondit le pauvre pécheur,


Celle souviens, tu exprimas ton admiration pour

pénétra jusqu'au tond de sonànie et la remplit l'étoimante condescendance de l'Apôtre baisant

de componction et de remords en cet élat il :


la main encore sanglante d'un homicide, en-
suivit son ami (jui retournait à la mont.igne. laçant ce malheureux enfant dans ses bras et
se jette dans une autre cellule, enfin le gagnant au bien pour la seconde fois.
Arrivé là, il
bienheureux apôtre Paul, quelle est
18. Et le
prend une quantité de pain et d'eau suffisante
pour un temps assez long, prie son compagnon sa conduite à l'égard d'Onésime, le vaurien,
l'esclave fugitif, le voleur ? Non content de
de fermer la porte et de répondre à ceux qui
viendront le demander, qu'il repose. Après l'entourer de son affection après l'avoir changé

quoi il s'enferma pour purifier son ànie dans en un autre homme, il demande encore que le
les jeûnes, dans les larmes.
dans les prières et maître honore l'esclave converti comme il ho-
Après un laps de temps qui ne fut pas Irés- nore l'Apôtre. La prière que je vous fais, âil-U,
une grande séclicresse dans est pour mon fils Onésime, que fai engendré
long, il survint
tout pays environnant, et les hahitanls
le
dans mes chaînes, qui vous a été autrefois inu-
tile, mais qui inaiiilenant vous
estutiledvous
étaient dans l'aflliction. Cependant quelqu'un
et à moi. Je vous le renvoie, et je vous prie de le
reçut en songe l'avis d'aller imoquer le se-
recevoir comme mes propres entrailles. J'avais
cours de l'homme qui était enfermé, iiarce ([ue
désiré de le retenir auprès de moi, afin
qu'il
ses pi iores feraient cesser le tleau. La
personne
me à votre place dans les chaînes que je
servît
qui avait eu le songe partit avec (luehiues au-
ils ne trouvèrent d'abord que le compa- porte pour r Evangile. M'usje n'ai rien voulu
tres ;

faire sans votre avis, afin que votre


bonne
gnon de l'homme qu'ils chLixhaienl, lequel
œuvre ne soit pas forcée mais volontaire; car
leur réponse convenue. Comme celte ré-
fit la
peut-être at-il été éloigné de vous pour un
pon-e était équivoque et pouvait également
temps, afin que vous le recouvriez pour l'éter-
sigailîur qu'il dniiuuit ou qu'il était mort, les
nité; nonplus comme wiesclave, mais,au/i(;u
visiteurs preuant le dernier sens, crurent qu'ils
5S6 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

d'un esclave comme nn frère qui m'est fort cher des confessions : si l'espérance lui fait défaut,
à moi; combien plus à vous à quiil appar- il ne s'affranchira pas du péché de même que ;

tient selon le monde et selon le Seigneur ? Si le laboureur qui désespère de la récolle ne

vous me considérez comme uni à vous, re- s'occupe |)lus de combattre les fléaux des se-
cevez-le comme moi-mênie. (Pliilem., x, 18.) mences ; ainsi celui qui sème la confession et

Ecrivant aux Corinthiens, le même apôtre dit les larmes, s'il n'en attend aucun fruit, ne
encore: De peur qu'étant retourné chez vous je pourra pas rejeter ce qui corrompt la pénitence
ne sois réduit à en pleurer plusieurs qui, après et la rend inutile.

avoir péché, n'ont point fait pénitence (H Co- Or, une chose qui rend la pénitence inutile,
rintli.,xii, 21). Et plus \om: Je l'ai déjà promis c'est d'être toujours l'esclave des mêmes péchés.
et je le promets encore, si je retourne chez vous, S'il y en a un qxd édifie et un qui détruit, quel
je n'aurai pas d'indulgence. (lbid.,xiii, 2.) sera le résultat sinon la peine ? Tu t'es lavé
Tu vois qui sont ceux qu'il pleure, qui sont après avoir touché à un mort, et tu y touches
ceux qu'il n'épargnera pas. Ce ne sont pas les de 7iouveau ! de quoi te sert ton bain ? (Eccl.,
pécheurs: non, ce sontlesim[iénitents, etnon XXXIV, 30).
pas simplement ceux qui ont refusé de faire pé- Voici un homme qui jeûne pour obtenir la ré-
nitence une fois, mais ceux qui, après avoir été mission de ses péchés, et qui un peu plus loin

invités une et deux fois, n'ont pas voulu obéir ; retombe dans les mêmes actions voulez-vous ;

car ces mots -.j' ai /jroîuis et je promets, i'a\ pro- que l'on s'arrête à sa prière? Ecoutons encore
mis une première l'ois étant présent, je promets l'Ecriture Celui qui délaisse la justice pour
:

une seconde fois étant absent, c'est-à-dire retourner au péché, Dieu le réserve au glaive
j'écris, ces mots expriment parfaitement ce que vengeur (Eccl., xxvi, 27), et, tel le chien qui
nous devons craindre pour nous-mêmes encore retourne ci son vomissement, tel l'insensé qui
aujourd'hui. Si Paul, qui faisait cette menace s'obstinant dans le mal, retourne à son péché.
aux Corinthiens n'est plus présent, le Christ donc confesse ton péché, confesse-
19. Ainsi
qui parlait par la bouche de Paul, est toujours le non-seulement pour t'accuser stérilement
présent si nous demeurons obstinément dans
;
toi-même, mais avec l'intention salutaire de te
le péché, il ne nous épargnera pas ; mais il justifier par la pénitence une telle confession :

nous frappera rudement ici-bas et ailleurs. imprimera dans ton âme un sentiment de pu-
Prévenons donc sa colère par la confession (Ps. deur qui l'empêcherade tomber dans les mêmes
xciv, 2), c'est-à-dire répandons nos cœurs en péchés. Se condamner hautement soi-même et
sa présence. Si tu as péché, dit l'Ecriture, s'avouer pécheur, c'est une chose commune
n'ajoute plus à tes crimes, prie pour tes ini- même parmi les infidèles. Beaucoup de gens
qidtés passées (Eccl., xxi, 1). Et encore : Le de théâtre, hommes etfemmes, songeant à leurs
juste est le premier accusateur de lui-même. turpitudes, déplorent leur état, mais sans se
(Prov,, xviu, 17.) proposer un but pratique. C'est pourquoi je
Ainsi n'attendons pas l'accusateur, prenons n'appelle pas celaune confession, car cetaveude
d'avance son rôle, et par notre bonne volonté leurs fautes n'est pas accompagné d'un senti-
prévenons et adoucissons le juge en notre fa- ment de componction, ni de larmes amères, ni
veur. Pour toi, tu avoues tes péchés : je le sais, d'aucun changement de vie. Il y en a même qui
tu t'estimes très-malheureux ; mais cela ne n'en usent ainsi que pour mendier un peu de
suffit pas, je voudrais te persuader que ta jus- gloire auprès de ceux qui les écoutent, et qui
tification est possible. Cette confiance est né- tirent vanité de cette espèce de franchise. D'ail-
cessaire, sans elle un simple aveu demeurera leurs les fautes, avouées par celui qui les a com-
stérile ; tu auras beau t'accuser, tu n'en res- mises, ne paraissent plus avoir la même gravité
teras pas moins sous le joug du péché. Nul, en qu'accusées par un autre. Il y en a encore qui
effet, ne saurait travailler à quoi que ce soit tombent dans l'insensibilité à force de déses-
avec ardeur, à moins d'être persuadé qu'il ne poir, et qui, méprisant l'opinion des hommes,
travaille pas en pure perte ; ce n'est rien de dévoilent leur propre honte avec autant d'in-;

semer si l'on ne sait attendre avec confiance la différence que s'il s'agissait des autres.

moisson. Qui voudra s'astreindre à une fatigue Tu ne seras ni de l'une ni de l'autre de ces
ne devoir rien produire? Ainsi en
qu'il croira deux classes d'hommes, ni de ceux qui se confes-

est-U de celui qui sème des paroles, des larmes, sent par bravade, ni de ceux qui le font par dé-
PREMIÈRE EXHORTATION A THÉODORE. Wl
veux que ta confession soitaccompa-
sespoir. Je ces vérités, les oracles divins y concourent
gnée d'espérance, que tu coupes jusqu'à la ra- avec rendra à chacun selon ses enivres,
elle. //

cine du désespoir et que tu sois animé d'un dit l'Apôtre (Rom., u. G). Ces différences de con-
sentiment tout contraire. Mais (|uelle est la ra- ditions, on ne les trouve pas seulement dans
cine, et comme la mère du désespoir, sinon l'enfer,mais aussi dans le royaume des deux :
la paresse? Car ce n'est pas assez dire que de Jl a beaucoup de demeures dans la maison
ij

l'appeler seulement la racine du désespoir, il de mon Père (Jean xi v, 2) dit notre Sauveur :
, ,

faut encore ajouter la nourrice et la mère. De Autre est l'éclat du soleil, autre celui de la lune
même que la corruption produit les vers, et en (I Corintb., xv, 41), dit encore l'Apôtre. Que
est ensuiteaugmentée de ; même aussi la pa- l'onne s'étonne pas de ces distinctions, puisque
resse engendre le désespoir qui la nourrit à l'Apôtre va jusqu'à dire qu'il y a des différences
son tour ce mutuel secours qu'ils se prêtent
; entre une étoile et une autre étoile.

l'un à l'autre, fait qu'ils prennent un accrois- Convaincus de ces vérités, ne renonçons ja-
sement considérable. Diminuer l'un de ces mais aux bonnes œuvres,ne nous rebutons pas,
maux et tailler hardiment dans le vif, c'est le et quand même nous ne pourrions pas monter
moyen facile de détruire l'autre. Car celui qui au rang du soleil ou de la lune, ne dédaignons
n'est point paresseux ne saurait tomber dans pasceluidesétoiles;ayonsseulementleurvertu
le désespoir, et réciproquement celui qui se et nous aurons du moins notre place dans le ciel.
nourrit de bonnes espérances, qui ne s'aban- Si nous ne pouvons pas devenir or ou pierre
donne pas lui-même, celui-là ne croupira ja- précieuse, il nous restera le degré de l'argent,
mais dans la paresse. C'est donc ce couple qu'il et nous serons placés dans les fondements de
faut détruire, c'est son joug qu'il faut briser j l'édiûce. Prenons seulement garde de ne pas
je veux dire ce sophisme si complexe dans le- descendre jusqu'au rang de la matière qui n'est
quel s'enveloppe et se retranche la paresse. bonne qu'àalimenter le feu. Sommes-nous in-
Tel pénitent après beaucoup de bonnes œu- capables des grandes choses, ne négligeons pas
vres retombe dans des fautes très-graves ne ; il pour cela les petites Dieu nous garde de cette
:

faut pas qu'il s'imagine alors de


que tout îe fruit folie extrême. La richesse matérielle s'accroît

ses précédentes vertus sera entièrement perdu par le soin que prennent ceux qui la convoi-
s'il ne parvient pas à mettre dans la balance du tent, de ne négliger aucun gain, même le plus

bien un poids égal à celui qu'il a jeté du côté petit, et il en est de même des biens spirituels;

du mal. C'est une erreur dont il faut se défaire. Lorsque le Souverain Juge promet une récom-
Les bonnes œuvres ressemblent à une solide pense pour un verre d'eau froide, quoi de pluî
cuirasse, qui, si elle ne repousse pas le trait absurde que de négliger les petites choses;
acéré, l'empêche au moins d'accomplir son sous prétexte que nous sommes incapables des
ceuvre de destruction elle est percée de part
;
grandes? Celui qui tient aux moindres choses,
en part, c'est vrai, mais empêché le
elle a est animé d'une ardeur extrême pour les plus

corps d'être atteint. N'oublions pas que celui grandes ; quiconque néglige les unes, man-
qui sortira de ce monde après y avoir fait beau- quera aussi l'occasion des autres. C'est afin
coup d'actions, les unes bonnes, les autres qu'il n'en soit pas ainsi que le Christ promet

mauvaises, trouvera du moins quelque con- aux œuvres les plus petites une si large récom-
eolation au milieu de ses tourments; tandis pense. Quoi de plus facile que de visiter les
que celui qui n'emportera avec lui que des malades ? Or un prix considérable est proposé
crimes, soullrira éternellement des peines in- en retour.
exprimables. Gagne la vie éternelle, délecte-toi dans le

En eflet, les mauvaises actions seront mises Seigneur, sois le suppliant du Christ; reprends
en balance avec les bonnes : si par bonheur le joug suave ; subis le fardeau léger couronne ;

celles-ci l'emportent, tout sera sauvé, et l'in- ta vie par une fm digne du commencement;

fluence des mauvaises sera nulle ; si au con- ne perds pas la richesse (lue tu as acquise.
traire les mauvaises pèsent davantage, et que Si tu continues Dieu par tes péchés,
d'irriter

les bonnes ne puissent résister à leur fatale tu te perdras infailliblement mais si , avant
;

pression, elles l'entraîneront où elles tendent, que le dommage soit irréparable, avant que
au feu de l'enfer. l'inondation ait détruit toute la moisson, tu te
Et la raison n'est pas seule ù nous suggérer décides à fermer les canaux du péché, nouj
€58 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

seuleinenl tu recouvreras ce que tu as déjà que ne feront pas les nôtres?C'est la bénédic-
perdu, mais tu y ajouteras encore une nouvelle tion que j'apiielle sur ta tête j'espère qu'elle y
:

et abondante récolte. Médite sur toutes ces descendra par la grâce de Dieu, qu'elle le fera
choses et ensuite secoue la poussière relève- ;
briller d'un nouvel éclat, etque par ta vertu tu

toi de terre, et tu deviendras la terreur de seras le prolecleuret l'exemple de les frères.


l'ennemi. Maintenant qu'il t'a terrassé et qu'il Pour cela je ne demande de
toi qu'une sente

espère que tu ne te relèveras pas, s'il te voit chose, c't si quene désespères pas, que tu
tu

de nouveau lever la main i)Our le défendre, ne perdes pas cnuiage. Voilà ce i|Ui' je ne ces-
il sera stupéfait de cet événement qu'il n'a pas serai de le répéter dans tous mes discours, co

prévu il hésitera avant d'user d'une nouvelle


: que je le dirai même parla bouche des au-
ruse pour le renverser, et toi-mèuie tu seras tres: suis ce conseil, et pour te guérir, tu
prénuuii diivanlnge contre ses coups. n'auras pas besoin d'autres remèdes.
Si les malUeur» des autres nous instruisent,
DEUXIÈME liXHOm'ATION A TilÉODUKE. &5d

DEUXIEME EXHORTATION «.

ANALYSE.

* t* v"tfl!!ér« eibortalion, Théodore pouvait fuiro, et peul-êlrc avait-il fait l'objeclion suivante Esl-ce donc un erf«« si :

uorse df prendre soin des affaires de sa famille ? or, je ne fais pas autre chose Voici la réponse Ce qui est permis k d'aoireu :

M l'est plus à Théodore, qui a cnnlraclé avec Dieu un eu).Mi,'enient d'une nature particulière ; enrôlé dans la milice sainte, il

ne peut plus vivre comme les simples chrétiens, sans se rendre coupable de désertion. Théodore a dune commis un péchi
grave il ne doit pas l'aggraver encore, en restant dans l'elat où il s'est mis. Sa chute a été le résultat d'une surprise; qu'il
ie relève, et tout sera réparé. — La nature humaine est faillible, mais elle se relève aussi vite qu'elle tombe, exemple de
David. — Théodore sera jugé un jour par celui qu'il méprise aujourd'hui, — Vanité dos biens de ce monde. — Inconvénients
de la royauté, de la gloire, de la richesse, du mariage. Du reste, l'union conjugale, quoiqu'elle soit une chose sainte, serait
maintenant un adultère pour Théodore. —
Théodore ne doit pas avuir moins de zèle our son propre salut, que n'en ont ses
|

amis —
Soucis de la vie de famille. —
Nul n'est libre que celui qui vit pour Jésus-Chrisl. Il n'y a pour le chrétien qu'on
leol malbeor, c'est d'oHeaser Dieu. Résumé rapide et é'oquent des motifs développés dans cette seconde exhortation.

I . Si les larmeset les gémissements pouvaient session des biens que leur a valu une seconde
s'envoyer clans une que je l'écris
lelli-e, celle tentative leur échappait pour jamais. De même
en serait toute remplie. Je pleure, non parce pour toi, mon cher Théodore, ce n'est pas une
que tu t'occupes maintenant des affaires de ta raison, sirennemi t'a fait un peu lâcher pied,
maison, mais parce que tu t'es effacé toi-même pour que tu te précipites toi-même dans le
de la liste où sont les noms dii tes frères, parce gouffie; c'en est une, au contraire, pour que
que tu as foulé aux pieds le pacte conclu avec tu tiennes ferme maintenant et que tu rega-
le Christ. Voilà pouniuoi je gémis, pourquoi je gnespromptement lelerrain perdu ne t'arrête ;

m'afllige, pourquoi je m'épouvante et tremble, pas un instant à la pensée que ta chute sera une
sachant que cette violation attirera une con- honte pour toi. Le soldat qui revient du com-
damnation terrible sur ceux qui, après s'être bat avec une blessure a-t-il encouru la honte?
enrôlés dans la sainte milice, abandonnent lâ- Non, la honte consiste à jeter ses armes et à
chement leur poste. De savoir si le châtiment fuir devant l'ennemi. Tant qu'un homme tient
qui les attend sera sévère, ce n'est pas une ques- ferme en combattant, quand même il serait
tion difficile à résoudre. Celuiqui n'est pas sol- blessé et céderait un peu, il faudrait n'avoir pas
dat ne peut pas être accusé de désertion : une de cœur et ignorer entièrement ce que c'est que
fois soldat, si l'on est convaincu d'avoir quitté la guerre pour lui en faire un reproche. Il
son poste, le danger que l'on court, c'est le der- n'aiii)artient qu'à ceux qui ne combattent pas
niersupplice. Ce qui peut arriverde plus funeste de n'être pas blessés pour ceux qui attaquent;

à celui qui lutle, mon cher Théodore, ce n'est l'ennemi avec un grand courage, il n'y a rien
pas de tomber, c'est de rester par terre ; ce d'élonnant qu'ils soient blessés, ni même qu'ils
qu'il y a de plus fâcheux pour qui combat, ce tombent. Voilà ce qui t'estarrivé: pendant quej
n'est pas d'être blessé, c'est de désespérer après tut'effoiçaisdetuerleserpent,tu as été mordu'
le coup reçu et de négliger sa blessure. par lui.Maisconfiance: tu n'as besoin que d'un'
Un marchand ne renotice pas à la navigation peu decourige et de tempérance, et tu ne gar- \

pouravoirfait naufrage unefoi>. Il recommence deras pas même laraarquedecette blessure: que
à traverser la mer et les flots, à braver le vaste dis-je? avec la grâce de Dieu, tu écraseras la tête
Océan, et il recouvre sa fortune perdue. Et les du dragon lui-même ne te trouble pas d'avoir ;

athlètes, n'en voyons-nous pas conquérir des été pris au piège si vite et dès le principe. Le
couronnes après avoir été plusieurs fois ren- Mauvais a vu, il a vu du premier coup d'oeil la
versés? Souvent aussi le soldat qui a fui, finit vertu de ton âme : il a conjecturé par maints
par remporter le prix de la bravoure, pour avoir symptômes que l'avenir lui réservait dans ta
vainculesenneini^.Benucoiiiwiiii avaient renié personne un ennemi redoutable. Parlavigueui
le Christ par la contrainte des tourments, ont de tes premières attaques, il a jugé que, s'il ne
combattu de nouveau et sont sortis de l'arène se hâtait de te prévenir, il devait s'attendre à
avec la courfnme du martyre. Si chacun d'eux une défaite entière. C'est pourquoi il s'est hâté,
eût désespéré après un premier échec, la pos- il a épié le moment favorable et il s'est jeté sur
*
r»ar rbiitortqne du ileui eihortatioi», voir f*g. tS. V)i pour te terrasser; mais son effort tournera
860 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

contre lui, si tu veux résister généreusement. même une troisième ; il courut aussitôt vers
Qui n'admira autrefois ta prompte conver- le médecin ; il s'appliqua les remèdes conve-
sion, ton élan sincère et impétueux dansla voie nables, le jeûne, les larmes, les gémissements,
du bien? La délicatesse des mets négligée, le les prières incessantes, la confession fréquente
luxe des habits méprisé, tout faste foulé aux de son péché; et par là il se rendit Dieu pro-
pieds, la sagesse profane abandonnée, et les pice, et il reconquit sa dignité première, au
saintes lettres étudiées exclusivement avec ar- point que la mémoire du père put étendre
deur ; les jours entiers voués à l'élude, les nuits son ombre protectrice jusque sur l'idolâtrie
consacrées à la prière, nul souci de la gloire du fils. Car Salomon fut pris dans le même filet
des ancêtres, les richesses jugées indignes que son père l'amour des femmes l'éloigna
:

d'occuper seulement l'esprit, mettre son bon- du Dieu de ses pères. Par où tu vois que c'est
Leur à embrasser les genoux des frères, à se un très-grand malheur de ne pas savoir mai- i

jeter à leurs pieds, plutôt qu'à jouir des avan- triser ses passions, et, quand on est homme,
tages d'une illustre naissance, voilà ce qui fai- de se faire l'esclave des femmes. Ce péché mit
sait le supplice de l'Ennemi, ce qui l'excitaità Salomon un , homme qui fut d'abord juste et
un combat furieux mais la blessure qu'il t'a; sage, en danger de perdre tout son royaume.
faite n'est pas mortelle. S'il t'eût renversé après Dieu n'en laissa la sixième partie à Roboana
une longue lutte, je veux dire après des jeûnes que par considération pour David.
persévérants, après des années passées à cou- S'il s'agissait de l'éloquence profane, et»

chersur laterre nue, et dansles autres exercices qu'après l'avoir étudiée avecardeur, tu l'eusses
ascétiques, ce ne serait certes pas encore le cas abandonnée pour te livrer à l'oisiveté et au dé-
dedésespérer toutefois, on pourraitdire qu'un
; sœuvrement, je te rappellerais le souvenir du
grand dommage a été causé par une défaite barreau, delà tribune, des couronnes qu'on y
survenue aprè.s tant de travaux, de fatigues et remporte, et du talent de la parole qu'on y
de victoires. Mais puisque le traître t'a fait acquiert, et je t'exhorterais à reprendre tes
tomber par une lâche surprise, lorsqu'à peine travaux en vue de tous ces avantages; mais
tu mettais le pied dans la lice, dès lors il n'a puisque nous courons la carrière du ciel, et
rien gagné, sinon d'échauffer ton ardeur pour que les choses de la terre ne sont rien pour
le combat. Tu ne faisais que de mettre à la voile; nous, je rappelle à ta mémoire un autre bar-
tu ne ramenais pas d'un lointain voyage ton reau et une autre tribune, mais terribles et qui
navire chargé d'une riche cargaison, lorsque nous doivent faire trembler; car il faut que
l'affreux pirate t'aborda. Comme celui qui en- nous comparaissions tous autribiinal du Christ,
treprend de tuer un lion généreux, s'il ne fait (I Cor. ,v, 10.) Surce tribunal siège celui que tu

que efQeurer la peau, loin de lui nuire,


lui méprises maintenant. Que dirons-nous alors?
i' excite encore davantage et le rend plus in- Quelle excuse apporterons-nous, si nous persé-
vincible et plus indomptable ; de même, lors- vérons dans nos mépris ? Encore une fois que
que notre ennemi a essayé de te faire une dirons-nous? Prétexterons-nous les soucis des
blessure profonde, et qu'il a manqué son coup, affaires ? Mais il nous a prévenus : A quoi ser;
il t'a rendu par là même plus vigilant et plus vira-t-il à l'homme de gagner le motide entier,
attentif à retremper ta vertu dans le jeûne et s'ilperd son âme ? (Malth., xvi, 26.) Dirons-
la mortification. nous que d'autres nous ont séduits? Mais il ne
2. C'est quelque chose de bien changeant servit de rien à Adam de mettre en avant la
que la nature humaine; facile à surprendre, femme et de dire La femme que tu m' as don-
:

elle se dégage facilement aussi des étreintes de née m'a séduit. (Gen., m, 12.) Ce fut aussi en
la fraude ; elle tombe vite et se relève non vain que la femme accusa le serpent. Il est
moins vite. Considère David, cet homme si certainement terrible, ô mon cher Théodore,
parfait, ce roi selon le cœur de Dieu, ce grand ce tribunal qui n'a pas besoin d'accusateur,
prophète : il ne fut pas sans laisser voir qu'il et qui n'attend pas de témoin. Le juge voit
était homme un jour, ; il s'éprit d'amour pour tout à nu et à découvert, et nous rendrons
la femme d'un autre ; il ne s'en tint pas là ; il compte non-seulement de nos actions, mais de
passa de la convoitise à l'adultère, et de l'adul- nos pensées ; ce juge scrute les pensées et les
tère à l'homicide ; mais lorsqu'il eut reçu ces volontés. Peut-être allégueras-tu la faiblesse de
deuxWessures, il se garda bien des'en faire lui- la nature et l'impo^ibilité de porler le jougf
DEUXIÈME EXHORTATION* A THEODORE. ièi

QueHe justification! ne pouvoir soufl'iiv un tiquer la justice dans le mariage. Une fois
joug suave ni porter un fardeau léger I Est-ce qu'on s'est voué à l'Epoux céleste, le quitter
une chose pénible et laborieuse que le repos pour s'attacher à une femme, c'est commettre
après le travail? Or, le Christ nous y appelle un adultère, ce n'est pas contracter un ma-
en disant Venez à moi vous tous qui êtes fa-
: riage: voilà ce que mille négations ne détrui-
tigués et chargés, et je vous soulagerai. Prenez ront pas. Que dis-je? C'est un crime plus grave
mon joug sur vous, et apprenez de moi que je que l'adultère, d'autant que Dieu est plus ex-
stiis doux et humble de cœur; car mon joug est cellent que l'homme. Ne te laisse pas séduire
doux et mon fardeau léger. (Malt, xr, 28.) Quoi par ceux qui te diront Dieu n'a pas défendu le
:

de plus doux, en effet, que d'être aUianchi de mariage. Je le sais bien non, il n'a pas dé-
:

soucis, d'affaires et de craintes, d'être tranquille fendu le mariage, mais ila défendu l'adultère,
à l'abri des flots agités de la vie, dans le calme que tu veux commettre. A Dieu ne plaise que tu
du port? t'engagesjamaisdans les liensdu mariage! Quoi
3. Dis-moi ce que tu vois de plus heureux et d'étonnant que le mariage soit regardé comme
de plus digne d'envie en ce monde? La puissance un adultère, lorsqu'ilse fait au mépris de Dieu?
souveraine, la richesse et la considération des L'homicide n'a-t-il pas été réputé à justice, et
hommes? quoi de plus misérable que ces choses, l'humanité trouvée plus condamnable que
si on lescompare à la liberté des enfants (le Dieu? l'hom icide? Est-ce que Dieu n'a pas, en certains
Le souverain est soumis aucaprice des peuples» cas,défenducelle-cietordonnécelui-là?Phinée3
aux emportements aveugles de la multitude) fut répulé avoir agi selon la justice, en perçant
à la crainte de souverains plus puissants, aux de son épée le fornicateur etsa complice. Quant
soucis du gouvernement; ajoute qu'on est àSaùl qui, contrairementàl'avis de Dieu, sauva
prince aujourd'hui et demain simple parti- le roi des étrangers, Samuel, le saint de Dieu,
culier. La vie présente ne diffère pas de la eut beau passer des nuits entières à pleurer, à
scène: sur la scène celui-ci remplit le rôle gémir, à prier, il ne put le sauver de la con-

d'un roi , celui-là d'un général cet autre , damnation que Dieu avait portée contre lui.
d'un soldat; et le soir venu, le roi n'est Si donc l'humanité, lorsqu'elleva contre l'ordre

le prince n'est plus prince, le géné-


plus roi, de Dieu, est jugée plus sévèrement que le
ral n'est plus général ; de même au jour des meurtre, quoi d'étonnant que le mariage, lors-
justices, récompense, non
chicun recevra sa qu'il a lieu au mépris du Christ, soit con-

d'après son personnage, mais d'apies ses œu- damné plus fortement que l'adultère même?
vres. Que vaut donc une gloire qui passe ainsi Comme je le disais en commençant, si tu
que la tleur des champs? Que valent des riches- n'étais qu'un simple particulier, personne ne

ses, qui n'empêchent pas ceux qui lesi)OSfèdent t'accuserait de désertion: mais maintenant tu
d'être déclarés malheureux? Malheur aux ri- ne t'appartiens plus, ayant été enrôlé sous les
ches! A\\. l'Ecriture ;
etencore: Malheur à ceux drapeaux du grand Roi. Si la femme n'est plusi
qui se fient en leur force et qui se glorifient maîtresse de son propre corps, si elle appar-
de leurs grandes richesses I (Luc. vi, 24; Ps. tient à son mari, à plus forte raison convient-il
XLVIII, 6.) queceuxquiviventdansle Christ ne soient plus
Pour le chrétien, jamais il ne perd sa sou- les maîtres de leurs corps. (Cor. vn, 4.) Celui
veraineté; jamais de riche il ne devitnt pauvre, que tu méprises, est le mémo qui te jugera.
ni de glorieux obscur: il dimeure riche même Qu'il ne sorte jamais de ton souvenir: songe
quand il mendie; la main de Dieu l'élève lors- aussi au fleuve de feu. Un fleuve de feu, dit
qu'il s'abaisse. Sa souverainelé, il ne l'exerce le Prophète, cmdait devant lui. (Dan. vn, 10.)
pas sur des hommes, mais sur des puissances Une fois livré par lui au feu, on doit perdre

qui sont soumises au prince des ténèbres; et tout espoir de voir finir son sup|)Iice. Les vo-
personne ne peut la ilétruire. luptés déréglées de la vie ne diffèrent point
L'union conjugale est une chose légitime, des ombres et des songes. Le péché n'est pas
j'en conviens C est cho<e honorable que le
: encore commis que déjà le plaisir est éteint :
mariage et le lit immaculé ; mais /ev fornira- mais le châtiment du péché ne connaît pas de

teurs et les adultères, Dieu les jugera. (licb. terme. Courte est la douceur du mal, éleruclle
ini, 4.) son amertume.
Mais pour loi, tu ne peux plus désormais pra* Qu'y a-t-jl de durable dans les choses du

Tome \.
36
iS6-2 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

mon(]f!, dis-moi? La richesse?


ne reste pas elle nous force pas à boire ce calice «l'amerlume.
même jusqu'au La gloire?
soir bien souvent. non parce que tu n'as pas
Je l'exhorte ainsi,
écoute la parole d'un homme juste Mn vie va : encore atteint vingtième année, je ne te
ta
plus vite qu'itn coureur. (Jnb. ix, 25.) De même parlerais pas autrement lors même que lu au-
que les coureurs bondissent avant d'avoir tou- rais franchi la plus grande partie de ta car-
ché la ferre, ainsi s'envole la vie avant qu'elle rière, que toute ta vie se serait écoulée dans
soitvenue. Rien de plus précieux que 1 âme, l'union avec le Christ, et que ce malheur t'au-
nul ne l'ignore, pas même le plus sot. Rien rait frappé dans une extrême vieillesse ; non,
ne se peut mettre en balance avec une âme, il ne sérail pas bon même en pareil cas de
a dit un poète proTine. Je sais que tu es désespérer mais ce serait le moment de se
:

beaucoup plus f.uble (ju'iutrefois pour com- souvenir du Larron justifié sur la croix, et des
battre le démon : je rai- que tu brûles au mi- ouvriers de la onzième heure, qui reçoivent le
lieu des flammes de la volupté. Mais si lu ilisais salaire pour toute la journée. Mais s'il n'est pas
à l'Ennemi: non, je ne veux pas être lesclave bon, s'il n'est pas sage de désespérer quand on
de tes iilaisirs; non, je n'adore pas le père de est tombé au terme de la vie ; aussi n'est-il
tous les maux ; si tu levais tes yeux en haut, le pas sûr de s'appuyer entièrement sur celte
Sauveur écarterait de toi la flamme; pour ceux espérance, et de dire : Hé bien ! je jouirai jus-
qui t'ont jeté dans le feu. il Its brûlera, et toi, que-là des plaisirs de la vie, puis je me met-
il t'enverra dans ta fournaise un nuage, une trai à l'œuvre pour un peu de temps, et je
rosée, un air rafraîchissant et le feu de la ; recevrai la même
récompense que si j'avais
concupiscence n'aura plus de prise sur tes pen- travaillé tout letemps de ma vie. A ce propos
sées, ni sur ta conscience: seulement, ne te je me souviens de ce que tu répondais toi-
brûle pas toi-même. Des villes fortes, que les même à ceux qui t'engageaient autrefois à fré-
ennemis du dehors ne peuvent emporter avec quenter les écoles du siècle: qu'arrivera-t-il
leurs armes et leurs machines de guerre, la si un prompte finvientterminerma vie passée

trahison d'un ou deux citoyens les livre sans dans le mal ? Com ment me présenterai -je à celui
peine aux assiégeants. Si nulle pensée inté- qui a dit A^e tarde pas à te convertir au Sei-
:

rieure ne Mauvais qui est dehors


te trahit, le gneur, et ne remets pas de jour en jonr. (Eccli.
aura beau faire avancer toutes ses maciiiues V, 8.) Rappelle toi cette pensée, et crains le vo-
de guerre, jamais il ne te prendra. leur: c'est-à-dire leuépas, que leChristappelle
4. Par la grâce de Dieu, lu as des amis nom- ainsi p.ircequ'il arrive à l'heurequ'on s'y attend
breux et d'une vertu éminente qui déplorent le moins. Songe aux sollicitudes de la vie soit
avec nous tou état, tout prêts à t'oindre pour privée, soit publique, aux craintes de ceux qui
le combat, qui tremblent pour ton âme; par sont au pouvoir, à l'envie des citoyens, aux
exemple le saint de Dieu, Valère, Florent, son coups du sort dont nulle hauteur n'est exempte,
frère, et Porphyre, rempli de la sagesse de Jésus- aux travaux, aux mitères, aux basses flatteries
Christ. Ils gémissent tous les jours, ils ne ces- bonnes pour des esclaves je dirai même mal-
;

sent de prier; et il y a longtemps qu'ils au- séantes pour les esclaves qui conservent encore
raientobtenu ce qu'ils demandent, si tu avais pu quelque respect d'eux-mêmes; ajoute ce qui est
te retirer seulementun peu des mains de l'En- plus malheureux encore, que le fruit de toutes
nemi. N'est-il pasétrange, lorsque d'autres ne ces peines ne dépasse pas la limite de cette vie.
désespèrent pas de ion salut, et prient sans cesse Et combien encore, à qui il n'est pas donné de
pour un membre de leur corps, que toi, parce jouir de leurs travaux, mais qui, après avoir dé-
que tu es tombé une foi tu ne veuilles pas te pensé leur première jeunesse aux peines et aux
relever, que tu restes gisant par terre, criant dangers, lorsqu'ils espéraient enfin saisir la ré-
presque à l'ennemi: égorge, frappe, n'épargne compense tant convoitée, s'en sont allés sans
rien? Est-ce que celui qui est tombé ne se relè- avoir rien gagné et les mains vides ? Si, quand
vera pas? dit l'oracle divin. (Jer. vin, 4.) Mais on a affronté quanti lé de périls et terminé heu-
toi, tu contrediscet oracle ; cardésespérer après reusement plusieurs guerres, on peut à peine
qu'on tombé, qu'est-ce autre chose, sinon
est regarder avec confiance les rois de la terre,
affirmer que celui qui est tombé ne se relève comment regarde ra-t-on le Roidu ciel, lorsque
pas? Non, je t'en conjure, ne te fais pas à toi- toute sa vie on aura vécu et combattu au ser-
même ce tort immense: et pour nous^ ne vice d'un autre?
DEUXIÈME EXHORTATION A THEODORE. 563

8. Et les soucis domestiques que donnent ci n'ayant plus que leurs mains pour tout na-
une ftPHiie, des enf.mts, des serviteurs, veux- vire et tout gouvernail, ceux-là se soutenant à
tu que nous en parlions ? Il est fàclieux d'é- l'aidede quel(|ues fragments de leur vaisseau,
pouser une femme pauvre, fâcheux d'en épou- d'autresenfin surnageant déjà privésde la vie;
ser une riche avec l'une on est dans la ;;ène,
: ainsi le soldat de l'armée du Christ échappeau
avec l'autre dans la dépendance. Il est pénible tumulte aux orages du monde, placé qu'il est
et
d'avoir des enfants, plus pénible de n'en pas dans un lieu dont la sûreté égale l'élévation.
avoir: dans premier cas, c'est un mariage
le Et qu'y a-t-il de plus haut, de plus sûr, que de
stérile, second c'est une servitude
dans le s'attacher à une seule pensée plaire à Dieu ?
:

amère. L'enfant est-il malade, quelle cramte ! As-tu vu, Théodore, les naufrages essuyés
Une mort prématurée l'a-t-elle tnlevé, quel sur cet océan par les navigateurs qui le fréquen-
chagrin pour la vie ! A cliaquc âge ce sont de tent? Si tu les as vus, je t'en conjure, fuis la
nouveaux soucis, de nouvelles alarmes, de nou- mer, sauve-toi des flots, gagne la hauteur où
velles peines. Que dire des serviteurs et de tu ne seras pas surpris parla vague. Il y aune
leurs vices? Est-ce donc une vie, mon cher résurrection, il y a un jugement; un tribu-
Théodore, que celle où une âme, tiraillée par nal redoutable nous att nd au sortir de cette
tant de soucis, est esclave de tant de choses, vie. // fmit que tous comparaissent devant le
vitpour tant d'objets, etjamais poursoimême? tribunal du Christ. (Cor.v, dO. Ce n'est pas
)

Parmi nous rien de tel, mon cher ami, j'en une menace vaine que celle de l'enfer ce n'est ;

appelle à ton propre témoignage. pas une promesse mensongère que celle de la
Pendant le temps trop court que tu as voulu félicité du ciel, tandis que toutes les choses de
relever la têle au-dessus des flots, tu goûtais la vie ne sont qu'une ombre, sont moins qu'une
une une joie que tu ne peux pas avoir
paix, ombre, et toutes pleines de dangers, et de la
oubliée. Personne n'est libre que celui qui vit plus profonde servitude. Ne vas pas perdre l'une
pour le Christ celui-là est placé au-dessus de
: et l'autre vie, lorsque tu pourrais faire ton pro-
toutes les injures du sort
ne veut pas se : et s'il fitde toutes deux, si tu voulais: car ceux qui
nuire à lui-même, nul ne pourra lui nuire. Il •vivent dans le Christ peuvent aussi faire leur
n'offre pas de prise à l'ennemi; la perte des ri- profitde cette vie; saint PauU'enseigne lorsqu'il
chesses ne le touche pas; il sait que nous n'a- dit : je veux vous épargner ces maux; et plus
vons rien apporté en venant en ce monde, que loin je dis cela pour votre utilité. ( Cor. vu,
:

nous n'emporterons rien lorsque nous le quit- 28, 33. ) Vois-tu aussi dans le même passage
terons. Le désir des honneurs et de la gloire comme l'homme qui s'attache au Seigneur est
ne le possède pas, il sait que nous n'avons plus haut placé que celui qui est marié.
d'établissement durable que dans le ciel les : Une fois sorti d'ici, il n'y a plus de repentir
injures ne le chagrinent pas, les violences pour personne, une fois hors du stade, une fois
mêmes ne sauraient le faire sortir de son calme ; le spectacle fini, l'athlète ne peut plus com-
il n'est qu'un malheur pour le chrétien, c'est battre. Médite ces choses, et brise dans la main
d'offenser Dieu. Pour tout le reste, perte de de l'Ennemi le glaive avec lequel il tue tant
fartune, exil, péiil suprême, il ne le regarde d'âmes c'est-à-dire le désespoir par lequel il
:

pas comme un mal ce qui fait frissonner d'é-; Ole l'espérance à ses victimes, quand il les a
pouvante tous les hommes, le passage de ce terrassées. Trait redoutable entre les mains de
monde a un autre, est pour lui plus doux que notre ennemi, le désespoir est encore une
la vie. chaîne dont il garrotte ses prisonniers pour les
Comme un homme du haut d'un rocher voit tenir à jamais sous son pouvoir; et cependant
sans péril la mer furieuse bondir à ses pieds, par la grâce de Dieu nous pourrons rompre
tandis que ceux qui naviguent sur ces flots en ce bien dès que nous voudrons. Je sais que
le

courroux sont exposés aux dangers les |)lus va- j'ai dépassé la mesure d'une lettre, mais par-

riés et les (dus terribles les uns engloutis par , donne-moi je ne l'ai pas fait de mon plein
:

les vagues, les autres brisés contre lesécueils, gré, j'ai été contraint par la charité et par la
d'.iiities s I
ff içiiil cl'aller d.ms une direction, douleur. Voila ce (pii m'a obligé à écrire cette

^l en r li e iii.dgi'' eux, < a, 'ils de la violence d'ungi and nombre. Cesse


lettre ni.dgré le> avis

du vent, dans le seu« cuniiaire; un grand de travailler pour rien et de semer sur les
,

nombre se débattant à demi-submergés, ceux- pierres, me disaient quelques-uns: je n'aj


SC4 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CIIRYSOSTOME.

écoute personne. J'ai l'efpoir, me disais-je, sonne, du moins, n'accuserait de leur perte
qu'avec la grâce de Dieu, mes lettres ne seront ceux qui ont voulu les sauver. J'ai fait ce
pas sans résultat; si, ce qu'à Dieu ne plaise, qui était en mon pouvoir; j'ai la confiance
il en arrivait autrement, du moins neponrra- qu'avec la grâce de Dieu tu feras aussi ce qui
t-on me faire un crime de mon sih nce. Je dépendra de toi, que nous te reverrons dans

n'aurai pas montré moins de dévouement que le troupeau du Christ, florissant de santé et de
les mntelots lorsque ceux ci aperçoivent des
: vie comme autrefois, et que nous te recouvre-
hommes qui se cramponnent aux planches rons bientôt par les prières des saints, ô tète
d'un navire brisé pnr les vents et les flots, ils si chère de mon ami Si tu fais quelque cas de
I

replient leurs voiles, jettent l'ancre, lancent nous, si tu ne nous as pas tout à fait banni de
leur chaloupe et font tout pour sauver des in- ton souvenir, daigne nous répondre, tu nous
connus, des iiommes qu'ils ne connaissent que combleras ds joie.

par le malheur. S'ils refusaient le secours, per<

.i

>i
TRAITÉ DU SACERDOCE*.

LIVRE PREMIER.

ANALYSE.

Jean et Basile ont éié tnis dit l'enfance ; ils n* s* sont jamais quiltéi. —
lli ont formé le deisein d'imbraiter la vie tsiiltire. —
Jcaa eD e^t détourné par les larmei et par les représeutationi de sa mère. —
Les deux amis apprennent tout i coup qu'on m
propose de les élever à la dicnilé sacerdoiale. —
Jean a recouri ï la ruse pour faire élire Bjsile évèque et pour s'en exempter
lui-même ; (iasile se pUint d'avoir été trompé par son ami. — Jean le justifie. — Il loulient que la ruse n'est pas esieutielle-
ment mauvaise. — Elle devient bonne ou mauvaise selon l'intention de celui qui l'emploie ; elle est avantageuse dans la paii
comme dans la guerre. — Des médecins de rame y ont recours aussi bien que ceux du corps. — Malade guéri par c* moyen.
— Saint Paul l'emploie pour attirer les Juifs k Jésus-Ctirist.

l.J'ai eu beaucoup de vrais, de sincères enorgueillir de la grandeur de notre patrie. Je


amis, qui comprenaient les lois de l'amitié, n'étais pas des plus riches ni Basile des plus
qui les pratiquaient fidèlement. Dans le nom- pauvres. Il y avait parité de biens et d'inclina-

bre, en est un surtout qui, fort au-dessus des


il tions, y avait parité de condition. Ainsi tout
il

autres par son attachement pour moi, s'appli- concourait à faire régner entre nous la bonne
quait à les dépasser tous, autant qu'ils dépas- intelligence et la concorde.
saient eux-mêmes, les amis vulgaires. 11 avait Mais lorsque le momentfut venu d'embrasser
été mon compagnon inséparable. Nous nous la vie des solitaires et la vraie sagesse, la ba-
étions livrés aux mêmes études, nous avions eu lance ne demeura pas égale entre nous ; le bas-
les mêmes maîtres; même application, même sin de mon ami, plus léger, monta : tandis
ardeur pour la science et pour le ti avail, même que moi, toujours enlacé dans les passions ter-
ambition provoquée par lesmêmes choses. Celte restres, je faisais tomber le mien vers la terre,
union ne dura pas seulement le temps que nous où je le retenais sous le poids de toutes les chi-
fréqnentionsles écoles; lorsque nous les eûmes mères de la jeunesse. L'amitié demeura ferme
quittées, et qu'il nous fallut délibérer sur le comme auparavant, mais l'assiduité de nos re-
choix d'une carrière, nous nous trouvâmes lations futinterroinpue.N'ayantplus lesmêmes
encore dans une conformité absolue de senti- goûts, nous ne pouvions continuer de vivre
ments. ensemble. Mais lorsqu'enfin je commençai,
D'autres causes venaient resserrer ces liens moi aussi, à lever la tête au-dessus des vagues
de nos âmes et les rendre indissolubles. Nous du siècle, il ouvrit ses deux bras pour me rece-
n'avions pas lieu, l'un plus que l'autre, de nous voir. Pourtant nous ne réussîmes pas à nous
remettre au même niveau. Avec le temps il
'Pour fbiBtoriquc du trtité, voir la Vie de uint JeiDChrysostome,
tome 1, pige 39. 11 eiiite de Dombreuset traductions de ce beau avait gagnéde l'avance, et comme ilavait d'ail-
triité, noui lei avons miseï à profit pour cocapoier nCtre uous
la ;
leurs déployé beaucoup d'ardeur, il s'élevait
citeioni eu particulier celle de GuillaB cl ceU* de U, l'abbé Rayoaud,
cocDu.e COU; a^a[i; cté utile». toujours au-dessus de moi, et planait daiu Isi
TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

plus hautes régions. Cependant sa bonté natu- grand, mais au moins c'est un souci exempt de
relle, et le prix qu'il attachait à notre amitié, le
dépense et de crainte. Mais un fils, que d'alar-
faisaient renoncer à toute autre société, pour mes ne cause-t-il pas chaque jour à sa mère,
venir consacrer tout son temps. Tel avait
me et surtout que de soins ne lui impose-t-il pas?
toujours été son désir mais, comme je l'ai
;
Je laisse de côte les dépenses considérables

dit, mon peu de courage l'empêchait de le con- qu'elle est obligée de faire, si elle veut donner
tenter.
à son fils une éducation honnête.
« Cependant rien de tout cela ne put me faire
Comment en effet, moi qui ne sortais pas du
barreau, qui étais fou du théâtre, aurais-jepu penser à de secondes noces, ni à introduire un
me trouver souvent avec un homme toujours autre époux dans la maison de ton père. Je,

cloué sur ses livres et qui ne mettait pas le restai au milieu de la tempête et du tumulte,
'

pied sur la place publique? C'est pourquoi lors- je n'ai pas fui la fournaise de feu du veuvage;
que tous ces empêchements n'existèrent plus, j'étais soutenue par le secours d'en-haut pre-

et qu'il m'eût enfin gagné à son genre de vie,


mièrement; une grande conso-
c'était ensuite

mon ami manifesta aussitôt le désir qu'il nour- lation pour moi, au milieu de mes peines, que
rissait depuis si longtem ps dans son cœur il
ne ;
de te voir sans cesse, et de contempler dans les

pouvait plus me quitter un seul instant du traits l'image vivante et la fidèle ressemblance
jour; ne cessait de me solliciter à fuir avec
il
de mon époux qui n'est plus. Cette consolation

lui de la maison paternelle, pour occuper tous a commencé dès ton enfance, lorsque tu ne
dcuxunehabitalioncommune.il me persuada; savais pas encore parler, temps de la vie où les

notre projet allait s'exécuter. enfants donnent à leurs parents les plus douces

2. Mais ma mère, par les enchantements pour joies. Tu n'as pas non plus à me reprocher d'a-
ainsi dire irrésistibles de sa tendresse, m'em- voir, en supportant à la vérité courageusement
pêcha de donner cette satisfaction à mon ami, mon veuvage, laissé dépérir ton patrimoine,
ou plutôt de recevoir de lui ce bienfait. Elle comme il n'arrive que trop souvent à ceux qui
n'eût pas plus tôt pressenti mon dessein, que ont le malheur de devenir orphelins. Je te l'ai
me prenant par la main, elle me conduisitdans conservé entier, sans que j'aie rien épargné
sa chambre et là, m'ayant fait asseoir près du
;
pour l'entretenir honorablement selon ton
lit où elle m'avait mis au monde, elle versa un rang, et c'est sur mes biens, sur ce que j'ai ap-
torrent de larmes, puis ajouta des paroles en- porté de la maison de mon père, que ces dé-

core plus attendrissantes que ses larmes, et penses ont été prises.
a Ne crois pas que ce soit pour te reprocher
d'une voix entrecoupée de sanglots :

Mon fils, me dit-elle, il ne me fut pas donné mes bienfaits que je te les rappelle. Non, pour
de jouir longtemps des vertus de ton père ; ainsi demande qu'une seule grâce ;
tout cela, je ne te

Dieu l'a voulu. Sa mort qui suivit de près mes ne me rends pas veuve une seconde fois no ;

douleurs pour te mettre au monde, nous laissa ranime pas une douleur assoupie attends au ;

loi orphelin et moi veuve, jeune encore avec


moins le jour de ma mort peut-être sortirai-
;

du veuvage, peines qu'il faut


toutes les peines je bientôt de ce monde. Ceux qui sont jeunes

avoir éprouvées pour s'en faire une juste idée. peuvent espérer de vieillir, mais à mon âge on
11 n'y a pas de parole pour exprimer l'orage et n'attend que la mort. Quand tu m'auras dé-
la tempête qu'essuie une jeune femme nou- posée dans le tombeau, et réuni mes os à ceux
vellement sortie de la maison paternelle etsans de ton père, entreprends alors de longs voyages,
expérience des affaires, subitement jetée dans passe telle mer que tu voudras, personne ne
un deuil insupportable, et obligée de se char- t'en empêchera ; mais, pendant que je respire
ger de soins au-dessus de son âge et de son encore, supporte maprésenceetne t'ennuie pas
sexe. 11 lui faut gourmandcr des domestiques de vivre avec moi. Ne l'expose pas à offenser
négligents, se tenir en garde contre leurs infi- Dieu, témérairement elàla légère, en aban-i
délités, déjouer les intrigues des parents eux- donnant au milieu d'aussi graves peines, une
mêmes , défendre énergiquement son bien mère dont tu n'as pas à te plaindre. Si tu peun
contre les exactions et l'avidité brutale des m'adresser le reproche que je l'entraîne dans
agents du fisc. Quand un père en mourant les embarras séculiers, que je veux me dé-

laisse un enfant, si c'est une fille, le souci charger sur loi du fardeau de mes affaires, à la
qu'elle doiino à sa mère est certainement très- bonne heure, n'aie plus égard ni aux lois de
TRAITÉ DU SACERDOCE. — LIVRE PREMIER. 5C7

la nature, ni aux soins de ton enfance, ni a lu Peu de temps après arrive le ministre qui
société de ta mère, ni à quoi que ce soit; fuis- devait nous conférer les Ordres pendant que :

moi comme une ennemie qui te tend despiéges. je reste caché, mon ami, (]iii ne se doutait de
Si, au conliMire. je ne néfiligi' rien pour t'as- rien, se laisse conduire à rassemblée sous pré-
surer le loisir et la faculté de suivre le plan de texte d'une autre affaire. Il reçoit ainsi le joug,
vie i|ue tu veux ; ce seul lien, n'y en eût-il pas espérant, d'après la |)romesse que je lui avai,
d'autres, devrait te retenir auprès de moi. Quel faite, que je le suivrais n'importe où, et mieux
que soit le nombre de les amis, il n'y en aura encore, s'imaginaiit (ju'il ne faisait ([ue marcher
pas un seul qui te fasse jouir d'autant de li- sur mes quelques-uns des assis-
traces. Car,
berté ;
parce qu'il n'y en a pas un à qui l'hon- tants le voyant se fâcher de la surprise qui lui
neur (le ton nom soit aussi cher qu'à moi ». était faite, le trompèrent en s'écriaiit: qu'il

Voilà ce que me disait ma mère avec beau- était étrange que celui qu'on avait cru devoir

coup d'autres choses encore, et moi je répétais être le moins traitable (c'était de moi qu'on
tout à mon généreux ami, qui, loin d'en être parlait^ eût cédé avec beaucoup de docilité au
ému, n'en était que plus pressant dans ses sol- jugementdes Pères, tantlisciiie lui, qui étaitle
licitations. plus sage et le plus doux, s'opiuiàtrail mainte-
Nous en étions là Basile continuait de
3. ;
nant, et se montrait assez vain pour regimber,
supplier et moi de résister, lorsque tout à coup se cabrer, et résister ouvertement.
il s'éleva un bruit qui nous troubla tous les A ces paroles il se rendit : lorsqu'il eut
deux le bruit courait que l'on allait nous
: apprisque je m'étais enfui, il vint me trouver
élever à la dignité du sacerdoce. A cette nou- dans une tristesse profonde : il s'assit piès de
velle, je fus pour ma part rempli de crainte moi, il voulait parler, mais son trouble l'em-
et de perplexité de crainte, car j'avais peur
; pêchait de s'exprimer et de raconter la vio-
que l'on usât de violence à mon égard de per- ; lence qu'il avait soufferte ; il ouvrait labouche
plexité, car j'avais beau chercher, je ne décou- sans pouvoir articuler un son ; la douleur ne
vrais pas cumulent les Pères électeurs avaient permettait pas à ses paroles de passer le bord
pu avoir de telles vues sur moi plus je me : de ses lèvres. En voyant les larmes qui cou-
considérais, plus je me trouvais dépourvu de laient de ses yeux, et le trouble dont il était
tout ce qui pouvait m'allirer un pareil hon- agité, moi, qui en savais la cause, je me mis
neur. Quant à mon généreux ami, il me vint à rire, laissant éclater ma joie, en même temps
trouver en particulier pour me communiquer je saisis sa main que je couvris de baisers re-
ce qui se passait, comme si je l'eusse ignoré ;il merciant Dieu de l'heureux succès de mon
me pria de faire en sorte iju'on reconnût dans stratagème et de l'accomplissement de mes
cette occasion, comme dans toutes les autres, souhaits. Lorsqu'il vit ma joie et mon conten-
la conformité de noire conduite et de nos sen- tement, il comprit que je l'avais trompé dès le

timents; il était [irêt a me suivre, quelque parti principe, et sa peine et son dépit s'en augmen-
que je voulusse embrasser, qu'il fallût fuir ou tèrent encore.
se laisser élire. 4. Quand il se fut ua peu remis du trouble
Assuré de ses dispositions, et persuadé que qui agitait son âme :

j'allaisfaire à l'Eglise un tort grave, si, sans Si mon pour toi si peu de
intérêt, dit-il, est
autre raison que mon inaptitude, je privais le chose: pour un motif que j'ignore, tu ne
si

troupeau de Jesus-Christ d'un jeune pasteur si tiens de moi nul compte, au moins devrais-tu
excellent, si propre au gouvernement des songer à ta propre réputation. Tu as mis ea
hommes, je ne lui découvris pas cette fois la mouvement toutes les langues on dit que c'est :

résolution que j'avais prise, bien qu'aupara- l'amour de la vaine gloire qui t'a fait refuser
vantje ne lui eusse jamais rien caché dans mes cette dignité sainte, et personne n'essaie de te
desseins ;
je lui dis donc qu'il fallait remettreà justiQer. Pour moi ,je n'ose plus me montrer
plus tard la décision de cette atfaire, vu que en public, tant il y a de gens qui m'abordent
rien ne pressait ;
je lui persua lai de ne pas s'en chaque fois pour m'adresser leurs reproches.
occuper du tout pour lemoment enfin je lui : Dès que je parais quelque part dans la ville, il
laissai croire que je ne me séparerais i)as de n'en est pis un de ceux qui sont liés avec nous,
lui, si ce dont nous étions menacés s'accom- qui ne me prenne à part, et ne rejette sur moi
plissait. la plus grande partie de la l^te> Puisque tu
ut TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOMEi

connaiisais tes intenlions, me disent-ils, car il que répondre ? pour ma part je ne le sais pas,'
n'avait rien de caché pour toi, il ne fallait pas et je te prie de me le dire. Car enfin cette fuite,
les tenir secrètes, mais nous les communi- tu ne t'y es pas résolu sans réflexion et en
quer, et nous n'aurions pas été embarrassés étourdi ; avant de
te risquer à offenser grave-

pour trouver un moyen de le prendre dans nos ment de hauts personnages, tu as dû ré-
si

filets. Et moi, j'ai honte, je rougis de dire de- fléchir et délibérer je suppose donc que tu
;

vant eux que j'ignorais complètement ce que n'es pas embarrassé de te justifier. Parle, je l'en
tu méditais depuis longtemps déjà ils pour- : prie, si tu as quelque bonne excuse capable de
raient croire que notre amitié n'était qu'une fermer bouche à tes accusateurs. Pour les
la

coméd le. Elle n'a beau n'être que cela, (comme tortsque tu as eus envers moi, je t'en tiens
elle n'estque cela en effet, et tu ne saurais dire quitte, je ne me plains pas d'avoir été trompé,

le contraire après la conduite que tu as tenue trahi, exploité par toi. Moi j'avais pour ainsi ,

envers moi), il est cependant convenable de dire déposé mon âme dans tes mains; et toi, tu
cacher nos misères aux étrangers surtout , as agi de ruse comme s'il s'était agi de te pré-
quand ils ont de nous une assez bonne opi- munir contre un ennemi. Si le sacerdoce te
nion. Je n'ose donc dire devant eux ce qu'il en paraissait une bonne chose, tu devais en ac-
est, et comment nous sommes entre nous. cepter les avantages ; si au contraire tu le
Ainsi je suis obligé de me taire, de baisser les jugeais nuisible, il fallait me préserver du
yeux, d'éviter ceux que je vois venir, de m'es- préjudice, moi qui tenais, disais-tu, la pre-
quiver. Mais ce premier reproche évité m'en mière place dans ton cœur. Mais au contraire
attirenécessairement un autre, celui de dissi- tu as tout fait pour que je tombasse dans le
mulation. Car, on ne voudra jamais s'arrêtera piège. Il t'a sans doute fallu beaucoup de ruse
l'idée que tu as mis Basile au nombredeceux et de dissimulation vis-à-vis d'un homme qui

qu'il ne convenait pas de prendre pour confi- fut toujours simple, sans détour pour toi dans
dents de tes pensées. ses paroles comme dans ses actions.
Mais cela te fait trop plaisir, pour que je Mais encore une fois je ne te fais pas un ,

m'en afflige beaucoup. Ce n'est pas tout, il me crime de tout cela maintenant je ne te re- ,

reste beaucoup de choses à dire dont je ne proche pas l'isolement ou tu m'as placé en
sais comment nous supporterons la honte. brisant le cours de ces entretiens d'où nous
Tout le monde t'accuse, ceux-ci d'arrogance, retirions autant d'avantage que de plaisir. Je
ceux-là de vanité. Les moins modérés vont mets tout cela de côté je souffre, je me tais, :

jusqu'à nous faire à tous les deux ce double je me résigne doucement non ; pas qu'il y ait
reproche ils ne ménagent pas l'injure môme
: rien de doux en tes injustes procédés, mais
à ceux qui nous ont appelés à cet honneur. Les c'est qu'à partir du jour où se formèrent les
électeurs ont bien mérité, disent-ils, ce qui leur nœuds de notre amitié, je me suis imposé la
est arrivé ; eussent-ils même essuyé un plus loi, si tu venais à me causer volontairement
grave affront, il ne faudrait pas les plaindre : de la peine, de ne jamais te mettre dans la né-
eux qui, laissant de côté tant d'hommes mûrs cessitéde donner aucune explication quel-
sont allés prendre des enfants, hier et avant- conque. Le mal que tu nous as fait n'est pas
hier encore plongés dans les vanités du siècle, peu de chose, tu le sais bien, et pour l'appré-
pour les élever tout à coup à une dignité telle cier tu n'as qu'à te rappeler ce que les étran-
qu'ils ne s'y seraient pas attendus même en gers disaient de nous, et ceque nous en disions
songe, et cela parce qu'on les a vus un mo- nous-mêmes; de grands avantages devaient ré-
ment froncer le sourcil, s'envelopper de man- sulter pour nous de notre concorde notre :

teaux noirs, prendre des airs de modestie af- mutuelle amitié serait pour l'un et pour l'autre
fectée. Ainsi des vieillards, dont la vie tout une sauvegarde; et, de l'avis de tous, l'utilité
entière s'est consumée dans les exercices de la en rejaillirait même sur beaucoup d'autres.
vie religieuse, sont gouvernés, et qui est-ce Pour moi, je n'ai jamais prétendu que je pour-
gouverne? leurs enfants, qui n'ont pas même rais, en ce qui me concerne, être de quelque
entendu parler des règles qu'il faut suivre utilité à personne mais je me disais que nous
;

dans le gouvernement. en retirerionsdu moins l'avantage assez grand


Tels et plus graves encore sont les reproches déjà d'être invincibles, si quelqu'un s'avisait
dont nous sommes assaillis sanç relâche. A cela de uyus attaquer.
TRAITÉ DU SACEKOOCE. — LIVRE PREMIER. 509

que je te faisais conti-


Voici les observations lemont que dirons-nous aux étranger» ? Que
nuellement temps sont difficiles, les ten-
: les répondrons-nous à leurs accusations?
deurs d'emliùclies nombreux, la vraie charité 5. Rassure-loi, lui dis-je. Je suis prêt à ré-

est morte le llcau de TenNie a pris sa place;


;
pondre sur les choses pour lesquelles tu me
nous marchons au milieu des pièges, et nous sollicite de le faire; celles mêmes dont tu veux

nous promenons sur les créneaux de la ville*. bien me faire grâce, je tâcherai encore de t'en
Des gens tout prêts à se réjouir de nos dis- rendre raison, autant du moins que j'en suis
grâces, s'il nous en arrivait, vous en verriez capable et si lu le permets, c'est par ces der-
:

surgir une multitude de tous côtés, mais pour nières que je commencerai ma justiOcation.
nous plaindre il ne se trouvera personne, ou En effet, je serais par trop absurde et ingrat,
du moins un nombre si petit, qu'il sera trop sije n'avais souci que des étrangers, si je me
facile à compter. Gardons-nous, en nous sépa- préoccupais uniquement de mettre un terme
rant, d'encourir la risée publique, ou quelque à leurs propos malveillants, dans une ques-
dommage encore plus grave. Un frère soutenu tion qui intéresse le meilleur de mes amis,
par son frère est comme une ville forte, une un homme qui pousse la délicatesse à mon
capitale munie de barres de fer. (Prov. xviii, égard, jusqu'au point de ne vouloir pas me re-
19). Ah ne dissous pas une union si utile, ne
! procher les torts dont il me croit coupable
brise pas les barres de fer de notre forteresse. envers lui, un homme qui lui-même s'oublie
Je ne me lassais pas de te répéter ces choses pour ne songer qu'à moi quand il s'agit d'un ;

et bien d'autres encore. Certes je ne soupçon- tel homme, si je m'étais mis dans le cas de ne

nais rien de tel, je te croyais au contraire dans pouvoir lui persuader que je ne l'ai pas offensé,
les dispositions les [)lus saines à mon égard; l'indifférence dont je me serais rendu coupable
malgré la bonne santé que je te supposais, je serait bien plus grande encore que le zèle qu'il
voulais te soigner encore par surcroît, et à m'a témoigné.
mon insu il s'est trouvé que c'était un malade, Quel est donc le tort que je t'ai fait? puisque
la suite l'a fait voir, à qui j'appliquais mes re- c'est par là que j'ai résolu d'aborder ma justifi-

mèdes. Par malheur je n'y ai rien gagné, et cation. Je t'ai fait tomber dans un piège, je t'ai
mon excessive précaution a été en pure perle. caché ma pensée; mais c'est pour le plus grand
Tu as tout rejeté, tu n'as rien reçu dans ton avantage et de celui que j'ai trompé et de ceux
esprit, et moi lu m'as lancé comme un navire à qui je l'ai livré en le trompant. Si la ruse est
sans lest sur une mer immense, sans avoirégard toujours et nécessairement un mal, s'il n'est
à la fureurdes vagues, qu'il me faut maintenant jamais permis d'en user pour procurer même
soutenir seul. Quand la calomnie, la raillerie, un bien, je suis prêt à subir la peine que lu
quelqu'aulre insulte ou la persécution vien- voudras m'infliger; ou plutôt, comme il t'en
dront fondre sur moi, accidents trop fréquents coûterait trop de prononcer la sentence, je con-
dans la vie, à qui donc aurai-je recours? A qui sens a me punir moi-même, comme le feraient
ferai-je part de mes découragements? Qui vou- les tribunauxà l'égard decoupables convaincus
dra me prêter secours? Qui arrêtera les au- juridiquement. Mais s'il y a des artifices inno-

teurs de mes peines et fera cesser leurs vexa- cents, si la ruse est une chose qui devient bonne
lions? Qui est-ce qui me consolera et m'ap- ou mauvaise selon l'intention de ceux qui en
prendra à souffrir les mépris des autres usent,il ne suffit pas de te plaindre d'avoir été

Ijommcs? Je ne vois personne depuis que tu trompé il faut encore montrer que la super-
:

m'as quitté, toi qui es maintenant si loin du cherie a été ourdie dans un but mauvais; si

champ de bataille où je vais lutter, que tu ne cela n'est pas, loin de me blâmer, il convien-
pourras pas même entendre mes cris. Com- drait de m'applaudir; le bon sens et l'équité
prends-lu maintenant tout le mal que tu m'as le demanderaient. Tel est même l'avantage da
fait? Reconnais-tu au moins, après m'avoir la ruse employée à propos et avec une inten-
frappé, combien est mortelle la blessure que tion droite, que maintes personnes ont été pu-
j'ai reçue? Mais n'en parlons plus. Le mal qui nies pour n'avoir pas su tromper. Si tu veux
est fai l ne peut pas se réparer comment trouver
: examiner la vie des grands capitaines de tous
une issue dans un défilé qui n'en a pas? Seu- lestemps, tu verras que la plupart de leurs tro-
phées sont des fruits de la ruse, et qu'ils ont
' Eipreislon proverbiale usitiechez l«i Grtca it cispniotie k U
nductiOD an Eepunle. (Voir Eccli. IX, 20.) acquis par ce moyen plus de gloire que ceux
570 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRÏSOSTOME.

qui ont triomphé à force ouverte. Ceux-ci acliè- fois bon et honnête d'employer la ruse. Pour
tent leurs succès à la guerre par de plus grands te convaincre que ce moyen
avantageux à est

sacrifices et d'hommes et d'argent. Ce sont des ceux qui sont trompés, non moins qu'à ceux
victoires qui ne procurent aucun avantage à qui trompent, adresse-toi à un médecin, etde-
ceux qui les gagnent, des victoires non moins mandelui comment ceux de sa profession gué-
funestes aux vainqueurs qu'aux vaincus, |iar la rissent les malades; il t'apprendra que l'art

pjrte des soldats et l'épuisement du trésor. n'est pas leur unique ressource, que la ruse
Ajoutons que la gloire ne reste pas tout entière aussi leur vient parfois en aide, et qu'ils ren-
aux vainqueurs. Une bonne part un revient à dent souvent la santé aux malades en mêlant
ceux qui sont tombés, car vainqueurs parl'àme la ruse à l'art. Quelquefois la mauvaise humeur
ils n'ont succombé que par le cor|>s, et si, du malade, ou la ténacité du mal lui-même, en
quoique blessés, ils avaient pu rester debout, si résistant à tous les efforts des médecins, les

la mort n'était pas venue les arrêter, ils n'au- oblige à prendre le masque de la ruse, aflnde
raient pas moins que les autres fait preuve de pouvoir, comme sur la scène, déguiserla réalité
valeur. Mais celui qui fait vaincre par la ruse, des choses. Permels-moi de te raconter une
couvre encore l'ennemi de ridicule outre le mal des nombreuses supercheries dont j'ai appris
qu'il lui fait. Ici les deux camps ne partagent que les médecins font usage.
plus connue là les éloges dus à la valeur les ; Un honnne fut un jour attaqué subitement
lauriers gagnés parla prudence ne se divisent d'une fièvre violente, dont l'ardeur redoublait
pas, le prix est tout entieraux vainqueurs d'heure en heure le malade rejetait tout ce
:

qui, avantage non moins grand, réservent qui aurait pu éteindre ce feu ; il désirait boire
à leur patrie une joie sans mélange. Il n'en du vin pur, il en demandait instamment à tous
est pas de la prudence de l'âme comme de ceux qui entraient près de lui il en voulait :

l'argent et des hommes ; ceux ci, quand on en beaucoup aOn d'assouvir cette soif mortelle.
fait à la guerre un usage trop fréquent, se dé- On n'aurait pasmanqué de surexciter la flèvre,
pensent et s'épuisent; celle-là au contraire est et de jeter malheureux dans le délire, si l'on
le

d'une nature telle que plus on l'exerce plus elle avait eu pour lui celte lâche complaisance. Ici
s'accroît. l'art ne pouvait rien, il était à bout de ressour-

Non moins que la guerre, la paix montrerait ces, il était exclu nettement alors la ruse vint ;

le fréquent usage de la ruse pour


et nécessaire montrer son pouvoir, comme tu vas l'enten-
les affaires tant publiques que privées. Le dre. Le médecin prend un vase de terre que
mari s'en sert utilement à l'égard de sa femme ; l'on venait de retirer du four, le met tremper
la femme, à l'égard de son mari le père, en- ; tout entier dans le vin, ensuite l'ayant retiré
vers son fils; l'ami envers son ami, et même vide, il le remplit d'eau. En même temps, au
les enfants, envers leurs pères. Ainsi la fille de moyen de plusieurs rideaux il fait tenir dans
Saûl n'aurait pu tirer son mari des mains de l'obscurité la chambre oîi couchait le malade,
Saùl autrement qu'en trompant son père. Et de peur que jour ne découvrît la fraude ;
le

le frère de celle-ci, voulant délivrer d'un nou- ensuite il lui donne à boire le vase comme s'il
veau péril celui qui devait déjà la vie à l'a- était rempli de vin pur. Avant même de le
dresse de sa femme, se servit encore des mêmes prendre dans ses mains, le malade est prévenu
armes. et trompé par l'odeur ; il n'a pas la patience de
Mais, dit alors Basile, rien ne se rapporte à faire attention à ce qu'on lui donne; mais se
moi dans tout ce que tu dis. Je ne suis pas un fiant à l'odeur, abusé par les ténèbres, pressé
ennemi, je ne veux ni exercer d'hostilité ni par son envie, il avale très-promptement ; il
faire aucune injustice, c'est le contraire tes : s'abreuve largement, l'oppression se calme, et
conseils ont toujours servi de règle à ma le voilà sauvé d'un danger imminent.
conduite, et j'ai toujours suivi la route que tu Vois-tu l'avantage de la ruse? Si l'on voulail
as voulu. énumérer tous les artifices des médecins, le
Chrtsostohe. Mais, ômonadmirableetexcel- détail en serait d'une longueur infinie. Ce n'es*
lentami j'ai prévu l'objection, lorsque j'ai dit
1 pas seulement dans le traitement des maladies
que ce n'était pas seulement dans la guerre et du corps que l'on a recours à ces sortes d'arli'
contre les ennemis, mais aussi dans la paix et flces ; dans celui des maladies de l'âme on en
envers les meilleurs amis, qu'il était quelque- faitun usage journalier. C'est par là que l'Apô*

lil
TRAITÉ DU SACERDOCE. — LIVRE PREMIER. B71

Ire réussissait à gagner les Juifs, à les attirer sang par le massacre des sacrificateurs des dé-
en si grand nombre à la foi chrétienne c'est : mons. Celui qui exaniineraitces actions en elles-
dans cet es|irit qu'il soumit son disciple Timo- mêmes sans tenir compte de l'intention des
lliée à la loi de la circoncision, lui uni écrivait personnes, devrait aussi, s'il était conséquent,

aux Galates, que le CLrisi r;e servirait de rien accuserAbr.iham de parricide, accuserson petit-
à ceux qui se feraient circoncire c'est pour-
; fils et un de ses descendants d'injustice et de

quoi il recevait en certaines circonstances le vol, parce que Jacob obtint par surprise le droit
joug de la loi judaïque, lui qui estimait que d'aînesse, et que Moïse fit transporter les ri-

la justice de cette loi était nuisible depuis la chesses des Egyptiens dans le camp des Hébreux,
foi en Jésus-Clirist. Mais non, cela ne peut être ainsi, loin de
Grande est certainement la puissance de la nous tant d'audace. Nous faisons mieux que
ruse, seulement n'en usons pas avec des inten- d'absoudre leur conduite, nous l'admirons.
tions mauvaises ou plutôt elle ne doit plus por-
: Nont-ils pas obtenu l'approbation de Dieu
ter ce nom, quand on s'en sert pour le bien ce ; même ? Celui-là mérite le nom de trompeur,
n'est plus alors qu'une certaine conduite, une qui fait servir la ruse à l'injustice, mais non
sagesse utile, un art ingénieux de se frayer une celui qui en use avec une intention pure. Il
route là où il n'y en a point, et de redresser est souvent nécessaire de tromper, c'est un art
les erreurs des âmes. Jamais je n'appellerai qui a ses avantages parfois très-grands. Il est
assassin Phinées tuant d'un seul coup deux des cas où celui qui voudrait marcher par le
coupables, ni Elie châtiant les cent soMats avec droit chemin, nuirait très-fort à ceux qu'il
leurs chefs, ou faisant couler des torrents de n'aurait pas su tromper.
TiUlit: DU SACERDOCE. - LIVRE DEUXIÈME. 3-3

LIVRE DEUXIEME.

ANALYSE.

La sacerdoce grande preuve d'amour que l'on puisse donner i Jésus-Christ.


est la plus —
Avantage du lacerdoce. Le sang de —
Jésus-Christ est le prix des imes. —
Amour de Jésus-Cbrist pour ton Eglise. —
Les devoirs du sacerdoce sont plus grands que
ceux de mut autre état. —
Il y en a peu qui en sont dignes. —
Le prêtre a une responsabilité. —
Des ennemis du troupeau da
— —
;

1
Seigneur. l.a guéridon des âmes est plus difficile que celle des brebis. La cause et l'existence même des maladies de l'âme
j
sont dKficiles i coaDailre. —
Nul autre remède que la persuasion.— Le sacerdoce demande une âme supérieure. Combien la —
prndeni-e est nécessaire au prêtre.— Le sacerdoce est une fonction pleine de difficultés et de périls. —
Nécessité de connaître

,

'
parfaitement le candidat. —
Excellence de la chanté. —
Eloge de Basile. Sa charité. — Pourquoi Chrjsoslome a refus<
l'épiscopat. — Son refus, loin d'élre nne oCfense pour les ilectenri, les a nais â l'abri d'une foule d'accnsations qu'on n'aurait
pas manqué de lancer contre eux.

i. Que l'on peut se servir de la ruse pour le séquence qui ne l'est pas moins ; savoir ;
bien, ou plutôt qu'ainsi employée elle mérite qu'une grande et inefifable récompense attend
moins ce nom que celui de conduite ingé- celui qui exerce une fonction que Jésus-Christ
nieuse, on pourrait assurément le montrer tient en si haute estime. Par le zèle que notre
plus longuement; mais comme ce qui a été domestique apporte à soigner le bétail qui lui
dit lemontre d'une manière suffisante, il de- est confié, nous jugeons de l'attachement qu'il
viendrait fatigant, ennuyeux d'ajouter au dis- a pour nous, quoiqu'il ne s'agisse que d'ani-
cours des développements superflus. Ce serait maux qui s'achètent à prix d'argent; quelle
maintenant à toi de prouver que ce n'a pas été récompense, à plus forte raison, le Sauveur
pour ton avantage que j'ai suivi celte conduite des âmes ne réserve-t-il pas à celui qui gouverne
à ton égard. le troupeau racheté par lui, non par argent ni
Basile répondit: Et quel avantage ai-je donc autre chose semblable, mais par sa propre
retiré de cette ingénieuse adresse, de cette pru- mort et par l'effusion de son sang?
dence, comme il te plaira de l'appeler; dis-le- L'Apôtre répond Seigneur, vous savez que
:

moi, afin que je demeure persuadé que tu ne je vous aime, prenant pour témoin de son
m'as pas trompé. amour celui même qui en était l'objet ; mais
Chrtsostome. — Et quel plus grand avan- Jésus-Christ ne s'en tient pas là, il demande
tage, lui dis-je, que d'exercer un ministère des preuves d'amour. C'est qu'en effet son dé-
que Notre-Seigneur Jésus-Christ a déclaré être sir était moins de faire voir combien Pierre
une preuve de notre amour pour lui? Car l'aimait,puisque Pierre avait déjà donné plu-
s'adressant au prince des apôtres: Pierre, lui sieurs marques non équivoques de ses senti j
dit-il, m'aimes-tu ? Et Pierre ayant répondu : menls, que de nous montrer combien il aima
Oui, Seigneur, et il ajouta : Si tu m'aimes, lui-même son Eglise il voulait donner à saint
;

pais mes brebis. (Jean, xsi, 15). Pierreetànouscetenseignement, afin que nous
Lorsque le Maître demande au disciple s'il ayons nous-mêmes un grand zèle pour ses in-
l'aime, ce n'est pas pour le savoir, lui qui con- térêts.Pourquoi Dieu n'a-t-il pas épargné son
naît le fond des cœurs ; c'est afin de nousappren- Fils unique? Pourquoi l'a-t-il livré, ce cher et
dre combien il s'intéresse à la conduite de son unique objet de sa tendresse ? Pour se réconci-
troupeau. Cela est éviijent et entraîne une con- lier les hommes devenus ses eonemit. et ÇQUf
874 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

un peuple particulier. Et ce Fils \uU


se faire des intérêts qui sont en jeu, et au péril de la
même, pourquoi a-l-il versé jusqu'à la dernière situation. Le berger qui perd des brebis, soit

goutte de son sang? si ce n'est pour racheter les que les loups les aient emportées, soit que les
brebis qu'il a remises aux mains de Piirre et voleurs les aient dérobées, soit qu'elles aient

de ses successeurs. Jésus-Christ disait encore : péri par la contagion ou par quelque autre
Quel prudent que son
est le serviteur fidèle et accident, trouvera peut être grâce auprès du
maître a établi pour gouverner sa maison ? propriétaire du trouptau, et si l'on veut le

(Malth. XXIV, 45.) Voilà encore des paroles qui traiter avec rigueur, il en sera quitte pour
ont l'apparence du doute ; mais celui qui les payer le dommage; mais que celui à qui le

prononçait ne doutait pas davantage en les soin des hommes, ce troupeau raisonnable de
prononçant, que lorsqu'il demandait à Pierre Jésus-Christ, a été confié, en laisse perdre quel-
moins pours'assurerde son amour
s'ill'aimait, qu'un, ce ne sera pas son bien, mais son âme
que pour montrer la grandeur du sien. De qui en répondra. Ajoutez que le combat à sou-
même ici quand il demande Quel est le ser- : tenir est bien autrement sérieux et difficile. Ici

viteur fidèle et prudent ? Jésus-Christ le con- ce ne sont ni des loups à repousser, ni des vo-
naît assez seulement il veut nous montrer la
:
leurs à redouter, ni les atteintes d'un mal con-
rareté de tels serviteurs et la grandeur de leur tagieux à prévenir. Avec quels ennemis le mi-

ministère. Qu'on en juge par la grandeur de la nistre de Jésus-Christ est-il en guerre? contre
récompense qu'il leur destine : Je vous dis en qui lui faut-il combattre? Ecoutons l'Apôtre
vérité qu'il l'établira sur tous ses biens. (Matth. qui nous les dénonce : Nous n'avons pas d
XXIV, 47.) combattre seulement contre la chair et le sang,
2. Soutiendras-tu maintenant que ce n'est mais contre les principautés, contre les puis-
pas pour ton bien que je t'ai trompé? Toi qui sances, contre le Prince de ce monde de ténè-

vas être proposé au gouvernement des biens bres, contre les esprits de malice répandus
de Dieu, charge qui a valu à saint Pierre sa dans l'air. (Ephes. vi, 12.)
puissance et sa haute prééminence sur le reste La vois-tu, cette multitude terrible d'enne-
des apôtres, selon cette parole Pierre, dit le :
mis implacables, ces affreuses phalanges non
Seigneur, m'aimes-tu plus que ceux-ci? pais bardées de fer, mais trouvant dans leur na-
mes brebis. (Jean, xxi, 45.) Il aurait pu dire: si ture de quoi s'armer de toutes pièces?
tu m'aimes, jeiine, couche sur la dure, veille Veux-tu voir une autre armée non moins
sans cesse, protège les opprimés, sois le père cruelle et barbare, toujours en embuscade pour

des orphelins, le défenseur de la veuve ; mais surprendre le troupeau? tu l'apercevras du


non laissant là toutes ces œuvres, que
:
dit-il ? même point de vue, je veux dire que le même
Pais mes brebis. apôtre qui nous a mis en garde contre les
Ces sortes de bonnes œuvres, la plupart des premiers ennemis, nous dénonce encore ceux-
simples fidèles peuvent les pratiquer, les fem- ci: On conyiaît, dit-il, les œuvres de la chair,

mes aussi bien que les hommes mais ,


d'aussi qui sont la fornication, l'adultère, l'impureté,
importantes fonctions que le gouvernement l'impudicité, l'idolâtrie, les empoisonnements,
d'une Eglise, et la direction d'un si grand les haines, les querelles, les jalousies, les colères,

nombre d'âmes, non-seulement femmes les les cabales, les médisances, les murmures, les

en sont exclues, mais très-peu d'hommes en enflures de cœur, les révoltes (Gai. v, 19), et
sont dignes. Qu'on présente ceux que la supé- beaucoup d'autres que l'Apôtre n'a pas énumé-
riorité du mérite distingue entre tous les au- rés, nous laissant à juger desautres par ceux-ci.

tres,ceux qui par la vertu de leur âme sur- Quand il s'agitde brebis proprement dites, ceux
passent leurs frères autant que Saûl surpas- qui en veulent au troupeau voient-ils le gardien
sait les Hébreux par sa haute taille, ce n'est prendre la fuite ils ne s'occupent nullement de
;

même pas assez, à beaucoup près. Surpasser lui et se contentent de ravir les brebis ; maisici,
les hommes de toute la tête n'est pas une que les malfaiteurs soient venus à bout de s'em-
mesure qui puisse convenir ici : qu'entre le parer de tout le troupeau, loin de laisser le pas-
pasteur et les brebis de Jésus-Christ, il y ait teur en repos, ils l'assaillent avec encore plu3
toute la distance qui sépare les hommes rai- d'acharnement et d'audace, et ne quittent le
sonnables des animaux privés de raison, c'est combat que victorieux ou vaincus. J'ajouterai
fQÇore trop peu dire, eu égard à la groadevir que les maladies des aoiœaux sontfacil^i 4 fO*.
TRAITÉ DU SACERDOCE. — LIVRE DEUXIEME. SIS

connattre, comme la faim, la contagion, les en sachent gré. Si le malade qu'on a lié se
blessures ou toute autre cause de souffrance, débat, et, comme il en est le maître, rompt
grand avantage pour le traitement et la giiéri- ses liens, il ne le fait pas sans aggraver son
8on des malades. En voici un autre encore plus mal; s'il fait dévier le fer de la parole divine,
grand et plus efficace pour le prompt rétablis- une nouvelle blessure est la conséquence de
sement de la santé les bergers ont le pouvoir
: son mauvais vouloir; et l'occasion d'une cure
de forcer les brebis à endurer le traitement, devient la cause d'une maladie plus grave. Car
lorsqu'elles ne l'endurent pas de bon gré; rien il n'y a personne au monde qui puisse guérir
de plus facile que de les lier, lorsqu'il faut celui qui ne veut pas l'être.
brûler ou couper; que de les garder longtemps 4. Que faire donc' Si tu uses de trop d'in-
enfermées, lorsque cela est utile; que de chan- dulgence là où il faudrait une grande sévérité,
ger leur nourriture, que de les éloigner des et que tu aies peur d'enfoncer le fer dans la
cours d'eau; enfin, tous les autres remèdes plaie qui demande une profonde incision, tu
qu'on pense devoir contribuer à la santé des ne mal qu'à demi mais aussi que
traites le ;

troupeaux, sont de la plus facile application. tu coupes sans ménagement parce que l'opéra-
3. Il n'en est pas de même des maladies des tion est nécessaire, il peut arriver que le ma-
hommes; d'abord il n'est pas aisé de les aper- lade rebuté par la violence de la douleur perde
cevoir; il n'y a que l'esprit de l'homme qui patience ,
qu'il rejette brusquement remèdes
sachece qui est dans l'homme, (l Corinth.ir,H.) et appareils, afin qu'il aille se jeter dans quel-
Comment appliquer un remède pour une que précipice, après avoir brisé le joug et
maladie dont on ignore l'espèce, dont l'exis- rompu les liens.
tence même n'est pas toujours facile à con- J'en pourrais citer beaucoup qui se sont
stater, et qui, lorsqu'elle s'est manifestée clai- portés aux plus fâcheuses extrémités parce
rement, n'en est que plus difficile à guérir? qu'on voulait les soumettre à toute la rigueur
Car on ne peut pas traiter tous les hommes des peines que méritaient leurs péchés. Il ne
avec la même facilité que le berger traite ses faut pas toujours exiger dans le châtiment une
brebis. Le traitement des âmes exige lui aussi mesure proportionnée à la faute; mais après
qu'on lie, qu'on prive de nourriture, qu'on un mûr examen , s'assurer des dispositions de
brûle et qu'on coupe. Par malheur l'application celui par qui elle a été commise, de peur qu'en
du remède dépend du malade et non du méde- voulant réunir ce qui est déchiré tu ne fasses
cin. L'admirable saint Paul le savait bien; etc'est une rupture pire que la première, et qu'avec
pourcelaqu'ilécrivaitaux Corinthiens :A^OMSHe l'intention louable de relever ce qui est à terre,
prétendons pas dominer sur votre foi; nous ne tu ne le précipites encore plus bas. Les âmes
faisons que coopérer à votre joie. (Il Cor. i. 23.) faibles et languissantes, plus particulièrement
La chose la moins permise aux chrétiens, est cellesquisontenlacéesdanslesplaisirsdu siècle,
de corriger par la violence les fautes des pé- cellesque l'orgueil de la naissance ou du pouvoir
cheurs. Dans la jurisprudence humaine, qu'un une humeurallière, pourraient,
entretient dans
malfaiteur tombe sous la main de la justice, ménagées avec douceur et ramenées peu à peu
le magistrat, déployant le pouvoir étendu dont à faire quelque pieux retour sur elles-mêmes,
il est investi, sait bien l'empêcher, bon gré secorrigersinon totalementdu moins en partie,
mal gré, de vivre à sa fantaisie. Mais nous, nous et se dégager ainsi de cette chaîne de maux qui
n'avons, pour rendre les hommes meilleurs, les enveloppe. Vouloir les soumettre brusque-
d'autre ressource que la persuasion, jamais la ment à une discipline sévère, ce serait les priver
contrainte. Les lois ne nous donnent pas le de ce commencement de conversion. L'âme
pouvoir de contraindre ceux qui pèchent, et qu'on a une fois forcée de braver la honte,
quand elles nous l'accorderaient, nous ne tombe bientôt dans l'insensibilité; plus de pa-
pourrions pas en faire usage, puisque le Sei- thétiques exhortations qui la touchent, plus de
gneur n'a de couronnes que pour ceux qui menaces qui l'ébranlent, plus de bienfaits qui
s'abstiennent du mal par une volonté libre et l'attendrissent. Son état est pire que celui de
non malgré eux. Ine grande habileté est donc cette cité que le Prophète maudissailen disant :

nécessaire pour obtenir, par la seule persua- Tu t'es fait un front de /irostituée, tu regardes
sion, que les malades se soumettent volontiers effrontément tout le monde. (Jerem. ni, 8.)

au traitement des prêtres et que même ils leur Cela étant, quelle prudence ne faut-il pas au
n-6 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

pasteur, et aussi quelle clairvoyance pour son- Basile. Tu n'aimes donc pas Jésus-Christ.
der une âme en tous sens et discerner son état. CnRTSOSTOME. Si ,
je l'aime, et je ne cesserai
S'il en est qui se retranchent obstinément dans jamais de l'aimer, mais j'ai peur d'offenser
un désespoir furieux et perdent toute confiance celui que j'aime.
de se sauver à cause de l'amertume des re- Basile. Voilà une énigme à laquelle je n'en-

mèdes qu'ils ne peuvent souffrir il en est aussi,


; tends rien. Jésus-Christ, dis-tu, commande à
qui, parce qu'on n'a pas exigé d'eux une satis- celui qui l'aime de paître ses brebis; toi, tu
factionen rapport avec leurs fautes, se laissent refuses de le faire, et pour l'en dispenser tu
aller au relâchement, deviennent beaucoup allègues l'amour que tu portes à Jésus-Christ?
plus mauvais, et s'enhardissent à pécher tou- Chrysostome. Il n'y a pas d'énigme dans mes
jours plus gravement. paroles, elles sont très-claires et très-simples.
De tout cela, le prêtre ne doit rien laisser Sans doute, si j'étais capable d'administrer
inexploré; il faut qu'il recherche tout exacte- cette charge comme le veut Jésus-Christ, et
ment, et qu'il applique en conséquence le re- que je refusasse de le faire, on devrait se de-
mède dont il dispose, s'il ne veut pas perdre le mander ce que signifle mon langage. Mais
fruit de ses peines. puisque de mon âme me rend tout
la faiblesse

Ce n'est pas tout; il faut encore réunir au à fait inapte à celte administration, qu'y a-t-il
corps de l'Eglise les membres qui en sont sé- d'inexplicable dans ce que je dis? Oui, ce
parés, et que de soins et de peines ne doit-il troupeau bien-aimé du Christ, je craindrais,
pas prendre pour cela! Le pasteur de brebis a après l'avoir reçu florissant et bien nourri, de
son troupeau qui le suit partout où il le guide; le laisser dépérir par mon incurie, et d'irriter
que des brebis s'écartent du droit chemin, et ainsi contre moi
Dieu qui l'a aimé jusqu'à
le

que, quittant le bon pâturage elles s'en aillent se livrer lui-même pour son salut et sa ré-
brouterendesendroitsstérilesetesc.irpés;ilsuf- demption.
fitd'un cri plus fort pour ramener et réunir au Basile. Tu plaisantes en parlant de la sorte.
troupeau la portion qui s'en était séparée mais : Car, si tu parlais sérieusement, je ne vois pas
cet homme qui a quitté le droit chemin de la comment tu pourrais mieux prouver que j'ai

de soins au pasteur pour le rame-


foi, qu'il faut raison de me plaindre, tout en cherchant à
ner que de persévérance ! que de patience 11 ne
1 1 calmer mon chagrin. Je savais bien déjà que
faut pas songer à l'entraîner par la force, à le tu m'avais trompé, trahi ; mais la justification

contraindre par la peur. La persuasion seule que tu as entrepris de faire de ta conduite me


peut ramener à la vérité qu'il a quittée d'a-
le l'apprend bien mieux encore, et je comprends
bord. Il faut donc au pasteur une âme géné- parfaitement toute la gravité de la situation où
reuse qui ne défaille jamais à la peine, qui ja- tu m'as engagé. Si tu t'es dérobé à ce grand
mais ne désespère du salut des égarés, qui ne ministère, bien convaincu que les forces de ton
se lasse jamais de penser et de dire : Peut-être âme ne suffisaient une si lourde
pas pour
que Dieu leur fera connaître un jour la vérité, charge, c'était moi qu'il premièrement fallait

«t les délivrera des filets du démon. (II Timoth. en éloigner, quand même j'aurais eu le plus
XI, 25.) C'est pourquoi le Seigneur parlant à ses grand désir d'y arriver et sans attendre que ma
disciples leur dit Quel est le serviteur prudent
: confiance t'eût laissé arbitre de mes intérêts.

tt fidèle? (Matlh. xxiv, 43.) Qui ne travaille Mais tu n'as pensé qu'à toi seul; pour moi, tu
qu'à sa propre perfection ne sert que lui seul. m'as oublié. Que dis-je? plût à Dieu que tu
Mais le bien du ministère pastoral s'étend à m'eusses oublié ce serait à souhaiter mais lu
: ;

tout le peuple. Quelqu'un distribue de l'argent as toi-même tendu le piège qui m'a fait tomber
aux pauvres, ou bien il vient en aide d'une dans les mains de ceux qui cherchaient à me
manière quelconque aux opprimés; c'est là prendre. Tu n'as pas même la ressource de dire
sans doute se rendre utile au prochain mais il ; que la voix publique t'a trompé; que c'est elle

y a entre ce genre de service et ceux qu'il faut qui t'a induit à soupçonner en moi quelque
attendre du prêtre, autant de différence qu'il grand et rare mérite Jl s'en faut bien que je sois
en existe entre le corps et l'âme. C'est la raison du nombre de ces hommes qui excitent l'admi-
pour laquelle ledivin Maître disait que les soins ralionetatlirentlesregardsdumondelEtquand
donnés à son troupeau sont une marque de on se serait livré à quelque semblable illusion
rameur qu'on lui porte à lui-même? en ma fareur, c'était à toi à faire plus de cas
TRAITÉ DU SACERDOCE. — LIVRE DEUXIÈME. 677

de que de l'opinion de la multilude.


la vérité, dit passimplement que le sujet doit avoir un
A bonne heure, si nos rapports liabiliieis ne
la bon témoignage, mais il ajoute le mot encore,
t'avaient mis à même de me connaître, tu pour- pour montrer qu'il faut, avant de consulter la
rais dire avec un semblant de raison, qu'en renommée, soumettre le sujet à un sévère exa-
me donnant ton suffrage, tu n'as fait que céder men. Donc, puisque je te connaissais plus à
à l'entraînement populaire. Mais s'il n'est per- fond, même que tes père et mère, comme tu
sonne au monde qui me connaisse plus à fond, en conviens, la justice exige que je sois ren-
pas même ceux à qui je dois le jour et l'édu- voyé absous de toute accusation.
cation, quel discours assez persuasif trouveras- Basile. C'est précisément ce qui te ferait con-
tu pour faire croire à tous ceux qui l'entendront damnerinfailliblement,sironvoulaitt'accuser.
que c'est bien malgré toi que tu m'as poussé Est-ce que tu ne te souviens plus d'une chose
dans cette situation périlleuse? Mais brisons dont je t'ai parlé souvent, que les faits t'ont
là-dessus je ne te ferai pas de procès pour cela
: : mieux apprise encore, je veux dire la faiblesse
dis-moi seulement ce que nous pourrons ré- de mon caractère ? Est-ce que tu n'avais pas
pondre à ceux qui nous accusent tous deux. coutume de me railler sur mon peu d'énergie,
Cbrtsostome. Je ne m'engagerai pas dans et sur la facilité avec laquelle les plus ordi-
cette question, que je n'aie réfuté pleinement me jettent dans l'abattement?
naires difficultés
les reproches que tu me fais pour ton propre Chrysostome. Je me souviens bien de te l'a-
compte, quand tu me répéterais mille fois que voir souvent entendu dire, et je ne saurais le
tu me pardonnes. Tu disais tout à l'heure que nier. Mais si je te raillais quelquefois, c'était
l'ignorance me ferait trouver moins coupable, en plaisantant et non sérieusement que je le
que je cesserais même de le paraître, si, te faisais.

connaissant moins, je t'avais engagé dans la Mais, sans disputer sur ce point, ce que je
carrière où tu es; au lieu que, t'ayant livré demanderai à mon tour, c'est que, si je viens à
non par ignorance, mais avec uue parfaite parler de tes bonnes qualités, tu veuilles bien
connaissance de ce qui te concerne, toute ex- m'écouteravec une ingénuitéégaleàla mienne.
cuse raisonnable, toute justification légitime Si,après cela, tu entreprends de me démentir,
m'est enlevée. Eh bien moi je dis tout le con-
I jene t'épargnerai pas mais je démontrerai
:

traire. Je soutiens que dans une matière aussi que c'est la modestie qui te fait parler plutôt
grave l'examen ne saurait être tropsérieux que : que la vérité, sans avoir besoin, pour confirmer
celui qui veut élever un sujet au sacerdoce ne mon dire, d'autres témoins que tes propres dis-
doit pas s'en rapporter uniquement à la voix pu- cours ettes propres actions. Avant tout je veux
blique, mais que, non content de la consulter, t'adresser une question : Sais-tu combien est

il doit encore, il doit, avant tout et par-dessus grande la force de la charité? Jésus-Christ, lais-

tout avoir sondé lui-même les dispositions


, du sant tous les prodiges que devaient opérer les

candidat. Quand l'Apôtre écrit à Timothée : Il apôtres, a dit: Le signe auquel les hommes re-

faut encore qu'il ait bon témoignage de ceux connaîtront quevousêtes mesdisciples,c'estque
qui sont hors de V Eglise (1 Tim., m, 7), il n'en- vous vous aimiez les uns les autres (Jean,xni,
tend pas exclure la nécessité d'un examen sé- 35.) Paul dit que la charité est la plénitude de
vère et rigoureux, et ne donne pas la réputation la loi, que sans elle les dons de Dieu ne sont
comme une marque décisive dans l'épreuve d'aucune utilité. Or, ce bien si excellent, ce

qu'il s'agit de Car après avoir énuméré


faire. caractère distinclif des disciples du Christ, ce

beaucoup d'autresconditions, il ajoute labonne don au-dessus de tous les dons, je l'ai vu for-
renommée en dernier lieu, pour montrer non tement enraciné dans ton âme, y porter les
qu'elle doit être considérée seule dans les élec- fruits les plus abondants.
tions, mais qu'elle ne doit venir qu'après les Basile. Celte vertu me fut toujours très-
autres, rien n'étant plus ordinaire que les er- chère, et je mets à la pratiquer tout le zèle
reurs de multitude à cet égard. Quand cet
la dont je suis capable, j'en conviens moi-même ;
examen scrupuleux a eu lieu préalablement, mais, hélas je n'ai pu seulement atteindre à la
I

c'est alors que l'on peut sans danger se fier moitié de sa haute perfection tu m'en seras :

au suffrage public. pourquoi l'apôtre fait


C'est témoin toi-même, si, toute complaisance à part,
suivre les autres conditions de l'assentiment tu veux rendre hommage à la vérité.
des gens du dehors. Car prenons-y garde, il ne CuRïSOSïOiBB. Je vais donc recourirauxprcu*

S, i, Cil. — TO.MB I. 37
378 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

ves : la menace que je t'ai faite, je vais i'exécu- ponse à faire aux étrangers qui nous censu-
*er, et prouver que tu tiens plus à être modeste rent? C'est un point sur lequel je serai charmé
que véridique. Je raconterai un fait récent, afin de t'entendre. Laissons-là cette vaine escrime :
qu'on ne me soupçonne pas, comme on pour- dis-moi ce que nous pourrons opposer pour
rait faire si j'en rappelais d'anciens, de vouloir notre défense, tant à ceux qui nous avaient fait
envelopper la vérité dans les ombres d'un passé l'honneur de penser à nous, qu'à ceux qui,
lointain. La vérité ne permet pas de rien ajou- pour aigrir ressentiment de nos électeurs,
le

ter à ce qui est, même dans l'intention d'être affectent de répondre que nous leur avons
agréable. manqué gravement.
Un de nos amis faussement accusé d'outrage 7. Chrysostome. Soit c'est aussi là que j'ai
:

et d'emportement courait un extrême danger : hâte d'en venir. Maintenant que ma cause est
alors, sans que personne t'eût impliqué dans plaidée vis-à-vis de toi, je me tournerai sans
l'accusation, sans être prié par personne, pas difficulté vers cette autre partie de ma défense.

même par celui qui allait être victime de la ca- Quelle est donc leur accusation? Quels sont
lomnie, tu t'es jeté tête baissée au milieu des leurs griefs? J'ai fait, disent-ils, une grave
périls pour en tirer notre ami. Voilà ce qui injure aux électeurs, en refusant l'honneur
s'est passé, et pour te convaincre par tes pro- qu'ils m'offraient. A quoi je réponds d'abord
pres paroles, je te rappellerai celles que tu que l'on ne doit pas craindre d'offenser les
prononças dans cette occasion. Comme les uns hommes, lorsque en déférant à leur volonté on
n'approuvaient pas ce dévouement, et que les se mettrait dans le cas d'offenser Dieu. Quant à
autres y applaudissaient et l'admiraient, tu ré- ceux qu'une telle conduite fâcherait, j'ajou-
pondis à ceux qui te blâmaient Que voulez- : terai que leur mécontentement ne serait pas
vous que je fasse ! je n'ai pas appris à aimer pour eux sans péril, ni même sans quelque
autrement, que d'exposer ma vie, lorsqu'il le grave dommage. Des personnes dévouées à
faut, pour sauver un ami en péril. Les paroles Dieu, et ne voyant que lui seul, doivent, selon
sont autres, mais la pensée est la même que moi, être animées de sentiments de piété,
celle de Jésus-Christ disant à ses disciples, pour qui les empêchent de regarder un pareil re-
leur marquer les limites de la parfaite charité : fus comme une injure qui leur serait faite,

Nul ne peut fournir une plus grande marque dussent-ils essuyer mille fois ces prétendus
d'amour, que de donner sa vie pour ceux qu'il affronts. Jamais l'idée d'une pareille offense
aime. (Jean, xv, 13.) Si c'est là l'extrême limite n'est même entrée dans mon esprit. En effet, si
de la charité, tu y es arrivé, par tes actions c'étaient l'orgueil, la vaine gloirequi m'eussent
comme par tes paroles; tu es monté jusqu'au fait agir, comme l'on m'en accuse, à ce que tu
faîte même : voilà le secret de la trahison dont dis,mes accusateurs devraient me mettre au
tu te plains, de la fraude que j'ai ourdie contre rang des plus grandscoupables, pour avoir mé-
toi. T'ai-je convaincu que ce n'est pas dans une prisé des hommes respectables, considérables,
mauvaise intention, ni pour te faire tomber et de plus mes bienfaiteurs. Si l'on est punis-
dans aucun péril, mais par la certitude où sable de faire du mal à qui ne nous en fait pas,
j'étais de faire une chose utile, que je t'ai poussé que sera-ce d'en faire à qui veut nous combler
dans la carrière sacerdotale? d'honneur? Car on ne saurait dire que ces
Basile. Mais t'imagines-tu que la force de la hommes aient voulu se montrer reconnaissants
charité suffise pour corriger un peuple de ses de services, petits ou grands, qu'ils auraient
vices? reçus de moi. De quel châtiment ne serait pas
Chrysostome. Assurément la charité pour- digne celui qui rendrait le mal pour le bien?
rait en grande partie contribuer à cette œuvre. Si jamais pareille pensée n'est entrée dans
Au surplus, si tu veux que je produise des mon esprit, si je me suis refusé à la charge
preuves de ta prudence, j'aborderai ce point; pesante-qu'on voulait m'imposer, par des mo-
et je montrerai que tu es encore plus prudent tifs tout différents ; pourquoi, au lieu de me

que charitable. pardonner et même de m'approuver, m'accu-


(saisi de honte à ce mot et rougis-
Basile se-t-on d'avoir eu pitié de mon âme? Bien
sant).Encore une fois, laissons-là ce qui me loin que je leur aie fait injure, je prétends
concerne. Je voulaisdèslecommencement qu'il au contraire leur avoir donné la plus grande
n'en lût pas question. As-tu quelque bonne ré- marque de déférence en n'acceptant pas. N©
TRAITÉ DU SACEUDOCE. — LIVRE DEUXIÈME. bl9

('étonne pas de cetle proposition qui a l'air ses sillons une riche récolte, et déborder à flots
(l'unparadoxe, car j'en donnerai bientôt la le vin par-dessus ses pressoirs, le moment de
preuve on n'aurait pas manqué, sinon tous,
: la moisson ou de la vendange arrivé, laissait à
du moins ceux (jui trouvent plaisir à la médi- d'autres ce qui lui a coûté tant de peine et d'ar-
sance, de former toutes sortes de soupçons, de gent. Tu vois que les médisants, malgré la faus-
compte
tenir toutes sortes de propos, tant sur le pu dire, n'auraient ce-
seté de ce qu'ils auraient
de l'élu que surcelui desélecteurs jparexemple pendant pas manqué de prétextes pour accuser
on eût dit qu'ils ne regardent qu'à la ri-
: les évêques de consulter, en faisant l'élection,
chesse ;
qu'ils se laissent éblouir par l'éclat de autre chose que la justice et la conscience.
la naissance; qu'ils ne nous avaient donné C'est moi qui ne leur ai pas laissé le droit
leurs suffrages qu'en échange de nos adula- d'ouvrir la bouche, de desserrer les dents.
tions. Je ne sais pas même si l'on n'en serait Ce n'est là qu'une faible partie des calomnies
pas venu jusqu'à répandre le soupçon qu'ils se auxquelles eux et moinousaurionsétéenbutte.
seraient laissé gagner par argent. Jésus-Christ, Mais une fois entré en fonctions, quel débor-
aurait-on ajouté, appelait à l'apostolat des pê- dement d'accusations sans cesse renaissantes,
cheurs, des faiseurs de tentes, des publicains ; auxquelles il m'aurait été impossible de répon-
pour eux, ils repoussent ceux qui vivent de dre, quand même toutes mes actions eussent
leur travail de chaque jour; mais cultiver les été irréprochables ! combien plus impossi-
et,
lettres profanes, vivre dans l'oisiveté, voilà ble encore, à cause des fautes nombreuses que
des titres qui fixent leur choix et leur admi- mon inexpérience et ma jeunesse n'auraient
ration. Comment, en effet, expliquer autre- pas manqué de me faire commettre I Aujour-
ment l'exclusion donnée à celte foule de vieux d'hui j'ai anéanti jusqu'au prétexte de telles
serviteurs qui ont blanchi dans les travaux accusations contre les évêques; en agissant au-
du ministère ecclésiastique, pour élever tout trement, je les aurais exposés à une tempête
d'un coup aux premières dignités, qui ? un d'iujures.C'estàde jeunes étourdis, aurait-on
jeune homme qui n'a jamais goûté de ces la- crié de toutes parts, qu'ils confient des fonc-
borieuses occupations, et dont la vie s'est con- tions aussi augustes, aussi redoutables. Ils ont
sumée tout entière dans la vaine étude des perdu le troupeau du Seigneur on ne voit :

Sciences profanes et séculières. plus que jeu et dérision dans les affaires de
Voilà ce qu'on aurait pu dire et davantage l'Eglise. Désormais, toute iniquité aura la
encore, si j'avais accepté :mais maintenant, bouche fermée. (Ps. cvi, 42).
non ; la malignité n'a plus la ressource d'un Pour tu n'as rien à craindre de sem-
loi,

seul de ces prétextes ;


personne ne pourra nous blable ;œuvres apprendront bientôt à ceux
tes

accuser, ni moi, d'adulations, ni les électeurs, qui voudraient t'attaquer que l'on ne doit pas
de vénalité, à moins de vouloir être visible- juger de la prudence d'un homme par le nom-
ment fou. Un homme qui veut s'élever à quel- bre des années, ni mesurer la maturité à la
que dignité parla flatterie ou par l'argent, ne blancheur des cheveux que ce n'est pas aux ;

s'enfuit pas n'abandonne pas la partie au


: il jeunes hommes, mais aux seuls néophytes,
moment d'obtenir ce qu'il u désiré. C'est à peu qu'il faut interdire l'entrée du sanctuaire, et

près comnie si quelqu'un, après avoir beau- qu'il y a entre l'un et l'autre une grande dif-

coup travaillé à la terre, pour faire readre à léruuce.


I
TRAITÉ DU SACERDOCE. — LIVRE TROISIÈME. 581

LIVRE TROISIÈME.

ANALTSE.

Saint Jein ChrTSOslorae conlioiie sa justiflcalion. —


Son refus oe vient pas de l'orgueil, et ceux qui le disent, parlent contre eux-
mêmes, car accuser les autres de mépriser le sacerdoce, c'est montrer que l'on n'en a pas soi-même une assez haute idée.—
Son refus ne vient pas davantage de la vaine gloire. —
L'amour de la gloire l'eut bien plutôt porté à accepter. Il insiste par —
des raisons tirées de la nature du sacerdoce. —
Le sacerdoce est d'une nature céleste. —
Quel appareil terrible entourait le
prêtre de l'ancienne loi Cependant le sacerdoce antique n'élait que l'ombre de celui de la loi de grâce.
! Excellence de nos —
eaintj mystères vivement représentés. —
Le prêtre est plus puissant que les anges. —
De quels biens son pouvoir est la source?
— Les prêtres de l'ancienne loi conslataient seulement la guérison de la lèpre corporelle, ceux de la loi nouvelle guérissent la
lèpre de l'âme. — Si nos parents nous donnent la vie du corps, les communiquent la vie de l'âme ils peuvent
prêtres nous ;

même nous la rendre quand nous l'avons perdue. — Baptême. — Pénitence. —


Paul lui-même tremblait en considérant la
grandeur de son ministère. —
C'est aussi ce qui a effrayé saint Jean Chrysostome. —
La claire vue de l'excellence du mi-
nistère sacerdotal d'une part, et de l'autre la conscience de sa faiblesse, voilà ce qui a motivé son refus. Autres molifs —
tirés des dangers et des difficultés que l'on rencontre dans l'exercice des fonctions sacerdotales. —
Ecueil de la vaine gloire
avec lont son cortège de passions déréglées. —
Plus le sacerdoce est excellent, plus l'abus qu'on en fait est détestable. —
On peut désirer le sacerdoce, mais non l'élévation et la puissance attachées au sacerdoce. —
Un prêtre doit être maitre de
lui-même: funestes effets de la colère. —
Les fautes des prêtres sont aussilût rendues publiques : scandale qui en résulte. —
Mauvaises élections fortement décrites. —
Direction des veuves, conduite des vierges, juridiction ecclésiastique, difficultés
qui ; sont attachées. — L'excommunication, prudence qu'elle demande.

i Voilà pour la prétendue injure faite à ceux


. mais d'aliénation mentale, un homme qui
qui m'ont honoré de leurs suffrages, voilà ce n'accepterait pas un troupeau de bœufs, qui ne
qu'on peut dire, pour montrer que je n'ai voulu voudrait pas être bouvier, et en même temps
blesser personne, lorsque j'ai refusé la dignité déclarer non pas fou, mais seulement orgueil-
sacerdotale. Je n'ai pas davantage été égaré par leux celui qui refuserait l'empire du monde et
les fumées de l'orgueil : j'essaierai, selon mon le commandement des armées de tous les pays
pouvoir, de le démontrer jusqu'à l'évidence. de la terre.

Si l'on m'avait offert le commandement d'une Non, un tel raisonnement n'est pas sotite-
armée ou le gouvernement d'un empire, et nable; et de pareilles calomnies discréditent
que je n'eusse pas moins refusé, l'accusation plus leurs auteurs que moi. La seule pensée
auraitquelque vraisemblance; ou plulôtiln'est qu'il puisse y avoir au monde des hommes qui
personne qui n'etit regardé ce refus comme un méprisent le sacerdoce, trahit, chez ceux qui
trait de folie. Mais quand il s'agit du Sacerdoce, osent l'exprimer, l'idée peu convenable qu'ils
dignité qui s'élève autant au-dessus de la en ont eux-mêmes. Certes, s'ils ne regardaient
royauté que l'àme au-dessus du corps, qui pas le saint ministère comme une chose com-
osera m'accuser d'orgueil? Quelqu'un dédai- mune et de peu de prix, un tel soupçon leur
gne un emploi de peu d'importance, et on dit serait-il venu dans l'esprit? Pourquoi jamais

qu'il est un insensé ; un autre refuse des fonc- personne n'osa-t-il soupçonner rien de sem-
tions d'un ordre incomparablement plus re- blable à l'égard de la dignité des anges, et dire :
levé, eton lui fait grâce de ne pas l'accuser de voiciune âme humaine qui a refusé par or-
démence, pour le charger d'une inculpation gueil de monter au rang de la nature angé-
d'orgueil n'est-ce pas absurde? Autant vau-
: lique? C'est que nous nous formons, de ces
drait accuser non point d'un excès de ûerté, puissances célestes, une grande idée qui ne
b3a TRADUCTIO.V FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME,

nous peftnetpas de penser qu'unhomme puisse ceux qui ontdu sacerdoce une idée si témérairô
aspirer à quelque chose de plus relevé que leur (s'il y en a, ce que je ne crois pas pour ma

état. En sorte qu'on pourrait, à meilleur droit, part), mais encore ceux qui attribuent gratui-

accuser d'orgueil ceux qui m'adressent ce re- tement cette témérité aux autres, s'exposent à
pro^be. Jamais, en effet, ils n'auraient fait une un danger terrible.
telle supposition sur le compte du prochain, A. Le Sacerdoce s'exerce sur la terre, mais il

si, les premiers, ils n'avaient pas méprisé le a son rang dans l'ordre des choses célestes :
sacerdoce comme une chose de nulle impor- et c'est à bon droit. Car ce n'est pas un homme,

tance. Diront-ils que le désir de la gloire m'a ni un ange, ni un archange, ni aucune autre
agir? Je les convaincrai qu'ils se réfutent
fait puissance créée, mais le divin Paraclet lui-
eux-mêmes et qu'ils se combattent ouverte- même qui lui a marqué ce rang c'est lui qui :

ment. Je ne vois pas en vérité ce qu'ils pour- donne à des hommes la sublime confiance
raient imaginer de mieux, s'ils voulaient me d'exercer,quoiquerevêtusdechair,le ministère
défendre contre l'accusation de vaine gloire. des purs esprits. Il faut donc que le prêtre soit
2. Car si je m'étais laissé prendre à cet amour pur, comme sil était dans le ciel parmi les
de la gloire, je devais accepter plutôt que re- esprits bienheureux.Quel majestueux appareil
fuser pourquoi ? Parce que, en acceptant, je me
: même avant de grâce Comme tout in-
la loi !

serais acquis beaucoup de gloire. Comment! spirait une sainte terreur Les sonnettes, les1

un homme aussi jeune, un homme qui est grenades, les pierres précieuses qui brillaient
à peine sorti des embarras du siècle et qui sur la poitrine et sur l'éphod du Grand-Prêtre ;

tout à coup entraîne l'admiration du monde, le diadème, robe traînante, la lame


la tiare, la

jusqu'à être préféré à ceux qui ont vieilli dans d'or, le saint des saints, et sou impénétrable
le service de l'Eglise, jusqu'à l'emporter sur solitude Mais si l'on considère les mystères
!

eux tous par le nombre des suffrages obtenus; de la loi de grâce, que l'on trouvera vaine la
quoi de plus propre à faire concevoir de moi pompe extérieure de l'ancienne loi, que l'on
une grande magnifique opinion, à me poser
et comprend! a bien, dans ce cas particulier, la
devant tous les yeux comme un vénérable vérité de ce qui a été dit de toute cette loi en
et un illustre personnage? Aujourd'hui, au général que ce qu'il y a eu d'éclatant dans
:

contraire, excepté un bien petit nombre, toute le premier ministère n'eut même pas gloire;

l'Eglise ignore à peu près jusqu'à mon nom. comparé à la gloire suréminente du second.
En sorte que mon refus ne sera connu que d'un (11 Cor., m, 10). Quand tu vois le Seigneur
très-pelit nombre, lesquels encore ne sauront immolé et étendu sur le prêtre qui
l'autel,
paslà-dessusrexaclevérité.Vraisemblablenient se penche sur la victime et qui prie, et tous les
plusieurs penseront, ou bien que je n'ai pas été fidèles empourpres de ce sang précieux, crois-
élu du tout,ou bien que j'ai été repoussé après tu encore être parmi les hommes, et même sur
l'élection pour avoir été reconnu indigne, et ta terre? N'es-tu pas plutôt transporté dansles
non pour avoir volontairement refusé. cieux, et, toute pensée charnelle bannie, comme
3. Basile. Mais aussi ceux qui sauront la vé- si tu étais un pur esprit, dépouillé de la chair,

rité t'admireront. ne contemples-tu pas les merveilles d'un monde


Chrysostome, Mais ne m'as-tu pas dit qu'ils supérieur? prodige! ô bouté de Dieu Celui 1

m'accusaient de vanité et d'orgueil? De qui qui est assis là-haut, à la droite du Père, en
donc puis-je espérer l'approbation? De la mul- ce moment même se laisse prendre par les
De quel-
titude? Elle ignore ce qui s'est passé. mains de tous, il se donne à qui veut le re-
ques individus mieux informés? Mais de ce cevoir et le presser sur son cœur voilà ce qui ;

côlé-là les choses ont tourné tout autrement; se passe aux regards de la foi. Ces choses te
car le seul motif qui t'amène ici maintenant, paraissent-elles mériter le mépris? Sont-elles
c'est d'apprendre ce qu'il faut leur répoudre. de nature à ce que l'on puisse les regarder
Du reste, à quoi bon insister là-dessus avec tant comme au-dessous de soi?
de soin, puisque, quand même tout le monde Veux-tu juger de l'excellence de nos saints
serait instruitde la vérité, on ne devrait pour mystères par un autre prodige? Représente-toi
cela m'accuser ni d'orgueil ni de vanité ; un peu Elle, une foule immense debout autour de lui,
de patience, et je le ferai voir cela clairement. et la victime étendue sur les pierres tous les ;

En outre tu compaiidras que, nou-seulement assistants dans l'attente et dans le plus profond
TRAITÉ DU SACERDOCE. - LIVRE TROISIÈME. 683

silence, le proplièle seul priant à haute voix ; pouvoir toutentier aux mains de ses prêtres. Ne
puis tout à coup la flamme se précipitant du dirait-on pas que Dieu les a d'abord introduits
ciel sur l'holocauste. dans le ciel, qu'il les a élevés au-dessus de la
Tout celaest merveilleux, et bien propre à nature humaine et délivrés de la servitude de
pénétrer l'ùme de frayeur. Mais de ce specta- nos passions pour les revêtir ensuite de cette
cle passe à la célébration de nos mystères, tu autorité suprême? Si un roi admettait un de
y verras des choses qui excitent, qui surpas- ses sujets à partager sa puissance, et lui accor-
sent toute admiration. Le prêtre est debout, il dait le privilège d'emprisonner ou d'élargir qui
faitdescendre non le feu, mais l'Esprit-Saint; bon lui semblerait, un tel honneur attirerait à
sa prière est longue elle s'élève non pour
: cet homme l'envie et la considération du
qu'une flamme vienne d'en haut dévorer les monde; et celui
qui reçoit de Dieu une puis-
offrandes qui sont préparées, mais pour que la sance aussi supérieure à celle-là que le ciel est
grâce, descendant sur l'hostie, embrase par supérieur à la terre, et l'âme au corps, n'aura
elle toutes les âmes, et les rende plus bril- reçu au jugement de certaines personnes
,

lantes que l'argent épuré par le feu. Ne faudrait- qu'unedignité médiocre, unedignitételleenfin
il pas être privé de raison et de sens pour qu'on pourra soupçonner quelqu'un d'en avoir
mépriser un rayjlcre si redoutable? Ignores-tu méprisé l'honneur et le don Quelle extrava- !

que jamais une âme humaine ne supporterait gance 1 Mépriser une fonction sans laquelle il
le f(ju de ce sacrifice, mais que nous serions n'y a pas de salut pour nous, ni d'accomplisse-
tous promplement anéantis sans un secours ment des promesses divines! Nul ne peut eji-
puissant de la grâce de Dieu? trer dans le royaume de Dieu, s'il ne renaît de
5. Sil'onvientàréflécbirquec'estunmortel, l'eau et de l'Esprit- Saint (Jean, ui, 5) qui ne ;

enveloppé dans les liens de la chair et du sang, mange pas la chair du Seigneur et ne boit pas
qui peut ainsi se rapprocher de cette nature son sang, est exclu de la vie éternelle. (Jean, vi,
bienheureuse et immortelle, on demeurera 54.) Si doncces bienfaits ne peuvent être conférés
étonné de la profondeur de ce mystère, en que pardes mains sanctifiées, conséquemment
même temps que pénétré de la grandeur du par celles des prêtres, quel moyen y aurait-il,
pouvoir que la grâce de l'Esprit-Saint a conféré sans leur ministère, d'éviter le feu de l'enfer,
aux eux que s'accomplissent
prêtres. C'est par ou de parvenir aux couronnes qui nous sont
ces merveilles, et bien d'autresnon moins im- réservées ?
portantes, pour notre salut comme pour notre L'enfantement spirituel des âmes est leur
gloire. Des créatures qui habitent sur la terre, privilège : eux seuls les font naître à la vie de

qui ont leur existence attachée à la terre, sont la grâce par le baptême; par eux noussommes
appelées à l'administration des choses du ciel, à ensevelis avec le Fils de Dieu, par eux nous
l'exercice d'un pouvoir que Dieu n'a donné ni devenons les membres de ce Chef divin. Aussi
aux anges ni aux archanges! Car ce n'est pas à de»ons-nous non-seulement les respecter plus
ceux-ci qu'il a été dit Ce que vous lierez mr la
: que les princes et les rois, mais encore les
terre sera lié dans le ciel; ce que voxs délierez chérir plus que nos propres parents. Ceux ci
sur la terre sera délié dans le ciel. i}\al{h.,xy m, nous ont fait naître du sang et de la volonté de
48.) Les puissants de la terre ont, eux aussi, In c/iff2>; les prêtres nousontfait naître enfants
le pouvoir de lier, mais seulement le? corps; de Dieu nous leur devons notre heureuse ré-
;

le lien dont parle l'évangile est un lien qui génération, la vraie liberté dont nous jouissons,
saisit l'âme, et qui s'étend jusqu'aux cieux : notre adoption dans l'ordre de la grâce.
tout ce que font ici-bas les prêtres. Dieu le Les prêtres de l'ancienne loi avaient seuls le
ratifie là-haut; le Maître confirme la sentence droit de guérir la lèpre, ou plutôt ils ne gué-
de ses serviteurs. rissaient pas, ils jugeaient seulement si l'on
Il leur a donné pour ainsi dire la toute-puis- était guéri : et tu sais avec quelle ardeur on
sance dans le ciel. Il dit : Ceux à qui vous re- briguait la dignité sacerdotale chez les Juifs.
met Irez les péchés, ils leur seront remis; ceux à (Lévit., XIV.) Pour nos prêtres, ce n'est pas la

qui vous leur fenmt retenus.


les retiendrez, ils lèpre du corps, mais la lèpre de l'âme, dont ils

(Jean, XX, 23.) Est un pouvoir plus grand que


il ont reçu le non de vérifier, maisd'oi
pouvoir,
celui-là? Le Père a donné au /?/« tout jiif/ement pérer l'entière guérison. Ceux qui les mépri-
(Jean, V, 22), et je vois leFils remettre ce même sent sont donc plus sacrilèges que Dalhan et ses
bBi 1RADUCTI0N FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHKYSOSTOME.

compagnons, et dignes d'un plus sévère châti- d'un auditoire, seraient de nature à impres-
sionner assez fortement les âmes, pour que
ment. (Nomb., XVI.) Ceux-ci, en prétendant à
l'accusation d'orgueil et d'audace fût lancée non
une dignité qui ne leur appartenait pas, témoi-
gnaient du moinsl'estime particulière qu'ils en plus contre ceux qui fuient le sacerdoce, mais

faisaient, par l'ambition même qui les portait à contre ceux qui s'y ingèrent d'eux-mêmes, et
vouloir usurper. Mais aujourd'hui que le sa- qui le recherchent par unetéméraireconflance.
la
Si ceux à qui l'on confie l'administration d'une
cerdoceest en possession d'une aulorité et d'une
• îlencebien plus relevées qu'autrefois, le ville la ruinent et se perdent eux-mêmes, quand
e-

ifer deviendrait un crime encore plus ils n'y apportent pas une sagesse et une sur-
U(. eux que celui d'y prétendre par des vues veillance continues; de quelle vertu, tant natu-

ambitieuses. 11 n'y a aucune parité, sous le rap- relle que divine, ne doit pas être doué, pour ne
port de l'outrage, entre prétendre à unedignité point faillir , celui à qui échoit la missioa

à laquelle on n'a pas de droit, et mépriser les d'orner l'Epouse du Christ !

grands biens que le Sacerdoce résume en soi : 7. Jamais personne n'aima plus Jésus-Christ

autant il y a loin de l'admiration au dédain, que saint Paul. Jamais personne ne témoigna
autant le second crime est plus grief que le pre- pour lui un zèle plus ardent, et n'en reçut plus
mier. Quelle âme serait assez misérable pour de grâces et néanmoins, avec tous ces avanta-
:

mépriser de si augustes prérogatives? Aucune, ges, on le voit s'épouvanter de la grandeur de

à moins qu'elle ne fût au pouvoir et sous l'ai- son ministère et trembler pour les fidèles dont
guillon de Satan. il est chargé. Je crains, dit-il, que comme Eve

Mais je reprends mon sujet où je l'ai laissé. fut séduite par les artifices du serpent, vous
Qu'il s'agisse de punitions à infliger, qu'il s'a- ne vous laissiez corrompre et ne dégénériez dé
gisse de grâces à distribuer, les prêtres ont reçu la simplicité chrétienne. (Il Cor., xi, 3.) Et ail-

de Dieu un plus grand pouvoir que nos parents leurs : J'ai été parmi vous dans la crainte et

dans l'ordre de la nature. Entre les uns et les dans l'angoisse. (I Cor., ii, 3.) Ainsi parle un
autres la différence est aussi grande qu'entre homme qui fut ravi jusqu'au troisième ciel,
la vie présente et la vie future. Nos parents que Dieu lui-même daigna initier à la connais-
nous engendrent à la première, les prêtres à sance de ses mystères, un apôtre qui a souffert
la seconde. Ceux-là ne sauraient préserver de autant de morts qu'il a passé de jours sur la
la mort corporelle, ni éloigner la maladie qui terre après sa conversion, qui s'abstenait d'user

survient; ceux-ci guérissent souvent l'âme ma- de tout le pouvoir que Jésus-Christ lui avait
lade et qui va périr tantôt ils adoucissent la
;
donné, de peur de scandaliser le moindre de
peine due au péché, tantôt ils préviennent ses frères. Si cet homme, qui ne se contentait
même la chute, par l'instruction et l'exhorta- pas d'observer simplement les préceptes de
tion comme par le secours de leurs prières. Dieu, mais qui allait au delà, qui ne recher-
Ils ont le pouvoir de remettre lespéchés lors- cha jamais son intérêt propre, mais toujours
qu'ils nous régénèrent par le baptême, et ils celui des fidèles qu'il gouvernait, se sent pé-
l'ont encore après. Quelqu'un, dit l'apôtre saint nétré d'une frayeur continuelle à la pensée du
Jacques, est-il malade parmi vous, qu'il appelle ministère dont ilque ferons-nous,
est chargé,
les prêtres de l' Eglise; qu'ils prient sur lui, en nous qui sommes accoutumés à tout rapporter
l'oignant d'huile au nom du Seigneur : et la à nous seuls, nous qui non-seulement n'allons
prière de la foi sauvera le malade, et Dieu le pas au-delà des préceptes de Jésus-Christ dans
soulagera ; et s'il a commis des péchés, ils lui la pratique du bien, mais qui trop souvent res-
seront remis. (Jacq., v, 14, 15.) Enfin les parents tons bien loin en-deçà de la limite rigoureuse
selon la nature ne peuvent rien pour leurs en- du devoir.
fants, lorsqu'il arrive à ceux-ci d'offenser quel- Qui est-ce qui souffre sans que je souffre avec
que prince, quelque puissant de ce monde. Les lui? Qui est scandalisé sans que je brûle?
prêtres les réconcilient, non avec les princes et (llCor., XI, 29.)'
les rois, mais avec Dieu souvent irrité contre Tel doit être le prêtre, ou plutôt cela ne
eux. suffit pas encore : c'est peu de chose, ce n'est
Après cela viendra-t-on encore nous accuser rien en comparaison de ce que je vais dire.
d'orgueil? Il me semble que les raisons que je Ecoutez : Je souhaitais que Jésus-Christ me
viens d'exposer, si elles frappaient les oreilles rendît moi-même anathème pour mes frères,
TRAITÉ DU SACEUDOCK, — LIVRE TROISIÈME. 585

çui sont de la m?me race que moi selon la 9. De tous les écueiis contre lesquels il peut
chair. (Rom., ix, 3.) Tout homme iiui pourra se briser, le plus terrible est celui de la vaine
proférer cette parole, dont l'âme sera assez gloire, écueil bien autrement dangereux que
sublime pour s'élever à la hauteur d'un tel celui des Sirènes, tant célébré par les poètes
souhait, celui-là méritera qu'on le blâme s'il dans leurs fictions. Pour celui-ci, plusieurs
fuit l'épiscopat. Mais quiconque sera aussi ont pu le passer sans malheur mais celui-là ;

éloigné de cette vertu que je le suis se rendra est pour moi si dangereux, qu'aujourd'hui
odieux, non s'il refuse, mais s'il accepte. même, que nulle violence ne me pousse dans
d'une élection à un comman-
S'il s'agissait j'ai toutes les peines du monde à
ce gouffre,
dement militaire, et que ceux qui sont les m'em pêcher d'y tomber. Me mettre sur les bras
maîtres de choisir allassent prendre un for- le fardeau de l'épiscopat, ce serait en quelque
geron, un cordonnier, ou quelque autre arti- sorte lier les mains derrière le dos, et me
me
san pour lui confier ce grade, assurément ce livrer, pour leur servir de pâture, aux bêtes
misérable ne mériterait point d'éloges s'il ne féroces dont cet écueil est le repaire je veux :

refusait pas, s'il ne faisait pas tout ce qui dé- dire l'emportement, l'abattement, l'envie, les
pendrait de lui pour ne pas se lancer dans ce disputes, les calomnies, les accusations, le
périlleux honneur. Oh! si pour être évéque il mensonge, l'hypocrisie, les embûches, les

sufflt d'en avoir le nom, d'en faire la fonc- aversions sans sujet, les secrètes joies cau-
tion d'une manière telle quelle, sans qu'il y sées par les chutes et les hontes de nos col-
ait aucun risque à courir, m'accuse qui vou- lègues, le chagrin que nous ressentons des
dra de vaine gloire.Mais s'il faut, pour,accepter succès des autres, l'amour désordonné des
cette charge, une prudence consommée, et, louanges, la soif des honneurs (l'une des pas-
avant la prudence, une grâce spéciale de Dieu, sions qui corrompentle plus l'âme humaine)
une droiture de mœurs, une pureté de vie ir- la prédication évangélique devenue un moyen
répréhensible, une vertu supérieure aux seules de plaire ; les serviles adulations, les lâches
forces humaines, je te prie de me
pardonner complaisances, les superbes dédains vis-à-vis
la résolution que j'ai prise de ne pas m'exposer des pauvres, les bassesses officieusesenvers les
indiscrètement aune perte inévitable. riches les ; marques d'honneur prodiguées sans
Si quelqu'un, me montrant un grandnavire, raison et non sans dommage les grâces égale-
;

rempli d'un nombreux équipage, chargé de ment pernicieuses et à ceux qui les accordent,
marchandises précieuses, me plaçait au gouver- et àceux qui les reçoivent les craintes serviles,
;

nail et me proposait de traverser la mer Egée dignes tout au plus des derniers des misérables;
ou la mer Tyrrhénienne, je reculerais certai- l'absence de la liberté sacerdotale ; les dehors
ment d'effroi au premier mot. Et si l'on me affectés de la modestie, mais le fond nulle
demandait pourquoi je répondrais que j'ai
: part nul courage pour reprendre et répriman-
;

peur de perdre Quoi doncl dans


le navire. der, ou plutôt l'abus de ce droit vis-à-vis des
une circonstance ofi il ne s'agit que de ri- petits, et quand il s'agit des grands, une lâcheté

chesses périssables, d'une vie qui doit bientôt qui n'ose même ouvrir la bouche.
finir, personne ne se plaint que l'on montre Tels sont les monstres, et je ne les ai pas
trop de prudence et de défiance de soi-même ; tous nommés, tels senties r>onstres que nour-
et dans l'appréhension d'un naufrage qui in- rit cet écueil; une fois pris par eux, il faut les

téresse l'âme comme le corps, et qui menace, suivre où ils entraînent, et l'on descend si bas
non pas des abîmes de la mer, mais d'un dans laservitude que, pour plaire à des femmes,
gouffre de flammes éternelles, je serai en butte on fait des choses qu'il ne convient pas même
à la colère, à la haine, parce quejunemesuis de dire. Vainement la loi de Dieu a exclu les
point jeté étourdiment dans cet effroyable mal- femmes du saint ministère (I Cor., xiv, 34),

heur Qu'il n'en soit pasainsi,je vous en prie,


! elles veulent forcer les portes du sanctuaire :

je vous en conjure. etcommeellesnepeuventrienparelles-mêmes,


8. Je connais mon âme, sa faiblesse, sa peti- elles font tout parla main de leurs agents elles :

tesse. Je connais la grandeur du saint minis- ont usurpé une telle autorité, qu'elles élèvent à
tère et ses immenses difficultés. L'âme du l'épiscopat et en font descendre qui elles veu-
prêtre est battue par bien plus de tempêtes que lent enfin elles mettent les choses sens dessus
:

les vents n'en soulèvent sur les mers. dessous, et nous font voir l'application du pro-
686 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

verbe les sujets gouvernent les chefs. Et plût


:
tenu dansunranganalogueàcelui qu'occupent
à Dieu que ces sujets qui gouvernent fussent des les pieds dans le corps humain ma place na- :

hommes mais des femmes qui n'ont pas même


1
turelle.

le droit d'enseigner que dis-je enseigner à


;
! ;
Indépendamment des qualités que j'ai indi-

qui le bienheureux Paul interdit la parole dans quées, il en est d'autres, mon
ami, non moins
l'Eglise !.. Cependant, à ce que j'ai entendu nécessaires pour être un bon évêque, et dont je
dire, on leur a laissé prendre une si grande suis totalement dépourvu ; la première de

liberté, que l'on en a vu gourmander impérieu- toutes, c'est que le désir de le devenir n'ait

sement des évoques, et leur parler avec plus jamais terni la pure simplicité du cœur. A
de hauteur que des maîtres à leurs esclaves. peine celui qui brûle de posséder cette dignité
10. Qu'on n'aille cependant pas croire que je eu qu'une flamme d'ambition en-
jouira-t-il,

fasse peserces accus liions sur tous les ministres core grande s'allumera dans son cœur
|)lus

de l'Eglise. Il y en a qui ont échappé à cette pour la conserver; ambition dont la violence le
espèce de filet, ils sont même plus nombreux poussera malgré lui à toute sorte d'indignités,
que ceux qui s'y sont laissé prendre. A Dieu aux flatteries, aux bassesses, et s'il le faut aux
ne plaise que j'aie la coupable imprudence sacrifices d'argent. Quant aux meurtres dont

d'accuser le sacerdoce de ces vices qui n'appar- quelques- uns ont rempli les églises, aux villes
tiennent qu'à l'homme Le fer n'est pas cou-
! qu'ils ont renversées de fond en comble en
pable des meurtres, ni le vin de l'ivrognerie, combattant pourla conquête ou la conservation
ni la force de la violence, ni le courage de de cette dignité, je ne veux pas en parler, de
.l'aveugle témérité; les coupables sont ceux qui peur de paraître dire des choses incroyables.
font un mauvais usage des dons de Dieu, voilà On devrait avoir pour le sacerdoce un respect
ceux que les gens sensés accusent et punissent. qui ferait craindre d'en recevoir la charge; un
C'est le Sacerdoce qui aura le droit de nous respect qui porterait ceux qui en sont revêtus
accuser, si nous en exerçons mal les fonctions. à se démettre eux-mêmes de leurs fonctions,
Bien loin qu'il soit la cause des maux que j'ai quand ils commis quelque faute grave,
ont
signalés, c'est nous qui le déshonorons, autant plutôt que d'attendre le jugement des autres et

qu'il est en nous, de ces souillures, lorsque la déposition. Ce serait le moyen d'attirer sur
nous le livrons aux premiers venus, à des soi la miséiicorde divine. Autrement, s'obstiner
hommes, qui, sans avoir auparavant consulté à garder une place dont on n'est pas digne, c'est
leurs forces, ni fait attention au poids du far- aussi se rendre indigne du pardon, c'est attiser

deau, s'en emparent avidement comme d'une de plus en plus le feu de la colère de Dieu,
proie qui leur est offerte ; mais quand ils se ])arce qu'à un premier péché l'on en ajoute un
mettent à l'œuvre, alors égarés par leur impé- plus grave.
rilie, ils affligent de maux sans nombre les H. Mais où sont les hommes capables d'une
peuples qu'ils sont chargés de conduire. aufsigénéreuserésolution? C'est quelque chose
malheur qui allait m'arriver, si Dieu,
Voilà le de terrible en vérité que la soif des dignités. Et
par pour son Eglise et pour mon âme, ne
pitié lorsqueje parle ainsi, loin deconiredirele bien-
m'eût promptement arraché à ces dangers. heureux Paul je suis parfai tement d'accord avec
,

D'où naissent, penses-tu, ces troubles qui lui. Voicien effet ce qu'il dit Celui qui désire
:

désolent nos Eglises? Pour mon compte, je ne l'épiscopat, désire wie bonne œuvre. (I Tim., m,
puis leur assigner d'autre cause que le défaut 1.) Ce que je condamne, ce n'est pas l'œuvre
de prudence et de circonspection dans le choix elle-même, c'est le désir de la domination et de
et l'élection des ministres. Il faut que la tête la puissance. Il faut étouffer jusqu'à !a dernière
soit très-forte pour dominer et pour dissiper les étincelle de ce désir, pour soustraire la dignité
vapeurs pernicieuses que les parties inférieures épiscopale à son empire, et pour assurer ce libre
du corps envoient jusqu'à elle. S'il arrive exercice de ses fonctions. Quand on n'a pasdésiré
qu'elle soit faible, alors, étant impuissante à de monter à l'épiscopat, on ne craint pas d'en
repousser ces malignes influences, elle devient descendre; exempt de cette crainte, on agira en
encore plus faible qu'elle'n'était naturellement, tout avec la liberté qui convient à des chrétiens.
et elle entraîne tout le reste
dans sa ruine. Dieu La peur d'être préci|>ité de ce haut rang courbe
a voulu prévenir ce malheur, et c'est pourquoi l'âme sous le joug de la plus humiliante servi-
dans ce corps mystique de l'Eglise, il m'a re- tude, servitude remplie demaux,etqui force de
TRAITÉ DU SACERDOCE. - LIVRE TROISIÈME. 587

manquer à la fois à ce qu'on doit à Dieu, à ce ils ne s'en délivrent qu'en renonçant à l'espoir
qu'on doit aux hommes. Rien de si funeste d'y parvenir.
qu'une pareille disposition. Les braves soldats 12. Ce motif n'est pas sans valeur, et il aurait
sont ceux qui combattent avec ardeur et meu- été seul qu'il eût suffi pourm'éloignerdusacer-
rent avec courage. Tel est l'esprit qui doit ani- doce. Mais à celui-là s'en ajoute un autre qui
mer un évèque : il faut qu'il soit prêt a quitter n'est pas moins puissant quel est-il? Il faut :

comme à exercer sa charge, ainsi qu'il convient qu'un prêtre soit sobre, clairvoyant; qu'ilaitdes
à un chrétien, assuré que d'en sortir ainsi ce yeux pour tout observer, car il ne vit pas pour
n'est pasce qui procure la moins belle des cou- lui tout seul mais i)our tout un peuple.
,

ronnes. Quand on s'est exposé à tomber de la (ITim., m, 2.) Et moi,


je suis paresseux, je suis
sorte pour n'avoir point consenti à rien qui fût sans énergie, et c'est à grand' peine que je suffis
contraire à l'honneur de l'épiscopat, on se pré- à mon salut propre; tu en conviendras toi-
pare à soi-même une récompense plus glo- même, dont l'amitié est cependant si atten-
rieuse, et un plus rigoureux châtiment aux tive à dissimuler mes défauts. Jeûner, veiller,
auteurs d'une disgrâce non méritée. coucher sur la terre nue, et les autres macéra-
Vous serez heureux dit Notre-Seigneur, ,
tions corporelles, il ne faut pas m'en parler; tu
lorsque les hotnmes vous outrageront et vous sais combien je suis éloigné de cette perfection;
persécuteront, et qu'ils diront faussement toute et, quand je la posséderais, de quoi me servi-
sorte de mal contre voies à cause de moi; ré- rait-elledans l'exercice di^ ministère épiscopal
jouissez-vous et tressaillez de joie, parce qu'une avec cette mollesse et cette indolence qui me
grande récompense vous est réservée dans les sont naturelles? Ces exercices, il est vrai, pro-
CJetar.(Matb.,v, ll,12)."Voilàpourdescasoiides fitent beaucoup au enfermé dans sa
solitaire
collègues cassent et déposent quelqu'un par ja- cellule et qui n'a pas d'autre affaire que soa
lousie, parune lâche complaisance pour des salut personnel. Mais l'homme qui se doit à un
étrangers, par inimitié ou par quelqu'autre peuple entier, qui concentre en lui-même les
motif injuste : mais, souffrir la même persé- intérêts particuliers de tous ses administrés, je
cution de la part d'ennemis déclarés est quel- ne vois pas quel fruit il en pourrait tirer, à
que chose de plus méritoire encore, et la ma- moins d'y joindre une force d'âme que rien
lice des persécuteurs procure alors des avan- n'ébranle.
tages qu'il est inutile de décrire. 13. Ne sois pas surpris que, pour juger de
Il faut donc de notre
visiter tous les replis l'énergie d'une âme , je demande d'autres
cœur, et rechercher soigneusement si quelque preuves que l'austérité de la vie. En effet, nous
étincelle, mal éteinte, de ce désir, n'y couverait voyons des gens pour qui ce n'est pas même
pas à notre insu. Ce n'est pas tout d'avoir été une affaire de ne tenir aucun compte du boire
exempt de celte passion dès le commencement, et du manger, ou de la mollesse de la couche;
il faut encore s'estimer heureux de pouvoir il y en a qui sont naturellement rudes pour ;

la tenir en bride au sein du pouvoir et de l'é- d'autres, c'est affaire d'éducation, de tempé-
lévation. Quant à celui qui, avant d'être par- rament même et d'habitude, toutes choses
venu aux honneurs, en nourrit en lui-même qui peuvent rendre aisé ce qui nous paraît pé-
l'insatiable et pernicieux désir, on ne saurait nible. Mais l'outrage, mais les injustices, mais
dire dans quelle ardente fournaise il se jette un mot offensant, mais un trait mordant lancé
en y arrivant. Pour moi, j'en fais l'aveu, et ne avec ou sans réflexion par un inférieur, mais
crois pas que je veuille mentir par modestie, les plaintes portées contre nous au hasard et
je sens que cette passion est grande en moi et ; sans fondement par des supérieurs ou des su-
c'est une des raisons qui aient le plus forte- bordonnés voilà ce que bien peu savent sup-
:

ment déterminé la résolution que j'ai prise de porter avec fermeté vous en citerez un ou deux
;

fuir. Ceux que l'amour charnel a blessés de peut-être. Tel endurera courageusement la
ses trails, ne souffrent jamais une plus rude faim et la soif qui, mis aux prises avec ces au-
épreuve que lorsqu'ils se trouvent près de tres épreuves, y perdra la raison, sera comme
l'objet de leur passion; s'éloignent-ils, le mal pris de vertige et deviendra plus furieux qu'une
cesse; j'en dirai autant des cœurs ambitieux bête féroce. Voilà surtout celui que nous éloi-
qui convoitent la dignité sacerdotale. La fièvre gnerons du sanctuaire. Qu'un évêque ne s'ex-
qui les dévore redouble u>uc luui^ ui^érauces; ténue point par les jeûnes, qu'il n'aille potut
S88 TRADUCTlOiN FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

nu-pieds, qu'est-ce que cela fait au bien gé- ciété d'unou deux amis; par ce moyen il évitera
néral du troupeau? Mais un caractère \iolent, l'incendie qui, au contraire, le dévorera s'il
c'est tout ce qu'il y a de plus fécond en mal- tombe dans l'abîme des soucis d'une grande
heurs pour
et soi-même et pour les autres. charge. Et il ne se perdra pas seul il en entraî-
;

Nulle menace n'est sortie de la bouche de nera beaucoup d'autres dans le précipice, en
Dieu contre ceux qui ne se macèrent pas pour ;
les rendant moins attentifs à garder la modé-

ceux qui se mettent en colère, c'est de l'enfer ration Les peu pies sont disposés naturellement
.

et du feu de l'enfer qu'il les menace. (Matth., v, à considérer la conduite de leurs chefs comme
22.) Lorsque l'homme épris de la vaine gloire un modèle sur lequel ils cherchent à se former.
acquiert un grand pouvoir, c'est un nouvel Comment réussir à calmer dans les autres les
aliment qu'il offre au feu qui le brûle il en est ; effervescences de l'humeur, quand on ne sait
de même de celui qui, dans son particulier et pas commander à la sienne? Quel homme du
dans les petites réunions, ne peut maîtriser sa peupleconsentira àcorriger ses emportements,
colère, et s'emporte pour un rien. Qu'on le en voyant son évêque qui s'emporte ? Sa di-
mette à la tête d'un gouvernement considé- gnité qui l'expose à tous les regards, ne permet
rable, et l'on va voir un animal féroce, rendu pas qu'aucun de ses vices demeure caché les :

furieux par les milliers de piqûres qu'il reçoit plus petits sont bien vite publiés. L'athlète qui
de tous les côtés à la fois. Plus de repos pour reste chez lui, qui ne lutte avec personne ca-
lui, et pour son peupie des maux incalculables. che aisément sa faiblesse ; mais quand il se
14. Rien ne trouble la clarté de l'intelligence, dépouille de ses vêtements et descend dans l'a-
rien n'offusque la pénétration de l'esprit comme rène, on voit promptement ce qu'il est. De
la colère, désordonnée, impétueuse. La colère même les hommes qui vivent dans la re-
est-il dit, perd même les sages. (Proverb., xv, l .) traite et loin des affaires peuvent étendre sur
C'est comme un combat de nuit, aU milieu leurs vices le voile de la solitude. Sont-ils in-
duquel la vue obscurcie ne distingue plus les troduits dans le monde ? les voilà obligés de
amis des ennemis, ni l'honnête homme de quitter le manteau qui les recouvrait, je veux
l'homme méprisable ; en use avec
la colère dire la solitude, et de montrer leur âme à nu
tout le monde de la même peu lui im-
façon ;
dans les agitations du siècle.
porte le mal qu'elle se fait à elle-même elle : Autant bons exemples servent à enflam-
les
s'y résout, elle s'en fait une espèce de plaisir mer émulation de la vertu, autant
la sainte
qu'il faut satisfaire à tout prix. Oui, cet embra- les mauvais contribuent à répandre parmi les
sement du cœur n'est pas sans un certain plai- peuples le relâchement et la négligence dans
sir, il exerce même sur l'âme une tyrannie l'observation du devoir. Il faut donc au prê-
plus impérieuse que tout autre plaisir, et c'est tre une âme toute rayonnante de beauté dont
pour bouleverser de fond en comble son état la lumière éclaire et réjouisse les âmesdeceux
normal. La colère entraîne naturellement à sa qui ont les yeux tournés vers lui. Les fautes
suite l'orgueil insolent, les inimitiés sans su- des hommes vulgaires restent ensevelies dans
jet, les haines aveugles, les offenses gratuites : l'ombre et ne préjudicient qu'à ceux qui les
elle disposeconstamment aux provocations et commettent. Le scandale d'un homme haut
aux outrages. Que ne fait-elle pas dire et faire placé dans le monde et exposé à tous les re-
à ceux qu'elle possède L'âme étourdie de son
1 gards est une sorte de fléau public, tant parce
tumulte, entraînée par sa violence ne trouve qu'il autorise la tiédeur de ceux qui s'effraient
plus un point d'appui pour résister à de si vio- des rudes exercices de la vertu, que parce qu'il
lents assauts. décourage ceux mêmes qui voudraient mener
Basile. Je t'arrête, c'est trop longtemps par- une vie meilleure. Ajoutez à cela que les fautes
ler contre ta pensée. Qui ne sait que personne des particuliers, lors même qu'elles sont con-
n'est plus exempt que toi de cette maladie? nues, n'ontpas une influence bien dangereuse
Chrysostome. Mais pourquoi, cher'ami, m'ex- sur les dispositions des autres mais le prêtre,
;

poser à ce feu? pourquoi réveiller la bête fé- rien de ce qu'il ne reste caché, et chacune
fait
roce qui dort? Ne sais-tu pas que je dois ce de ses actions, indifférente en soi, prend dans
calme non àma vertu, mais à mon amour pour l'opinionun caractère sérieux. On mesure les
la solitude? Quand quelqu'un est enehn à la tortsmoins par la gravité du délit que par le
colère, il faut qu'il vive seul, ou dans la so- rang de celui qui le commet. Que le prêtre
TRAITÉ DU SACERDOCE. — LIVRE TROISIÈME. tl8D

donc se reTête pour ainsi dire d'im zèle sou- ils se metlent à travailler de concert
casion,
tenu, d'unecontiniiellevigilancesurhii même, etde toutes leurs forces à le faire tomber
comme d'une armure de diamantqui ne laisse comme un tyran, comme quelque chose de
aucun endroit faible et découvert, par où l'on pire.Le tyran craint ses gardes du corps l'é- ;

puisse lui porter le coup, mortel. Tout ce qui voque lui aussi est réduit à redouter ceux qui
l'entoure ne demande qu'à le frapper et à l'a- l'approchentde plus près. Ce sont eux qui con-
battre,non-seulement ses ennemis déclarés, voitent sa place, eux qui connaissent le mieux

mais encore ceux qui font semblant d'èlre ses sa vie et ses affaires. Témoins journaliers de
amis. ses actions, ils sont les premiers à saisir la
Il faut choisir, pour âmes
le sacerdoce, des moindre faute qui lui échappe, ils peuvent fa-
semblables aux corps des trois jeunes gens, que cilement accréditer même leurs calomnies,
la grâce divine rendit invulnérables au milieu faire passer pour grave ce qui est léger, et
de la fournaise de Babylone. Le feu dont ils perdre ainsi leur évêque qui succombe victime
sont menacés ne s'alimente pas de sarment, de de leurs mensonges. C'est le renversement de
poix ni d'étoupes, mais de matières plus dange- la parole de l'Apôtre 5/ un membre souffre,
:

reuses; c'est un feu qui ne se voit pas, c'est le tous les membres souffrent avec lui; si un mem-
feu de l'envie qui enveloppe le prêtre de ses bre est glorifié, tous les membres sont dans la
flammes dévorantes, flammes qui se dressent, yo?e.(ICor., XII, 28.) Contrede tels assauts il n'y
s'étendent, se jettent sur sa vie, et la pénètrent a de ressources que dai^ une piété à toute
tout entière avec une activité qne n'eut jamais épreuve.
le feu matériel contre les corps des trois jeunes Voilà dans quelle guerre tu veux que je
gens. Dès que l'envie trouve un brin de matière m'engage. Voilà la mêlée terrible dans laquelle
combustible, sa flamme s'y attache aussitôt, et tu me crois capable de me défendre. Qui te
consume cette partie défectueuse;quant au l'a dit? Si c'est Dieu, montre-moi ton oracle
reste de l'édifice, fùt-il plus éclatant que les et je me soumets. Si tu n'en as pas d'autre que
rayons du soleil, elle l'endommage encore par la vaine opinion des hommes, désabuse-toi.
sa fumée et le noircit complètement. Tant que Dans une cause qui m'est si fort personnelle,
la vie d'un prêtre est dans un parfait accord ne trouve pas mauvais que je défère à mon
avec la règle de ses devoirs, il n'a rien à sentiment plutôt qu'à celui des autres car, dit ;

craindre des pièges de ses ennemis. Qu'une l'Apôtre, personne ne connaît mieux ce qui est
seule irrégularité, si petite qu'elle soit, échappe dans l'homme que l'esprit de l'homme. (I Cor.,
à son attention (et cependant quoi de pltle par- 11,11).
donnable, puisqu'il esthomme, etqu'il traverse Je crois en avoir dit assez pour te persuader,
cette mer semée d'écueils qui s'appelle la vie); au cas que tu en aies jamais douté, combien je
voilà que toutes ses vertus ne lui servent plus me serais exposé au ridicule, moi et ceux qui
de rien contre les langues de ses accusateurs ;
m'avaient élu, si, après avoir accepté l'épisco-
un rien ternit toute sa vie. Tout le monde juge pat, je m'étais vu ensuite forcé de reprendre
le prêtre, et on le juge comme s'il n'était plus mon premier état de vie.
dans sa chair, comme s'il n'était pas pétri du Outre l'envie, il y a encore une autre passion
limon commun, comme s'il était un ange af- plus violente, qui arme beaucoup d'hommes
franchi de toutes les faiblesses de l'homme. contre un évêque, c'est la convoitise qu'excite
Tant qu'un tyran est fort, on le craint, on le celte dignité. Comme
il y a des fils ambitieux

flatte, ne pouvant le renverser; ses affaires dé- qu'afflige la longue vie de leurs pères, il y a
clinent-elles, adieu les respects simulés ; ceux aussi des hommes à qui la durée d'un long
qui la veille encore se disaient ses partisans, se règne épiscopal cause une impatience extraor-
déclarent tout à coup contre lui et lui font la dinaire. N'osant pas attenter aux jours du
guerre : ils recherchent les endroits vulnéra- titulaire, ils travaillent à sa déposition avec
bles de sa puissance, en sapent les fondements, d'autant plus d'ardeur que chacun aspire à le
et enCn la détruisent. C'est aussi ce qui arrive remplacer, que chacun espère que le choix
à un évêque à peine ceux qui l'entouraient de
; tombera sur lui.

lenrs hommages etde leursflatterics, lorsqu'ils 15. Veux-tu que je te présente sous une autre

le croyaient solidement établi, l'ont-ils vu face cette lutte si féconde en dangers de toute
ébranlé, même légèrement, que saisissantroc- .
sorte ? Tiausj.orlc-toi u quvlqu'yne dç ces so-
590 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

lennilés publiques qui ont lieu pour les élec- qui ont honoré leur ministère d'une manière
tions ecclésiastiques, observe autant d'indi- : éclatante ;
je veux montrer que, si une grande
vidus qui les composent, autant de langues piété, un grand âge ne font pas que celui qui
acérées pour déchirer la réputation du prêtre. possède ces avantages soit digne de l'épiscopat,
Les électeurs se partagent en factions diverses ; à plus forte raison lès motifs exprimés plus
nul accord dans le collège des prêtres ni entre haut seront-ils insuffisants. Toutefois, on met
eux ni avec leur chef personne ne s'entend ;
: encore en avant des considérations plus ab-
l'un veut celui-ci, l'autre celui-là. La cause de surdes. Par exemple,il y en a qu'on admet dans

cette confusion, c'est que personne neconsidère les rangs du Sacerdoce pour les empêcher de
la seule chose qui soit à considérer, les qualités se jeter dans un parti contraire on en élit ;

intérieures. D'autres motifs décident de l'élec- d'autres pour leur malice même, de crainte
tion. « Un d'une bonne naissance, je lui
tel est qu'irrités d'un refusils ne fassent beaucoup de
donne ma voix », dit l'un « et moi, réplique : mal. Se peut-il quelque chose de plus inique?
un autre, je donne la mienne à un tel parce Quoi des misérables, des hommes pleins de
!

qu'il est riche, et qu'il peut se passer des re- vices, les honorer quand on devrait les punir I

venus de l'Eglise » : on choisit celui-ci parce leurs actions mériteraient de leur interdire le
qu'il a passé d'un camp dans un
autre auquel seuil de l'église, et ils en recevront la récom-

on appartient soi-même celui-là parce qu'on


;
pense en montant les degrés du sanctuaire 1
a avec lui desrapporte de société ou de parenté; Et nous chercherons encore les causes de la
un autre parce qu'ila su capter notre bienveil- colère de Dieu, nous qui livrons les choses les
lance par des flatteries. Mais a-t-il les vertus plus saintes et les mystères les plus redouta-
et les talents nécessaires? c'est cedont personne bles en proie à des pervers ou des incapables I

ne s'embarrasse. Ainsi on confie l'autorité à des mains tantôt


Pour moi, je suis si loin de regarder ces titres impures qui en profanent la sainteté, tantôt
de recommandation comme suffisants pour débiles qui n'en peuvent supporter le fardeau,
s'assurer du mérite du candidat au Sacerdoce, et voilà pourquoi l'Eglise est plus agitée que
qu'en lui supposant même de la piété, ce qui l'Euripe.
est pourtant un grand point, je ne me hasar- Autrefois je me suis moqué des princes sécu-
derais pas à l'admettre aussitôt, s'il ne présente liers, parce que, dans la distribution des hon-
encore les témoignages d'une prudence con- neurs, ils regardaient moins aux mérites des
sommée. J'ai connu des hommes longtemps personnes, qu'à la richesse, à l'âge, au crédit.
voués à aux jeûnes; ils étaient
la solitude et Maisj/n'ai plus trouvé ce désordre si étrange,
agréables à Dieu aussi longtemps qu'ils avaient depuis que je l'ai vu étaler ses scandales
le bonheur d'être seuls et à eux-mêmes, et de parmi nous.
n'avoir à se préoccuper que de leur salut per- M'étonneraj-je encore que des hommes en-
sonnel : ils faisaient tous les jours de grands tièrement livrés à des intérêts terrestres, sans
progrès dans la sainteté mais transportés sur
; autre mobile que leur passion de gloire ou
le théâtre du monde de redresser les
et forcés d'argent, commettent des fautes de ce genre ;
égarements des peuples, les uns dès le début alors que ceux qui font, du moins à l'extérieur,
ont fait voir qu'ils étaient au-dessous d'une si profession de renoncer à toutes les vanités de
grande tâche, et ont dû y renoncer les autres, ; la terre, ne laissent pas d'agir suivant les mê-
obligés de rester, se sont écartés de la sainte mes principes ; traitent les intérêts du ciel
austérité de leur première vie, et se sont per- comme s'il d'un quartier de terre ou
s'agissait

dus, sans aucun profit pour les autres. de quelqu' autre chose de ce genre ; prennent à
Il peut même arriver qu'un homme aura l'aveugle des hommes que rien ne distingue
blanchi dans les fonctions subalternes du mi- de la foule, pour leur confier le gouvernement
nistère, sans que je le juge digne d'être promu des âmes; des âmes pour qui le Fils unique de
à un grade plus élevé, uniquement par respect Dieu a bien voulu se dépouiller de sa gloire,
pour sa vieillesse. Pourquoi l'élèverait-on si se faire homme, prendre la forme d'esclave
l'âge ne l'a pas rendu plus digne ? Je ne dis (Philipp., II, 7), exposer sa face aux crachats,
pointcelapourdéconsidérerlescheveuxblancs, aux soufflets (Matth xxvi, 67) et mourir enfin,
.
, ,

ni pour exclure ceux que l'on irait prendre dans sa chair, de la mort la plus ignominieuse?
dans la solitude il nous en est venu plus d'un
: On ne s'arrête pas là, on court à des abu»
TllAlTÉ DU SACERDOCE. — LIVRE TROISlEJlE. h91

pins criants. Non-spiilonient on ailmot des in- condité inépuisable pour trouver des motifs.
dignes, mais encore on expulse les bons. Ici, je demanderai volontiers ce quedoil faire

Comme s'il fallait, à toute force, ébranler des un évèque contre qui souffle tant de vents
deux côtés la sécurité de l'Eglise ; comme si ce contraires. Commbnt tenir ferme contre tant
n'était pas assez du premier moyen pour al- de vagues? comment repousser tant d'attaques?
lumer la colère de Dieu, et qu'il fillût y join- S'il veut déterminer son suffrage par les lu-

dre le second, qui n'est pas moins funeste. A mièresdesa conscience et de la raison,voiIàune
mes yeux, c'est un niallieurég;)l etd'écarler les nuée d'ennemis qui se déclarent tant contre ,

sujets utiles, et d'admettre les inutiles. Voilà lui que contre ceux qu'il se propose d'élire;
ce qui se passe, et il s'ensuit que le troupeau contradiction sans fin ; nouvelles cabales tous
de Jésus-Christ ne trouve de consolation nulle lesjours; sarcasmesamerstombantcomme une
part, qu'il ne peut même pas respirer. Cola ne grêle sur les candidats; et la bataille dure jus-
mérite-t-il pas toutes les foudres du ciel, tous qu'à ce qu'on ait forcé ceux-ci à la retraite, pour
les feux d'un enfer plus rigoureux encore que appeler les sujets que l'on favorise.
celui dont nous sommes menacés? Et il souffre, On dirait de l'évêque comme d'un pilote qui
il supporte ces grands maux celui qui ne veut aurait reçu des pirates à bord de son navire,
pas la mon du pécheur, mais qu'il se conver- lesquels, durant toute la traversée, épieraient
tisse et qu'il vive. (Ezech., xviir., 23 et 33.) l'occasion favorable pour le tuer, lui, les mate-
Qui n'admirerait tant de bonté? qui ne serait lots et les passagers. S'il aime mieux plaire à

stupéfait à la vue de tant de miséricorde? ces hommes que de sauver son âme, et qu'il
Les enfants du Christ ruinent l'empire du admetteceux qu'il faudrait repousser, c'est Dieu
Christ plus fimestenicnt que ses ennemis dé- lui-même, au lieu de ces hommes, qu'il aura
clarés, et Lui, toujours bon, toujours miséri- pour ennemi. Quelle situation plus embarras-
cordieux, les appelle encore à la pénitence ! sante? Sa position, vis-à-vis des méchants, de-
Gloire à toi, Seigneur, gloire à toi ! Quel abîme vient encore plus critique qu'au para vaut, parce
de bonté en toi, quel trésor de patience I Des qu'ils agissent d'ensemble, et que ce concert
hommps qui, à l'ombre de ton nom, d'obscurs augmente leurs Lorsque des vents vio-
forces.
qu'ils étaient sont devenus illustres, abusent lents viennent à souffler dans des directions
des honneurs contre celui-là même à qui ils contraires et à se combattre, la mer, tranquille
les doivent , osent ce qu'il n'est pas permis jusque-là, devient tout à coup furieuse, sou-
d'oser, insultent aux choses saintes, repoussant lève ses flots et engloutit les navigateurs; ainsi
ou chassant du sanctuaire les hommes Ver- lorsque l'Eglise a admis dans son sein des
tueux, afin de laisser aux méchants la plus en- hommes pervers, son calme se change en une
tière liberté de faire ce qu'ils veulent. tempête qui la couvre de naufrages.
Si tu veux connaître les causes de tant de IG. Considère ce qu'il faut être pour résister
maux, tu verras qu'elles sont lesmêmes que les à d'aussi grands orages, et pour écarter habi-
premières. Leur racine, leur mère, pour ainsi lement les obstacles qui s'opposent au salut de
parler, est la même, c'est l'envie : mais elles tout un peuple. II faut tout ensemble être grave
présentent une assez grande variété de formes. et sans faste; se faire craindre et être bon ; sa-
L'un est trop jeune, l'autre ne sait pas flatter; voir commander et être affable; incorruptible
vu d'un
celui-ci n'est pas bien tel ; tel person- et obligeant; humble sans bassesse; énergi-
nage verrait avec peine élire celui-là, et re- que et doux c'est avec toutes ces qualités
:

pousser le candidat qu'il a présenté ; un autre réunies qu'il pourra soutenir la lutte; c'est à
est bon un autre est terrible pour
et patient, ces conditions qu'il acquerra assez d'autorité
les pécheurs; pour un autre ce sera quel- pour faire passer, malgré une opposition gé-
qu'autre prétexte aussi bien choisi. Car des nérale, un digne candidat, et comme aussi
prétextes, les gens dont je parle n'en manquent pour en écarter un indigne, en dépit de la fa-
pas, ils en trouvent tant qu'ils veulent. Ils iront veur publique, qu'il dédaignera pour n'avoir
jusqu'à faire un crime d'être riche, s'ils n'ont égard qu'à une seule chose l'édification de :

rien autre chose à objecter. Pas d'élévations l'Eglise également inaccessible à la haine Qt à
;

trop subites, disent-ils encore, cette dignité la faveur.


demande qu'on n'y arrive que lentement et Eh bien ! ai-jeeutort de refuser un honneur
pas à ()as. Encore un coup, ils sont d'une fé- si périlleux ? Copeuùaal je u'ai pas tout dit, il
502 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHR\SOSTOME.

s'en fautbeaucoup. Ne te lasse pasd'écouter un elle se plaint sans cesse, elle est ingrate. On a be-
ami, un frère qui tient à se justifler des torts soin de beaucoup de prudence, de beaucoup de
dont tu l'accuses. Outre l'avantage de me dis- zèle, pour lui fermer la bouche, en lui ôtanttout
culper dans ton esprit, j'atirai encore celui de prétexte de plainte. Cependant, qu'un homme
t'ètre de quelque utilité pour ton administra- se montre supérieur à l'amour de l'argent, et
tion. Quand on est sur le point d'entrer dans la foule, aussitôt, le proclame capable de rem-

cette carrière, il est nécessaire de sonder avant plir cette charge pour moi, je reconnais que
;

tout le terrain ; c'est une précaution qu'il faut le désintéressement est une qualité indispen-
prendre avant de s'y engager pour tout de bon. sable, sans laquelle on serait un dévastateur et
Pourquoi cela? Parce qu'ainsi on gagnera du non pas un administrateur, un loup plutôt
moins de n'être pas pris au dépourvu viennent ;
qu'un berger; mais je ne pense pas qu'elle
après cela les difficultés, elles trouveront un suffise toute seule : avec elle y a une autre
il

homme prêt à les bien combattre parce qu'il vertu que je veux trouver dans un candidat.
les connaît. Cette vertu est, pour les hommes, la source
Te parierai-je de la direction des veuves, de des plus grands biens elle conduit l'âme
;

la sollicitude dont il faut entourer les vierges, comme dans un port tranquille et à l'abri des
des difficultés que présente la juridiction ecclé- orages : c'est la patience. Or, la classe des
siastique? Les soins que réclame chacune de veuves, forte de sa pauvreté, de son âge, de
ces branches de l'administration ecclésiastique son sexe, use volontiers d'une liberté de langue
sont grands,et les dangers que l'évêque y ren- assez peu limitée, pour ne rien dire de plus.
contre, plus grands encore. Elles crient à contre-temps, elles accusent à
Commençons par ce qui paraît le plus facile, tort et à travers, elles se plaignent quand elles
le soin des veuves. semble d'abord que ce soit
11 devraient exprimer leur reconnaissance, elles
une chose fort simple, et que celui qui s'en oc- blâment quand il conviendrait d'approuver. Il

cupe a tout fait quand il a dépensé une certaine faut que l'évêque ait le courage de tout sup-
somme d'argent en distributions de secours. porter : leurs clameurs importunes, ni leurs
(I Tim., V, 16.) 11 n'en est rien cependant une : plaintes indiscrètes, rien ne doit exciter sa co-
grande circonspection est encore ici nécessaire, lère. Leurs misères sont plus dignes de com-
surtoutquand il s'agitde les inscrire au rôle de passion que de reproche : insulter à leurs in-
l'Eglise; les inscrire au hasard,et comme cela se fortunes,ajouterauxamertumes delà pauvreté,
trouve, produitlesmauxles plus graves. Onavu celles de l'affront, serait de la dernière barbarie.
des veuves ruiner desmaisons, troublerdesmé- C'est pourquoi le Sage, considérant d'un côté
nages, se déshonorer par le vol, par la fréquen- l'avarice et l'orgueil naturels à l'homme, sa-
tation des cabarets et par d'autres honteux dé- chant d'un autre côté combien la pauvreté est
sordres. Nourrir de telles femmes avec les capable d'abattre l'âme la plus noble, et de
revenus de l'Eglise, c'est attirer sur soi la conseiller une importunité effrontée, ne veut
vengeance de Dieu et le blâme sévère des pas que celui qui est en butte à ces ennuyeuses
hommes, c'est refroidir la charité des bienfai- sollicitations, s'en mette en colère. En s'irri-
teurs. Qui pourrait souffrir que les charités tant contre les pauvres à cause de l'assiduité de
qu'on lui demande et qu'il fait au nom de leurs demandes, il s'exposerait à devenir leur
Jésus-Christ, passent aux mains de ceux qui ennemi, au lieu d'être leur consolateur comme
déshonorent le nom de Jésus-Christ ? Voilà des il le doit. Le Sage lui recommande donc de se

raisons qui rendent un


sévère examen néces- montrer affable et d'un abord facile. Incline
saire; encore pour empêcher que d'au-
il l'est sans humeur ton oreille vers le pauvre, ré-
tres veuves, qui peuvent suffire à leurs be- ponds-lui avec douceur des paroles de paix.
soins, ne se joignent à celles dont je viens de (Eccli., IV, 8.)
parler pour ravager la table des pauvres. Le même Sage, sans dire un mot de répri-
Ces précautions prises, un autre souci se mande à l'importun (qui aurait ce courage vis-
présente, souci grave : il faut prendre des me- à-vis d'un suppliant prosterné ?) continue de
sures pour que les choses nécessaires à leur en- s'adresser à celui qui est en état de secourir
tretienne manquent point,mais coulent comme l'indigence, et il l'exhorte à relever le pauvre
d'une source qui ne taritjamais. Le malheur de par un doux regard, par une bonne parole,
la pauvreté in volonlai re, c'est d'être insatiable : avant dele faire par l'aumône.
THAITÉ Dr SA(:LRD0.:E. - LIVRE 'rnoisiÉME. 503

Or, si quelqu'un, sans voler le bien des tu qu'exigent ces détails, et quelle activité,
veuves, s'em|>ortt'jusiiii'à1os mnitniler do pa- quelle prudence sont nécessaires pour s'en bien
roles ouaulreiucnl, non-seulement il n'allège acquitter? La dépense n'est pas moindre que
point le fardeau de leur pauvreté, mais il l'ag- celle dont nous venons de parler, souvent
grave. L'effronterie où les porte le besoin qui même elle est plus considérable. Quant au dis-
les presse, ne
empèelie pas de ressentir l'in-
les pensateur, il faut qu'il ait le talent de se pro-.
jure. L^ crainte de la faim les force à men- curer des ressources; mais la discrétion et la
dier, la mendicité produit l'effronterie, et l'ef- prudence lui sont nécessaires pour engager les
fronterie à son tour attire les humiliations, personnes en état de donner, à donner géné-
cercle fatal qui tient l'àmo enfermée dans les reusement et volontiers il doit pourvoir au
;

ténèbres dans le désespoir.


et soulagement des malades sans blesser l'esprit
Il faut donc qu'un administrateur ait assez des bienfMiteurs. Le soin des malades exige
de patience pour ne pas accroître leur douleur toute l'activité, toute la diligence possible ils ;

par ses violences, pour calmer en grande par- sont pour l'ordinaire fâcheux et sans énergie,
tie leur affliction par des piroles de consola- et, à moins de précautions et de sollicitudes
tion.Le pauvre que peu touché
l'on insulte est infinies, la plus légère négligence peut leur
de l'aumône qu'on lui donne, si abondante être extrêmement préjudiciable.
qu'elle soit ; le secours en argent ne compense d7. La direction des vierges est un emploi
pas la blessure faite à l'amour- propre. Au con- d'autant plus délicat, qu'elles forment la partie
traire celui quientend une bonne parole, qui la plus précieuse et vraiment royale du trou-
reçoit une consolation en même temps qu'une peau de Jésus-Christ. Aujourd'hui une infinité
aumône, éprouve une joie, une satisfaction de sujets remplis d'une infinité de vices ont
bien plus grande. La manière de donner a dou- envahi scandaleusement le chœur des chastes
blé le don. Ce que je dis là n'est pas de moi, épouses du Christ. C'est là pour l'Eglise un
maisde celui qui nous exhortaittout à l'heure: sujet d'abondantes larmes. Comme il y a une
Mon fils, dit-il, ne mêle pohit les reproches an grande différence entre la faute d'une jeune
bien que tu fais, n^accompagne pnint les dons personne de condition libre, et celle que com-
de paroles affligeantes : La rosée ne rafraîchit- mettrait son esclave ; ainsi ne saurions-nous
elle point la trop grande chaleur ? une douce comparer les fautes des vierges avec celles des
parole vaut mieux que le don. Oui, nue seule veuves. Celles-ci peuvent, sans beaucoup de
parole est meilleure que r offrande; et toutes conséquences, se livrer à la dissipation tantôt ;

les deux se trouvent dans l'homme charitable. se déchirer entre elles par des traits de médi-
(Eccli., xvrii, 1S, 17.) sance, tantôt se prodiguer les flatteries ; affecter
Mais si prend la charge des veuves
celui qui des manières hardies, se montrer partout,
doit avoir de la douceur et de la patience, il jusque dans la place publique. La vierge a de
faut de plus qu'il entende l'économie. Si cette plus grands combats à soutenir c'est à la plus ;

qualité lui manque, le bien des pauvres n'en haute perfection qu'elle aspire; c'est la vie des
souffrira pas moins. J'ai ouï parler d'un homme, anges qu'elle a pour mission de montrer à la
qui, chargé de celte partie de l'administration, terre elle se propose de faire, quoique revêtue
;

ne dispensa aux pauvres qu'une petite portion d'une chair mortelle, ce qui semble n'appar-
de l'argent assez considérable destiné aux tenir qu'aux puissances immatérielles. Dès lors
aumônes. Il est vrai qu'il ne dépensa point le les fréquentes sorties, les visites oiseuses, les
reste pour son propre usage, mais il le cacha conversations sans but ni raison lui sont inter-
soigneusement sous terre, où il le conservait. dites : elle doit ignorer même toute parole qui
Une guerre survint, l'argent fut découvert et sentirait l'injure ou la flatterie.

pris par l'ennemi. Il y a donc ici un juste mi- Les vierges ont besoin d'une garde sûre,
lieu à garder, c'est que l'Eglise ne soit ni riche d'une protection assidue l'Ennemi de la sain-
;

ni pauvre. A mesure que tu reçois, distribue teté s'attaque à elles de préférence il les épie ;

aux indigents. Si l'Eglise a des trésors, qu'ils sans cesse, illeur tend des pièges, toujours
résident dans les cœurs des fidèles. prêt à les dévorer, si quelqu'une d'elles chan-
Au chapitre des veuves, ajoutons rho.=pita- celle et tombe les hommes au«si cherchent à
;

lilé qu'il faut offrir aux étrangers, et les secours les séduire; avec ces ennemis conspire en-
querondoilauxniHluilis; quelle dépense ci cis- core la fougue des sens : ainsi deux {guerres

S. i. Cii. — lOMB I. 3&


594 TRADUCTION F1UNÇA1^E DE SAINT ^EAN CHRYSOSTOME.

à soutenir à la fois, l'une qui assaille au de- dale causé aux âmes faibles, dont ils seraient
hors, l'aulre qui jette le trouble au dedans. obligés de rendre un compte non moins sévère
Quel sujet d'alarmes pour un directeur! quel que si des relations criminelles existaient entre
danger 1 et surtout quelle douleur si, ce qu'à eux. La cohabitation étant illicite, comment s'y
Dieu ne plaise quelque désordre imprévu
1 prendre pour connaître les mouvements qui s'é-
éclate parmi elles? Si une fllle qui ne sort ja- lèvent dans le cœur de la jeune personne, pour
mais de la maison paternelle est une cause d'in- réprimer ceux qui sont déréglés, pour culti-
somnie pour son père si le souci qu'elle lui
;
ver et développer ceux qui sont dans l'ordre
donne écarte le sommeil de ses paupières, tant et qui prennent une bonne direction ?L'évêque

il craint qu'elle ne soit stérile, qu'elle ne dé- ne peut pas même être informé avec exacti-
passe l'âge de se marier, qu'elle ne déplaise à tude des sorties des vierges, ni des motifs qui
son mari s'il en est ainsi du père selon la
;
les appellent hors de leurs maisons. Pauvres,

chair, que faut-il penser du père spirituel qui comme elles sont pour la plupart, maîtres^ses
n'îi, il est \rai, aucune de ces craintes, mais d'elles-mêmes, obligées de pourvoir person-
qui en éprouve d'autres bien plus graves? nellement aux premiers besoins de la vie, que
11 ne s'agit point ici d'offenser un mari, mais d'occasions de se répandre au dehors si elles
Jésus-Christ lui-même. S'il y a une stérilité à voulaient faillir, que de prétextes pour échap-
craindre, ce n'est pas celle qui s'arrête à la per à la surveillance L'évoque leur prescrira
!

honte, c'est celle qui va jusqu'à la perte de de demeurer dans leurs maisons, et pour cou-
l'âme ; car il Tout arbre qui ne produit
est dit : per court à toutes ces allées et venues, il leur
pm de bons fruits sera coupé et jeté au feu. fournira les choses nécessaires à leur subsis-
(Matlh., in, 10.) La vierge répudiée par le cé- une personne de
tance, et les fera servir par
leste Epoux, n'en est pas quitte pour recevoir leur sexe. ne leur permettra pas de se trou-
Il

l'acte de répudiation et s'en aller ; elle expiera ver aux funérailles ni aux veilles de nuit.
sa faute par un supplice éternel. Le père selon L'astucieux serpent sait trop bien profiter même
la chair a bien des secours qui lui rendent fa- du prétexte des bonnes œuvres pour distiller

cile lagarde de sa fille la mère, la nourrice,


: sonvenin.llfautquelavierge chrétienne garde
le nombre de ses domestiques, la sûreté de la une clôture rigoureuse ; quelquefois seule-
maison le secondent beaucoup pour la surveil- ment durauttouteTannée, elle pourrafranchir
lance et la protection de la jeune vierge. Elle le seuil de sa demeure, lorsque des motifs in-
n'a pas la liberté de se montrer fréquemment disf^'-nsables, nécessaires, l'y forceront.
au dehors ; et quand elle sort, rien ne l'oblige On me dira Qu'est-il besoin qu'un évêque
:

à se faire voir, l'obscurité du soir pouvant aussi descende à tous ces détails? Qu'on sache qu'il
bien que les murailles de sa chambre, cacher n'est pas une partie de l'administration qui lui
celle quine désire pas être vue. soitétrangère; que toutes les plaintes qui peu-
En outre, elle est exempte de tout ce qui vent s'élever à ce sujet retombent sur lui, en
pourrait l'obliger de paraître aux regards des sorte qu'il vaut mieux pour lui de gérer par
hommes; ni le souci de se procurer les choses lui-même, que de s'en remettre sur autrui.
dontelle a besoin, ni les atteintes portées à ses Par là, il évite des reproches auxquels l'expo-
intérêts, ni aucun motif semblable ne la met seraient des fautes commises sous son nom. De
dans deserencontreravecdes étran-
la nécessité plus, en faisant tout par lui-même, il expédie
gers son père la décharge de tous ces soins et
; facilement tout son travail. Car il est d'expé-
ne lui laisse que celui de conserver la décence rience que celui qui s'asservit à prendre l'avis
virginale dans sa conduite et dans son langage. de tout le monde, retire moins d'avantage du
Au contraire, le Père spirituel n'est entouré secours qu'on lui prête, que la diversité des
que de circonstances qui rendent sa surveil- opinions ou le peu de concert des coopérateurs
lance difficile, pour ne pas dire impossible. Il ne lui cause d'ennuis et d'embarras.
ne lui est pas permis d'avoir dans sa maison la Au reste il n'est pas possible de marquer en
jeune personne sur laquelle il doit veiller. détail toutes les sollicitudes que demande le
Une telle cohabitation ne serait ni décente ni gouvernement des vierges. Quand il ne s'agi-
«xempte dedangers:ils pourraienlse préserver que du discernement de celles qui doivent
rait
eux-mêmes de tout mal, et conserver intacte appartenir à l'Eglise, ce travail suffit pour
leur chasteté; mais il resterait toujours le scan- rendre c min slère très laborieux.
TRAITÉ DU SACERDOCE. - LIVRE TROISIÈME. fOS

48. La juridiction est pour l'évêque une quit. Entré quelque part, qu'il oublie de porter
source de contrariétés sans nombre, elle lui les yeux à la ronde, et de saluer tout le monde
impose un travail inQni, elle est hérissée de l'un après l'autre, c'est un homme qui ne sait
plus de difficultés que n'en rencontrent les pas vivre. Qui donc, à moins d'une force ex-
juges séculiers. Trouver le droit est chose dif- traordinaire, pourra suffire contre tant d'ac-
Ocile, ne pas le violer quand on l'a trouvé, cusateurs, soit pour prévenir toutes leurs at-
chose plusdifficile encore. C'est une œuvre la- taques, soit pour les repousser victorieusement?
borieuse, et j'ajouterai, périlleuse. On a vu des II faudrait qu'un évôcjne n'eût même pas d'ac-
chrétiens faibles renoncer à la foi, à la suite de cusateurs ; (lue si cela n'est pas possible, il faut
quelqucafTiirenialheureusedanslaquelIe toute qu'il puisse réduire à néant les accusations; et
protection leur avait manqué car ceux qui ont ; cela n'est pas facile encore! car combien de
àse plaindre d'une injustice, poursuiventd'une gens se plaisent à dire du mal à tort et à tra-
haine égale et l'ofTenseuret celui qui refuse de vers et sans moindre fondement il doit
le I

les défendre. Us ne veulent avoir égard ni à la alors braver courageusement des bruits men-
complication des affaires, ni à la difficulté dos songers, et autant que possible ne pas s'en
circonstances, ni à la limite assez restreinte de émouvoir. On supporte plus facilement un re-
la puissance sacerdotale, ni à rien au monde. proche que l'on a mérité, parce que la con-
Juges inexorables dans leur propre cause, ils ne science, le plus formidable des accusateurs,
comprennent qu'une espèce de justification : avec encore plus de sévérité ;
l'avait déjà fait, et
qu'on les délivre des maux qui les accablent. mais quand l'accusation est sans fondement,
Si tu ne peux leur procurer cette délivrance, on se laisse emporter par un premier mouve-
tu auras beau leur donner toutes les raisons ment de colère auquel succèdent bientôt le dé-
imaginables, tu n'échapperas pas à la condam- couragement et l'abattement, à moins qu'un
nation. Puisque j'ai parlé de protection, il y a longexercicedepatiencen'aitaccoutuméràme
une autre source de plaintes que je vais te dé- à s'élever au-dessus de la vaine opinion des
couvrir. hommes. Quant à recevoir tous les traits que
Si chaque jour l'évêque ne va point courir peut lancer la calomnie sans rien perdre de
de maison en maison avec plus d'assiduité que son calme et de son sang-froid, c'est une chose
ceux qui n'ont pas autre chose à faire, il y a bien difficile, on pourrait même dire impos-
une infinité de gens qui s'en offensent. Non- sible.
seulement les malades, mais aussi ceux qui se Parlerai-je de tout ce qu'il en coûte à un
portent bien, veulent avoir la visite de leur évêque, quand ilse trouve rcduità l'affligeante
évêque ; encore si c'était la religion qui leur nécessitéderetrancherquelqu'undelacommu-
inspirât ce désir ! mais non, c'est simplement nion de l'Eglise ? Encore si dans ce cas l'on n'a-
un honneur, une distinction dont ils sont ja- vait à déplorer que la douleur de l'évêque;
loux. Si par malheur il se trouve un riche, un mais quel affreux malheur et combien l'on I

homme rende de plus fré-


[luissant à qui il doit craindre que le coupable, exaspéré par une
quentes visites qu'aux autres dans l'intérêt punition trop sévère, ne soit poussé à l'extré-
même et pour le bien commun de l'Eglise, mité dont parle l'apôtre saint Paul, et qu'il ne
aussitôt on le flétrit des noms de flatteur et de soit accablé par Vexcès de sa tristesse. (II Cor.,

courtisan. II, 7.)


Mais pourquoi parler de protections et de La plus grande prudence est donc ici néces-
visites? 11 ne faut qu'un simple salut pour at- sairede peur que le mal n'empire par l'effetdu
tirer à l'cvêiiuc une masse de plaintes, au point remède destiné à le guérir. Toutes les fautes
d'en être souvent accablé et de succomber au commisesaprèsretombentsurle médecin igno-
chagrin. On lui demande compte même d'un rant qui n'a pas bien connu la blessure, et qui
regard. Ses actions les plus simples passent par a enfoncé le fer trop avant. De quelle frayeur
la balance de la critique ; on note le tonde sa un évêque ne doit-il pas être saisi, lorsqu'il
voix, les mouvements de ses yeux, jusqu'à pense qu'il aura à rendre compte, non-seule-
son sourire comme
: il a souri gracieusement ment de ses propres péchés, mais de tous ceux
à uu tel, comme il l'a salué à haute voix et de son peuple? Que si nos seules offenses suf-
avec un visage ouvert! Moi, à peine m'a-til fisent pour nous glacer d'épouvante, et nous
adie88éIaparoIe,elseuIemcntparinanicred'uc- ôter l'espoir d'échapper au châtiment ét'.Tnel
596 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

a quoi doit s'attendre celui qui aura à se dé- frayeur ? Pour moi, je le suis au-delà de toute
fendre sur tant de chefs d'accusation? Ecoute expression.

saint Paul, ou plutôt Jésus-Clirist, parlant Jeconclusqu'iln'y a personne, quelque dur,


par la bouche de son apôlre Obéissez à vos
:
quelque difficile à persuader qu'il puisse être,
supérieurs, et soyez-leur soumis, parce qu'ils qui ne demeure à présent convaincu qu'en re-
veillent sur vos âmes, comme devant en rendre fusant l'épiscopat, j'ai agi, non par orgueil ni
co»!/3/e.(Hébr.,xiu,17.)N'ya-t-ilpas dans cette par présomption, mais par la crainte de basar-
inenace de quoi se pénétrer de la plus vive der mon salut dans un aussi grave ministère.
TRAITÉ UU SACERDOCE. — LIVRE QUATRIÈME. S97

UVRE QUATRIEÎIIE.

«NALfSE.

Ct livre dftnte psr ane objection de Basile ce que son ami vient de dire s'applique, prétend-il, à ceux qui s'ingèrent d'eux-
:

lûêmes dans les fonctions sacrées; mais non à celui qu'on y entraîne malpré lui. —
Chrysostome prouve que c'est li une erreur.
— Exemples de Saùl, d'Héli, d'Aaroa et de Moïse. —
Judas avait été appelé. —
Ceux qui imposent les mains à des indignes
encourent les mêmes peines qu'eux. —
Plusieurs comparaisons temlant à prouver qu'il faut n'Iiopo-er les mains qu'avec une
extrême prudence, suivant le précepte de saint Paul à Timotliée. —
Ce début peut se résumer en un seul mot : de la vocation
ecclésiastique. —
Tout le reste du livre roule sur le talent de la parole que doit posséder le prêtre. Le bon exemple ne suffit
pas SjUS le talent de la parole ni même le don des miracles. —
La parole est la seule arme avec laquelle on puisse combattre
les ennemis de l'Eglise. —
Comparaison de l'Eplise avec une ville forte. —
Principaux ennemis aux entreprises desquels l'Eglise
est en butte : les Juifs, les Païens, les Manichéens, les Valentiniens, les Marcionites, les Sabelliens, les Ariens; ces deux dernières
sectes se rapprochent de l'héiesie de Paul de Samosate. — Les ennemis domestiiiues, les agitateurs de questions oiseuses et
insolubles. — Objections de Bisile : méprisé l'éloquence 7
saint Paul n'a-t-il pas —
Non, il n'a méprisé que l'art fiivole des
rliéteurs de son temps. —
Si quelque ministre de Jésus-Christ pouvait se passer du talent de la parole, c'éiail bien saint Paul,

moDi comme il l'était du don des miracles, et de son amour incomparable pour Jésus-Christ, amour qui lui fait souhaiter d'être
anathème pour le salut des Juifs. —
Eloquence de saint Paul elle est simple et forte et uuiquemeul fondée sur la science et
:

l'enthousiasme. —
Eloge sublime de ses épitres. —
Textes de saint Paul, établissant la nécessité pour un évoque de posséder
la doctrioe pour l'instruction des autres : Il faut qu'an évèque soit tubile à défendre les dogmes.

Après un moment de réflexion, Basile ré- quille à cet égard ; tout le monde sait très-bien
pondit au discours qu'il venait d'entendre- que la brigue n'a été pour rien d ms ton élec-
Si tu avais désiré le sacerdoce et fait quelque tion, et que c'est la justice des électeurs seule
démarche pour robtenir, tes craintes seraient qui a tout fait : ainsi ce qui enlève aux autres
fondées. En recherchant une place on déclare toute excuse est précisément ce qui t'aurait fait

que l'on se sent capable de la remplir, et l'on absoudre.


n'est plusen droit de rejeter sur l'ignorance les Cqrtsostome. J'accueillis ces paroles en se-
fautes l'on commet dans son administra-
que couant légèrement la tête et en souriant; j'ad-
tion. On s'est privé d'avance de ce moyen de mirais la naïve candeur de mon ami. Je —
défense par l'empressement avide avec lequel voudrais bien, lui dis-je, que les choses fussent
on s'est en quelque sorte jeté sur un emploi, comme lu le dis, ô le meilleur des amis non !

pours'ensaisir. Ouest venu volontairement et pas pour avoir sujet d'accepter ce que j'ai re-
deson plein gré et l'on nesauraitplusêtre admis fusé car, en supposant même que je n'eusse
;

à dire : malgré moi que j'ai commis celte


c'est pas à craindre le châtiment qui menace le pas-
faute, malgré moi que j'ai perdu cette âme. Le teur, négligent et incapable, de la bergerie du
juge a qui l'on aura à en rendre compte ré- Christ, toujours porterai-je au fond de ma
pondra Quoi tu connaissais ton incapacité,
: I conscience le plus insupportable des châti-
lu savais que ton intelligence n'était pas à la ments, le remords d'être trouvé indigne d'aussi
hauteur de cette fonction, ni suffisante pour augustes fonctions, au jugementmémedecelui
l'administrer, sans commettre de faute, et tu qui me les aurait confiées. Pourquoi donc vou-
as été assez hardi pour accourir en recevoir la drais-je que ton opinion ne fût point fau.^se ?
charge, une charge si peu en ra|)port avec tes Par intérêt pour tant de malheureux, (c'est la
forces? Qui t'a forcé ? Quelle violence a-t-on qualification qui leur convient quand tu répé-
exercée pour te conlrainJre à subir ce joug, terais mille fois qu'on leur a fait violence et
malgré ta résistance et la fuile? qu'ils ont péché sans le savoii), pour tant de
Pour toi, tu n'entendras jamais de pareils re- maliieureux, dis-je, qui occupent des places
proches ; ta couscieuce est parfaitement tran- dont ils ne sauraient remplir les devoirs, je
m TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHR\S(iSTOME.

voudrais que ton opinion fût vraie, afin que moyens à l'œuvre de Dieu, et conservant notre
ces hommes évilassaiit le feu éternel, les lénè- langue et notre cœur purs de tout blasphème 1
l.res extérieures, le ver qui ne mourra point, Après cet exemple emprunté à la royauté, je
et ces cruelles séparations qui partageront à ja- passe à un autre plus approprié à notre sujet.
mais les élus et les réprouvés. Le grand-prêtre Héli n'avait pas non plus am-
Mais que veux-tu que je te dise? C'est une bitionné la souveraine saciiflcature. A quoi
erreur, incontestablement. Pour te le prouver, cela lui servit-il, lorsqu'il eut péché? Que dis-

je puis d'abord employer un argument tiré je, ambitionné ' il n'eût pas même été libre de

de la puissance royale, bien moindreaux yeux la refuser; la loi le contraignait à l'accepter,


de Dieu que la dignité sacerdotale. Le fils de parce qu'il était de la tribu de Lévi, et (ju'il
Cis, Saûl, ne devait pas la couronne à ses in- avait seul le droit, par sa naissance, d'occuper
trigues. Il éluit allé à la retlierclie de ses cette dignité héréditaire dans sa race. Ce qui
ânesses, quand il rencontra le Pioiihèle, qu'il ne l'empêcha pas de payer les désordres de ses
inlerrogi a pour savoir où elles étaient; et Sa- fils par une expiation terrible.

muel lui parla de la royauté. Quoiqu'il ajoutât Avant lui, Aaron, le premier grand-prêtre
foiaux paroles du prophète, Saùl ne témoigna des Juifs, si souvent l'objet des entietiens fa-

aucun empressement; au contraire, il s'esqui- miliers que Dieu daignait avoir avec Moïse, se
vait, il refusait: Qui suis je, disait-il, et quelle rendit coupable pour n'avoir pas résisté avec
e^t la maisuii de mon père ? [l Rois, ix, 21.) assez de force à un peuple furieux. Le pou-
S lui, devenu pasun bon usage de la
roi, ne fit vait-il tout moins fait de
seul ? Ce n'en était pas
puissance qui lui avait été imposée la résis- ; lui son frère n'eût réussi par ses prières à
si

tance qu'il avait faite, les paroles que je viens fléchir la colère de Dieu. Puisque j'ai nommé
de rapporter le défendirent-elles de la colère Moïse, je ne saurais mieux faire que de tirer
du Seigneur qui l'avait fait roi ? Il pouvait ré- de sa vie un exemple en faveur de la vérité que
pondre aux reproches que lui fil le prophète : je soutiens. Bien loin d'avoir montré de l'em-
Al- je, Ciiuru après la royauté? Me suis-je placé pi essemenl à se mettre à la tête du peuple hé-
moi-même sur le tiôiie? Je voulais mener la breu. Moïse, ce saint personnage, refusa même
vie d'un simple parliculier, vie de paix et de d'obéir à Dieu qui lui ordonnait d'en prendre
loisir, et tu m'as forcé d'accepter cette dignité; la conduite, jusqu'au point d'exciter sa colère.
si tu m'avais laissé dans mon obscurité, j'eusse Plus tard niêii*e, lorsqu'il fut devenu le chef du
facilement évité cette pierre d'achoppement : peuple de Dieu, il fût mort volontiers pour être
hi.imme du peuple, ignoié dans ses rangs, à débarrassé de sa charge. Faites-moi mourir,
coup sûr je n'aurais pas été envoyé à cette ex- disait-il à Dieu, sivous devez me traiter ainsi.
pédition Dieu ne m'aurait pas commandé
; (Nomb., XI, 15.) Cependant, lorsqu'il eut péché
d'aller combattre les Amalécites, et s'il ne me à l'occasion des eaux du rocher, le refus persé-
l'avait pas commandé, je n'aurais pas commis vérant, qu'il avait jadis fait, du souverain pou-
la faute qu'on me reproche. pour obtenir sa grâce? Ne fut-
voir, lui servit-il
Mais de semblables excuses sont vaines non- ; ce pas là l'unique motif pour lequel il ne put
seulement vaines, mais dangereuses car elles : jouir de l'entrée de la terre promise ? Tout le
excitent encore davantage le feu de la colère di- monde sait que cette exclusion fut la peine du
vine. Celui qui a été élevé à une dignité supé- péché dont nous venons de parler il n'en fallut ;

rieure à son mérite, loin d'alléguer la grandeur pas davantage pour que cet homme de miracles
de sa charge pour atténuer ses fautes, doit faire fût privé d'une récompense accordée à des
servir à son avancement dans le bien, les at- hommes au-dessous de lui. Après une infinité
tentions bienveillantes de la divine Providence de fatigues et de travaux, après avoir erré si
à son égard. Prétendre que la hauteur du rang longtemps dans le désert, ce grand homme
où l'on est élevé donne le droit de faillir, ce signalé par tant de combats et de victoires,
n'e.4 rien moins que vouloir rendre la bonté mourut sans avoir pu mettre le pied dans la
de Dieu responsable de nos fautes, comme font terre pour laquelle il avait essuyé tant de dan-
d'ordinaire les impies et les lâches qui laissent gers. Et Celui qui avait échappé aux fureurs de
pour ainsi dire leur vie marcher au hasard ; la mer n'a pas eu le bonheur de se reposer au
démence sacrilège dans laquelle nous nous port.
garderons de tomber, travaillant de tous nos Ainsi lu le vois, qu'on oblîenne par brigue
rr.AlTÉ DU SACEiiDOCE. — LIVRE Ql'A iniÈME, 899

les dijjnilés du ou qu'on y par-


sancliiairo, rement de ses soins; soyez donc punis plus
\ionne par il ne reste àceux
les soins d'aiitnii ; sévèrement. En vous soumettant à ses ordon-
qui s'y conduisent mal aucune excuse de leurs nances vous guérissez vos maladies anciennes :

fautes. Eu effit, si des hommes qui avaient en fuyant lorsqu'il se présentait, vous vous
plusieurs fois refusé, résistant à Dieu même mettez dans l'impuissance de recouvrer la
qui les appelait, furent si sévèrement punis, santé doublement coupables par votre entête-
;

si rien ue put evuipter du cliùiiinent, ni un ment, d'abord en vous nuisant à vous-mêmes,


Aaron, ni un Héli, ni même cet admirable et puis en dédaignant les soins du médecin. Après
saint prophète, Muïse, le plus doux deshonimes qu'il vous aura comblés de ses bienfaits, Dieu
qui fussent sur la terre., à qui Dieu parlait avec ne vous traitera pas de la même manière que
la même un ami comment
familiarité qu'à : si vous n'aviez reçu de lui aucune faveur il ;

veu.x-tu qu'il pour notre justifica-


nous suffise, vous traitera beaucoup plus rigoureusement.
tion, à nous qui sommes si loin de sa vertu, de Si les bienfaits ne vous rendent pas meilleurs,
nous rendre le tèinuij^nage que nous n'avons ils vous rendront plus coupables, et passibles
rien fuit pour notre élévation? surtout lorsque d'un châtiment plus sévère. Ainsi le moyen de
la plupart des élections d'aujourd'hui se font justification que tu m'indiquais se trouve être
non par la grâce et la vocation de Dieu, mais de nulle valeur non-seulement il ne sauverait
;

par les intrigues des hommes. pas, mais il exposerait à une perte plus com-
Dieu avait choisi Judas, lui avait assigné sa plète ceux qui y auraient recours. Il nous faut
place dans le collège apostolique, lui avait con- donc chercher un asile plus sûr.
féré la même dignité qu'aux autres apôtres, et Basile. Où pourrais-je en trouver ? je ne sais
même lui avait accordé une marque de con- plus où j'en suis, tant ce que tu viens de dire
fiance particulière en lui remettant le manie- m'inspire de frayeur.
ment de l'argent. (Jean, xii, G.) Eh bien ! après Chrysostome. De grâce, mon ami, je t'en con-
qu'il eutabusé dece double honneur, trahissant jure, pas de découragement. Nous l'avons, cet
celui dont il devait publier la divinité, dissipant asile il consiste pour les faibles comme moi, à
;

indignement les fonds déposés dans ses mains ne point se hasarder; pour les forts comme toi,
pour de plus nobles usages, Judas a-t-il évité à mettre l'espérance de leur salut dans le soin
la punition qu'il avait trop méritée? Au con- de ne rien faire, avec la grâce de Dieu, qui soit
traire, son châtiment fut plus rigoureux que indigne de leur charge, ni de Celui qui la leur
si Dieu l'avait moins favorisé. Car il n'est nas a confiée. Assurément les plus grands supplices
permis d'abuser des dons de Dieu pour l'offen- n'ont rien de trop sévère, pour ceux qui, après
ser; on doit les faire valoir pour lui plaire. avoir obtenu, à force de brigue, les dignités du
Celui qui prétend éviter la peine qui lui est sanctuaire, s'y comportent avec tiédeur, ou
due, parce qu'on l'a placé dans un poste plus avec scandale, ou avec incapacité mais il ne ;

élevé, raisonne à peu près comme auraient pu s'ensuit pas de là qu'il reste quelque espoir de
faire les Juifs infidèles, de qui Jésus-Christ pardon à ceux qui ne les ont pas brigués non, ;

pas venu et que je ne leur


disait -.Si je ti'élais ceux-là même n'auront rien à dire pour s'ex-
eusse point parlé, ils ne se seraient point rendus cuser. Fùt-on demandé, pressé par des milliers
coupables; et si jeu' avais pas opéré parmi eux de voix et de suffrages, il faudrait les compter
des miracles que personne n'a jamais faits, ils pour rien ce qui est avanttout nécessaire, c'est
;

n'auraient point péché. (Jean, xiv, 2-2.) A cette de s'examiner soi-même, c'est de ne jamais
paroledu Sauveur, du Bienfaiteur du genrehu- c '>der aux obsessions, avant ce regard scruta-
niain,qui donc les empcchaitderépondre? Pour- teur plongé jusqu'au fond de l'âme. Personne
quoi es-tu venu? Pourquoi as-tu parlé? Pour- ne s'engage à bâtir une maison s'il n'est archi-
quoi as-tu faitdt s miracles? Etait-ce pour avoir tecte à guérir des malades, s'il n'est médecin.
;

l'occasion de nous châtier plus sévèrement? Si nombreux que fussent ceux qui voudraient

Mais ce langage eût été celui de la fureur y contraindre, on refuserait et on ne rougi-


et de l'égarement. Le Médecin céleste n'est rait pas d'avouer son ignorance ; et quand il

pas venu pour vous faire mourir, mais pour sera question de prendre la charged'un si grand
vous guérir; il ne pouvait vous abandonner à nombre d'âmes, on ne s'interrogera pas même
votre mal: il voulait vousen délivrer entière- pour savoir si l'on est capable ; mais nonob-
ment c'est vous qui vous êtes privés volontai-
;
stant l'incapacité la plus complète, ou acceptera
eoo TUAUUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

le sainl ministère par complaisance pour un crimed'avoir introduitdansle sanctuaire, pour


tel,parce que celui-ci l'exige, par la crainte un motif quelconque, un sujet à leurs yeux
d'oflensercelui-là Ne serait-ce pas courir avec
1 notoirement indigne, un chàlimentégal serait
eux à une perte certaine ? On aurait pu se sau- probablement réservé à tous, et peut-être un
ver tout seul, on se damne soi-même et les plus grand à celui qui aura conféré les ordres.
autres. De quel côlé attendre le salut? Com- Quelle responsabilité sur la tôle du téméraire
ment obtenir le pardon ? Quels seront nos in- qui accorde à l'ennemi du Christ le pouvoir
tercesseurs? peut-être ces téméraires qui ont de ravager son Eglise Que si l'électeur n'est
1

usé de violence et qui ont entraîné l'infortuné pas coiipableà ce point, s'il dit avoir été trompé
à une périlleuse extrémité? Mais eux-mêmes par l'oitinion publique, cela ne suffira pas pour
qui lus tirera d'affaire alors, car ils auront be- l'absoudre entièrement, mais il sera moins
soin eux-mêmes du secours d'aulrui, s'ils puni que l'élu. Pourquoi? Parce que les élec-
veulent éviter le feu de l'enfer. teurs peuvent avoir été trompés par l'opinion
Lorsque je parle ainsi, je n'ai pas l'inten-
2. publique en donnant leurs suffrages. Mais l'élu
tion de t'eCfrayer, je ne veux que te montrer ne sera pas admis à dire qu'il ne se connaissait
la vérité toute nue. Ecoute ce que dit l'apôtre pas plus lui-même qu'il n'était connu des
saint Paul à son disciple, à Timothée, son vé- autres.
ritable et cher fils N'impose légèrement les
: Comme il doit être plus puni que ceux qui
mains à personne, et ne participe point aux l'élisent, il doit aussi s'examiner et s'éprouver

péchés d'aulrui. (
2-2). Vois-tu, je ne
1 Tim., v, avec plus de soin que qui que ce soit. Et si les
dis pas de quel blâme, mais de quel cbàtiment personnes qui ne le connaissent pas bien, veu-
j'ai sauvé, autant qu'il était en moi, ceux qui lent le contraindre d'accepter, il doit aller les
voulaient ma promotion? Comme il ne suffira trouver, leur déclarer ses défauts, les tirer
pas à l'élu de dire : je n'avais pas sollicité, je d'erreur, et se refuser absolument à recevoir
que je ne prévoyais point
n'ai point fui, parce sur ses épaules un fardeau qu'il n'est pas ca-
que l'on pensât à moi de même ce sera pour ; pable de porter. Pourquoi, lorsqu'il est ques-
l'électeur une vaine excuse de dire qu'il ne tion d'art militaire, de commerce, d'agricul-
couuaissait pas celui à qui donnait son suf- il ture ou de toute autre profession de la vie civile,
frage. Cette prétendue justification ne fera pourquoi ne voit-on jamais le cultivateur s'a-
qu'aggraver le tort. Quoi l'on n'achète pas un 1 viser d'entreprendre un voyage sur mer, ni le
esclave sans le faire voir aux médecins, sans soldat de faire valoir une ferme, ni le pilote de
demander des garanties, sans prendre des in- conduireuneexpéditionmilitaire,quandmême
formations auprès des voisins; non content de on voudrait les y contraindre sous peine de
cela on exige encore du temps pour l'essayer; mort? C'est parce qu'ils prévoient le danger
et quand il faudra choisir le prêtre de Jésus- auquel leur incapacité les exposerait. Pour des
Chiist, sans y faire tant de façons, on prendra intérêts si minces quelle prudence nulle vio- 1

le premier venu, pourvu que ce choix soit du lence ne nous ferait céder. Mais s'agit-il du sup-
goût de tel ou tel électeur, instrument docile plice éternel qui menace les dispensateurs in-
de la faveur ou de la haine d'un tiers mais ! fidèles des dons sublimes du sacerdoce, on n'a
c'est absurde. Qui donc implorera pour nous plus que de l'insouciance en face d'un si grand
la clémence divine, lorsque ceux qui devraient péril, on s'y expose de gaîté de cœur, fort du
être nos défenseurs auront eux-mêmes besoin prétexte qu'on a subi une contrainte. Le souve-
d'être défendus ? rain juge n'admettra pas une pareille raison.
C'est le devoir de l'électeur de se livrer à un C'était notre devoir d'apporter plus de précau-
examen approfondi, c'est encore davantage tions et de soins aux intérêts de l'esprit qu'à
celui du candidat car bien que ceux qui l'au-
; ceux de la chair. Or, c'est précisément tout le
ront élu doivent porter avec lui la peine de ses contraire que nous faisons. Tu veux faire con-
péchés, ce ne sera pas pour lui un titre à l'im- struire un bâtiment, tu soupçonnes d'être un
punité. 11 doitmême s'attendre à la plus grande habile architecte un homme qui n'entend rien
part du châtiment, à moins que les électeurs à l'architecture, tu l'appelles, il vient, il se met
n'aient agi par un motif purement humain, et à l'œuvre; mais à peine a-t-il porté la main sur
contre toutes les lumières et les inspirations de les matériaux préparés pour la construction,
(eur conscience. S'ils étaient convaincus du qu'il gâte tout : il gâte les bois, il gâte les pier-
TRAITE nu SACEr.DOCE. — LIVRE QUATRIEME. 601

res; bref, il te bâtit si mal (a maison qu'elle ne Jésus Christ. Car, selon saint Paul, l'Eglise de
peut man(|iur de s'écrouler liiuiilùl : lui suf- Jésus-Christ est le corps même de Jésus-Christ.
fira-t-il pour sa défense île dire qu'il a subi une II convient donc que celui à qui ce corps a été
contrainte, qu'il ne s'est pas présenté de son confié, travaille à l'entretenir dans la parfaite
Nullement, voilà ce que répondent la
ciit f ? santé et dans la beauté irréprochable, qui lui
raison et la justice. Il devait, en dépit de toutes conviennent; que, par une active surveillance,
les sollicitations, décliner l'entreprise. Com- il le préserve des taches, des rides, en un mot

ment un bounne qui aura


! gâté du bois et des de tout défaut qui pourrait en altérer la forme
pierres ne trouvera pas une excuse valable pour etl'éclat; ne doit-il pas, en effet, autant qu'il est
s'exempter du châtiment; et celui qui perd des possible à la nature humaine, le montrer digne
âmes, qui met tant de négliy;ence à les édifier, du divin chef, du chef immortel et bienheu-j
il suffira à un tel homme pour éviter le châti- reux qui le domine? Que si ceux qui veulent se
ment, de dire qu'il a été contraint? qu'il ne rendre propres aux combats des athlètes, ont
s'y fie pas. Il se méprendrait grossièrement. besoin de médecins, de maîtres, d'un régime
Il n'est pas encore temps de prouver que per- exactement suivi, d'exercices continuels et de
sonne ne peut faire violence à celui (jui est dé- mille précautions minutieuses, parce que la
terminé à refuser. J'accorde, pour un moment, moindre négligence peut faire avorter tous les
qu'on a réellement contraint tel sujet; qu'on a autres soins qu'on aura pris ; comment ceux
usé à son égard de tant de ruses, qu'il a été qui sont choisis pour gouverner le corps de
obligé de se soumettre pi nses-tu pour cela
: Jésus-Christ, dont l'exercice n'est pas corporel,
qu'il évitera la punition? Détrompe-toi, et mais spirituel, et consiste à combattre les puis-
n'ayons pas l'air d'ignorer ce que savent même sances invisibles, lui peuvent-ils conserver sa
les enfants. Au jour où tous les comptes seront santé et sa vigueur , s'ils ne possèdent pas
rendus, celte ignorance prétendue ne servirait toutes les méthodes nécessaires pour en bien
de rien. Tu n'as fait aucune démarche pour traiter les maladies, et
ne sont pas, pour cela,
être promu au saiui ministère, parce que tu doués d'une vertu plus qu'humaine?
connaissais ta faiblesse : très-bien ! Il fallait 3. Ne sais-tu pas que ce corps mystique est
donc persévérer dans ces sages dispositions et sujet à plus de maladies et d'accidents que
ne pas accepter, en dépit de toutes les sollicita- notre corps matériel, qu'il s'altère plus vite, et
tions. Quoi! lu n'avais ni talent ni vertu, tant se guérit plus difficilement? Or, ceux qui trai-
que l'on ne pensait pas à toi, et dès qu'il s'est tent nos corps ont inventé une grande variété
trouvé une voix pour te crier « monte », tu es de remèdes , toutes sortes d'instruments et
devenu tout à coup un autre homme! C'est une d'appareils, ainsi que des aliments appropries
pure plaisanterie, c'est même de la folie, pour à chaque espèce de maladies; quelquefois le
laquelle il n'y a pas de supplice trop sévère. simple changement d'air, le sommeil mé-
Kotre-Seigncur n'a-t-il pas dit Qui veut bâtir : nagea propos, suffisent pour guérir le malade
une tour ne doit pas jeter les fondements avant et tirer le médecin d'embarras. Le traitement
d'avoir calculé ses forces, s'il ne veut pas deve- des maladies spirituelles n'a pas ces ressources.
nir la risée des passants. (Luc, xiv, 28.) Encore Après le bon exemple, le ministère sacerdotal
là, tout le risque à courir ne va-t-il [las au delà ne connaît pas d'autre méthode, pour guéiir,
dequelques plaisanteries à essuyer; ici, ils'agit que la prédication. La parole seule lui tient
d'une punition bien différente, du feu éternel, lieu d'instrument, d'aliment, d'air salubre. La
du ver qui ne meurt pas, du grincement de parole est le remède qu'il administre, la parole
dents, des ténèbres extérieures, de la séparation est le feu dont il se sert pour brûler, la parole
d'avec les bons, et d'une place dans l'enfer est le fer avec lequel il tranche : il n'en a pas
parmi les hypocrites. d'autre à sa disposition; la parole est-elle im-
Voilà ce que ne veulent pas voir ceux qui puissante, le prêtre est à bout de moyens. Par
m'accusent; autrement ils ne me feraient pas la parole nous relevons l'âme abattue, nous ra-

un crime de ce que je n'ai pas voulu courir menons à son état naturel celle qui est travail-
élourdiment à ma perte. 11 n'est pas ici ques- lée de l'enflure, nous retranchons les superflui-
tion de blé ou d'orgi' à cultiver, de bœufs ou de tés; nous remplissons les manques; en un mot,
biebisàélevor, ni d'aucune marcliandi-e sem- c'est par elle que nous faisons tontes les opéra-
blable à soigner : il s'agit du corps même de tions qui peuvent être utiles à la santé de l'âme,
60) TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRVSOSTOME.

Pour ce qui est de bien régler sa \ie, l'oxcm- bergerie ses démons ravisseurs pour enlever
ple des autres peut exciter notre éniulalion et les brebis : chose qu'il n'essaie même pas, s'il

nous porter à les mais lorsqu'il s'agit


imiter : s'apeiçoit qu'il a affaire à un pasteur vigilant,
de guérir une âme imbue d'une mauvaise qui est au fait de S( s artificieuses manœuvres.
doctrine, l'emploi de la parole est indispen- Il faut donc que nous soyons munis de toutes

sable, non-seulement pour confirmer ceux qui parts. Une ville entourée partout de bons rem-
pensent comme nous, mais encore pour com- parts, se rit des efforts des assiégeants et vit
battre nos adversaires. Si nous étions armés du dans une entière sécurité; mais qu'une brèche
glaive de l'esprit et du bouclier de la foi jus- soit ouverte dausla muraille., seulement de la

qu'à faire des miracles, et fermer la bouche largeur d'une porte, tout le reste de l'enceinte
aux incrédules à force de prodiges, nous pour- n'est plus d'aucune utilité, fût-il d'ailleurs en
rions nous passer du secours de l'éloquence ;
très-bon état. Il en est de même de la cité de
je me trompe elle serait toujours utile et
,
Dieu. Tant que la sollicitude et la prudence du
même nécessaire. L'apôtre saint Paul en a fait pasteur y servent de rempart et d'enceinte,
usage, bien que l'éclat de ses miracles frappât les entreprises de l'ennemi tournent à sa honte,

tous les yeux.Uu autre membre encore de ce et personne dans la ville n'est en danger; pour

même collège des apôtres nous exhorte à ne pas peu que la cité soit entamée, la chute d'une
négliger cette puissance dela parole Soyez : seule partie entraîne bien'.ôl la ruine du tout.
à répondre à quiconque vous de-
prêts, dit-il, Que servirait-il, en effet, d'avoir mis les
mandera compte de l'espérance qui est en vous. Gentils en déroute, si les Juifs saccagent la
(I Pierre, m, 15.) Saint Etienne et les autres place? ou d'avoir triomphé des Gentils et des
diacres ne furent préposés au service des veu- Juifs, si lesManichéens la livrent au pillage ?
ves, qu'afin de laisser aux apôtres le temps Quel gain d'avoir vaincu les Manichéens, si les
de vaquer au ministère de la parole. Toute- fatalistes viennent égorger les ouailles jusqu'au

fois le don de la parole nous serait moins in- sein de l'Eglise? A quoi bon donner ici le cata-
dispensable, si nous avions celui des mira- logue complet des hérésies inventées parle Dia-
cles. Mais puisqu'il n'est resté parmi nous ble, et dont une seule, si le berger ne sait pas
aucun vestige de celte dernière puissance, et les repousser toutes, peut jeter une partie du
que de nombreux ennemis ne cessent de nous troupeau dansla gueule du loup ? A la guerre,
menacer sur tous les points, il faut nécessaire- il faut être présent sur le champ de bataille
ment que nous soyoïis armés du glaive de la pour vaincre ou pour succomber ; ici, il arrive
l)arole tant pour repousser leur attaque, que souvent qu'un combat engagé entre d'autres,
pour le.- frapper à notre tour. donne la victoire à un parti qui u'avait pas
4. C'est pourquoi nous devons avoir grand figuré au commencement de l'action, et qui,
soin q\ie la parole de Jésus-Christ habiteennous comme s'il était étranger à la querelle, était
avec abondance (Col., m, 10} car nous avons à
; resté constamment assis sous sa tente. Ou bien,
nous tenir prêts pour toutes sortes de coiiibuls ; pour avoir négligé de s'exercer à l'avance,
nous sommes en face d'ennemis divers, nom- on se perce de ses propres armes, et l'on prêle à
breux, qui ne se servent pointdesmêmes armes, rire à ses amis et à ses ennemis. Je vais éclair-
ne suivent pas le même plan d'attaque. II faut cir ma pensée par un exemple Les sectateurs
:

donc que celui qui veut en venir aux mains de la folie de Valenlin et de Marcion, et les au-
avec eux, connaisse toutes leurs différentes tres malades, dont l'affection est à peu près de
manières de combattre, qu'il sache également la même espèce, retranchent du canon des di-
manier l'arc et la fronde, qu'il soit tour à tour vines Ecritures la loi donnée à Moïse par le
fantassin etcavalier, solilal et capitaine, propre Seigneur; d'autre part, les Juifs ont pour celle
aux combats de mer comme aux attaques des loi un si grand respect, qu'aujourd'hui, malgré

places. Dans bs combals ordinaires, il suffit, l'abrogation qui en a été faite, ils soutiennent
pour soutenir le choc de l'enntmi, que chacun que l'on doit eu garder tous les préceptes contre
se tienne à son poste ; dans ceux dont nous l'ordonnance du Seigneur lui-même ; mais
parlons, il faut connaître à fond chacune des l'Eglise de Dieu évitant l'un et l'autre excès, a
parties de l'art de l'attaque et de la défense. pris le milieu ; l'Eglise ne pense pas que l'on
N'y eût-il qu'un endroit mal gardé, l'ennemi doive encore porter le joug de celte loi, mais
saura bien le découvrir et ijitioduire dans la elle ne souEfie pas que l'on en dise du mal.
TRAITÉ DU SACERDOCK. — LlVIîE QUATRIÈME. (303

Elle la préconise encore, quoique supiirimée, donnent encore plus de peine à celui qui en-
parce que c'est une loi qui a été utile durant seigne. Les uns poussés par un excès de curio-
tout le lem()s qu'elle fut en vigueur. sité, s'occupent, sans raison et par pure fan-
Pour combattre des ennemis si opposés entre taisie, de questions impossibles à résoudre, et
eux, il faut donc garder un juste tempéra- dont la solution ne mène à rien d'utile. Les
ment car si, voulant enseigner aux Juifs que
; autres demandent compte à Dieu de ses juge-
ce n'est plus le temps de pratiquer les cérémo- ments ; ils voudraient mesurer l'abîme sans
nies de cette loi ancienne, on commence parla fond de ses conseils Vos jugements, dit le
:

critiquer sans ménagement, on donnera une Prophète, sont un abîme infini. (Ps. xxxv, 7.)
prise terrible aux hérétiques qui la rejettent Bien peu s'appliquent à connaître les dogmes
absolument; si jiour fermer la bouche à ceux- de la fui et la règle des mœurs beaucoup per-
:

ci, on l'exalte outre mesure, comme s'il était dent leur temps à étudier ce qu'ils ne connaî-
encore nécessaire de l'observer au temps où tront jamais, et dont la recherche même offense
nous sommes, on lâche la bride aux déclama- Dieu. Vouloir absolument pénétrer ce que Dieu
tions des Juifs. Des excès contraires ont égale- nous interdit de savoir, efforts inutiles (qui
ment jeté, hors delà vraie foi, les maniaques pourrait faire violence à Dieu 1 ) efforts cou-
seclateurs de Sabellius, de même que les fu- pables et dangereux. Et cependant, si l'on a
rieux Ariens. Les uns et les autres gardent le recours à l'autorité pour réprimer ces cher-
nom mais quand on examine le
de chrétiens ; cheurs indiscrets de choses introuvables, on
fond de leurs doctrines on acquiert la convic- s'attire la réputation d'un orgueilleux et d'un
tion, qu'au nom près, les premiers ne valent ignorant. Voilà donc encore un point qui
pas mieux que les Juifs, et que les seconds se exige de la part d'un évêque une grande pru-
rapprochent fort de l'hérésie de Paul de Sa- dence, tant pour éloigner les esprits de ques-
mosate qu'au reste, les uns et les autres sont
: tions oiseuses et absurdes, que pour éviter des
également éloignés de la vérité. accusations fâcheuses. Contre tant de difficultés
On court donc un grand danger dans les il arme la parole, rien que la pa-
a pour toute
rencontres avec ces hérétiques, on marche sur role. S'il en est dépourvu, les âmes, dont le
un sentier étroit, escarpé et des deux côtés gouvernement lui est confié, surtout les âmes
bordé de précipices. H est à craindre qu'en faibles et travaillées d'un excès de curiosité,
\culant frapper un de ses adversaires, on ne seront dans une continuelle agitation, comme
se découvre aux coups de l'autre. En effet, si le vaisseau battu de la tempête que ne doit
:

l'on avance que la divinité est une, aussitôt donc pas faire le prêtre pour acquérir le talent
SabeUius exploite la proposition au proût de sa de la parole ?
fulle impiété ; d'un autre côté, si l'on distingue 6. Basile. Pourquoi donc l'apôtre saint Paul

et que l'on dise qu'autre est le Père, autre est ne s'est-il point soucié de l'acquérir? car il ne
le Fils, autre est le Saiut-Es|irit, voici Arius rougit point de sa pauvreté en fait d'éloquence;
qui, de la différence des personnes, conclut à mais il avance heiutement qu'il est ignorant,
la diversité de l'essence. Il faut rejeter égale- et cela en écrivant aux Corinthiens mêmes,
ment et la confusion im[iie de l'un, et la di- admirés pour leur beau parler dont ils étaient
vision non moins sacrilège de l'autre; on évite si fiers.

ces deux écueils en confessant que la divinité Chrysostome. C'est précisément cette parole
du Père, du Fils et du Saint-Esprit est une, et en a trompé un
à laquelle tu fais allusion qui
en reconnaissant les trois Personnes ou Hypo- grand nombre, et les a rendus négligents pour
stases; c'est ainsi que nous pourrons nous faire l'étude de la vraie doctrine. Faute d'aller jus-
un rempart contre la double attaque de nos en- qu'au bout de la pensée de l'Apôtre, et de com-
nemis. Je pourrais encore te signaler beaucoup prendre le sens de ses paroles, ils ont passé
d'autres rencontres, où l'on a besoin d'unir toute leur vie dans la somnolence et la paresse,
l'ardeur du courage à la préci>ion des ma- sectateurs fidèles de l'ignorance, non pas de
nœuvres, sous peine de se retirer couvert de celle dont saint Paul mais d'une
fait l'aveu,

blessures. autre dont il que qui que ce


était plus éloigné

5. Que n'aurait on pas à dire des contentions soit au monde. Mais je réserve ce point pour

et des di-putes qui s'é'èvent entre les fidèles ? plus tard, et pour le moment, supposons que
Non moindres que les altaiiues du dehors, elles l'Apôlie ail ignoré l'art de parler, comme on
604 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

le prétend, que pourrait-on en conclure pour ronnes, il souhaita d'aller en enfer, d'être
des bommes de notre temps ? Il possédait une livré à un supplice éternel pour sauver et
puissance bien supérieure à l'éloquence, et donner à Jésus-Christ ces Juifs, qui l'avaient

capable de produire de plus grands effets; souvent lapidé, et qui l'auraient tué s'ils en
lui de qui la seule présence et le simple as- avaient eu le pouvoir. Quelqu'un a-t-il jamais
pect, sans mêmequ'il eût à ouvrir la boucbe, aimé Jésus-Christ à ce point, si l'on peut ap-
suffisaientpour faire trembler les démons. peler amour un transport qui réclamerait un
Aujourd'hui tous les hommes ensemble au- terme plus expressif encore ?
raient beau prier et pleurer, ils ne pourraient Nous comparerons-nous encore à un tel
ce que pouvaient les vêtements de saint Paul. homme, après une si grande grâce qu'il a reçue
Paul par sa prière ressuscitait les morts il ; d'en-haut, et une si grande vertu qu'il a tirée
opérait tant de prodiges, qu'il était regardé de son fond ? Ce serait là le comble de la pré-
comme un Dieu par les infidèles. Encore re- somption et de la témérité. Mais était-il aussi
vêtu d'un corps mortel, il avait été jugé digne ignorant qu'on le prétend ? Il n'en est rien,
d'être ravi jusqu'au troisième ciel, et d'ap- comme on va le voir. On appelle ig orantnon
prendre des choses que l'oreille humaine ne celui qui n'est pas versé dans les prestiges de
peut pas même entendre. Mais les hommes de l'éloquence profane, mais celui qui ne sait pas
nos jours... Je m'arrête pour ne rien dire de combattre pour la défense des dogmes et de
trop dur ni de trop sévère. Mon dessein n'est la vérité: et l'on a raison. Or, Paul ne se dé-
pas de les insulter; je m'élonne seulement clare pas ignorant sous l'un ou l'autre rap-
qu'ils ne rougissent pas de se comparer à ce port, mais seulement sous le premier. Lui-
grand homme. même affirme, et il fait expressément cette
En effet, si nous considérons non plus les distinction, disant qu'il est ignorant da is l'art
prodiges, mais la vie du bienheureux Apôtre, de la parole, mais non dans la doctrine. (II Cor.,
et sa conduite angélique, nous le verrons en- XI, 6.) Il est bien vrai que si, dans le m nistre

core plus triomphant par ses vertus que par ses de la parole sainte, je demandais la pt litesse
miracles. Qui pourrait représenter la vivacité d'Isocrate, la véhémence de Démosthr ne, la
de son zèle, sa douceur, ses continuels dan- majesté de Thucydide, la sublimité de I laton,
gers, ses sollicitudes incessantes, sa constante on pourrait m'opposer le passage desaihlPaul
anxiété pour le salut de toutes les Eglises ; sa allégué ici, mais je fais grâce de tout Cila au
compassion envers ceux qui souffrent, ses tri- prédicateur de l'Evangile; pour moi, c'est
bulations; ses persécutions sans cesse renou- quelque chose de superflu, que tous ces ajuste-
velées, et ses morts de tous les jours? Quel ments oratoires des profanes; que me font la
endroit de la terre habitable, quel continent, rondeur des périodes et les élégances de la
quelle mer n'ont pas connu les combats de ce déclamation? Qu'il soit pauvre, s'il veut, par
juste? Le désert même l'a vu plus d'une fois, la diction, qu'il soit simple et sans art dans;
alors qu'il lui offrait un asile contre le danger- l'arrangement des mots, pourvu qu'il soit riche
Pas d'embûches auxquelles il n'ait été exposé, de science et qu'il possède l'art de ne jamais
mais aussi pas de victoire qu'il n'ait rem- faillir à la règle des dogmes; mais je ne per-

portée. Toujours combattre, et toujours vain- mettrai pas qu'on aille, pour excuser sa propre
cre, voilà sa vie. négligence et sa paresse, ravir à saint Paul le
Maissuis-jeassezrespectueuxenvers ce grand plus illustre de ses avantages, et son principal
homme, lorsque j'ose faire sonéloge ? ses gran- titre à l'admiration.
des actions ne sont-elles pas au-dessus de tous 7. Comment confondit-il les Juifs de Damas,
au-dessus du mien que
les discours, et autant (Act., IX, 22), avant qu'il eût commencé à faire
les grands orateurs sont au-dessus de moi ? des miracles ? Comment terrassa-t-il les Juifs

Persuadé néanmoinsquelebienheureux Apôtre Hellénistes ? pourquoi fut-il envoyé à Tarse ?


aura plus égard à l'intention qu'au succès, je (Act., IX, 29, 30), sinon parce qu'avec la force
ne m'arrêterai pas que je n'aie parlé d'un acte irrésistible de sa parole il vainquit tous ses
qui surpasse autant tout ce que j'ai dit, que adversaires, et les pressait si vivement que, ne
saint Paul surpasse les autres mortels. Quel est pouvant supporter leur défaite, ils s'exaspérè-
cet acte ? C'est qu'après tant de belles actions, rent jusqu'à jurer sa mort?Car, je le répète, à
et après avoir mérité une infinité de cou- ce moment il n'avait pas encore fait de mira-
TRAITE DU SACERDOCE. - LIVRE QUATRIEME. 6ÛS

clés. On ne peut donc pas dire qne, la multi- Or, tout cela, il le fait par les admirables épî-
tude l'admirant déjà comme un llianmalurge, tres qu'il nous a laissées, épîtres toutes pleines
ses antagonistes étaient écrasés sous l'ascen- de la sai:esse divine.
dant de sa renommée. Il n'était puissant jusque- Ses précieux écritsservenf non-seulement au
là que par la force de sa parole. De quelle renversement des fausses doctrines etausolide
arme se servait-il à Antioclie pour combiltre établissement de la vraie foi, mais ilssont en-
les Judaïsauts?(Galat., ii, il.) N'est-ce pas par core d'une très-grande utilité pour instituer la
son éloquence seule que, dans Athènes, la ville règle des bonnes mœurs. C'est par leur moyen
la plus superstitieuse du monde, il gagna l'A- qu'aujourd'huiencore les évoques parent etor-
réopagite avec sa femme ? (Act., xvii, 3i.)Quel nent la chaste Vierge qu'il a nommée l'épouse
charme merveilleux ne possédait-il pas en par- de Jésus-Christ (II Cor., xi, 2), etqu'ils travail-
lant, puisqu'on passait des nuits à l'entendre ? lent à former en elle tous les traitsdutypedela
témoin Eutyque tombé du haut d'une fenêtre. beauté spirituelle; c'est par eux qu'ils repous-
( Act.jXX, 9. A Thessainnique, à Corinthe, à
) sent les maux qui fondent sur l'Eglise, et qu'ils
Ephèse, à Rome que fait-il? il prêche des jours lui conserventla santé dontelle jouit. Tels sont
entiers et même des nuits entières expliquant les remèdes que cet ignorant nous a laissés, et

les Ecritures, disputant contre les Epicuriens telle est leur vertu, comme l'expérience l'ap-
et les Stoïciens. (Act., xvii, 18.) Je ne finirais prend à ceux qui en font continuellement
pas, si je relevais toutes les occasions dans usage. De tout ceci, concluons que saint Paul
lesquelles il a montré son talent pour la pa- attachait une grande importance au talent de
role. la parole.
Avant qu'il eût fait des miracles, comme pen- 8. Ecoute encore dans quels termes Paul écrit
dant le cours de ses prodiges, on le voit user à son disciple : Applique-toi à la lecture, à
fréquemment de la parole. Qui donc osera l'exhortation, à Vinstruction. Etpourlui mon-
nommer ignorant celui qui, soit qu'il fût aux trer le fruit qu'il en retirera, il ajoute Par là, :

prises avec un adversaire, soit qu'il haranguât tiite f:aiiveras,toieiceux qui t'écoutent.[nim.,
la multitude, se faisait admirer de tout le V, 16.) Et ailleurs Il ne faut pas qu'un servi-
:

monde? Les Lycaoniens crurent voir en lui teur du Seigneur dispute ; mais qu'Usait doux
leur Mercure ses miracles et ceux de Bar-
; envers tout le monde, capable d'instruire, pa-
nabe les firent passer pour des dieux mais ;
tient. (II Tim., IV, 16.) Et poursuivant il dit :

il n'y eut que l'éloquence qui fit prendre Potir toi, demeure ferme dam ce que tu as ap-
Paul pour le dieu de l'éloquence. (Act., xiv, pris et qui t'a été confié; sachant de qui tu l'as
11. ) N'est-ce pas par là qu'il a surpassé les appris ; te souvenant que dès ton enfance, tu as
autres Apôtres ? D'où vient que par toute la été instruit des lettres saintes qui peuvent t'é-
terre sonnom se trouve si fréquemment dans clairer pour le salut. (II Tim., ni, l-t, IS.) Et
la bouche des hommes ? D'où vient qu'il est encore : Toute écriture divinement inspirée est
plus admiré que tous lesautres, non-seulement utilepour enseigner, pour reprendre, pour
parmi nous, mais même parmi les Juifs et les pour former à la justice, afin que
corriger,
Grecs ? N'est-ce pas à cause du prodigieux mé- l'homme deDieu soit parfait. (II Tim., m, 16.)
rite de ses épîtres, qui ontde bien aux fait tant Ecoute encore ce qu'il dit à Tite sur l'ordi-
fidèlesde son temps et à ceux qui sont venus nation des évoques faut qu'un évêque soit
: //
depuis, et qui en feront encore tant à ceux attaché à la vraie parole, à celle qui est con-
qui viendront, jusqu'au dernier avénemont du forme à l'enseignement, afin qu'il puisse con-
Christ ; ne cessera pas d'être utile aux
car il vaincre les contradicteurs. (Tit. , i, 9.) Comment
hommes tant que durera le genre humain. Ses donc un ignorant pourra-t-il convaincre les
admirables écrits sont comme une muraille de contradicteurs de la vraie foi et leur fermer la
diamant qui entoure et protège les Eglises dans bouche ? A quoi bon s'appliquer à la lecture et
toutes les parties du monde. Champion im- aux Ecritures, s'il faut s'en tenir à cette igno-
mortel du Christ, il est encore aujourd'hui rance ? Vaines excuses et faux prétextes que
debout au milieu de l'Eglise, enchaînant toute tout cela, derrière lesquels voudraient s'abriter
pensée sous l'obéissance du Christ, renversant la paresse et l'indolence.
tous les conseils, abattant toute iiau*cur qui Mais, me dit-on, ces conseils s'adressent aux
8*él5vecon're la sciencedeDieu. (II Cor., x, 5.) prêtres. Je rciiOiids J'abor J que c'est bien d'eux
606 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CIIRYSOSTOME.

qu'il est ici question. Mais j'ajoute qu'ils s'a- partie, je n'oserai dire qu'il suffise tout seul.
dressent en même temps aux simples fldèles, Lorsqu'un combat s'engagera sur le ter-
6.

car, écoute ce que l'Apôtre dit dans une autre rain du dogme, et que tous combattront avt^c
épître, parlant cette fois non plus seulement des armes prises dans les divines Ecritures, de
aux prêtres, mais à tout le monde: Que la pa- quel secours alors sera la sainteté de la vie ? A

role du Christ habitcenvousabondamme7it avec quoi serviront les fatigues elles sueurs, si, après
toute sagesse (Coloss., m, 16); et encore : Que toutes ces austérités, on tombe dans l'hérésie
toutesvos paroles soient accompagnées de grâce, par ignorance et qu'on soit séparé du corps de
et assaisonnées du sel de la sagesse, en sorte l'Eglise ? J'en connais plusieurs à qui ce mal-
que vous sachiez répo7idre à chacun comme heur est arrivé. Quel fruit retireront-ils de
il convient. (Coloss., iv, 6.) Or le précepte leur patience? Aucun : pas plus que si, la foi

d'être prêt à répondre regarde tout le monde. étant saine et entière, la conduite était vicieuse.
Ecrivant aux Thessaloniciens, il dit : Edifiez- II faut doncunegrandehabiletédans ces com-
vous les uns les autres, comme
vous le faites. bats pour la foi, à celui qui est chargé d'en-

(1 Thess., V, H.) Quand il parle


des prêtres, seigner les autres. Quand même il serait, lui,

voici ce qu'il dit Que les prêtres qui gouver-


: inébranlable dans la foi, et invulnérable aux
nent bien soient doublement honorés, principa- coups des ennemis, la multitude d'âmes sim-
lement ceux qui travaillent à la prédication et ples qui lui est soumise, voyant son chef

à l'instruction. (1 Tim., v, 17.) Car le dernier vaincu et réduit au silence par ses contradic-
terme de la perfection est atteint dans l'in- teurs, accuse non l'imbécillité de l'homme ,

struction lorsque, par leurs exemples comme maislafaiblessedudogme etainsi l'ignorance


;

par leurs paroles, les prédicateurs conduisent d'un seul cause la perte de tout un peuple. On
les hommes à la vie bienlieureuse préparée par ne se donnera pas, si tu veux, tout de suite à
Jésus-Christ. Les exemples seuls ne suffisent l'ennemi, mais on commencera à douter des
pas pour instruire ce n'est pas moi qui le dis,
:
principes jusque-là les mieux assurés; on ne
Sauveur lui-même Celui, dit-il, qui
c'est le : sera plus aussi solidement attaché à certaines
pratiquera et qui enseignera, sera appelé grand. croyances que Ton avait embrassées de toutes
(Matth., v, 19.) Si pratiquer c'était la même les forces de sa foi. La défaite du maître produit

chose qu'instruire, il eût étésiipertlu d'ajouter dans les âmes une tempête si violente qu'elle
le second il eût suffi de dire, celui qui prati-
;
ne peut finir que par le naufrage. Te dire main-
quera. Mais en les divisant, Notre-Seigneur tenant quelles calamités, quels charbons de feu
nous apprend que les œuvres ne sont pas la s'amassent sur la tête du malheureux, à qui
parole; et que, pour édifier i)arfaitement les l'on est en droit de reprocher la perte de tant

peuples, l'exemple et le discours doivent se d'hommes, la chose serait superflue tu lésais ;

prêter un mutuel secours. N'entends-tu pas ce aussi bien que moi.


que dit aux prêtres d'Ephèsecevase d'élection Voilà donc ce crime d'orgueil et de vaine
du Christ : Veillez donc, et n'oubliez pas que gloire que l'on veut m'imputer, parce que j'ai
durant trois ans, nuit et jour, je n ai pas cessé refusé d'être la cause de la ruine de tant d'âmes
d'avertir avec larmes chacun de vous. (Act., et, par là, de m'atlirer un châtiment plus ter-

XX, 31.) Pourquoi ces larmes, ces discours, ces rible au jour du jugement.

avertissements alors que l'éclat de sa vie aposto- Qui oserait encore le soutenir ? Personne
lique était si vif? Sans doute que lebon exemple assurément; à moins de vouloir persister dans
contribue beaucoup à l'accomidissement des une accusation sans motif, et faire le philo*

coinmandeijients ; toutefois, même en cette sopbe d«tns les malheurs d'àulrui.


liUlTÉ DU SACEUDOCE, - HVRE CliNaiHÈMB. 607

LIVRE CINQUIÈME.

ANALYSE.

Tout le Livre cioqnitae roule sur le même sujet qneles derniers cliapitres du quatrième, cVst-îi-dire sur l'éloquence delà clwice.
— Il conlieal une suite de réOexioas aussi justes que profondes sur la pralique de l'art oialoirc dans la chaire chrétienne.

En les lisant on croirait entendre non un futur orateur à qui son génie révèle d'avance toutes les difficultés et toutes les res-
sources de son art, mais hien un vétéran de l'élo luence, un Cicérnn écrivant le de Oiatore. —
Les discours qu'on adresse ao
peuple exigent un grand travail. —
Les auditeurs sont trés-difhciles à contenter, parce qu'ils viennent pour juger le prédicateur
plus que pour s'instruire. —Pour manier avantageuseiuent cette multitude mal disposée, deux choses sont nécessaires le mé- :

pris des louanges et la puissance de la parole. —


Le mépris des louanges ne mène à rien sans la puissance de la parole, et
réciproquement. —
Au mépris des louanges, il faut ajouter le mépris de l'envie. —
Ce n'est pas tout d'acquérir le talent de la
parole, il faut encore le conserver par le travail et l'e.teruice, car l'éloquence est fille de l'étude plus encore que de la nature.
— Plus un orateur a de talent, plus il est obligé de travailler. —
A combien de cabales un grand orateur est en butle delà
part de ses ennemis jaloux. —Combien peu d'hommes sont en état de bien juger d'un discours. —
Fort de la conscience de
son génie, l'orateur peut se placer au-dessus du jugement de la foule. —
Une chose qui lui donnera une confiance encore
plus ferme, ce sera de travailler dans le but de plaire à D,ea. —
Le mépris des louanges a'est pas moins nécessaire 4 celui
qui est sans éloquence.

suffisamment démontré combien les


i. J'ai ci, les autres celui-là; de même dans nos tem-
combats livrés pour la défense de la vérité ples, se divisent les assemblées chrétiennes ; et
exigent d'iiabikté et d'expérience de la part dé les uns sont pour un tel, les autres pour tel

celui qui doit les soutenir. Néanmoins à ce autre ;


ou
l'auditeur est déjà favorable hostile à

que j'ai déjà dit sur le talent de la p irole, j'ai l'orateur, avant même
que celui-ci ait encore
encore quelque chose à ajouter quelque chose ;
ouvert la bouche première difficulté en voici
: ;

qui est cause de dangers infinis, ou plutôt une autre non moins grande; pour peu qu'un
qui peut devenir, pour ceux qui s'en acquit- prédicateur mêle à la trame de son discours
tent mal , l'occasion des plus grands dan- quelque chose du travail d'un autre, il soulève
gers ; car celte chose est en elle-même des contre lui plus de clameurs et d'insultes que
quand
plus salutaires et des plus avantageuses, s'il dérobait l'argent d'autrui. Souvent même,

elle estmaniée par des hommes vertueux et sans qu'il ait rien emprunté, et sur un simple
capables. Je veux parkr du travail plus ou soupçon non motivé, il est traité comme si on
moins considérable que le prédicateur emploie l'eût pris en flagrant délit de plagiat. Mais que

à la composilion des discours qu'il fuit en pu- parlé-je d'emprunts faits à d'autres? On ne lui
blic. permet pas même d'user, comme il l'entend et

La plupart des auditeurs ne veulent point se aussi souvent qu'il le voudrait, des fruits de son
mettre dans les dispositions qui conviennent invention et de son travail. Car ce n'est pas leii r
aux disciples à l'égard du maître qui les ins- mais leur agrément, que la plupart des
utilité,

truit. Trouvant le rôle de disciples trop au-des- auditeurs viennent chercher à ces discours
sous d'eux, ils croient s'élever en prenant celui auxquels ils assistent, comme à une tragédie ou
des spectateurs de théâtres et de cirques. Et, un concert, en qualité de juges. Il en résulte
comme dans ces spectacles du monde; la foule que l'espèce d'éloquence queje réprouvais tout

'se part'^se en raclions, les l'ns favorisant celui- à l'heure avec saint Paul, est encore plus
608 TKADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOMË.

exigée dans la chaire évangéliqiie, qii'euire les blessures douloureuses faites à leur amour-
dos sophistes obligés de mesurer leurs forces. propre, et ne sachant comment se venger au-
11 faut une âme fortement trempée,
donc ici trement, attaquent son ignorance avec sar-
bien supérieure à la faiblesse que je trouve en casme; c'est d'ailleurs un moyen pour eux de
moi, (|ui iiuisse mettre un frein à cette passion jeter un voile sur leurs opprobres.

de la multitude pour un plaisir infructueux, 11 faut donc que l'orateur sacré, tel qu'un
et diriger son intention vers un objet plus habile conducteur, parvienne à régler si bien
utile. C'est ainsi que l'orateur de la chaire, au ces deux belles qualités, qu'il les fasse mar-
lieu d'être lui-même le trop facile jouet des cher de front vers un but utile. Lorsqu'il ne
caprices de la fouie, marchera comme un chef donnera plus prise à la critique, c'est alors

et un guide de son peuple docile à le


h la tête qu'ilpourra aussi facilement qu'il voudra, ré-
suivre. Or, ce résultat ne peut s'obtenir qu'à primander avec sévérité ou traiter avec indul-
deux conditions le mé|)ris des louanges, et le
: gence les fidèles soumis à sa conduite : sans
talent de la parole. cette condition il lui sera difficile d'agir avec
L'absence d'une de ces deux choses rend
2. cette autorité. La grandeur d'âme ne doit pas
l'autre inutile. Si, au mépris des louanges, le se borner au mépris de la louange, il faut
prédicateur ne joint pas le talent d'instruire qu'on la ])ousse plus loin, si l'on ne veut pas
avec une parole assaisonnée de grâce etdesel, que ce premier mérite reste imparfait.
il succombe infailliblement sous le dédain de •i. Que faut-il donc mépriser encore? la ja-

la multitude, sans que sa grandeur d'âme le lousie et l'envie. Toutes ces accusations fausses
puisse sauver. Si au contraire il a tout ce qu'il et même invraisemblables auxquelles leschefs
faut sous le rapport du talent, mais que la fa- de l'Eglise sont ordinairement en butte, il ne
veur populaire le domine au point qu'il en soit faut ni les craindre et s'en alarmer outre me-
l'esclave, le préjudice est toujours le même sure, ni non plus les dédaigner tout à fait;
pour lui comme pour le peuple, parce que, mais encore qu'elles ne soient que des men-
dans ses discours, il se propose de plaire plutôt songes inventés par le premier venu, il faut
que d'être utile à ses auditeurs tant la soif des : tâcher de les éteindre aussitôt; car, pour exa-
louanges le tourmente et l'égaré. Voici un gérer soit en bien, soit en mal la réputation
homme qui, à la vérité, est insensible aux ca- d'un homme, il n'y a rien de pareil à cette
resses de la renommée mais il ne sait point ; multitude sans frein dans ses propos. Ecouter
parler, que fera-t-il ? il ne cédera point aux ca- et répéter tout sans examiner rien, dire au ha-
prices de la multitude, c'est vrai, mais à quoi sard tout ce qui se présente, sans avoir égard
servira cette magnanimité, s'il ne peut être à la vérité, voilà le peuple. Aussi, bien loin de
d'aucune utilité au peuple, par l'impuissance mépriser les bruits populaires qui nous sont
où il se trouve de rien dire? En voici un autre désavantageux, il faut leur couper pied dès le
qui possède le talent nécessaire pour rendre les commencement, en confondant les calomnia-
hommes meilleurs, mais il aie malheur de ne teurs, quoique leurs mensonges soient visibles
pouvoir résister à l'amour de la louange ;
par eux-mêmes, et n'omettre rien de ce qui
qu'arrive-t-il ? sinon qu'il songe plus à plaire peut consolider notre réputation. Mais quand
à son auditoire qu'à le sauver, et cela parce nous aurons fait tout ce que nous pouvons, si
que les applaudissements, en éclatant autour nos accusateurs ne veulent pas se rendre, c'est
de lui, flattent trop doucement ses oreilles. alors le cas de les mépriser. Quelqu'un qui
3. Le pasteur parfait aura donc un caractère tout d'abord se laisserait abattre par ces con-
égal à son talent, et un talent égal à son carac- trariétés, ne pourrait plus rien faire de beau
tère ; ainsi soutenu desdeux côtés,
ne faillira il ni de grand, parce que le chagrin et les soucis
point dans sa mission. Un prédicateur s'est levé continuels produiraient chez lui une prostra-
au milieu delà foule, il a déjà prononcé des tion des forces de l'âme, et le réduiraient à
paroles capables d'impressionner les cœurs une complète impuissance.
tièdes et lâches mais tout à coup il bronche
; La conduite du prêtre, avec son peuple, doit
et s'interrompt, il sent son indigence, il se être la même que celle d'un père à l'égard de
trouble, il rougit tout le fruit de ses pre-
: ses enfants en bas âge. De la part des enfants
mières paroles se perd et se dissipe incontinent; au berceau, les insultes, les coups, les pleurs
ceux qu'il vient de gourmander, excités par u^éuieuveul pas plus un père que les joyeux
TRAITÉ DU SACEIinOCE. — LIVRE CINQUIÈME. 609

éclats cle rire et les caresses n'enflentsa vanité. est refu'é, et nulle critique ne lui est épargnée.
C'est ainsi i|u'un prêtrenetloitni s'enor;j;ueillir L'auditoire juge moins l'orateur par son dis-
de l'éloge ni se laisser al)atlre par le b'âine du cours que par sa répulalion. Il est donc évident
peufile, puisque celui-ci prodigue à contre- que le plus éloquent des prédicateurs doit être
temps l'un et l'autre. C'est difficile, mon ami, le plus laborieux ; on ne lui pardonne pas ce
peut-être même impossible: n'é|)rouveraucun qui est cependant inséparable de la nature hu-
plaisir à s'entendre louer est un degré de per- maine, de ne pas réunir toutes les qualités; et,
fection auquel peut être il n'est pasdonné à si son discours ne répond pas, detout point,à la

l'homme d'atteindre. Or le plaisir engendre grandeur de sa renommée, il ne se relire que


le désir de la jouissance; le désir de la jouis- sousune grêle de sarcasmesetde traits malins
sance, en cas d'insuccès, produit nécessaire- lancés par la foule. Personne ne fait atlenlion
ment le chagrin, le dégoût, l'indignation, la que le moindre accident, un chagrin, une
douleur. De même que ceux qui placent toute anxiété, un souci quelconque, parfois même la
leur joie dans les richesses, tombent dans l'af- colère a pu troubler la lucidité de son esprit,
fliction en tombant dans la pauvreté, do même et ôleràses conceptions quelque chose de leur
que ceux qui sont accoutumés à une vie déli- clarté et de leur précision habituelles ; enfin,
cate trouveraient insupportable d'être réduits que l'orateur étant homme, il ne peut pas être
à une vie frugale ainsi, ceux qui sont avides
; partout le même et n'avoir à traverser pour
de louanges, non-seulement lorsqu'on les ainsi dire que des jours sereins; qu'il est au
blâme sans raison, mais encore lorsqu'on ne contraire sujet, par sa nature, à faillir quel-
les loue pasconlinuollement, sentent leur âme quefois, et à paraître au-dessous de son propre
comme dévorée par une faim cruelle, surtout talent; m;us, encoic une fois, on ne lui tient
s'ilsontpour ainsi dire été nourris de louanges compte de rien ; on lui fait son procès comme
dès leurenf;mce, mais principalemenls'ilssont s'il (louvait avoir la perfection des anges. CVsl
témoins des louanges qu'on donne aux autres. d'ailleurs une malheureusement
disposition,
A combien de déboires et de douloureux mé- trop naturelle, d'accorder peu d'attention à
comptes celui qui entre dans le ministère de tout ce que les autres font de bien, quel qu'en
la parole évangéli(]ue, avec ce désir dans le soit l'éclat. On a des yeux bien plus vigilants
cœur, ne s'expose-t-il pas? L'âme de ce prêtre pour remarquer les fautes, même les plus lé-
ne peut pas plus être exemple de soucis et de gères, même celles dont le temps semblait
chagrins que la mer, de vagues etde tempêtes. avoir anéanti le souvei^ir ; on est prompt à les
5. En lui supposant même un grand talent découvrir, avide à s'en saisir, opiniâtre à les
naturel pour la parole, ce qui est bien rare, il retenir. C'est bien peu de chose, ce n'est rien,
n'en est pas moins tenu de travailler sans re- et cependant, cela a suffi plus d'une fois pour
lâche. En effet, l'éloquence étant moins un don diminuer la gloire de beaucoup d'hommes
de la nature que le produit du travail et de d'un vrai mérite.
l'étude,on a beau s'être élevé dans cet art jus- 6. Tu vois, mon généreux ami, que plus un
qu'au summet de la |ierfeclion, on en déchoit préd icaleu rade talent, |)liis il a besoin di' travail-
bien vile si l'on néglige de s'y mainleuir par ler pour ne pas le laisser dépérir. J'ajoiiteiiu'il
une élude et un exercice conlmu. Il s'ensuit lui fautune patience à toute épreuve. Une foule
que les meilleurs orateurs sont obligés à plus de malveillants l'assaillent sans cesse à tort et à
de travail que les moins bons : ceux-ci ayant travers, sans avoir aucun reproche légitime à
moins à perdre que les premiers. C'est la dif- lui faire, uniquement parce qu on ne peut souf-

férence des mérites qui établilcelle des obliga- frir sa répul;ition et qu'on est importuné du
tions. Aucune critique ne vient gourmanderle bruit qu'elle fait. 11 courage de
faut qu'il ait le

talent médiocre, quand même il ne produirait souffrircelte amère jalousie. La haineexécrable


rien de remarquable ; mais le lalenlsupérieur, qu'on lui porte sans raison, ne pouvant rester
toutes les fois qu'il paraît, on exige qu'il sur- longtemps concentrée au-dedans des cœurs, se
passe l'opinion qu'on a de lui , autrement les fait bientôt jour au dehors elle éclate par les ;

plaintes s'élèvent de toutes parts. Les moindres injures, les délractions, les calomnies semées
succès allirent au premier de grands éloges; si dans l'ombre et répandues dans le public. Une
le second ne force pas l'admiration, s'il ne met âme qui, à chaque atteinte, commencerait par
pas l'auditeur hors de lui-même, tout éloge lui s'affliger, par s'irriter, ne tarderait pas àsuç*

S. J. Tn. — To:,îE I. 39
blô TRADUCTION FHANÇAÎSE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOMË.

comber au chagrin. Non-seuloment ses en- est la règle et le typesuprême de la perfec-


nemis le frappent eux-nième?, mais ils y em- tion,non pas le monde avec ses applaudisse-
ploient encore des mains étrangères. On les ments et ses louanges), après cela, si les éloges
verra prendre un homme incapable de dire arrivent aussi de la part des hommes, eh bien !

deux mots de suite, et le porter jusqu'aux .jU.es qu'il ne les repousse point. Si les auditeurs ne
par des louanges hyperboliques, et pamne ad- lui en donnent pas, qu'il y renonce sans se
miration affectée; les uns le font par passion plaindre. Une assez belle récompense, la plus

seulement, par ignorance et par


les autres grande de toutesles récompenses, ne manquera
envie; mais ils n'ont tous qu'un but, qui est de pas à ses peines,je veux dire le témoignage que

renverser une réputation existante, et nulle- lui rend sa conscience de n'avoir recherchéque

ment d'en susciter une impossible. la gloire de Dieu en composant, en travaillant

Outre ces ennemis, le vaillant défenseur de avec soin ses discours.


l'Eglise aura souvent à lutter contre l'igno- 8. Mais, s'il commence par se laisser aller au
rance de tout un peuple. Un grand auditoire désir des vaines louanges, ni ses travaux infinis,

ne peut pas se composerentièrement d'hommes ni ses talentspour l'éloquence ne lui servent


lettrés; les gens sans instruction sont toujours de rien; incapable de mépriser les injustescri-
en très-grande majorité dans les réunions de tiques de la multitude, il se relâche et perd le
nos Eglises; ne comptons pas cette première goût de l'étude. Il doit donc apprendre avant
catégorie; reste une minorité que nous sommes tout à mépriser les louanges, c'est une science
encore obligés de partager en deux classes, sans laquelle l'exercice de la parole ne suffirait
ceux qu'une moyenne culture sépare un peu pas pour conserver ce beau talent.
des ignorants, tout en les laissant toujours très- A celui quine possède qu'une éloquence
éloignés des hommes vraiment capables de ju- médiocre, mépris des louanges n'est pas
le

ger d'un discours: ne prenons que CCS derniers moins nécessaire qu'il ne l'est au plus élo-
et nous voilà réduits à un ou deux connais- quent; car il fera nécessaiiement beaucoup
seurs. D'oîi arrive que celui qui a le mieux
il de fautes, s'il n'est pas assez fort de caractère
parlé sera le moins applaudi, etiiuelqmfois ne pour se passer volontiers de la faveur popu-
le sera pas du tout, lldoitse résigner d'avance laire. Dans son impuissance d'égaler les ora-

à ce résultat bizarre ; excuser ceux qui agis- teurs les plus renommés, il ne craindra pas
sent par ignorance; plaindre ceux qui sont de leur tendre des pièges, de leur porter
mus par rcnvie,comme des malheureux dignes envie, de les calomnier et de s'abaisser aux
de bien persuader que ni les uns ni
pitié, et se plus odieuses manœuvres faliùt-il perdre son
;

les autres ne sauraient rien ôler à ses talents. âme, il est prêt à tout oser pour usurper
Un grand peintre, un maître en son art, verrait leur gloire en la faisant descendre jusqu'à sa
de mauvais connaisseurs se moquer d'un de médiociité. J'aj'Uite que son âme engourdie
ses cbefs-d'œuvre, qu'il ne devrait pas pour cela par la torpeur, se refusera bientôt à toute es-
se décourager, parce que la critique des sots En effet, se donner
pèce de fatigue et de travail.
ne peut faire qu'un bon tableau soit mauvais, beaucoup de peine pour ne récolter qu'une
pas plus que leurs éloges et leur admiration très-mince moisson de louanges, quoi de plus
ne feront qu'un mauvais soit bon. pro|ire à jeter, dans une sorte de sommeil lé-

7. Oui, que le génie soit lui-même juge de thargique, l'homme qui n'a pas la force de mé-
ses œuvres; ne les tenons pour bonnes ou pour priser les louanges ? Ainsi, le laboureur, obligé
mauvaises, qu'après que l'esprit qui lésa con- de travailler une terre stérile et de creuser des
çues auradil Elles sont bonnes, elles sont mau-
: sillons dans un sol pierreux, suspend bientôt
vaises. L'opinion qu émettent au hasard des ses travaux, à moins que la passion de son art
personnes étrangères à l'art, ne méritent pas ne le captive, ou que la crainte du besoin ne

même (ju'on s'y arrête. Ainsi donc, que celui le courbe forcément sur son labeur.
qui s'est rude mission d'enseigner
chargé de la Si l'hoiuniele plus riclienienl pourvu du côté
les autres, aucune importance aux
n'attache de l'éloquence a besoin d'une étude continuelle
suffrages de la multitude, et qu'il ne tombe pour conserver ses avantages, quelle difficulté
point dans le découragement, s'ils lui man- n'épmuvera pascelui (juin'aque peudefond,
qufnl. Quand il aura travaillé ses discours et(]ni se voit obligé, en parlant, de méditer sur
dans le but de plr.ireà Dieu (car c'esi Dieu qui ce qu'il doit dire? Quel embarras, quelle vio-
TRAITE DU SACERDOCE. - LIVRE CliNQUlÉME. en
îenle contention d'esprit pour arriver à pro- montrer de l'ennui, attendre la fin du discours
duire Inborieuscniont un m uivais discours! Et commeune délivrance; tandis (|uc, siun rival
SI parmi it'sniiiiislrcsil'unrang inférieur, il se porte la parole, tous l'écontentavecaltenlion,
rencontre (]uel(iu'iin dont le talent éclipse celui quel(|ue long que soit son difcours, touséprou-
de son cvèiiue, ne faudra-t-il pas à celui-ci une venlde la peine lors(|u'il va finir, et témoignent
\erln plus ((u'Iuiniaine pour i|u'il ne se laisse tout liai leur désappointement, s'il garde le
pas dominer i)ar l'envio et consumer parle silence? Ces contrariétés peuvent te paraître lé-
cLagrin? Se sentir inférieur en mérite à quel- gères et faciles à surmonter, à toi qui ne les as
qu'un sur qui on a l'avantage du rang, de la pas encore éprouvées elles n'en sont pas moins
;

dignité, et se résigner avec courage, cela n'ap- faites pour éteindre le feu du génie, paralyser
partient pasà une âme commune, àla mienne, les forces derâme,àmoinsque,s'atîranchissant
par exemple, mais à une âme de la trempe la de toutes les misérables passions de l'homme,
plus forte. Quand du moins celui dont le mé- on ne s'élève à la hauteur des puissances cé-
rite peut faire ombrage, a de la douceur et de lestes el incorporelles, qui sont de leur nature
la modestie, c'est encore disgracieux, mais du inaccessibles à l'envie, à l'amour de la gloire,
moins c'est tolérable mais s'il est d'un carac-
;
aux diverses maladies de l'âme. Si un mortel
tère hiirdi, fanfaron et vain, c'est à lui sou- parvient à ce point de perfection de fouler aux
iiaiterlamort tous les jours, tant il répand d'a- pieds ce monstre indomptable de la gloire hu-
rneitume sur la vie de son infortuné supérieur, maine, et de trancher les tètes toujours renais-
afûcLaiit partout ses avantages, se moquant santes de celte hydre, ou plutôt d'empêcher
par derrièi e, usurpant tout ce qu'il peut d'au- qu'elles ne germent dans son cœur, il pourra re-
torité, et voulant être tout. Dans tout ce qu'il pousser victorieusement les nombreux assauts
fait, il a pour soutien et pour moyen de dé- qu'on lui livrera, et se reposer comme dans le
fense sa libre et facile parole, la faveur du port à l'abri de la tempête. Mais tant qu'il ne
peuple, l'affection que toutes les classes de la sera pas enlièrement délivré de cet ennemi, il
société ont pour lui. sera assailli de mille manières dilîérentes; son
Ne vois-tu pascommentl'éloquence fait fureur âme sera continuellement troublée, déchiréeet
aujourd'hui parmi les Chrétiens? Chez nous deviendra le jouet d'une infinité de passions.
comme chez les païens, il n'y a d'honneurs que A quoi bon énumérer toutes les autres diffi-

pour ceux qui la cultivent. cultés qui se rencontrent dans l'exercice du


Quelle plus insupportable honte que de voir, saint ministère? Pour en donner ou s'en faire

pendant qu'on parle soi-même, tout le monde une idée, il faudrait les avoir éprouvées soi-

8'abstenir du moindre sijjne d'approbation, même.


THAITK DU SACERDOCE. - LIMU; SIXIÈME. (13

LIVRr SIXIÈME.

(Tirée de Dom Remy Ce. Hier).

On Toi( dan» le sixîèm» livre avec quelle rigaenr les prêtres seront punis ponr les pérhés du peuple, sans qu'ils puissent s'eica-
ser sur la capacité, ni sur l'isnorancc, ou sur la violence qu'on leur a pour les élever au sacerdoce.
faile —
On y vnil encore
avec quelle prudence el quelle prc aulion ils doivent vivre pour se préserver de la ciiiilajiinri ilu siècle, pour cn-erver en soa
ent'er la bi-auté siinluelc de leur Jii;e
av. c com:>ien de zèle, d'exactitude et de vipilnuee, ils doivent s'acqnitler de leurs
:
fonc-
tions. — Us ambassaieurs de Uieu non ponr une seule ville, mais pour toute la terre.
siinl —
Ils sont éhib'is afin de prier et
d'intercéder pour les péchésde tous les liomnies, el non-seule nent de ceux qui sont vivants, mais u ê^ne de ceux ipii sont
morts.
— .-Vprès avoir invoqué le Saint-Esprit, ilsaccoiiiidissent ce sacrilice si dijne de véiiémlion, et dont ou n'.ippioctie
iiu'avec trem-
blement. — Ils tiennent
lonslcinns entre leurs mains le Maître et le Seigneur de tous les hcinmes.
si l.a pnid.iice la pins atten-—
tive leur est nécessaire pour ne blesser aucun de ceux qu'ils sont obligés de voir cbaquejour, et s'accnm:ii.MJer avec tous, non
en osant d'artifice, de dissimulation, de colnplai^3nre et de llatlerie, mais plutôt en aviss.iiit avec une grande conliauce et beau-
coup de liber:é, usant toutefois de condescendance en de certaines rencontres, selon la néc.es>ité des aHaires et en eniromélant
dans leur conduite la sévérité avec la douceur. —
Quelque grands que soient les travaux des moines, et quelque rudes que
soient les C"inbats qu'ils ont à essuyer, saint Chrysostoiiie trouve qu'il y a moins de peines dans leur éiat que dans le ministère
épiscopal; qu'il est bien plus aie de pialiquerla verlu dans la solitude que dans les emplois de l'Eglise, qui expo.-ent un évêque
ï beaucoup d'occasions, et réveillent aisément en lui les vices et les defiuls, qui seraient couverts par la snlitiide. Le saint —
docteur revient encore à la fin de ce livre sur le conseil déjà donné
précédemment, de ne pas néi^liger les bruits populaires, quand
même ils sont faux. — Il n'est pas difficile de se sauver soi-même. —Le prêtre est ex|iOfé à un ctiâiiinent plusierrihle que les
simples fidèles. — On démontre [lar diverses comparaisons quels doivent être la crainte et le ^ai-i^seraent d'un homme que
l'on veut élever au sacerdoce. — Il n'y a point de guerre plus terrible que celle que nous fait le démon en pareil cas.

i. Voilà, pour la vie présente, les épreuves fond de la mer (Maldi., xviii, C), si tous ceux
que doit traverser un prêtre. Slais qu'est-ce qui blessent la conscience de leurs frères, pè-
que cela, en comparaison de ce que nous au- chent contre Jésus-Christ lui-même (1 Cor.,
rons à subir ailleurs, quand il nous faudra vui, i2), à quel sort doivent donc s'attendre
rendre comptede toiiles les âmes (|ui nous au- ceux qui perdent non pas une, deux, trois
ront été confiées, oui de toutes, les unes après âmes, mais des peujiles tout entiers? Oui, je
les autres ? La honte n'est pas le seul danger te le demande, à quel supplice sont-ils réser-
que nous ayons à courir, mais après la honte, vés? Il n'y a pas lieu de s'excuser sur son
il y va encore pour nous d'un supplice éter- inexpérience, d'alléguer son ignorance , de
nel. Il y a une parole que j'ai déjà citée ; prétexter la nécessité ou la viulence des autres.
Obéissez à ceua^ qui ont mission de vous con- Si ces moyens étaient recevables, les simples
duire, et demeurez-leur soumis, parce qu'ils pourraient plutôt y avoir recours pour
fiiièles

veillentpour le bien de vos âmes, comtne de- excuser leurs |U'opres fautes, que les pasteurs
vant en rendre compte (iléb., xni, 17); tuais je pour obtenir le pardon des péchés qu'ils ont
nepuisin'empêcherde larc|iéler, parce qu'elle fait commettre aux autres.
contient une menace qui bouleverse continuel- Pourquoi cela ?P<irceiiue celui qui est chargé
lement mon âiue. S'il est vrai qu'il vaudrait de corriger l'ignorance des |)tupk's, et de les
mieux pour celui qui scandalise le moindre de avertir de la guerre qu'ils ont à soutenir contre
que l'on suspendit à son cou une
ses frères, le démon, aurait mauvaise grâce de dire qu'il

meule de moulin et qu'on le précipitât au n'a pas entendu sonner la charge, qu'il n'avait
614 TMDUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

pas même prévu la guerre, puisqu'il n'est éta- à moins de s'être endurci par les laborieux
bli, comme dit le propiiète Ezcchiel, que pour exercices de la tempérance. L'émolidii i|ue tout
sonner de la trompelte m loul le peuple et l'a- cela [leut causer n'a rien (|ui ét>iniv. M lis que
vertir des malheurs qui le nieniîcent. (Ezecli , le démon réussi-se qiie'quefois à blesser, par
XXXIII, 3.) Ainsi le chàtiiiienl est iiiévit;ible, desmoyens tout cnnlr.iires, les cœurs des
n'y eùl-il qu'une seule àuie de peidue. S/ la. hommes, voilà, certes, une chose bien surpre-
sentinelle, dit encore le Proplièlc, çr?/»?*^/ /'e- nante et piescpie inconcevable.
pée s'avance, ne sonne point de In trompette 3. Des hommes, en eff. t, après avoir résisté à
pour donner l'alerte au peuple, et que l'épée ces moyens de séduction, se sont laissés prendre
arrivant ôte la vie à un seul hanmc, cet à d'autres tout ditféients. Ainsi, un visage né-
homme à la véri/éest ti-mhé p(nir !-ou in>//uité glige, descheveux mal soij;nés, des vêtements
néanmoins, je réclamerai son sang de la main snnJidcs, un extérieur en désordre, des ma-
de la sentine/le. (Eztcli., xxxiii, 6.)Ces-e donc iiièies simples, un parler commun, une

de me pousser à un cliâlimenl inévitable, il démarche sans étude et sans art, une voix in-
ne s'agit point ici du commandement d'une culte, une vie misérable, méprisée, sans ap-
armée ou d'un empire, mais d'un ministère pui, l'abandon le plus complet, loulcetappa-
qui demande la veitu d'un ange. reil de misère, qui n'avait d'abord excité que la
2. Il faut que l'âme du prêtre snitplus pure compasMoa du spectateur, a fini par le con-
que les rayoïisdu soleil, afin queleSaint-Espiit duiie à la catastrophe la plusdcplorable. Encore
y lasse sa constante demeure, et qu'il puisse une fois on en cnmpleiail un grand nombre
dire : Je vis, ou plutôt ce n'est plus moi qui qui, aprè^avoir lriom|)lie de laséiluction armée
vis, c'est Jésus-Christ qui vit en moi (Gai., il, de tous les prestiges de l'or, des parfums, des
20.) Si ceux qui liat)ilent le désert, loin de la magiiifiiiues habi Is, ont rouvé leur écueil dans
i

\ille, de la place publique et de leurs agitations les choses les plus contraires, ets'y sont brisés.
tumultueuses, et dont la vie flotte pour ainsi Puisi|ue la pauvreté et la richesse, la parure
dire sur des eaux toujours abritées et toujours et la négligence dans le vêlement, la politesse
tranquilles, ne sont jamais sans défiance mal- exquise et la rudesse inculte des manières
gré la sûreté d'une telle vie si, au contraire, ; allument également la guerre dans l'âme de
ilsmultiplient les précautions, s'environnant ceux qui en ont le spectacle sous les yeux,
de tous les moyens de défense, observant une puisque la voie où nous marchons est semée de
règle très-sévère, soit dans leurs paroles, soit pièges, comment cesser un instant de veiller,
dans leurs actions, afin de pouvoir s'approcher comment respirer en paix au milieu de tant
de Dieu avec toute la confiance et la pureté d'embûches tendues tout autour de nous? Et
dont la faiblesse humaine est susceptible, de où nous cacher, je ne dis pas pour nous sous-
quelle vertu, de quellelorce ne faut-il pas qu'un traire à la force ouveite, ce n'est pas là le plus
prêtre soit doué pour préserver son âme de difficile, mais pour épargnera notre âme le

toute souillure, et conserver pure et sans trouble qu'y réiiandent les pensées impures ?
tache sa beauté spirituelle? Il a besoin d'une Je passe sous silence les honneurs que l'on
sainteté bien supérieure à celle des solitaires. rend d'ordinaire aux prêtres, qui sont pour eux
Beaucoufiplusexiiosé qu'eux à toutes sorles de l'occasion d'une infinité de maux. Ceux que
nécessites dangereuses, il ne sauvera la pureté nous rec

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