You are on page 1of 9

LES LANGUES DES ÉCRITEAUX EN

RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE

Robert Beyom
Université de Bangui
République Centrafricaine.

Résumé : La République Centrafricaine, à l’instar d’autres pays de l’Afrique


subsaharienne, est un pays plurilingue. Plus de 120 parlers y sont utilisés si l’on
tient compte des données statistiques du Bureau Central de Recensement.
Toutefois ce plurilinguisme caractéristique des pays africains, contrasté par
l’utilisation sur toute l’étendue du territoire comme médium d’intercom-
préhension. Il s'agit du sango, dialecte ngbandi parlé par une minorité vivant au
bord de l’Oubangui, le fleuve qui sépare la République Centrafricaine d’avec les
deux Congo. Cette situation a facilité la politique linguistique du pays. Le sango a
été érigé en langue nationale en 1964 à côté du français, qui lui, a acquis par la
même occasion le statut de langue officielle. En 1991 le sango a été déclaré
langue officielle, le pays a donc désormais deux langues officielles. Ce bilinguisme
officiel sera mitigé dans la mesure où, dans les faits, c’est le français qui joue
pleinement le rôle de langue officielle. Les agents de l’État n’utilisent que le
français pour travailler et tous les textes administratifs sont rédigés en cette
langue. L’exposition langagière est l’un des phénomènes qui illustrent ce
déséquilibre du bilinguisme centrafricain. Lors de ce colloque nous nous
intéresserons à ce cas et particulièrement aux affiches, banderoles, écriteaux.
Cette analyse a pour but de mettre en lumière non seulement le caractère
déséquilibré du bilinguisme en Centrafrique mais aussi de faire apparaître, en ce
qui concerne le français, l’aspect social traduit par ces écriteaux. Nous
annexerons à cette analyse un document iconographique pour illustrer chaque
cas présenté.
Mots-clés : La République Centrafricaine, français, sango, officialité, plurilin-
guisme, bilinguisme, exposition langagière, écriteau, affiche, banderole.
290 PENSER LA FRANCOPHONIE – Concepts, actions et outils linguistiques

La République Centrafricaine compte environ 120 parlers. Ce


plurilinguisme est contrasté par le fait que le sango, l’une de ces langues
est parlé sur toute l’étendue du territoire. Il a commencé à être véhiculaire
avant l’arrivée du colonisateur et du missionnaire qui ont fait de lui
respectivement une langue d’administration et d’évangélisation. Cette
situation a facilité la politique linguistique du pays. Le sango a été érigé en
langue nationale en 1964 puis en 1991 il acquiert le statut de langue
officielle à côté du français qui avait ce statut depuis 1964.
Sur le plan statutaire, la situation linguistique de la Centrafrique est
caractérisée par un bilinguisme officiel qui sera mitigé dans la mesure où
dans les faits, il n’y a que le français qui joue pleinement le rôle de langue
officielle. En effet, les agents de l’État n’utilisent que cette langue pour
travailler et tous les textes administratifs nationaux : décrets, lois, arrêtés,
avis, notes de service etc. sont rédigés en français.
Nous voulons analyser un aspect de ce bilinguisme à travers l’exposition
écrite. Ce volet concerne la presse écrite, les productions littéraires, les
épîtres, les banderoles, les affiches et les écriteaux. Pour cette communi-
cation, nous nous limiterons aux banderoles, affiches et écriteaux.
Les banderoles, les affiches et les écriteaux constituent un phénomène très
particulier et très significatif. Ces formes d’exposition langagière couvrent
toute l’étendue du territoire centrafricain et de ce fait, sont représentatives
de la situation des langues exposées en Centrafrique. Pour en rendre
compte, nous avons monté un corpus iconographique en réalisant des
photographies des banderoles, des affiches et des écriteaux. Nous avons
ensuite classé les photographies par domaine.

1. DOMAINE ADMINISTRATIF
Le domaine administratif est le secteur public et donc son exploration nous
amène à vérifier si, sur le plan linguistique, l’État applique les textes
officiels qu’il a promulgués. Lorsqu’on observe les pancartes qui donnent
des informations sur les édifices administratifs, l’on constate que tout est
formulé en français : Université de Bangui, Ministère des Affaires
Etrangères, Lycée des Martyrs etc.
Robert Beyom 291

Ce fait nous permet de dire que si le sango partage avec le français le


statut de langue officielle, dans les faits, il est très loin d’assurer cette
fonction. Parmi ces types d’exposition langagière, nous avons relevé un cas
où apparaît le bilinguisme français/sango. Il s’agit de la pancarte indiquant
la résidence de l’ambassade de la République Populaire du Congo. Cette
exception ne dément pas le constat puisque le personnel de cette
ambassade ne fait pas partie des décideurs du pays. En revanche, des
écriteaux à l’hôpital de l’amitié interdisant de marcher ou de sécher le linge
sur la pelouse, des écriteaux au camp Béal (un camp militaire) interdisant
292 PENSER LA FRANCOPHONIE – Concepts, actions et outils linguistiques

le passage des piétons constituent un phénomène, aussi réduit fût-il, qui


donne au sango sa valeur de langue officielle auprès du français.

Camp militaire (Camp Béal)

2. DOMAINE COMMERCIAL
Si les écriteaux révèlent de façon significative la situation linguistique en
Centrafrique, c’est dans le domaine commercial qu’ils présentent une vue
plus globale du phénomène. De « Villa à louer », l’on arrive à « Maison à
louer », « Maison à Vendre », « Terrain à vendre », « Briques à vendre »,
« Voiture à vendre », etc. En ce qui concerne les établissements de
commerce, nous avons relevé les enseignes indiquant les restaurants, les
hôtels, les magasins, les pharmacies.
Dans ce domaine qui est privé, il est intéressant de constater que certains
de ces enseignes font apparaître de manière très pertinente le contraste des
différentes couches sociales. Il s’agit notamment des enseignes relatifs aux
« Maisons à louer ou à vendre », aux restaurants de la place. Par exemple
les restaurants des grands hôtels n’ont rien de comparable aux restaurants
ya139 na l’heure ou restaurants selon moyen des nganda140 (A. Queffélec,
1997 : 221). Il est évident que celui qui fréquente les restaurants d’hôtels
luxueux n’accepterait pas d’aller manger dans les restaurants ya na
l’heure. En revanche, ceux qui mangent dans la dernière catégorie de

139
Ya vient du sango et signifie en français ventre. Na est un adverbe sango et donc ya na l'heure
signifie que le ventre est plein à toute heure.
140
Bar-restaurant généralement en plein air, lieu de détente où l'on boit et où l'on mange.
Robert Beyom 293

restaurants sus cités aspirent aux restaurants d’hôtels mais par manque de
moyen financier, ne peuvent pas y accéder.
Par ailleurs, nous pensons qu’il y a une corrélation entre les différents
niveaux de vie évoqués et les niveaux de langue des consommateurs. Les
clients des restaurants d’hôtels sont pour la plupart des locuteurs qui ont
une compétence linguistique non négligeable en français. En revanche, la
clientèle des restaurants bon marché est en majorité des locuteurs qui sont
peu ou non scolarisés mais qui ont appris le français sur le tas. Le contenu
d’un écriteau signalant l’un de ces restaurants est un exemple témoin :

RESTAURANT LABELLE SPOIR


Il existe dans cette formule une altération à deux niveaux :
morphologique et phonétique. Il s’agit ici de la reproduction erronée du
syntagme nominal bel espoir. Cette forme est voulue par la règle qui veut
que beau se prononce [bİl] devant un nom commençant par une voyelle.
Pour l’auteur de cette inscription, il n’existe pas [bİl] avec b,e,l mais plutôt
avec b,e,l,l,e et puisque cette forme est du genre féminin, il utilise l’article
la pour déterminer le mot espoir qu’il écrit spoir. Au deuxième niveau, il
existe un écart phonétique propre aux locuteurs de moindre compétence
linguistique en français. Il s’agit de l’alternance entre les sons [İs] et [s]
dans les mots comme stade, estrade, espoir, sport. Ces écarts sont
abondants dans les copies des élèves de 6e voire de 3e des lycées et collèges
de la République Centrafricaine.

Restaurant populaire au quartier Gbakondja


e
(3 arrondissement de la ville de Bangui)
294 PENSER LA FRANCOPHONIE – Concepts, actions et outils linguistiques

Comme dans le domaine de la restauration, l’habitat peut également


constituer une unité de distinction de classe sociale et donc de niveaux de
langue des locuteurs. En effet, il est beaucoup plus probable de rencontrer
des locuteurs compétents en français dans des villas que dans des
« taudis ». Inversement, il est rare de voir habiter les locuteurs
francophones de compétence aléatoire dans des villas, à moins qu’ils y
soient en qualité de visiteurs.

Commerce d’huile de palm au quartier Fouh


e
(4 arrondissement de la ville de Bangui)

De façon générale, nous avons observé un paradoxe au niveau de ces


écriteaux. Le bilinguisme français/sango est remarquable dans les espaces
fréquentés par une population à dominante francophone. Dans les quartiers
habités par des populations à 99 % sangophones, les écriteaux sont formu-
lés presque exclusivement en français. Ce paradoxe vient corriger la
situation des pancartes indiquant des édifices publics. Toutefois, il est
évident que le rôle et la place du sango à côté du français sont insignifiants
par rapport à son statut de langue officielle. Célestin Paimo (1998 : 34) a
mené une enquête relative à la consommation effective de ces écriteaux,
dans le cadre de ses recherches pour son mémoire de licence. Il a choisi
comme champ d’enquête deux quartiers du 8e arrondissement de la ville de
Bangui.
Robert Beyom 295

Une boutique au quartier Combattant


e
(8 arrondissement de la ville de Bangui)

Il s’agit des quartiers Galabadja et Damala, supposés retirés du centre


administratif et habités par une population à majorité rurale, donc peu
scolarisée. Il y note : « un fort degré des écriteaux français ». De son
enquête menée auprès de 124 sujets, dont 85 hommes et 39 femmes, il
ressort que 56 enquêtés, soit 45,16 % des personnes interrogées déclarent
savoir lire et comprendre ces écriteaux, tandis que 41 sujets, soit 33,06 %
disent qu’ils lisent les écriteaux sans les comprendre. Enfin, 25 enquêtés
(20,16 %) avouent qu’il ne savent pas lire et ne comprennent pas les
écriteaux. L’on peut retenir provisoirement, puisque l’effectif des sujets
(124) n’est pas représentatif par rapport à la population des deux quartiers
réunis, que le nombre des francophones est de 56. Par ailleurs, ce qui est
intéressant est qu’à la question Souhaitez-vous que les affiches soient
formulées dans les deux langues ?, beaucoup d’enquêtés répondent
négativement. Ceux-ci justifient leurs réponses de la manière suivante :
parce que je ne sais pas lire en sango ouj’ai des difficultés en sango. Le
choix de ces enquêtés porte donc sur le français.

3. DOMAINE RELIGIEUX
Le domaine religieux révèle de façon pertinente le plurilinguisme de la
République Centrafricaine. Ce plurilinguisme est liée à la multiplicité des
tendances religieuses. Si cela ne tenait qu’aux Catholiques, Protestants et
Baptistes qui utilisent le français et le sango, le phénomène resterait au
296 PENSER LA FRANCOPHONIE – Concepts, actions et outils linguistiques

niveau du bilinguisme. Avec les autres comme les Musulmans, les


apostoliques, les Mormons et d’autres sectes naissantes, l’arabe et l’anglais
se mêlent au jeu. La prédominance du français se justifie dans la mesure où
il est une langue fortement installée. L’utilisation du sango dans les
écriteaux se rencontre surtout chez les Protestants ou les Baptistes qui ont
été formés pour la plupart dans cette langue. L’usage de l’arabe est voulu
par la tradition musulmane qui veut que ce soit dans cette langue que le
message d’« Allah » soit transmis aux fidèles. Ce phénomène amène
nombre de Centrafricains à considérer les Haoussa, les Fufuldé, les Wolof,
les Mandingues, les Bambara, les Dioula comme des Arabes. Quant à
l’anglais, son usage peut s’expliquer par le surgissement des sectes
d’origine anglo-saxone.

4. L’UTILISATION D’AUTRES LANGUES CENTRAFRICAINES


DANS LES ÉCRITEAUX
Outre le sango et les langues de grande diffusion à savoir : le français
l’anglais et l’arabe, l’on rencontre aussi des cas où certaines langues
centrafricaines sont utilisées dans les écriteaux. Ces cas sont observables
sur des pancartes portant soit des noms des buvettes ou des bars-dancing,
soit sur des véhicules de transport en commun.

CONCLUSION
Les premiers indices d’identité linguistiques que l’on rencontre dans un
pays sont les écriteaux, les affiches, les banderoles et les enseignes. Dans
les pays du sud, ces éléments traduisent l’officialité des langues. En effet,
les langues dans lesquelles sont formulées ces écriteaux, affiches,
banderoles et enseignes sont les langues officielles.
La République Centrafricaine connaît ce phénomène mais avec des
particularités. Nous rappelons qu’elle a deux langues officielles qui sont le
sango et le français. L’analyse que nous venons de mener révèle que ce
bilinguisme officiel est déséquilibré dans la mesure où la majorité des
productions et expositions langagières sont en français. Nous avons égale-
ment constaté qu’en plus des deux langues officielles l’anglais et l’arabe
apparaissent dans ce domaine. Certaines langues vernaculaires centra-
fricaines interviennent aussi mais ce cas de figure est très rare.
L’utilisation du sango dans l’exposition langagière est observable dans
les ministères de la santé et de la défense pour le secteur public et dans le
domaine religieux pour le secteur privé.
Les écriteaux relevés dans les quartiers font apparaître des particularités
lexicales, morpho syntaxiques et sémantiques. De ce fait, ils constituent un
Robert Beyom 297

corpus du français écrit de Centrafrique. Il faut noter enfin qu’il existe une
correspondance entre ces particularités et le niveau social de leurs auteurs.

BIBLIOGRAPHIE
Béyom.R (2000), La langue française en République Centrafricaine : Situation et description, Thèse
de doctorat nouveau régime, Université de Provence Aix-Marseille
Chaudenson.R, (1991), La francophonie : représentations, réalités, perspectives, Paris, Didier
Erudition
Mabou.M (1987), Migrations scolaires et urbanisation en République Centrafricaine : Bangui
importante cité scolaire, Mémoire de maîtrise, Université de Bangui.
Païmo.C (1998), La diglossie à travers l’exposition langagière dans la ville de Bangui, Mémoire de
licence, Université de Bangui.
Queffélec.J.M.A et alii (1997), Le français en Centrafrique. Lexique et Société, Vanves, EDICEF-
AUPELF
Saint-Dizier J.L (1989) « Le journal Balao : communication de masse et diffusion de la langue
française », in Espace francophone N°2, Bangui, Publications de l’Université de Bangui.

You might also like