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Jouassard
Jouassard G. Une intuition fondamentale de saint Cyrille d'Alexandrie dans les premières années de son épiscopat. In: Revue
des études byzantines, tome 11, 1953. pp. 175-186.
doi : 10.3406/rebyz.1953.1081
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rebyz_0766-5598_1953_num_11_1_1081
UNE INTUITION FONDAMENTALE
DE SAINT CYRILLE D'ALEXANDRIE
EN CHRISTOLO&IE
DANS LES PREMIÈRES ANNÉES DE SON ÉPISCOPAT
(1) C'est la pièce capitale. On la lit dans P. G. 77, 553-577 sous le titre doublement inexact
d'Homélie VIII. Il s'agit en réalité d'une lettre et qui devait porter le n° 7, puisque la pre
mière épître connue qu'ait rédigée Cyrille pour annoncer la Pâque est celle de l'année 414
(ib., 401-426), les autres ayant suivi en série continue, sans l'interruption que les éditeurs
ont imaginée et que Migne signale (ib., 451-452). Le morceau qui importe pour nous dans
cette lettre n° 7 se trouve col. 565 C-577 A.
(2) Horn. XI dans Migne, ib., 633-665. Il s'y rencontre vers la fin (661 D-665 A) un rappel
discret de la doctrine proposée dans la lettre pour 420.
(3) P. G. 68, 131-1125.
(4) P. G. 69, 9-678.
(5) P. G. 71, 9-1061 et 72,9-364 pour les petits prophètes, et mieux dans P. E. Pusey,
Sancti Patris nostri Cyrilli Archiepiscopi Alexandrini in XII Prophetas, 2 vol., Oxford,
1868. Pour Isaïe, P. G. 70, 9-1449.
(6) Nous avions pris position sur ce point et assigné à ces ouvrages une date antérieure
à 423-424 (L'activité littéraire de saint Cyrille d'Alexandrie jusqu'à 428. Essai de chronologie
et de synthèse dans Mélanges E. Podechard, Lyon, 1944, p. 161-174). Le R. P. N. Charlier,
reprenant des vues de Mgr Lebon, a contesté ces conclusions dans sa thèse de Louvain,
dont un extrait a paru dans la Revue d'histoire ecclésiastique, 1950, p. 25-81, sous le titre :
Le « Thesaurus de Trinitate » de saint Cyrille d'Alexandrie. Questions de critique littéraire.
Le P. Charlier estimait que ledit Thesaurus serait le plus ancien ouvrage de l'évêque. M. Lié-
baert a adopté à son tour ces conclusions dans l'ouvrage précité, alors que précédemment,
dans sa thèse ronéotypée soutenue à Lille en 1948 (Saint Cyrille d'Alexandrie et l'Arianisme.
Les sources et la doctrine du Thesaurus et des Dialogues sur la Trinité), il n'envisageait point
une telle solution. Il en est résulté pour son ouvrage imprimé, et du fait du changement de
titre survenu en outre, une modification considérable de la perspective initiale, laquelle
modification rend ce travail imprimé justiciable de critiques nombreuses et importantes.
Nous nous refusons à nous lancer ici dans ces critiques ; ceux qui compareront ces quelques
pages au travail de M. Liébaert verront aisément ce qui nous sépare de lui pour l'essentiel.
Nous ne prétendons pas davantage justifier dans ces mêmes pages notre point de vue per
sonnel quant, à la chronologie des œuvres antérieures à 428-429. Nous enregistrerons seul
ement qu'un examen nouveau de la question nous a amené à maintenir ce point de vue.
(7) Juifs et païens sont, attaqués dans ces ouvrages comme il arrive fréquemment dans
les lettres pascales antérieures à 424. Il est très rare au contraire que des erreurs doctrinales
soient signalées de part et d'autre. Quand elles le sont, c'est brièvement. L'exception la
plus notable se trouve justement dans le morceau cité plus haut de la lettre pascale pour
420.
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(1) La chose est peu fréquente, de fait, et s'explique sans peine, là où elle se produit,
si l'on songe que jamais en dehors des lettres pascales précitées, Cyrille, dans le lot envisagé,
ne traite de christologie ex professo. C'est par le jeu des circonstances, d'un texte à commenter
par exemple, qu'il aborde le sujet. Généralement il le fait en peu de mots, souvent par simple
allusion en passant.
(2) Nous n'aborderons pas ce dernier point; il nous faudrait discuter ces questions
de chronologie relative que nous avons systématiquement écartées de nos perspectives
présentes de façon à éviter au maximum ce qui pourrait ressembler à de la polémique.
(3) A partir de P. G. 77, 568 D; mais sans doute déjà un peu avant, Cyrille avait-il en
vue cette erreur.
(4) A lire certaine réflexion qu'on lit col. 572 Β (ζίπιρ τ;ν;ς όλως ε'.σί), on pourrait
même se demander si l'évèque d'Alexandrie est très sûr qu'il existe réellement des person
nages tels que ceux qu'il a en vue. Peut-être, il est vrai, veut-il simplement se poser la ques
tion : vont-ils en définitive jusqu'au point qu'il a envisagé?
(5) L'erreur à laquelle il en a, est le fait de gens qui diviseraient le Christ en deux. L'objec
tion cependant qui lui arrive de ces gens-là (col. 568 D), ou plutôt qu'il se fait adresser
par eux, tendrait à faire croire que leur orientation ne serait pas à chercher dans la ligne
où l'on trouvera plus tard Nestorius. Ce dernier buttait sur la communication des idiomes,
comme nous l'appelons, mais en tant que ce mode de langage aboutit à attribuer au Verbe
ce qui est le fait de l'humanité par lui assumée. Eux au contraire paraissent ne pas com
prendre comment on peut dire du Christ ce qui est le fait de la divinité et le propre du Logos
avant l'Incarnation.
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(1) Col. 568 A. Cf. toute la discussion depuis col. 565 D, laquelle discussion sera rappelée
col. 576 AB.
(2) Col. 568 Β et 569 AB. Voir tout le contexte.
(3) Col. 572 A-576 A.
(4) II emploie d'un bout à l'autre la communication des idiomes en jouant tantôt sur
un nom, tantôt sur un autre. Il tient cependant à noter dans un passage (col. 568 BC) que
Jésus et Christ visent le temps de l'Incarnation et se disent du Verbe Incarné à raison du
rôle salvifîque qu'il a eu à notre égard.
(5) P. G. 68, 345 C; P. G. 69, 576 B; P. G. 70, 205 A, 1349 D; P. G. 77, 609 C; cf. 572 B.
(6) Ινς... il άμφοϊν ό Χρίστος. P. G. 77, 572 A, 573 B.
(7) Ib., 572 A. Cf. P. G. 68, 345 C; P. G. 69, 576 B.
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(1) P. G. 77, 569 A, 664 A. Cf. P. G. 69, 297 BG; P. G. 72, 332 A.
(2) P. G. 77, 573 B. Cf. P. G. 69, 297 BC; P. G. 72, 332 A; P. G. 70, 316 A, 973 AB.
(3) P. G. 77, 569 D.
(4) Ib., 569 CD.
(5) Ib., 572 A, 569 CD; cf. 408 A; P. G. 63, 712 Dsq. ; P. G. 69, 297 CD, 396 B, 576 B.
(6) Cette notion revient à jet continu chez Cyrille. Cf. ici même, P. G., 77, 568 A, AB,
B, C, 573 BC, 664 B, C, D; cf. 576 BC.
(7) Par exemple ib., 572 A.
(8) Cf. ib., 568 A. Lui applique ce langage à la divinité. Nous transposons pour faire
mieux saisir sa pensée.
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n'est homme » (1). Tant s'en faut que par là il veuille nier que ce
Christ soit réellement homme. Jamais il ne reviendra sur son asser
tion initiale à cet égard. Elle est centrale chez lui, quand même il ne
tire point de ladite assertion toutes les conséquences que nous en
tirerions actuellement avec notre anthropologie inspirée de l'aristo-
télisme (2). Donc le Christ est homme selon Cyrille, incontestable
ment, sans rien qui lui manque comme homme, hormis le péché (3).
Il reste qu'il n'est pas homme comme il est Dieu. Il ne l'est point au
même titre; il ne l'est point κατά φύσιν, pourrait-on dire justement,
en employant cette expression qui est si chère à l'évêque. Car c'est
en vertu de sa génération naturelle par laquelle il procède du Père
que Jésus est Dieu. Et certes il est « devenu homme » aussi, et par
génération également, la génération de la Vierge (4) ; mais il est
seulement « devenu homme » par elle, tandis qu'il était Dieu depuis
toujours et le reste pour l'éternité (5). L'humanité par conséquent
n'est point « sienne » de soi comme la divinité; il l'a « faite sienne ».
Ce qui est tout autre chose.
C'est pourq-uoi précisément l'évêque d'Alexandrie reprochera avec
véhémence aux Juifs dans sa lettre pour 420 de s'être arrêtés à l'exté
rieuren regardant le Christ, à ce qu'il appelle ailleurs το όρώμενον (6).
Non sans doute que cet extérieur ne soit point quelque chose de lui,
ni moins encore quelque chose de réel. Cyrille, redisons-le, maintient
énergiquement, même au cours de sa polémique, que Jésus était
homme en toute vérité (7) et au complet. Mais qu'il soit homme,
cela ne représente dans le Sauveur qu'un aspect, nullement la réalité
profonde. Par delà cette enveloppe dont le Verbe s'est revêtu (1),
il faut aller jusqu'à celui-ci et le découvrir lui-même sous elle.
C'est précisément ce que le Divin Maître voulait faire entendre à
ses adversaires, quand il discutait avec eux dans cet entretien que
la lettre pascale rappelle tout au long {Jean, 10, 32-38) (2). Il leur
indiquait le moyen de pénétrer jusqu'à cette réalité foncière, en
dépassant le stade de ce qui était immédiatement perceptible aux
yeux. Ce moyen consiste à regarder les œuvres accomplies par le
Sauveur et à juger d'après elles, entendons tous ces miracles et signes
divins que faisait Notre-Seigneur et que Cyrille aime d'appeler θεο-
πρεπη (3). « Ce n'est donc pas, écrira ce dernier, d'après ce qu'il
apparaissait comme homme, qu'il convenait de jauger ce qu'il était
de soi, mais à partir de ce que le Dieu accomplissait (4). » Ainsi
en a usé l'apôtre saint Thomas, quand après la Résurrection il est
tombé aux genoux de son Maître en s'écriant vaincu : « Mon Seigneur
et mon Dieu ». Et pourtant il n'avait point de ses mains touché
directement le Verbe issu du Père, mais seulement l'enveloppe char
nelle dont le Verbe s'est recouvert (5). Bien avant lui, Pierre, le chef
du collège apostolique, avait procédé de même lors de la confession
de Césarée; moyennant quoi, en prix de sa foi, il avait reçu les éloges
de celui qu'il avait reconnu pour Dieu (6). Ainsi devons-nous juger
nous-mêmes, et, tout en confessant l'homme dans le Christ, porter,
à l'inverse des Juifs, nos regards plus avant. Alors, par la foi, nous
adorerons à notre tour ce Christ, tout ensemble « Verbe issu de Dieu
le Père et homme procédant de la femme selon les Écritures » (7).
Nous découvrirons du même coup ce qu'il est au vrai; nous saisirons
sa véritable nature, c'est-à-dire qu'il est Dieu. Précisons bien pour
n'être point infidèle à Cyrille: Dieu non pas en vertu d'une divinité
d'emprunt en quelque sorte, ainsi qu'il va pour nous à raison de notre
adoption. Lui au contraire est Dieu « par essence », d'une divinité
qui « coexiste avec lui, en tant précisément qu'il est Dieu par nature
et l'héritier de cela même qui est propre à celui qui l'engendre » (8).
Autrement dit, à la différence de nous, sa propriété est d'être Dieu,
(1) Voir quelques textes diversement significatifs dans P. G. 77, 664 A; P. G. 68, 576 C
et surtout P. G. 69, 476 A, 477 Dsq., 521 A ,576 B. A noter par contre que Cyrille dira sans
la moindre gêne de la chair assumée et de l'humanité, qu'elle est « de la terre par nature »
(P. G. 77, 569 C) ; il la considère comme « chose différente par nature de la divinité » (ib.,
572 A; cf. 664 A).
(2) P. G. 77, 569 CD.
(3) Lors de l'édit d'union en particulier. On trouve déjà quelque chose de cela dans les
Glaphura, P. G. 69, 576 B.
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(1) P. G. 77, 572 A. Encore est-il qu'ici même il résume et à sa manière, saint Athanase
ne s'étant nulle part, qu'on sache, exprimé exactement comme parle Cyrille à son compte.
(2) Dans le Thesaurus très particulièrement, comme l'ont démontré indépendamment
l'un de l'autre M. Liébaert et le R. P. Charlier. Cf. leurs travaux cités plus haut.
(3) Cela même résulte des comparaisons qu'institue M. Liébaert entre le Thesaurus
et le Contra Arianos dans son ouvrage La Doctrine christologique de saint Cyrille d'Alexandrie
avant la querelle nestorienne, Lille, 1951, p. 35-43.
(4) Tardivement, on ne saurait assez le répéter, et que cette formule n'est aucunement
celle qui a inspiré sa christologie, quoi qu'aient pensé tant de gens qui se sont prononcé
sur elle. Il y avait une vingtaine d'années, et plus peut-être, que Cyrille écrivait, quand il
en a fait la rencontre, des mois et des mois que déjà il discutait contre Nestorius. La pre
mière fois qu'on l'en voit s'inspirer, il l'utilise avec une transposition et sans qu'il marque
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à son endroit une sympathie plus grande que pour tant d'autres. Après l'édit d'union,
durant une période particulière de sa vie, il lui attribuera un crédit plus grand, mais c'est
alors pour des raisons diplomatiques, on est fondé à le croire, pour ne point perdre le contact
avec l'extrême droite de son parti, laquelle, à la suite de l'édit d'union précisément, lui
faisait nettement grise mine, quand elle ne le menaçait point de rupture sous prétexte de
compromissions et trahison. L'évêque se raccroche alors à la formule, mais pour la rattacher
à sa doctrine (ainsi qu'il a fait d'ailleurs pour l'édit d'union lui-même), beaucoup plus en
tout cas que pour se servir de la formule en en faisant la base de sa théologie.
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G. Jouassard.