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01/10/08

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Idées

LE POINT DE VUE DE PASCAL SALIN

…ou l’échec d’un Etat


pas assez libéral
L a crise financière actuelle est
l’occasion pour beaucoup de
commentateurs de chanter le re-
d’abord, le sens de la responsabilité
à l’égard du risque est émoussé
parce qu’il est implicitement admis
leur permettant d’accroître leurs
prêts dans le respect apparent de la
réglementation.
un vrai monde capitaliste, mais cela
conduit à l’apparition de bulles fi-
nancières. Les établissements de
frain habituel sur l’instabilité chro- que les autorités publiques ne lais- Certes, on peut considérer crédit maximisent le montant de
niquedu capitalisme etsur lanéces- seraient pas se produire des faillites comme souhaitable que les fonds leurs crédits et essaient ensuite par
sité d’un renforcement de la importantes en casdedifficultés(ce propres soient « suffisants » par des manipulations de présenter un
réglementation des marchés que que confirme en partie le compor- rapport aux fonds prêtés. D’ail- ratio de fonds propres conforme à
l’on appelle d’ailleurs, de manière leurs, au XIXe siècle, les fonds la réglementation. Une réglemen-
erronée, une régulation des mar- propres des banques représen- tation qui impose un résultat ne
chés financiers. Tel fut d’ailleurs le Au lieu de stigmatiser taient le plus souvent 60 à 80 % de remplacera jamais le libre jeu des
credo affirmé par le président fran- l’instabilité du leur bilan : les banquiers prêtaient décisions d’êtres humains respon-
çais dans son récent discours de capitalisme financier, les fonds qui appartenaient à leurs sables (c’est-à-dire capitalistes).
Toulon. C’est pourtant une leçon actionnaires et le ratio élevé (et C’est pourquoi les appels constants
toute différente que l’on devrait on devrait stigmatiser désiré) de fonds propres constituait lancés de nos jours en faveur d’une
tirer de la crise actuelle, à savoir l’imperfection de la une garantie formidable de stabi- plus forte réglementation des mar-
que la meilleure régulation passe politique monétaire. lité pour les actionnaires comme chés financiers ne sont pas fondés.
par le libre fonctionnement des pour les clients des banques. Les Certes, on peut reprocher aux
marchés et non par leur réglemen- tement actuel des autorités améri- banquiers étaient alors de vrais ca- établissements financiers de
tation. caines). En particulier, les deux pitalistes − c’est-à-dire des proprié- n’avoir pas été plus prudents. Cela
La causeessentielle de cette crise grands pourvoyeurs de crédits taires de capital. Ils étaient respon- résulte des structures institution-
provient en effet de l’extraordi- « subprime », Fannie May et Fred- sables en tant que tels. nelles de notre époque que nous
naire variabilité de la politique mo- die Mac − initialement créés par A notre époque, on a cru pos- avons rappelées. Mais cela reflète
nétaire américaine au cours des l’Etat américain − bénéficiaient de sible de fonder le développement aussi le fait que l’information ne
annéesrécentes.Or celle-ci est bien garanties étatiques privilégiées qui économique sur le crédit et non pas peut jamais être parfaite : un sys-
évidemment décidée par des auto- les ont conduits à prendre des sur les fonds propres. Par ailleurs, tème capitaliste n’est pas parfaite-
rités publiques et non déterminée risques très excessifs. une grande partie du crédit pro- ment stable, mais il est plus stable
parle marché. C’est ainsi que la Fed Par ailleurs, la réglementation vient d’une création ex nihilo, à qu’un système centralisé et éta-
est passée d’un taux d’intérêt de financière elle-même est la source savoir la politique monétaire ex- tique. C’est pourquoi, au lieu de
6,5 % en 2000 à un taux de 1 % en d’effets pervers. Il en est ainsi de pansionniste, et non d’une épargne stigmatiser une prétendue instabi-
2003. Il y eut ensuite une lente l’obligation imposée aux banques volontaire. Simultanément, le dé- lité du capitalisme financier, on
remontée à partir de 2004 jusqu’à par l’accord de Bâle II de maintenir périssement du capitalisme − résul- devrait stigmatiser l’extraordinaire
atteindre 4,5 % en 2006. Pendant un ratio de fonds propres égal à tant lui-même bien souvent de l’in- imperfection de la politique moné-
toute la période de bas taux d’inté- 8 % de leurs avoirs. Devant les terventionnisme étatique − a fait taire. On peut regretter que les
rêtet de crédit facile, le monde a été opportunités de gain formidables en sorte queles grandesbanquesne managers des grandes banques
submergé de liquidités. Afin de créées par la politique de bas taux sont plus dirigées par des capita- n’aient pas été plus lucides et
profiter de cette magnifique occa- d’intérêt de la Fed, les banques ont listes, propriétaires du capital, mais n’aient pas mieux évalué les risques
sion de profits faciles, les établisse- voulu développer au maximum par des managers qui, ne suppor- qu’ils prenaient dans un monde où
ments financiers ont accordé des leurs crédits, tout en maintenant le tant pas eux-mêmes les risques de la politique monétaire est fonda-
Tous droits réservés − Les Echos − 2008

crédits à des emprunteurs de moins ratio imposé par la réglementation. l’actionnaire, sont tentés de maxi- mentalement déstabilisatrice. Mais
en moins fiables,comme l’a montré Dans ce dessein, elles ont cherché à miser les profits à court terme. c’est précisément et surtout ce ca-
la crise des « subprimes ». Lorsque contourner la réglementation Dans le monde capitaliste du ractère déstabilisant de la politique
l’on est revenu à des taux d’intérêt − comme cela est toujours le cas − XIXe siècle, plus stable que le monétaire que l’on doit déplorer.
plus normaux, les excès du passé en se débarrassant d’une partie de monde financier actuel, le crédit Arrêtons donc les procès faits à tort
sont apparus au grand jour. C’est leurs encours vers d’autres orga- bancaire résultait des décisions des au capitalisme et recherchons au
l’éclatement de la « bulle finan- nismes, par exemple fonds d’inves- actionnaires des banques. Dans contraire le moyen de libérer les
cière ». tissement et SIV (Special Invest- l’univers étatisé de notre époque, marchés financiers de l’emprise
Or les conséquences néfastes de ment Vehicles). Une partie des c’est le contraire qui se passe. On étatique.
cette politique ont été aggravées crédits accordés par les banques impose arbitrairement un ratio de PASCAL SALIN est professeur à
par plusieurs phénomènes. Tout ont ainsi disparu de leurs bilans, fondspropres qui ne faitque mimer l’université Paris-Dauphine.

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